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Pouvoirs anciens, pouvoirs modernes de l'Afrique d'aujourd'hui

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Bernard Salvaing

Deuxième partie. Pouvoirs anciens dans l'Afrique d'autrefois, pouvoirs nouveaux dans l'Afrique d'aujourd'hui

Les régimes hybrides : une comparaison Afrique-Pacifique

The hybrid political systems, the régimes hybrides: A comparison between Africa and the Pacific

François Gaulme

Résumé

Dans le domaine des institutions politiques et de la gouvernance, une mise en parallèle de cas océaniens et africains est non seulement utile, mais s’impose, tout particulièrement en ce qui concerne la délicate question des rapports entre les formes traditionnelles d’autorité et les institutions de type « moderne » ou « wébérien ».
De fait, les recherches développées par Kevin Clements sur la notion de « légitimité enracinée » et les enquêtes menées autour de la notion d’hybridité en 2008 par l’université de Queensland à la demande de l’AusAID sur six pays du Sud-Pacifique considérés comme « fragiles », ont permis d’amorcer un tournant majeur dans l’approche stratégique du State-building par les institutions qui fournissent de l’aide dans les situations de sortie de crise. Cependant, rien n’a été fait de solide et de systématique pour aborder sur l’Afrique la question de l’hybridité politique telles qu’elle a été examinée par les recherches australiennes sur le Pacifique.

Texte intégral

INTRODUCTION : LA MISE EN PARALLÈLE DE CAS OCÉANIENS ET AFRICAINS

1Le Pacifique Sud est par définition une région peu connue des africanistes, puisque les liens historiques, politiques, économiques et culturels entre cette région et l’Afrique au sens large demeurent à tous égards très ténus. Pourtant, une comparaison entre les problèmes rencontrés après la décolonisation dans les deux zones mérite l’examen. Cette communication se propose donc de montrer que, dans le domaine des institutions politiques et de la gouvernance, une mise en parallèle de cas océaniens et africains est non seulement utile mais s’impose, tout particulièrement en ce qui concerne la délicate question des rapports entre les formes traditionnelles d’autorité et les institutions de type « moderne » ou « wébérien », pour reprendre les qualificatifs le plus habituels pour désigner celles qui ont été introduites, dans leur esprit sinon dans leur forme actuelle, par les colonisateurs.

L’ENQUÊTE COMMANDÉE PAR L’AUSAID EN 2007-2008 À L’UNIVERSITÉ DU QUEENSLAND

Une enquête portant sur six pays

2Soucieuse d’idées neuves sur le State-building et l’efficacité de l’État, l’Australian Agency for International Development (AusAID) commanda en 2007-2008 à l’université du Queensland des études sur six pays du Sud-Pacifique considérés comme « fragiles » pour analyser le fonctionnement effectif de leurs institutions en fonction de trois « types idéaux » : « État wébérien » (pouvoir bureaucratique, représentatif et associé à la propriété privée individuelle) ; « ordre coutumier » (pouvoir et législation traditionnels, associés au foncier communautaire) ; « ordre politique hybride » (mélange des deux précédents, avec phénomène de « société civile »).

Une enquête inscrite dans des courants de pensée spécifiques

3Cette série d’études s’inscrivait elle-même dans tout un courant de critique universitaire dans la tradition anglophone, s’appuyant plus sur l’expérience ou prétendue telle que sur la théorie (raisonnement inductif plus que déductif). Ce courant s’était attaqué à la politique d’identification et de traitement des « États fragiles » lancée par des organisations internationales (Comité d’aide au développement de l’OCDE, Banque mondiale, PNUD) sur l’incitation des États-Unis et de son allié britannique après l’invasion de l’Irak décidée par le président G.W. Bush.

4Cette critique s’appuyait aussi sur une certaine méfiance vis-à-vis de la pensée néolibérale, dominée par la science économique et l’approche macro, qui voyait d’une manière idéalisée et trop exclusivement positive le phénomène de « mondialisation » (globalisation en anglais), en cours depuis la fin de l’URSS et d’un monde bipolaire en 1990.

Kevin Clements et la notion de grounded legitimacy (« légitimité enracinée »)

5Ce mouvement intellectuel, très différent dans son esprit de celui qu’on observait parallèlement en France et dans le monde francophone (avec un rejet de la théorie des « États fragiles » au nom d’un rejet a priori, sans référence aucune à l’expérience, de toute catégorisation présentée comme « normative ») avait aussi touché l’Australie et la Nouvelle-Zélande, foyers centraux de ce que certains appellent l’« Anglosphère » dans le Pacifique. Kevin Clements, politologue spécialisé dans le traitement des conflits armés et qui avait alors fondé l’Australian Centre for Peace and Conflict Studies (ACPACS) de l’université du Queensland, avait forgé la notion de grounded legitimacy (que l’on pourrait traduire en français par « légitimité enracinée »), pour désigner la forme particulière de légitimité fondée sur l’histoire et les valeurs locales.

6Dans le débat international sur le peace-building (expression traduite par « consolidation de la paix » à l’ONU) et les fondements d’une paix durable, cet universitaire soulignait l’importance de ce type de légitimité par rapport aux valeurs universelles d’une vision désormais minimale et stéréotypée de l’État de droit « wébérien » (démocratie, droits de l’homme, économie de marché) qui s’était imposée à l’ensemble de la planète après 1990, dans une sorte de mondialisation conceptuelle basique, parallèle au triomphe d’une langue anglaise élémentaire, le globish. Sa réflexion donnait également un sens nouveau au concept d’« hybridité » développé par la science politique américaine après la disparition de l’URSS pour désigner des régimes politiques ni tout à fait dictatoriaux ni tout à fait démocratiques (Diamond, 2002). Au sens employé par K. Clements, tout différent du précédent, le caractère « hybride » des régimes politiques de pays en développement du Pacifique se définissait non pas en fonction de leur nature plus ou moins autoritaire, mais par le fait qu’ils mêlaient des institutions de type occidental, héritées des colonisateurs, et des institutions et pratiques « coutumières » locales, aux origines beaucoup plus anciennes (d’où le recours à l’adjectif grounded) et qui cohabitaient plus ou moins facilement avec les premières suivant les cas.

7Une équipe de spécialistes des États insulaires du Pacifique, parfois venus d’Allemagne (comme Volker Boege) et qui s’étaient regroupés en Australie autour de Clements (aujourd’hui à l’université d’Otago, en Nouvelle-Zélande) était ainsi parvenue à critiquer la notion d’« État fragile » telle qu’adoptée depuis quelques années par les praticiens du développement en affirmant qu’il fallait ne pas se référer simplement à des normes universelles et standards, comme dans la théorie du State-building de Francis Fukuyama (2004), pour identifier des fragilités et juger adéquatement de la solidité institutionnelle.

8L’on devait au contraire, selon cette nouvelle école, prendre en compte l’ensemble de leur caractère « hybride », en insistant sur les spécificités locales tout en dénonçant aussi au niveau mondial les effets d’une « mondialisation négative » sur les agricultures et les sociétés traditionnelles dans le champ océanien où se concentraient leurs recherches. La situation au Timor oriental (séparé en 2000 de l’Indonésie qui l’avait annexé en 1975 lors de la décolonisation portugaise), qui mobilisait durablement la diplomatie et l’armée australienne, stimulait aussi une réflexion gouvernementale à Canberra sur les conditions de la paix et les fondements de l’État dans la zone d’influence prioritaire de l’Australie.

HYPOTHÈSES ET CONCLUSIONS

Les hypothèses de départ de l’enquête sur les « régimes hybrides » financée par l’AusAID

9C’est à de tels chercheurs et dans de telles conditions que fut confiée l’enquête sur les « régimes hybrides » financée par l’AusAID. Son objectif final était d’évaluer les trois « types idéaux » d’hybridité que j’ai mentionnés précédemment, ceci en termes de capacité, d’efficacité et de légitimité, d’examiner les relations entre État moderne et institutions coutumières (substitution, complémentarité ou incompatibilité) et de faire pour l’AusAID des propositions normatives à partir des données recueillies et analysées (Boege et al., 2008).

10Trois hypothèses de départ soutenaient le projet : dans le Pacifique, l’ordre hybride serait prédominant ; une « reconceptualisation » de la problématique des « États fragiles » s’imposerait ; une « accommodation mutuelle positive » entre institutions étatiques, autorités locales coutumières et société civile dégagerait les « formes nouvelles de l’État durable » (new forms of sustainable statehood).

11Quant au choix du terrain, les pays retenus avaient été sélectionnés comme étant à « des stades très différents de formation de l’État », soit trois cas typiques de « postconflit » (Timor oriental, Bougainville, Îles Salomon) et trois exemples d’une instabilité plus diffuse (Papouasie Nouvelle-Guinée/Southern Highlands Province, Tonga et Vanuatu).

12Sur la méthodologie adoptée, les enquêtes de 15 jours pour chaque cas étaient plus conformes aux pratiques de la science politique qu’à celles de l’anthropologie classique : des conversations et des contacts informels, des interviews semi-structurées et des groupes de discussion (classe politique et administration ; société civile et ONG ; autorités coutumières) sur sept thèmes : économie politique ; paix et sécurité ; services sociaux ; état de droit et justice ; leadership et volonté politique ; participation et inclusion ; citoyenneté, « wantokisme » (relation ethnique d’entraide) et sentiment insulaire.

Les quatre conclusions

13Quatre conclusions d’ensemble ont été dégagées par les chercheurs de l’université de Queensland dans la synthèse de leurs travaux :

  • Dans les six pays examinés, le rôle de l’organisation coutumière est d’une importance fondamentale quant au fonctionnement de la gouvernance » ; il varie considérablement cependant dans sa relation avec la sphère étatique ; Tonga (« État coutumier ») et Timor oriental (où « la sphère coutumière a été largement mise à l’écart par les organisations internationales et l’État postindépendant ») se trouvant aux deux extrémités du spectre.
  • La « mondialisation négative » (negative globalisation) et son cortège de dérégulation représentent un défi « presque insurmontable » pour les micro-États du Pacifique, « l’idéologie néolibérale » ayant conduit à une sensible régression de l’État, comme le cas des Îles Salomon en témoigne tout particulièrement. Dans la conjoncture mondiale, cet affaiblissement du « Sud pris dans son ensemble » (Global South) ne doit pas être occulté dans le traitement des situations particulières.
  • Chaque situation nationale reste pourtant spécifique.
  • Les sept domaines d’enquête ont révélé des constantes d’un cas à l’autre : économie politique dominée par les activités de subsistance ; importance des problèmes du maintien de l’ordre et de la sécurité ; attentes prioritaires des populations pour des services sociaux ; pluralisme judiciaire (incluant le système coutumier) ; sous-représentation des femmes et des jeunes ; « déconnexion significative entre administrations centrales et communautés [de base] » (significant disconnection between national governments and communities) ; nécessité de développer une citoyenneté faisant place aux obligations découlant de la parenté.

14Un tel jugement, par sa portée générale, avait un impact potentiel dépassant la zone du Pacifique car il remettait en cause dans son principe l’applicabilité effective d’un modèle unique et universel de « renforcement de l’État » (Statebuilding) se déclinant en objectifs standardisés imposés de l’extérieur par la communauté internationale (institutions multilatérales et donneurs d’aide bilatéraux) mais qui, pour l’université du Queensland, n’étaient pas les

« seules routes envisageables vers un État efficace et fonctionnel, la tâche de construire une citoyenneté indigène active n’[ayant] pas reçu assez d’attention » (Boege et al., 2008, p. 28).

LE POINT DE VUE DES AFRICANISTES

« Régime hybride » au Botswana et Somaliland

15Pour un africaniste comme je le suis, il est clair que la relation du pouvoir traditionnel à un État repensé ne se pose pas moins à l’Afrique subsaharienne, pour ne citer qu’elle : dans un contexte de guerre civile et de disparition de l’État, le cas du Somaliland illustre à lui seul le renouveau du rôle des autorités traditionnelles (Hoene, 2011). Un renversement de tendance politique a d’ailleurs été constaté au sud du Sahara depuis plus de deux décennies en leur faveur (Perrot et Fauvelle-Aymard, 2003 ; Buur et Kyed, 2007 ; Bellagamba et Klute, 2008).

16Certes, le concept de gouvernance « hybride » n’en a pas gagné pour autant une place centrale dans l’analyse des questions africaines contemporaines et si la recherche l’emploie maintenant presque à tout propos, y compris pour décrire des formations militaires qui sont un mélange de rébellion et d’armée régulière, c’est souvent sans grande rigueur conceptuelle. Mais, malgré les critiques et les infléchissements effectifs du vocabulaire universitaire, les travaux australiens sur l’hybridité ont permis d’amorcer un tournant majeur dans l’approche stratégique du State-building par les institutions qui fournissent de l’aide dans les situations de sortie de crise et, au-delà de ce cas précis, dans la conception des objectifs à rechercher en matière de consolidation étatique : le CAD de l’OCDE, qui est le club intellectuel où s’élaborent la pensée et la stratégie communes des bailleurs de fonds, a retenu pleinement, dans ses réflexions récentes sur la « légitimité » étatique, le concept de « régime hybride » ainsi que la grounded legitimacy de Kevin Clements, définie par le CAD comme « une façon d’incorporer les autorités et les pratiques traditionnelles au sein de l’État formel », ce qu’illustreraient selon cet organisme les exemples du Botswana et du Somaliland (OCDE, 2011, p. 43).

17L’OCDE a particulièrement insisté sur les acquis d’un « régime hybride » au Botswana, pays dont le succès économique et la bonne gestion financière sont indéniables, mais dont les autorités, les institutions (comprenant une Chambre des chefs) et la culture nationale même intègrent très mal les non-Tswana, tout particulièrement les sociétés segmentaires de chasseurs-cueilleurs San (Bushmen), victimes de déplacements forcés et de spoliations que Survival International dénonce avec constance.

18Quant au Somaliland, au milieu de l’effondrement généralisé de l’État dans la « grande » Somalie depuis deux décennies, il est souvent présenté à l’OCDE ou ailleurs, tout comme dans les pays anglophones mieux informés que les francophones sur un territoire qui correspond à celui de l’ancienne Somalie britannique, comme l’exemple abouti d’une hybridité porteuse de paix et d’ordre. Ayant proclamé son indépendance en mai 1991, il a réussi à échapper à la guerre civile ravageant le reste du pays et a établi par sa Constitution de 2001 un régime bicaméral de type anglophone, avec une gulaha guurtida (« Chambre des anciens ») disposant du pouvoir législatif en matière de religion (diinta), de culture/tradition (dhaqanka) et de paix (nabadgelyada), mais non de budget (Hoehne, 2007). L’OCDE s’est appuyée sur des travaux universitaires (Bradbury, 2003 et 2008 ; Hagmann et Hoene, 2007 ; Englebert et Tull, 2008) pour considérer le Somaliland comme un exemple réussi de grounded legitimacy. Mais nul ne peut dire quel sera l’impact final de l’expérience du Somaliland dans un futur État somalien, seul cadre de véritable légitimité étatique pour la communauté internationale et dont le caractère éventuellement fédéral commence à peine à être envisagé, lorsque ce pays sortira enfin d’un cycle de conflits internes sans cesse recommencés.

Précautions méthodologiques

19Hors de ces deux exemples du Botswana et du Somaliland, mettre strictement en parallèle les six cas du Sud-Pacifique avec autant de pays africains serait une entreprise vaine.

20C’est une impossibilité structurelle, du fait des divergences profondes de proportion comme de caractère entre les deux ensembles géographiques. La partie subsaharienne de l’Afrique, qui s’étend sur des milliers de kilomètres, compte à elle seule près de 50 États, dont la plupart contiendraient individuellement la population cumulée des six pays du Pacifique pris en compte par la recherche australienne. Les données religieuses sont entièrement différentes dans les deux régions. Quant à la thématique des « États fragiles », l’ampleur de la question est également bien plus grande en Afrique que dans le Pacifique et la gouvernance étatique est un enjeu beaucoup plus lourd en Afrique où les autorités coutumières sont bien plus diversifiées, dans leurs formes, que dans le monde océanien, si bien qu’il se révèle à l’expérience très difficile de comparer le Somaliland avec le Sud-Soudan (Hoene, 2011), pour ne se limiter qu’à cet exemple. Un phénomène typique de contagion régionale des conflits, pratiquement inconnu du Pacifique du fait l’éloignement des États insulaires les uns des autres, vient enfin compliquer en Afrique, ce continent tabulaire, l’examen des relations entre institutions traditionnelles et formes « modernes » (internationales) de gouvernement, ne serait-ce que dans la seule perspective de consolidation de la paix.

21Si l’on prend un cas particulier comme celui du Lesotho, les différences profondes entre la problématique de l’Afrique et celle du Pacifique ne sont pas moins frappantes : la question d’un régime hybride (monarchie constitutionnelle à éléments traditionnels dans les deux cas) comme facteur de stabilisation s’y pose dans des termes bien peu semblables à ceux de Tonga, comme le signale clairement l’instabilité politique du Lesotho depuis les années 1960. Cette fragilité d’un système monarchique modernisé s’est retrouvée ailleurs au sud du Sahara, dont elle est un trait saillant de l’évolution politique du dernier demi-siècle : en Ouganda, le Premier ministre chassa en 1966 le souverain constitutionnel, le Kabaka des Baganda, la population majoritaire ; au Burundi, en 1966 également, le roi fut renversé par son fils avant que ce dernier ne soit à son tour victime d’un coup d’État militaire et ne finisse assassiné lors d’une tentative de retour en 1972. Au Rwanda, la monarchie disparut dès 1961, une année avant l’indépendance. Au Burkina Faso (alors Haute-Volta), la France empêcha en 1958 le Moro Naba, chef suprême du groupe ethnique majoritaire, les Mossis, de faire un coup de force pour se proclamer souverain constitutionnel du pays, alors sous le statut d’autonomie interne de la loi-cadre Defferre. À cet égard, il faut rappeler aussi que les options fondamentales des anciens colonisateurs ont pesé lourdement sur l’évolution institutionnelle ultérieure en Afrique subsaharienne : il n’y a pas, dans les pays francophones, d’assemblées de chefs dotées du pouvoir législatif et il demeure inconcevable qu’un gouvernement central y organise la réédification d’une monarchie traditionnelle comme en Ouganda avec la restauration du Kabaka en 1993. Pourtant, l’opposition structurelle entre systèmes anglophone et francophone n’est souvent qu’une simple apparence masquant des relations réelles, mais cachées ou délibérément informelles dans leur expression publique, entre pouvoirs traditionnels et pouvoir politique central.

Un chantier qui reste ouvert

22En bref, aucune revue critique comparable à celle faite par l’étude australienne que j’ai résumée n’a été faite sur les relations entre pouvoir traditionnel et autorités modernes pour l’Afrique subsaharienne. C’est éminemment regrettable dans la mesure où les problèmes du State-building se révèlent beaucoup plus vastes et préoccupants pour la communauté internationale, dans leurs dimensions territoriales et démographiques, sur ce continent que dans le Pacifique.

23Des travaux comme ceux sur le « retour des rois » (Perrot et Fauvelle-Aymar, 2003) ont montré l’importance maintenue des chefs traditionnels en Afrique en dépit des attaques dont ils avaient été l’objet de la part des dirigeants politiques « modernes » ayant succédé aux colonisateurs. Si ce « retour » et cette présence maintenue sont acquis de l’observation socio-anthropologique et politologique contemporaine, il reste cependant à aborder d’une manière plus systématique la question des rapports entre les héritiers des pouvoirs traditionnels et ceux des administrations coloniales. De nombreuses monographies ont abordé cette problématique, mais en ordre très dispersé. Rien n’a été fait de solide et de systématique pour aborder sur l’Afrique la question de l’hybridité politique telles qu’elle a été examinée par les recherches australiennes sur le Pacifique, c’est-à-dire d’une manière à la fois comparative et porteuse de leçons opérationnelles. Il y a là un manque dont l’impact est majeur, tant pour la connaissance scientifique en elle-même que pour l’activité d’aide au développement, puisque des fonds considérables sont alloués désormais à des réformes de la gouvernance ignorant ou négligeant en Afrique ce phénomène de l’hybridité et s’appuyant sur des bases plus théoriques que réelles pour réformer en pure perte des États et des sociétés qui résistent plus par le silence et l’inaction que par la révolte brutale à ces recettes exogènes, les rendant ainsi inopérantes.

Bibliographie

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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OCDE, « Soutenir le renforcement de l’État dans les situations de conflit et de fragilité », document d’orientation, Paris, 2011.

Perrot C.-H. et Fauvelle-Aymar F.-X., Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et l’État en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2003.

Auteur

Chargé de recherches à l’Agence française de développement (AFD) et chargé d’enseignement à l’Institut catholique de Paris (faculté des sciences sociales et économiques) en histoire précoloniale de l’Afrique centrale et relations internationales. Il est notamment l’auteur de Franchir le miroir. « Régimes hybrides » et pouvoir traditionnel dans les États fragiles, Paris, Ifri, décembre 2012.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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