INTRODUCTION

1Brutalités militaires contre les étudiants de l’université Omar-Bongo de Libreville en 2012, lycéens brutalisés en 1997 à la gare routière par des forces de gendarmerie, contrôle d’identité abusif des militaires contre les étudiants1 dans les taxis, répression violente contre les mouvements de revendication enseignants en 1992, arrestations abusives des étudiants lors des grèves universitaires en 1998 ; il n’est pas de conversation privée ou de prise de parole étudiante à Libreville qui ne se fasse l’écho régulier de protestations dénonçant des actes de répression physique et de violence commis par les « corps habillés2 ». Les émeutes des villes de Libreville et Port-Gentil après l’élection à la présidence de la République gabonaise3 d’Ali Bongo Ondimba, ancien ministre de la Défense, installent une nouvelle fois la troupe dans la rue pour « rétablir l’ordre et assurer l’intégrité des personnes et la sécurité des biens », selon les mots du ministre de l’Intérieur de cette période. Il s’ensuit une confrontation de la troupe avec les manifestants, étudiants et de lycéens entre autres, et on dénombre une dizaine de blessés et trois morts chez les civils. Nous sommes en août 2009. En institutionnalisant des politiques de répression contre les étudiants, les forces armées gabonaises ont développé une relation paradoxale avec la jeunesse, entre besoin de protection et sentiment de méfiance, en contraste avec le modèle de civilianisation4 de Morris Janowitz centré sur l’intégration de la force armée dans la société.

2La répression des étudiants et des lycéens manifestant contre la victoire à l’élection présidentielle du candidat du parti démocratique gabonais, Ali Bongo, donne un aperçu des dynamiques sociohistoriques fondatrices des dissonances5 institutionnelles de la troupe avec la jeunesse. Ainsi, au Gabon et malgré l’existence de programmes militaires dédiés au renforcement du lien6 de l’armée avec la société (indiqué en 2009 dans le plan stratégique « Gabon émergent » du candidat Ali Bongo) et bien que l’armée gabonaise ait été engagée dans des missions régionales de maintien de la paix (en République centrafricaine) pour consolider l’image d’une force au savoir-faire opérationnel efficient, le discours de protestation contre la troupe perdure au sein du monde étudiant. Dans cet article, nous avançons une hypothèse sociologique en contraste avec le paradigme politique faisant de la répression ordinaire en Afrique subsaharienne un phénomène lié au défaut d’institutionnalisation7 et de légitimité sociopolitique de la force armée. En continuité des recherches mettant en avant les logiques politiques, notre hypothèse explique les politiques de répression ordinaire en termes de désespérance sociale et de survivance postcoloniale d’un ethos autoritaire de la troupe, face à un commandement négligent envers une troupe clochardisée8, abandonnée à son triste sort socio-économique.

3En quoi la répression ordinaire des manifestations étudiantes est-elle la perpétuation d’un modèle d’encadrement populaire ancré dans l’expérience postcoloniale des forces armées gabonaises ? Certains éléments du contrôle des populations durant cette période auraient-ils façonné un ethos autoritaire faisant de la troupe un corps chargé du quadrillage militaro-policier d’une population de laquelle émergent les figures de la déstabilisation intérieure ? Nous décrirons également la politique conduite par les forces armées en matière de répression contre la population étudiante en la situant dans un processus de transition institutionnelle de l’armée de terre gabonaise. Il s’agit aussi de montrer en quoi la promotion des mesures de soutien à la population par le génie militaire est symptomatique des difficultés d’une transformation du paradigme de la méfiance à la confiance populaire à l’égard de la troupe.

4Cet article adopte la méthode de l’imaginaire social similaire à celle de Joseph Tonda en insistant sur les représentations véhiculées dans le discours des étudiants au sujet de leurs perceptions et du vécu de leurs relations avec les « gens de troupes ». À partir d’entretiens et de conversations informelles avec neuf sous-officiers gabonais et cinq officiers supérieurs entre 2009 et 2010, cet article revient sur le sens attribué aux actes de répression ordinaire de la troupe. Pour cela, l’étude mobilise deux logiques fondatrices des actes de répression ordinaire contre les étudiants.

5La première est institutionnelle et renvoie au double déficit de légitimité sociopolitique du régime d’Omar Bongo qui fait de l’armée une force à usage politique interne, figure du souverain moderne9 et créatrice d’un pouvoir hégémonique ancré dans l’État postcolonial. Ainsi, l’évolution et la conduite des politiques de répression par l’armée contre les jeunes sont étroitement liées aux dynamiques internes de l’État postcolonial. Plutôt que d’accomplir des missions de défense nationale et d’engagement international en dehors du territoire, la troupe gabonaise perpétue un modèle postcolonial d’encadrement populaire qui ne disparaît pas avec le retour de la démocratie et la présidence d’Ali Bongo. L’instauration des pratiques de répression ordinaire contre les civils traduit l’incapacité de l’armée à déconstruire un ethos autoritaire, culturellement enraciné dans la période coloniale.

6La seconde logique relève d’une dynamique d’organisation interne à l’armée de terre dominée par le mimétisme de l’organisation militaire gabonaise marquée par une préférence pour les activités répressives et coercitives à l’encontre des étudiants. Enfin, le mode répressif dominant le lien de la troupe avec les étudiants traduit un état de désespérance sociale et de paupérisation entretenu par le commandement pour accroître les formes de contrôle social d’une troupe dont le comportement échapperait au contrôle civil. En définitive, les activités répressives commises par les corps habillés sont davantage motivées par des enjeux de désespérance sociale de la troupe associés à la survivance d’un ethos autoritaire en contraste avec le déficit de légitimité institutionnelle de la troupe.

LES DISCOURS POLITIQUES ET MILITAIRES SUR LA FIGURE CONTESTATAIRE ÉTUDIANTE

7Les discours officiels, du politique et du militaire, sur l’étudiant, ont peu changé depuis les années 1980. Le discours dominant des régimes politiques successifs de Léon Mba et d’Omar Bongo comporte deux éléments déterminant l’état des relations du pouvoir avec les étudiants : la surveillance politico-policière et le recours systématique à la répression.

8Le problème des activités de répression de la troupe contre les étudiants est souvent vu comme le symbole d’une crise de légitimité du régime sociopolitique. Dès cet instant, le régime politique met en place une politique fondée sur la double logique de la répression et de l’intégration des étudiants au pouvoir. Elle puise pour une part ses origines dans la situation postcoloniale de la décennie 1960-1970, lorsque des figures étudiantes gabonaises deviennent responsables de la puissante Fédération des Étudiants d’Afrique Noire Francophone (FEANF) et de l’Association Générale des Étudiants du Gabon (AGEG) à Paris ou lorsque les manifestations étudiantes se multiplient à Libreville.

9Alors qu’en 1961 les premières mesures d’intimidations contre les étudiants gabonais en France sont prises par le gouvernement du président Léon Mba, le discours officiel du régime d’Omar Bongo reprend la rhétorique de l’intimidation.

« La jeunesse est une force indispensable au développement de notre pays. Elle est le levain de la société gabonaise. Elle se doit donc de rester digne et patriotique. Les actions des jeunes grévistes visant à détériorer les biens publics seront réprimandées avec force et le gouvernement ne tolérera aucun laxisme. Chacun répondra de ses actes devant la justice10. »

10Le magazine Afrikacom donne un aperçu des pratiques d’intimidation du régime de Léon Mba envers le corps étudiant, en particulier envers l’un des plus brillants de cette période, décédé en 2005, l’avocat Pierre-Louis Agondjo Okawe, premier avocat gabonais de l’histoire, figure emblématique de l’opposition aux régimes de Léon Mba et d’Omar Bongo. L’histoire de cet étudiant devenu opposant farouche au système Bongo est emblématique des pratiques de répression contre les étudiants gabonais. Alors qu’il est inscrit à l’université en France, Pierre-Louis Agondjo Okawe est victime de brimades successives du pouvoir gabonais. Dès lors, les actes d’intimidations envers les étudiants gabonais de France et de Libreville se multiplient avec la collaboration discrète de l’administration française.

« Lorsqu’il arrive en France, Pierre-Louis Agondjo Okawe est déjà aguerri au combat politique, car formé par le syndicalisme à travers les associations. Après une conférence prononcée au Gabon qu’il publie en France dans le journal nommé L’Étudiant du Gabon, il réveille le courroux du gouvernement de Libreville qui ordonne la suspension de sa bourse d’études. Charismatique secrétaire général de la puissante Fédération des Étudiants d’Afrique Noire Francophone, puis trésorier de l’Association Générale des Étudiants du Gabon, et las du vent contestataire venu de Paris, Léon Mba ordonne son arrestation par la police gabonaise. Il quitte la France pour se réfugier en Suisse. Ses études achevées, il rentre au Gabon et en 1971 assure la défense de la veuve Germain Mba. Ce procès accusatoire des méthodes militaro-policières gabonaises dévoile les dessous de la machine gouvernementale. Ultime offense cette fois à Bongo, qui le jette en prison. Après 4 ans de prison ferme, il poursuit son opposition au régime Bongo, crée le PGP, devient maire de Port-Gentil de 2000 à 2003 puis député. Il meurt en 2005 à 68 ans. Son adversaire de toujours Omar Bongo reconnaît en lui un homme politique talentueux et respecté11. »

11Cependant, les activités de répression de la troupe puisent leur fondement idéologique dans le discours colonial faisant de l’autochtone une force contestataire de l’ordre colonial. La politique de répression conduite par le pouvoir d’Omar Bongo reprend le discours d’encadrement populaire qui prévaut à l’époque coloniale, faisant de l’armée postcoloniale un relais de l’ordre établi.

12Le programme institutionnel de l’armée gabonaise, calqué sur le modèle de l’armée coloniale, est d’assurer le « contrôle de la population visant notamment à la purger de ses éléments subversifs en rationalisant l’encadrement militaire des corps et des esprits12 ». Ce modèle d’encadrement populaire est réinvesti par le pouvoir d’Omar Bongo, occupé à consolider son hégémonie politique13 au moyen d’une stratégie de redistribution du pouvoir sur des bases ethno-régionales14 et d’un usage de la force comme méthode de contrôle politique. Partout dans les territoires colonisés, l’usage de la force permet de réprimer l’insubordination des colonisés.

« Les officiers coloniaux mettent en œuvre une politique de contrôle des populations et théorisent l’élargissement du métier militaire à des domaines relevant en principe de l’administration civile. C’est l’expérience algérienne qui sert de modèle15. »

13Pierre Guillaume ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne que

« les administrations coloniales apparaissent comme des régimes d’exception ; ce qui s’explique par leurs origines mêmes […]. L’entreprise coloniale n’a jamais été la mise en place immédiate d’un système administratif cohérent. Elle est soit acte de conquête, soit implantation économique et en premier lieu commerciale. Tous les territoires coloniaux sont donc passés par une phase transitoire au cours de laquelle le pouvoir appartenait soit à l’armée et à la marine, soit aux représentants des compagnies privilégiées16 ».

14Dans ce système de domination, l’armée joue un rôle essentiel : maintenir et reproduire l’ordre colonial pour permettre l’exploitation du sous-sol gabonais. Les effets d’une telle politique perpétuée par les régimes postcoloniaux indépendants produisent un sentiment de méfiance du civil à l’égard de la troupe, ressenti encore aujourd’hui. En effet,

« moins de quinze ans plus tard, les régimes de succession coloniale réinvestissent l’armée du pouvoir de maintien de l’ordre sans bien réaliser les conséquences de cette politique, notamment au plan de l’image que les militaires devaient se faire sur eux-mêmes17 » [et celle qu’ils devaient projeter vers la société].

15Le contrôle militaire de la population devient la norme sous le régime autoritaire d’Omar Bongo. Et malgré une forme de « républicanisation » de la troupe amorcée au lendemain de l’indépendance, la nouvelle armée gabonaise comporte dans ses rangs des officiers « de la coloniale » au côté des soldats gabonais, avec un ethos autoritaire durablement marqué du « gène colonial ». D’une armée au service de l’ordre colonial, la troupe gabonaise devient une organisation au service de la figure présidentielle et d’un pouvoir oligarchique. Cette transformation de droit ne fait que modifier la forme de l’organisation militaire sans en changer le fond ; ce qui perpétue une culture militaire autoritaire et répressive.

LE MIMÉTISME DE L’ORGANISATION MILITAIRE GABONAISE

16Les forces armées gabonaises sont créées officiellement le 6 décembre 1960. Elles rassemblent des soldats gabonais ayant servi dans les armées françaises. Au cours de l’année 1961, l’armée de terre gabonaise est composée d’une compagnie de combat et d’un centre d’instruction. Quatre cents hommes constituent le premier bataillon d’infanterie gabonais, situé sur le camp militaire Ntchoréré. Des officiers français participent à la formation et à l’entraînement des soldats français, dans le cadre des accords de défense passés avec l’ancienne puissance coloniale. À cette époque, le chef d’état-major de l’armée de terre est un officier supérieur français : c’est le colonel Gribelin qui assume cette fonction, deux ans durant, du 16 mai 1961 au 11 septembre 1963. Il est remplacé par un autre officier français, le colonel Royer, devenu chef d’état-major des forces armées gabonaises jusqu’au mois de juin 1964. Alors qu’il est en poste en Oubangui-Chari au service de la France, le capitaine Germain Teale, officier gabonais, rejoint le cabinet militaire du président Mba puis sert son successeur le président Albert Bernard Bongo. Germain Teale et son compatriote le lieutenant Ba Oumar sont chargés d’élaborer le projet de construction d’une armée nationale, ouverte aux jeunes Gabonais, et en particulier aux femmes18.

17Dans les années 1970-1975, alors que la transition institutionnelle de l’armée nationale est largement engagée, le commandement de la nouvelle armée gabonaise est fortement imprégné de la logique coloniale dans laquelle l’officier colonial français partage avec son homologue gabonais le leadership militaire national. Le commandement de l’armée gabonaise, partagé avec des officiers français, perpétue un discours institutionnel qui banalise l’encadrement populaire ; comme dans le contexte colonial où l’indigène endosse la figure de la menace populaire, l’étudiant devient la nouvelle figure contestataire placée « sous contrôle ». Dans la plupart des cas, l’officier gabonais est symboliquement subordonné aux militaires français, en dépit du fait que certains peuvent témoigner d’une formation délivrée dans les meilleures écoles militaires telle l’école de Saint-Cyr Coëtquidan. Cette situation engendre un sentiment de frustration d’une partie du corps des officiers gabonais dont l’accès à l’épaulette est retardé. Ce sentiment est augmenté par les conditions de travail inadéquates de la troupe gabonaise : le matériel à sa disposition n’est pas conforme à celui d’une armée nationale et se résume à des armes de petits calibres dont l’accès est contrôlé par l’officier français qui endosse le statut de conseiller militaire auprès des forces armées gabonaises désormais souveraines.

18Le pouvoir présidentiel investit l’armée de terre du rôle de gardienne d’un système politique hégémonique, occupée à contenir les tentatives potentielles de coup d’État, d’autant que le souvenir du renversement19 en 1964 de son prédécesseur le président Léon Mba par des officiers emmenés par un capitaine formé à l’école militaire de Saint-Cyr est encore vivace. Il contribue d’ailleurs à infléchir le lien du politique au militaire avec notamment la création d’une garde présidentielle symbole de la division de l’exercice de la violence armée entre plusieurs organisations.

19La création de la garde présidentielle devenue la garde républicaine n’a pas diminué la frustration de la troupe gabonaise. Cet événement marque la défiance qu’Omar Bongo20 développe à l’égard des hommes en treillis. Véritable garde prétorienne21 puissante politiquement, mieux équipée et mieux payée que la troupe, la garde présidentielle s’installe dans le paysage institutionnel comme une organisation d’élite22 qui ne défend plus un État mais son dirigeant.

20Dans le domaine du contrôle politique de la force armée par le pouvoir, la défiance du pouvoir à l’égard de l’armée s’est également traduite par la paupérisation de la troupe et la promotion d’officiers au grade supérieur sur des bases ethno-régionales. Dès lors, le pouvoir d’Omar Bongo dévitalise l’armée de terre en transformant les officiers généraux en hiérarques militaires, dociles devant un pouvoir aveugle face aux pratiques d’enrichissement souvent illicites dont ils deviennent les auteurs et à la figure de chef d’entreprise ou de leader politique régional qu’ils incarnent, éloignée de celle du chef militaire apte à emmener ses hommes à la bataille.

LA DÉSESPÉRANCE SOCIALE DE LA TROUPE, UN MODÈLE DE CONTRÔLE POLITIQUE

21L’état de désespoir de la troupe gabonaise est préoccupant. Dans le corps des sous-officiers, leur solde est faible et s’élève à environ 150 000 francs CFA de salaire de base mensuel (environ 225 euros). Malgré l’amélioration de leur caserne par la livraison en 2008 et 2009 de nouvelles habitations dans le camp Ntchoréré et Aïssa près du lycée de l’Estuaire, la condition militaire n’est pas satisfaisante, comme l’indique un caporal-chef en entretien.

« Ce qui nous attriste c’est qu’au-dessus de nous, ils [nos supérieurs hiérarchiques, les colonels et les généraux] s’enrichissent sans vergogne et le montrent à tout le monde. Nous sommes fatigués ! Nous subissons tous les jours l’arrogance de ces gens qui roulent dans des voitures 4x4 et refusent même de se faire contrôler sur la voie, alors qu’eux-mêmes nous ont confié ces missions. Comment voulez-vous que je puisse m’occuper de ma famille et de tous mes enfants lorsque je suis payé si peu dans une ville comme Libreville où le coût de la vie est si élevé. Ce n’est pas possible. Alors nous, on se débrouille et l’uniforme nous aide à joindre les deux bouts. Vous savez, la rue c’est aussi un bon bureau ! On peut s’arranger avec les gens qui nous voient souffrir23. »

22Les conditions de vie déplorables de la troupe ainsi que l’exercice difficile de leur profession font naître un sentiment d’humiliation. Mais l’état de désespérance sociale de la troupe n’est pas seulement le résultat de l’instrumentalisation du désordre24 comme mode de gouvernement25. Il est aussi un moyen de contrôler une troupe à laquelle le pouvoir politique confie les armes et la défense du territoire. Comme l’a montré Michel Louis Martin, la paupérisation est bien un élément de contrôle et de manipulation de la troupe.

« Le malaise affectant les forces armées africaines au lendemain des indépendances résulte de plusieurs facteurs. Les uns opèrent au niveau des fonctions de l’organisation militaire, les autres au niveau des intérêts de ses membres et de son statut26. »

23Le statut dévalorisé des hommes de troupe s’observe par la tendance à externaliser la frustration relative engendrée par l’état de désespérance sociale et de paupérisation de la troupe. Nos entretiens avec des sous-officiers de l’armée de terre gabonaise en 2009 l’ont confirmé. « Certes, avec les civils on s’arrange, mais comprenez que parfois c’est pour faire bouillir la marmite ! »

24Ni les généraux étoilés, ni les ministres successifs des gouvernements du président Omar Bongo ne se sont plus impliqués dans l’amélioration de la condition de la troupe avant le ministre de la Défense, un certain Ali Bongo.

CONCLUSION. LA PROMOTION DES MESURES DE CONFIANCE

25Lors du voyage qu’il effectue en Afrique subsaharienne, le président américain Barak Obama rappelait aux dirigeants africains que leur continent n’avait pas besoin d’hommes forts mais d’institutions stables et démocratiques. Le projet de société « l’avenir en confiance » du président Ali Bongo Ondimba donne une place aux questions de défense. Les priorités, rappelées dans ce projet, concernent la professionnalisation des forces armées gabonaises et leur mise en condition opérationnelle pour accomplir des missions internationales. Ainsi, en 2009, au gré de réformes institutionnelles conduites par le ministre de la Défense de cette période, Ali Bongo Ondimba redéfinit le format de l’armée gabonaise autour de deux piliers, traduits poétiquement par le vocable d’une armée en or c’est-à-dire une armée opérationnelle et républicaine. Au-delà de cette rhétorique politique, l’intensification des actions militaires de soutien à la population est le moyen d’établir de nouvelles relations avec la société. Les actions des forces armées gabonaises sont désormais étendues à des missions d’intérêt général. Leur but est politique : renforcer le lien de confiance de la population à l’égard de l’armée en réconciliant les « corps habillés » avec la population civile et permettre ainsi le passage de la méfiance populaire à la confiance donnée aux militaires. À la fin de l’année 2012, le corps du génie de l’armée de terre est réquisitionné pour aider à la distribution d’eau à la population des quartiers de Libreville, la capitale, confrontée à une grave pénurie d’eau. Le communiqué du ministère de la Défense du mois de novembre 2012 indique en effet que

« suite à l’interruption de la desserte en eau de Libreville et dans le cadre de la relation Armée-Nation, le ministère de la Défense nationale vient en aide à la population en fournissant l’eau par les services du Génie militaire, du corps des Sapeurs-pompiers et de la Garde républicaine27 ».

26En construisant des routes et des ponts, en contribuant à la construction des écoles, l’armée se déploie autrement dans la société en promouvant une relation renouvelée avec la population gabonaise.