1Le vaste espace terrestre et maritime que nous appelons ici « Méditerranée atlantique » est délimité à l’est par une ligne Alger-Majorque-Barcelone, à l’ouest par les archipels atlantiques des Canaries et des Açores, au sud par les limites septentrionales du Sahara, et au nord par les Pyrénées. C’est une région géostratégique de première importance pour le contrôle du Sud-Ouest de l’Europe et du Nord-Ouest de l’Afrique. Le Maroc et l’Espagne sont les deux États principaux de la région dans un espace clairement dominé par la France et le Royaume-Uni. Après les crises de 1905 et de 1911 avec l’Allemagne, la France réussit à établir son protectorat sur le Maroc en 1912, avec la bienveillance du Royaume-Uni (présent à Gibraltar et allié principal du Portugal) et finalement l’accord de l’Espagne, qui prétendait également assouvir au Maroc ses dernières ambitions impériales après la perte de Cuba et des Philippines en 1898. L’Espagne obtient tout de même quelques compensations. Le traité franco-espagnol du 27 novembre 1912 délimite une zone d’influence espagnole au nord du Maroc, essentiellement dans le massif du Rif, et une petite zone d’occupation à l’extrême sud, autour de Tarfaya, le long de la frontière avec le Seguiet el Hamra. Mais la part espagnole est bien plus petite que prévue, et les promesses de l’accord secret de 1904 sont revues à la baisse. La frontière entre les deux zones est ramenée de près de 100 km au nord et la ville de Fès est exclue de la zone espagnole, qui s’étend donc de l’oued Loukhos à l’ouest jusqu’à l’oued Moulouya à l’est, sur 19 655 km².

« Les territoires du nord se réduisaient à des plaines arides à l’est, des rochers pelés et abrupts au centre et au sud, à des altitudes qui rappellent celles de la Sierra Nevada, quelques petites zones labourables sur la côte atlantique et des petites vallées fertiles le long des rivières qui débouchent sur la Méditerranée1. »

2Si l’on ajoute à ces territoires les possessions désertiques du sud, la part espagnole s’élève à 40 000 km², difficilement comparables aux 450 000 km² de la zone française. Même si la France reste officiellement la seule puissance protectrice du Maroc, l’Espagne exerce de fait cette protection sur la zone nord du pays.

3En 1913, la France n’a pu faire de l’Espagne une véritable alliée, Madrid préférant une neutralité rassurante, protégée désormais de toute menace réelle dans la région2. Le maintien de la neutralité espagnole pendant la Première Guerre mondiale tout comme l’entrée en guerre du Portugal aux côtés des Alliés permettent d’assurer un contrôle complet de cette région stratégique, non seulement pour les communications est-ouest, maritimes en Méditerranée pour les Britanniques, et terrestres en Afrique du Nord pour les Français, mais également nord-sud en Atlantique et en Méditerranée. La neutralité espagnole est en elle-même un avantage pour les Alliés, politiquement et économiquement, les intérêts français et britanniques y étant très largement dominant dans l’après-guerre. Le Maroc est resté paisible entre 1914 et 1920, sous l’administration de Lyautey, Français et Espagnols se gardant d’essayer d’occuper les vastes territoires encore libres du Rif et du Sud. Lors du traité de Versailles de 1919, la France a pris soin d’exclure les Allemands du Maroc : les droits obtenus lors des conférences d’Algésiras du 16 janvier 1906 tout comme l’accord franco-allemand du 9 février 1909 sont abolis, avec l’interdiction d’ouvrir des représentations diplomatiques et consulaires y compris à Tanger, et l’interdiction d’entrée des citoyens allemands dans le protectorat. Ces règles sont légèrement assouplies en 1933, mais l’Allemagne est clairement exclue du cœur de la Méditerranée atlantique, véritable espace géopolitique franco-espagnol, des Pyrénées à Dakar, des Baléares aux Açores. Tanger, la grande ville du nord, dont le port est le véritable poumon économique naturel du nord du protectorat, est exclue de la zone espagnole en 1912 pour devenir un territoire international, confortant ainsi « la tranchée internationale » du détroit de Gibraltar, sous protection britannique3. Ce statut spécifique est mis au point avec difficulté en 1923 et assure la prépondérance française dans l’administration de la ville. Déjà réduite, la zone espagnole se voit amputer de sa seule grande ville.

4La pacification sera amorcée après guerre, en collaboration étroite et « obligée » avec l’Espagne, durant la guerre du Rif en 1925 qui voit la défaite d’Abd el-Krim, et enfin en 1934 avec la pacification par Giraud du Sud du Maroc qui permet également aux Espagnols de s’assurer du contrôle de l’intérieur du Sahara. L’association avec l’Espagne, toujours difficile et souvent conflictuelle, permet aux Alliés de contrôler toute la zone, même si les gouvernements de Madrid prennent soin de ne jamais s’engager dans une véritable alliance et de réclamer des améliorations de leur situation, jugée trop inégale4.

LA MENACE FRANQUISTE SUR LE MAROC PENDANT LA GUERRE D’ESPAGNE

5Cette situation idéale pour les intérêts français et britanniques est bouleversée entre 1936 et 1939. La guerre d’Espagne et la victoire de Franco introduisent un adversaire potentiel au cœur de cet espace, une menace difficile à gérer pour des Alliés déjà en position de faiblesse supposée face à l’Axe. Le coup d’État nationaliste du 18 juillet 1936 est un succès grâce au soulèvement du Maroc, et des meilleurs éléments coloniaux de l’armée espagnole dirigés par le général Franco. Ils passent aussitôt en Espagne pour devenir le fer de lance de l’armée nationaliste, grâce à l’aide italienne. Pour la première fois, la perspective de voir la future Espagne aux mains d’un gouvernement soutenu par l’Axe germano-italien est une réalité… En janvier 1937, la France soupçonne l’Allemagne de vouloir se réimplanter au Maroc par la zone espagnole. Une troisième crise marocaine s’annonce, et le colonel Beigbeder, le haut-commissaire espagnol à Tétouan doit s’engager personnellement pour rassurer les diplomates français : le Maroc espagnol ne sera pas la tête de pont d’une invasion allemande de l’Afrique du Nord5. La frontière interzonale est tout de même pourvue de fortifications légères dans sa partie occidentale et un plan de défense est élaboré par le général Noguès, résident général à Rabat. Tant que la guerre ravage la péninsule, le risque d’une opération espagnole au Maroc reste minime. Mais l’inquiétude des autorités françaises est réelle, surtout si le succès des nationalistes se confirmait. Dès l’été 1937, la situation semble difficile pour la République. En 1938, le succès franquiste semble inéluctable. L’Espagne représente dès lors une menace potentielle sur la Méditerranée atlantique, jusque-là bien protégée des risques géostratégiques.

6La zone espagnole serait une excellente base stratégique pour l’Axe. Tout le Nord du Maroc et la partie occidentale de l’Algérie seraient sous la menace aérienne espagnole. L’Oranais et les régions d’Oujda, Fès, Meknes et Port-Lyautey seraient à la merci d’une offensive terrestre. La rocade ferroviaire nord-africaine ne se situe qu’à quelques kilomètres de la frontière de la zone espagnole dans la région d’Oujda. Le Sud marocain serait sous la menace conjointe des établissements espagnols du Rio de Oro, d’Ifni et des Canaries. La France compte particulièrement sur les divisions nord-africaines pour renforcer les troupes de métropole : la menace italienne sur la Tunisie en immobilise déjà une importante partie, soit quatre divisions. La menace espagnole en retiendrait une autre fraction importante, cinq divisions, soit un total de neuf divisions sur les quatorze mobilisables en Afrique du Nord.

7L’Espagne entretient également une menace politique sur le Maroc. Durant la guerre civile, le haut-commissaire espagnol subventionne différents mouvements nationalistes afin de conforter la position franquiste dans la zone. Cette politique est clairement dénoncée par le général Noguès, qui se plaint des déclarations antifrançaises des leaders nationalistes de la zone espagnole, Torres, qui dirige le Parti réformiste national et Naciri, le chef du Parti de l’unité marocaine. Leurs déclarations sont relayées ouvertement par Radio-Séville et Radio-Tétouan. Ces attaques sont dirigées contre la politique impériale de la France. L’Espagne se plaît également à favoriser des thèses de scission du Maroc défendues par Naciri, notamment autour de l’indépendance d’une zone « khalifienne », idées qui remettent en cause non seulement le Protectorat unique de la France mais aussi l’unité du Maroc sous la direction du sultan.

8Cette menace potentielle d’une Espagne hostile est tempérée par la neutralité affichée de Franco en septembre 1938 pendant la crise de Munich, puis par le retrait rapide des troupes allemandes et italiennes au printemps 1939 après la victoire définitive des Nationalistes. Les accords Bérard-Jordana qui marquent la reconnaissance du gouvernement franquiste par la France en février 1939 prévoient le retour d’une collaboration entre les deux puissances au Maroc6. L’objectif de Daladier est clair : face à la perspective d’une guerre avec l’Allemagne et sans doute avec l’Italie, la France ne peut se permettre un troisième ennemi au sud des Pyrénées. Le nouvel ambassadeur à Madrid, le maréchal Pétain doit donner tous les gages de bonnes volontés nécessaires pour préserver la neutralité espagnole. Il y parvient, notamment en respectant les accords de février, bien que la neutralité de Franco dépende davantage du contexte méditerranéen que des marques de sympathies de la France, dont le soutien à la République espagnole ne saurait être oublié si facilement par le Caudillo.

LE BLOCUS MARITIME DANS LA MÉDITERRANÉE ATLANTIQUE EN 1939-1940

9La neutralité espagnole de septembre 1939 ne saurait cacher la sympathie du régime franquiste pour l’Allemagne nazie. Les Alliés se préoccupent très rapidement de l’assistance que l’Espagne pourrait fournir à l’Allemagne, notamment pour ravitailler les bateaux allemands réfugiés dans les ports neutres. Le blocus maritime doit asphyxier économiquement le Reich, et les Alliés qui misent sur une guerre longue espèrent en tirer autant de bénéfices qu’à la fin de la Grande Guerre7. La Macaronésie est une pièce centrale du dispositif allié. En août 1939, une trentaine de navires allemands se réfugient aux Canaries et aux Açores.

10Malgré l’existence d’un contrôle naval au nord de la zone durant la guerre d’Espagne, la mise en place de la surveillance maritime alliée est lente, mal préparée et manque d’un véritable pilotage politique. La Marine française met en place jusqu’au 5 septembre un dispositif de surveillance des côtes marocaines par crainte d’une éventuelle entrée en guerre de l’Espagne ainsi que de l’éventuelle action de corsaires allemands sur les ports nord-africains, à l’exemple des croiseurs Breslau et Goeben contre Bône et Philippeville en septembre 1914. Dix sous-marins français sont ainsi positionnés en protection de la côte marocaine, au lieu de surveiller les îles de Macaronésie. Au total, 40 % du tonnage allemand présent aux Canaries parvient à s’échapper et à rentrer en Allemagne en septembre 19398 !

11D’après les plans établis en 1938, la zone est sous la double responsabilité française et britannique. Le sud, des Canaries aux îles du Cap-Vert, est sous surveillance britannique, le nord (Açores/Madère) sous surveillance française. Cette répartition s’avère peu efficace, les bases britanniques sont éloignées des Canaries, et la Marine française ne dispose pas à Casablanca des forces suffisantes, et doit affecter des sous-marins à la surveillance des Açores, dont certains viennent de Brest9. Mais ces moyens se révèlent largement inefficaces pour cette mission. Le 5 octobre 1939, la Marine française créée à Casablanca un commandement des forces maritimes de l’Atlantique sud et de l’Afrique, chargé de surveiller les îles de l’Atlantique au nord du parallèle 20° 47’. Cette création permet une surveillance des Canaries par la France, le Royaume-Uni concentrant ses moyens sur le Cap-Vert, dont la surveillance sera abandonnée en décembre. Ces moyens sont renforcés en octobre par l’arrivée de la 5^e division de contretorpilleurs affectée jusque-là à la surveillance des convois en Méditerranée. Du coup, le blocus est plus efficace. Au large, une escadre composée du porte-avions britannique Hermès soutenu par deux croiseurs et de deux contre-torpilleurs français est désormais chargée de l’interception des navires. Les sous-marins font des missions de surveillance et d’espionnage en pénétrant dans les ports espagnols des Canaries pour identifier les navires réfugiés. La Méditerranée atlantique est donc principalement sous surveillance maritime française, organisée depuis le Maroc et Casablanca. Seules les côtes andalouses de l’Espagne et celles du Portugal sont sous surveillance britannique, depuis Gibraltar.

12Progressivement, devant l’absence d’activités des bateaux allemands, les moyens maritimes sont rapatriés sur Brest et sur Toulon. La surveillance redevient difficile à partir d’avril 1940, la reprise du conflit en Europe entraînant un regain d’activités des navires allemands qui souhaitent en profiter pour retourner en Allemagne. La Marine française décide alors d’opérer une opération spéciale en coordination avec les services britanniques aux Canaries pour couler un navire allemand : l’objectif est d’intimider les capitaines pour les dissuader de sortir, alors que la Marine française n’a plus les moyens de surveillance nécessaires. C’est à Agadir que le lieutenant de vaisseau Claude Péri prépare l’opération, qui a lieu le 8 mai en rade extérieure de Las Palmas depuis le cargo Le Rhin. Deux mines magnétiques de plastic sont posées par les nageurs de combat sur le navire allemand Corrientes. C’est la première action de sabotage contre un bateau allemand dans un port neutre. Même si le choix du Corrientes est inexpliqué (il s’agit d’un simple navire transportant du charbon alors que deux pétroliers ravitailleurs allemands sont proches ainsi que l’Ostmark, le véritable navire amiral de la flotte de commerce allemande dans l’Atlantique), l’effet recherché est obtenu puisque tous les navires allemands se regroupent au port. La situation se complique encore en juin avec l’arrivée dans les îles de nombreux navires italiens réfugiés, puis de navires grecs empêchés de passer le détroit de Gibraltar. Le 25 juin, après l’armistice, l’Amirauté fait cesser l’activité de surveillance liée au blocus.

13Globalement, l’efficacité du blocus dépend énormément de la participation ou de l’hostilité de l’État neutre. Le blocus ne pose aucun problème au Portugal, aux îles du Cap-Vert et aux Açores, grâce à la bonne volonté portugaise, largement soulignée par les autorités françaises. L’efficacité est beaucoup plus aléatoire aux Canaries et en Galice, les deux régions espagnoles qui concentrent la plupart des bateaux allemands de la région, et qui connaissent un taux d’échappée et de retour en Allemagne important au dernier trimestre 1939.

L’ALERTE SUR LE MAROC EN JUIN 1940

14La non-belligérance italienne de septembre 1939 et la neutralité espagnole qui s’ensuit logiquement rendent toute intrusion de la guerre improbable dans la région et la menace espagnole sur le Maroc s’en trouve réduite. Pourtant, Noguès, désormais commandant en chef pour toute l’Afrique du Nord tient à conserver au Maroc une certaine capacité offensive contre l’éventuelle menace espagnole, dont les troupes sont estimées à 100 000 hommes au printemps 1940. Malgré les départs des meilleures unités vers la métropole, Noguès conserve dix-huit bataillons au Maroc, dont douze à quatorze défendent la frontière nord, notamment le secteur oriental de Taza à Oujda10. Les équipements modernes sont très peu nombreux puisque deux bataillons de chars seulement restent au Maroc. La menace espagnole n’a donc pas empêché les départs des meilleures troupes en France, mais elle a tout de même obligé Noguès à maintenir une couverture minimale. L’aviation moderne reste peu nombreuse, même si les avions commandés aux États-Unis sont montés à Casablanca. Le Maroc ne dispose pas d’une industrie de l’armement, et ses ressources en matières premières sont faibles. Le Maroc, comme tout l’Empire, est avant tout un réservoir d’hommes et d’approvisionnement pour la métropole. Aucune stratégie différente n’existe. Ce n’est qu’en 1938 que le gouvernement Daladier se préoccupe des capacités industrielles mobilisables en Afrique du Nord, en constatant leur absence. Mais rien n’est fait pour les créer, et tous les produits manufacturés viennent de l’extérieur. Sur le plan maritime, le port de Mers el-Kébir qui doit accueillir la flotte de haute mer est en construction, les travaux ont débuté en 1937 et doivent être terminés en 1944. Aucun arsenal digne de ce nom n’existe en 1940.

15Le déroulement de la guerre et la rupture de la puissance française provoquent un retournement total du rapport de force et remettent en cause l’équilibre précaire de la position française. La question marocaine devient alors clairement l’élément majeur des relations franco-espagnoles, mais aussi l’hypothèque la plus grave pour le rétablissement de bonnes relations entre les deux pays. À la fin du mois de mai, Paul Reynaud tente une dernière fois d’assurer la neutralité des puissances méditerranéennes favorables à l’Allemagne. Pour maintenir la neutralité espagnole, il cède aux demandes de Franco le 29 mai : entre autres, la France décide de laisser à l’Espagne le poste d’administrateur de la zone de Tanger11. Face à la déroute de l’armée française en juin 1940, Franco estime qu’il est temps de faire évoluer la position espagnole dans le conflit européen. L’Espagne se doit de rejoindre son camp : la débâcle française la libère de la menace de représailles de son voisin, l’entrée en guerre de l’Italie le 10 juin élargit soudainement la sphère d’intervention de l’Axe. L’occasion apparaît idéale pour l’Espagne de profiter de ces circonstances pour élargir son domaine impérial. Certes, Franco choisit d’agir prudemment : le 12 juin, l’Espagne quitte sa neutralité pour se déclarer non-belligérante, c’est-à-dire rester à l’écart de la guerre tout en rejoignant clairement le camp de l’Axe. Franco décide le 10 juin d’entamer des négociations pour occuper militairement Tanger. La France cède dès le 13 juin, pensant ainsi une nouvelle fois s’attirer les bonnes grâces de Franco qui promet alors de ne pas toucher au statut international de la ville. Ni le résident général, ni le sultan n’ont été consultés. L’occupation de Tanger est saluée comme une grande victoire par la propagande phalangiste12. Elle n’est pourtant que la constatation de la rupture de la puissance française en 1940 et de l’incapacité du pays à protéger ses intérêts. Certes, officiellement, Tanger ne fait pas partie de l’Empire français, mais cette action est perçue au Maroc comme le signe de l’affaiblissement considérable de la puissance française. C’est également une menace très claire sur le détroit de Gibraltar. Le même jour, le 13 juin 1940, l’Amirauté britannique met au point un plan d’attaque des îles de Macaronésie visant à prévenir les conséquences d’une défaite française et d’une entrée en guerre de l’Espagne. Le plan prévoit la prise de trois îles principales des Açores, Fayal, Terceira et Sao Miguel ; l’occupation des deux principaux ports des Canaries, Las Palmas et Santa Cruz de Tenerife ; les îles de Sal, de Maio et de San Jago dans l’archipel du Cap-Vert.

16Le 17 juin, la France demande officiellement l’armistice à l’Allemagne. Pétain fait transmettre cette demande à Berlin par l’intermédiaire de l’Espagne. Le moment est venu pour Franco, parfaitement renseigné, de poser officiellement ses revendications et de profiter pleinement de la chute de la France. Dans la nuit du 17 au 18 juin, les troupes espagnoles prennent position sur la frontière entre les deux zones du Maroc, prêtes à toutes éventualités… Le 19 juin, Franco transmet ses revendications officielles à Hitler : la cession du Maroc, de l’Oranie et du Sahara est présentée comme la condition de son entrée en guerre aux côtés de l’Axe13. Finalement, la signature de l’armistice le 22 juin, qui garantit l’intégrité de l’Empire français, et la fin de non-recevoir de Hitler aux offres espagnoles laissent l’Espagne de Franco en dehors de la guerre14. Hitler ne s’intéresse pas encore à la Méditerranée et espère conclure rapidement la guerre avec le Royaume-Uni.

17Le Maroc est la clé de voûte de la défense de la Méditerranée atlantique. Solidement entre les mains des Alliés franco-britanniques depuis 1912, l’émergence de la menace espagnole en 1936 complique la stratégie alliée et oblige la France à prendre en compte la défense du Maroc dans une nouvelle situation, plus précaire. Mais la France n’a pas de stratégie globale de défense en Méditerranée atlantique, et se contente d’adapter son dispositif terrestre et maritime pendant la drôle de guerre, en le limitant au strict nécessaire. Son unique préoccupation reste le maintien de la liaison avec la métropole, mais une liaison à sens unique : l’Afrique du Nord au service de la défense de la France. La rupture de 1940 ouvre une période d’incertitude marquée par une lutte d’influence entre les deux camps pour contrôler une zone maintenue en dehors de la guerre par la volonté allemande, avec la bénédiction britannique et américaine. Car le maintien du Maroc et de la Méditerranée atlantique en dehors de la guerre arrange tous les protagonistes. Après l’armistice, l’Allemagne parvient à restaurer sa présence dans le Protectorat et surveille ainsi une région jugée stratégique. La commission allemande d’armistice au Maroc compte plus de 200 hommes au printemps 1941, c’est la plus importante et la plus active en Afrique du Nord durant cette période15. L’Allemagne dispose également d’un consulat à Casablanca et installe un nouveau consulat d’Allemagne à Tanger en mars 1941, dans ses anciens locaux d’avant 1919, avec la bénédiction des autorités franquistes. Mais Hitler privilégie Vichy pour la défense de son Empire et ne donne pas à l’Espagne les territoires convoités, se privant ainsi d’une intervention militaire sur Gibraltar. Le détroit reste préservé et le Royaume-Uni n’a pas besoin d’occuper la Macaronésie. Les Anglais parviennent, à partir de l’automne 1940, avec l’aide des Américains, à mettre en place un véritable ravitaillement de l’Espagne et du Maroc, espérant que cette perfusion économique alliée maintienne l’ensemble de la région hors de la guerre16. Le pari sera finalement réussi et le débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942 replacera définitivement la région sous la protection des Alliés. Après la guerre, ni la France ni l’Espagne ne parviendront à retrouver la même influence dans la région. Les États-Unis s’imposeront progressivement comme la grande puissance protectrice de la Méditerranée atlantique.