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Jean Longuet

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Candar Gilles

Deuxième partie. Patriotisme et internationalisme à l'épreuve de la guerre

Chapitre IV. Union sacrée et pacifisme

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Géographique :

France

Texte intégral

La patrie en danger

1La position de Jean Longuet était affermie. À trente-huit ans, député de Sceaux, membre suppléant du Bureau socialiste international, rédacteur de politique étrangère à L’Humanité, il faisait pleinement partie de la génération des quadragénaires qui s’apprêtaient à prendre la relève. Guesde, le plus souvent malade, Vaillant, septuagénaire, et même, dans une certaine mesure, Jaurès, aux traits vieillis malgré ses seulement cinquante-quatre ans, n’incarnaient plus que l’avenir immédiat du Parti socialiste. Les nouveaux responsables avaient en commun de paraître moins marqués par les luttes qui avaient précédé et accompagné l’unité. Leur maturité s’était façonnée au sein du nouveau parti. Ainsi, Cachin, quoique proche de Guesde, était apprécié en dehors du cercle étroit des fidèles du vieux maître. Âgé de quarante-quatre ans, il venait lui aussi de réussir son entrée au Palais-Bourbon après plusieurs échecs et sa réputation d’orateur populaire était déjà incontestable. Renaudel, quarante-trois ans, figurait également, grâce au Var, dans la promotion des « cent élus ». De fait, il dirigeait depuis longtemps les services de L’Humanité tandis que Jaurès, peu présent au journal, se contentait de fixer les grandes orientations et d’écrire les principaux éditoriaux. On pourrait citer également Compère-Morel, lui aussi jeune quadragénaire et spécialiste incontesté des questions agraires. Plus jeune encore (trente-six ans), Albert Thomas, normalien et agrégé, disposait déjà d’une réelle autorité intellectuelle, et venait de parfaire son contrôle sur La Revue socialiste.

  • 1 Sembat avait assuré la direction intérimaire de L’Humanité pendant le voyage de Jaurès en Amérique (...)
  • 2 L. Trotski, « Jean Longuet », Pierre Broué (éd.), Le Mouvement communiste en France, Minuit, 1967, (...)
  • 3 Blum le répétera dans l’article nécrologique consacré à Longuet : « Tous ceux qui le connaissaient (...)

2Ce petit groupe ne présentait pas seulement des caractéristiques communes d’état-civil. Les uns et les autres construisaient leur autorité politique sur leur réputation de spécialistes, de militants compétents et informés, en mesure de prendre chacun un morceau de l’héritage intellectuel du socialisme. Le cas est évident pour Compère-Morel, mais aussi observable chez ses pairs. Renaudel était l’homme de la presse, alors que Cachin l’orateur, élu de Paris, était intéressé par la politique internationale, susceptible d’entrer en concurrence avec Longuet, élu de la banlieue. Le vieillissement rapide et la marginalisation du Mouvement socialiste laissaient toutes ses chances à l’entreprise de rénovation idéologique menée par Thomas dont les ambitions étaient sans doute les plus visibles. De toute façon, aucun de ces hommes ne faisait encore figure de dauphin. Le modèle de succession en cas de disparition soudaine de Jaurès se serait vraisemblablement inspiré de celui opéré en Allemagne après la mort de Bebel : une équipe réduite aurait assumé le pouvoir. Éventuellement, un militant d’une génération intermédiaire comme Marcel Sembat, cinquante-deux ans, aurait pu jouer un rôle pendant une transition plus ou moins longue1. Parler d’ambition à propos de Longuet est difficile. Non qu’il fut un adepte du refus de parvenir énoncé par Albert Thierry, puisqu’il avait été candidat dès sa jeunesse à des postes de dirigeant ou d’élu, mais parce qu’il s’identifiait à son action militante et ne cherchait pas à y jouer un rôle de maître. Il entretenait des relations cordiales avec tous, ou, du moins, il essayait de le faire. Son amabilité était « proverbiale2 » selon Trotski. D’une grande taille (1, 85 m), calme et souriant, très myope, il jouissait de la même réputation de distraction et de nonchalance que son père. On l’aimait bien, divers témoignages l’attesteront, de Bourgin à Blum3, mais on ne le voyait pas destiné aux tout premiers rôles.

La crise de l’été 1914

  • 4 Cf. A. Kriegel, « Jaurès en juillet 1914 », Jaurès et la nation, colloque de 1964, Toulouse, Publi (...)
  • 5 J. Longuet, « Jaurès orateur n’avait d’égal que Jaurès penseur », Jaurès et ses contemporains, Chi (...)
  • 6 Jean Rabaut note que ce témoignage intervient dix ans après les faits, alors que Longuet était bea (...)

3Longuet accompagna Jaurès tout au long de la crise de juillet 1914. Il est présent à l’ultime séance du BSI à Bruxelles les 29 et 30 juillet, dans les délégations auprès de Viviani et d’Abel Ferry les 30 et 31 juillet. Ses réactions propres ne sont pas connues. Certes, il dut partager les sentiments mêlés de trouble, d’angoisse et de confi ance de Jaurès, mais dans quelle mesure ? De quelle manière ? Nous ignorons tout de ce qu’il a pu penser ou dire pendant ces journées décisives. Nous devons nous contenter, ce qui n’est pas négligeable, du témoignage aux apparences assez sûres qu’il nous apporte sur les derniers instants vécus par Jaurès4. Celui-ci, à l’ultime repas au Croissant où il a choisi d’aller, malgré la proposition de Longuet de se rendre au Coq d’Or, affirmait la nécessité d’une « entente étroite de la démocratie française et de la démocratie britannique5 ». La solidité de ce témoignage est confirmée par sa modestie même : il ne permet pas de trancher, comme l’analyse Annie Kriegel, sur l’attitude qu’aurait prise en fin de compte Jaurès une fois les hostilités commencées. Renaudel donnera d’ailleurs une version semblable des dernières paroles du directeur de L’Humanité, qui ne s’était vraisemblablement pas encore placé en situation de réagir à une guerre effective. Dans son texte de 1925, Longuet indiquait également que Jaurès « songeait à un appel suprême au président Wilson », ce qui est probable, mais peut être discuté6. De toute façon, la recherche d’une démarche commune de la France républicaine, de la Grande-Bretagne libérale et de la démocratie américaine correspondait à la logique des alliances nécessaires pour préserver la paix.

4Les premières paroles conservées de Longuet datent du 2 août 1914, après la mobilisation et juste avant l’enclenchement du confl it :

  • 7 « Les socialistes français et la guerre », compte rendu de la réunion salle Wagram, L’Humanité, 3 (...)

« Les socialistes français feront jusqu’au bout leurs efforts pour le maintien ou le rétablissement de la paix. […] Mais si la France est envahie, comment ne seraient-ils pas [les socialistes] les premiers à défendre la France de la Révolution et de la démocratie, la France de l’Encyclopédie, de 1793, de juin 1848, la France de Pressensé, la France de Jaurès ? Ils savent qu’en agissant ainsi, ce n’est pas contre le peuple allemand qu’ils partiront en armes, et ils reprendront la devise des volontaires de 93 : “Paix aux peuples ! Guerre aux rois7 !” »

  • 8 J. Longuet, « Les élus de la minorité et le vote des crédits », Le Populaire, 3 juillet 1916.
  • 9 J. Longuet, « L’outrage à Jean Jaurès », Le Populaire, 22 mai 1918.

5Déclaration qui prenait un tour tragique en raison des circonstances, mais qui répétait les affirmations précédentes de Longuet sur la volonté socialiste de défendre la nation en cas d’agression. Maintenant, elle illustrait simplement que pour Longuet, la France était sur le point d’être agressée et qu’elle n’avait pas de responsabilité immédiate dans l’ouverture des hostilités. Si Longuet devait, par la suite, estimer que Jaurès aurait profité du vote des crédits de guerre pour établir « toutes » les responsabilités, il maintint toujours qu’un vote positif pour la défense du pays menacé n’aurait fait aucun doute8. En mai 1918 encore, il évoqua le « Gambetta de ce temps » qui aurait pu donner un « grand élan à la défense nationale », même s’il aurait su également s’adresser « au peuple allemand lui-même » pour réaliser « la grande réconciliation humaine dans la justice et le droit9 ».

  • 10 APP, Ba 1470, rapports des 2 et 9 août 1914. Cf. J.-J. Becker, 1914, Comment les Français sont ent (...)
  • 11 L. Jouhaux, À Jean Jaurès, La Publication sociale, 1915 ; A. Kriegel et J.-J. Becker, 1914, La gue (...)
  • 12 Lettre de Longuet à Renaudel, 5 août 1914, archives Longuet Marx.
  • 13 Cf. A. Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la Première Guerre mondiale, Librairie du travail, 193 (...)

6Les militants socialistes de la circonscription de Longuet eurent, semble-t-il, des réactions semblables : une réunion de soixante personnes à Arcueil-Cachan, le 1er août, évoqua dans le calme la mémoire de Jaurès tandis que les rassemblements prévus à Châtenay, Fontenay-aux-Roses, Gentilly et Châtillon étaient annulés en raison de la mobilisation10. Aux obsèques de Jaurès le 4 août, Jouhaux annonça le soutien syndical à la défense nationale, sous l’invocation de « la haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime » et au nom de « la cause de l’Internationale et celle de la civilisation dont la France est le berceau11 ». Le sentiment de Longuet ne devait pas être très différent. Plus particulièrement chargé des contacts avec les socialistes britanniques, Longuet fut choqué par les réserves de nombre de ses amis d’outre-Manche devant les nécessités du combat contre l’agression germanique. Il envisagea même un rapide voyage à Londres pour les convaincre du bien-fondé de la position française. Il manifesta auprès de Renaudel son inquiétude : « Keir Hardie, Mac Donald, Hyndman même se réclament de notre pauvre Jaurès pour justifier la campagne violente qu’ils font pour la non-intervention, c’est-à-dire notre assassinat12. » L’ambassadeur de France en Grande-Bretagne, Paul Cambon, inquiet de l’attitude adoptée par Keir Hardie et de son influence possible sur le Parti travailliste, demanda au gouvernement français de susciter un télégramme des socialistes français auprès de leurs camarades britanniques. À la demande de Viviani, Malvy fit venir Sembat et quelques autres députés socialistes qui envoyèrent le télégramme demandé13, mais il n’est pas exclu qu’une démarche personnelle fût envisagée de surcroît : la précipitation des événements, le vote très majoritaire des députés travaillistes le 5 août en faveur de la participation au conflit, malgré Keir Hardie et Mac Donald, rendirent inutile le voyage projeté.

La défense de la nation

  • 14 J. Longuet, « Comment fut assurée la défense de Paris », Le Bonnet rouge, 25 février 1917.
  • 15 Le Populaire, 25 août 1917. Le dossier Longuet du SHAT n’a pas gardé trace de cette activité.

7Le vote des crédits pour la Défense nationale fut acquis sans débat et à l’unanimité. L’invasion du territoire national amena les socialistes, inspirés par les exemples des Jacobins et le souvenir de la guerre de 1870, à accepter d’entrer le 26 août dans le gouvernement Viviani. Longuet aurait manifesté quelques réserves, mais, vraisemblablement, il ne se montra pas fondamentalement opposé à cette participation : il en approuva le principe par son vote interne au groupe jusqu’en octobre 1915 et la formation du cinquième gouvernement Briand incluse. Pour autant, il ne joua pas de rôle particulier dans la définition de la politique socialiste suivie au cours de ces semaines décisives, puisqu’il n’appartenait pas à la commission permanente de dix membres (Vaillant, Guesde, Sembat, Compère-Morel, Groussier, Renaudel, Bracke, Dubreuilh, Albert Thomas et Hubert Rouger) chargée de prendre les décisions urgentes. Toutefois, le groupe des députés de Paris, auquel il participait activement, fit valoir auprès du gouvernement la nécessité de défendre Paris contre l’invasion. Le président du conseil reçut le 31 août une délégation de ce groupe, alors présidé par Denys Cochin, assisté d’Arthur Groussier, et le député de Sceaux fut de ceux qui se refusèrent à quitter la capitale menacée et à suivre le gouvernement à Bordeaux14. Il aurait également occupé, après la mobilisation, pendant quelques semaines, un poste d’interprète dans l’armée alliée15.

  • 16 J. Longuet, « À propos d’atrocités », L’Humanité, 17 septembre 1914, repris par Le Populaire du Ce (...)
  • 17 Jean Longuet, « Par-dessus la barbarie », L’Humanité, 25 septembre 1914.
  • 18 J. Longuet, « Les socialistes sur le front », L’Humanité, 25 novembre 1914.
  • 19 Le 22 octobre 1914, il rassura pourtant Romain Rolland sur les conditions de vie des prisonniers a (...)
  • 20 Ibid., séance du 31 mai 1916.
  • 21 Romain Rolland, Journal des années…, op. cit., p. 119.

8En tout état de cause, il fallut attendre L’Humanité du 17 septembre pour avoir le premier article signé Longuet dans la presse parisienne16. Il était très significatif. Il cherchait en effet à mettre en valeur les caractéristiques, l’identité socialiste à préserver au sein de la défense nationale. « L’union sacrée » de la gauche n’était pas semblable à « l’union sacrée » de la droite. Le terme, dont la paternité revenait à Poincaré, était d’ailleurs peu usité dans la presse socialiste, qui préférait en général l’expression républicaine de « défense nationale ». Selon son habitude, Longuet affirmait ses positions en se fondant sur une opinion autorisée et britannique, en l’occurrence celle d’H. G. Wells. La guerre du droit devait amener la paix définitive et donc refuser toutes nouvelles iniquités qui amèneraient de nouvelles revanches et de nouvelles boucheries. Longuet mettait en parallèle le sac de Louvain et le ravage du Palatinat par les troupes de Louis XIV pour condamner les excitations à la haine et au massacre des prisonniers allemands par la grande presse, et notamment Le Matin. Dans le même esprit, il relata l’anecdote contée par le Vorwärts d’une jeune fille française, soignant un soldat allemand et écrivant à la fiancée de celui-ci, citée en exemple par le journal social-démocrate aux jeunes femmes allemandes17 : il fallait éviter le maximum de souffrances, préserver autant que possible les valeurs d’humanité et préparer les futures réconciliations, exempter le peuple allemand des fautes de son gouvernement et de son Empereur. Le devoir des soldats socialistes, qui faisaient la guerre « par nécessité », sans l’aimer, et en continuant à détester « l’odieux militarisme », était de veiller au refus de la sauvagerie et des bas instincts, d’empêcher la mise à mort des prisonniers ou des blessés18. Au sein de la Commission des affaires extérieures, Longuet plaida la cause des prisonniers allemands. Il fi t adopter la demande d’un rapport sur les conditions d’internement en Afrique noire des soldats faits prisonniers au Togo et au Cameroun et il chercha à éviter l’envoi de prisonniers en Afrique du Nord19. Il s’opposa à l’obligation de travaux manuels pour les intellectuels, demanda un meilleur traitement pour les sous-officiers afin d’obtenir la réciprocité et il ne renonça pas à réclamer le rapatriement des prisonniers allemands du Maroc20. Romain Rolland nota l’efficacité de ses démarches menées en commun avec Renaudel pour établir la liste des prisonniers civils détenus en France que sollicitait auparavant vainement l’Agence des prisonniers de guerre21. Ces revendications d’humanité n’étaient pas nécessairement mal comprises de ses collègues. Ceux-ci demeuraient sans doute plus prompts à se déclarer rassurés par les explications officielles, mais ils déléguèrent sans difficulté Longuet au sein de la commission interparlementaire des prisonniers de guerre, en compagnie du radical Candace et du modéré Arago.

  • 22 « C’est la guerre ! Cette chose maudite, dont la seule évocation faisait pleurer les mères, que l’ (...)
  • 23 J. Longuet, « Deux conceptions de la guerre », L’Humanité, 28 septembre 1914.
  • 24 J. Longuet, « Le centenaire de Bismarck », L’Humanité, 31 mars 1915.

9On ne peut négliger ces nuances. L’Humanité comme Le Petit Parisien ou Le Matin participaient au même effort national contre l’invasion et pour la victoire. Il n’empêche que cette mise en garde publique contre les excès du chauvinisme, sitôt la bataille de la Marne gagnée, illustrait bien une vraie différence. Les affrontements à venir sur les buts de guerre et les conditions de la paix se préparaient : Le Populaire du Centre, passé le temps de la très vive déploration de la guerre imposée22, affirma son originalité par une campagne contre les représailles, en faveur du respect des conventions de Genève. Pour ces socialistes, non seulement les divisions politiques ne disparaissaient pas au nom de l’union sacrée, mais, à condition de ne pas mettre en péril la suprême exigence de défense du pays, elles pouvaient et devaient s’exprimer. La révélation de divergences sérieuses au sein de l’Union sacrée ne tarda pas à être exposée par Longuet23 : d’un côté, la conception « démocratique et humanitaire », inspirée du classique révolutionnaire Paix aux chaumières, guerre aux tyrans, de l’autre « les nouveaux bismarckiens » souhaitant renouveler, en les inversant, les funestes erreurs de 187124. Dans le premier camp, le député de Sceaux plaçait avant tout les grands dirigeants libéraux britanniques : Asquith, Lloyd George et Churchill. Ce n’était pas la première fois qu’en politique internationale, Longuet se référait davantage aux héritiers de Gladstone qu’à ses camarades du Parti travailliste. Dans l’autre camp, aucune personnalité gouvernementale n’était en cause : le cabinet Viviani demeurait ancré à gauche et n’avait élargi sa composition sur sa droite qu’aux modérés de l’Union républicaine, mais Longuet, en cette période de vacances parlementaires, reprochait à la presse d’inspiration nationaliste de vouloir « l’extermination de la nation allemande » : L’Écho de Paris (Barrès, de Mun, Bourget…), L’Action française, La Liberté, Le Matin… étaient notamment visés.

  • 25 J. Longuet, « La folie turque », L’Humanité, 3 novembre 1914.
  • 26 J. Longuet, « Le martyre de l’Arménie » et « Pour secourir les Arméniens », L’Humanité, 27 novembr (...)
  • 27 Le 3 décembre 1915, Cachin fit adopter à l’unanimité par la Commission des affaires extérieures de (...)
  • 28 J. Longuet, « La ruine de la Turquie », L’Humanité, 17 décembre 1915.
  • 29 L’Humanité, 5 décembre 1915.
  • 30 J. Longuet, « Les mauvaises raisons des rebelles Boers », L’Humanité, 9 novembre 1914, repris le s (...)
  • 31 J. Longuet, « Le chancelier de l’Échiquier nous dit l’effort fourni par l’Angleterre », L’Humanité(...)
  • 32 J. Longuet, « Les travailleurs anglais et la guerre actuelle », L’Humanité, 17 octobre 1914.
  • 33 J. Longuet, « À propos des socialistes anglais », L’Humanité, 18 mars 1915.
  • 34 J. Longuet, « Le prolétariat anglais contre la conscription », L’Humanité, 8 janvier 1916.

10En attendant, il fallait vaincre. Il fallait renforcer son camp. L’alliance de la Turquie avec l’Allemagne était sévèrement condamnée : la « noire ingratitude » et « l’inexcusable folie » des Jeunes Turcs, retournés « vers le vomissement hamidien et l’alliance prussienne » ne laissaient plus espérer d’autre solution qu’un coup d’État militaire pour sauver la Turquie et permettre une paix séparée25. Avec Cachin, il fut un des premiers à dénoncer la reprise des massacres d’Arménie26. Leur caractère massif fut rapidement connu par le témoignage d’Avedis Aharonian, écrivain et dirigeant dachnak, devant la Commission des affaires extérieures27, et par l’intermédiaire de la presse américaine : « 500 000 Arméniens au moins sont morts sous le poignard des assassins ou de privations dans les sables du désert28. » Longuet participa à la constitution d’un nouveau comité franco arménien, avec les personnalités habituelles de l’entourage de Pro Armenia, du Courrier européen et de la Ligue des droits de l’homme : France, Buisson, Hérold, Mme Ménard-Dorian, Seignobos, Leygues et Clemenceau. L’union sacrée permettait la présence dans ce même comité de personnalités catholiques et nationalistes comme Piou, Lerolle, Mithouard et Galli29. Les Boers, que Longuet n’avait jamais beaucoup aimés, et qu’il estimait avoir été généreusement traités par les gouvernements libéraux de Grande-Bretagne, avaient tort de se rebeller contre « le drapeau britannique, symbole de liberté et de démocratie30 ». Il faisait l’éloge du libéralisme héritier de Gladstone et du gouvernement31. En revanche, il regrettait la position de l’ILP et « la critique courageuse, mais quelque peu retardataire, des responsabilités anciennes de la diplomatie anglo-russo-française32 » menée par le Labour Leader. Son attitude était cependant compréhensive : il défendit Mac Donald, se refusant à le considérer comme germanophile, le qualifiant de « pacifiste tolstoïen33 ». Sa solidarité de principe avec les travaillistes l’amena même à présenter sous un jour favorable leur refus du service militaire obligatoire, puisqu’ils ne voulaient pas « gagner le monde et perdre [leur] âme34 ». Il est assez plausible que les positions de Mac Donald et de l’ILP aient joué un rôle dans son évolution personnelle.

L’Internationale en espérance

  • 35 Cf. A. Blänsdorf, Die Zweite Internationale und der Krieg, Stuttgart, Klett-Cotta, 1979, p. 101.
  • 36 J. Longuet, « Initiative prématurée », L’Humanité, 19 octobre 1914 et dans une lettre à A.-M. Simo (...)
  • 37 J. Longuet, « La conférence internationale de Copenhague », L’Humanité, 17 janvier 1915. Des réuni (...)
  • 38 J. Longuet, « Le congrès de La Haye », Le Populaire du Centre, 27 mai 1915.

11Face à la proposition américaine de réunir un congrès socialiste international pour la paix, Longuet fut bien obligé de préciser sa position. Il en salua le « sincère et noble esprit internationaliste », mais jugea le moment peu opportun. L’Allemagne impériale et militariste était plus responsable que d’autres et des négociations de paix ne pourraient rien donner alors que l’Allemagne n’était pas touchée sur son sol par la guerre. Au risque de décevoir les espérances des socialistes suisses, qu’il rencontra en compagnie de Renaudel et de Milhaud, Longuet affirmait nettement à nouveau son refus de reprise prématurée des relations internationales entre socialistes35. Il fallait continuer la lutte « jusqu’à ce qu’un résultat décisif soit obtenu […] sans haine sauvage, sans chauvinisme abject, sans esprit de vengeance barbare, avec force et dignité, pour sauvegarder notre chère France républicaine, pour créer une nouvelle Europe36 ». Réponse identique à la tentative des socialistes scandinaves : « L’heure […] n’est pas encore venue […] l’abominable orgueil du militarisme prussien doit être abattu37 » ou à celle des femmes socialistes38. Toutefois, les préalables rappelés, Longuet reconnaissait que l’heure des rencontres internationales entre socialistes devrait finir par venir. Il révéla avoir rencontré à Berne un socialiste hollandais, Schapper, participant à la conférence de Copenhague, et lui avoir demandé le vote d’une résolution contre la violation de la neutralité belge. Il indiqua dans L’Humanité les propositions générales des socialistes américains et laissa entendre que de nombreux socialistes français n’étaient pas absolument et irrémédiablement hostiles à une réanimation, informelle ou non, de l’Internationale.

La reprise avortée des relations internationales Les rencontres SFIO/SPD

  • 39 L’amitié entre les deux hommes était encore très vive au début de la guerre. Lorsque Longuet envis (...)
  • 40 R. Rolland, Journal des années…, op. cit., p. 87, 22 octobre 1914.
  • 41 Jean-Jacques Becker a montré dans sa thèse la lenteur de L’Humanité à prendre en compte l’adhésion (...)
  • 42 Roland situe à tort la première rencontre en août 1914. Kautsky aurait déclaré à ses interlocuteur (...)

12Rien n’opposait alors Longuet à son ami Renaudel39, ni sur les nécessités de la défense nationale, ni sur l’attitude humaine à conserver et sur la défense des principes républicains et socialistes dans la détermination des buts de guerre. Ensemble, ils se rendaient à Genève, admiraient l’œuvre de la Croix-Rouge, communiaient avec le refus de la barbarie exprimé par Romain Rolland40. Ensemble, surtout, ils cherchaient à entrer en contact avec la minorité sociale-démocrate allemande41. Renaudel et Longuet furent, avant même les zimmerwaldiens, les premiers socialistes français à rencontrer pendant la guerre des sociaux-démocrates allemands en la personne de Kautsky et de Bernstein42. Le premier entretien aurait dû se dérouler à Berne à la fin du mois d’octobre 1914, à une époque où les socialistes français espéraient et attendaient encore une réaction pacifiste de la social-démocratie allemande. Il n’eut pas lieu. Mais son éventualité nuance la vision d’une Internationale emportée d’un mouvement et sans remords vers l’affrontement sanglant. Il ne faut pas forcément instituer une solution de continuité entre les initiatives des neutres, la conférence de Lugano le 27 septembre entre Suisses et Italiens pour remédier à la défaillance du BSI, la décision du secrétaire du BSI, Huysmans, de transférer en novembre ses services en territoire neutre afin de maintenir l’indépendance de l’Internationale, pour le jour où elle pourrait à nouveau faire entendre sa voix, et ces recherches de contacts secrets des socialistes des pays belligérants. Diverses correspondances, dont une partie demeure inconnue, existaient entre ces protagonistes. Les grands fossés de démarcation n’étaient pas encore tracés. Au reste, Longuet, tout en affirmant progressivement des choix conflictuels avec l’orientation majoritaire de son parti, resta fidèle à sa vocation de passeur et conserva les relations les plus éclectiques jusqu’à la fin de la guerre. Pour l’heure, en cet hiver 1914-1915, il agissait toujours de concert avec Renaudel, pour la défense du pays attaqué, mais aussi pour le maintien des principes. L’Humanité pouvait alors citer les vers fameux de Hugo :

  • 43 L’Humanité, 15 novembre 1914. Victor Hugo avait écrit : « Et cela… », Sagesse, Les Chansons des ru (...)

« Et tout ça pour des Altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez43. »

  • 44 L’Humanité, 3 décembre 1914.
  • 45 L’Humanité, 9 avril 1915.
  • 46 Cf. L’Humanité, 26, 31 octobre et 15 novembre 1914 et Le Populaire du Centre, 18 novembre 1914. Mê (...)

13Elle publiait une photo sous-titrée « À Gand, un soldat allemand partage avec des enfants belges des friandises que sa famille lui a envoyées de Berlin44 », reproduisait à sa une un dessin de Henri-Pierre Gassier, « La boue des tranchées », montrant soldats allemands et français dans la même situation navrante, sans haine ni colère45. Lorsque les premiers articles d’Au-dessus de la mêlée furent connus en France, ils trouvèrent, à Limoges comme à Paris, un public préparé à entendre leur langage, d’autant plus facilement que n’était pas remis en cause le principe de la défense nationale, et ils furent salués par Dunois comme par Longuet46.

  • 47 J. Longuet, « Le conseil national », Le Populaire, 6 août 1916.
  • 48 Lettre de Grumbach à Huysmans, 7 mai 1915, archives du BSI, Anvers, cité par Agnès Blänsdorf, Die (...)
  • 49 Cf. La Voix de l’Humanité, 24 avril 1915, repris par Le Populaire, 9 mars 1918. Romain Rolland fél (...)
  • 50 J. Longuet, « La paix future », Le Populaire du Centre, 28 avril 1915.
  • 51 La seconde entrevue réunit le 10 ou le 11 août 1915, à Berne, Kautsky, Bernstein, Jouhaux et Renau (...)
  • 52 R. Rolland, lettre à Longuet, 6 juillet 1915, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/90.

14Renaudel ne fut donc pas le simple manœuvrier chantre de l’Union sacrée parfois présenté par la mémoire militante, sinon l’historiographie. Son attitude réservée à l’égard des débordements de l’esprit nationaliste, son refus de toute idéalisation de la guerre expliquent que pendant les premiers mois de la minorité socialiste, Longuet ait espéré pouvoir gagner son vieil ami à sa cause47. De fait, Renaudel et Longuet furent les premiers socialistes français à rencontrer des sociaux-démocrates allemands pendant la guerre et donc, quoique non publiquement, à reprendre des relations internationales au sein du monde socialiste, épisode souvent négligé par l’historiographie française, même après la publication en 1979 du livre d’Agnès Blänsdorf qui l’analysait en détail. L’entrevue, secrète, eut lieu à Berne, le 12 avril 1915, six mois après l’échec de la première tentative, mais près de cinq avant la conférence de Zimmerwald. L’initiative semble être venue des minoritaires allemands, Kautsky et Haase, aidés par Grumbach et Branting48. L’esquisse d’un accord sur les modalités d’un retour à la paix fut recherchée : Longuet donna un article à La Voix de l’Humanité de Lausanne précisant les conditions dans lesquelles pourrait avoir lieu la consultation des Alsaciens-Lorrains sur leur devenir et rappelant son opposition à l’éclatement de l’Autriche-Hongrie49. La question du plébiscite préalable ou non au retour de l’Alsace-Lorraine à la France allait fournir une pomme de discorde continuelle au sein du Parti socialiste. Longuet exposa son projet de manière précise puisqu’il prévoyait l’organisation du scrutin par une instance locale, hors de toute troupe armée, et la prise en compte sur les listes électorales aussi bien des réfugiés de 1870-1871 et de leurs enfants que des alsaciens nés de parents allemands « immigrés50 ». Même s’il n’avait pas de mandat officiel, pas plus que ses interlocuteurs, Longuet pouvait tout de même parler au nom d’un parti important de la coalition gouvernementale, et, soutenu par Renaudel, en liaison avec des collègues républicains à la Chambre et à la Commission des affaires extérieures, préparer les voies d’une négociation sérieuse. En tout cas, cette ébauche de négociation confirmait l’importance politique prise par Longuet, dès avant la constitution de la minorité. Malgré cette ouverture diplomatique, la réunion des socialistes belligérants, suivie d’une seconde en août 1915 à l’initiative des Français51, ne donna aucun résultat tangible. Les appels pressants de Romain Rolland qui proposait aux Partis socialistes de s’entendre au moins sur le refus de « toute politique d’annexion52 » restèrent de vaines exhortations. L’écrivain ne put même pas obtenir de L’Humanité un relais efficace de l’initiative des sociaux-démocrates qui avait entraîné la suspension du Vorwärts. Certes, celle-ci avait été provoquée par la première affirmation spectaculaire des minoritaires, conduits par Bernstein, Haase et Kautsky, dans la Leipziger Volkszeitung, mais la réponse de la majorité du comité directeur hostile à la guerre de conquête, était un fait politique d’importance, comparable aux évolutions apparues du côté allié lors de la conférence de Londres, et il existait là des possibilités d’action internationale coordonnées. Il n’en fut rien : les Français attendaient bien davantage. Pour eux, l’Allemagne étant responsable de la guerre, il appartenait à leurs camarades allemands d’exercer une pression décisive sur leur gouvernement et toute autre action demeurait négligeable. La divergence, initiale et fondamentale sur les responsabilités de la guerre, paralysait toute tentative de rapprochement.

15En résumé, les socialistes participaient sans doute à ce qu’on peut appeler l’union sacrée, mais cherchaient à la vivre sans fureur ni haine, à maintenir les principes d’un patriotisme humaniste et pacifiste. Défendre la patrie ne signifiait pas qu’on se résignait purement et simplement à la guerre. On peut se demander toutefois si cette attitude de soutien à la défense nationale, sans participation à l’esprit belliciste, était facilement comprise et tenable à long terme. Autant elle pouvait être soutenue dans les premières semaines de guerre, autant les hécatombes toujours renouvelées ne pouvaient que contraindre à opter pour une politique plus lisible ou audible. Concilier patriotisme et recherche de la paix demandait sans doute une invention et un génie politique, dont le socialisme français était en tout état de cause dépourvu depuis l’assassinat de Jaurès. Malgré une bonne volonté certainement réciproque, les différences de lecture des événements de l’été 1914 des deux côtés du Rhin comme la difficulté à rompre avec le consensus patriotique ambiant expliquent l’insuccès final et l’abandon des démarches suisses de Longuet et Renaudel.

Le trouble des militants

  • 53 M. Rebérioux, « Le socialisme et la Première Guerre mondiale » in J. Droz, Histoire générale du so (...)

16Sur les réactions de « l’opinion militante », les informations demeurent insuffisantes. L’état d’esprit de l’opinion publique est globalement mieux connu, mais l’historiographie du courant minoritaire, par la force des choses, n’a pu que privilégier les réactions des journalistes ou responsables politiques, dont les opinions s’exprimaient de manière durable, dans la presse, les correspondances archivées ou les débats d’organisation. Cela put conduire à valoriser le rôle de ces derniers. Non sans prudence, Madeleine Rebérioux estima ainsi que « les intellectuels socialistes sembl[aient] avoir joué un rôle particulièrement important en ces premiers mois de résistance à la guerre53 ». Jean-Louis Robert mit également en évidence la bonne implantation des majoritaires dans les « forteresses ouvrières » face aux origines bourgeoises ou intellectuelles, féminines et étrangères du pacifisme minoritaire, mais il nota aussi la présence affirmée de ce courant dès la fin de 1914 dans la métallurgie ou le bâtiment. Les sources manquent pour saisir au plus près les sensibilités des adhérents et militants de base, désorganisés, sans expression publique et sans réunions internes pendant plusieurs mois.

  • 54 Madeleine Rebérioux, « Le socialisme et la Première Guerre mondiale »…, op. cit., p. 612.

17De fait, la SFIO avait décidé d’entreprendre un effort de réorganisation et de réanimation de ses structures avant de tenir une convention des secrétaires de fédérations, sa première assemblée nationale depuis le début de la guerre, convoquée pour le dimanche 7 février 1915, salle de la Bellevilloise. Pour cela furent utilisés les trois délégués permanents disponibles : Lucien Roland, Gaston Lévy et Maxence Roldes. Tous trois restèrent jusqu’à la fi n des hostilités d’ardents partisans de la politique d’union sacrée, mais dans ses carnets le premier nota, avec une utile précision, le sentiment des militants et des régions visitées. Or, les premières notes conservées de Lucien Roland font aussitôt apparaître l’existence de fortes réserves à l’égard de la politique suivie par le Parti socialiste. Certes, la guerre durait déjà depuis cinq mois et les opinions avaient eu le temps d’évoluer depuis le début du conflit. Telles quelles, ces notes confirment la vision classique du début « des phénomènes d’opposition qui dépassent le refus individuel54 » pendant l’hiver 1914-1915. Roland signala à Dreux une minorité, qualifiée de « mentalité anarchiste », qu’il excusait en partie puisque confrontée à « cette bourgeoisie et commerce beauceron à mentalité égoïste, rapace, mercantile », mais qu’il retrouva tout autant à Chartres, avec Marianne Rauze, et à Angers :

  • 55 L. Roland, Carnets, op. cit., 3 (Dreux), 6 (Chartres), 9 (Angers) janvier 1915.

« C’est sans ambages qu’on me dit que la guerre a assez duré, qu’il faut la paix. J’ai mis trois bonnes heures à essayer de remonter ce courant. Mes arguments les ont empêchés de répondre, mais j’ai senti qu’ils n’étaient pas convaincus55. »

  • 56 Cf. J. Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Maspero, 1975, 2 vol., II, p. 10-11.

18Toute la tournée de l’Ouest entreprise par Roland le confronta aux mêmes difficultés. Il se plaignit aussi bien des soldats juifs russes rencontrés à Orléans que d’un militant de Vendôme qu’il ne put convaincre de la nocivité de la campagne menée par Sébastien Faure. Le tract, Vers la paix, diffusé à 2 500 exemplaires par le militant libertaire dans les derniers jours de 1914 et les premiers de 1915, était, à tort ou à raison, jugé en effet responsable de toutes les attitudes critiques ou découragées rencontrées par Roland dans ses tournées56. Le comité fédéral de l’Indre-et-Loire, réuni en sa présence le 15 janvier, lui laissa un souvenir pénible. « Confusions régionales », liées au caractère encore rural et artisanal, sans profond enracinement socialiste, de la France de l’Ouest ? Le malaise de ces sections ne semblait pas exceptionnel. La puissante section du XXe, celle de Vaillant, toujours présentée, avec raison, comme une place forte des partisans les plus déterminés de l’union sacrée, connut aussi quelques états d’âmes. Roland nota les opinions exprimées par les militants présents après une conférence qu’il prononça devant le groupe de Saint-Fargeau, et notamment du responsable local, figure notable de la SFIO jusque dans les années 1920 :

  • 57 L. Roland, Carnets, op. cit., 6 mars 1915.

« Tenneveau dit qu’il se moque de la France. Pour lui, les socialistes n’ont pas de patrie. Nous protégeons en ce moment les privilèges capitalistes. Les Allemands ont obtenu plus que nous des avantages en lois sociales. Si demain on lui disait, il y a du travail pour toi à Lille devenu allemand, il irait sans scrupule, sa patrie à lui est là où il a ses intérêts et sa famille. Je suis assez étonné de constater une approbation presque générale de ce langage par les personnes présentes57. »

  • 58 Sur le discours de Raffin-Dugens, cf. rapport de police APP, Ba 1470.
  • 59 René Nicod (Ain), Léon Berland (Haute-Vienne) et Charles Bouttet (Ardennes), cf. A. Rosmer, Le Mou (...)

19Bref, comme l’avait noté Madeleine Rebérioux, « non seulement les frontières sont floues entre les éléments socialistes intégrés à l’effort de guerre et ceux qui en contestent partiellement le bien-fondé, mais, sauf exception, il n’est pas aisé de ranger d’un côté les “pacifistes”, de l’autre les “révolutionnaires” », les clivages évoluent vite, selon les sujets et selon les époques concernées. Les déclarations critiques ne furent pas absentes de la première réunion nationale de la SFIO, le 7 février 191558, même si elles ne transparurent guère dans les comptes rendus de presse. En 1921 encore, l’Encyclopédie socialiste se contentait de noter : « Raffi n-Dugens formula un certain nombre de critiques […] il pesa les responsabilités comparées des puissances européennes aux prises ; il vit dans le Maroc une des causes de la guerre et les responsabilités de Poincaré certaines. » En fait, le discours avait marqué la conférence nationale. Lucien Roland nota que Raffin-Dugens avait été appuyé par Longuet et Uhry. En outre, trois secrétaires fédéraux s’exprimèrent dans le même sens59. Il faut certes prendre en compte que le faible sens des nuances et le caractère entier du délégué à la propagande avaient tôt fait de lui faire caractériser comme point de vue pacifiste ou semi-anarchiste toute expression de doute ou d’interrogation. Cachin lui-même fut présenté comme « opinant pour le pacifisme » dès janvier 1915 ! Toutefois, ces indications confirment qu’un mécontentement diffus précéda le manifeste de la fédération de la Haute-Vienne. De nombreux militants attendaient une autre parole officielle de leur parti. Ce qui ne troublait pas Guesde, lorsqu’il lançait à Pressemane, le disciple infidèle :

  • 60 Jules Guesde au conseil national du 14 juillet 1915, L. Roland, Carnets, op. cit.

« Je n’ai jamais suivi les foules. J’ai fait l’opinion des foules. Ce n’est pas à l’école du prolétariat que je suis allé, c’est le prolétariat qui est venu à mon école. J’ai passé ma vie à lui enseigner ses droits60. »

Le trouble des dirigeants

  • 61 M. Rebérioux, « Le socialisme et la Première Guerre mondiale », op. cit., p. 612.
  • 62 La conférence de Londres fut décidée le 10 janvier 1915 par une réunion de socialistes alliés qui (...)

20La conférence des socialistes des pays alliés à Londres, le 14 février 1915, confirma que les problèmes de la guerre étaient abordés de manière nouvelle par les socialistes, « dans l’obligation où ils se trouvent de tenir compte des critiques qui visent les formes extrêmes du chauvinisme61 ». De fait, la conférence avait été conçue au départ comme une réponse nécessaire à la conférence des socialistes des pays neutres réunis à Copenhague. Longuet avait même joué un rôle dans la genèse de cette réunion62. Les résultats de celle-ci ne furent guère appréciés dans les milieux socialistes les plus engagés dans l’union sacrée. André Lebey exprima son inquiétude. Le Temps mena campagne contre la résolution adoptée à Londres, appuyé dans Le Matin par Charles Dumas qui passait pour exprimer l’opinion de Guesde : les anciens clivages étaient recouverts par de nouvelles lignes de fracture. Officiellement, il fut encore possible de couvrir ces discordances d’un vote unanime du groupe parlementaire et de la CAP, Guesde au conseil des ministres se solidarisa même avec les résolutions votées, mais la réalité publique du trouble, et des hésitations socialistes, était désormais un fait acquis pour la presse.

  • 63 Cf. lettre de Rosmer à Monatte, 9 février 1915, in J. Maitron et C. Chambelland, Syndicalisme révo (...)

21Les Britanniques Mac Donald et Keir Hardie, soutenus par Jean Longuet, plus vigoureusement encore par les deux syndicalistes Merrheim et Bourderon, avaient en effet obtenu un texte très différent des vœux des principaux dirigeants français, lesquels d’ailleurs, plus ou moins pris au dépourvu, s’étaient peu préparés à la conférence63. La responsabilité générale de tous les gouvernements dans les causes profondes du conflit était rappelée, les buts de guerre assez clairement définis : libération des territoires envahis, droit des populations annexées, dont celles d’Alsace-Lorraine, à disposer d’elles-mêmes, guerre aux gouvernements, non aux peuples. C’était non seulement un langage éloigné de ceux qui rêvaient à la rive gauche du Rhin ou aux détroits confiés à l’allié russe et qui n’étaient pas tous en dehors de la SFIO, c’était également à peu près le contraire de ce que venait de déclarer Guesde :

« Il ne saurait être question de paix réduite à la plus dangereuse des trêves tant que l’impérialisme allemand n’aura pas été écrasé. Le devoir qui s’impose aux socialistes, à ceux qui veulent résolument débarrasser l’humanité de ce cauchemar de sang, est de continuer la lutte jusqu’au bout, en fermant toutes les oreilles qui pourraient s’ouvrir à des murmures de lassitude. »

  • 64 Cf. A. Rosmer, Le Mouvement ouvrier…, op. cit., p. 190-208.
  • 65 À la conférence de Londres, cité par Agnès Blänsdorf, Die Zweite…, op. cit., p. 160.

22La fédération des Métaux elle-même ne s’y trompa pas et considéra la conférence comme « un grand pas fait en avant vers une action internationale pour la paix64 ». Au sein de la SFIO, on n’en était pas là. Non seulement l’action minoritaire fut toujours très distincte de celle de la minorité syndicaliste, mais, de toute façon, en février 1915, le courant qui venait de remporter une victoire certaine à Londres, commençait seulement à prendre conscience de lui-même. Il n’était pas encore organisé, ni même formalisé dans son expression. Lucien Roland indiquait comme « pangermanistes honteux » Renaudel et Compère-Morel aussi bien que Longuet, même s’il jugeait que ce dernier allait plus loin. Cela n’empêchait pas cet encore informel courant d’exister. Vaillant en était conscient qui assimilait avec colère Longuet et Mac Donald à ce « coquin de Raffin-Dugens65 ». Londres avait permis de montrer aux socialistes partisans d’exprimer des choix différents la valeur d’une organisation autonome. Que cette démarche eût particulièrement séduit l’anglophile Longuet n’avait rien de surprenant. Née dans l’impatience, les souffrances et l’angoisse de nombreux cercles militants en province et à Paris, renforcée à Londres par la proximité constatée d’analyse et de sentiment avec l’ILP de Mac Donald et de Keir Hardie, la minorité socialiste allait choisir Limoges, qui disposait de tous les atouts de la légitimité militante au sein de la SFIO, pour annoncer publiquement sa formation et ses objectifs.

Un député socialiste dans la guerre

L’accomplissement du mandat

  • 66 AN, archives Albert Thomas, 94 AP 38.

23Le combat politique de Longuet ne se plaçait pas en dehors de la nation souffrante et combattante. Il continuait à accomplir les mille tâches du parlementaire proche des préoccupations de ses mandants. Ce fut sans doute avec une douce malice que le ministre Albert Thomas, historien attentif au devenir de ses archives, décida de ne conserver qu’un seul dossier de ses relations au ministère avec les parlementaires : celui de Jean Longuet66. Il permettait en effet de prouver que le député de Sceaux n’éprouvait aucune mauvaise honte à s’adresser à son collègue du gouvernement pour obtenir mille menus services en faveur de ses électeurs : très nombreuses demandes de changements d’affectation, réclamations contre des sanctions jugées imméritées, amélioration de la nourriture, inventions intéressant la défense nationale… Par là même, le courrier du député Longuet démontrait également la solidarité profonde des élus socialistes, minoritaires ou majoritaires, avec l’organisation et les nécessités de cette défense nationale. Cela pouvait donc conduire à nuancer les vives critiques qu’avait subies l’ancien ministre de l’Armement au lendemain de ces événements pour son rôle dans l’effort de guerre. Nulle stratégie de rupture en effet chez Longuet. Il intervenait aussi bien pour de modestes électeurs, des universitaires, des artisans et petits industriels de sa région, des militants locaux. Son amabilité était mise au service de son insistance et il avouait lui-même : « Vous allez me trouver bien rasant. » Les dizaines de missives de Longuet étaient accompagnées des réponses, accordant satisfaction ou non, mais toujours circonstanciées, du ministre ou, le plus souvent, de son directeur de cabinet, François Simiand. De l’été 1915 jusqu’à celui de 1917, les controverses de congrès et les polémiques de presse n’influencèrent guère le travail quotidien du représentant du peuple exerçant sa fonction de médiateur entre ses mandataires et l’administration, sollicitant sans cesse le ministre afin d’obtenir les accommodements favorables au bon et efficace fonctionnement de l’organisation sociale. Somme toute, il se formait ainsi une manière de collaboration, voisine du « contrôle des bureaux » recommandé par Alain aux élus, qui caractérisait le fonctionnement de la vie politique française, certes éloignée du refus révolutionnaire, des « gestes francs et des actes clairs » voulus par Trotski.

  • 67 Cf. J.-L. Robert, Ouvriers et mouvement ouvrier parisiens pendant la Grande Guerre et l’immédiat a (...)
  • 68 APP, Ba 748. La première réunion fut celle du groupe de Montrouge le 13 septembre 1914.
  • 69 J. Longuet, « Que va-t-on faire des mutilés de guerre ? », Le Populaire du Centre, 20 décembre 191 (...)
  • 70 APP, Ba 1535 et 749, rapports des 12 et 29 octobre, 15 novembre 1915.
  • 71 Questions n° 23 928 du 13 septembre 1918, n° 24 067 du 24 septembre 1918, n° 24 543 du 24 octobre (...)

24Dès l’automne de 1914, Longuet avait repris ses réunions d’information aux électeurs comme celles réservées aux militants du Parti socialiste. Il s’appuyait sur un réseau fortement constitué de groupes et de sections, à l’avant-garde de l’organisation socialiste banlieusarde67. Dans le prolongement des efforts du comité d’action CGT-SFIO, il promettait d’intervenir pour améliorer le ravitaillement en sucre ou en charbon, tandis que les socialistes échangeaient entre eux des informations, sans mener de campagnes publiques68. Il faisait également partie de son rôle de député-journaliste de rendre hommage dans L’Humanité aux militants de la banlieue sud tués au combat. Il posait la question de l’avenir des mutilés lorsque la paix serait revenue, envisageant plutôt qu’un emploi public ou qu’une allocation d’État, la création d’un contingent réservé d’emplois au sein des entreprises. Il fallait mieux ne pas rompre les solidarités de classe et maintenir à l’usine les anciens ouvriers blessés69. Parmi ses multiples interventions, pourrait être citée son action en soutien à la Ligue des boulangères, constituée en octobre 1915 pour demander le remplacement par roulement des ouvriers boulangers au front. Le mouvement était parti d’Arcueil-Cachan, une des principales bases de l’implantation socialiste dans la circonscription de Longuet, et s’organisait autour de deux boulangères locales70. Ces revendications, « fondées sur l’égalité et la justice », obtinrent finalement l’accord du gouvernement, grâce au général Gallieni, ministre de la Guerre. Son salut aux boulangères « bonnes Françaises, bonnes épouses et bonnes mères », montrait que les débuts de l’organisation de la minorité au sein de la SFIO n’entraînaient aucun bouleversement de fond dans le comportement public des élus socialistes. La controverse demeurait d’ordre interne et affaire de militants. Élu consciencieux, Longuet continua jusqu’au terme de son mandat l’accomplissement des modestes besognes attendues par ses mandants : citons pour mémoire les dernières et significatives questions écrites du temps de guerre qu’il déposa à l’automne 1918, en faveur de la fourniture de tissu aux officiers pauvres, de l’obtention d’une prime de quinze centimes pour les photograveurs et imprimeurs du service géographique de l’Armée ou de l’augmentation de l’allocation des aides contrôleurs du service des Forges71.

Le refus de la tribune

  • 72 Chambre des députés, séances du 11 février et du 16 septembre 1915.

25À la Chambre, Longuet observa longtemps la tradition qui voulait que les nouveaux élus attendissent quelques mois avant d’aborder la tribune. Les cinq années passées à n’intervenir que de son banc ou en commission finirent par lui valoir remontrances ou quolibets de ses divers adversaires, de Trotski à Maurras et de Franklin-Bouillon à Souvarine. Le contrôle parlementaire avait pourtant repris avec la réouverture des Chambres le 22 décembre 1914. Député assidu, sa participation fut cependant souvent relevée car, s’il ne fut jamais un grand orateur parlementaire, il était un interrupteur coutumier. Ainsi, en septembre 1915, il apporta un appui vigoureux à la loi interdisant la production d’absinthe72. Pour le reste des interventions liées à la guerre, ses protestations contre la censure ou ses réclamations en faveur d’une contribution accrue des classes possédantes ne se distinguaient guère de celles de ses collègues du groupe socialiste. Ce ne fut pas lui qui mena le premier campagne contre les excès de la justice militaire. Celle-ci s’était montrée particulièrement meurtrière dans les premiers mois du conflit. L’État-Major se convainquit ensuite que des usages moins expéditifs s’avéraient nécessaires. La reprise des débats et du contrôle parlementaire aida également à l’amélioration de la réglementation existante. Ainsi, le 25 juin 1915, Longuet et Poncet protestaient à nouveau en réunion de groupe et reprochaient à Sembat de « se laisser mener en bateau par Poincaré ».

  • 73 L. Roland, Carnets, op. cit., 23 juillet 1915.
  • 74 Cf. V. Suard, « La justice militaire française et la peine de mort au début de la Première Guerre (...)
  • 75 Chambre des députés, séances des 3 et 20 octobre 1916. Longuet soutint à nouveau Paul Meunier lors (...)

26Toutefois, les exigences de la défense nationale, comme de la solidarité ministérielle, amenaient les socialistes à ne pas donner un caractère public à leurs interrogations. On peut certes se demander quelle était l’efficacité réelle des demandes d’information émises par les ministres socialistes auprès de leurs collègues. Guesde considérait comme son « ami » le général Dubail73 et devait donc lui accorder une grande confiance. Le même officier avait demandé en 1914 à ses subordonnés de « réprimer même sommairement » les mutilations volontaires74 et ne devait donc pas s’émouvoir outre mesure des réclamations parlementaires à l’encontre de la sévérité de la justice militaire. Ce fut finalement un député radical-socialiste de l’Aube, l’avocat Paul Meunier, qui aborda à la tribune la question du code de justice militaire. Au moins fut-il approuvé et soutenu en séance par plusieurs socialistes, dont Longuet, qui se montra très actif75. Les députés socialistes votèrent en faveur de sa proposition, laquelle visait notamment à établir dans tous les cas la possibilité d’un recours en grâce. Celle-ci fut adoptée par 302 voix contre 129, dont les ministres Guesde, Sembat et Thomas, solidaires du gouvernement, ce qui leur fut vivement reproché. Un modéré aussi peu suspect de pacifisme qu’André Maginot par exemple, avait soutenu publiquement la proposition de Paul Meunier.

  • 76 Député de la Drôme, ancien instituteur révoqué, Henri Roux-Costadau avait rompu en 1912 avec la SF (...)
  • 77 J. Longuet, « Les élus de la minorité et le vote des crédits » ; « La minorité socialiste parlemen (...)
  • 78 Chambre des députés, séance du 22 septembre 1916.
  • 79 Chambre des députés, ibid. L’affirmation de Longuet n’empêcha pas trois socialistes de voter contr (...)

27Les premiers éclats de socialistes contre la poursuite de la guerre, ceux de Brizon les 24 juin et 14 septembre 1916, ou encore l’appel passionné pour la paix de Roux-Costadau le 9 décembre 191676, n’eurent pas l’assentiment de Longuet, qui ne participa pas aux échanges directs entre députés en séance, et qui, sans les condamner absolument, en manifestant même sa sympathie pour son ami Brizon, les désapprouva dans Le Populaire77 : il demandait une action concertée, conforme au respect des décisions prises collectivement. Même après la fondation du Populaire, la question des crédits de guerre ne fut guère posée par Longuet ou ses amis. Une brève explication suffisait. Ainsi, lorsque Vincent Auriol explicita la signification du vote favorable des socialistes : « Autant nous sommes opposés à toute politique qui aurait pour objet de prolonger en guerre de conquête la guerre de défense nationale à laquelle nous participons, autant nous sommes convaincus que pas un socialiste ne pourrait accepter une paix qui laisserait la France mutilée et diminuée78. » Longuet l’approuva aussitôt : « Tous les socialistes sont de cet avis, tous, sans exception79. »

  • 80 Chambre des députés, 25 juin 1915.
  • 81 Conférence de Jean Longuet à Sceaux, 25 septembre 1915, APP, Ba 1536.

28De même, Longuet, qui n’avait jamais proclamé de refus de principe de la participation ministérielle, ne se distingua pas de ses camarades dans le soutien à la participation ministérielle. En fait, si l’entrée au gouvernement de Guesde et de Sembat dans le contexte de l’invasion n’avait suscité aucune critique d’importance, l’appel à Albert Thomas pour le sous-secrétariat d’État à l’Armement fut davantage controversé. Certains craignaient la personnalité ambitieuse du nouveau ministre, d’autres redoutaient les effets d’une collaboration à un domaine essentiel de l’effort de guerre. Certains guesdistes notamment s’alarmaient ou affectaient de s’alarmer des éventualités d’une union sacrée prolongée après le conflit, alors qu’elle ne devait être qu’une parenthèse dans la guerre de classe. C’était la position du ministre sans portefeuille lui-même… D’autres en revanche annonçaient déjà le programme d’un gouvernement d’Union sacrée survivant au conflit. Bedouce se préparait ainsi à prendre date pour « la grande bataille économique contre la misère et le taudis, l’alcoolisme et la tuberculose80 ». En tout état de cause, si l’acceptation de la proposition faite à Thomas fut votée par 45 voix contre 16, il n’était pas possible de considérer la minorité ainsi constituée comme représentant une tendance plus réservée à l’égard de la politique suivie jusqu’ici au sujet de la guerre que la majorité. Seul Mayéras se proclama favorable à un retrait de tous les socialistes du gouvernement. Longuet vota en faveur de l’acceptation. Devant les militants de Sceaux, il expliqua encore en septembre 1915 que la collaboration des socialistes au gouvernement était « des plus utiles au parti et au pays » et qu’il jugeait « excessif » de demander le retrait du ministère pour des faits secondaires (censure, ravitaillement)81. Longuet maintint son vote de soutien à la participation ministérielle lors de la constitution du gouvernement Briand (octobre 1915) et ne passa dans l’opposition que lors de la formation du nouveau cabinet Briand, le 12 décembre 1916. En octobre 1915, Compère-Morel et Hubert-Rouger avaient demandé le retrait des ministres, mais ce texte, récusé par Longuet et d’autres avait été considéré non sans raison comme un jeu tactique et à une mise en scène politique destinée à affaiblir Renaudel. En mars 1917 encore, Longuet ne se montra guère ardent pour s’opposer à la présence de Thomas dans le gouvernement Ribot, laquelle pouvait se réclamer du vote récent du congrès (29 décembre 1916) en faveur de la participation. En fin de compte, ce ne fut qu’au moment de la grande crise provoquée en 1917 par l’espérance d’une paix prochaine, fondée sur le projet de conférence socialiste internationale de Stockholm et les propositions de paix autrichiennes, après le dégoût ressenti devant les nouvelles et lourdes pertes occasionnées par l’échec de l’offensive Nivelle, que Longuet jugea possible de modifier la politique suivie par le Parti socialiste et qu’il se prononça ouvertement et fermement en faveur du retrait des ministres socialistes.

Le travail en commission : guerre du droit et recherche de nouveaux alliés

  • 82 Le cas de Longuet fait plus que confirmer l’importance du travail en commission fortement relevé p (...)
  • 83 Il le fit jusqu’auprès de Lloyd George qui le reçut une nouvelle fois. Cf. Commission des affaires (...)
  • 84 Commission des affaires extérieures, séance du 12 mai 1915, AN, C 7488.
  • 85 Ibid., séance du 26 mai 1915. La commission ne cessait de juger insuffisants les crédits destinés (...)
  • 86 J. Longuet, « Après la chute de M. Zaïmis », Le Populaire du Centre, 9 novembre 1915.
  • 87 Ibid.

29La Commission des affaires extérieures, protectorats et colonies, présidée par Albin Rozet, avait repris ses travaux en décembre 1914 comme la Chambre elle-même82. La principale de ses activités était désormais l’évocation de la propagande française dans les pays neutres. Il s’agissait d’une propagande politique ou diplomatique, mais aussi économique et commerciale. Longuet plaida ainsi la cause des vins français à Londres83. Les députés avaient souvent l’impression d’être tenus à l’écart des initiatives gouvernementales : Longuet n’était pas seul à regretter que les ministres se contentassent de « parler pour ne rien dire », Georges Leygues, ancien ministre et homme politique d’importance, faisait le même constat. De plus, les commissaires regrettaient de ne pas pouvoir jouer un rôle plus important dans l’organisation de cette propagande. Si Cachin se montra fier de sa mission en Italie et présenta un compte rendu optimiste sur le soutien des socialistes italiens à l’entrée en guerre, Longuet, déçu de l’annulation de son voyage prévu en Bulgarie, parlait de « la politique d’inertie » du Quai d’Orsay84. Il souhaitait une politique plus active et demandait au ministère « d’inspirer » la presse hellène dans un sens favorable à la France85. Son choix était de concilier un appui vigoureux à Venizelos avec une entente entre la Grèce et la Bulgarie, ce que le ministre de la Marine, Augagneur, ne jugeait « pas si facile que cela ». Les objectifs de l’opération n’étaient pas dissimulés : mettre fin au « lâche abandon de la Serbie » pratiqué par le gouvernement précédent d’Athènes et retrouver « enfin, la Grèce à nos côtés86 ». Pour ce faire, Longuet comptait utiliser la force des passions nationales, du moins, car il connaissait les difficultés de ces nations hétérogènes, des éléments dominants de celles-ci. Ainsi, en Grèce voyait-il « l’immense majorité des Hellènes » en faveur de Venizelos, les partisans de la neutralité, germanophiles honteux comme le roi ou les ministres Gounaris et Zaïmis, ne pouvant s’appuyer que sur les circonscriptions « peuplées surtout de paysans turcs et bulgares ou d’israélites espagnols qui, naturellement, ne connaissent rien des aspirations et des intérêts de leur nouvelle patrie87 ». Quoique plutôt lucide, mais exagérée, cette distinction entre Grecs pouvait comporter des prolongements dangereux ! Pour l’heure, elle était conforme aux vues d’un homme convaincu de la force et de la réalité des faits nationaux… et de la nécessité de gagner la guerre, donc de rechercher des alliés.

  • 88 Commission des affaires extérieures, séance du 22 septembre 1915, AN, C 7488.
  • 89 Région bulgare avant 1913 (et à nouveau depuis 1947).
  • 90 Proposition équitable ? Smyrne et sa région étaient peuplés majoritairement de Grecs depuis des mi (...)
  • 91 J. Longuet, « Le problème balkanique », l’Humanité, 19 mai 1915.
  • 92 Ibid.

30Les solutions préconisées par Longuet, fondées, comme en 1908, sur l’idée de compensations équilibrées, rendues publiques dans un article de L’Humanité, reprenaient en fait les conclusions d’un livre de Charles et Noël Buxton, La Guerre et les Balkans. Cette fois, c’était à la Serbie, en mauvaise posture, il est vrai, qu’un effort était demandé : la remise de Monastir et de la Macédoine à la Bulgarie empêcherait l’entrée en guerre de celle-ci contre sa voisine88. Les Serbes recevraient toutefois après la victoire Bosnie, Herzégovine et Croatie. La Roumanie de la même manière donnerait la Silistrie89 à la Bulgarie mais se voyait promettre en échange la Transylvanie. La Grèce « offrirait facilement » Cavalla à Sofia en échange de Smyrne et de sa région90. Jean Longuet ne cherchait pas alors à circonscrire le conflit, mais à obtenir la victoire grâce à de nouveaux concours militaires : « 500 000 Roumains, 350 000 Bulgares, 250 000 Grecs. Et de fameux soldats que sont ces rudes paysans91. » Il lui fallait simplement assurer, avec les apparences de la candeur : « Il ne s’agit pas ici de distributions arbitraires, d’annexion détestable contre le vœu des populations, mais de l’application stricte du principe des nationalités92. » Si Longuet évoquait autant « d’Alsace-Lorraine » séparées de leurs patries, lui qui connaissait bien l’enchevêtrement des nationalités en Europe centrale et balkanique n’allait tout de même pas jusqu’à préconiser le plébiscite pour vérifier la réalité de ses assertions, ni croire imaginable des accords volontaires entre les États concernés. Il en revenait au vieux principe des puissances, garantes de l’équilibre européen, et c’était des Alliés, France, Angleterre et Russie qu’il attendait que fussent fixées « du dehors », « les conditions de l’entente et de la coopération ».

  • 93 J. Longuet, « La politique de M. Delcassé » et « La politique étrangère d’une démocratie », l’Huma (...)

31Longuet reprocha sévèrement à Delcassé, redevenu ministre des Affaires étrangères, de ne pas avoir voulu suivre cette politique et il n’hésita pas à le rendre responsable de l’entrée en guerre de la Bulgarie du côté des Empires centraux. Ce fut la première fois qu’un de ses articles fut partiellement interdit par la censure. Il jugeait le ministre « aveuglé par les têtes couronnées et inconscient de l’existence des peuples93 ». Il se refusait au demeurant à déclarer le peuple bulgare coupable d’avoir voulu l’alliance germanique et il faisait remarquer que la majorité de Ferdinand n’avait été acquise à la Chambre des députés bulgares qu’avec l’appoint de vingt députés musulmans, dont on pouvait facilement évaluer « le véritable crédit et l’autorité ». Son opposition à Constantin Ier de Grèce, jugé germanophile, n’avait rien de choquant pour ses collègues, qui partageaient pour la plupart le même point de vue. Les députés avaient plutôt tendance à rivaliser dans les recommandations d’énergie adressées aux ambassadeurs à Athènes, Deville, puis Guillemin, estimés trop accommodants.

  • 94 Cf. séance de la Chambre des députés en comité secret, 1er, 2 et 4 juin 1917.
  • 95 L. Roland, Carnets, op. cit., 15 avril 1915. Le traité secret conclu en mars 1915 liait la France, (...)

32La révélation par les révolutionnaires russes des accords secrets entre alliés troubla les milieux socialistes94. Albert Thomas fut soupçonné d’avoir tout su et rien dit. En fait, et sans se focaliser sur la seule mission Doumergue-Castelnau et ses résultats, il est permis de se demander jusqu’à quel point les socialistes étaient, sinon nettement informés, du moins avertis de ce qui pouvait se concevoir et se préparer dans les chancelleries. Le 1er juin 1917, Cachin interpella solennellement Briand, sur les accords passés en 1916 entre Doumergue et le tsar au sujet de l’avenir de la rive gauche du Rhin, de Constantinople et de l’Asie Mineure. Il n’avait cependant pas attendu son voyage en Russie pour recevoir quelques lumières sur ces questions. Membre actif de la Commission des aff aires étrangères de la Chambre et informé de surcroît par Sembat, Cachin apprenait dès le 15 avril 1915 à son ami Lucien Roland que la Russie aurait à la fin de la guerre Constantinople et les Détroits et que ce serait « justice95 ». De même, Ribot, président du conseil, pouvait rappeler en comité secret le 2 juin 1917 que, concernant l’Italie, les conventions secrètes sur les buts de guerre, avaient été prises avec le plein accord des ministres socialistes, qui en avaient été « les plus ardents partisans ».

  • 96 J. Longuet, « Folies nationalistes », L’Humanité, 27 février 1915.
  • 97 J. Longuet, « Contre la politique de proie », L’Humanité, 13 septembre 1915, complété par « La Fra (...)

33Ainsi, la CAP du 1er mars 1915 avait déjà débattu des conditions de la paix, sans parvenir d’ailleurs à une position commune. Lucien Roland avait suggéré de ne combattre que « platoniquement » l’annexion envisagée de la rive gauche du Rhin par la France. Il n’avait donc guère été impressionné par l’éditorial de Longuet dans L’Humanité « Folies nationalistes », lequel, tout en s’en prenant sévèrement aux Barrès et René Bazin coupables de préparer ainsi de « nouvelles guerres de revanche96 », songeait sans doute à d’autres dérives nationalistes que celles proclamées par les deux écrivains. En revanche, Longuet se montrait rassuré par les proclamations du gouvernement et il n’hésitait pas à louer « le beau et courageux discours de Briand » qui avait affirmé : « La France n’est pas une nation de proie97. »

  • 98 Commission des affaires extérieures, séance du 11 mars 1915, AN, C 7488.
  • 99 Ibid., séance du 8 mars 1916. L’opinion publique ne fut informée que très incomplètement des objec (...)
  • 100 Ibid., séance du 22 novembre 1916.

34L’information confidentielle divulguée par Cachin n’était pas un secret d’État absolu. Tous les membres de la Commission des affaires étrangères étaient au courant des orientations gouvernementales puisque Delcassé, ministre des Affaires étrangères, leur avait exposé, en réponse à une question de Longuet, que « la Russie avait grand besoin de respirer » et que donc une ouverture sur la Méditerranée était à envisager98. Les socialistes n’avaient d’ailleurs émis aucune réserve, seul Leygues avait diplomatiquement jugé « audacieux » le projet. Jean Longuet, pour sa part, avait sans doute moins bonne conscience de cette acceptation tacite que Cachin. Il argua ainsi de l’échec des Dardanelles pour demander une renonciation de la Russie à ses ambitions sur Constantinople, ce qui permettrait alors à la Turquie de sortir honorablement du conflit par une paix séparée99. Il préférait réclamer une Pologne « absolument indépendante100 ». Cette fidélité à la Pologne, traditionnelle dans l’opinion démocratique du xixe siècle, exprimée aussi bien par Marx et Engels que par Charles Longuet, n’allait pas sans soulever quelques difficultés. Moutet fit remarquer qu’une reconstitution de la Pologne et une séparation de la Prusse orientale du reste de l’Allemagne ne seraient jamais acceptées et provoqueraient une « guerre de cent ans ». Il fallait aussi savoir quels territoires seraient alloués à cette Pologne ressuscitée.

  • 101 Ibid., séance du 23 décembre 1916.

35Si Longuet répéta toujours qu’il n’était pas favorable à « la paix à n’importe quel prix », il craignait néanmoins que des occasions de paix fussent délaissées en raison des ambitions tsaristes. Il ne cessa donc de rappeler que seuls les engagements pris devaient être tenus, que Constantinople n’avait été promise aux Russes qu’au début de 1915, que même Vaillant n’y était pas favorable, et qu’il ne fallait donc pas se servir de cette revendication pour refuser toute conversation101. Il combattait tout ce qui, chez Briand ou Ribot, prenait la forme de buts de guerre excédant la seule récupération de l’Alsace-Lorraine. C’était le programme défini par la minorité socialiste au printemps de 1915, le point de désaccord fondamental entre les deux tendances du parti. Pour Longuet et ses amis, c’était la seule solution pour éviter une prolongation infinie du conflit. De nombreux responsables politiques pensaient de même, plus ou moins explicitement : Lansdowne en Grande-Bretagne, en France Caillaux, Augagneur, sans doute finalement Briand… Une des difficultés pour les socialistes était de remettre ainsi en cause quelques-unes des responsabilités qu’ils avaient acceptées au début du conflit.

  • 102 L. Roland, op. cit., 6 août 1915. Cf. aussi la réaction indignée d’Hubert Bourgin, Le Parti contre (...)
  • 103 J. Longuet, « Bilan diplomatique », Le Pays, 3 janvier 1918.

36Les socialistes éprouvaient les plus grandes difficultés à s’entendre sur les conditions d’une paix acceptable. Leurs hésitations reflétaient les aléas de la situation militaire. Les graves défaites russes, l’échec de l’offensive d’Artois n’incitaient pas les députés à la surenchère. Sembat, alors encore ministre et chef de fi le officieux de la SFIO au Palais Bourbon, envisagea un jour une paix aux objectifs limités : reconstitution du royaume de Pologne et autonomie de l’Alsace-Lorraine102. On put croire un instant que la gravité de la situation allait imposer naturellement les propositions de la minorité. L’affaire tourna court, mais Longuet, quant à lui, saisit désormais régulièrement les occasions qui lui étaient offertes pour combattre tout ce qui pouvait excéder la légitime récupération de l’Alsace-Lorraine après autodétermination des populations concernées. Il ne voulait ni chasser les Turcs d’Europe et de Constantinople en détruisant la Turquie, ni détruire l’État austro-hongrois au profit de « petites nations sans vitalité ni avenir politique ou économique103 ».

  • 104 Leygues, ministre en novembre 1917, fut remplacé à la présidence par Franklin-Bouillon.

37Le silence de Longuet au comité secret de juin 1917 consacré au projet de conférence à Stockholm et aux buts de guerre, surprenant en apparence, provint sans doute de considérations tactiques. Un effort contre des buts de guerre excessifs, une campagne pour préparer l’opinion et les parlementaires à une autre solution que la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire, ce qui supposait aussi que la conférence de Stockholm pût se réunir, donc que les passeports fussent attribués, tous ces objectifs allaient sans doute être mieux servis par des interventions d’orateurs tels Cachin, Renaudel et Moutet qui avaient donné maintes fois des gages de leur adhésion fervente à l’Union sacrée. Longuet s’exprimait en revanche au sein de la Commission des affaires étrangères extérieures. Ses remarques critiques sur la conduite de la diplomatie étaient fréquentes. Elles correspondaient à la demande constante des commissaires d’être mieux informés par le gouvernement. Le nouveau président de la commission, Leygues, qui succéda en octobre 1915 à Rozet, décédé dans un accident d’automobile, manifestait lui-même avec autorité le souci de la dignité et du respect auxquels avait droit cette instance parlementaire104. En fait, l’ambiance feutrée des travaux de commission ne mit en évidence la rupture de Longuet avec la politique de ses collègues qu’au printemps 1918, lorsque le succès de la révolution bolchevique et le refus des propositions autrichiennes connues par l’entremise du comte Czernin constituèrent deux sérieux sujets de discorde entre le député de Sceaux et ses collègues.

38Comment interpréter le comportement de Longuet au Palais-Bourbon ? Une énigme demeure : son absence prolongée à la tribune. Lui-même répondait à ceux qui lui en faisaient le reproche qu’il avait donné des preuves de son courage. De fait, habitué des réunions publiques, des empoignades de congrès, Longuet ne pouvait pas craindre par timidité de prendre la parole à la Chambre des députés. Son combat à la tête de la minorité, la direction du Populaire l’exposaient suffisamment. Après tout, les parlementaires poursuivis pendant la guerre, à l’exception de Paul Meunier, ne s’étaient pas non plus fait remarquer par leurs interventions parlementaires. Les raisons de l’abstinence oratoire du député de Sceaux sont sans doute à chercher ailleurs. « Homme de parti », Longuet, devait ressentir un sentiment voisin de celui qu’éprouvera Léon Blum le 10 juillet 1940 :

  • 105 L. Blum, Mémoires, in L’Œuvre de Léon Blum, 1940-1945, Albin Michel, 1955, p. 89.

« Je n’avais aucunement peur du tumulte féroce que j’aurais assurément déchaîné […] j’étais entraîné […] mais je ne pouvais douter que, dans l’échauffourée dont mon intervention donnerait le signal, la très grande majorité de mon groupe m’abandonnât ; que dis-je ? Nombreux seraient ceux qui feraient secrètement chorus avec les insulteurs105. »

  • 106 Pierre Brizon se résolut à aborder la tribune le 24 juin 1916, cf. T. Bonzon et J.-L. Robert, Nous (...)
  • 107 Raffin-Dugens, « À l’ami Longuet », Le Populaire, 2 octobre 1916.
  • 108 Ainsi, Longuet ne rentre guère dans les perspectives étudiées par N. Offenstadt, Les Fusillés de l (...)

39Jean Longuet ne voulait certainement pas non plus offrir le spectacle de la division socialiste. Il respectait de plus la discipline majoritaire dont il avait été si longtemps le servant. Son intervention contre la ratification du traité de Versailles n’allait guère être facile ; au moins, il put la prononcer mandaté par son parti et soutenu par la majorité de son groupe. Il faut également tenir compte de la nature de ses divergences avec la majorité. Longuet ne désavouait pas la défense nationale, mais craignait un prolongement inutile du conflit après la libération du territoire. Certes, il ne pouvait pas prévoir que celle-ci allait être concomitante de l’effondrement des Empires centraux. En attendant le moment décisif, l’accord fondamental avec les nécessités de la défense du pays, envahi et menacé dans sa liberté, n’aidait pas non plus Longuet à expliquer ses choix sous la forme d’une intervention à la Chambre. Cela soulevait moins de difficultés pour des députés de la gauche zimmerwaldienne, davantage en rupture avec la politique française, comme pour Brizon, soucieux de faire entendre la voix de la protestation populaire, non d’exprimer des propositions stratégiques ou diplomatiques d’ensemble106. Ces deux raisons conjuguées paraissent fournir la clef du comportement parlementaire de Longuet pendant ces années de guerre, en retrait sur les campagnes menées au sein du Parti socialiste et dans l’opinion, longtemps associé au travail de ses collègues pour la meilleure organisation possible de la défense nationale. Il lui suffisait alors de combattre, autant que possible, l’esprit de conquête, même si son action parlementaire pouvait paraître insuffisante aux yeux des partisans de Zimmerwald107. Son choix est plus politique que celui de Brizon qui renvoie davantage à l’éthique, ce qui n’est pas sans conséquence y compris sur l’historiographie actuelle de la guerre108.

  • 109 J. Longuet, « Les répercussions internationales de la Révolution russe », Le Populaire, 16 avril 1 (...)

40Au Palais-Bourbon comme dans les congrès socialistes, dans sa circonscription comme à Paris ou à Londres, Longuet avait fini par dessiner peu à peu ce qui allait devenir le grand combat de sa vie. Sans rupture brusque, en évoluant, il tenta de formuler une politique conforme aux principes et applicable au moment présent. Ce refus de la rupture, qui marqua son travail parlementaire, se retrouva dans son activité militante au sein du parti et de l’Internationale. Longuet expliqua son absence à Zimmerwald et à Kienthal par sa volonté d’échapper « aux démonstrations isolées ou fragmentaires », quel que fût le courage que manifestaient de telles initiatives109. Il voulait la réunion régulière des organismes représentatifs du mouvement socialiste et ouvrier international et il affirma jusqu’à la fi n de la guerre sa confiance en « l’action si parfaitement digne » du secrétaire du BSI, Camille Huysmans. Il fallait réduire la guerre au minimum nécessaire, c’est-à-dire à la défense de la patrie. Rien de plus : il apprenait à refuser la collaboration ministérielle, décevante, dangereuse si elle devait préparer une participation socialiste à la gestion de l’après-guerre. Il voulait une paix juste, mais réaliste, conforme aux possibilités de l’instant présent. Patriote et pacifiste, homme de la patiente organisation et de l’inlassable propagande, convaincu que le socialisme représentait l’aboutissement de l’effort des Lumières et du triomphe de la Raison auprès du Prolétariat, il ne croyait guère aux raccourcis de l’histoire et son horreur de la guerre le conduisait à refuser aussi bien le rêve de République universelle et de victoire absolue du Droit des « jusqu’auboutistes » que celui des « révolutionnaires », adeptes de la paix immédiate, jugés courageux mais irréfléchis.

Notes

1 Sembat avait assuré la direction intérimaire de L’Humanité pendant le voyage de Jaurès en Amérique latine.

2 L. Trotski, « Jean Longuet », Pierre Broué (éd.), Le Mouvement communiste en France, Minuit, 1967, p. 66.

3 Blum le répétera dans l’article nécrologique consacré à Longuet : « Tous ceux qui le connaissaient l’aimaient et tous ceux qui l’ont connu l’ont aimé », (Le Populaire, 14 septembre 1938).

4 Cf. A. Kriegel, « Jaurès en juillet 1914 », Jaurès et la nation, colloque de 1964, Toulouse, Publications de la faculté des lettres de Toulouse, 1965.

5 J. Longuet, « Jaurès orateur n’avait d’égal que Jaurès penseur », Jaurès et ses contemporains, Chiron, 1925, p. 149.

6 Jean Rabaut note que ce témoignage intervient dix ans après les faits, alors que Longuet était beaucoup moins affirmatif dans son article du Progrès civique du 29 juillet 1922 : « On m’a dit qu’il avait songé à adresser un appel suprême au Président Wilson. Je n’ai pas souvenance de l’avoir entendu en parler, mais il est fort possible qu’il y ait songé. » En fait, il y a tout lieu de penser que le témoignage de Longuet est indirect : Jaurès aurait tenu ce propos à un tiers, selon toute vraisemblance Renaudel, lequel l’évoqua lors du déjeuner offert à la délégation des syndicats américains le 6 mai 1918. Or, le soir du 31 juillet, Renaudel était assis juste à la gauche de Jaurès, donc bien placé pour l’entendre, cf. APP Ba 1470, J. Rabaut, « Sur l’avant-dernière journée de Jaurès », Jean Jaurès, bulletin de la SEJ, 19, octobre-décembre 1965 ; J. Longuet, « La dernière journée », Le Populaire, 13, 24 juillet 1916.

7 « Les socialistes français et la guerre », compte rendu de la réunion salle Wagram, L’Humanité, 3 août 1914.

8 J. Longuet, « Les élus de la minorité et le vote des crédits », Le Populaire, 3 juillet 1916.

9 J. Longuet, « L’outrage à Jean Jaurès », Le Populaire, 22 mai 1918.

10 APP, Ba 1470, rapports des 2 et 9 août 1914. Cf. J.-J. Becker, 1914, Comment les Français sont entrés dans la guerre : contribution à l’étude de l’opinion, Presses de la FNSP, 1977, p. 182.

11 L. Jouhaux, À Jean Jaurès, La Publication sociale, 1915 ; A. Kriegel et J.-J. Becker, 1914, La guerre et le mouvement ouvrier français, A. Colin, 1964, p. 137-143.

12 Lettre de Longuet à Renaudel, 5 août 1914, archives Longuet Marx.

13 Cf. A. Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la Première Guerre mondiale, Librairie du travail, 1936, p. 100.

14 J. Longuet, « Comment fut assurée la défense de Paris », Le Bonnet rouge, 25 février 1917.

15 Le Populaire, 25 août 1917. Le dossier Longuet du SHAT n’a pas gardé trace de cette activité.

16 J. Longuet, « À propos d’atrocités », L’Humanité, 17 septembre 1914, repris par Le Populaire du Centre, 20 septembre 1914.

17 Jean Longuet, « Par-dessus la barbarie », L’Humanité, 25 septembre 1914.

18 J. Longuet, « Les socialistes sur le front », L’Humanité, 25 novembre 1914.

19 Le 22 octobre 1914, il rassura pourtant Romain Rolland sur les conditions de vie des prisonniers au Maroc (cf. Journal des années de guerre, 1914-1919, Albin Michel, 1952, p. 89), Longuet avait été informé de la mort de 6 000 prisonniers détenus au Dahomey sur un effectif initial de 7 000 hommes. Ces chiffres furent démentis par le rapport Candace, Commission des affaires extérieures, séances des 21 juillet et 2 août 1915, AN, C 7488.

20 Ibid., séance du 31 mai 1916.

21 Romain Rolland, Journal des années…, op. cit., p. 119.

22 « C’est la guerre ! Cette chose maudite, dont la seule évocation faisait pleurer les mères, que l’on croyait impossible entre de grands peuples civilisés, va devenir, est déjà la sombre et douloureuse réalité. C’est la ruine, c’est la famine, c’est la misère, c’est le deuil universel ! […] C’est la guerre ! Le canon tonne et la mort passe. Subissons-la puisqu’on ne peut pas l’éviter, mais maudissons-la » (P. Faure, « C’est la guerre », Le Populaire du Centre, 6 août 1914).

23 J. Longuet, « Deux conceptions de la guerre », L’Humanité, 28 septembre 1914.

24 J. Longuet, « Le centenaire de Bismarck », L’Humanité, 31 mars 1915.

25 J. Longuet, « La folie turque », L’Humanité, 3 novembre 1914.

26 J. Longuet, « Le martyre de l’Arménie » et « Pour secourir les Arméniens », L’Humanité, 27 novembre et 5 décembre 1915.

27 Le 3 décembre 1915, Cachin fit adopter à l’unanimité par la Commission des affaires extérieures de la Chambre un ordre du jour flétrissant les massacres qui visaient « à la disparition du peuple arménien ».

28 J. Longuet, « La ruine de la Turquie », L’Humanité, 17 décembre 1915.

29 L’Humanité, 5 décembre 1915.

30 J. Longuet, « Les mauvaises raisons des rebelles Boers », L’Humanité, 9 novembre 1914, repris le surlendemain par Le Populaire du Centre.

31 J. Longuet, « Le chancelier de l’Échiquier nous dit l’effort fourni par l’Angleterre », L’Humanité, 22 décembre 1914. Lloyd George recevait une délégation parlementaire composée de Painlevé, Renaudel et Longuet. Lloyd George reçut à nouveau Longuet lors de la conférence socialiste des pays alliés en février 1915.

32 J. Longuet, « Les travailleurs anglais et la guerre actuelle », L’Humanité, 17 octobre 1914.

33 J. Longuet, « À propos des socialistes anglais », L’Humanité, 18 mars 1915.

34 J. Longuet, « Le prolétariat anglais contre la conscription », L’Humanité, 8 janvier 1916.

35 Cf. A. Blänsdorf, Die Zweite Internationale und der Krieg, Stuttgart, Klett-Cotta, 1979, p. 101.

36 J. Longuet, « Initiative prématurée », L’Humanité, 19 octobre 1914 et dans une lettre à A.-M. Simons : « It is absolutely impossible to speak presently of peace while no severe defeat has beeen suffered by the Germans », 19 octobre 1914, The State Historical Society of Wisconsin, Madison, A.-M. Simons Papers, Box 1 (lettre communiquée par Agnès Blänsdorf).

37 J. Longuet, « La conférence internationale de Copenhague », L’Humanité, 17 janvier 1915. Des réunions analogues furent organisées par les Femmes socialistes (Berne, 26 au 28 mars 1915) et par les Jeunesses socialistes (Berne, 4 au 6 avril 1915) dont il ne faut pas sous-estimer l’écho souterrain dans le petit monde des militants organisés et actifs.

38 J. Longuet, « Le congrès de La Haye », Le Populaire du Centre, 27 mai 1915.

39 L’amitié entre les deux hommes était encore très vive au début de la guerre. Lorsque Longuet envisagea de se rendre à Londres au début d’août 1914, ce fut à Renaudel qu’il demanda de veiller sur sa femme et ses enfants pendant son absence (lettre à Renaudel, 5 août 1914, op. cit.).

40 R. Rolland, Journal des années…, op. cit., p. 87, 22 octobre 1914.

41 Jean-Jacques Becker a montré dans sa thèse la lenteur de L’Humanité à prendre en compte l’adhésion de la social-démocratie allemande à l’Union sacrée et l’originalité de l’Union sacrée comprise et pratiquée par les socialistes.

42 Roland situe à tort la première rencontre en août 1914. Kautsky aurait déclaré à ses interlocuteurs : « Vous, Français, on ne peut vous reprocher de voter les crédits, car ce n’est pas vous qui avez voulu la guerre et vous êtes dans votre rôle en vous défendant. » Mais à Renaudel, les pressant d’agir, Bernstein aurait répondu : « Nous ne pouvons rien. Nous n’avons pas comme vous la tradition révolutionnaire » (L. Roland, Carnets, op. cit., 4 mars 1917).

43 L’Humanité, 15 novembre 1914. Victor Hugo avait écrit : « Et cela… », Sagesse, Les Chansons des rues et des bois (1865).

44 L’Humanité, 3 décembre 1914.

45 L’Humanité, 9 avril 1915.

46 Cf. L’Humanité, 26, 31 octobre et 15 novembre 1914 et Le Populaire du Centre, 18 novembre 1914. Même Hervé manifestait alors un patriotisme tourné vers une future réconciliation : « Sur la mort d’un ami allemand » et « Tu respecteras les prisonniers », articles parus dans La Guerre sociale et repris par Le Populaire du Centre, 16 et 19 septembre 1914.

47 J. Longuet, « Le conseil national », Le Populaire, 6 août 1916.

48 Lettre de Grumbach à Huysmans, 7 mai 1915, archives du BSI, Anvers, cité par Agnès Blänsdorf, Die Zweite…, op. cit., p. 180.

49 Cf. La Voix de l’Humanité, 24 avril 1915, repris par Le Populaire, 9 mars 1918. Romain Rolland félicita Longuet pour son article. Lettre du 26 avril 1915, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/134. Grumbach, dont Agnès Blänsdorf souligne le rôle essentiel dans les tentatives de rapprochement entre le SPD et la SFIO, s’était exprimé dans le même sens avec une brochure publiée à Neuchâtel. Il fut plus tard vivement attaqué par l’ancien socialiste Edmond Laskine : « Jean Longuet et son Alsacien », La Liberté, 25 novembre 1918

50 J. Longuet, « La paix future », Le Populaire du Centre, 28 avril 1915.

51 La seconde entrevue réunit le 10 ou le 11 août 1915, à Berne, Kautsky, Bernstein, Jouhaux et Renaudel. La formation officielle de l’opposition interne autour du manifeste de la Haute-Vienne avait entraîné chez Renaudel une réaction de repli dont Longuet avait pâti. (Cf. lettres de Kautsky à Bernstein, 28 juillet et 6 août 1915, IIHS, fonds Kautsky.)

52 R. Rolland, lettre à Longuet, 6 juillet 1915, CRCEDHC, Fonds Longuet, 7/1/90.

53 M. Rebérioux, « Le socialisme et la Première Guerre mondiale » in J. Droz, Histoire générale du socialisme, op. cit., p. 602. La remarque porte sur l’ensemble des pays européens. En fait, les cas cités pour la France, appartiennent davantage à des catégories « intermédiaires » que vraiment intellectuelles : Paul Faure, fils de notable, élève d’une école de commerce après le lycée, journaliste militant, Monatte, bachelier, répétiteur de collège puis employé de librairie, Rosmer, breveté, employé communal, journaliste militant.

54 Madeleine Rebérioux, « Le socialisme et la Première Guerre mondiale »…, op. cit., p. 612.

55 L. Roland, Carnets, op. cit., 3 (Dreux), 6 (Chartres), 9 (Angers) janvier 1915.

56 Cf. J. Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Maspero, 1975, 2 vol., II, p. 10-11.

57 L. Roland, Carnets, op. cit., 6 mars 1915.

58 Sur le discours de Raffin-Dugens, cf. rapport de police APP, Ba 1470.

59 René Nicod (Ain), Léon Berland (Haute-Vienne) et Charles Bouttet (Ardennes), cf. A. Rosmer, Le Mouvement ouvrier…, op. cit., p. 287-288.

60 Jules Guesde au conseil national du 14 juillet 1915, L. Roland, Carnets, op. cit.

61 M. Rebérioux, « Le socialisme et la Première Guerre mondiale », op. cit., p. 612.

62 La conférence de Londres fut décidée le 10 janvier 1915 par une réunion de socialistes alliés qui elle-même faisait suite à une première entrevue à Londres fin décembre 1914 entre Vandervelde, Longuet et des dirigeants travaillistes (cf. A. Blänsdorf, Die Zweite…, op. cit., p. 120 et 151).

63 Cf. lettre de Rosmer à Monatte, 9 février 1915, in J. Maitron et C. Chambelland, Syndicalisme révolutionnaire et communisme, les archives de Pierre Monatte, Maspero, 1968, p. 105 ; A. Blänsdorf, Die Zweite…, op. cit., p. 151.

64 Cf. A. Rosmer, Le Mouvement ouvrier…, op. cit., p. 190-208.

65 À la conférence de Londres, cité par Agnès Blänsdorf, Die Zweite…, op. cit., p. 160.

66 AN, archives Albert Thomas, 94 AP 38.

67 Cf. J.-L. Robert, Ouvriers et mouvement ouvrier parisiens pendant la Grande Guerre et l’immédiat après-guerre, thèse d’État, 9 vol., Paris I, juillet 1989, p. 1217.

68 APP, Ba 748. La première réunion fut celle du groupe de Montrouge le 13 septembre 1914.

69 J. Longuet, « Que va-t-on faire des mutilés de guerre ? », Le Populaire du Centre, 20 décembre 1915.

70 APP, Ba 1535 et 749, rapports des 12 et 29 octobre, 15 novembre 1915.

71 Questions n° 23 928 du 13 septembre 1918, n° 24 067 du 24 septembre 1918, n° 24 543 du 24 octobre 1918.

72 Chambre des députés, séances du 11 février et du 16 septembre 1915.

73 L. Roland, Carnets, op. cit., 23 juillet 1915.

74 Cf. V. Suard, « La justice militaire française et la peine de mort au début de la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1994, p. 136-153.

75 Chambre des députés, séances des 3 et 20 octobre 1916. Longuet soutint à nouveau Paul Meunier lors du débat du 13 février 1917.

76 Député de la Drôme, ancien instituteur révoqué, Henri Roux-Costadau avait rompu en 1912 avec la SFIO et siégeait parmi les non-inscrits.

77 J. Longuet, « Les élus de la minorité et le vote des crédits » ; « La minorité socialiste parlementaire et les derniers incidents », Le Populaire, 3 juillet et 25 septembre 1916.

78 Chambre des députés, séance du 22 septembre 1916.

79 Chambre des députés, ibid. L’affirmation de Longuet n’empêcha pas trois socialistes de voter contre : Blanc, Brizon et Raffin-Dugens, ainsi qu’un radical, Accambray.

80 Chambre des députés, 25 juin 1915.

81 Conférence de Jean Longuet à Sceaux, 25 septembre 1915, APP, Ba 1536.

82 Le cas de Longuet fait plus que confirmer l’importance du travail en commission fortement relevé par F. Bock, Un parlementarisme de guerre, 1914-1919, Belin, 2002, sans d’ailleurs que son exemple y soit utilisé.

83 Il le fit jusqu’auprès de Lloyd George qui le reçut une nouvelle fois. Cf. Commission des affaires extérieures, séance du 7 mai 1915, AN, C 7488.

84 Commission des affaires extérieures, séance du 12 mai 1915, AN, C 7488.

85 Ibid., séance du 26 mai 1915. La commission ne cessait de juger insuffisants les crédits destinés à la propagande : 120 000 francs pour 1915, alors que l’Allemagne aurait dépensé 400 000 francs par mois.

86 J. Longuet, « Après la chute de M. Zaïmis », Le Populaire du Centre, 9 novembre 1915.

87 Ibid.

88 Commission des affaires extérieures, séance du 22 septembre 1915, AN, C 7488.

89 Région bulgare avant 1913 (et à nouveau depuis 1947).

90 Proposition équitable ? Smyrne et sa région étaient peuplés majoritairement de Grecs depuis des millénaires, Cavalla et la Thrace méridionale étaient également grecques, avec des minorités turques et bulgares, mais elles donnaient à la Bulgarie un accès la mer Égée.

91 J. Longuet, « Le problème balkanique », l’Humanité, 19 mai 1915.

92 Ibid.

93 J. Longuet, « La politique de M. Delcassé » et « La politique étrangère d’une démocratie », l’Humanité, 20 et 28 octobre 1915.

94 Cf. séance de la Chambre des députés en comité secret, 1er, 2 et 4 juin 1917.

95 L. Roland, Carnets, op. cit., 15 avril 1915. Le traité secret conclu en mars 1915 liait la France, la Grande-Bretagne et la Russie. La France recevrait la Syrie et la Cilicie.

96 J. Longuet, « Folies nationalistes », L’Humanité, 27 février 1915.

97 J. Longuet, « Contre la politique de proie », L’Humanité, 13 septembre 1915, complété par « La France doit-elle comprendre huit millions d’Allemands ? », ibid., 17 novembre 1915.

98 Commission des affaires extérieures, séance du 11 mars 1915, AN, C 7488.

99 Ibid., séance du 8 mars 1916. L’opinion publique ne fut informée que très incomplètement des objectifs alliés par un discours de Poincaré à Nancy le 14 mai et une interview de Milioukov dans L’Œuvre du 21 mai 1916.

100 Ibid., séance du 22 novembre 1916.

101 Ibid., séance du 23 décembre 1916.

102 L. Roland, op. cit., 6 août 1915. Cf. aussi la réaction indignée d’Hubert Bourgin, Le Parti contre…, op. cit., p. 21-23.

103 J. Longuet, « Bilan diplomatique », Le Pays, 3 janvier 1918.

104 Leygues, ministre en novembre 1917, fut remplacé à la présidence par Franklin-Bouillon.

105 L. Blum, Mémoires, in L’Œuvre de Léon Blum, 1940-1945, Albin Michel, 1955, p. 89.

106 Pierre Brizon se résolut à aborder la tribune le 24 juin 1916, cf. T. Bonzon et J.-L. Robert, Nous crions grâce, 154 lettres de pacifistes juin-novembre 1916, Éd. ouvrières, 1989, 192 p.

107 Raffin-Dugens, « À l’ami Longuet », Le Populaire, 2 octobre 1916.

108 Ainsi, Longuet ne rentre guère dans les perspectives étudiées par N. Offenstadt, Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective 1914-1999, Odile Jacob, 1999, ainsi que par plusieurs chercheurs intéressés par les attitudes de refus de la guerre et leurs résurgences contemporaines.

109 J. Longuet, « Les répercussions internationales de la Révolution russe », Le Populaire, 16 avril 1917.

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