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Le rôle du juge dans la refondation de l’État de droit : quelle coopération française pour accompagner la réforme ?

The role of the judge in rebuilding the rule of law: what form of French cooperation is needed in order to support the reform?

p. 203-208

Résumés

Comme on l’a vu au moment des printemps arabes, une pression croissante s’exerce dans le monde pour rendre effective l’universalité des Droits de l’homme. Il existe un consensus des acteurs internationaux – qu’il s’agisse du G9 (voir le partenariat de Deauville en 2011) de la Banque mondiale et des Nations Unies, pour considérer que le renforcement de l’État de droit est également la condition nécessaire d’une plus grande sécurité mondiale et d’un plus grand développement économique.
Le renforcement de l’État de droit rend nécessaire une refondation des justices nationales dans de nombreux États. Cet article expose les différents types d’actions menées par la France dans sa politique d’aide au développement pour contribuer à l’adaptation des systèmes judiciaires de ses partenaires à ce nouvel impératif.

As we saw during the Arab Spring, constant pressure is being exerted in today’s world to make the universality of human rights effective. There is a consensus among all international actors –whether it is the G8, or the World Bank, or the United Nations– to consider that strengthening the rule of law is the necessary condition of improved global security and of economic development. Indeed, strengthening the rule of law requires rebuilding national legal systems in many states. This chapter explores the different sorts of actions undertaken by France in its development aid policy to support the adaptation of its partners’ national legal systems to this new imperative.


Texte intégral

RÉPONDRE PAR LA DIPLOMATIE POLITIQUE ET DE DÉVELOPPEMENT AUX RÉALITÉS D’UN MONDE QUI CHANGE

1L’année 2011 a fortement ramené la justice au cœur de l’actualité internationale. La diplomatie française a défendu cette thématique de deux manières : politiquement et dans l’animation du débat international sur les politiques de développement1.

2Dans nombre de pays arabes, les manifestants ont défilé sous deux mots d’ordre : « dignité » et « justice sociale ». Très vite il apparaît qu’il est demandé au juge et à l’institution judiciaire de jouer un rôle déterminant dans la refondation du contrat social entre les citoyens et les institutions supposées les servir. L’aspiration au passage d’un État légal à un État de droit garantissant les libertés fondamentales s’incarne dans les 4 missions essentielles qui doivent être confiées aux juges :

  • garantir les libertés individuelles et collectives,
  • assurer le bon déroulement d’élections transparentes et équitables,
  • apporter une réponse judiciaire, afin d’éviter leur récurrence, aux crimes du passé, notamment ceux commis par les forces de sécurité censés protéger les populations,
  • mettre un terme à la prédation économique et à la corruption tout en garantissant des règles équitables du jeu économique afin de préserver une croissance au service de l’emploi.

3La France, qui présidait le G8 depuis le 1er janvier 2011, a tout de suite pris en compte ce mouvement de refondation. Elle l’a inscrit à l’agenda du sommet du G8 à Deauville. Ainsi est né le « partenariat de Deauville » entre les pays du G8 et cinq pays arabes. En marge de l’AGNU s’est tenue une réunion des ministres des Affaires étrangères (partenariat de Deauville, 20 septembre 2011) qui a établi que

« le partenariat encourage les progrès dans les domaines suivants : renforcement de l’État de droit. Pour répondre aux attentes de ces pays, nous sommes prêts à leur fournir une assistance pour concrétiser les réformes constitutionnelles et institutionnelles nécessaires qui devraient, à notre avis, aboutir au renforcement de l’État de droit, qui est fondé notamment sur l’égalité devant la loi, la séparation des pouvoirs, des élections libres et équitables et l’indépendance des systèmes judiciaires ».

4Il convient de ne pas oublier l’accélération démocratique dans plusieurs pays africains et leur volonté de réformes dans le domaine judiciaire. Les investitures de présidents africains démocratiquement élus constituent des moments politiques importants qui ont été valorisés à Deauville. Dans la déclaration conjointe G8/Afrique intitulée « Des valeurs communes et des responsabilités partagées », il est clairement mentionné que

« le respect des droits de l’Homme, de l’État de droit et de la gouvernance démocratique, ainsi que de l’égalité entre hommes et femmes, revêt une importance primordiale pour le développement durable, la stabilité et la démocratie ».

5Cet élan politique rejoint l’agenda des politiques de développement.

6Dès décembre 2010 a été validé en interministériel le « document cadre de coopération au développement » qui fixe les axes de la politique française dans ce domaine. Celle-ci fait de « la promotion de la stabilité et de l’État de droit comme facteurs de développement » l’une de ses quatre priorités stratégiques :

« Dans les situations de fragilité, d’instabilité ou de conflictualité, la priorité absolue est de renforcer la “légitimité des États” dans leur capacité à remplir leurs missions régaliennes de contrôle du territoire national, de maintien de la sécurité et de l’État de droit, d’exercice de la justice et du pouvoir à l’échelon local. »

7Cette approche par la légitimité, la France a tenu à la placer au cœur du diagnostic de trois documents-clés parus en 2011, qu’elle a largement contribué à enrichir.

8Le rapport de la Banque mondiale sur le développement 2011, « Conflit, sécurité et développement », fixe deux objectifs : prévenir et sortir des fragilités par une spirale vertueuse de renforcement de la confiance des citoyens dans leurs institutions et la capacité de celles-ci à répondre à leurs besoins. La Banque recommande ainsi de travailler simultanément à des programmes assurant la sécurité des citoyens, l’amélioration de la justice et la création d’emplois. Les programmes de lutte contre la pauvreté et de soutien à la croissance doivent être reformulés dans des projets plus larges de réconciliation et de restauration de la confiance des citoyens dans la capacité de l’État à assurer toutes ses missions.

9La France est à l’origine du « Dialogue international sur la consolidation de la paix et le renforcement de l’État ». Ce dialogue réunit des partenaires au développement (ceux du Réseau International sur les Conflits et les Fragilités [INCAF] de l’OCDE) et un certain nombre de pays en situations de fragilité (les pays du G7 +). Ces pays font le constat commun que la très insuffisante réalisation des Objectifs Millénaires du Développement (OMD) s’explique en grande partie par les faibles capacités de l’État à servir les populations. Aussi ces pays se sont-ils entendus sur une feuille de route dite « de Monrovia », qui fait de la justice son troisième objectif :

« Traiter les injustices et accroître l’accès des populations à la justice. Aborder les griefs et les profonds sentiments d’injustice est essentiel. Les mécanismes judiciaires doivent être accessibles, abordables et fondés sur un processus perçu par les citoyens comme étant juste. Quand cela est réalisable, des moyens traditionnels, civils et informels de résolution des différends et l’arbitrage devraient être renforcés et mis en conformité avec les considérations internationales des droits de l’Homme. »

10Cette feuille de route a débouché sur le New Deal qui sera négocié à Busan, lors du 4e Forum pour l’efficacité de l’aide et qui fait de « la justice pour tous » un des cinq objectifs que les partenaires au développement doivent investir en priorité.

11Enfin, le rapport indépendant du Groupe consultatif de haut niveau des Nations Unies, « Des moyens civils à la hauteur des situations postconflictuelles », insiste pour écrire :

« Au lendemain d’un conflit, l’action internationale est le plus généralement sollicitée dans cinq domaines : le rétablissement des conditions élémentaires de sécurité et de sûreté (dont la justice = système pénitentiaire, justice pénale, réforme judiciaire et juridique, justice de transition) ; l’engagement de processus politiques ouverts ; la prestation de services sociaux essentiels ; le rétablissement des fonctions essentielles de l’État ; la remise sur pied de l’économie. »

12Plus loin le rapport continue :

« Dans le domaine de l’état de droit, on observe qu’il est nécessaire de disposer non seulement d’un corps de juges de réserve susceptibles d’être déployés immédiatement après une crise, mais également d’une capacité à long terme pour former des magistrats nationaux. »

DES PAROLES AUX ACTES

13Pour honorer ses engagements internationaux et bilatéraux, la France a fait de la coopération en matière judiciaire une priorité. Plusieurs acteurs mettent en œuvre cette politique : le MAEE coordonne à l’international l’action de nos ambassades et, en interministériel, l’action du ministère de la Justice et des Libertés, de l’ENM et des autres écoles de formations des personnels judiciaires et les opérateurs français dans ce secteur.

14Conformément à la déclaration de Paris (appropriation, coordination, harmonisation), la France intervient, à la demande de ses partenaires, pour en accompagner les réformes.

15Ses actions se développent à trois échelles pour prendre en compte les défis de l’action de la justice dans le monde d’aujourd’hui.

L’échelle internationale

16À l’échelle internationale, la mondialisation du crime oblige à penser la mondialisation du droit et de la réponse pénale. Fidèle à sa conception de l’État de droit, la France se bat pour que tous les crimes trouvent une réponse judiciaire. Celle-ci garantit que le combat sans réserve contre tous les trafics, qui déstabilisent État et société notamment les plus fragiles et vulnérables, ne s’accompagne pas d’une remise en cause des valeurs. Pour que la chaîne pénale soit efficace, la France s’est saisie de la question de la spécialisation des juges et des juridictions afin que les enquêtes, très complexes dans cette matière (criminalité organisée, lutte contre le blanchiment et la corruption, endiguement de la piraterie et du terrorisme) puissent aboutir et que l’impunité des trafiquants prenne fin. Ce crime, par essence transfrontalier, nécessite aussi une réponse régionale qui passe par la création de réseaux de juges afin de faciliter l’entraide pénale. La France, État-partie aux grandes conventions internationales dont l’ONUDC est la gardienne (lutte contre la criminalité transnationale organisée, contre la corruption, contre la drogue et contre le terrorisme), entend jouer tout son rôle dans la fourniture d’assistance technique afin que ces instruments deviennent réellement universels et mis en œuvre.

17Toutefois la France s’intéresse également aux aspects positifs de la mondialisation en accompagnant la modernisation du droit des affaires en Afrique. Elle soutient, depuis sa fondation en 1993, l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) qui porte des actes uniformes qui s’imposent au 16+1 pays de l’organisation et a institué une cour régionale de justice et une école de formation des magistrats à ce droit économique intégré. La Banque mondiale salue cette initiative qui est une bonne pratique.

L’échelle nationale

18Depuis 50 ans, la France s’est engagée auprès de ses partenaires pour la réforme de leur justice, domaine régalien et souverain par excellence. Sans ingérence, mais en influence, la France développe dans plus de 20 pays des projets de coopération pluriannuels qui visent à renforcer les capacités nationales.

19Grâce à la renommée de l’École nationale de la magistrature, la France met l’accent sur la formation judiciaire. Deux exemples illustrent cet engagement : soutien à Haïti, dont 20 juges ont suivi en 2010-2011 une session à Bordeaux avant de retourner dans leur pays pour enseigner ; animation par l’ENM du réseau euro-arabe de formation judiciaire qui vise à rapprocher les normes de qualité des enseignements à destination des juges sur les deux rives de la Méditerranée.

20La France entend placer la justice au cœur de la réforme des systèmes de sécurité. Celle-ci consiste à renforcer la légitimité de l’État de droit, à travers la promotion des normes démocratiques par l’ensemble des acteurs de la sécurité. Pour être efficaces, de tels changements impliquent la réforme du secteur de la justice et l’adaptation du droit national afin de répondre à trois enjeux majeurs : « rétablir la confiance des citoyens dans leur système judiciaire » en luttant contre l’impunité lorsque l’État est confronté à l’héritage des violences du passé ; « refonder le droit sous le contrôle du parlement » pour qu’il soit accepté par l’ensemble des citoyens, il s’agit de définir une politique pénale respectueuse de l’identité des pays et des normes internationales en matière de droits de l’homme ; « renforcer les capacités de la justice par la formation » non seulement des juges mais également des avocats, des greffiers et des personnels de l’administration pénitentiaire.

21La France veille à améliorer la qualité de la justice rendue dans les pays partenaires à travers la promotion d’innovations procédurales (Traitement en temps réel) ou l’échange d’expertise et d’expérience auprès des cours de cassation ou suprêmes.

L’échelle locale

22Pour renforcer la légitimité de la justice aux yeux des citoyens, il convient de la rapprocher des justiciables afin de démontrer concrètement son action. Au Sénégal, la France appuie les projets de maisons de justice de proximité qui s’inscrit dans le cadre du plan décennal (2004-2014) de modernisation de la justice sénégalaise. Ce soutien vise à soutenir l’émergence d’une justice de proximité, avec un appui à la mise en place de onze maisons de justice et de onze structures d’information du justiciable plus légères, dans le but de favoriser le développement de la médiation et de la conciliation, de mieux informer les populations sur leurs droits, et de désengorger les tribunaux. Cette approche de justice de proximité lancée au Sénégal se fait l’écho des nouvelles stratégies de démarginalisation par le droit, développées par les Nations Unies et la Banque mondiale depuis 2008-2009, faisant des populations des acteurs-clés des politiques de gouvernance. Ce soutien à la justice de proximité est également un dispositif novateur tirant son inspiration de longues traditions de modes de règlements alternatifs des conflits propres à l’Afrique de l’Ouest. Les maisons de justice, gage de paix sociale et de développement humain, participe au rétablissement de la confiance du citoyen dans la justice. Le Sénégal est à ce titre à la pointe de cette expérience, à laquelle plusieurs pays de la sous-région portent un intérêt croissant et dont ils souhaitent s’inspirer.

23Au Laos, la France en partenariat avec le PNUD accompagne les autorités du pays qui souhaitent reformuler le lien entre la justice locale et la justice nationale. Le renforcement des mécanismes villageois de médiation se fait dans le respect des normes internationales en matière de droits de l’Homme : introduction du débat contradictoire dans le procès villageois ; systématisation du recours aux voies judiciaires d’appel de la justice nationale.

CONCLUSION

24La France entend accompagner le secteur judiciaire de ses partenaires afin qu’il puisse répondre aux difficultés auxquels ils sont confrontés. En effet trois pressions s’exercent aujourd’hui sur les juges :

  • au niveau local, le juge doit être au plus près du justiciable qui souhaite une justice plus proche de ses valeurs, de ses préoccupations et de ses rythmes,
  • au niveau national, les contentieux se multiplient et se technicisent au moment où les capacités nationales n’ont pas encore atteint le niveau adéquat pour une réponse judiciaire efficace et juste, sans compter que le juge est également le garant d’un État qui n’est pas toujours soucieux de son indépendance,
  • au niveau international, les États sont soumis à la pression de l’universalité des Droits de l’homme et des avancées de la justice pénale internationale, autant de jurisprudences qui s’imposent de plus en plus aux juridictions nationales.

25Les actions de coopération, que la France entreprend, entendent répondre à cette triple exigence.

Notes de bas de page

1 Il est bien précisé que cet article n’engage pas le ministère des Affaires étrangères, mais uniquement son auteur, M. Luc Briard.

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