Les frontières raciales au sein de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture du Cameroun entre 1921 et 1955
p. 195-209
Résumés
Les frontières au Cameroun sous administration française sont diverses et variées. Au-delà des multiples frontières territoriales, ils en existent d’autres non tangibles tracées par les autorités françaises au sein des institutions : ce sont les frontières raciales. Plus que physiques, elles sont fondées sur le rapport racial. À la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture du Cameroun entre 1921 et 1955, elles sont mises en œuvre à travers des dispositions juridiques qui limitent les initiatives et les ambitions des Noirs, des « indigènes ». Seuls les « Blancs » accèdent sans véritables conditions à un poste consulaire et peuvent être élus ou nommés à son bureau. C’est la marque d’une véritable discrimination raciale déguisée. En plus des conditions d’accès à cette institution patronale beaucoup plus rigoureuses pour les « Noirs », ces derniers n’ont pas accès au bureau jusqu’en 1949 année au cours de laquelle les initiatives camerounaises pour le changement politique commencent à porter leurs fruits. Si l’année 1921 marque le début de leur institution, l’année 1955 sonne la fin de ces frontières raciales. Cette étude nous permet ainsi d’analyser un aspect des rapports Blancs/Noirs en contexte colonial, au sein d’une institution jusqu’ici considérée comme Chambre consulaire de l’empire ultramarin français.
The borders in Cameroon under the French rule vary and are simultaneously diversified. Beyond the different territorial frontiers, many other non-tangible barriers have been settled up in some institutions by French authorities: those are racial barriers, which are more physical and mostly based on racial differences. Regarding the chamber of commerce, industry and agriculture in Cameroon among 1921 and 1955, those racial barriers have been implemented through many juridical dispositions in order to shrink the indigenous initiatives and ambitions of Black people, the so called “Indigenous”. Only the “White men” can hold a position in the consular chamber, and mostly without real conditions. This is a significant sign of racial discrimination in deed. In addition to the fact that it’s very hard for “Black men” to be members of the chamber, they don’t have access to the bureau until 1949. It’s from this year that the first Cameroonian protest for political changes started bearing fruits. By the way, if the year 1921 represents the establishment of consular chambers, the year 1955 signals the end of racial barriers instead. All along this study, one aspect of the relationship between “Blacks” and “Whites” in an institution (which up to date, is seen as the consular chamber of the French ultramarine Empire) in the colonial context, would be glanced at and subsequently analysed.
Texte intégral
1Au cours de la conférence de Berlin qui se déroule de novembre 1884 à février 1885, de nouvelles règles de délimitation des espaces conquis sont établies entre les puissances coloniales présentes en Afrique. Le Scramble of Africa s’opère désormais conformément aux règles établies. Celles-ci contribuent à l’édification de multiples frontières plus ou moins claires. Les territoires qui sont constitués en Afrique à partir de 1885 respectent les critères de délimitation issus de cette conférence, occultant parfois certaines réalités locales1. La mise en valeur de ces espaces coloniaux implique la mise sur pied des administrations et de diverses institutions au sein desquelles cohabitent « Blancs » et « Noirs ». Cette cohabitation ne se passe cependant pas sans heurts. Au-delà des frontières sociales, apparaissent des frontières raciales délibérément créées à travers l’appareil législatif et réglementaire.
2Seulement, ce type de frontières ne préoccupe pas les géographes et relativement peu les historiens. Les problèmes que soulève l’étude des frontières géographiques contribuent à détourner ceux-ci de l’étude de ces autres formes de frontières non moins réelles même si elles ne sont pas toujours tangibles2. Différente des interprétations ambigües d’une délimitation géographique entre deux localités ou de l’analyse des rapports entre belligérants autour d’une frontière poreuse, l’étude des frontières raciales se veut une analyse de toutes les restrictions appliquées à une catégorie d’acteurs au sein d’une institution du fait de critères raciaux. La Chambre consultative de commerce, d’industrie et d’agriculture du Cameroun est un véritable champ d’expérimentation de ces frontières internes à la société coloniale. Dès la mise sur pied de cette Chambre consulaire en 19213, les autorités françaises adoptent des dispositions juridiques qui limitent les initiatives et les ambitions des autochtones en son sein. Ces dispositions sont déployées autant sur les mécanismes d’accession à cet établissement que sur les conditions d’éligibilité aux fonctions de membre du bureau. Non seulement les membres dits « indigènes » rencontrent des difficultés particulières pour accéder à la Chambre consulaire, mais lorsque quelques cas y arrivent malgré tout, leur mobilité au sein de l’appareil consulaire est astreinte à certaines conditions statutaires particulièrement restrictives. C’est là une frontière se fondant, non sur des limites géographiques naturelles ou artificielles habituelles, mais sur des critères subjectifs basés sur la race.
3L’objectif de cette étude ne consiste pas à susciter ou relancer un débat sur les rapports raciaux en contexte colonial, mais à utiliser objectivement les termes que l’histoire en tant que discipline évite par moments, pour décrypter une réalité mal connue. Il s’agit en outre de mettre à nue les manœuvres administratives et les limites rencontrées par les Camerounais dans la quête de leur épanouissement économique et sociale au sein d’une institution importée et imposée. Pour y parvenir, une analyse de ces frontières d’un autre genre, nées du « fait colonial » cher à Balandier s’avère nécessaire4. Comment se présentent ces frontières raciales ? Quelles sont les logiques qui sous-tendent leur instauration ? Comment les élites « indigènes » parviennent-elles à bout de celles-ci ?
DES FRONTIÈRES GÉOGRAPHIQUES AUX FRONTIÈRES RACIALES
4D’après Pascal Baud, « la frontière est une limite séparant deux zones, deux États5 ». Elle représente une rupture souvent franche entre deux modes d’organisation de l’espace, entre des réseaux de communication, entre des sociétés souvent différentes et parfois antagonistes. Cette définition permet d’appréhender au sens le plus large le terme « frontière ». Ainsi, comme le relève Edith Tegna, « la frontière dans son extension et son dynamisme dépasse le cadre géographique et spatial pour adopter de nouvelles dimensions6 ». Elle marque la fin d’une idéologie, d’une culture, d’un système, etc. Elle est, comme le souligne Camille Lefebvre, une construction humaine issue de processus complexes, de heurts, mais aussi d’accommodements7.
5La frontière raciale, quant à elle, renvoie à l’ensemble des restrictions et d’interdictions appliquées à une race au détriment d’une ou d’autres. Elle renvoie également à l’usage des pratiques qui rappellent la ségrégation, à l’application d’un ensemble de lois et règles injustes fondées sur les préjugés raciaux. En contexte colonial, pour ce qui est de l’Afrique subsaharienne, la frontière raciale renvoie plus précisément aux limites instaurées par les colons blancs pour empêcher les colonisés autochtones d’accéder à certains statuts, postes et fonctions. C’est donc comme le relève Jean-Luc Piermay, une « construction sociale » qui, pour faire simple, favorise le « Blanc » au détriment du « Noir ».
6D’après l’historien californien Tyler Stovall, l’idée d’une hiérarchie raciale plaçant les « Blancs » au sommet existe depuis l’époque des Lumières8. Au siècle suivant, en décrivant l’humanité divisée selon les frontières raciales, Gobineau, comme nombre d’autres scientifiques européens, avance que seules les races supérieures sont capables d’atteindre le statut de nations civilisées9. C’est donc dans cet état d’esprit et contraint par les exigences des progrès technologiques que les puissances accélèrent le processus de mise en colonisation du monde avec pour objectif moral, entre autres, de civiliser les peuples barbares10. La conséquence de cette conception des rapports humains en contexte colonial se traduit concrètement, socialement mais aussi culturellement, par la construction de frontières raciales entre « Blancs » et « Noirs » en partant du présupposé que ces deux « races » n’ont pas les mêmes capacités intellectuelles11.
7Au Cameroun comme dans tout le reste de l’Empire français, l’on observe une vraie différence entre colons blancs et colonisés noirs. Albert Sarraut, l’un des théoriciens de la politique coloniale et de l’Indirect Rule « à la française », instrumentalise la relation entre colons « blancs » et colonisés. Pour lui, la colonisation permet, parallèlement à l’exploitation des ressources, d’amener ces derniers à accéder peu à peu à la civilisation. Il place la notion de race au cœur des rapports humains dans les colonies12. Tyler Stovall en décrit fort bien les répercussions dans les territoires sous administration française en ces mots :
« À travers tout l’Empire français, les citoyens qui étaient pour la plupart des Blancs venus de France, jouissaient de privilèges refusés à la population sujette. Ceux-ci allaient de l’exemption de nombreuses taxes à une position dominante devant la loi, si bien que les colons constituaient une élite raciale dans la société coloniale. […] Non seulement les colons français jouissaient d’un style de vie opulent, hors d’atteinte de la plupart d’entre eux dans la métropole, mais les idées classiques de l’aristocratie comme une race à part s’épanouissaient dans les colonies. En outre, dans nombre de colonies, les Français parlaient souvent d’eux-mêmes en termes raciaux plutôt que nationaux, comme Blancs ou Européens plutôt que comme Français13. »
8À partir de ces faits relatés par Tyler Stovall, sans avoir besoin de longs développements, nous comprenons que le fait racial est un principe mis en avant par les colons pour garantir et conserver un certain nombre de privilèges. Les nombreuses études sur la situation coloniale n’ont pas suffisamment questionné le point de vue des « Noirs » sur cette réalité. Comme le souligne avec pertinence Pierre Vemeren, rien n’est dit sur le regard porté par les « indigènes » sur ces hommes souvent imbus d’eux-mêmes et de leur récente notabilité14. D’une manière générale, en contexte colonial et sur le plan humain, les « Blancs » se placent rarement au même niveau que les « Noirs ». « Blancs de race » et détenteur de « la civilisation », objet de leur présence, il y avait peu de chances qu’ils se mettent au même pied d’égalité avec les « Noirs » jugés peuples barbares. L’échelle de la Chambre de commerce permet d’analyser ce phénomène à l’œuvre en situation coloniale au sein des élites et les tensions qui traversent l’institution consulaire. Ce qui se passe à la Chambre n’est pas une situation isolée. La société coloniale a ses principes. On est colon blanc ou colonisé noir même si la question des métis interroge souvent brutalement cette colored line qui ne dit pas son nom15. La question qu’il convient de se poser est celle de savoir : comment se présentent les frontières raciales au sein de l’institution consulaire ? Quelles en sont les spécificités ?
LA DIVERGENCE DANS LE MODE D’ACCÈS À LA CHAMBRE ET L’EXCLUSION AUX FONCTIONS DU BUREAU
9Dans le territoire sous mandat, la Chambre de commerce, d’agriculture et d’industrie du Cameroun constitue l’une des rares tribunes au sein de laquelle « Blancs » et « Noirs » cohabitent, débattent et délibèrent16. À sa création en 1921, son assemblée compte 16 membres, deux « Noirs » et quatorze « Blancs », tous nommés. Lorsque le principe d’élection comme mode d’accès à la compagnie est arrêté à partir de 1926, trois catégories de membres sont définies : les membres « français », « étrangers » et « indigènes17 ». Si les membres « français » et « étrangers » sont des ressortissants européens et américains (ou assimilés comme les Japonais mais aucun d’entre eux ne fut enregistré au Cameroun), les membres « indigènes » sont les ressortissants africains de tous les territoires placés sous domination d’une puissance impériale voire des « indigènes » issus d’autres colonies de l’Empire français18. Dans le cas d’espèce, les « indigènes » qui siègent comme consuls du négoce sont essentiellement des hommes originaires du Cameroun. L’arrêté du 5 juin 1926 qui organise et encadre le processus d’accès à la Chambre de commerce consacre les pratiques tacites visant à limiter l’accession de celle-ci aux « Noirs ». Sur les 34 membres qui constituèrent l’institution à partir de 1926, trois places sont accordées aux « indigènes » ; soit deux membres titulaires et un suppléant. Par conséquent, pendant que 475 « indigènes » se battent pour trois places alors que les 261 Européens présents au Cameroun obtiennent 31 places19. Si la ségrégation n’est pas absolue, elle l’est globalement dans les faits. Bien que très nombreux à vouloir être comptés parmi les membres de la Chambre, les « indigènes » doivent se contenter de la portion congrue qui leur est réservée. Si le nombre de places très réduit qui leur est réservé semble impliquer le mépris de leur personne et démontrer leur incapacité à comprendre le rôle et les enjeux de l’institution consulaire, il n’en demeure pas moins qu’il représente objectivement à cette période leur ratio eu égard au nombre relatif d’opérateurs économiques locaux ayant déjà émergé. Bien peu de commerçants camerounais de cette époque sont suffisamment instruits et encore moins sont ceux qui connaissent les pratiques consulaires. Les « indigènes » qui y siègent font donc partie d’une élite dégagée au contact commercial avec les « Blancs ». Aussi, en tant qu’instrument économique de la colonisation française, la Chambre joue un rôle important au sein de la machine coloniale, tant en terme économique que de notabilité comme dans toutes les Chambres de commerce de France et de l’Empire. Même si les petits commerçants « indigènes » sont de plus en plus nombreux à émerger dans un tissu économique qui se densifie et s’ouvre plus largement aux locaux dès la décennie 1920, il n’est pas jugé souhaitable de leur donner la possibilité d’être élus à la Chambre au risque de voir fragiliser le pilier de la politique économique20.
10Le taux élevé de participation des « indigènes » aux élections de 1926 pousse l’administration coloniale à changer de méthodes. Il faut briser cet engouement car l’institution consulaire est avant tout affaire de colons. En 1932, un changement majeur intervient dans le processus électoral interne : c’est le retour à la désignation des membres « indigènes ». Inutile de prendre le risque de voir arriver des membres élus car leur fonction économique pourrait devenir des tremplins pour une notabilité politique autochtone alors qu’ailleurs, dans les territoires sous administration française, les signes des revendications associationnistes ou indépendantistes se multiplient ou prennent un tournant revendicatif violent. C’est le cas en particulier en Indochine et en Algérie. Pendant que les membres français et étrangers continuent d’être élus par leurs pairs, les membres indigènes sont de nouveau désignés par arrêté du commissaire de la République française au Cameroun21. La désignation permet ainsi aux colons français de maîtriser en quantité et en qualité le nombre de Camerounais qui accèdent à la Chambre.
11Le décret qui ramène l’accès des « indigènes » à la Chambre par désignation ne donne aucune autre information sur le préalable à leur nomination par le commissaire de la République. Bien au contraire, il renforce les conditions d’exclusion des « Noirs » à l’ambition de devenir membre de la compagnie22. Dorénavant, tous les indigènes susceptibles d’être désignés à un poste consulaire sont astreints à certaines obligations et décrets supplémentaires. Ils ne devraient par exemple pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par l’article 2 de la loi du 8 décembre 1883 relative à l’élection des membres des tribunaux de commerce en France. Pour davantage matérialiser et renforcer ces critères d’exclusion, leur désignation est ainsi encadrée par une loi qui s’applique, en France, non pas aux candidats à l’élection au sein des Chambres consulaires, mais à l’élection aux tribunaux de commerce. Autrement dit, les raisons qui peuvent empêcher des Français de briguer un mandat au sein d’un tribunal de commerce, empêchent des Camerounais d’être nommés à la Chambre de commerce de leur territoire d’origine. Ce qui est davantage incompréhensible au sujet de l’application des lois métropolitaines au Cameroun, c’est cette transposition sans effort d’adaptation aux réalités locales23.
12Le retour à la désignation des membres indigènes de la Chambre posa au cours des premières années, un sérieux problème quant à la clairvoyance sur les conditions de leur désignation. Afin que leur mode de désignation paraisse plus objectif, Jules Vincent Repiquet, le commissaire de la République (1934-1936), prit un arrêté le 27 avril 1935.
13L’article 7 de celui-ci stipulait que
« les membres indigènes de la Chambre élue de commerce, d’agriculture et d’industrie seront choisis par le commissaire de la République sur une liste de six noms pour la section commerciale et de trois pour chacune des deux autres, présentée par le chef de la région du Wouri, un mois avant le renouvellement de l’assemblée24 ».
14À compter de cette date, le chef de la région du Wouri, qui se trouve à Douala, devait établir en temps utile la liste complète des commerçants, agriculteurs, industriels et forestiers « indigènes » réunissant aussi bien les conditions d’électeurs que celles de désignation. Ainsi, les membres indigènes étaient désormais désignés sur la base d’une liste présentée par le chef de la région du Wouri au commissaire de la République. Cet état des choses n’était pas de nature à améliorer le climat des rapports au sein de l’institution consulaire. Si pour devenir membre, les « Noirs » devaient passer par d’autres voies et remplir des conditions spécifiques, accéder au bureau de la Chambre leur fut quasi impossible jusqu’en 1949.
15Notons qu’avant cette date, le secrétaire-trésorier, les trois vice-présidents et le président de la Chambre devaient systématiquement être de nationalité française. Seul le poste de vice-président-étranger revient à un « Européen » ou assimilé, par exemple un syro-libanais. C’est donc un bureau unicolore. De fait, les consuls « indigènes » en sont exclus. Cette ségrégation est uniquement liée à la race dans la mesure où, parmi les « indigènes » que l’on rencontre au sein de l’institution dès le début des années 1930, nombreux sont ceux qui ont un minimum de connaissance pouvant leur permettre d’assumer des fonctions au bureau. C’est le cas des membres Sonne Paul, Lobe Bell, Ebelle Kondo et Paraiso, donc les interventions au cours des séances plénières, les correspondances écrites et les discours prononcés nous permettent de penser qu’ils avaient mieux que quiconque cette capacité25. L’autre élément qu’il convient de relever c’est que les « indigènes » qu’on juge incapables d’assumer une fonction quelconque au sein du bureau jusqu’en 1949 constituent l’élite camerounaise qui va présider aux destinées de la Chambre consulaire à partir de 1955.
16Face à ces frontières érigées par les « Blancs » pour empêcher les « Noirs » d’accéder non seulement à la compagnie consulaire, mais aussi aux fonctions dirigeantes du bureau, un sentiment d’injustice s’affirme. Au fil des années, ces frontières raciales exacerbent les élites autochtones et les poussent à entreprendre de nombreuses actions pour se défaire à la fois du joug colonial et des multiples préjugés. Les frustrations vont ainsi être à l’origine de nombreuses revendications pour franchir les limites instaurées par les « Blancs ».
REPOUSSER PUIS FRANCHIR LES LIMITES D’UNE FRONTIÈRE ARTIFICIELLE
17Après guerre, les frontières raciales au sein de la Chambre disparaissent peu à peu grâce à la volonté des élites locales qui ne ménagent aucun effort pour accéder à tous les privilèges. Le vent des indépendances commence à souffler et les coloniaux souhaitent aussi entre ouvrir aux élites locales des postes de responsabilité afin de freiner autant que faire se peut les volontés autonomistes. Au départ, la supériorité en nombre des membres européens de la section commerciale constitue la raison qui pousse les « indigènes » à engager de nombreuses revendications en vue d’acquérir leur autonomie. Par la suite, d’autres revendications propres aux « indigènes » s’en mêlent26. Compte tenu de leur infériorité numérique, ils sont constamment en situation de contestation des décisions prises par voie de vote. C’est pour eux une façon d’exister dans le champ décisionnaire colonial et de faire entendre une voix, certes asymétrique mais une voix tout de même, preuve de la nature même du système colonial qui est, comme l’ont défini Jean-François Bayard et Romain Bertrand, une « transaction hégémonique27 ». Mais rien ne bouge réellement avant l’après-guerre. L’une des contestations les plus marquées se produit en 1948 alors que les premières colonies d’Asie obtiennent leur indépendance (Philippines 1946, Inde et Birmanie 1948, tandis que les Malais contestent comme en Indochine et dans les Indes néerlandaises le joug impérial).
18Par un télégramme officiel en date du 18 octobre 1948, adressé à René Hoffherr, le haut-commissaire de la République française au Cameroun (1947-1949), les élus « indigènes » Tina Bonfils, Sonne Paul et Manga Bernard, démissionnent de la Chambre de commerce. Ils estiment absolument nécessaire la création d’une Chambre d’agriculture, compte tenu de la situation agricole du Cameroun28. Au fond, l’idée est de voir créer une Chambre au sein de laquelle les Noirs sont majoritaires. En effet, ici les petits et moyens planteurs sont issus de l’élite locale et peuvent prendre la main. Mais, cette démarche ne permet pas d’atteindre les objectifs escomptés. Toutefois, à la suite de cette démission, une réaction est enregistrée. Dans le nouveau cadre de l’Union Française, le décret métropolitain du 23 février 1949 et l’arrêté local du 24 mars 1949 réorganisent la Chambre de commerce, d’agriculture et d’industrie du Cameroun29. L’appellation péjorative, membre indigène, disparaît. Dorénavant au sein de la Chambre, on retrouve deux groupes : les groupes A et B. Le groupe A est composé des membres Blancs et le groupe B, des membres Noirs. Belle évolution euphémique, rappelant étrangement la phrase de Jaurès : « Lorsque l’on ne peut changer les choses, on change les mots ! » La section agricole du groupe B voit ses membres augmenter et les Camerounais y sont désormais majoritairement représentés après les élections de 1950.
19Les réformes engagées ne satisfont cependant pas aux attentes des membres du groupe B. Dans une motion en date du 9 juin 1950 adressée au haut-commissaire, André Soucadaux (1950-1954), ils estiment que les textes constitutifs de la Chambre de commerce sont à remanier30. Les signataires de la motion affirment assister au sein de l’institution à une coalition raciale dont les étrangers sont responsables au premier chef et les Français au second. Ils exigent une plus grande représentation des Camerounais. Ils demandent aussi à être membres du bureau et de pouvoir être éligibles au poste de vice-président d’une ou de plusieurs sections. L’une des réclamations la plus importante est la demande de la création d’une Chambre consulaire à Yaoundé31. La Chambre de Douala devenant commerciale et industrielle ayant un rôle de représentation locale, celle de Yaoundé devient agricole et forestière ayant un rôle de représentation territoriale32. Sachant que les Camerounais de la Chambre sont dorénavant plus nombreux aux sections agricoles et forestières, le but de leur démarche est de trouver le moyen de s’autonomiser. Le projet de Tina Bonfils, Sonne Paul et Manga Bernard pourrait ainsi enfin voir le jour.
20Cependant, une fois encore, ces revendications restent vaines. En conséquence, les Camerounais installent progressivement une atmosphère délétère au sein de la Chambre de commerce qui devient l’une des arènes politiques de la décolonisation du pays. Dorénavant, ils parlent de la discrimination raciale lors des séances plénières. Le tabou est levé. Tout comme ils n’hésitent pas à remettre en cause la gestion quotidienne des affaires de la Chambre de commerce, face à un rapport de force déséquilibré et en faveur des membres du groupe A (Européens). C’est du moins le constat que l’on peut effectuer à la lecture du rapport de la séance plénière du 14 septembre 1952. Devant un problème de délai au sujet des taux de location et de l’étude des nouveaux tarifs sur la Taxe sur le Chiffre d’Affaires à l’Importation (TCAI), Sonne Paul, commerçant dans la région du Moungo et membre de la section commerce de la Chambre depuis près de deux décennies, soulève la question de ses frais d’indemnité de déplacement et la nécessité que les membres africains soient suffisamment représentés aux séances de travail. Ses préoccupations irritent certains membres de l’assemblée. Hubert Otabela, son compatriote, lui répond :
« Je regrette qu’on fasse état de discrimination raciale dans cette salle. Les uns et les autres, nous nous sommes efforcés de l’anéantir33. »
21En réaction aux propos d’Hubert Otabela, Tina Bonfils réplique qu’il est :
« regrettable de voir que notre collègue Otabela attaque directement les collègues dont il est président de section. Pourquoi en 1949, quand nous avons élaboré les textes de la Chambre de commerce, j’ai été victime de la question des groupes A et B ? Je voudrais demander à Otabela quel est “A” et quel est “B” ? Pourquoi toutes les assemblées locales étant toutes réunies dans le même collège, la Chambre de commerce reste-t-elle avec deux collèges A et B34 ? »
22Le prolongement de ce type d’échanges symbolisant les tensions internes se poursuit pendant la même séance sur une autre question. Au cours du débat sur le prélèvement de 35 francs par sac de cacao vendus pour le Fonds d’Encouragement, Kamga Simon s’exclame en ces termes :
« À chaque séance, on ne parle que des Fonds d’Encouragement à prélever sur le cacao, je me demande pourquoi il n’y a que le cacao qui souffre ? Je n’ai pas entendu parler de prélèvement sur les mines. Un jour, un collègue africain a déclaré que le cacao souffre parce que c’est un produit dont aucun Européen n’est producteur35. »
23À l’analyse, il apparaît que deux dynamiques fortes sous-tendent les revendications constantes des Camerounais de la Chambre de commerce. D’une part, nous avons la dynamique extra-muros, c’est-à-dire, tous les changements sociaux et politiques qui s’opèrent hors de la Chambre de commerce mais qui affectent son fonctionnement36. En 1949, le statut et les attributions des Chambres d’agriculture sont clairement définis en France par le décret du 28 novembre 1949. Celui-ci est promulgué dans les colonies françaises et dans les territoires sous domination française. Les Camerounais prennent connaissance dudit décret. Dans le territoire, l’évolution des rapports humains au sein de l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) inspire les membres de la Chambre de commerce qui souhaitent bénéficier des mêmes libertés que leurs collègues conseillers37. Par ailleurs, la fin de l’indigénat, la naissance du syndicalisme et la création des premiers partis politiques motivent les membres locaux à vouloir disposer d’eux-mêmes au sein de la Chambre de commerce. L’heure est à l’émancipation38. D’autre part, nous avons la dynamique intramuros. Il s’agit des grandes évolutions internes conduisant ipso facto à une restructuration profonde. Si les odeurs d’émancipation dans le Territoire sourdent jusqu’au sein de l’assemblée consulaire, c’est aussi bien parce que depuis le début des années 1950, plusieurs Camerounais ont effectué des voyages d’étude en Europe. Ils se sont suffisamment abreuvés du fonctionnement des Chambres consulaires tant en Europe que dans les autres territoires – Français ou non – d’Afrique. Au contact des réalités européennes, le complexe d’infériorité s’est considérablement atténué. Senghor et Houphouët-Boigny ne siègent-ils pas comme ministres de la IVe République impériale ? Tout cela vient s’ajouter au nombre de membres du groupe B en constante progression. Les Camerounais, majoritaires à la section agricole, souhaitent désormais être majoritaires à la Chambre de commerce, même s’ils ne l’avouent pas ouvertement. Ils souhaitent également accéder à tous les postes au sein de cette assemblée. C’est du moins ce qui ressort des propos de Fenkam Christian, ancien membre de la Chambre de commerce, que nous rapporte Patrice Kenmogni :
« En ce moment, les Blancs étaient plus nombreux que nous. C’est pourquoi nous avons demandé le « scindage ». Quand il s’agissait d’un vote, c’est la section commerciale qui l’emportait. En créant la Chambre d’agriculture, nous devions être nombreux dans cette Chambre et mieux discuter39. »
24C’est donc fort de toutes ces dynamiques internes et externes que seize membres africains envoient une correspondance au très influent Jean Michaut40, président de la Chambre de commerce, en janvier 1955. Au cours de la séance plénière du 21 janvier 1955, il est donné lecture de cette correspondance dans laquelle ils expliquent la nécessité de la création d’une Chambre d’agriculture. Heureuse circonstance pour ces membres camerounais, leur correspondance est précédée par les lettres du ministre de la France d’outre-mer et du haut-commissaire de la République française au Cameroun, demandant au président de la Chambre de commerce de réfléchir sur l’éventualité de la création d’une Chambre d’agriculture au Cameroun41. Dans cette correspondance dont le rapporteur est Ephrem-Marie Mba, futur président de la Chambre d’agriculture, il est clairement dit :
« Nous demandons l’existence d’une Chambre d’agriculture qui ne soit pas “citoyenne-né” de la Chambre de commerce, mais qui ait son statut personnel ; d’une Chambre d’agriculture qui ne soit pas vassale de la Chambre de commerce, mais son collègue.
En effet, la formule actuelle de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture, reste un contresens à notre avis […]. Les intérêts de ces trois groupements économiques s’opposent à certains égards à tel point qu’il n’est pas possible de les conduire équitablement et loyalement sur la même barque42. »
25Cette correspondance, recueil de griefs, vient sonner le glas des revendications « indigènes » de la Chambre de commerce. Les arrêtés du 12 décembre 195543 qui créent la Chambre de commerce et d’industrie et la Chambre d’agriculture, de l’élevage et des forêts, consacre la victoire des « indigènes », des Noirs, des Camerounais. Elle consacre surtout la fin des frontières. Ils accèdent nombreux aux bureaux des nouvelles compagnies consulaires.
26Au terme de la réflexion sur les rapports entre « Blancs » et « Noirs » au sein de la communauté consulaire, nous retenons que, bien que les colonisés soient associés aux activités du Territoire, un grand fossé subsiste entre eux et les coloniaux comme le relève Didier Etaba Etoa44. L’aspect pervers de l’association promu par Albert Sarraut ne tarde pas à être décrié dans les territoires sous administration française. Le problème, c’est le degré accessoire d’association des autochtones. De nombreuses barrières parsèment le territoire. La discrimination raciale est au rendez-vous au sein des institutions. Parvenus avec peine à la Chambre, les « Noirs », les membres indigènes, n’ont pas accès au bureau de l’institution consulaire. C’est une association que veulent Sarraut et ses continuateurs mais une association à petits pas. Tous les textes sont préparés à cet effet. Frustrés par cette ségrégation, ils l’expriment. C’est ce ressentiment qui permet en dernier ressort de franchir ces frontières artificielles. Ce combat au sein de l’assemblée consulaire pour briser le monopole français et les barrières raciales dans le secteur économique, constitue indubitablement l’autre face des luttes nationalistes qu’évoque Daniel Abwa dans ses travaux45.
27De fait, on peut avancer en mode de conclusion qu’au Cameroun comme un temps en France, la représentation consulaire joua un rôle déterminant dans l’émergence d’une identité locale et d’une prise de conscience politique. Une évolution que les « Blancs » ne voulaient pas ou trop peu.
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Articles
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Mémoires universitaires
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Fouelefack Tsamo D. Ch., Le rôle de la Chambre d’agriculture, de l’élevage et de forêts dans l’économie du Cameroun (1921-1986), mémoire de maîtrise en histoire, université de Yaoundé I, 2007.
Fouelefack Tsamo D. Ch., Les Chambres consulaires au Cameroun des origines à 2000 : entre mutations structurelles et développement économique, thèse de doctorat Ph. D. en histoire, université de Yaoundé I, 2013, inédit.
Kenmogni P., La Chambre de commerce au Cameroun sous administration française de 1921 à 1955, mémoire de maîtrise en histoire, université de Yaoundé, 1989.
Lefebvre C., Territoires et frontières : Du Soudan central à la république du Niger 1800-1964, thèse de doctorat en histoire, université Paris 1-Panthéon Sorbonne, 2008.
Notes de bas de page
1 Lire Brunschwig H., Le partage de l’Afrique noire, Paris, Flammarion, coll. « Questions d’histoire », 1971. L’auteur revient longuement dans cet ouvrage sur les circonstances de l’organisation de la conférence de Berlin, sur ses clauses ainsi que sur les conséquences de celles-ci sur la vie des peuples locaux.
2 Plusieurs historiens ont travaillé sur les questions frontalières à l’intérieur du Cameroun ou mettant aux prises le Cameroun et les pays voisins. On peut notamment se reporter aux travaux de Fanso V. G., Trans-frontier relations and resistances to Cameroon-Nigeria colonial boundaries, 1916-1945, thèse de doctorat d’État en histoire, université de Yaoundé, 1982 ; Dong Mougnol M. G., Migrations internes et problèmes fonciers au Cameroun : les cas de Makénéné et Mbangassina dans la région du Mbam, de 1926 à nos jours, thèse de doctorat Ph. D. en histoire, université de Yaoundé I, 2007 ; Tamekamta A. Z., Convoitises frontalières, richesses, hétérogénéité culturelle et crises socio-politique en zone Cemac depuis 1960, mémoire de DEA en histoire, université de Yaoundé I, 2005 ; Sumo Tayo A. R., La politique camerounaise des frontières 1969-2008, mémoire de DEA en histoire, université de Dschang, 2009.
3 Journal Officiel des Territoires du Cameroun (désormais JOC), arrêté portant création d’une Chambre consultative de commerce, de l’industrie et d’agriculture, 1921, p. 162.
4 L’usage du terme frontière pour décrypter, parfois décrier, certains clivages actuels ou passés au sein des sociétés, se fait de plus en plus. L’expression se trouve ainsi utilisée pour analyser des sujets variés liés aux rapports humains. On peut lire par exemple : Fassin D., Les nouvelles frontières de la société française, Paris, La Découverte, 2010 ; de Saint Martin M. et Gheorghiu M. D., Éducation et frontières sociales : un grand bricolage, Paris, Michalon, 2010 ; Hajjat A., Les frontières de l’« identité nationale ». L’injonction à l’assimilation en France métropolitaine et coloniale, Paris, La Découverte, 2012.
5 Baud P., Bourgeat S. et Bras C., Dictionnaire de Géographie, 2e éd., Paris, Hatier, 1997, p. 140.
6 Tegna É. M., « Les frontières parlementaires entre le Cameroun anglophone et le Cameroun francophone (1942-1972) : autopsie d’une réunification parlementaire tronquée », in Abwa D., Temgoua A. P. et al., Boundaries and history in Africa : issues in conventional boundaries and ideological frontiers, Yaoundé, université de Yaoundé I, 2011, p. 358.
7 Lefebvre C., Territoires et frontières : du Soudan central à la République du Niger 1800-1964, thèse de doctorat en histoire, université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, 2008, cité p. 8. Sa thèse a récemment été publiée sous le titre Frontières de sable frontières de papier. Histoire de territoires et de frontières, du Jihad de Sokoto à la colonisation française, XIXe-XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Bibliothèque historique des pays d’Islam », 2015, 544 p.
8 Stovall T., « Universalisme, différence et invisibilité. Essai sur la notion de race dans l’histoire de la France contemporaine », Cahiers d’histoire. Revue d’Histoire critique [en ligne], 96-97, 2005, cité p. 7.
9 Ibid.
10 À ce sujet, voir l’ouvrage remarquable de Conklin A. L., A Mission to Civilize : The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford, Stanford University Press, 1997.
11 Critiquant le concept de frontière naturelle, Lucien Febvre appelait en son temps à considérer les frontières comme des constructions intellectuelles humaines et en faisait des objets d’analyse pour la science historique, nous le fait savoir Camille Lefèvre. On ne saurait donc pas attribuer à la frontière une essence qui vaut pour tous les temps et tous les lieux. Dans le cadre de l’institution consulaire camerounaise, les codes et les modes de pensée ajoutés à la diversité culturelle des acteurs et aux lois qui régissent les cadres de vie, énoncent inévitablement des barrières.
12 Lire Sarraut A., La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923.
13 Stovall T., « Universalisme, différence et invisibilité. Essai sur la notion de race dans l’histoire de la France contemporaine », art. cité, p. 10. Il faut par ailleurs relever qu’il existe dans les territoires africains sous domination européenne, un vocabulaire lié au contexte colonial :» blanc », « noir », « européen », « africain », « indigène », « évolué », « maître », « patron », « boy », « notable », « chef », etc. sont les mots qui qualifient et classifient les hommes. À ce sujet, voir Dulucq S., Klein J.-Fr. et Stora B. (dir.), Les mots de la colonisation, Toulouse, PUM, coll. « Les mots de », 2008.
14 Vermeren P., « Élites d’Empire », in Lambert D., Notables. Une élite de circonstance en Tunisie et au Maroc (1881-1939), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, publié dans [laviedes idees. fr], 10 décembre 2009, cité p. 4.
15 À ce sujet, lire Saada E., « Un racisme de l’expansion. Les discriminations raciales au regard des situations coloniales », in Fassin É. et D. (dir.), De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française, Paris, Autrement, 2006, p. 55-71, et sur les métis : Saada E., Les enfants de la colonie : les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007.
16 Il est important de relever qu’en 1916 au cours de la Première Guerre mondiale, des forces francobritanniques envahissent le territoire du Kamerun alors sous protectorat allemand. Après un bref condominium, les deux puissances se partagent le territoire. En 1919, après la guerre, le territoire est placé sous mandat de la Société des Nations (SDN). Celle-ci valide le partage de 1916 qui confie les quatre cinquièmes du territoire à la France et le reste à la Grande-Bretagne. On peut lire à cet effet Franklin E., Le partage du Cameroun entre la France et l’Angleterre, Paris, L’Harmattan, 2003.
17 Lire : JOC, arrêté instituant à Douala une Chambre consultative élue de commerce, d’industrie et d’agriculture, 1926, no 146, p. 294-299.
18 Notre analyse se focalise sur les rivalités raciales opposant « Blancs » et « Noirs » au sein de l’institution consulaire camerounaise. Elle n’élude en rien les rivalités internes aux « Blancs » qui ne constituent pas un bloc uni encore moins celles internes aux « Noirs » qui n’apprécient pas de la même façon leurs rapports aux colons. Biens de paradoxes ouvrant de nouvelles pistes d’analyses sont observables : nous avons d’abord les Français qui sont au-delà des originaires de la France, ceux qui ont pris la nationalité française ; ceux-ci se voient différemment car, ne sont pas français au même titre en colonie. Nous avons ensuite les Étrangers qui sont d’autres nationalités européennes, américaines et asiatiques. S’ils sont tous considérés comme les « Blancs » par les autochtones indigènes, ils ne bénéficient pas des mêmes privilèges. Ainsi, les Grecs, les Syriens, les Libanais, les Allemands et les Anglais n’ont pas les mêmes avantages au sein de la Chambre dans ce territoire sous administration française. Biens qu’ils soient vus comme des Blancs par les autochtones, aucun membre issu de ces autres pays non français n’aura été président de cette institution. Nous avons enfin les « indigènes », groupe au sein duquel on retrouve les chefs et les notables qui sont des catégories sociales distinctes de celles des cadets sociaux qui ont émergé dans la débrouillardise. En tant qu’auxiliaires d’administration, les chefs bénéficient déjà d’une proximité avec les colons. Ils sont par ailleurs détenteur d’une main-d’œuvre qui leur donne une longueur d’avance sur les autres. Leurs rapports avec les « Blancs » sont donc différents. Toutefois, il convient de le rappeler, ce n’est pas cette catégorie qui prospère en grand nombre au sein de l’institution. Lire Fouelefack Tsamo D. Ch., « Les markets boys au Cameroun sous administration française : vers la naissance du patronat camerounais », Habaru, Revue scientifique pluridisciplinaire du département d’histoire de la faculté des arts, lettres et sciences humaines de l’université de Yaoundé I, nouvelle série, vol. I, no 2, juin 2014, p. 261-276.
19 JOC, arrêté du 5 octobre 1926 approuvant les listes électorales de la Chambre consultative de commerce de Douala, no 154, p. 505-519.
20 Un phénomène similaire est observable en France où les grands patrons refusent jusqu’en 1908 d’ouvrir l’institution consulaire aux « boutiquiers ». Ici la ségrégation sociale se double d’une tension raciale évidente. Il paraît nécessaire pour mieux appréhender les enjeux et le contexte de fonctionnement de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture du Cameroun entre 1921 et 1955, de souligner qu’elle est une compagnie coloniale. En tant qu’instrument de la domination française au Cameroun, elle est une Chambre des « Blancs » au pays des « Noirs ». Les originaires du Cameroun y sont accessoirement admis pour des raisons de représentation et surtout de coloration. Leur présence se veut au départ une sorte d’élégance dans la méthode coloniale française qui depuis 1905 joue la carte politique de l’« Association ». Comme dans certains cas, la métropole n’est pas obligée de faire avec ses sujets. C’est pourquoi, il ne peut par conséquent pas être question de représentation au prorata de la population présente dans le territoire. Certains colons français considèrent d’ailleurs la présence des « Noirs » au sein de la compagnie comme un luxe inutile. C’est un prestige inédit accordé aux « Noirs ». Bien que ce soit à une catégorie précise, celle que les Belges appellent au Congo, les « évolués » : les colons noirs devenus intermédiaires commerciaux ou planteurs.
21 JOC, décret du 26 janvier 1932, réglant le mode d’institution des Chambres consulaires élues de commerce, d’industrie et d’agriculture, no 286, 1er mai 1932, p. 258.
22 Lire Fouelefack Tsamo D. Ch., Les Chambres consulaires au Cameroun des origines à 2000 : entre mutations structurelles et développement socio-économique, thèse de doctorat Ph. D. en histoire, université de Yaoundé I, en cours, cité p. 114, inédit.
23 Lesdites lois sont copiées mot pour mot pour en faire des textes régissant le fonctionnement de la Chambre. Les nouvelles conditions d’exclusion des « Noirs » viennent renforcer celles qui existent déjà.
24 JOC, arrêté du 27 avril 1935 portant modification de l’arrêté du 26 avril 1933 instituant à Douala une Chambre consulaire élue de commerce, d’agriculture et d’industrie, no 360, 15 mai 1935, p. 382. Il convient de rappeler que le siège de la Chambre consulaire unique se trouve à Douala jusqu’en 1957. Douala étant le principal centre commercial du territoire et le chef-lieu de la région du Wouri, c’est donc le chef de cette région, conformément aux textes qui s’occupe de la supervision de toutes les opérations électorales de la Chambre consulaire.
25 Sonne Paul, Lobe Bell, Ebelle Kondo et Paraiso constituent la troisième génération des membres indigènes de l’institution consulaire après la première composée d’Erdmann Eteki et Mandesi Bell et la deuxième composée d’Adam Arab, Bema Mouangue, Laurent Fouda et Bille Robert. Cette génération arrive à la Chambre vers la fin de la décennie 1930. Comme sur les précédentes, on détient peu d’informations sur elle. Néanmoins, on sait qu’elle a posé les jalons des revendications indigènes au sein de l’institution consulaire dès la fin de la décennie 1940. Grâce aux actions de ce quatuor, c’est en nombre plus élevé que les originaires du Cameroun accèdent à la Chambre. En l’état actuel des recherches, on sait que Sonne Paul fut commerçant exportateur et importateur dans la région du Moungo. Il fut aussi vice-président section commerciale à la Chambre de commerce, d’agriculture et d’industrie. Il rejoignit la Chambre de commerce et d’industrie après la scission de la Chambre mère en 1955. Lobe Bell, Ebelle Kondo et Paraiso furent quant à eux des agriculteurs/planteurs, déduction faite de leur appartenance à la section agricole. Sur ces questions, voir notre thèse, op. cit.
26 Fouelefack Tsamo D. Ch., Le rôle de la Chambre d’agriculture, de l’élevage et de forêts dans l’économie du Cameroun (1921-1986), mémoire de maîtrise en histoire, université de Yaoundé I, 2007, p. 19.
27 Lire Bayard J.-Fr. et Bertrand R., « De quel “legs colonial” parle-t-on ? », Esprit, 2006/12, p. 134-160.
28 Archives nationales de Yaoundé (désormais ANY), Affaires politiques et administratives (APA) 11115, Chambre de commerce réorganisation, personnel, fonctionnement, affaires diverses, 1947-1950.
29 Journal Officiel du Cameroun Français, décret no 49-260 relatif à la représentation des intérêts commerciaux, industriels et agricoles du Cameroun, 1949, p. 340-344 et textes réglementaires, arrêtés no 1124 portant application du décret no 49/260 du 23 février 1949, relatif à la représentation des intérêts économiques au Cameroun.
30 ANY, APA, 11115, Chambre de commerce réorganisation, personnel, fonctionnement, affaires diverses, 1947-1950.
31 Ibid.
32 Ibid.
33 Bulletin de la Chambre de commerce, d’agriculture et d’industrie du Cameroun (désormais BCCAIC), no 9, septembre 1952, p. 10-11.
34 Ibid. Il faut par ailleurs noter que depuis le 30 mars 1952, l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) est constituée de 32 administrés français et 18 citoyens de statut français. Dans cette institution présidée par les Camerounais – majoritaires – le problème de discrimination raciale ne se pose pas.
35 BCCAIC, no 9, septembre 1952, p. 36. Lire aussi ANY, 2 AC 2328, Chambre de commerce, d’agriculture et industrielle du Cameroun organisation 1948.
36 Pour bien comprendre les causes profondes du ressentiment des Camerounais au sein de toutes ces institutions, il faut d’abord comprendre le contexte global du territoire. Pour cela, se reporter à Abwa D., Cameroun. Histoire d’un nationalisme 1884-1961, Yaoundé, CLE, 2010.
37 Après 1946, l’attribution à tous les habitants de l’Algérie, des territoires d’outre-mer, des colonies et des territoires sous tutelle, de la qualité de citoyen et la suppression du statut de l’indigénat ne mettent pas immédiatement fin aux discriminations, puisque le double collège électoral subsiste dans tous ces territoires. À la Chambre consulaire camerounaise, c’est après 1955 que le système de double collège est aboli. Lire Lochack D., « La race : une catégorie juridique ? », Mots, décembre 1992, no 33, p. 291-303. Les rapports entre la Chambre et le Parlement, et l’influence que ce dernier a sur les mutations au sein de la Chambre constituent des questions que nous abordons largement dans notre thèse, op. cit.
38 Pour davantage saisir les temps forts de l’histoire politique du Cameroun à ce moment on peut se référer à Deltombe Th., Domergue M. et Tatsitsa J., Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique : 1948-1971, Paris, La Découverte, 2011, et à Tchumtchoua E., De la Jeucafra à l’UPC. De l’éclosion du nationalisme camerounais, Yaoundé, CLE, 2006.
39 Fenkam Christian, ancien membre de la Chambre de commerce, propos recueillis à Bafoussam le 28 juillet 1989, in Kenmogni P., La Chambre de commerce au Cameroun sous administration française de 1921 à 1955, mémoire de maîtrise en histoire, université de Yaoundé, 1989, cité p. 68.
40 Jean Michaut est un personnage singulier dans l’histoire consulaire du Cameroun. Directeur général de la SHO au Cameroun, il est âgé de 31 ans en 1926 lorsqu’il compte déjà parmi les acteurs majeurs de la Chambre de commerce, d’agriculture et d’industrie du territoire. Il est élu pour la première fois président de cette institution le 11 juillet 1937 en remplacement de Charles Pereton disqualifié. Le 8 janvier 1939, devant partir pour une longue tournée, à l’intérieur du pays, à l’issue de laquelle il voyagera pour de longs congés en France, il demande à l’assemblée de lui désigner un successeur et présente sa démission. De retour au Cameroun, il est à nouveau élu président en 1941 en remplacement de Maurice Boucher, démissionnaire. Ce natif de Villefranche-sur-Saône dans le Rhône traverse une période critique à la fin de la décennie 1940. Suite à un différend interne, tous les membres de la Chambre démissionnent à la fin de l’année 1948. En attendant de trouver une solution à la crise, une commission de gestion ayant à sa tête Jean Gatignol, est chargée de gérer la période transitoire. À la surprise de tous, par lettre no 58/G du secrétaire général de la Chambre de commerce adressée au haut-commissaire de la République française en date du 3 avril 1950, celui-ci fait savoir que la commission de gestion de la Chambre de commerce, réunie en séance plénière le 26 mars 1950, a, à nouveau, désignée Jean Michaut président de la commission en remplacement Jean Gatignol parti en congé en France. Il demeure à ce poste jusqu’au 19 janvier 1957, date à laquelle il cède le poste de président de la Chambre de commerce et d’industrie du Cameroun à Roland Guiol.
41 BCCAIC, no 1, janvier 1955, p. 34.
42 Ibid., p. 94-95.
43 Lire l’arrêté no 8562 du 12 décembre 1955, portant institution au Cameroun d’une Chambre d’agriculture, de l’élevage et des forêts, ANY, 3AC2428, Chambre d’agriculture, de l’élevage et des forêts, création, 1955, et l’arrêté no 8563 du 12 décembre 1955 abrogeant l’arrêté no 1.161 du 24 mars 1949, portant institution d’une Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture au Cameroun, et instituant au Cameroun une Chambre de commerce et d’industrie, ANY, 1AC8680, Chambre de commerce et d’industrie du Cameroun, création, 1955.
44 Etaba Etoa D., Le Cameroun libre avec les Français libres, 1940, Yaoundé, Pucac, 2000, p. 25.
45 Abwa D., Cameroun. Histoire d’un nationalisme 1884-1961, Yaoundé, CLE, 2010.
Auteur
Dénis Christian Fouelefack Tsamo
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