Archéologie d’une fortification passagère de la fin du XVIIIe siècle à la Guadeloupe : la redoute d’Arbaud
The Archeology of a temporary fortification from the late 18th century in Guadeloupe: the redoubt d’Arbaud
p. 279-299
Résumés
En 2010, un large fossé isolant une plateforme d’environ 800 m2 est découvert dans une zone boisée au sud de la Basse-Terre en Guadeloupe. Il est alors émis l’hypothèse que ces vestiges correspondent à une fortification. La recherche menée en archives couplée à la réalisation de sondages archéologiques en 2010 et 2012 a permis de le confirmer. Il s’agit de la redoute d’Arbaud, fortification passagère construite à la fin du XVIIIe siècle. Elle s’insère dans un système défensif élaboré constitué des batteries côtières mais aussi d’autres redoutes et de retranchements destinés à lutter contre les débarquements ennemis. Elle est restée en fonction jusqu’en 1798 au moins avant d’être abandonnée.
In 2010, a wide ditch surrounding a platform about 1000 sq. yd was discovered in a wooded area in the south of Basse-Terre, in the island of Guadeloupe. It was hypothesized that these remains represent a fortification. Il was confirmed by research conducted in archives coupled with the realization of archaeological surveys in 2010 and 2012. Named redoubt d’Arbaud, this small temporary fortification was built at the end of the 18th century. It belongs to a defensive system compound of coastal batteries and other redoubts and entrenchments designed to prevent enemy landings. It was occupied at least until 1798, before being abandoned.
Texte intégral
1À l’occasion d’une prospection pédestre réalisée en avril 2010 sur la commune de Trois-Rivières en Guadeloupe, un fossé de plus de 5 m de large a été découvert dans une zone boisée à proximité des ruines de l’habitation Grande Anse. Il délimite une plateforme quadrangulaire de 32 par 21 m, soit 670 m2 environ.
2Cette enceinte se situe sur un rebord de crête à 200 m de la mer à vol d’oiseau (fig. 1). Perchée à 60 m d’altitude, elle domine le secteur : à l’ouest et au sud se trouve la baie de la Grande Anse, et à l’est la vallée encaissée de la rivière du même nom. Cette situation topographique remarquable nous a conduit à envisager la possibilité qu’il s’agisse d’un ouvrage militaire à caractère défensif. Des vestiges de murs découverts de part et d’autre du fossé pouvaient être le témoin d’un système de franchissement1.
3L’ensemble du secteur est un des plus anciens foyers de peuplement formés par les colons français puisque la paroisse de Trois-Rivières a été fondée dès 1640. Elle comprend alors deux foyers distincts, celui du Carbet et celui de Grande Anse, appelés à se fondre progressivement2. Des recherches en archives couplées à deux campagnes de sondages archéologiques menées en décembre 2010 et en février 2012 ont permis d’identifier et d’étudier les vestiges découverts3.
RECHERCHE DOCUMENTAIRE
4Nos recherches ont été réalisées prioritairement dans le fonds du Dépôt des Fortifications des Colonies (DFC) conservé aux Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM). Elles nous ont permis de découvrir un Mémoire abrégé sur les Fortifications de la Guadeloupe d’un auteur anonyme daté du 12 avril 1779, ainsi qu’une Carte de la basse-terre, Grande Anse des trois rivières et des Cotes adjacentes établie la même année. Le mémoire fait état des nouvelles fortifications mises en places à l’époque dans le sud de la Basse-Terre4.

1. Localisation du site (équidistance des courbes de niveau de 10 m).
5Ce renforcement des défenses militaires s’explique par la situation politique : le 6 février 1778 la France fait son entrée dans la guerre d’Indépendance américaine en signant un traité d’amitié et d’alliance avec les Provinces-Unies d’Amérique. Cette déclaration de guerre implicite contre la couronne britannique est suivie le 10 juillet de la même année d’une déclaration de guerre officielle. Les possessions anglaises étant très proches des territoires français dans la mer des Antilles, la zone allait donc devenir le théâtre d’opérations militaires et il était urgent de préparer la défense de la colonie. Le comte d’Arbaud, gouverneur de la Guadeloupe depuis 1775, en avait la charge et s’appuya sur les compétences de Labbé de Talsy, ingénieur militaire en chef issu de l’École royale du génie de Mézières, en poste aux îles depuis 17635. Les travaux de fortification furent réalisés de septembre 1778 à mars 1780 et leur coût total s’éleva à 900 000 livres pour l’ensemble de la Guadeloupe, une somme considérable.
6Certains secteurs stratégiques sont particulièrement concernés, comme la Grande Anse de Trois-Rivières6. Située à l’est de la ville de Basse-Terre, centre politique et économique de la Guadeloupe, cette anse qui présente une grande plage facilement accessible par la mer est le lieu le plus propice de toute la Côteau-Vent pour un débarquement. De plus, une fois que l’ennemi a mis pied à terre, il peut rejoindre assez facilement le plateau du Palmiste dans les hauteurs de l’actuelle commune de Gourbeyre. Celui-ci constitue un vaste réduit bien défendu destiné à mettre à l’abri la population civile en cas de conflit armé dans le secteur de Basse-Terre.
7La carte de 1779 susmentionnée représente l’ensemble des ouvrages défensifs nouvellement construits à la Grande Anse pour renforcer cette position. Des redoutes et des retranchements sont édifiés (fig. 2). Ces nouveaux ouvrages appartiennent à la fortification dite de campagne ou passagère destinée à renforcer des positions devant être occupées momentanément, pendant la durée d’une guerre par exemple.
8Alors que la fortification permanente est construite en maçonnerie pour durer dans le temps, la fortification de campagne utilise préférentiellement des matériaux du type bois et terre qui sont plus rapides à mettre en œuvre.
9L’ouvrage de fortification de campagne le plus commun est la redoute dont l’ingénieur militaire Cugnot donne la définition suivante dans un ouvrage publié en 1769 :
« On nomme redoute une espèce de petit fort fermé de toutes parts, que l’on fait ordinairement de figure carrée, et quelquefois de figure ronde. On fait des redoutes de différentes grandeurs, et de différents profils. Le parapet ne peut guère avoir moins de six pieds de hauteur, pour que les hommes, qui sont dans la redoute, ne puissent être vus d’aucun endroit de la campagne7. »
10L’enceinte découverte en avril 2010 se situe très précisément à l’emplacement de la redoute d’Arbaud. Elle est figurée sur la Carte de la basse-terre, Grande Anse des trois rivières et des Cotes adjacentes de 1779 par un quadrilatère entouré d’un large fossé présentant une interruption au nord qui correspond vraisemblablement à une passerelle. Cette représentation s’accorde donc en tout point aux vestiges découverts.
11La lecture du Mémoire abrégé sur les Fortifications de la Guadeloupe permet de comprendre la tactique militaire mise en œuvre afin de s’opposer à un éventuel débarquement ennemi à la Grande Anse de Trois-Rivières : une première ligne de défense est constituée de batteries en bord de mer appuyées par quelques retranchements (fig. 2). Certaines de ces batteries côtières ont été établies dès le début du XVIIIe siècle et sont représentées sur la carte de la Guadeloupe levée par les ingénieurs du roi entre 1764 et 17688.
12Les nouveaux ouvrages de fortification établis de 1778 à 1780 forment une seconde ligne de défense, plus en retrait sur les hauteurs, destinée à poursuivre le combat dans le cas où l’ennemi réussirait à mettre pied à terre et déborder les premières batteries. Quatre postes principaux la composent : la redoute d’Arbaud à l’ouest de la rivière de Grande Anse, et à l’est la redoute Gagneron, la batterie de Marre et la redoute du Bois.
13Le mémoire souligne l’importance de la redoute d’Arbaud dans ce dispositif puisqu’elle est susceptible d’être défendue longtemps encore après la prise par l’ennemi des autres postes de défense9. En 1779, elle est armée d’une pièce de calibre 18 et de deux pièces de calibre 610. De plus, elle est couverte par la batterie De Launay équipée de quatre pièces de calibre 18 et qui se situe en arrière, sur une position plus élevée (fig. 2).

2. Extrait de la Carte de la basse-terre, Grande Anse des trois rivières et des Cotes adjacentes, 1779. ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 351.
14Le 3 février 1783, un traité de paix est signé entre la France et la Grande-Bretagne. Il est suivi par le traité de Paris du 3 septembre 1783 conclu entre les Britanniques et les représentants des treize colonies américaines, lequel met un terme à la guerre d’Indépendance des États-Unis. Le traité de Versailles signé le même jour par la France, l’Espagne et la Grande-Bretagne est son pendant : aux Antilles, il permet à la France de conserver les îles de Guadeloupe, Martinique et Sainte-Lucie et de récupérer l’île de Tobago. Malgré la paix revenue, la redoute d’Arbaud est toujours fonctionnelle en 1785 puisqu’elle est décrite dans un mémoire réalisé par le lieutenant d’artillerie Thouvenot comme « un quarré irrégulier à la droite duquel correspond une branche de retranchement qui fortifie le coteau dans cette partie11 ».
15La Révolution française réactive les troubles, notamment dans les Antilles : une coalition de puissances européennes dont fait partie la Grande-Bretagne se forme en 1792 contre la France révolutionnaire (première coalition 1792-1797). En 1794, les Anglais attaquent la Guadeloupe.
16Après le débarquement de plus de 3 000 hommes en Grande-Terre au Gosier, le gouverneur Collot tente d’organiser la défense de la Basse-Terre, dont le secteur de Trois-Rivières. Dès le 16 avril, les servants de la batterie Grande Anse, craignant probablement un débarquement anglais, abandonnent leur poste après avoir encloué les canons et jeté leurs munitions à la mer12. Collot ordonne à un lieutenant accompagné de ce qu’il reste de la compagnie de Roger13 de prendre position à la redoute d’Arbaud. Parallèlement, plusieurs compagnies de chasseurs sont postées sur les hauteurs de Trois-Rivières. Le lendemain, une escadre de navires anglais se présente devant la Grande Anse mais poursuit sa route en direction de Vieux-Fort, dépasse le fort Saint-Charles de Basse-Terre et se dirige vers Baillif.
17Impuissants, les servants des batteries côtières de la Grande Anse ont ordre de se replier sur les hauteurs à la batterie De Launay. Cette batterie et la redoute d’Arbaud sont toujours défendues par les soldats qui n’ont pas déserté. Il ne reste alors à la redoute d’Arbaud qu’une partie des effectifs de la compagnie du capitaine Roger, et une partie des chasseurs de la compagnie du capitaine Icard14, laquelle est désormais commandée par un certain Belonneau, Icard étant passé à l’ennemi. Le 18 avril, la totalité des effectifs encore présents à la redoute d’Arbaud se replient au Morne Boucanier, sorte d’avant-poste du réduit du Palmiste, sur l’actuelle commune de Gourbeyre. L’escadre anglaise débarque ses hommes à l’ouest de la ville de Basse-Terre, à Baillif, ce qui précipite la défaite française. Quelques jours plus tard, le gouverneur Collot capitule et quitte la Guadeloupe pour les États-Unis, les Anglais deviennent maîtres de l’ensemble de la colonie.
18Une carte de la Guadeloupe établie quatre ans plus tard en 1798 représente l’ensemble des ouvrages défensifs opérationnels15. Dans le secteur de la Grande Anse de Trois-Rivières, cinq batteries côtières sont représentées ainsi qu’une unique redoute qui, au vu de la localisation, correspond sans doute à la redoute d’Arbaud. Cependant son rôle défensif est désormais moindre puisqu’elle n’est plus armée de canons.
19La nouvelle attaque anglaise contre la Guadeloupe en 1815 lors de la septième coalition vient confirmer l’importance stratégique de la plage de la Grande Anse puisque 5 000 soldats anglais y débarquent. Les trois compagnies de soldats français massées sur la côte pour tenter de s’y opposer doivent se replier devant la puissance de feux de l’armée ennemie mais aussi en raison du « terrain découvert et sans abri16 ». Il semble donc qu’à cette époque, plus aucune redoute ni retranchement ne soient établis dans ce secteur.
20Une carte de 1845, issue du DFC, représente l’ensemble des fortifications en fonction aux environs de la ville de Basse-Terre, mais également les anciens ouvrages qui ne sont plus utilisés. À la Grande Anse de Trois-Rivières, les redoutes d’Arbaud, Gagneron et Du Bois ainsi que plusieurs batteries comme De Launay et Bouillé font partie de cette dernière catégorie. Il est fort probable qu’à cette époque, les vestiges de ces anciens ouvrages référencés sur la carte apparaissent encore clairement dans le paysage. Seules les batteries côtières de Cassecou, Quétel et de la Grande Anse sont toujours en fonction17.
LES SONDAGES ARCHÉOLOGIQUES
21Les sondages archéologiques réalisés avaient pour objectif premier de confirmer l’identification du site suggérée par la recherche d’archives. Il s’agissait de sonder le fossé afin d’étudier son profil et son comblement, et de vérifier la présence d’un dispositif de franchissement au nord de l’enceinte. Un sondage était également souhaitable dans celle-ci afin d’étudier les vestiges éventuels du parapet, de batteries ou encore de bâtiments. Enfin, le matériel archéologique recueilli était susceptible de vérifier la période d’utilisation de cette fortification.
22Trois sondages archéologiques ont été ouverts en 2010, puis trois autres lors d’une seconde campagne de fouille menée en 2012 (fig. 3). Leur implantation a été en partie conditionnée par la présence d’arbres qui ne pouvaient être abattus. Une mini-pelle mécanique a été utilisée pour réaliser les sondages dans le fossé et pour le décapage en 2012.

3. Plan d’ensemble du site avec localisation des six sondages archéologiques réalisés en 2010 et 2012.
Campagne de 2010
Le sondage 1
23D’une superficie totale de 10 m2, ce sondage a mis au jour un plan incliné rectiligne constitué de gros galets de rivière. Large au maximum de 0,75 m et présentant un angle de 30 degrés par rapport au sol, il traverse l’ensemble du sondage suivant un axe globalement nord-sud (fig. 4). Il constitue une séparation entre deux unités stratigraphiques différentes : à l’ouest, quelques centimètres seulement sous le niveau du sol actuel, un radier composé exclusivement d’éclats de pierres aux arêtes vives associé par endroits à du mortier de chaux est apparu (US 1001). À l’est, une couche de terre argileuse indurée venant butter contre la base du plan incliné a été mise au jour (US 1002).

4. Vue vers le sud du sondage 1, plan incliné fait de gros galets de rivière, interprété comme l’extrémité d’une plateforme à canon.
24En raison de sa localisation à 8,50 m du bord du fossé, il est exclu que la structure découverte corresponde au bord de la banquette inclinée qui contrebute habituellement, côté intérieur, les parapets des retranchements de campagne (fig. 14). Une largeur aussi conséquente du parapet réduirait en effet considérablement l’espace intérieur de la redoute. Différents éléments portent à croire que ce plan incliné est plutôt lié à la présence d’une batterie. La nature du radier inadaptée à la circulation des personnes et la découverte de nombreux clous en fer forgé à sa surface nous conduisent à penser qu’il était destiné à obtenir une assise relativement plane pour accueillir une structure en bois du type plateforme à canon. En effet, nous savons par les archives que la redoute d’Arbaud était armée de plusieurs pièces, qui reposaient en général dans les fortifications passagères sur des plateformes faites de madriers. La plateforme n’est pas obligatoirement très élevée s’il s’agit d’une batterie à embrasure : des ouvertures sont pratiquées dans le parapet afin de pouvoir tirer au travers. Par contre sa dimension est conséquente puisqu’elle est souvent aussi large que le parapet lui-même. L’exemple figuré dans l’ouvrage de Cugnot présente une plateforme de 3 toises de longueur (5,85 m) par 1,5 à 2,5 toises de largeur (2,90 à 4,90 m) (fig. 5).

5. Parapet à embrasures et plateformes à canon, d’après Cugnot N.-J., La fortification de campagne théorique et pratique ou traité de la science, de la construction, de la défense et de l’attaque des retranchements, Paris, Jombert, 1769, planche VII, p. 144.
25Ainsi, le plan incliné découvert correspond sans doute à l’extrémité d’une plateforme de tir, côté intérieur de la redoute. Composé de solides pierres, ce plan incliné est destiné à faciliter le hissage du lourd canon sur la plateforme.
26Une batterie à embrasure fouillée sur une fortification passagère à Québec il y a quelques années, au fort Jacques Cartier, constitue un bon élément de comparaison : en arrière de l’embrasure d’un parapet, un radier comparable à celui que nous avons découvert est interprété comme une assise de plateforme en bois pour un canon18. De nombreux clous en fer forgés ont là aussi été découverts lors de la fouille du radier.
Le sondage 2
27Le sondage 2 implanté dans le fossé a été réalisé partiellement à la mini-pelle mécanique. Le premier travail effectué manuellement a consisté à dégager le muret de pierre sèche bordant le fossé. D’une élévation maximale de 0,70 m, il a été monté sur un remblai très compact d’environ 0,40 m d’épaisseur probablement destiné à obtenir une surface d’assise bien plane (US 2003). Ce remblai repose sur le rocher dans lequel le fossé a été creusé comme l’illustrent les traces de pics encore nettement visibles (fig. 6).
28Le comblement supérieur du fossé est apparu après enlèvement de la terre végétale. Il est composé dans la partie nord du fossé d’un mélange compact argileux de terre orangée provenant du substrat et de terre brune, ne comprenant que peu de pierres (US 2004) (fig. 7). Cette couche résulte en grande partie du comblement progressif du fossé par colluvionnement. Une balle de mousquet de 16 mm de diamètre y a été découverte lors de la fouille.
29Dans la moitié sud du fossé, le comblement se compose de pierres de moyen module associées à de très nombreux fragments de mortier de chaux et à des fragments de briques (US 2005). La plus importante densité de pierres et de mortier se situe au pied de la paroi rocheuse. Cette unité stratigraphique résulte de la destruction de la porte maçonnée de la redoute dont les matériaux sont venus combler partiellement le fossé (voir infra). Elle repose sur le substrat rocheux, on note toutefois la présence d’une interface peu épaisse constituée d’une terre sableuse brun-clair dans laquelle un fond de bouteille carré en verre typique d’une fabrication française de la seconde moitié du XVIIIe siècle a été découvert, ainsi qu’une pièce cassée en bronze qui n’a pu être identifiée (US 2006).

6. Vue vers le nord du sondage 2, muret de pierre sèche reposant sur un remblai compact (US 2003) et traces dans la roche de pics ayant creusé le fossé.

7. Relevé de la coupe stratigraphique nord-sud (GF) du sondage 2.
30Une fois cette strate fouillée, le rocher est devenu visible dans l’ensemble du sondage. Cependant, deux traces linéaires larges d’une trentaine de centimètres chacune sont apparues. Elles se coupent à angle droit, l’une étant parallèle au bord du fossé et l’autre perpendiculaire. Elles correspondent à des creusements verticaux taillés dans le rocher (fig. 6). Dans le niveau supérieur du comblement de ces deux tranchées qui ont pu être fouillées, un boulet de canon de petit calibre a été mis au jour à l’endroit où elles s’intersectent. Il mesure 9 centimètres de diamètre pour un poids de 2 553 g. Le calibre du canon étant déterminé par le poids du boulet en livres (1 livre = 489,5 g), il est donc destiné à un canon de calibre 5. Or, sur l’ensemble des 225 pièces d’artillerie utilisées pour la défense de la Basse-Terre en 1779, un seul canon de ce calibre non réglementaire est mentionné19. Il s’agit d’une pièce de campagne, destinée donc à équiper un régiment mobile. Si la redoute d’Arbaud en 1779 est équipée d’une pièce de calibre 18 et deux pièces de calibre 6, il est possible que sa défense ait été ponctuellement renforcée par une ou plusieurs pièces de campagne comme le suggère la découverte de ce boulet.
31La fouille des deux tranchées creusées dans le rocher a dû être effectuée entièrement manuellement en raison de leur faible largeur. La première tranchée située au milieu du fossé et parallèle à ses bords est profonde de 0,95 m et présente un fond plat (fig. 7). Les traces de l’outil utilisé pour la creuser sont très nettement visibles : elles forment des croisillons bien marqués. Cette tranchée se poursuit vers l’est et l’ouest comme l’indique l’observation des coupes du sondage. Elle est interprétée comme la tranchée de fondation d’une palissade défensive. Ce type d’ouvrage est décrit par Cugnot dans son traité sur la fortification de campagne. Il précise que le préalable à son implantation est la réalisation d’une tranchée de 3 à 4 pieds de profondeur, soit de 0,97 à 1,30 m, ce qui correspond bien aux vestiges que nous avons découverts. De plus, une source d’archive datée de 1782 confirme que la redoute d’Arbaud est palissadée, sans toutefois plus de détail20. La palissade devait en toute logique enserrer entièrement la redoute, ce qu’a permis de confirmer le sondage 2 réalisé en 2012 (voir infra).
32La seconde tranchée a un fond moins régulier puisque trois surcreusements sont nettement observables : le premier, collé contre la paroi rocheuse sud qui constitue le bord du fossé, a une profondeur de 1 mètre par rapport au sommet du substrat (TP 1, fig. 8). Il se poursuit vers l’ouest, hors sondage. Le deuxième surcreusement de forme oblongue est profond de 0,80 m par rapport au sommet du substrat (TP 2). Le troisième dans la partie nord de la tranchée est beaucoup moins marqué que les deux précédents (TP 3).
33Cette tranchée est à mettre en relation avec la passerelle qui enjambait le fossé à cet endroit. Les creusements observés correspondent à l’emplacement de poteaux verticaux sur lesquels elle reposait : la grande largeur du fossé ne permet pas en effet d’asseoir une passerelle de chaque côté du fossé sans poteaux porteurs intermédiaires. Le creusement le plus au nord de forme carré est à peine marqué, profond seulement d’une dizaine de centimètres (TP 3, fig. 8). Il est possible que le poteau soit ici ancré peu profondément afin de pouvoir, en cas de danger, le faire tomber et rendre inutilisable la passerelle. Le sondage n’a mis au jour qu’une des deux rangées de poteaux qui supportaient la passerelle : une seconde existe sans aucun doute plus à l’ouest.

8. Relevé du sondage 2 en plan et profils, fondations de la passerelle d’accès à la redoute et tranchée d’implantation d’une palissade défensive.
Le sondage 3
34Le sondage 3 a permis d’étudier partiellement la porte de la redoute s’ouvrant dans le parapet. Seul le côté ouest de la porte était accessible à la fouille, son côté est étant situé sous un arbre de belle taille.
35Un parement maçonné constitué de pierres de module variable liées au mortier de chaux a été découvert. Le sommet de ce mur est apparu immédiatement sous la surface du sol actuel, certaines pierres étant déjà affleurantes (fig. 9). La quantité importante de fragments de briques découverte avec les pierres dans le comblement du fossé en contrebas suggère que ce matériau a aussi été utilisé, même si aucune brique n’a été trouvée en place dans le mur.
36La fouille menée à l’est du mur a permis de retrouver le niveau originel de circulation à 0,60 m de profondeur par rapport au sol actuel. Il correspond au substrat rocheux qui, selon toute vraisemblance, a été taillé pour être aplani. Aucune tranchée de fondation n’est visible, le mur reposant directement sur le rocher. À l’extrémité sud du sondage, une pièce de bois prise dans la maçonnerie a été mise au jour. Elle correspond à une planche ou une poutre large de 0,10 m et dont la longueur apparente est de 0,40 m.

9. Vue d’ensemble du sondage 3, vers le sud. Vestiges du mur ouest de la porte de la redoute d’Arbaud (taillé dans le rocher, le négatif d’une poutre qui appartenait à la passerelle).
37Au bord du fossé, dans le prolongement du parement du mur, un creusement rectiligne et régulier taillé dans le rocher est apparu : large de 0,20 m, long de 0,50 m et profond de 0,10 m, il correspond sans doute à l’emplacement d’un madrier de bois appartenant à la passerelle qui enjambait le fossé (fig. 9). Cette hypothèse est renforcée par la prise de niveaux à la lunette de chantier puisqu’une différence de seulement 0,27 m existe entre le fond de ce négatif de poutre et le sommet du muret de pierre sèche situé de l’autre côté du fossé, ce qui rapporté à la distance de 8 m séparant les deux est tout à fait négligeable. On peut en conclure la fonction du muret au-dessus duquel la passerelle reposait sur le bord nord du fossé : il contrebute les terres pour obtenir une assise solide et éviter l’érosion qui risquerait de déstabiliser l’ouvrage.
Campagne de 2012
Le sondage 4
38Le sondage 4 a été ouvert dans le fossé à l’aide d’une mini-pelle mécanique (fig. 10). Il a permis d’obtenir un profil complet du fossé sur le côté ouest de la redoute, endroit militairement le plus sensible dans la mesure où il est orienté vers la plage de la Grande Anse. Il présente un fond plat de près de 5 mètres d’ouverture, au milieu duquel une tranchée large de 0,33 m et profonde de 0,75 à 0,88 m a été mise au jour (fig. 11). Des surcreusements circulaires apparaissent nettement dans le fond. Cette tranchée, déjà observée dans le sondage 2, vient confirmer l’existence d’une palissade de rondins de bois établie dans le fossé sur l’ensemble du pourtour de la redoute.

10. Vue d’ensemble du sondage 4 ouvert dans le fossé de la redoute, sur son côté ouest.
39À l’inverse de ce qui a été observé dans le sondage 2, le comblement du fossé se caractérise ici par une très faible densité de pierres et l’absence totale de fragments de mortier de chaux. Le parapet n’était donc probablement maçonné que dans le secteur de la porte. Il faut noter la découverte d’un unique fragment de faïence sur le fond du fossé, attribuable au XVIIIe siècle et pouvant être de provenance hollandaise.

11. Relevé de la coupe stratigraphique ouest-est (AB) du sondage 4, fossé de la redoute.
Le sondage 5
40L’absence de microrelief sur le pourtour de l’enceinte suggérait que le parapet avait été arasé à une date inconnue. Le sondage 5 est venu le confirmer : les matériaux le composant ont été récupérés, probablement lors de l’installation de l’habitation Grande Anse toute proche. Sa construction, postérieure au milieu du XIXe siècle, a en effet nécessité la réalisation préalable d’une vaste terrasse par apport de remblai, contrebutée par un solide mur de soutènement21. La datation est corroborée par la découverte de fragments de céramique de la fin du XIXe siècle et d’un fer à cheval reposant sur le niveau d’arasement du parapet.
41Les auteurs anciens décrivent l’utilisation de fascines pour la construction des parapets : il s’agit de sorte de fagots de branchages longs de 2 m environ (une toise). Empilés les uns sur les autres et fixés entre eux, ils remplacent un parement de pierres : on comble de terre l’espace délimité par deux rangées de fascines afin de constituer l’âme du rempart. D’autres techniques comme le gabionnage, le clayonnage et le gazonnage22 sont parfois utilisées.
42Un des objectifs du sondage 5 était d’observer les traces éventuelles de ces dispositifs, sans succès. Malgré le degré d’arasement important du parapet, différentes observations ont toutefois pu être réalisées : une zone de mortier de chaux a été découverte, laquelle correspond sans doute à l’angle intérieur nord-ouest de l’espace enclos (US 5003, fig. 12). Elle est bordée par une série de pierres de gros et moyen module mélangée à une terre argileuse jaune qui constituent probablement les ultimes vestiges du parapet (US 5002). La nature de ces pierres, identique au substrat, indique qu’elles ont été extraites lors du creusement du fossé. L’extension de la matrice argileuse s’interrompt deux mètres avant le fossé ce qui peut indiquer l’existence à l’origine d’une berme23 entre le pied du talus extérieur et le bord intérieur du fossé.
43Des empreintes rectangulaires apparaissent nettement dans le mortier, à intervalles réguliers, au plus près des vestiges du parapet (fig. 13). Longues de 30 à 40 cm pour une largeur de 18 à 30 cm, elles pourraient correspondre au négatif de contreforts en maçonnerie, destinées à contrebuter une paroi faites de planches par exemple, retenant le blocage de terre et de pierres constitutif du parapet. Aucun exemple d’un mode de construction comparable pour un parapet n’a cependant pu être trouvé lors de notre recherche d’archives. D’autres hypothèses seraient à examiner, comme l’existence d’une structure maçonnée dans les angles de la redoute qui constituent défensivement le point faible de ce type de fortification.
44Plus d’une vingtaine de fragments de pierres de taille ont été découverts lors du dégagement du niveau de mortier. Il s’agit d’andésite, roche volcanique locale, absente cependant des abords immédiats du site. Le grain fin de cette roche autorise une taille soignée : certains fragments présentent sur leur bord une ciselure de 3 cm de large, classique de la chaîne opératoire suivie par les tailleurs pour obtenir des surfaces bien planes24. La grande majorité de ces fragments, d’une grandeur variable, présente deux surfaces planes perpendiculaires, avec parfois des traces de mortier.

12. Vue d’ensemble du sondage 5, vers le nord. Angle nord-ouest de la redoute avec vestiges du parapet et zone de mortier.

13. Sondage 5, empreintes rectangulaires dans le mortier de chaux et vestiges du parapet.
45On peut souligner que l’utilisation de pierres de taille pour une fortification passagère est surprenante, et il y a lieu de se demander si elles ne se trouvent pas ici en remploi : le secteur de la Grande Anse de Trois-Rivières est d’ailleurs un des plus anciens foyers de peuplement de la Guadeloupe, occupé dès le XVIIe siècle, et ces pierres pourraient provenir d’anciennes constructions des environs.
46Compte tenu de l’arasement important du parapet, il est malheureusement impossible d’avoir des certitudes quant à la nature des empreintes observées dans le mortier, ou concernant la destination des pierres de taille dont nous avons mis au jour de nombreux fragments.
Le sondage 6
47Ce sondage a étendu le sondage 1 ouvert en 2010 et a permis d’observer la continuité vers l’ouest du plan incliné appartenant à la plateforme à canons. L’ensemble du secteur est toutefois très arasé et seulement quelques pierres et traces de mortiers subsistent.
48À l’extrême nord du sondage, une maçonnerie de quelques centimètres d’élévation seulement a été observée (M2). Son orientation et sa localisation suggèrent qu’elle est liée à la porte de la redoute ; elle est en effet parallèle au mur du côté ouest de la porte mis au jour en 2010 (M1). Il s’agit vraisemblablement des vestiges du côté est de la porte, ce qui permet donc d’évaluer à 2 mètres environ la largeur du passage ménagé dans le parapet. L’ensemble du secteur compris dans l’axe de la porte se distingue par une terre de couleur blanche en raison de la présence de très nombreux nodules de mortier de chaux (US 6002). L’extension de cette unité stratigraphique est bien délimitée.
49Une troisième maçonnerie, très arasée, a été mise au jour entre les vestiges du côté ouest de la porte et le plan incliné appartenant à la plateforme à canon (M3). Son état ne permet pas de formuler une hypothèse quant à sa fonction.
SYNTHÈSE ET INTERPRÉTATIONS
50La redoute d’Arbaud est l’illustration des modèles d’ouvrages défensifs dont la construction est décrite dans de nombreux traités sur les fortifications des XVIIe et XVIIIe siècles à l’usage des ingénieurs militaires.
51Certains traités consacrés plus particulièrement à la fortification passagère indiquent que les redoutes les plus petites ont 6 toises de côté intérieur (11,70 m) et les plus grandes 16 toises (31 m)25. La surface enclose conditionne bien entendu le nombre d’hommes qu’elle peut abriter. Pour calculer la capacité d’une redoute, il faut mettre au carré la longueur en toise d’un côté intérieur du parapet, ce qui donne le nombre d’hommes qu’elle peut accueillir. Même si nous ne connaissons pas avec précision la largeur du parapet de la redoute d’Arbaud nécessaire pour déterminer la longueur du côté intérieur, il est tout de même possible de l’estimer grâce aux exemples que nous avons pu collecter lors de nos recherches en archives. Il faut ensuite faire une moyenne entre les deux côtés puisque la redoute est plutôt rectangle que carrée. Nous aboutissons à un côté intérieur inférieur à 11 toises, soit une capacité totale pour la redoute de 115 hommes environ, ce qui fait de la redoute d’Arbaud un ouvrage de taille moyenne pour ce type de fortification.
52Il est peu probable que ces hommes soient cantonnés en permanence dans l’ouvrage. La rareté du mobilier archéologique découvert tend d’ailleurs à le démontrer. La redoute doit être occupée à son maximum de capacité en cas de risques sérieux d’attaque. Cet ouvrage doit néanmoins être régulièrement entretenu afin qu’il soit en permanence opérationnel.
53Comme l’atteste une lettre du gouverneur de la Guadeloupe en 1765, des ouvriers spécialisés sont venus de métropole à la demande des autorités afin de travailler à la défense de la colonie : charpentiers, maçons, tailleurs de pierre et charrons sont les corps de métiers ayant participé à la construction des ouvrages de fortification26. Les navires venant de France y ont également débarqué du matériel comme les brouettes nécessaires aux importants travaux de terrassement. La main-d’œuvre servile a été mise à contribution pour ces travaux : l’administration imposait aux esclaves des corvées ou les louait à leurs maîtres. Ils pouvaient aussi parfois être mis à disposition gratuitement par des habitants soucieux d’assurer la sécurité de leurs biens27.
54Les sondages ont permis de confirmer l’existence d’une porte au nord-ouest de la redoute et d’une passerelle enjambant le fossé. Sur le plan de 1779, il apparaît clairement que la face nord de la redoute est la moins exposée au feu de l’ennemi, d’autant que sa protection est renforcée par un retranchement linéaire orienté nord-ouest - sud-est. Il est donc logique que l’accès soit positionné à cet endroit, permettant une retraite ou l’arrivée de renforts de manière sécurisée.
55Au niveau de la porte, le sondage 3 a prouvé que la base du parapet est conservée sur 0,60 m d’élévation. Il est maçonné à la chaux mais cela résulte d’un traitement différencié dans ce secteur particulier : il est nécessaire d’éviter que le bord du parapet ne s’érode et vienne obstruer le passage. L’emploi de la maçonnerie pour la porte peut aussi faciliter l’implantation de la barrière qui ferme l’accès de la redoute.
56Pour le reste de la redoute, le parapet a été édifié avec les matériaux issus du creusement du fossé comme le prouvent à la fois l’étude de son comblement et les vestiges observés dans le sondage 5. Nous n’avons pu déterminer avec certitude le mode de construction utilisé pour le parapet compte tenu de son état d’arasement important.
57Les sondages ont permis d’observer les aménagements destinés à asseoir la passerelle qui enjambait le fossé : les trous creusés dans le rocher sur le fond du fossé correspondent à l’emplacement d’une des deux rangées de poteaux qui la soutenaient. Le tablier de la passerelle reposait au nord du fossé au-dessus d’un muret de pierre sèche destiné à en assurer l’assise, faisant donc office de culée. Au sud, l’extrémité des deux madriers principaux du tablier de la passerelle venait se loger dans des emplacements taillés dans le rocher.
58Grâce au sondage 4 une restitution du profil du fossé peut être proposée (fig. 14). L’existence d’une palissade implantée en son milieu s’explique par la déclivité de près de 7 mètres existante entre le fond du fossé et le sommet estimé du parapet. En effet, les assaillants une fois parvenus dans le fossé sont à l’abri du feu des soldats défendant la redoute. La palissade est destinée à les ralentir mais surtout les oblige à se découvrir lors de son franchissement, les exposant aux tirs. Les ouvrages anciens traitant de la fortification de campagne représentent fréquemment des palissades de 2,50 m de hauteur.
59Outre une palissade, la redoute d’Arbaud était pourvue d’une fraise comme l’atteste une source d’archive28. Il s’agit « d’un rang de pieux qui garnit une fortification de terre par-dehors, vers le milieu du talus, et qui présente la pointe à l’ennemi29 », que nous avons donc représentée dans notre proposition de restitution. Le profil du parapet retenu est celui le plus couramment représenté dans les ouvrages anciens traitant de la fortification passagère.

14. Restitution du profil du fossé de la redoute d’Arbaud, côté ouest (dessin, T. Yvon).
CONCLUSION
60Les recherches d’archives couplées aux sondages archéologiques ont permis d’identifier et d’étudier un ouvrage de fortification passagère du XVIIIe siècle du type redoute de campagne, dont très peu d’exemplaires ont été fouillés à ce jour en France. Leur mode de construction utilisant majoritairement terre et bois explique sans doute le faible nombre de sites parvenus jusqu’à nous. Il induit aussi une plus grande difficulté pour en repérer les vestiges, comparativement aux ouvrages de fortification permanente.
61La redoute d’Arbaud construite en 1779 pendant la guerre d’Indépendance américaine est toujours opérationnelle lors de la période révolutionnaire et de l’attaque anglaise contre la Guadeloupe en 1794. En 1798, son rôle défensif est moindre puisqu’elle ne dispose plus de canons. Elle est définitivement abandonnée probablement au début du siècle suivant.
62Cet ouvrage illustre le travail réalisé dans les colonies françaises par les ingénieurs militaires issus de l’École royale du génie de Mézières dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils ont implanté outre-mer les modèles de fortification déjà éprouvés en Europe et qui leur ont été enseignés lors de leur formation.
63Si différentes études portant sur les batteries ont été réalisées en Guadeloupe, elles n’ont pas réellement abordé la question des fortifications passagères30. Retranchements et redoutes sont pourtant venus renforcer ponctuellement les ouvrages de fortification permanente dont les batteries côtières avec parapet maçonné constituent sans doute l’exemple le plus commun dans l’archipel. Ces deux types de fortification ne doivent pas être dissociés l’un de l’autre puisqu’ils font souvent partie d’un même système défensif, comme c’est le cas pour la Grande Anse de Trois-Rivières.
Notes de bas de page
1 Des ouvrages spécifiques sont destinés à franchir les fossés de fortification. Si l’utilisation du pont-levis est répandue pour les fortifications permanentes, la passerelle en bois est le système le plus courant pour les fortifications passagères.
2 Adelaïde-Merlande J., Histoire des Communes Antilles-Guyane, vol. 6, Point-à-Pitre, Pressplay, 1986.
3 Les sondages archéologiques ont été réalisés dans le cadre d’une opération de fouille programmée cofinancée par la Région Guadeloupe et la direction des Affaires culturelles de Guadeloupe. Que soient ici remerciées ces deux institutions ainsi que les nombreux bénévoles ayant participé au chantier.
4 Archives nationales d’outre-mer (désormais ANOM), Dépôt des Fortifications des Colonies (désormais DFC), Guadeloupe, carton 28, no 350 et no 351.
5 ANOM, fonds Colonies (désormais COL) E 236, dossier personnel de Labbé de Talsy Lazare, lieutenant-colonel au corps royal du Génie, employé à la Guadeloupe, 1748-1782.
6 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 367, Mémoire de la dépense qui a été faite pour la construction et la continuation des ouvrages de campagne tant aux environs de fort Saint-Charles que sur les rivières des Pères, de Sence, du Gallion, à la Point-à-Pitre, aux Trois-Rivières et aux Saintes depuis la déclaration de guerre, 1780.
7 Cugnot N.-J., La fortification de campagne théorique et pratique ou traité de la science, de la construction, de la défense et de l’attaque des retranchements, Paris, Jombert, 1769, p. 17.
8 Service Historique de la Défense (désormais SHD), Vincennes, 7B 123, Carte de la Guadeloupe levée par les ingénieurs des camps et des armées du roi de 1764 à 1768 à l’échelle de 6 lignes pour 100 toises.
9 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 350, 1779.
10 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 346, Distribution de l’artillerie pour la défense de la Basse-Terre par le comte d’Arbaud, 1779. Le canon de 18 a une portée moyenne de 1 350 mètres et le canon de 6 une portée moyenne de 1 050 mètres.
11 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 398, Itinéraires des routes que pourrait tenir un ennemi qui attaquerait la Basse-Terre par le côté du Baillif ou les Trois-Rivières, M. Thouvenot, 1785.
12 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 29, no 449, Journal des opérations durant le siège, gouverneur Collot, 1794.
13 Jean Roger est un militaire originaire du Languedoc qui participa en tant que membre du régiment de la Guadeloupe au siège de Savannah en 1779 durant la guerre d’Indépendance américaine. En 1791, il est capitaine, commandant une compagnie de chasseurs dans le régiment de la Guadeloupe. Cette compagnie dispose alors de 76 hommes (ANOM, D2C 281, régiment de la Guadeloupe 1772-1793).
14 Joseph Icard est un métis libre tailleur d’habits à Basse-Terre qui est nommé par Collot capitaine de la 3e compagnie du 2e bataillon le 24 janvier 1794. Il déserte le 16 avril 1794 (Adélaïde-Merlande J. [dir.], La rébellion de la Guadeloupe 1801-1802, Gourbeyre, Archives départementales de la Guadeloupe, 2002, p. 74).
15 ANOM, DFC, Guadeloupe, 453A, Carte militaire dressée pour le site et le Tableau Général des Fortifications et Batteries de côtes (an VI).
16 Boyer-Peyreleau E.-E., Les Antilles françaises, particulièrement la Guadeloupe, depuis leur découverte jusqu’au 1er janvier 1823, vol. 3, Paris, Brissot-Thivars, 1823, p. 385.
17 ANOM, DFC, Guadeloupe, 931A, Plan des environs de la Basse-Terre, par S. Durand (1845) ; les vestiges du parapet de la batterie Cassecou et de la batterie de la Grande Anse subsistent encore.
18 Santerre S., Histoire et archéologie du fort Jacques-Cartier : 1759-1760. Son rôle dans la défense de la colonie après la prise de Québec, mémoire de maîtrise en archéologie, non publié, université Laval (Québec), 2008, p. 98-102.
19 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 346, 1779.
20 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 378, 1782.
21 La date précise de construction de l’habitation Grande Anse nous est inconnue, mais elle n’existe pas encore en 1845 lorsqu’une carte du secteur est établie ; ANOM, DFC, Guadeloupe, 931A, 1845.
22 Le gabionnage est la technique qui consiste à empiler de grands paniers cylindriques sans fond et les bourrer de terre afin de former le parapet de protection. Le clayonnage consiste à planter des piquets au sol et les relier par un entrelacs de branchages qui maintiendra les terres du parapet. Enfin, le gazonnage consiste à revêtir de mottes de gazon la face extérieure d’un parapet en terre afin d’en limiter l’érosion.
23 La berme est l’espace qu’on laisse entre l’escarpe du fossé et le parapet pour recevoir les terres qui peuvent s’ébouler.
24 Ferdière A. (dir.), La construction. La pierre, Paris, Errance, coll. « Archéologiques », 1999, p. 47-50.
25 de la Mamie Clairac L.-A., L’ingénieur de campagne, ou traité de la fortification passagère, Paris, Jombert, 1757.
26 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 27, no 215, État des objets de service nécessaires à la Guadeloupe, Nolivos, 25 décembre 1765.
27 Marion G.-G., L’administration des finances en Martinique, 1679-1790, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 710-722.
28 ANOM, DFC, Guadeloupe, carton 28, no 378, Critique sur les ouvrages militaires de la Guadeloupe, M. de la Barre, (1782).
29 Dictionnaire de l’Académie française, t. I, Lyon, chez Joseph Duplain, 1776, p. 547.
30 Kissoun B., Prospection thématique : inventaire des batteries de la Guadeloupe proprement dite, communes de Trois-Rivières à Pointe-Noire, 2 tomes, rapport non publié no 130, Service régional de l’archéologie de Guadeloupe, 1999 ; Vidal J., Défense côtière de la Guadeloupe du XVIIe siècle au milieu du XIXe siècle : les batteries de la Grande-Terre, étude et inventaire, 2 tomes, rapport non publié no 362, Service régional de l’archéologie de Guadeloupe, 2007 ; Vidal J., Défense côtière de la Guadeloupe du XVIIe siècle au Second Empire : les batteries d’artillerie de la Côte au Vent et du Sud Basse-Terre, rapport de prospection, rapport non publié no 394, Service régional de l’archéologie de Guadeloupe, 2008.
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