Chapitre V. Le stress professionnel
p. 123-129
Texte intégral
Le stress : expression non spécifique du déséquilibre psycho-socio-organisationnel
Le stress : d’un concept scientifique à un concept médiatique
1Le stress est une notion, un état, dont on parle beaucoup mais que l’on définit mal. Lancry (2007) constate que le stress est un concept incertain et ambigu qui est devenu un « concept-valise, pour ne pas dire un concept-poubelle dans lequel on déverse tout ce qui échappe à l’analyse, à l’identification... » (p. 290). Gollac et Baudier (2011) remarquent que différentes disciplines ne vont pas prendre en compte les mêmes éléments lorsqu’elles s’intéressent au stress. Le stress a d’abord été analysé sous le prisme médical, au regard de taux d’hormones et autres réactions physiologiques. Cependant, aujourd’hui, et surtout dans le contexte du travail, le mot stress a été travesti de son sens originel, si bien qu’il recouvre les réalités subjectives que chacun souhaitera lui associer. Davezies (2001) identifie trois grands champs disciplinaires ayant traité du concept de stress : la biologie, la psychologie et l’épidémiologie. Les biologistes vont surtout observer les réactions de l’organisme au stress, les psychologues la relation entre les facteurs et les réactions qu’ils induisent, les épidémiologiques les facteurs de stress et leurs liens avec la santé des personnes.
Le stress au regard de plusieurs champs disciplinaires
Le stress comme syndrome général d’adaptation
2Selye (1956), médecin endocrinologue, est le premier à introduire la notion de stress, qu’il qualifie de réponse non spécifique de l’organisme face à une demande. L’auteur développe le concept de « syndrome général d’adaptation » mettant en avant le fait, que pour faire face à une situation évaluée comme stressante, l’organisme déclenchera un enchaînement de trois réactions successives (alarme, résistance, épuisement). Ces phases sont associées à des modifications hormonales qui n’ont pas pour vocation à être continues, mais bien déclenchées spécifiquement pour affronter la situation stressante. Lors de la phase d’alarme, l’organisme se prépare à réagir. En résistance, l’organisme répond au stress induit par la situation. Cette capacité de réponse étant limitée, l’épuisement a lieu dès lors que l’organisme n’est plus en mesure de répondre. Parce que cet enchaînement est particulièrement important à prendre en compte, dans le sens où le stress est susceptible d’être déclenché par beaucoup de situations, une attention est portée aux mécanismes endocrinologiques associés aux trois étapes.
3En phase de résistance, lorsque l’organisme se prépare à agir, dès la confrontation avec la situation stressante, des hormones (les catécholamines) sont libérées. Les catécholamines augmentent la tension artérielle, la fréquence cardiaque, les niveaux de vigilance des muscles ainsi que la température, dans l’objectif d’amener de l’oxygène aux muscles et au cœur pour préparer l’organisme à faire face. Ensuite, dès lors que l’organisme est confronté à la situation stressante, d’autres hormones sont sécrétées (les glucocorticoïdes) avec comme effet l’augmentation du taux de sucre dans le sang, afin d’apporter l’énergie nécessaire aux muscles, au cœur et au cerveau. Durant cette phase de résistance, la sécrétion a pour but d’accroître l’énergie nécessaire, mais pas de manière anarchique. En effet, la sécrétion des glucocorticoïdes est régulée par des récepteurs du système nerveux central qui détectent la quantité d’hormones libérée dans le sang. Enfin, la phase d’épuisement a lieu lorsque la situation estimée comme stressante se prolonge ou s’intensifie, c’est l’état de stress chronique. Dans cette situation, l’organisme produit toujours plus d’hormones, le système nerveux central devient moins sensible et ne permet plus la rétroaction évoquée pour contrôler la sécrétion des glucocorticoïdes. Ainsi, le taux d’hormones augmente dans le sang, si bien que l’organisme en est submergé, en permanence activé et donc s’épuise (Sirven, 2010).
Le stress comme réaction comportementale
4Le stress a également été abordé comme une réaction comportementale face à une situation où la place donnée aux réactions de l’individu est importante. Lazarus et Folkman (1984), dans une approche transactionnelle, insistent sur le poids de l’évaluation et de la signification que l’individu donne à une situation, alors perçue comme stressante. Pour faire face à la situation, des stratégies coping pourront être développées. Le « coping » renvoie aux ressources mobilisées par un individu pour faire face à une situation. Lazarus et Folkman (1984, p. 141) le définissent « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, déployés pour gérer des exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées par la personne comme consommant ou excédant ses ressources ». Concrètement, il s’agit de l’ensemble des processus que l’individu interpose entre lui et la situation menaçante, avec l’objectif d’en maîtriser ou diminuer les exigences internes ou externes qui menacent, ou dépassent, ces ressources. Pour Lazarus et Folkman (1984) le coping, en tant que stratégie d’ajustement, a deux fonctions : la résolution du problème et la maîtrise de la détresse émotionnelle. L’expérience de stress apparaît alors lorsque la situation est perçue par la personne comme excédant ses ressources. Cette perception de la situation pourra entraîner l’état de stress qui est donc considéré comme une réponse émotionnelle, en grande partie liée aux processus cognitifs par ailleurs socialement influencés (Schachter et Singer, 1962). Le stress ne réside donc ni dans l’environnement, ni dans l’individu, mais dans la transaction entre l’individu et l’environnement. Ainsi, ce qui est central dans la compréhension des mécanismes du stress, c’est la possibilité que l’individu possède dans la modification de la situation, au travers des comportements qu’il adoptera.
5En somme, le stress est considéré à la fois à partir des conditions objectives, mais également de la perception que l’individu construit concernant l’équilibre ou le déséquilibre, entre les exigences auxquelles il doit faire face et les ressources qu’il est en mesure de mobiliser (Coyne et Lazarus, 1980). Ainsi, l’état de stress est déterminé par la capacité à faire face à une situation, perçue en fonction de processus émotionnels, cognitifs et sociaux.
Le stress au carrefour de facteurs de risque et de détérioration de la santé
6Différentes approches centrées sur les facteurs de stress prennent en compte des dimensions psycho-socio-organisationnelles dans le cadre de l’évaluation du stress professionnel. Plusieurs travaux vont ainsi, sur la base des facteurs de stress pris en compte, développer différentes conceptions de ce qu’est le stress professionnel. Les travaux les plus connus sont ceux de Karasek et Theorell (1990) qui considèrent la latitude décisionnelle, la demande psychologique ainsi que le soutien social comme les trois grandes dimensions à prendre en compte au niveau des facteurs de risque. Ce type d’études, comme le rappelle Davezies (2001), a permis de faire évoluer les connaissances sur les relations entre santé et dimensions psycho-socio-organisationnelles du travail. Les facteurs pris en compte et la démarche utilisée s’intéressent davantage, selon nous, à l’équilibre ou au déséquilibre psycho-socio-organisationnel et donc au RPSO, qu’au stress qui est une réponse non spécifique de l’organisme.
Le stress professionnel : illustration d’un déséquilibre global plus qu’un état spécifique
Le stress professionnel comme processus psycho-socio-organisationnel
7Lupien (2010) considère que l’on se sent stressé lorsqu’on n’a pas le temps de faire toutes les choses que l’on veut, dans le laps de temps qu’on s’est alloué pour les faire. Cependant, le stress ne peut pas être uniquement réduit à une notion de temps. Une définition attribuée à l’AESST est largement reprise par l’INRS, le Ministère du travail et par de nombreux auteurs. Cette définition considère le stress comme un état qui « survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité ». L’Accord ANI sur le stress signé en 2008 précise, sur la base de cette définition, que l’individu est capable de gérer la pression à court terme, mais qu’il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée ou répétée à des pressions intenses. Trois notions sont à distinguer dans cette définition largement usitée abordant la notion de « stress » : les contraintes de travail, l’état de tension ou stress généré par le déséquilibre et les conséquences sur la santé du salarié et sur la productivité. Autrement dit, les facteurs de risque, les déséquilibres dommageables pouvant générer un état de tension et les conséquences potentielles sur l’individu comme l’entreprise ; soit les trois éléments identifiés préalablement comme définissant le RPSO. Cette prise en compte des réalités associées à l’individu, à l’organisation et à son environnement se confirme dans la définition proposée par la Commission Européenne (2002) qui considère le stress comme « un état fait de réactions émotionnelles, cognitives, comportementales et physiologiques aux aspects néfastes et nocifs de la nature du travail, de son organisation et de son environnement » (p. 7). L’AESST (2006) précise que la survenue de cet état dépend « en partie de la capacité de l’individu à s’adapter aux exigences de son travail, de la manière dont il gère par la suite ces contraintes, ainsi que des questions de contrôle et de soutien qui s’y rapportent » (p. 13).
8En somme, Rascle (2001) définit le stress professionnel comme un ensemble de processus assez complexes, comprenant certaines caractéristiques du contexte professionnel (stresseurs) et de l’individu (telle que la personnalité, la perception du stress ou encore les stratégies d’ajustement) qui aboutissent à des issues dysfonctionnelles. L’AESST (2006) définit le stress « comme un état psychologique négatif, comportant des éléments cognitifs et émotionnels, qui exerce un effet sur la santé des salariés et sur celle des organisations dans lesquelles ils travaillent » (p. 12). Le stress professionnel semble donc perçu comme un processus psycho-socio-organisationnel au carrefour de caractéristiques multivariées.
Le stress professionnel : pantonyme symbolisant un déséquilibre plurifactoriel
9Autour de la notion de stress, il y a eu, au cours des dernières décennies, une extension de sens au point de recouvrir un champ si large qu’il semble être devenu un pantonyme, une notion « fourre-tout ». Plusieurs auteurs se sont intéressés au sens contemporain du terme stress. Buscatto, Loriol et Weller (2008) estiment qu’il permet d’exprimer le malaise des professionnels ou les contradictions d’un emploi. Pour Aubert et Pagès (1989), il désigne de nouvelles tensions psychiques et prend la forme d’une « notion-enveloppe ». Lhuilier (2006) pense que son usage social est en fin de compte relié à l’insatisfaction, la frustration et la fatigue. Enfin, pour Davezies (2001) ou Desrumaux (2013), l’utilisation du mot stress est un choix volontaire, notamment des directions d’entreprises, car le terme est moins chargé émotionnellement que souffrance par exemple, pour parler des mêmes réalités ou pour les masquer.
10En outre, ce terme recouvre un champ si vaste, qu’il ne veut presque plus rien dire. Il est si confus, qu’aucun d’interlocuteur interne aux entreprises ne le maîtrise. En somme, un flou existe sur ce à quoi réfère réellement la notion de stress au travail. À l’instar de l’utilisation du terme « RPS », celle du stress est surtout associée à l’idée de déséquilibre au sein de l’environnement psycho-socio-organisationnel qui se crée dans l’entreprise.
11Selon nous, le stress au travail ne définit pas un déséquilibre psycho-socio-organisationnel spécifique, il ne représente pas une perturbation PSO déterminée, mais se confond avec la notion de RPSO pour traduire un malaise psycho-socio-organisationnel important qui s’installe dans les entreprises. Ce problème est profond et dommageable pour les salariés, l’entreprise mais aussi la société. Pourtant, selon l’AESST (2010), en Europe, seules 26 % des entreprises déclarent avoir mis en place des procédures afin de réagir au « stress lié au travail ». De par ce manque de clarté conceptuelle rattaché à la notion de stress, nous ne tenterons pas d’opérationnaliser cette variable, bien que les réalités qu’elle recouvre et partage avec la notion de RPSO seront en partie interrogées. Cependant, il existe d’autres formes de déséquilibres PSO qui sont spécifiques et bien identifiés, les perturbations psycho-socio-organisationnelles, telles que le harcèlement moral au travail, l’épuisement professionnel et l’addiction au travail.
Synthèse chapitre v
Lancry (2007) constate que le stress est un concept incertain et ambigu qui est devenu un « concept-valise, pour ne pas dire un concept-poubelle dans lequel on déverse tout ce qui échappe à l’analyse, à l’identification... » (p. 290). Davezies (2001) identifie trois grands champs disciplinaires ayant traité du concept de stress : la biologie, la psychologie et l’épidémiologie. Les biologistes vont surtout observer les réactions de l’organisme au stress, les psychologues la relation entre les facteurs et les réactions qu’ils induisent, les épidémiologiques les facteurs de stress et leurs liens avec la santé des personnes.
Dans les définitions du stress professionnel, trois notions sont à distinguer : les contraintes de travail, l’état de tension ou stress généré par le déséquilibre et les conséquences sur la santé du salarié et sur la productivité. Autrement dit, les facteurs de risque, les déséquilibres dommageables pouvant générer un état de tension et les conséquences potentielles sur l’individu comme l’entreprise ; soit les trois éléments identifiés préalablement comme définissant le RPSO. Différentes approches centrées sur les facteurs de stress prennent en compte des dimensions psycho-socio-organisationnelles dans le cadre de l’évaluation du stress professionnel (ex : Karasek et Theorell, 1990). En somme, à l’instar de l’utilisation du terme « RPS », celle du stress est surtout associée à l’idée de déséquilibre au sein de l’environnement psycho-socio-organisationnel qui se crée dans l’entreprise.
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