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L'artisanat rural en Haut-Poitou

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Alain Champagne

Chapitre I. De l’atelier au marché

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Fossier R., op. cit., p. 8.

1La vocation de l’artisanat est l’élaboration, à partir d’une matière première, d’un produit semi-fini ou fini, puis sa vente. Cette transformation est une succession de multiples étapes, toutes soumises à diverses contraintes matérielles, physiques et parfois juridiques. Rien ne différencie ici l’activité artisanale rurale de l’activité urbaine. Notre quête heuristique n’est pas ici d’opposer ces deux pans de l’histoire économique médiévale totalement complémentaires, mais de cerner, comme le proposait Robert Fossier en 1997, les caractéristiques de l’artisanat rural1.

2En dépassant une stérile opposition ville-campagne, aujourd’hui dépassée, il convient d’appréhender au sein même du monde rural les particularismes de chaque secteur d’activité. Cela débute par les aspects externes et physiques de l’artisanat. Existe-t-il donc une histoire de ces caractéristiques, éventuellement intangibles, et peut-on les cerner ? Où et comment s’organisent les lieux de travail ? Par quel biais accède-t-on aux matières premières et au combustible ? Comment aboutit-on à la phase de commercialisation ? Chacune de ces interrogations peut être posée sur le long terme avec d’éventuelles évolutions, synonymes d’une histoire en marche.

La structure de production

3La connaissance de l’artisanat ne peut se passer d’un aperçu rapide des traits fondamentaux de la géographie locale, mettant en perspective les ressources connues avec les principaux apports de la documentation écrite médiévale. Ainsi se dessineront quelques-uns des lieux communs et des particularismes de la stratégie d’implantation des ateliers.

Des choix d’implantation stratégiques

4Le Haut-Poitou recouvre à peu près les actuels départements de la Vienne et des Deux-sèvres. La région historique du Poitou ne correspond pas à une zone géologique bien définie, mais chevauche, au contraire, plusieurs ensembles. Le seuil du Poitou, installé entre le Limousin et le petit massif vendéen, est un vaste plateau d’une altitude moyenne de 145 m qui ne représente en rien un obstacle aux contacts nord-sud. Cet axe est prédominant pour la région. Celle-ci se présente telle une surface d’érosion longuement façonnée au cours de la période tertiaire. Seules les vallées fluviales marquent une rupture de relief. Cela est particulièrement remarquable dans la partie orientale, où les cours d’eau sont encaissés de 70 à 80 m (Vienne, Gartempe).

  • 2 Merle L., op. cit., p. 31-37.

5Trois ensembles se dégagent : les plateaux tertiaires (bornais ou terre de brandes) qui constituent la majeure partie du Haut-Poitou, un pays aride et pierreux ; les plaines céréalières (Châtelleraudais, Mirebalais, Loudunais, région de Niort) aux terres légères propices aux céréales ; les massifs anciens au paysage bocager (Gâtine poitevine, pays Montmorillonais,) et au relief un peu plus accidenté. Terre froide et imperméable, la Gâtine forme le château d’eau d’une grande partie du Poitou. L’eau irrigue de manière constante les prairies naturelles, favorise l’élevage, permet la réalisation d’étangs qui sont autant de réserves de poissons et alimente en énergie les moulins2. Mais les terres lourdes composant la plupart des sols de cette région sont peu favorables à la culture.

Les ressources locales

6La civilisation médiévale est considérée comme une civilisation du bois. Non seulement, ce matériau est utilisé pour les charpentes et les couvertures, les palissades, les colombages, les ustensiles culinaires et les instruments agricoles, le fer n’étant souvent qu’un petit et luxueux complément, mais il représente également la première source d’énergie, parvenant malaisément à réchauffer des maisons peu isolées. La forêt constitue aussi une réserve alimentaire de premier choix par la pratique de la chasse, du braconnage, du ramassage des fruits (pommes, noisettes, châtaignes…) et par l’accès aux essaims d’abeilles. Pour le bétail, les glandées et paissons sont indispensables pour compenser la faiblesse des pâturages.

  • 3 Rédet L., Dictionnaire topographique de la France - département de la Vienne, Paris, 1881, p. I ; (...)

7Comme aujourd’hui, le Poitou n’est pas, à la fin du Moyen Âge, une région particulièrement bien pourvue en massifs forestiers (carte n° 1). L’actuel département des Deux-sèvres est particulièrement défavorisé, avec seulement 9 % de sa surface en bois. La situation s’est apparemment dégradée depuis le début du xxe siècle puisque les dictionnaires topographiques de la Vienne et des Deux-sèvres attribuent respectivement 12,3 % et 11,2 % de leur surface aux forêts3. Il ne faut pas oublier la place importante des landes, brandes, pâtis, bruyères et terres vagues, qui représentent respectivement 12,9 % et 9,6 % de la superficie totale des deux départements. Il n’est pas possible d’attribuer les mêmes qualités aux bois et aux landes, mais ces dernières ont un rôle de substitution pour le pacage des animaux les plus voraces (moutons, chèvres) et pour l’approvisionnement en combustible (fagots de genêt). En revanche, l’approvisionnement en bois d’œuvre ne peut se faire qu’à partir de véritables forêts de haute futaie.

8Les érudits du xixe siècle avaient déjà remarqué la disparition de plusieurs massifs forestiers. Certains sont encore visibles grâce à des brandes ou buissons chétifs, mais d’autres sont uniquement repérables par la micro-toponymie. La réformation des Forests et Bois de sa majesté de la province de poictou, publié en 1667, fournit un excellent cliché des massifs forestiers royaux.

  • 4 Devèze M., op. cit., p. 545.
  • 5 C’est notamment le cas des bois d’Aulnay, où la moitié du massif a été réduite et cultivée pour le (...)
  • 6 C’est le cas de bois à Chavagné et à Lans (près de Montmorillon), à Usson et à Guillemans, à La Do (...)

9Comme dans une grande partie du royaume de France, la situation est alors préoccupante, car les revenus des forêts royales sont quasi inexistants dans les années 1660 ; cela était déjà le cas en 16394. La superficie des massifs touchés n’a pas forcément diminué, mais leur valeur réelle est devenue négligeable. La plupart ne sont que des landes, genêts, ajoncs ou bruyères (les brandes), ou de médiocres taillis, et certaines parcelles boisées ont été défrichées pour devenir des terres labourables5. Malgré les efforts des réformateurs, Charles Colbert de Croissy, et du commissaire départi Jacques Honoré Barentin, plusieurs forêts sont définitivement rayées de la carte6. Ces bois royaux en friche s’étendent sur une superficie au minimum de 2 323 arpents (environ 1 161,5 hectares). C’est l’équivalent du quart de l’actuelle forêt de Moulière, la plus importante du Poitou. Les dégâts majeurs ont été causés au moment des guerres de Religion et de la Fronde. La vacance du pouvoir, le besoin d’argent pour mener la guerre et les besoins en fer pour les armements ont précipité leur destruction.

10Ces forêts se déploient dans les secteurs tertiaires et du crétacé (au nord de la Vienne), aux sols siliceux, caillouteux et pauvres, car l’ingratitude de ces terres a eu tôt fait de décourager les hommes. Ainsi, Poitiers est ceinturé de massifs assurant son ravitaillement alors qu’aucune forêt importante ne se développe dans les pays semi-bocagers du sud-est de la Vienne et dans le bocage septentrional des Deux-sèvres. Inversement, les régions jurassiques, les plaines au nord-Ouest de Poitiers et la majeure partie du sud des Deux-sèvres, en sont dépourvues, car les sols sont plus riches, donc cultivés. Cela explique l’importance des rares massifs existants (Chizé, Aulnay). Vitales, les forêts le sont pour la ressource en bois qu’elles représentent, mais aussi pour l’argile.

  • 7 Chapelot O., « La fourniture de la pierre sur les chantiers bourguignons (xive -xve siècles) », Ar (...)

11Les principales argiles utilisées dans l’artisanat sont présentes en Poitou. Les plus appréciées proviennent des terrains du secondaire et du tertiaire, comme en Champagne, en Bordelais, en Bretagne et en Saintonge7. Les argiles toarciennes sont employées à la Pionnière et Ménigoute, les blanches de l’éocène à l’Hopitau de Boussais, les sanoisiennes (de l’oligocène) à l’Espinasse pour leur qualité réfractaire. Quant aux marnes du lias, elles sont à l’origine du grand nombre de fours à chaux qui ont longtemps existé dans la région.

  • 8 Benoît P., « Le métal en France au xve siècle », Prigent Ch. (dir.), Art et société en France au x (...)
  • 9 Arch. dép. Vienne, 2H5 31.
  • 10 Arch. dép. Vienne, reg. 22 sup., feuille volante, vers 1476.

12Comme partout en France8, il n’est guère de région qui ne possède de gisement de fer ; ici les argiles sableuses tertiaires fournissent aussi du minerai. Celui-ci se présente sous forme de petits globes de fer oxydés, dits pisolithiques. Les teneurs en minerai, oscillant aux alentours de 30 %, ne sont pas exceptionnelles ; néanmoins, grâce à l’accessibilité des filons, elles ont permis une activité jusqu’à l’époque moderne. Au hasard des sources, des toponymes révèlent la localisation de gisements, signe de leur visibilité dans le paysage. Il peut être simplement question de minières, comme près de l’étang de Préguyon, à La Puye, en 14829, mais certaines mentions sont plus précises. Dans le bail d’un bois, à Montreuil-Bonnin, l’un des confronts signale « la fosse à mine en laquelle les forgerons de Montreuil-Bonnin ont tiré la mine pour faire fer10 ». Les forges de Montreuil-Bonnin sont inconnues par ailleurs, et la mention des forgerons fait plus penser à des maréchaux-ferrants, les responsables des ateliers de transformation étant plutôt qualifiés de maîtres de forge. La recherche de proximité entre la forge et la mine ne semble donc pas primordiale.

  • 11 C’est le cas des carrières de Chauvigny et Lussac-les-Châteaux dans la vallée de la Vienne, Lavoux (...)
  • 12 Longuemar M.-A. de, Géographie populaire du département de la Vienne, Poitiers, 1869, p. 152.
  • 13 C’est le cas de la carrière de Pompois au xve siècle (Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 157, liasse (...)
  • 14 Favreau R., « La ville de Poitiers… », op. cit., p. 7. Par exemple, en 1077, pour le secteur de Bo (...)

13Les mêmes plateaux tertiaires, du pays des Brandes, permettent aussi l’exploitation du sable pour la fabrication du verre, mais ce rapide inventaire ne serait pas complet sans les carrières. Les vallées profondément enfoncées dans les plateaux tertiaires poitevins atteignent les niveaux du jurassique. D’importantes carrières y sont exploitées au Moyen Âge en fonction de leurs qualités11. Le calcaire siliceux, compact, dit pierre grise de Bonnillet, est utilisé pour la réfection du palais de Poitiers dans la seconde moitié du xive siècle, alors que celui de Lourdines, au grain plus fin, se prête mieux aux sculptures12. Là où les roches primaires dominent, le granit ou « grison » est employé dans la construction13. Ajoutons enfin, les carrières meulières exploitées du Moyen Âge à l’époque moderne dans la forêt de Moulière, au lieu-dit Le Pinail14.

La localisation des ateliers

  • 15 Par exemple en Comtat Venaissin, Amouric H., Démians d’Archimbaud G., « Potiers de terre en Proven (...)
  • 16 C’est aussi le cas dans de nombreuses régions productrices : Bordelais (Hanusse C., op. cit., p. 1 (...)
  • 17 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.
  • 18 Cf. p. 33-34.
  • 19 Les potiers de La Pionnière, près de Parthenay, brûlent des brandes à la fin du xve siècle (Arch. (...)

14Si dans le cas de la pierre, l’atelier est d’abord localisé sur le lieu d’extraction, où le bloc peut être dégrossi ou ébauché, ne serait-ce que pour faciliter son transport, pour toutes les autres productions les choses sont moins évidentes. Les ateliers de production de terre cuite sont un bon exemple. L’eau est un élément indispensable qui oblige les artisans à s’installer près d’un ruisseau ou près d’une mare15. En terrain granitique ou tertiaire, l’eau est présente en surface alors qu’en plaine (région niortaise et Châtelleraudais), la nappe phréatique est très profonde. L’habitat est alors groupé autour de puits en gestion commune. Les ateliers sont aussi, dans la mesure du possible, proches des zones d’extraction de la terre, souvent dans les bois ou dans les landes16. Les potiers de La Guérinière et de La Pagerie, et les tuiliers du Chilleau, s’approvisionnent aux bois l’Abbesse, situé à 1,5 km pour les premiers et à peine quelques centaines de mètres pour les seconds17. Cette différence n’est pas le fait du hasard, elle est le reflet des volumes de production de chacun. Face à l’importance de la production de briques, tuiles et carreaux, les artisans n’ont d’autre choix que de s’installer au plus proche de leur terrier, ces fosses d’où ils extraient l’argile. En proportion, les poteries, d’une plus forte valeur ajoutée, demandent moins de matière première. Ceci est confirmé par le taux de droit d’extraction plus élevé pour les tuiliers que pour les potiers18. La proximité de l’eau et des terriers s’impose donc comme facteur essentiel pour l’implantation d’un atelier, non qu’il faille oublier le combustible. Les zones d’extraction d’argile étant toujours localisées en bois ou brandes, elles fournissent un excellent combustible19. Cette situation a permis aux poteries et tuileries de survivre à proximité des villes alors que les autres artisanats du feu s’en éloignent.

  • 20 Carte n° 3.
  • 21 C’est le cas en Bourgogne, en région chartraine, en Franche-Comté, en Dauphiné, en Normandie, en P (...)
  • 22 Foy D., op. cit., p. 176-178.

15Bien que moins nombreuses, les données concernant les forges et les verreries témoignent d’une autre évolution. Les verreries particulièrement gourmandes en bois sont repoussées à plus d’une vingtaine de kilomètres des villes de Poitiers et Niort20. La dizaine de verreries connues à la fin du xve siècle est implantée dans les brandes ou en zone forestière, comme ailleurs en France21. Pour les verriers, une habile gestion des ressources forestières est synonyme de pérennité, mais c’est souvent par des compromis visant à contrôler le développement des verreries que l’on sauve certains massifs forestiers. Il est impossible en Poitou, de distinguer, comme c’est le cas en Italie ou dans le sud-est de la France, les ateliers fabriquant de la fritte (la matière première vitreuse) installés en forêts, de ceux façonnant des objets finis, parfois plus proches des villes22. Les ateliers poitevins, à l’image des autres sites de production du royaume, maîtrisent tout le cycle de production.

  • 23 Flambard-Héricher A.-M., « Au service de la ville comme de la campagne : les potiers bas-normands (...)

16Les maîtres de forges rencontrent des difficultés similaires. Toutefois, les grosses forges s’installent à la fin du xve siècle sur les rivières afin de bénéficier de l’énergie hydraulique qui actionne soufflets et marteaux indispensables à la réduction du minerai. Ainsi quatre ateliers bordent les rives boisées de la Gartempe, à plus de 30 km de Poitiers (carte n° 12). Comme en Normandie, les problèmes de transport incitent les forgerons à s’établir à proximité des forêts23. C’est bien l’unique solution, car en dépit d’un relief peu accidenté, les conditions de circulation locales sont difficiles. La navigabilité de la plupart des rivières du Poitou est plus que médiocre, et les routes sont, comme ailleurs, souvent impraticables dès les premières pluies, a fortiori pour des matériaux pondéreux. Il est donc préférable de transporter du minerai de fer plutôt que des centaines de stères de bois. Par ailleurs, l’utilisation du charbon de bois est attestée vers 1470, permettant un transport de combustible à moindre coût.

  • 24 Arch. dép. Vienne, 2H1 28. C’est aussi le cas de la maison de Catin Magnenne, à Champdenier où se (...)
  • 25 Arnoux M., op. cit., p. 21-25. Une forge peut aussi être créée près d’un lieu où les outils métall (...)

17Ces caractéristiques sont propres aux grosses forges, dites proto-industrielles. Les petits ateliers de village des maréchaux-ferrants sont moins documentés : en 1386, le censier de la seigneurie d’Ayron et Maillé, évoque la maison de Regnault Groleau, où se tient une forge24. Son établissement au cœur du village ne répond pas à des contraintes géographiques ou géologiques mais à la proximité du marché – c’est aussi le cas des forges des chantiers de construction25. Les forges villageoises peuvent parfaitement travailler le minerai en procédé direct à partir de petits gisements.

18Ces exemples témoignent d’une grande disparité de situations. Mais derrière ces considérations matérielles, est-il possible de percevoir d’autres différences plus organisationnelles ou juridiques ?

Le statut de l’atelier

19Dans le chapitre précédent, il est apparu qu’au sein d’un même domaine d’activité, différents types d’ateliers peuvent exister ; ainsi les forges peuvent se distinguer par leur production. Mais tous les secteurs ne présentent pas des situations aussi claires. D’autres facteurs comme la propriété de l’atelier et son statut sont primordiaux.

20En effet, les structures de production n’appartiennent pas obligatoirement aux artisans ; elles peuvent être la propriété d’un seigneur laïc ou ecclésiastique, d’un marchand ou d’un notable urbain. Cette différence, qui dépasse la simple question juridique, a des incidences sur de nombreux aspects de l’artisanat rural.

21Deux catégories d’ateliers coexistent donc :

  • Les ateliers, propriétés de seigneurs laïcs ou ecclésiastiques, parfois de bourgeois, regroupés par facilité sous l’appellation d’ateliers seigneuriaux. L’artisan peut être lié par un contrat d’embauche renouvelable, une ferme, un bail de location ou un accensement. Le propriétaire n’exploite donc pas lui-même l’atelier ; c’est un faire-valoir indirect.
  • Les ateliers indépendants où, a priori, les artisans travaillent chez eux, en faire-valoir direct.
  • Les chartriers fournissent une bonne documentation sur les ateliers seigneuriaux. Les verreries, les forges et les tuileries ont fait l’objet d’études spécifiques et approfondies un peu partout en France26.
  • 27 Rose-Villequey G., Verre et verreries de Lorraine au début des temps modernes (de la fin du xvesiè (...)
  • 28 Amouric H., Foy D., « Liberté ? Contrainte et privilège. Les artisanats de la terre et du verre da (...)
  • 29 Rose-Villequey G., op. cit., p. 134-135.
  • 30 Notamment l’article 9 de l’ordonnance de 1519 (cf. p. 140).

22La verrerie représente un artisanat à part dans la société médiévale, nous y reviendrons, car elle nécessite un investissement considérable. En Poitou, toutes les verreries sont aux mains des nobles ou des ecclésiastiques, données à bail à des maîtres verriers. La possession du combustible paraît être une des raisons de cette mainmise. Mais à la différence d’autres régions27, l’absence de sources fait que l’origine financière de leurs créations nous échappe totalement. Les travaux provençaux de Danielle Foy ont mis en évidence le rôle des capitaux privés et marchands dans la création des verreries forestières, véritables petits hameaux vivant parfois en autarcie. Dans ce cadre, la valeur du fonds immobilier n’a pas facilité l’accession des verriers à la propriété de leur outil de travail. C’est notamment l’une des raisons de leur mobilité28. Ce manque de stabilité des verriers surprend ; la Lorraine connaît une situation analogue, à tel point qu’il est question d’industrie portative29. L’atelier, symbolisé par le four dont la durée de vie n’excède pas un an, s’entoure uniquement de structures légères facilement démontables afin de se déplacer vers le combustible. Ces verreries sont à envisager comme des entreprises de type pré-industriel, à distinguer nettement des autres artisanats du monde rural. Toutefois, au début du xvie siècle, elles seront touchées, comme les autres artisanats du feu par les mesures restrictives édictées dans les ordonnances royales30.

23Les grosses forges relèvent d’une même dynamique. Au sein de ces ateliers, les maîtres sont des personnages importants, souvent de véritables entrepreneurs détenant une technique de pointe, le procédé indirect au xve siècle qu’ils ne partagent pas avec les ruraux. En dépit d’une position privilégiée, ils forgent souvent dans un atelier ne leur appartenant pas. L’aspect onéreux et complexe de l’installation des grosses forges sur une rivière freine les projets solitaires. Les mentions de baux dans les comptabilités seigneuriales en sont la preuve. En parallèle, nous ignorons tout des petites forges de village, que l’on peut supposer être aux mains des maréchaux.

  • 31 Arch. dép. Vienne, G 1527, fol. 54.
  • 32 Chapelot O., « Les tuileries… », op. cit. ; Chapelot O., « Tuiliers bourguignons aux xive et xve s (...)

24La production de la terre cuite diffère nettement de celle du fer et du verre, car l’implication des ruraux y est beaucoup plus forte. Toutefois, il existe aussi, dans ce secteur, des ateliers seigneuriaux transformant les tuiliers en fermiers ou salariés. La tuilerie de Traversonne appartenant au chapitre Saint-Hilaire-de-Poitiers, est dans cette situation durant tout le xve siècle31. Ces tuileries sont en théorie mieux connues par les textes, parfois jusque dans leur rapport financier32.

  • 33 Barentin J.-H., Colbert de Croissy C., op. cit., p. 64.
  • 34 Arch. dép. Vienne, E4 1, liasse 139, 4 février 1455.
  • 35 Arch. dép. Vienne, 2H1 95, 8 août 1505 et 7 décembre 1524.

25Les ateliers indépendants sont aussi nombreux. En l’absence de baux et d’inventaire après décès, toute recherche sur la transmission des fours de génération en génération est interdite. Les rares indices proviennent des déclarations roturières de biens. En 1471 par exemple, un nommé Denis Bagot reconnaît posséder une maison et une tuilerie à Logerie33. Plus à l’est, dans la paroisse de Saint-Phesle-de-Maillé, Pierre Roy, tuilier, baille la moitié d’une terre qu’il a reçue en héritage, en indivis et y conserve la jouissance de la tuilerie qui s’y trouve34. En lisière de la forêt de Moulière, à Boirie, deux frères, Denis et Guillaume Moricet, possèdent une maison et un four à tuile et à chaux par indivis, en 150535. Le four peut, comme n’importe quel autre bien, être ainsi partagé et utilisé collectivement. Si le nombre d’utilisateurs, pour pouvoir parler de four collectif, est de deux au minimum, il n’y a pas de maximum. Ainsi, en 1448, à Prailles, des fours communs existent pour la fabrication de la tuile et de la chaux. Une lettre de rémission nous apprend qu’au :

  • 36 Guérin P., op. cit., 1903, p. 45 (doc. 1152).

« villaige d’Argentières, auquel il a plusieurs fours pour cuire la tieule et chaulx que font les habitants on dit villaige et ou chascun d’eulx peut licitement, l’un comme l’autre, mettre sa tieule et chaux prestes pour les mettres es diz fours, faire la guet sans ce que aucun autre lui puisse en ce mettre ou donner empeschement, en paiant toutes voyes pour les dictes fournées les devoirs accoustumez aux seigneurs desquelz les diz fours sont tenuz et nouvaus36 ».

  • 37 Chapelot J., « Aspects socio-économiques de la production, de la commercialisation et de l’utilisa (...)

26Ce type de propriété collective touchant le secteur de la poterie et celui de la terre cuite architecturale est en corrélation avec le regroupement des artisans en des lieux communs : les villages spécialisés. Ils pourraient naître entre la seconde moitié du xiie siècle et le début du xiiie siècle37.

  • 38 C’est le cas en Bourgogne (Chapelot O., « Les ouvriers du métal en Bourgogne à la fin du Moyen Âge (...)

27Les villes n’ont, a priori, aucun rôle actif dans la gestion et le contrôle des centres de production. En Provence, les ateliers dégagés de l’emprise seigneuriale peuvent être aux mains des communautés urbaines rivalisant de générosité pour attirer et fixer sur leur territoire les potiers et tuiliers qui alimentent le marché local. L’exemple provençal est un peu particulier ; toutefois, les poteries ou les tuileries indépendantes sont présentes dans toute la France38.

28Qu’en est-il de l’importance respective des deux statuts durant la seconde moitié du xve siècle, au moment où les archives sont les plus nombreuses ? Dans une majorité de cas, le statut n’est pas mentionné (22 sur 39), ce qui affecte la pertinence de nos conclusions, mais fournit tout de même des informations (tableau n° 1).

Tableau n° 1 : Statuts des centres de production de terres cuites poitevins à la fin du Moyen Âge

Tableau n° 1 : Statuts des centres de production de terres cuites poitevins à la fin du Moyen Âge

29Parmi les 17 unités de production dont le statut est connu, 13 sont indépendantes et 4 seigneuriales. Sur un total de 9 poteries, 5 sont indépendantes, 4 sont de statut inconnu et aucune n’est seigneuriale. Les poteries sont donc beaucoup plus souvent aux mains des artisans. À l’inverse, si nous connaissons 8 tuileries indépendantes et 4 seigneuriales, le statut des 18 autres est indéterminé. Les seigneurs semblent plus intéressés par les tuileries que par les poteries, probablement pour des raisons financières. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

30Quel que soit leur statut, la localisation des ateliers est en corrélation avec la géographie locale. Si les poteries et tuileries, sont réparties de manière homogène sur le territoire, à l’exception cependant des plaines céréalières de Niort et du Mirebalais, il n’en est pas de même pour les forges et les verreries (cartes n° 2 et 3). Celles-ci sont rejetées au plus loin des villes afin de conserver une viabilité économique, que le coût élevé du bois aurait vite fait de mettre à mal. Ainsi installées dans des zones de confins, elles ne côtoient pas obligatoirement les ateliers de production de terre cuite, moins gourmands en combustible, et qui ont la capacité de survivre aux portes de Poitiers. Néanmoins, ces précautions n’empêcheront pas les conflits d’intérêts, autour des matières premières, de germer et de se multiplier.

Usages, matières premières et combustibles : la pomme de discorde

  • 39 Rédet L., « Cartulaire de l’évêché de Poitiers », Archives historiques du Poitou, t. X, 1881, p. 2 (...)
  • 40 Pièce jointe n° 5. Avertissement : toutes les sommes sont exprimées en livres, sous et deniers tou (...)
  • 41 Arch. dép. Vienne, G 43.

31Le hameau d’Espinasse, près de Chauvigny, est connu pour ses productions de terres cuites dès 130939. En 1533, neuf de ses habitants reconnaissent, devant notaire, un usage en bois mort et mort-bois ou « forestage » dans la forêt de Mareuil, contre une redevance annuelle d’un demi-boisseau de froment, soit une valeur minimale de 10 ou 20 d. t.40. Le « forestage » est un droit d’accès au bois de chauffage. Dans ce même document, ils ajoutent être dans l’obligation de payer « pour choffer fours pour cuire pots, thuilles, chaux et aultres manière de poteries », 3 s. 4 d. t. par fournée41, soit bien plus que pour le « forestage ». La différence entre ces deux redevances interpelle. Si l’une correspond à la consommation courante du foyer, l’autre est affectée à une activité artisanale. Il y a donc une nette distinction entre, d’une part, un accès à une matière première accordée pour l’artisanat et, d’autre part, celui, plus traditionnel, échu aux besoins domestiques. Quelle en est donc l’explication ? il est nécessaire pour cela de décrire avec précision la nature des droits et des devoirs de chacun, telle que l’entend la coutume médiévale.

Les différents usages : artisanat et consommation domestique

32L’usage, dont le sens varie, est la source de nombreux conflits et malentendus. Cerner ses différentes significations nous entraîne aux limites de l’histoire du droit.

  • 42 Arch. dép. Vienne, G 1386, n° 227.
  • 43 Le vieux coustumier de Poitou, Filhol R. (éd.), Bourges, 1956, art. 638.

33Dans le sens courant, il s’agit d’une pratique que l’ancienneté ou la fréquence rendent normale, proche d’une habitude. Dans l’optique de pratiques locales, cela concerne l’organisation du fossoyage, la rotation des coupes, les chemins d’exploitation, tout le nécessaire à l’harmonisation de la vie d’un massif forestier. En 1485, les habitants de Vouillé, accusés par les chanoines de Sainte-Radegonde d’avoir fortement dégradé leurs bois, répondent « qu’ilz en usussent ainsi qu’ils devoint et comme un bon usager et bon père de famille doyt faire42 ». Par cette réplique, les habitants signifient avoir joui de leurs droits comme d’habitude ou comme de coutume et en accord avec elle. La coutume du Poitou le confirme ; ces aspects sont donc communs à tous les habitants du monde rural. Il est aussi question d’user correctement et avec mesure des domaines ou des fiefs. L’article 638 précise que : « au cas que ledit seigneur tienne par faulte de homme, il doit en user comme bon père de famille usefructier. Car il ne doit pas copper les gras boys ne déserter les maisons, vignes, estangs, garennes et aultres choses et les doit tenir en estat43 ».

  • 44 Arch. dép. Vienne, E2 111, 8 septembre 1473. Guillaume Dubout, de Limalonges, aura seulement droit (...)
  • 45 Arch. dép. Vienne, E2 222, 28 novembre 1469.

34Lorsqu’il entre dans la conclusion de contrats passés entre deux personnes, un propriétaire de fonds et un tiers, le terme désigne la possibilité d’utiliser le bois appartenant à autrui. Ces droits qualifiés d’interpersonnels se rencontrent en nombre dans les baux du xve siècle, notamment en période de reconstruction agraire, alors que les nouveaux tenanciers, parfois étrangers, s’installent sans avoir accès aux forêts. L’usage accordé par le propriétaire du fonds peut être limité et ponctuel, par exemple pour la reconstruction d’une maison44, ou bien permanent et beaucoup plus étendu, c’est-à-dire droit de maisonnage, de chauffage, de pâturage et de paisson pour toutes ses bêtes. Quand, en 1469, Jean Condant, tuilier, s’installe dans le village « frost et désert » de Prévert, à surin, il reçoit du seigneur de Boisseguin, un « exploict de bois à bâtir aud. lieu, à chauffer, de pascage et pasturage et ses porcs et autres bestes et dangiers45 ». Pour les tenanciers, la transmission de ces droits n’est pas automatique, en particulier lorsqu’il s’agit d’une cession liée à la construction d’un bâtiment. Dans le cas d’un fief, une fois payés les droits de mutation, les descendants en héritent.

  • 46 Une servitude est l’une des nombreuses obligations grèvant les propriétés privées au profit de l’i (...)

35D’un point de vue juridique, l’usage est une servitude foncière attachée à la maison, à l’immeuble, qui remplit l’office de fonds dominant et la forêt de fonds servant46. La maison est donc considérée comme usagère, et le droit profite à son propriétaire mais il n’est pas attaché à la personne.

  • 47 Ce phénomène a été constaté en Poitou, Sanfaçon R., Défrichements, peuplement et institutions seig (...)
  • 48 Arch. nat., R1 205 (copie du xviie siècle).

36Le troisième sens correspond au droit de jouissance collective accordé à un groupe ou une personne morale. Il peut s’agir d’un village nouvellement créé dans une zone de défrichement47, ou bien tous les habitants d’une châtellenie, comme ceux de Montreuil-Bonnin qui reçoivent le 29 septembre 1360 un droit d’usage dans les bois de la châtellenie48.

  • 49 C’est le cas en forêt d’Orléans et d’Othe : Rubner H., « Recherches sur la réorganisation forestiè (...)
  • 50 Signalons ceux d’Espinasse, connus par un plan de la forêt de Mareuil du xviiie siècle (Arch. dép. (...)

37Enfin, le quatrième et dernier sens correspond aux usages communaux. Les communaux sont avant tout des biens mobiliers ou immobiliers appartenant à la communauté, des parties non cultivées du finage qui permettent aux plus pauvres des habitants de trouver un complément de ressources, par exemple bois de chauffage ou de construction, fruits, pâtures… Des maisons nobles, des communautés ecclésiastiques et des paysans peuvent en jouir49, mais, en Poitou, ils sont peu nombreux50.

  • 51 Toutes les superficies datent du xviie siècle et sont tirées de Devèze M., op. cit., t. II, p. 400 (...)
  • 52 52. Montreuil-Bonnin, forêt royale jusqu’en 1423, ensuite possession de la famille Vernon ; Favrea (...)
  • 53 Possession du chapitre de Saint-Hilaire-le-Grand (Arch. dép. Vienne, G 504).
  • 54 Forêt de l’évêque de Poitiers. Arch. dép. Vienne, G 42.

38En France, les forêts appartiennent, soit au roi, soit à des seigneurs laïcs, soit à des communautés ecclésiastiques ou des communautés rurales, mais tous n’ont pas la même importance suivant les régions. En Poitou, le premier propriétaire est le roi en tant qu’héritier du comte de Poitou. Les plus gros massifs lui appartiennent (carte n° 1) : Moulière (8 170 arpents royaux51), les parcs de Lusignan et de Coulombier, le grand parc de Saint-sauvant (1 800 arpents royaux), Chizé (8178 arpents royaux), Aulnay (4 000 arpents royaux), Châtellerault (2 875 arpents royaux) et Montreuil-Bonnin52. Les forêts seigneuriales, peu nombreuses, sont difficiles à comptabiliser car elles subissent d’importantes mutations, comme La saisine (1 500 arpents royaux), Autin (1 000 arpents royaux), Pleumartin, Verrières et La Guerche, et sont toutes dans l’ensemble plus petites que les massifs royaux. Les forêts ecclésiastiques, quant à elles, sont peu importantes en Poitou ; Vouillé-Saint-Hilaire (1 000 arpents royaux53), Mareuil (ou Chauvigny54) et La Puye sont les plus remarquables.

  • 55 Ces droits peuvent être divisés entre deux propriétaires ; c’est alors un pariage, une indivision. (...)

39Tous ces massifs forestiers, sans distinctions, rassemblent des activités artisanales. Roi, seigneurs et ecclésiastiques détiennent, en principe, les droits éminents dans leurs massifs : c’est-à-dire le droit de justice (dont dérivent les droits de chasse et de perception des amendes) et de gruerie (droit de garde et de police55). En ce qui concerne les communautés, la situation est plus complexe. Les questions se focalisent, en effet, sur la nature de la propriété des communautés usagères, qui ont, comme leur nom l’indique, des droits d’usage sur lesquels nous sommes bien renseignés. Toutefois, elles n’ont pas tous les droits dans ces bois et, en particulier, elles ne peuvent changer la nature du fonds sans autorisation (défricher par exemple) et doivent s’acquitter de redevances. De ce fait, elles ne sont pas considérées comme de véritables propriétaires.

  • 56 Arch. dép. Vienne, En 622, copie de 1614.
  • 57 Cette liste provient de l’article 40 de l’ordonnance royale de Charles V de juillet 1376 (Ordonnan (...)
  • 58 Par exemple en forêt de La Gâtine « s’il scet qu’il ne soit leu ne parmis ausd. usaigiers ne a aut (...)
  • 59 Arch. dép. Vienne, G 43.
  • 60 Un goret coûte 34 d. t. en 1469 à Vasles et 30 en 1470 (Arch. dép. Vienne, 2H1 45). La valeur d’un (...)

40Très prisés, ces droits n’en ramènent pas moins les usagers à leurs devoirs, à commencer par la redevance. Par exemple, en 1490, Colin Burgaux, Pierre et Berthomé Yzambard de la métairie de Marclaine, reconnaissent devoir au comte d’Angoulême, pour leur usage de bois de chauffage et à bâtir, de pâturage et panage, 24 boisseaux d’avoine, 50 s. t. et 10 s. t. de taille, ainsi qu’une corvée de charroi de bois pour le château et les ponts de Chizé56. Ce bois de chauffage est souvent limité aux bois morts et mort-bois. Les premiers sont des essences ne pouvant être ramassées que mortes (arbres fruitiers et bois d’œuvre), alors que les seconds sont des espèces moins nobles et de faible valeur – aulne, charme, bouleau, peuplier, érable, saule, coudrier, sureau et toutes les épines57. Contrairement au bois d’œuvre, le bois de chauffage est accessible en dehors de la présence d’un officier, donc sans « monstré58 ». L’accès à la forêt est aussi capital pour le bétail dans le cadre du pâturage et de la paisson (ou le panage). Pour ce dernier, les habitants de la baronnie de Chauvigny s’acquittent, par an et par porc, de 4 d. t. et seulement 2 pour les autres bêtes59. Les sommes perçues sont souvent inférieures à la valeur réelle de l’usage60.

  • 61 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 1, B418. Meyer L., Les coutumes de Charroux (1150-1270), mémoire d (...)

41Les usages de subsistance sont donc de toute première importance dans le quotidien des ruraux. Les restrictions sont souvent les mêmes. Dès le xiiie siècle, les coutumes de La saisine spécifient « super fumagio » que les usagers ne pourront vendre le bois usager61. Ce qui vient de l’usage est essentiellement destiné au cercle restreint de la consommation familiale. En effet, l’artisanat ne semble pas s’intégrer au sein de l’usage classique, aussi convient-il d’en appréhender séparément le particularisme.

Les redevances à vocation artisanale

Une taxation particulière

  • 62 Arch. dép. Vienne, G43, fol 259 v°.
  • 63 Arch. nat., 1AP 1583.

42Une redevance de 3 s. 4 d. t. par fournée de tuiles et pots apparaît dès 1503 dans le chapitre des recettes extraordinaires de la baronnie de Chauvigny62. Les potiers d’Espinasse en sont redevables pour « avoir boys mort et abbatu en la forest de Mareille ou aultre boys sec et mort63 ». La nature du combustible ne justifie pas cette forte redevance, de trois à six fois plus élevée que le « forestage » classique. Dès lors, une différence de traitement apparaît clairement entre l’utilisation domestique et artisanale des fruits d’un usage.

  • 64 Ateliers de Lorris, près de la forêt d’Orléans (Chapelot J., « Aspects socio-économiques… », op. c (...)
  • 65 Amouric H., Démians d’Archimbaud G., « Potiers de terres en Provence-Comtat Venaissin au Moyen Âge (...)
  • 66 Devèze M., « La vie de la forêt… », op. cit., t. II, p. 338, 353-364.

43Ce type de redevance pour le combustible, bien qu’il ne soit pas courant, existe ailleurs, en France, notamment dans le Centre64. En Provence, certains potiers demandés par les communes sont favorisés par l’octroi d’un accès gratuit au bois dans certains secteurs biens délimités65. Cette faveur représente un atout formidable pour les artisans. Ils se retrouvent ainsi déchargés de la recherche d’une matière première très convoitée, évitant par là même de lourds investissements dans des coupes de bois66. Qu’il s’agisse du bois d’œuvre ou du combustible, ils ne sont qu’une minorité à jouir de tels privilèges, quand la plupart subissent directement les fluctuations du marché ou se mettent hors-la-loi. C’est le lot commun des charpentiers, menuisiers, tourneurs sur bois, sabotiers et autres artisans du feu.

  • 67 Pièce jointe n° 1.

44Dans le cas des ateliers seigneuriaux, les baux autorisent parfois les preneurs à un plein usage dans les bois du bailleur, réglant ainsi toutes les questions d’approvisionnement en matière première. La verrerie de Bichât est affermée en 1442 par Floridas Lunard, seigneur de Marsigeau, à trois verriers qui auront « usage et explet en toux et chascun les boys dudit escuier […] pour la nécessité du four de lad. verrerie67 ». L’octroi de ce plein usage leur permet de s’approvisionner dans les bois du seigneur, le prix étant compris dans celui de la ferme de la verrerie.

45Les charbonniers, les récoltants d’écorce du chêne pour le tan et les fabricants de cendres (cendriers) sont aussi concernés par ces achats. Dans les bois de l’abbesse de Sainte-Croix de Poitiers, à Vasles, la situation est intéressante, car les cahiers d’assises rapportent des amendes infligées aux habitants ayant ramassé des fougères et des genêts en 1470 et 1471. L’acquittement de l’amende est suivi de l’octroi du bail à ferme du droit de ramasser ces plantes aux personnes contrevenues :

  • 68 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

« De Mathurin Jareneau, demourant à La Martellère, pour l’amande d’avoir esté trouvé prennant et emenant une charrette de faugère aud. Bois de Lamillaud et en oustre pour estre affermé à en prandre et des ageoncs aud. Bois et frost l’abbesse despuis le VIe jour du moys d’aougt an susd. jusqu’à la toussains en suyvent, la somme de XX d.
Hylairet Desaux pour estre afermé à cueillir des faugères, troys person nes seullement pour fère des cendres pour les voyrres, II s. VI d. et quatre poulletz68. »

  • 69 Ibid., G 1582, fol. 64, 19 juillet 1462.

46Les fougères sont, soit ramassées pour les litières des bêtes, soit cueillies pour faire des cendres. La proximité de la verrerie de Ferrière en facilite la vente ; celles-ci entrant dans la fabrication du verre comme fondant. Mais il existe pour les verriers d’autres moyens de s’approvisionner en cendre : en traitant directement avec les propriétaires de bois. En 1462, Guillaume Musset, verrier de Courlac achète les fougères des bois de Vouillé aux chanoines de Sainte-Radegonde contre 24 lames de verre blanc69.

  • 70 Pour Paul Raveau, le dernier procédé est rencontré en Poitou : Raveau P., op. cit., p. 7-40.
  • 71 Devèze M., op. cit., t. 1, p. 87, n. 6 et 7.
  • 72 Droit rapporté par Beaumanoir, p. 429, ap. ste-Pal., éd. Favre (cité dans Godefroy, Dictionnaire d (...)

47Grâce à l’essor des tanneries poitevines, l’écorce de chêne est très recherchée. Elle se prélève sur les arbres au mois de mars, quand la sève est en mouvement, soit sur le bois sur pied, soit sur le bois abattu70. Parmi les mentions fréquentes de commerce d’écorce, il n’est question que d’achats. La coutume du Poitou est silencieuse sur le sujet, bien que quelques coutumiers mentionnent exceptionnellement un libre accès, qui disparaît à l’aube du xvie siècle71. Signalons celui d’André de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, qui accorde ce privilège « d’escorsage », en 1343, dans le proche Berry72.

  • 73 L’exploitation des pierres à meule de la forêt de Moulière est affermée depuis 1429 (Barentin J.H. (...)
  • 74 Le sable est âprement défendu : ainsi les chanoines du chapitre Saint-Pierre-le-Puellier de Poitie (...)
  • 75 Id., C 317, fol. 35 v°, 7 juin 1409.

48Le système des redevances connaît donc des limites. Dans l’état actuel de nos connaissances, aucune mention n’a été trouvée pour les pierres73, le minerai de fer, le sable 74 et le bois d’œuvre. Les carrières sont, semble-t-il, incluses dans les zones « défendables » des seigneuries, c’est-à-dire exclues de tout usage. C’est le cas, en 1409, de la carrière de pierre « à fère chau » du seigneur de Traversay à Bonneuil-Matours75. Toutefois, la pierre à chaux ainsi que l’argile sont les deux produits pour lesquels des exemples de redevance sont connus.

  • 76 La Normandie, sur laquelle Mathieu Arnoux a pourtant rassemblé un impressionnant corpus documentai (...)

49Le sous-sol des forêts renferme de nombreux matériaux recherchés par les artisans, notamment la pierre, l’argile, le sable, les métaux… Dans les bois, excepté en période de défrichement, l’extraction ne fait pas concurrence à l’agriculture. Elle pourrait donc s’en trouver facilitée, mais ce n’est pas le cas. En ce qui concerne les métaux, aucun document nous renseigne sur l’approvisionnement des forges repérées et sur l’éventuel ramassage des pisolithes, qui ne nécessite pas d’infrastructures spéciales. Ces lacunes proviennent soit de la disparition des sources, soit d’un domaine échappant, en partie ou complètement, au domaine seigneurial76.

  • 77 Chapelot J., op. cit., p. 169, n. 2.
  • 78 Le Patourel H.-E., « Documentary evidence and the medieval pottery industry », Medieval archeology(...)

50À l’inverse, l’extraction de l’argile est parfois accordée contre une redevance en argent ou en nature. Elle peut être globale, pour une collectivité, ou individuelle (par artisan). Elle est alors calculée au nombre de roues ou de tours, sur le ou les fours, ou par fournées77. Les exemples sont nombreux, et ce, depuis le xie siècle78. En Poitou, la documentation est beaucoup plus récente.

  • 79 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.
  • 80 Ibid., 2H1 9.
  • 81 Chapelot J. et O., « L’artisanat de la poterie et de la terre cuite architecturale : un moyen de c (...)
  • 82 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

51Chaque potier et tuilier de La Pagerie, de La Guérinière et du Chilleau paye, au receveur de l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers, respectivement 12 d. t. ou 5 s. t. par an, pour le droit d’extraire la terre à Vasles79. Ce droit, connu dès 1462, se maintient jusqu’à la Révolution, non sans quelques mutations80. Si potiers et tuiliers s’acquittent de ce droit par un versement en argent, en revanche, son montant diffère sensiblement : cela s’explique par la différence des profits et des volumes de production81. Le témoignage de Jean Lezay du Chilleau illustre parfaitement la différence faite entre les activités tuilières et potières. Il comparaît aux assises de Vasles durant cinq années parce qu’il refuse de payer 5 s. t. et ne demande à ne régler que 12 d. t. « pour ce qu’il ne fait que des potz82 ».

  • 83 Bois-de-Céné fait partie au Moyen Âge des marches séparant le Poitou de la Bretagne.
  • 84 Arch. dép. Vienne, J 211 ; Bib. mun. de Poitiers, fonds Ledain, ms 603, p. 569.
  • 85 Chapelot. J., op. cit., p. 169.

52La redevance peut aussi être prélevée en nature, comme dans la seigneurie de Bois-de-Céné, où un centre potier est signalé au moins depuis le xve siècle83. La redevance est connue par deux copies informes d’aveux, de 1603 et 1626, du seigneur du lieu à celui de La Garnache84. Les aveux et dénombrements sont très souvent recopiés les uns sur les autres ; ils peuvent donc rapporter des situations largement antérieures à la date du document. Le seigneur de Bois-de-Céné reconnaît, à cause de son fief de La Bailli, le droit de prendre sur les potiers qui extraient de la terre dans ledit fief « toutes es pièces de poterie, chacun an, à moy requise pour la provision et servitude de ma maison et de ma métairie et métayer en icelles, comme pots, pinnaces, buyhes es chauffettes, casse-terans, crémoir, buhours et toute autres pièces de poterie ». Un tel type de paiement de la part de potiers est assez original. Les redevances en nature sont normalement le fait des tuiliers œuvrant dans des ateliers seigneuriaux85. Le caractère modique de la redevance, consistant simplement pour une communauté en l’approvisionnement en poteries de la métairie et de l’hôtel seigneurial, pourrait être interprété comme un signe d’ancienneté.

  • 86 Comme par exemple à Lamballe, en Bretagne (Fichet de Clairfontaine A.-M. (dir.), op. cit., p. 36-7 (...)

53il n’a pas été trouvé en Poitou de redevances sur les roues de potier ni sur les fournées de poterie86.

  • 87 Chapelot J., « Une famille d’artisans de la terre cuite à Genouillé (Vienne) seconde moitié du xve(...)

54À la fin du xve siècle, aux confins du Poitou et de l’Angoumois, le droit d’accès à la terre est même cédé de manière très originale, sous forme de fief87. Le droit de la famille Maussion couvre Nutin et toute la terre et viguerie de surin et de La Granaterie, contre une très faible redevance, 6 d. t. à chaque mutation de seigneur ou de tenancier. Ce document est intrigant à plus d’un égard :

  • Tout d’abord, il accorde le droit à titre personnel, chose rare dans le cadre de villages spécialisés où l’accès est normalement concédé à la communauté des artisans.
  • Ensuite, il ne s’agit pas d’un droit d’usage mais d’un fief, conférant à la famille Maussion un statut particulier. Le vocabulaire plaide en faveur de cette distinction sociale puisqu’il est question de leurs valets et serviteurs, preuve d’un travail en communauté et de son importance.
  • C’est, de plus, une exclusivité interdisant à tout artisan d’extraire de la terre sans passer par l’intermédiaire des membres de cette famille.

55La cession d’un droit sous forme de fief est très peu répandue pour l’artisanat céramique. Elle n’est pas sans faire penser à d’autres artisans au statut particulier, les maîtres verriers, réputés nobles.

56Quant aux tuileries, leur situation diffère en fonction du statut de l’atelier. Souvent, dans les ateliers seigneuriaux, l’accès est compris dans le bail, avec généralement quelques restrictions d’ordre géographique. Les exemples poitevins datent du xviie siècle. Le corpus documentaire sur les tuileries seigneuriales est réellement tardif : un unique bail du xve siècle a pu être mis au jour. Cette lacune peut s’expliquer soit par l’absence de chartriers seigneuriaux, soit par la disparition des pièces comptables des abbayes poitevines possédant des tuileries ; mais elle ne doit en aucun cas être considérée comme une spécificité locale.

57Tous ces exemples témoignent du désir des seigneurs de récolter une part des profits des activités lucratives réalisées sur leur domaine foncier. Les artisans sont, clairement, traités différemment des autres habitants des campagnes. Une spécificité leur est reconnue grâce à leur activité, permettant aux propriétaires fonciers de leur imposer une redevance supplémentaire, mais sur quels fondements juridiques ?

Des justifications tardives

  • 88 Arch. dép. Vienne, C 317, fol. 35 v°.

58L’usage le plus classique est limité par des interdits. Il doit couvrir les premiers besoins du logis et en priorité le chauffage, la construction et l’entretien. Qu’il soit noble ou roturier, c’est au feu que l’usage est attaché ; les aveux sont très clairs à ce sujet. En 1409, Gauvain d’Aloigné, écuyer, avoue son « usage en la forest de Molière tant pour bastir mesonner aud. houstel, pour son chauffage que pour paturage de ses bestes bœufs vaches porcs et brebis88 ». La présence d’adjectifs possessifs marque clairement la volonté de prohiber tout autre emploi. Le produit de ce droit ne peut faire l’objet de ventes puisqu’il est uniquement destiné aux besoins du feu ou de l’hébergement ; tout commerce est donc défendu, et les contrôles sont nombreux. L’article 63 du règlement de la forêt de Chizé (fin xive siècle) en témoigne :

  • 89 Favreau R., « La forêt de Chizé au Moyen Âge », Forêt et communautés rurales xvie-xviie s., actes (...)

« Item est assavoir que nulz mestoiers, usagiers, noblez ou autres qui ont boys en lad. fourest par monstrée à faire pipes, tonneaux ou arches ou autres houstillemens de houstelz, ilz ne le povent ne doivent donner ne vendre ne transporter ailleurs89. »

59Une activité artisanale ne peut se développer dans un tel cadre juridique. Si l’artisan peut, pour son foyer, jouir d’un droit d’usage, il doit théoriquement distinguer ce qui est destiné à sa propre consommation et ce qui sert à sa production. On l’aura compris, la frontière est en pratique sujette à confusion. Au xve siècle, les dires de Geoffray Chesnau, verdier du seigneur de Parthenay sont éloquents :

  • 90 Arch. nat. R1 192.

« item, aussi y a une autre manière de peuple qui fait de grans dommages esdit boys d’Aultin se sont les pyonniers et potiers de La Pionnère qui sont exploit esd. bois, soubz couleur dud. pretendu droit d’usage qu’ilz disent avoir en aucunes terres qui sont les aucunes ou meilleurs desd. boys d’Aultin et les autres es environ ; et n’y a que des brandes et brumasles qu’ilz prennent pour fère chauffer leurs fours à faire les potz et souvant dérobent desd. boys soubz la couleur d’aller quérir des brumalles90. »

60La spécificité de l’artisan est donc de pouvoir prétendre, contre une redevance supplémentaire et en vue d’une commercialisation, à un usage plus large que celui des paysans, ce qui n’apparaît jamais dans les sources précoces. Il faudra attendre la fin du Moyen Âge pour que les juristes esquissent des éléments d’analyse visant à combler le silence des coutumiers médiévaux. Commentateurs et juristes se fondent sur deux points pour justifier, a posteriori, le bien-fondé des redevances, puis leur augmentation. Il s’agit du droit de propriété, fondé sur le droit des épaves et l’amoindrissement de la valeur du fonds.

  • 91 Coquille G. de, Questions et réponses sur les coutumes de France, Paris, 1622, p. 20-22 ; Boucheul(...)
  • 92 Chauffour J. de, Instruction sur le faict des eaues et forest, Paris, 1603, fol. 127. Le vocable « (...)

61Face aux lacunes des coutumiers, les glossateurs modernes ont cherché des articles se rapprochant au plus près des questions d’extraction de matériaux. Les épaves, biens mobiliers abandonnés par leur propriétaire, lequel demeure inconnu, reviennent soit au seigneur justicier, soit au propriétaire91. Les mines et les carrières suivent les mêmes textes. Dans l’ordonnance de 1519, François Ier interdit aux tuiliers, potiers, verriers, forgerons de faire mine à leur gré92. Les mines sont donc considérées comme une partie intégrante du domaine foncier, au même titre qu’un bois. Partant de ce postulat, leur usage suit les mêmes règles d’exploitation que le combustible.

  • 93 Vieux coustumier, op. cit., art. 417 et 638.

62Quant à l’amoindrissement de la valeur du fonds, il est mentionné dans le Vieux Coustumier de Poitou. Les articles 417 et 638 de la vieille coutume du Poitou font référence au fait de bien tenir ce qui est loué et à l’impossibilité pour un teneur de quitter une terre si elle ne demeure pas en bon état et si elle ne peut plus porter la rente habituellement due93. Toute extraction de marne, de terre à faire des tuiles ou de pierres à chaux, détruit et défonce le sol, le rend inculte et porte donc directement atteinte à l’intérêt du seigneur qui ne peut plus lever le champart.

  • 94 Le Patourel H.-E., op. cit., p. 104-106.
  • 95 Chapelot J., « Aspects socio-économiques », op. cit., p. 170 (citant Lechaudé D’Anisy E., Charma A (...)

63Les glossateurs justifient, a posteriori, l’existence de ces taxes, pour la plupart très anciennes mais sur les origines desquelles nous ne savons rien. Au xve siècle, nous sommes bien loin du temps d’une économie domaniale vouée à l’autosubsistance selon laquelle l’artisanat est considéré comme une activité ministériale, produisant pour les besoins du groupe. L’existence de redevances pour l’accès à l’argile remonte peut-être aux xie-xiie siècles ; leur caractère modique et symbolique témoigne d’une certaine ancienneté. Si en Angleterre, dès la fin du xie siècle, apparaissent les premières mentions de taxes pour accéder à la terre ou au bois nécessaire à certains métiers94, il faut, en France et particulièrement en Normandie, attendre la fin du xiie siècle95. Ces redevances marquent la reconnaissance juridique de l’existence des artisanats ainsi que le poids seigneurial sur l’exploitation des ressources naturelles. Il n’est pas impossible que ces redevances aient existé pour la pierre à chaux et le minerai de fer par exemple.

64Les tensions des activités artisanales ont vu le jour avec l’essor de la commercialisation des productions en-dehors de la seigneurie. Par le biais du commerce, les ressources du domaine seigneurial, ne servent plus uniquement à nourrir la réserve, elles entrent dans un autre système, celui de l’économie de marché.

La commercialisation

65Pratiquer un artisanat consiste aussi à vendre le fruit de son labeur. Si la ville offre aux artisans urbains un marché proche et important, la situation est différente à la campagne. Certes, il est possible d’écouler une partie de la production au village et dans les paroisses voisines, mais ces débouchés sont bien limités. Quelle que soit leur taille, les villes possèdent une force d’attraction puissante sur les productions rurales, mais y accéder n’est pas toujours simple.

66Pour cela, un certain nombre de contraintes, comme le transport ou la géographie seigneuriale, doivent être dépassées. Les artisans ne sont plus alors les seuls acteurs ; d’autres protagonistes font preuve d’un intérêt marqué pour leurs productions.

Les contraintes

Les contraintes matérielles et financières du transport

67La géographie poitevine n’offrant aucune voie fluviale aisément navigable digne de ce nom, ce sont les chemins qui permettent la diffusion de l’essentiel des productions artisanales. Charrois et bâts cohabitent en fonction de l’état des chemins, des distances et de la nature des marchandises.

  • 96 C’est le cas au palais de Poitiers en 1385 ou au château de Parthenay en 1442 (Arch. nat., KK 256  (...)
  • 97 Dans les tarifs de l’ordonnance de 1307, fixant le prix des denrées à Poitiers, la somme de bûches (...)
  • 98 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 1, B63 ; Recueil des documents…, op. cit., 1891, p. 213 (doc. 1167 (...)
  • 99 Arch. dép. Vienne, 2H1 45 ; pour la Bourgogne, Chapelot O., « La fourniture… », op. cit., p. 92.

68On imagine facilement les charrettes remplies de tuiles ou de bois se traîner péniblement sur les chemins tapissés d’ornières, que les premières pluies rendaient difficilement carrossables. Pourtant, sur deux ou quatre roues, avec ou sans benne basculante, tracté par des attelages de deux à quatre, voir huit bœufs, le charroi envahit la majorité des chantiers de construction poitevins. Le bœuf demeure l’animal de trait le plus répandu. Plus robuste que le cheval, il est mieux adapté aux terres lourdes du Poitou, et surtout, il est le reflet des attelages paysans. Le cheval est seulement présent sur les chantiers urbains plus prestigieux dont les budgets importants permettent d’assumer son surcoût. À Aix-en-Provence, il est en revanche beaucoup plus répandu96. Adapté au bât ; le cheval supporte des charges de 100 kg, soit le double de l’âne, mais un peu moins qu’un mulet97. C’est par excellence l’outil des commerçants itinérants et plus occasionnellement de certains artisans. Ainsi, en 1479, des Auvergnats passent le gué de Vieillechèze, près de Ménigoute, avec leurs chevaux et leurs marchandises, et, en 1384, ce sont des potiers qui vont à la foire de Pouzauges avec une jument98. Ces mentions sont assez rares pour mériter d’être signalées car les potiers ne passent pas pour des artisans particulièrement riches. Mulets et ânes assurent le portage de pierres, comme en Bourgogne par exemple99. L’homme complète ce tableau des modes de transports, mais les témoignages sur le colportage sont limités au commerce.

  • 100 Arch. dép. Deux-sèvres, J 2085.

69Dans tous les cas, le coût du transport représente une part importante du prix des produits finis. Entre 1459 et 1462, pour reconstruire le clocher de leur église, les paroissiens de Vallans achètent 16 000 ardoises bretonnes à La Rochelle100. Leur coût initial est majoré de 50 % par celui du transport. Ce dernier ne concerne pourtant que la partie comprise entre La Rochelle et Vallans, effectuée essentiellement par voie fluviale, sur la sèvre niortaise entre Marans et le port de la Garrette, puis, par voie terrestre jusqu’au chantier. Il n’est pas rare de voir le prix du transport des matériaux pondéreux, la pierre par exemple, dépasser largement le prix d’achat.

70Les efforts des maîtres d’œuvre pour tenter de limiter les dépenses sont fréquents. En dépit du rang et de la richesse du commanditaire, la notion d’économie, ou tout au moins de juste coût, transparaît au travers des comptabilités. Il est possible de sentir comment à partir du choix de l’origine des matériaux et de leur mode d’acheminement, les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage tentent de limiter toutes dépenses superflues.

  • 101 Arch. nat., KK 256-257 ; Bib. nat., ms. fr. 20686.
  • 102 Crozet R., « Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen Âge - début de la (...)

71Le commanditaire privilégie les matériaux provenant de son domaine (carte n° 4). Ainsi, à la fin du xive siècle, les anciennes forêts comtales de Coulombiers et de Montreuil-Bonnin alimentent les chantiers poitevins du duc Jean de Berry101. Gratuit, le bois d’œuvre ne coûte que la main-d’œuvre qui le façonne et le charroi. De même, lors de la réfection du chœur de l’église paroissiale de Pouzioux, en 1398, le chantier est alimenté en bois grâce à la participation d’Artus Chastaignier, seigneur de La Garinière, qui ouvre ses forêts aux charpentiers102.

  • 103 Arch. dép. Vienne, G 1386.
  • 104 Carte n° 4.
  • 105 Favreau R., op. cit., p. 172 ; Arch. nat., R1206 ; Arch. dép. Vienne, G 63 ; Arch. nat., 1AP 1583  (...)

72Cependant, sur la majorité des chantiers, le bois, la pierre et les autres matériaux sont achetés. Mais ce commerce permet l’éclosion de trafics et de vols en tout genre. À la fin du xve siècle, les habitants de Vouillé, vendent des bois d’œuvre détournés de leur droit d’usage103. Ceux-ci sont alors transportés sur une cinquantaine de kilomètres ; leur gratuité les rend compétitif et permet l’amortissement du transport, vers Mirebeau, Neuville et d’autres villages de la riche plaine du nord-Ouest de Poitiers104. Le présence de ces bois à Faye-la-Vineuse et Thouars est surprenante, puisque ces deux petites villes sont, elles-mêmes, proches de massifs importants (scevolles, Gilles et Villevert) ; le bois de Vouillé ne peut être que secondaire, complétant d’autres sources d’approvisionnement inconnues. Le trafic s’inscrit dans un rayon d’environ 30 km. Il s’agit de la distance maximale sur laquelle le bois d’œuvre est commercialisé dans les parties boisées du Poitou. Nous la retrouvons entre le massif de Chizé et Melle, la forêt d’Autin et de Parthenay, les forêts de Mareuil et de La Gâtine et Chauvigny et les bois des paroisses de Vasles ou de Benassay et Saint-Maixent105.

  • 106 « Le compte de Geoffroy Faiffeu, receveur de la ville de Niort 1487-1488 », Doinel J.-s. (éd.), (...)

73Ailleurs, dans les plaines céréalières du sud-Ouest du Haut-Poitou et du Mirebalais, pauvres en bois, la géographie justifie des circuits plus étendus. Une diversification plus large des approvisionnements est perceptible ; à Niort, la recherche de certains bois de merrain se fait aussi sur 50 km106. La part du transport devient très lourde dans le prix final, aussi joue-t-on sur ce poste de dépense pour faire des économies.

  • 107 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

74Les compétences du charretier seigneurial peuvent être mises à profit. Dans les années 1470, celui de la seigneurie de Vasles, parvient à effectuer de 11 à 18 % des charrois de pierre nécessaires à la reconstruction du manoir des abbesses de Sainte-Croix de Poitiers107.

  • 108 Bernardi Ph., op. cit., p. 259-262.
  • 109 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 1, D110, comptes de 1521-1523.

75Les corvées sont encore utilisées à la fin du Moyen Âge sur les chantiers de construction, mais peut-être moins dans les villes (Poitiers, Aix-en Provence…108). Le fait est plus courant en campagne. En 1521, les comptes de La Barre mentionnent une « despense de XII hommes de la parroisse de salles qui amenèrent VII charetées de pierres lesquels ne voulurent prendre d’argent, pour toute despense 12 d.109 ». Leurs dépenses, prises en charge par le receveur du chantier, s’élèvent à une petite somme et du pain. Les charretiers de salles vivant sur le lieu d’extraction de la pierre ne touchent que 2 d. t. par charroi, alors que ceux de Fomperron se voient payer un déjeuner à la carrière (à 10 km de Fomperron) puis un dîner sur le chantier. Sur les 103 charrois nécessaires, seuls 80 sont payés (8 ou 9 s. t.), les 23 autres (22,3 %) ne coûtent que la nourriture des charretiers. Ainsi les sept charrois des charretiers de la paroisse de salles reviennent-ils à 7 s. t. à peine au receveur, au lieu de 56 s. t. pour les charretiers salariés. Il s’agit donc d’une économie substantielle d’environ 8 l. t., soit 2 % du budget total du chantier.

  • 110 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

Tableau n° 2 : Répartition des charrois de la pierre de « La Jovenetière » vers le chantier de Vasles en 1471 110

Tableau n° 2 : Répartition des charrois de la pierre de « La Jovenetière » vers le chantier de Vasles en 1471 110
  • 111 Wolf Ph., op. cit., p. 458.

76La multiplication du nombre des transporteurs, d’origine et de condition diverses, témoigne de l’absence d’organisation du secteur. Aucun entrepreneur ne peut garantir la totalité des transports d’un chantier de taille moyenne. Lors de la construction de la maison forte de Vasles pour les abbesses de Sainte-Croix de Poitiers, les 339 charrois de pierre, de l’année 1471, sont effectués par 17 particuliers (tableau n° 2). Les deux plus importants n’assurent chacun qu’un peu plus de 14 % des charrois, alors que la majorité assume moins de 20 voyages. Nous sommes loin des villes et de leurs muletiers ou charretiers professionnels111.

77Le transport peut représenter une part importante du coût final des productions artisanales et des matériaux de construction et, ce, en dépit des nombreux moyens mis en œuvre pour en limiter l’impact. Cela se ressent sur les choix d’approvisionnement de certains chantiers, toutefois, d’autres facteurs peuvent expliquer les plus surprenants.

Fourniture des chantiers et géographie seigneuriale

78Sur le chantier de La Barre, en 1521, le choix de la carrière de salles est probablement lié à sa localisation dans la châtellenie de Saint-Maixent, alors que d’autres carrières, plus proches, existent. La seigneurie de La Barre relève de la châtellenie de Bois-Pouvreau, elle-même relevant de celle de Saint-Maixent. La corrélation entre l’origine des matériaux et la géographie seigneuriale est ainsi perceptible.

79Le choix des matériaux, comme celui des marchands, n’est pas fortuit. Sur le chantier de La Barre, les clous sont achetés à des marchands de Saint-Maixent, siège la châtellenie dont relève le commanditaire, alors qu’à Vasles distant de 10 km, ils proviennent de Poitiers, siège de l’abbaye Sainte-Croix dont dépend la seigneurie de Vasles. Le poids de la géographie seigneuriale est déterminant dans la plupart des réseaux d’approvisionnement ou de commercialisation.

  • 112 Champagne A., « Maisons rurales, pouvoir seigneurial et reconstruction au xve siècle : l’exemple p (...)
  • 113 Arch. dép. Vienne, registre 22 sup., n° 68, p. 106.

80En fonction du statut du commanditaire, le choix des matériaux peut être imposé. Ainsi, dans le cadre de la reconstruction agraire, à partir de 1450, les seigneurs fonciers demandent souvent aux tenanciers la réfection d’une maison. Le choix des matériaux des murs et de la couverture ainsi que l’origine de l’approvisionnement sont parfois imposés au mépris des distances. Les motivations seigneuriales sont limpides : en obligeant l’usage de la tuile, par exemple, le bailleur dynamise un secteur de production qui, bien souvent, est présent dans son propre domaine et se protège de la concurrence. Ainsi, les ateliers, où l’approvisionnement doit avoir lieu, appartiennent au seigneur foncier ou lui doivent des redevances112. Les tuiles fournies par l’abbaye du Pin à Guillaume sillon, en 1452, pour la construction de sa grange, proviennent de la tuilerie de Ferrière, propriété de ladite abbaye113. Ces précisions sont assez rares ; mais, lorsqu’ils existent, les documents imposant l’usage de tuiles pour la couverture émanent des chartriers d’établissements possédant des tuileries, tels l’abbaye du Pin et le chapitre Saint-Hilaire de Poitiers (tuilerie de Traversonne). Mais l’absence de l’obligation d’user de la tuile dans les baux n’induit pas, de fait, l’usage d’un autre mode de couverture. L’obligation est-elle suffisamment claire pour que sa rédaction ne soit pas jugée nécessaire ? C’est tous à fait possible. Le rôle du seigneur est, dans tous ces cas, particulièrement important ; il impose un réseau de commercialisation en corrélation avec l’entité juridique ou territoriale dont dépend le bâtiment à construire et ce malgré le surcoût éventuel.

81Les contraintes géographiques et humaines génèrent toute une série de complications auxquelles les artisans doivent faire face pour commercialiser leur production. Plus les matériaux sont pondéreux et à faible valeur ajoutée, plus leur transport est complexe. Pour la pierre et le bois, les choix d’approvisionnement répondent à la fois à des contraintes de transport et à des opportunités inhérentes au domaine du maître d’ouvrage. Toutefois, mis à part le cas de chantiers prestigieux, très souvent urbains, le choix de la proximité prédomine. Si, en revanche, la seigneurie ne possède pas de ressources suffisantes, le choix de l’approvisionnement est soumis aux contraintes de la géographie seigneuriale et ce malgré l’éventuel surcoût du transport. Ces réseaux apparaissent structurés, mais quel rôle les artisans y jouent-ils ?

Le rôle actif des artisans

82Si dans certains cas, le rôle des artisans est limité par des considérations économiques, ceux-ci n’en demeurent pas moins éminemment dynamiques sur les marchés. La vocation première de l’artisan est de transformer la matière première en un produit fini, mais cela ne l’empêche pas, par la suite, de prendre une part plus ou moins active dans la commercialisation. Après quelques exemples choisis dans différents secteurs, le cas de la chaux nous servira de fil conducteur.

Les artisans fournisseurs

  • 114 Carte n° 12. Arch. dép. Vienne, 2H5 31 ; id., G 63.
  • 115 Pièce jointe n° 4.
  • 116 Lartigaut J., op. cit., p. 418.

83Au hasard des sources, les témoignages du rôle des artisans dans la commercialisation de leur production abondent. Autour de la vallée de La Gartempe sont installées, durant la seconde moitié du xve siècle, pas moins de quatre forges et deux verreries114. Les artisans génèrent, avec la ville de Chauvigny, tout un circuit de production et de commercialisation de charbon de bois. Un réseau triangulaire est constitué par le prieur de La Puye, en partie propriétaire du massif de la Gâtine, les charbonniers et les maîtres de forge. Ces derniers sont obligés d’acheter des coupes de bois. À partir du moment où les maîtres de forge possèdent la matière première, ils passent un contrat avec des habitants voisins qui la transforment en charbon. Parfois, les charbonniers assurent toutes les étapes du travail : coupe du bois, fabrication et distribution du charbon. Ils assument la globalité du cycle de transformation et agissent, semble-t-il, de leur propre chef en véritable entrepreneur115. Les réseaux de fabrication et de distribution du charbon de bois sont fondés sur de petits entrepreneurs ou sur les maîtres de forges eux-mêmes. Il ne semble pas y avoir, en Poitou, d’implication directe du seigneur foncier, à l’image du Quercy. En effet, dans cette région, le seigneur foncier oblige les tenanciers, par l’intermédiaire des baux, à alimenter et approvisionner les moulins à fer en priorité, avant de vendre le charbon de bois à l’extérieur de la seigneurie116.

  • 117 Rédet L., « Dictionnaire topographique… », op. cit., p. 268.
  • 118 Richard A., « Recherches sur l’organisation communale de la ville de Saint-Maixent jusqu’en 1790 » (...)

84La même implication des artisans potiers est perceptible sur les marchés urbains. En 1309, Jehan de La Thalebastère, valet, tient en fief de l’évêque de Poitiers, baron de Chauvigny, le droit de percevoir tout ce qu’il faut pour son hôtel sur les potiers du hameau d’Espinasse, qui vendent leur marchandise sur les foires et marchés de Chauvigny117. Une telle commercialisation des poteries demande aussi l’acquittement d’un droit de vente et, pour y exposer la marchandise, la location par les marchands ou les artisans d’un emplacement, d’un banc ou d’un étal. L’enregistrement des contrats de location chez un notaire est pour nous une mine de renseignements : en dehors des relations commerciales, ils illustrent les relations entre les artisans et le marché urbain, et permettent surtout de savoir qui vend la poterie. Tous les contrats, de la seconde moitié du xvie siècle, proviennent des villes de Saint-Maixent et de La Mothe-Sainte-Heraye et sont généralement signés pour trois ans (tableau n° 3). La courte durée du contrat de 1572 peut s’expliquer par les circonstances historiques : la conjoncture des années 1570 est de toute évidence délicate118.

85Le passage devant notaire est le signe d’une présence qui n’est pas que ponctuelle. Les déplacements réguliers vers les villes illustrent la spécialisation des artisans vendeurs itinérants et transporteurs de leur production. Ils doivent être en mesure de se libérer pour être présents sur chaque marché et à chaque foire, où ils se trouvent alors être en concurrence avec les artisans d’autres ateliers. Ils sont ainsi complètement soumis à la loi de l’offre et de la demande et intègrent une économie de marché face à laquelle ils semblent armés puisque les relations perdurent. Le réseau des foires et des marchés, qui se développe au xve siècle, a sûrement facilité la commercialisation, mais ce phénomène n’est ni neuf ni exceptionnel ; il est probable qu’une situation identique existait au xiiie siècle, mais sans cette acuité et cette ampleur nouvelle.

86L’exemple des artisans de la terre cuite illustre bien le phénomène structurant du dynamisme des producteurs. La dualité artisan-fournisseur est bien une réalité et, dans certains cas, les artisans deviennent même de véritables petits entrepreneurs.

Tableau n° 3 : Contrats de location d’étals par les potiers de La Guérinière au xvie siècle

Tableau n° 3 : Contrats de location d’étals par les potiers de La Guérinière au xvie siècle
  • * Prix en sols tournois par an.

87Note *

L’exemple de la chaux et de la terre cuite architecturale

88Les terres cuites architecturales (briques, carreaux et tuiles) et la chaux sont regroupées, car leur fabrication se fait souvent dans les mêmes ateliers. Du fait de leur caractère pondéreux et de leur valeur ajoutée, ces productions ne voyagent guère, ou sur des distances inférieures à 20 km (cartes n° 5 et 6). Le transport a donc une incidence directe sur le maillage des ateliers relativement, bien répartis en Poitou. Les lacunes visibles au nord de la Vienne – plaine mirebalaise et Loudunais – et au sud-est de ce même département peuvent résulter des lacunes de la documentation. L’absence d’incohérences sur la carte et de procès pour des trafics laisse penser que les lois du marché et de la concurrence sont plus respectées que pour le bois par exemple, peut-être faute d’intérêts financiers. La répartition du marché de Poitiers est instructive.

  • 119 Bib. mun. de Poitiers, ACP, casier 31, J984-995 ; casier 32, J1289-1295, J1326 ; casier 35, K9.

Tableau n° 4 : Origine de l’approvisionnement de quelques chantiers de Poitiers en chaux et tuiles (xve siècle) 119

Tableau n° 4 : Origine de l’approvisionnement de quelques chantiers de Poitiers en chaux et tuiles (xve siècle) 119
  • 120 À Douai, par exemple, la construction de la porte Notre-Dame nécessite plus d’un million de brique (...)

89Le nombre des ateliers ceinturant Poitiers est important. Il faut en ajouter trois (Traversonne, Iteuil, Les Jollis) aux six du tableau n° 4, soit un minimum de neuf ateliers et villages spécialisés. L’importance du marché poitevin justifie ce nombre. En revanche, la concurrence est-elle la raison de la fragmentation du marché ? Ou bien devons-nous y voir un problème de structures de production inadaptées aux demandes poitevines ? Les volumes commandés n’ont rien d’exceptionnel, ils sont même plutôt faibles comparés aux marchés du nord de la France120. L’essor de l’artisanat n’a visiblement pas permis une concentration et une modernisation de ce secteur ; la demande dépasse l’offre lors des gros chantiers.

  • 121 Arch. nat., R1 188.
  • 122 Chapelot O., « Tuiliers bourguignons… », op. cit., p. 198.

90Toutefois, deux ateliers se démarquent : Ferrière (chaux) et Nouaillé (tuiles), mais aucun n’obtient jamais l’exclusivité d’un marché. Les fournitures les plus importantes ne dépassent pas 550 à 650 sommes ou charges (55 à 65 charretées) par an, production maximale connue du plus important atelier rural de l’Hopitau, en 1442, pour les chantiers de Parthenay121. Il faut y voir une incapacité structurelle à fournir de grosses quantités. Ce phénomène est par ailleurs bien connu en Bourgogne, en Flandre et en Artois122.

  • 123 Arch. nat., 1AP 1416-1418 (Thouars et Bois-Chalons), 1AP 1296 (Missé et Riblères) ; id., R1 188, 1 (...)

91Nous ne connaissons pas spécialement l’organisation de cet atelier, mais ses artisans sont présents de façon remarquable dans la totalité des petites villes du nord des Deux-sèvres – Argenton-Château, Parthenay, Bressuire, Thouars – et sur des chantiers ruraux – secondigny, Bois-Chalon, Missé et Riblères 123 (carte n° 6). Sur les plus importants, ils entrent en concurrence avec d’autres centres : Les Noues et La Pionnière. Il faut noter que la terre cuite architecturale est alors uniquement originaire de L’Hopitau, sans raison apparente, alors que les villages des Noues et de La Pionnière en produisent aussi. En 1442, à Parthenay, pour l’aménagement du boulevard d’artillerie, 549 charges de chaux (42 % du total) sont livrées des Noues et de La Pionnière et 649 charges (58 %) de L’Hopitau. Ce dernier y fournit aussi la totalité des terres cuites. De 1503 à 1506, sur 595 sommes de chaux et de tuiles amenées pour la construction de la chapelle Notre-Dame de Thouars, 25 % des fournitures proviennent des Basses-Rues et le reste de L’Hopitau.

  • 124 Arch. dép. Deux-sèvres, E 1647.
  • 125 En 1427, les échevins de Poitiers se font accompagner par des soldats lors de leurs déplacements ((...)
  • 126 Bernardi Ph., « Construction et politique en Provence : l’approvisionnement en matériaux, une affa (...)

92La présence des artisans de L’Hopitau à Bressuire est connue par la promulgation d’une ordonnance en 1428124. Les deux témoins en proviennent. L’ordonnance fixe le prix maximal de la charge de chaux à 5 s. t. il peut être inférieur, suivant la saison, ce qui sous-entend que la valeur de la chaux varie suivant la période de l’année, peut-être en fonction des difficultés de transport. La raison d’être de tels documents réglementaires est probablement l’existence d’une spéculation autour de la valeur de la charge, entraînant une hausse des prix. Ce phénomène peut être lié soit à une situation de monopole, soit à des tensions sur le marché. La seconde hypothèse est appuyée par la conjoncture politique, particulièrement tendue, durant la guerre opposant Georges de La Trémouille, véritable chef du gouvernement, au connétable Arthur de Richemond et se déroulant en Poitou125. L’activité artisanale n’en souffre pas puisqu’en 1429, un « chaulier » de L’Hopitau s’acquitte d’une amende pour avoir dépassé le prix de vente autorisé de la chaux. La lutte contre la spéculation est un phénomène aussi connu à Marseille126.

93L’atelier de L’Hopitau témoigne du rôle des artisans dans la commercialisation de leur production. Leur esprit d’initiative a permis la création d’une vaste zone d’influence commerciale. Chaque atelier rural se destine à un marché local et régional, mais peu d’exemples nous permettent de saisir l’importance du marché local, faute de sources. Le secteur de la terre cuite, et ses propres spécificités, n’est pas obligatoirement un bon exemple pour d’autres secteurs.

Les réseaux de commercialisation et l’implication des marchands

94Si la situation est très disparate dans le secteur de la terre cuite où certains artisans tirent leur épingle du jeu, un commerce de peu d’ampleur semble dominer les réseaux d’approvisionnement en bois. L’importante participation de la population rurale et l’existence des droits d’usage ne facilitent pas l’émergence de structures modernes et financièrement solides.

  • 127 Arch. dép. Vienne, G 982.
  • 128 Bib. mun. de Poitiers, ACP, casier 32, J1222, J1225.
  • 129 Bernadi Ph., « Jeune, pauvre, étranger… : d’autres manières d’être maître », Borglioni P., Delort (...)

95De petits entrepreneurs, à la frontière de la catégorie des artisans et de celle des marchands, sont présents cependant, à la base, ce sont souvent des hommes de métier. En 1469, Guillaume Boutet, charpentier de Montreuil-Bonnin, passe un contrat avec deux charpentiers de Poitiers, Jean Faitiz et Jean Saintier127. Il s’engage à leur fabriquer 202 pièces de charpente et de menuiserie, solives, chevrons, sablières, entraits, poutres, gouttières, manteaux de cheminée, toutes précisément détaillées et mesurées. Nous connaissons par ailleurs Jean Faitiz. En 1460, il passe un marché pour la couverture de la librairie de la ville et celle de la porte Saint-Ladre en compagnie de Jean Durand et Jean Moreau, deux charpentiers. Puis en 1462, il est mentionné dans un compte de la ville de Poitiers, avec son frère Jacques, pour travailler à la porte du pont Saint-Cyprien128. Le premier document est le plus significatif. L’homme y apparaît clairement comme un homme de métier d’une certaine envergure qui s’engage sur de gros chantiers. Il assure le recrutement de la main-d’œuvre et se charge de fournir les matériaux. La plupart du temps, nous ne connaissons que les prix-faits, et il nous est totalement impossible de savoir comment ces entrepreneurs s’approvisionnent. Ici, l’organisation du réseau mis en place est bien visible. L’entrepreneur directement en contact avec les clients, ne peut assurer seul la globalité du travail, il sous-traite donc à d’autres artisans, ici ruraux, le façonnage des pièces de charpente, avec une probable et substantielle plus value. Celle-ci doit être majorée par les plus faibles salaires appliqués en campagne. Jean Faitiz n’assure que la phase finale de la chaîne de production : l’assemblage. On distingue parfaitement deux niveaux de maîtres charpentiers, un d’entrepreneurs et un de salariés. Doté d’une certaine importance et probablement de moyens financiers importants, Jean Faitiz crée alors, pour son propre compte, son réseau d’approvisionnement qu’il active au besoin. Cette sous-traitance est relativement courante129.

96Plusieurs points témoignent du peu d’envergure des entrepreneurs :

  • si le commerce se fait dans la légalité, les coupes ne sont guère importantes ; leur taille s’adapte ainsi aux moyens financiers des acquéreurs potentiels. Les marchands de bois effectuent un trafic de faible ampleur avec les officiers forestiers pour 14 ou 15 charretées de bois. À Chizé, l’augmentation du nombre des coupes témoigne en même temps de l’essor du petit commerce130.
  • D’après les témoignages écrits, la totalité des mentions d’artisans façonnant le bois fait suite à des commandes. Aucun artisan ne travaille en prévision d’éventuels marchés à venir. Les conséquences sur la production sont importantes : cela induit l’absence d’entrepreneurs pouvant gérer des stocks de bois et donc une production au coup par coup.
  • Le séchage du bois d’œuvre de charpenterie semble absent par manque de moyens financiers. Toutefois, ces carences sont communes à d’autres régions de France et même aux plus gros chantiers princiers131.

97Les réseaux sont ici particulièrement brouillés et sans grands moyens. L’augmentation du prix du bois favorise un large intérêt pour ce matériau, mais il n’est pas possible de percevoir, à l’heure actuelle, s’il existe pour autant une restructuration perceptible entre les xve et xvie siècles.

98Le secteur de la pierre n’est pas très lisible. Il semble que l’on traite directement avec les carriers ; l’organisation des réseaux se fait sans intermédiaire. Le rôle des marchands y est bien discret, même pour des pierres de qualité. Les débouchés de la pierre sont, à l’inverse du bois, limités à la construction, et les plus-values sont peut-être trop faibles pour que des marchands s’y intéressent véritablement ; la place est donc laissée à des entrepreneurs de moindre envergure.

  • 132 Arch. dép. Vienne, E4 27, 18 février 1519.
  • 133 Bib. nat., ms. fr. 8819, fol. 53, du 7 juillet au 3 novembre 1435.
  • 134 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 157, L. 4, compte de 1493-1494, fol. 199 v°, 214 v°.
  • 135 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

99Les maçons urbains, les plus solides financièrement, se risquent à louer des carrières autour de Poitiers132. Quelques marchands interviennent aussi dans la commercialisation de l’ardoise, qui n’est pas d’origine locale. Utilisée sur des édifices prestigieux ou symbole du pouvoir (châteaux, enceintes urbaines, manoirs et églises), son emploi est fréquent. Bien que son origine soit rarement précisée, deux axes de commercialisation se distinguent (carte n° 7). Le premier, maritime puis fluvial, concerne plus spécialement le sud du Poitou, aux frontières de la Saintonge et de l’Aunis. Les ports de Marans et de La Rochelle servent de point d’importation et de redistribution des ardoises bretonnes : en 1435, Guillaume Fenrer, de Redon, livre par mer à Marans les ardoises du château de Mervent133. Le second axe de commercialisation est plus septentrional. Au nord du Poitou, la Loire puis la Vienne et le Thouet servent de voie de pénétration pour les ardoises angevines. En 1493-1494, Jean Cresson, couvreur, embauché sur le chantier de la chapelle Saint-Georges d’Argenton-Château, est payé pour aller aux Ponts-de-Cé choisir sa matière première134. Un peu plus tard, c’est le receveur de la seigneurie d’Argenton-Château, Antoine Bredoux, qui se déplace à Angers pour la même raison. Les ardoises de la maison forte de Vasles sont fournies par un marchand de Candes-Saint-Martin, près de Chinon135.

  • 136 Ibidem. Ce marchand livre aussi du sel à l’abbaye.
  • 137 Pièce jointe n° 2.

100Le domaine du métal n’est pas très bien documenté. Les fournisseurs occasionnels de fer à Vasles sont des tuiliers, pour 1018 livres de fer et 38 de plomb en 1467 et 1468. Ils complètent ainsi l’apport d’un marchand nommé Baudoux, du proche village de sanxay, qui fournit 2 018 livres de plomb et 32 d’étain136. Ce ne sont pas des marchands spécialisés dans les métaux, le marché ne le permet pas, mais des marchands épiciers occasionnels, qui touchent un peu à tout. Ce secteur est particulièrement ouvert. L’un des fournisseurs de bois d’œuvre pour la maison de Guillaume Gourbault de Vasles n’est autre que le maréchal Thomas Pineau137. On le constate, les barrières entre les marchands et le monde de l’artisanat semblent aisées à franchir dans les campagnes. S’il ne semble pas trop compliqué à un tuilier de vendre du métal, il peut aussi bien devenir marchand tuilier. Les marchands ruraux se distinguent par des activités plus diversifiées et de moins grande ampleur que dans les villes. Ils ont aussi un pouvoir financier important et jouent parfois le rôle de banquier dans les campagnes.

101Les derniers acteurs sont les marchands. L’immixtion commence par un contrat qui lie l’artisan au marchand. L’absence de dépouillement massif des archives notariales ne permet malheureusement pas d’estimer la part de ce type de vente. Toutefois, ces contrats sont rares, car les ventes sont le plus souvent payées comptant et ne nécessitent pas de rédaction. Il est impossible de percevoir la proportion des contrats passés oralement, mais ils s’appliquent pour une bonne part à des demandes coutumières ne recouvrant pas de quelconque nouveauté. L’absence de contrat dans les archives notariales peut donc aussi se révéler être un indicateur de stabilité du marché, de ses protagonistes et de l’absence de nouveautés techniques.

  • 138 Chapelot J., op. cit., p. 173 ; Amouric H., Démians-d’Archimbaud G., op. cit., p. 610.

102Bien qu’ignorant le début de l’intérêt croissant des marchands urbains pour les productions artisanales rurales, rappelons que les artisans ruraux sont déjà en contact avec eux. Pour la réalisation de couvertes glaçurées et colorées sur des céramiques, des tuiles ou des carreaux, les artisans ont besoin de colorants (manganèse, cuivre, fer), de plomb, de minium et d’alquifoux. Dans la région, nous ne connaissons pas les réseaux d’approvisionnement des potiers, mais il est fort probable que ce soit le rôle des marchands, comme ailleurs en France138.

  • 139 Pièce jointe n° 7.
  • 140 Gilomen H.-J., « L’endettement paysan et la question du crédit dans les pays d’Empire », endetteme (...)
  • 141 Simon-Muscheid K., « Les documents normatifs et les “vécus” d’après les inventaires. Le cas de Bâl (...)

103Les rares documents en notre possession indiquent que la rédaction devant notaire est aussi liée à l’existence d’un prêt ou d’une dette et illustre le pouvoir des marchands. La présence du notaire est une garantie pour le créancier. Le 18 juillet 1572, Hilairet Guérin, potier, vend une charge de poterie en remboursement d’une somme de 40 s. t.139. Nous pourrions y voir le remboursement définitif d’une dette, à moins que ce ne soit une avance sur la commande. Cela n’est, de toute façon, pas bon signe pour la santé financière du potier. Les craintes se confirment dans la seconde clause du contrat : le marchand de Saint-Maixent lui accorde un second prêt de 56 s. t. remboursable sous 37 jours. Il a dû servir à rembourser la première somme. La nouvelle dette contractée étant plus lourde que l’ancienne ; la dépendance de cet artisan envers ce marchand prend de l’importance. Il y a ici un moyen pour le marchand de mettre la main sur toute la production artisanale, passée ou à venir, pour en contrôler ensuite la commercialisation, phénomène bien connu dans le monde rural, principalement autour des grains et du vin140. L’artisan donne l’impression d’entrer dans une spirale dont les causes nous sont inconnues, mais le caractère cumulatif des dettes du potier est à rapprocher de la paupérisation du monde rural au milieu du xvie siècle. La vente camoufle le prêt, mais témoigne, encore au xvie s. de sa licéité. Celle-ci est enregistrée devant un collègue artisan tuilier du même village qui se porte caution, mais dont nous ignorons tout, et notamment un éventuel lien de parenté. Ici, c’est un marchand urbain qui joue le rôle de créancier. Les paysans endettés connaissent des situations identiques de dépendance financière. Dans les villes, ce sont parfois des riches patrons du métier qui jouent ce rôle, en dépit d’une « idéologie corporative et de statuts de métiers141 ». L’artisan travaille alors plus souvent pour un entrepreneur.

  • 142 Chapelot J., « Le raffinage du sucre dans la seconde moitié du xvie siècle à La Rochelle et ses re (...)
  • 143 Hanusse C., op. cit., p. 202-207.
  • 144 Alessandri P., « Une tentative de délocalisation artisanale : le contrat proposé à deux potiers au (...)

104Certains contrats peuvent être accompagnés d’une clause d’exclusivité. Lors de leur signature, les marchands interdisent totalement aux artisans de vendre, à quiconque, soit des formes spécifiques de leur production, soit tout ce qui sort de leurs fours142. À sadirac, ce genre de contrat, caractéristique du xvie siècle, symbolise la lente mais inexorable mainmise des marchands bordelais sur les artisans et renforce leur monopole143. À la même époque, à Perpignan, un marchand ayant totalement financé l’installation de deux potiers, impose cette clause comme une contrepartie logique144. Aucun document de cette espèce n’a été découvert lors de nos dépouillements. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient inexistants, mais à Saint-Maixent, ni les marchands ni les bourgeois urbains ne possèdent de monopoles commerciaux, puisque les potiers de La Guérinière y vendent aussi leur marchandise sans intermédiaires.

  • 145 Favreau R., « La ville de Poitiers… », op. cit., p. 561.

105Cette discrétion relative des marchands urbains peut s’expliquer par les modestes perspectives financières de certaines productions artisanales locales. Les véritables grands marchands urbains poitevins s’intéressent plus aux carrières financières, aux offices de garde de l’hôtel de la Monnaie et aux fermes des impositions145. Les matériaux de construction représentent des bénéfices trop aléatoires par rapport au textile ou à l’orfèvrerie.

  • 146 L’artisan au village…, op. cit.

106L’inadaptation des réseaux d’approvisionnement est frappante. Ils sont rarement capables de faire face aux soubresauts du marché. Il y a donc encore, au début du xvie siècle, une large inadéquation entre les structures de production archaïques et la demande. L’entreprise, cette notion décisive de la vie économique et sociale, est présente dans le monde rural, qu’il ne faut en aucun cas opposer au monde urbain. De profonds liens les unissent, nous obligeant à les prendre comme un tout ; la recherche l’a bien mis en évidence146.

107Il faut, de plus, bien distinguer deux secteurs : premièrement, ceux (pierre, terres cuites architecturales) où la construction, dont l’essor n’est plus à démontrer, est l’unique débouché et deuxièmement, ceux (bois, métaux, verre) où le bâtiment n’est qu’un débouché parmi d’autres. Dans le second groupe, les intervenants (les marchands) peuvent s’avérer plus nombreux, et les profits probablement plus élevés, générant une dynamique plus importante.

108Les ateliers artisanaux subissent de nombreuses contraintes avant d’entrer en activité. Parmi les impératifs d’installation, le rôle des sources d’énergie est de plus en plus prépondérant ; c’est notamment le cas pour les moulins à fer, installés sur les cours d’eau. Outre le statut des ateliers qui a été exposé, une autre distinction peut être rajoutée entre deux types d’artisanat : il est primordial en effet de distinguer l’artisanat installé dans les campagnes de l’artisanat rural.

109Dans le premier, les ateliers s’installent en milieu rural pour des raisons purement économiques, entre autres pour des facilités d’accès aux sources d’énergie. C’est le cas des verreries et des grosses forges ou moulins à fer. Leurs détenteurs sont des ouvriers hautement qualifiés, parfois de véritables entrepreneurs, qui ne sont pas à proprement parler des artisans ruraux. Ils fuient la proximité des villes afin de trouver un combustible plus abondant et meilleur marché.

110Dans le second cas, les structures de production sont anciennement et traditionnellement implantées en campagne. Les ruraux y sont donc beaucoup plus impliqués. Cette distinction entre deux types d’artisanat, trouve aussi des justifications dans des aspects plus techniques (utilisation du procédé indirect dans la métallurgie).

111L’usage, en place depuis plusieurs siècles, est étroitement lié à une vision nourricière de la forêt. Celle-ci est indispensable à la survie des populations encore cloisonnées dans une certaine autarcie. L’ouverture progressive des campagnes médiévales va, lentement mais profondément, bouleverser l’équilibre entre les usagers et les seigneurs fonciers. De plus en plus, les forêts, à l’instar des campagnes, s’ouvrent à l’économie de marché. Ce mouvement progressif n’est pas neuf : les plus anciennes redevances, même si elles ne sont pas poitevines, en témoignent. Ce qui semble changer entre les xiie et xiiie siècles et le xve siècle, c’est l’ampleur du phénomène. Il y a un rôle marchand de la forêt, en pleine croissance, qui fait du même coup exploser le cadre de la coutume, totalement inadaptée à la situation de la fin du xve siècle et du début du xvie siècle.

112Les travaux sur l’économie sont souvent attirés par le spectre du grand commerce international. Ce n’est pourtant pas l’unique niveau de marché à prendre en compte. Les productions artisanales ne s’y intègrent pas de la même manière ; il nous faut donc aborder séparément les diverses strates de débouchés. Le marché local, si difficilement perceptible, est un marché de proximité, celui qui semble le plus accessible aux productions des ateliers ruraux à faible valeur marchande. Avec le passage d’un système d’autoconsommation à un système d’échange, on ne quitte pas complètement l’économie domaniale ; les ateliers y sont encore probablement très intégrés. Ils répondent toujours à une demande locale, sur des circuits de commercialisation peu étendus, à l’échelle de quelques paroisses ou d’une micro-région.

113Au sein des régions, il existe des zones plus étendues couvrant des baronnies ou de grandes châtellenies, c’est-à-dire une zone élargie par rapport au marché local. Les ateliers impliqués dans cette dynamique s’imbriquent à la fois dans le réseau des marchés et dans celui des foires en pleine expansion au xve siècle.

  • 147 Favreau R., op. cit., p. 246.
  • 148 Chapelot J., « Les origines du village de La Chapelle-des-Pots (Charente-Maritime) et de la produc (...)
  • 149 Fajal B. « Une communauté de potiers normands du xve au xixe siècle : statuts et règlements du cen (...)
  • 150 Favreau R., op. cit., p. 444.
  • 151 Chapelot J., « Le raffinage… », op. cit., p. 172.

114À un degré supérieur, nous atteignons le niveau du grand commerce interrégional, voire international. Les productions qui s’y intègrent sont peu nombreuses. Les draps du Poitou ont, à certains moments, pu y trouver leur place ; ceux de Parthenay ou de Bressuire s’exportent ainsi vers l’Anjou, la Saintonge et la Touraine147. L’exemple le plus célèbre reste celui des ateliers de potiers de La Chapelle-des-Pots, en Saintonge. Les productions se retrouvent en abondance dans les îles Britanniques et en Europe du Nord aux xiiie-xive siècles148. Cette production rurale parvient à s’intégrer au grand commerce, probablement par l’intermédiaire des flux d’exportation des vins d’Aunis et du Poitou. Certains potiers normands ou mayennais parviennent de manière identique à accéder au grand commerce en fournissant les contenants du beurre149. À ce jour, les ateliers étudiés précédemment n’ont pas permis de trouver des situations analogues : cela n’a rien d’étonnant quand on connaît la position discrète du Haut-Poitou dans les courants commerciaux du bas Moyen Âge150. Inversement, les ateliers localisés dans l’arrière-pays rochelais ou dans le sud de la Vendée ont pu entrer en contact avec le grand commerce. Au xvie siècle, certains fournissent des formes à sucre pour les raffineries rochelaises, profitant ainsi du dynamisme du port charentais151.

115Sur tous ces points, l’image de l’artisanat rural stable et rigide se fissure. Au contraire, nous percevons la présence d’évolutions. Les caractéristiques physiques de l’artisanat rural ont donc leur histoire, leurs évolutions, que les sources écrites autorisent à appréhender plus ou moins correctement suivant les cas. Toutefois, ce secteur de la recherche doit récupérer des éléments de réponse dans d’autres sciences auxiliaires de l’histoire, notamment l’archéologie. L’organisation matérielle des ateliers, l’évolution des fours à poteries ou à tuiles, les changements ou les modes dans l’usage de couvertes (glaçures) ont plus de chance d’être expliqués par l’étude du mobilier archéologique que par des mentions dans les documents écrits. La simple étude des caractères physiques ne suffit pas à expliquer toutes les évolutions. Celles-ci induisent d’autres mutations humaines, cette fois-ci plus inhérentes aux métiers, qu’il s’agit maintenant d’envisager.

Notes

1 Fossier R., op. cit., p. 8.

2 Merle L., op. cit., p. 31-37.

3 Rédet L., Dictionnaire topographique de la France - département de la Vienne, Paris, 1881, p. I ; Ledain B., Dictionnaire topographique de la France - département des Deux-sèvres, Poitiers, 1902, p. VII. Cela confirme l’antinomie existante entre les pays de bocage et les étendues forestières. Pour le xviie siècle, Michel Devèze a mis en évidence les carences de cette zone géographique. La décomposition de la forêt et la constitution du bocage correspondent à l’émiettement de l’habitat, les haies devant compenser l’absence de frondaisons, Devèze M., « Les forêts royales du Poitou au xviie s. », La forêt française et ses défrichements des origines au code forestier de 1629, actes du 87e congrès national des sociétés savantes (Poitiers, 1962), Paris, 1963, p. 543.

4 Devèze M., op. cit., p. 545.

5 C’est notamment le cas des bois d’Aulnay, où la moitié du massif a été réduite et cultivée pour le Bénéfice des pères minimes de La Rochelle (Devèze M., op. cit., p. 548).

6 C’est le cas de bois à Chavagné et à Lans (près de Montmorillon), à Usson et à Guillemans, à La Doussière (près de Toulon-sur-Vienne), aux Touches (savigné, Saint-Gaudant et Genouillé).

7 Chapelot O., « La fourniture de la pierre sur les chantiers bourguignons (xive -xve siècles) », Archéologie minière, Forez et massif Central, mines et métallurgie (xiie-xvie siècles), actes du 98e congrès national des sociétés savantes (Saint-Étienne, 1973), Paris, 1975, p. 473 ; Hanusse C., op. cit., p. 34-36 ; Chapelot J. (dir.), Potiers de Saintonge-huit siècles d’artisanat rural, catalogue d’exposition du musée national des Arts et Traditions Populaires (novembre 1975-mars 1976), Paris, 1975, p. 43 ; Fichet de Clairefontaine F. (dir.), Ateliers de potiers médiévaux en Bretagne, Paris, 1996, p. 141-149.

8 Benoît P., « Le métal en France au xve siècle », Prigent Ch. (dir.), Art et société en France au xve siècle, Paris, 1999, p. 504-505.

9 Arch. dép. Vienne, 2H5 31.

10 Arch. dép. Vienne, reg. 22 sup., feuille volante, vers 1476.

11 C’est le cas des carrières de Chauvigny et Lussac-les-Châteaux dans la vallée de la Vienne, Lavoux, Ensoulesse, Breuil-L’Abbesse dans la vallée du Clain. Favreau R., « Jean de Berry et la ville de Poitiers », Fürstliche residenzen im spätmittelalterlichen europa (Herausgegeben von Hans Patze und Werner Paravicini), Varträge und forschungen XXXVI. Sigmaringen, 1991, p. 108.

12 Longuemar M.-A. de, Géographie populaire du département de la Vienne, Poitiers, 1869, p. 152.

13 C’est le cas de la carrière de Pompois au xve siècle (Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 157, liasse 3). Dupin C., Dictionnaire géographique et agronomique et industriel du département des Deux-sèvres, Plisson, Niort, an XI, p. 28-29 ; Longuemar M.-A. de, op. cit., p. 106.

14 Favreau R., « La ville de Poitiers… », op. cit., p. 7. Par exemple, en 1077, pour le secteur de Bonneuil-Matours, « Recueil de documents relatifs à l’abbaye de Montierneuf de Poitiers (1076-1319) », Villard F. (éd.), Archives historiques du Poitou, t. Lix, 1973, p. 11-14.

15 Par exemple en Comtat Venaissin, Amouric H., Démians d’Archimbaud G., « Potiers de terre en Provence-Comtat Venaissin au Moyen Âge », Barral I Altet X. (éd.), Artistes, artisans et production artistique au moyen Âge, Paris, 1986-1989, p. 606.

16 C’est aussi le cas dans de nombreuses régions productrices : Bordelais (Hanusse C., op. cit., p. 126), Bretagne (Fichet de Clairefontaine F., Ateliers de potiers médiévaux en Bretagne, Paris, 1996, p. 92), Provence (Thiriot J., Les Ateliers médiévaux de poterie grise : en uzège et dans le Basrhone, Paris, 1986, p. 26). ils sont parfois plus lointains comme en Bourgogne (Calvet M.-F., Chavrier B., Maillard A., Étude sur l’artisanat de la tuile en Champagne méridionale à la fin du moyen Âge, mémoire de maîtrise de l’université de Paris 1, 1973, p. 23-24).

17 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

18 Cf. p. 33-34.

19 Les potiers de La Pionnière, près de Parthenay, brûlent des brandes à la fin du xve siècle (Arch. nat., R1 192).

20 Carte n° 3.

21 C’est le cas en Bourgogne, en région chartraine, en Franche-Comté, en Dauphiné, en Normandie, en Picardie, en Provence… (Billot C., op. cit., p. 218 ; Foy D., « Les déterminants de l’artisanat du verre : les matières premières et l’implication des communautés, des marchands et des seigneurs », L’artisan au village dans l’europe médiévale et moderne (Flaran XIX, 1997), Toulouse, 2000, p. 179).

22 Foy D., op. cit., p. 176-178.

23 Flambard-Héricher A.-M., « Au service de la ville comme de la campagne : les potiers bas-normands au Moyen Âge, organisation de la production », La ville médiévale en deçà et au-delà de ses murs, Mélanges Leguay P., Rouen, 2000, p. 31.

24 Arch. dép. Vienne, 2H1 28. C’est aussi le cas de la maison de Catin Magnenne, à Champdenier où se trouve une forge en 1478 (Arch. nat., R1 187).

25 Arnoux M., op. cit., p. 21-25. Une forge peut aussi être créée près d’un lieu où les outils métalliques, quels qu’ils soient, sont soumis à rude épreuve et s’usent rapidement. il est fréquent de repérer des forges temporaires sur les grands chantiers de construction, dans les carrières ou à proximité des mines (Bailly-Maître M.-C., Bruno J., « La mine de plomb argentifère de Brandes en Oisans (Isère), xiie-xive siècles », Benoit P., Braunstein Ph. (éd.), mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale, actes du colloque de Paris (1980), Paris, CNRS, 1983, p. 292-293 ; Benoît P., Chapelot O. (éd.), Pierre et métal dans le bâtiment au Moyen-Âge, Paris, 1985, p. 64).

26 Voici quelques exemples : pour les tuileries Chapelot O., « Les tuileries ducales en Bourgogne (xive-xve s.). L’apport des textes à la connaissance des bâtiments », Deroeux D. (dir.), Terres cuites architecturales au moyen Âge (colloque juin 1985), Mémoires de la commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, xxii, 2, 1986 ; pour les forges Benoit P., Guillot I., Ploquin A., « Les forges minières au Moyen Âge et à la Renaissance, approche archéologique et paléo-métallurgique », Campagnes médiévales : l’homme et son espace, Études offertes à robert Fossier, Paris-Publications de la sorbonne, 1995, p. 639-652.

27 Rose-Villequey G., Verre et verreries de Lorraine au début des temps modernes (de la fin du xve siècle au début du xviie siècle), Nancy, 1970, p. 127-129.

28 Amouric H., Foy D., « Liberté ? Contrainte et privilège. Les artisanats de la terre et du verre dans la Provence médiévale », Les libertés au moyen Âge : festival d’histoire de montbrison (1986), 1987, p. 255.

29 Rose-Villequey G., op. cit., p. 134-135.

30 Notamment l’article 9 de l’ordonnance de 1519 (cf. p. 140).

31 Arch. dép. Vienne, G 1527, fol. 54.

32 Chapelot O., « Les tuileries… », op. cit. ; Chapelot O., « Tuiliers bourguignons aux xive et xve s. : aspects socio-économiques de la production », Chapelot J., Galinié H., Pilet-Lemière J. (éd.), La céramique (ve-xixe s.) Fabrication, commercialisation, utilisation, 1er congrès international d’archéologie médiévale (Paris, 1985), Caen, 1987.

33 Barentin J.-H., Colbert de Croissy C., op. cit., p. 64.

34 Arch. dép. Vienne, E4 1, liasse 139, 4 février 1455.

35 Arch. dép. Vienne, 2H1 95, 8 août 1505 et 7 décembre 1524.

36 Guérin P., op. cit., 1903, p. 45 (doc. 1152).

37 Chapelot J., « Aspects socio-économiques de la production, de la commercialisation et de l’utilisation de la céramique, rapport introductif », Chapelot J., Galinié H., Pilet-Lemière J. (éd.), La céramique (ve-xixe s.) Fabrication, commercialisation, utilisation, 1er congrès international d’archéologie médiévale (Paris, 1985), Caen, 1987, p. 170.

38 C’est le cas en Bourgogne (Chapelot O., « Les ouvriers du métal en Bourgogne à la fin du Moyen Âge : l’exemple du châtillonnais », Benoît P., Chapelot O. (éd.), Pierre et métal dans le bâtiment au moyen Âge, Paris, 1985, p. 375-381), en Bordelais (Hanusse C., op. cit., p. 104), en Bretagne (Fichet de Clairfontaine F. (dir.), op. cit., p. 32), en Saintonge (Chapelot J., « Le droit d’accès à l’argile et à la pierre des tuiliers-chauniers d’écoyeux (Charente-Maritime) aux xve-xvie s. : l’apport des sources judiciaires », Benoît P., Braunstein P. (dir.), Mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale, actes du colloque de Paris, 19-21 juin 1980, Paris-CNRS, 1983, p. 125-126) et dans la région de Toulouse (Marandet M.-C., « Tuiliers et potiers de la région toulousaine à la fin du Moyen Âge », Archéologie du midi médiéval, t. 4, 1986, p. 126).

39 Rédet L., « Cartulaire de l’évêché de Poitiers », Archives historiques du Poitou, t. X, 1881, p. 268.

40 Pièce jointe n° 5. Avertissement : toutes les sommes sont exprimées en livres, sous et deniers tournois, abrégés l. t., s. t. et d. t., La valeur du boisseau de froment connaît de grands écarts suivant les années plus de 11 d. t. en 1467 à Poitiers, environ 20 d. t. dans les années 1470 à Vasles, à 48 d. t. en 1503 à Poitiers (id., 2H1 45 ; Favreau R., op. cit., p. 561).

41 Arch. dép. Vienne, G 43.

42 Arch. dép. Vienne, G 1386, n° 227.

43 Le vieux coustumier de Poitou, Filhol R. (éd.), Bourges, 1956, art. 638.

44 Arch. dép. Vienne, E2 111, 8 septembre 1473. Guillaume Dubout, de Limalonges, aura seulement droit de prendre le bois de charpente dans les bois de Jean Jousserat, seigneur de Lairé et de Taizay.

45 Arch. dép. Vienne, E2 222, 28 novembre 1469.

46 Une servitude est l’une des nombreuses obligations grèvant les propriétés privées au profit de l’intérêt général ou du domaine public. Le fonds dominant est le bien, immeuble bâti ou non bâti au profit duquel est établie une servitude juridique. Le fonds servant est le bien, immeuble bâti ou non supportant la charge d’une servitude juridique.

47 Ce phénomène a été constaté en Poitou, Sanfaçon R., Défrichements, peuplement et institutions seigneuriales en haut-Poitou du xe au xiiie s., Québec, 1967, p. 101, et ailleurs en France, notamment : Fossier R., « Franchises rurales, franchises urbaines dans le nord de la France », Villes, bonnes villes, cités et capitales, mélanges offert à Bernard Chevalier, Tours, 1989, p. 179-192 ; Devèze M., La vie de la forêt française au xvie s., Paris, 1961, t. 1, p. 60.

48 Arch. nat., R1 205 (copie du xviie siècle).

49 C’est le cas en forêt d’Orléans et d’Othe : Rubner H., « Recherches sur la réorganisation forestière en France (xiie-xiiie siècles) », Forêts et communautés rurales xvie-xviie s., actes du 88e congrès national des sociétés savantes (Clermont-Ferrand, 1963), Paris, 1965, t. II, p. 274.

50 Signalons ceux d’Espinasse, connus par un plan de la forêt de Mareuil du xviiie siècle (Arch. dép. Vienne, G 13).

51 Toutes les superficies datent du xviie siècle et sont tirées de Devèze M., op. cit., t. II, p. 400 et « Les forêts royales… », op. cit., p. 544.

52 52. Montreuil-Bonnin, forêt royale jusqu’en 1423, ensuite possession de la famille Vernon ; Favreau R., op. cit., p. 274.

53 Possession du chapitre de Saint-Hilaire-le-Grand (Arch. dép. Vienne, G 504).

54 Forêt de l’évêque de Poitiers. Arch. dép. Vienne, G 42.

55 Ces droits peuvent être divisés entre deux propriétaires ; c’est alors un pariage, une indivision. Quel que soit leur statut, ils ont une totale liberté vis-à-vis du fonds, ils en ont la pleine et nue propriété.

56 Arch. dép. Vienne, En 622, copie de 1614.

57 Cette liste provient de l’article 40 de l’ordonnance royale de Charles V de juillet 1376 (Ordonnances des rois de France, t. XII, p. 210-212) avec quelques ajouts dans la coutume de Poitou (Boucheul J., Coûtumier général ou corps et compilation de tous les commentateurs sur la coutume du comté et pays de Poitou, Poitiers, 1727, p. 447-50, n. 8).

58 Par exemple en forêt de La Gâtine « s’il scet qu’il ne soit leu ne parmis ausd. usaigiers ne a autres de prandre boys de ligne pour bastir édiffier sans premièrement demander monstrée en avoir marque ». Arch. dép. Vienne, G 63, 5 juillet 1480.

59 Arch. dép. Vienne, G 43.

60 Un goret coûte 34 d. t. en 1469 à Vasles et 30 en 1470 (Arch. dép. Vienne, 2H1 45). La valeur d’un simple cochon de lait est de 36 d. t. en 1516 à Villesalem (ibid., 2H5 42). Pour le seul village potier d’Espinasse, 147 bêtes sont comptabilisées en pacage en 1503-1504 (ibid., G 43, fol. 250 v°-251).

61 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 1, B418. Meyer L., Les coutumes de Charroux (1150-1270), mémoire de maîtrise de l’université de Poitiers, 1996, p. 141 ; Richard A., Archives seigneuriales du Poitou, inventaire analytique des Archives du château de La Barre, Saint-Maixent, 1868, t. II, p. 115. 62.

62 Arch. dép. Vienne, G43, fol 259 v°.

63 Arch. nat., 1AP 1583.

64 Ateliers de Lorris, près de la forêt d’Orléans (Chapelot J., « Aspects socio-économiques… », op. cit., p. 169, n. 1).

65 Amouric H., Démians d’Archimbaud G., « Potiers de terres en Provence-Comtat Venaissin au Moyen Âge : le travail des hommes », Barral I Altet X. (éd.), Artistes, artisans et production artistique au moyen Âge (Rennes, 1983), Paris, 1986, p. 614.

66 Devèze M., « La vie de la forêt… », op. cit., t. II, p. 338, 353-364.

67 Pièce jointe n° 1.

68 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

69 Ibid., G 1582, fol. 64, 19 juillet 1462.

70 Pour Paul Raveau, le dernier procédé est rencontré en Poitou : Raveau P., op. cit., p. 7-40.

71 Devèze M., op. cit., t. 1, p. 87, n. 6 et 7.

72 Droit rapporté par Beaumanoir, p. 429, ap. ste-Pal., éd. Favre (cité dans Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française…, Paris, 1880, article Escorçage).

73 L’exploitation des pierres à meule de la forêt de Moulière est affermée depuis 1429 (Barentin J.H., Colbert de Croissy C., op. cit., p. 63 ; Arch. dép. Vienne, dépôt 22, L. 4). Les baux sont conservés pour les années 1595 et 1615. La plupart des carrières de pierre de qualité sont fermées aux usagers, seuls des accords ponctuels dans le cadre de la reconstruction autorisent un tenancier à prendre de la pierre pour construire sa maison (id., E2 111, 5 février 1472).

74 Le sable est âprement défendu : ainsi les chanoines du chapitre Saint-Pierre-le-Puellier de Poitiers engagent des poursuites judiciaires contre un de leurs fermiers qui avait « pris et emmené gran quantité de charetés de sable qu’il a tiré et besoché » (ibid., G 1769, 3 septembre 1496).

75 Id., C 317, fol. 35 v°, 7 juin 1409.

76 La Normandie, sur laquelle Mathieu Arnoux a pourtant rassemblé un impressionnant corpus documentaire, connaît bien peu de textes mentionnant un tel droit (Arnoux M., op. cit., p. 233-37).

77 Chapelot J., op. cit., p. 169, n. 2.

78 Le Patourel H.-E., « Documentary evidence and the medieval pottery industry », Medieval archeology, t. XII, 1968 ; Chapelot J., op. cit., p. 169-170.

79 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

80 Ibid., 2H1 9.

81 Chapelot J. et O., « L’artisanat de la poterie et de la terre cuite architecturale : un moyen de connaissance des sociétés rurales du Moyen Âge », L’artisan au village dans l’europe médiévale et moderne (Flaran XIX, 1997), 2000, p. 103-104.

82 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

83 Bois-de-Céné fait partie au Moyen Âge des marches séparant le Poitou de la Bretagne.

84 Arch. dép. Vienne, J 211 ; Bib. mun. de Poitiers, fonds Ledain, ms 603, p. 569.

85 Chapelot. J., op. cit., p. 169.

86 Comme par exemple à Lamballe, en Bretagne (Fichet de Clairfontaine A.-M. (dir.), op. cit., p. 36-73) et à écoyeux, en Saintonge (Chapelot J., « Le droit d’accès… », op. cit., p. 141-44).

87 Chapelot J., « Une famille d’artisans de la terre cuite à Genouillé (Vienne) seconde moitié du xve- début du xvie siècle », Archéologie médiévale, t. XXXV, 2005, p. 159.

88 Arch. dép. Vienne, C 317, fol. 35 v°.

89 Favreau R., « La forêt de Chizé au Moyen Âge », Forêt et communautés rurales xvie-xviie s., actes du 88e congrès national des sociétés savantes (Clermont-Ferrand, 1963), Paris, 1963, t. II, p. 213.

90 Arch. nat. R1 192.

91 Coquille G. de, Questions et réponses sur les coutumes de France, Paris, 1622, p. 20-22 ; Boucheul J., op. cit., t. 2, p. 387, commentaire de l’article 302 (article 742 de la vieille coutume). Chapelot J., « Le droit d’accès… », op. cit., p. 139 (citant Argentré B. de, Commentarii in patrias britonum leges, seu consuetudines generales antiquissimi ducatos Britanniae, éditio altera Emendatior, Paris, 1614, Article LX, p. 274).

92 Chauffour J. de, Instruction sur le faict des eaues et forest, Paris, 1603, fol. 127. Le vocable « mine » recouvre ici, outre l’extraction de minerai, celle de la terre glaise et du calcaire pour la chaux.

93 Vieux coustumier, op. cit., art. 417 et 638.

94 Le Patourel H.-E., op. cit., p. 104-106.

95 Chapelot J., « Aspects socio-économiques », op. cit., p. 170 (citant Lechaudé D’Anisy E., Charma A., « Magni Rotuli scaccarii Normaniae sub regibus Angliae », mémoire de la société des antiquaires de normandie, 1852, XVI, 2e s., t. I, p. 1 ; I, p. 263 ; II, p. 373).

96 C’est le cas au palais de Poitiers en 1385 ou au château de Parthenay en 1442 (Arch. nat., KK 256 ; id., R1 188) ; pour Aix, Bernardi Ph., Métiers du bâtiment et techniques de construction à Aix-en-Provence à la fin de l’époque gothique (1400-1550), Aix-en-Provence, 1995, p. 199-200.

97 Dans les tarifs de l’ordonnance de 1307, fixant le prix des denrées à Poitiers, la somme de bûches chargées sur un cheval revient à 5 d. t. et celle de la mule ou du mulet à 7 d. t. (Cathelineau L., « Les anciennes mesures des Deux-sèvres comparées à celles du système métrique », Mémoires de la société historique et scientifique des Deux-sèvres, 3e a., 1907, p. 96).

98 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 1, B63 ; Recueil des documents…, op. cit., 1891, p. 213 (doc. 1167).

99 Arch. dép. Vienne, 2H1 45 ; pour la Bourgogne, Chapelot O., « La fourniture… », op. cit., p. 92.

100 Arch. dép. Deux-sèvres, J 2085.

101 Arch. nat., KK 256-257 ; Bib. nat., ms. fr. 20686.

102 Crozet R., « Textes et documents relatifs à l’histoire des arts en Poitou (Moyen Âge - début de la Renaissance) », Archives historiques du Poitou, t. LIII, 1942, p. 88-89.

103 Arch. dép. Vienne, G 1386.

104 Carte n° 4.

105 Favreau R., op. cit., p. 172 ; Arch. nat., R1206 ; Arch. dép. Vienne, G 63 ; Arch. nat., 1AP 1583 ; Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 1, B63.

106 « Le compte de Geoffroy Faiffeu, receveur de la ville de Niort 1487-1488 », Doinel J.-s. (éd.), Mémoire de la société de scientifique des Deux-sèvres, t. XIII, 2e s., 1873-1874, p. 347.

107 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

108 Bernardi Ph., op. cit., p. 259-262.

109 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 1, D110, comptes de 1521-1523.

110 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

111 Wolf Ph., op. cit., p. 458.

112 Champagne A., « Maisons rurales, pouvoir seigneurial et reconstruction au xve siècle : l’exemple poitevin », Antoine A. (dir.), La maison rurale en pays d’habitat dispersé de l’antiquité au xixe siècle, actes du colloque de Rennes (mai 2002), Rennes, 2005, p. 161.

113 Arch. dép. Vienne, registre 22 sup., n° 68, p. 106.

114 Carte n° 12. Arch. dép. Vienne, 2H5 31 ; id., G 63.

115 Pièce jointe n° 4.

116 Lartigaut J., op. cit., p. 418.

117 Rédet L., « Dictionnaire topographique… », op. cit., p. 268.

118 Richard A., « Recherches sur l’organisation communale de la ville de Saint-Maixent jusqu’en 1790 », Poitiers, p. 58.

* Prix en sols tournois par an.

119 Bib. mun. de Poitiers, ACP, casier 31, J984-995 ; casier 32, J1289-1295, J1326 ; casier 35, K9.

120 À Douai, par exemple, la construction de la porte Notre-Dame nécessite plus d’un million de briques, et celle de la halle 1 700 000 briques au milieu du xve siècle. Salamagne A., « L’approvisionnement en pierre des chantiers médiévaux : l’exemple de Douai (Nord) aux xive et xve siècles », Archéologie médiévale, t. XXVI, 1997, p. 55.

121 Arch. nat., R1 188.

122 Chapelot O., « Tuiliers bourguignons… », op. cit., p. 198.

123 Arch. nat., 1AP 1416-1418 (Thouars et Bois-Chalons), 1AP 1296 (Missé et Riblères) ; id., R1 188, 192 (Parthenay) et 206 (secondigny) ; Arch. dép. Deux-sèvres, E 1647, fol. 249-251 (Bressuire) ; id., Gna 114 et 1E sup. 157, L. 4 ; Arch. dép. Vienne, E2 sup. 96 (Argenton-Château).

124 Arch. dép. Deux-sèvres, E 1647.

125 En 1427, les échevins de Poitiers se font accompagner par des soldats lors de leurs déplacements (Favreau R., « La ville de Poitiers… », op. cit., p. 273).

126 Bernardi Ph., « Construction et politique en Provence : l’approvisionnement en matériaux, une affaire publique ? », La ville au moyen Âge, actes du 120e congrès national des sociétés historiques et scientifiques (1995, Aix-en-Provence), Coulet N., Guyotjeannin O. (éd.), Paris, 1998, p. 323.

127 Arch. dép. Vienne, G 982.

128 Bib. mun. de Poitiers, ACP, casier 32, J1222, J1225.

129 Bernadi Ph., « Jeune, pauvre, étranger… : d’autres manières d’être maître », Borglioni P., Delort R., Gauvard Cl. (éd.), Le petit peuple dans l’occident médiéval, Paris, 2002, p. 431.

130 Favreau R., « La forêt de Chizé… », op. cit., p. 176-177.

131 Chapelot O., « Bois sec, bois vert, vraie ou fausse question ? », Le bois dans le château de pierre au moyen Âge, Actes du colloque de Lons-le-Saunier (1997), Besançon, 2003, p. 79-89. 132.

132 Arch. dép. Vienne, E4 27, 18 février 1519.

133 Bib. nat., ms. fr. 8819, fol. 53, du 7 juillet au 3 novembre 1435.

134 Arch. dép. Deux-sèvres, 1E sup. 157, L. 4, compte de 1493-1494, fol. 199 v°, 214 v°.

135 Arch. dép. Vienne, 2H1 45.

136 Ibidem. Ce marchand livre aussi du sel à l’abbaye.

137 Pièce jointe n° 2.

138 Chapelot J., op. cit., p. 173 ; Amouric H., Démians-d’Archimbaud G., op. cit., p. 610.

139 Pièce jointe n° 7.

140 Gilomen H.-J., « L’endettement paysan et la question du crédit dans les pays d’Empire », endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne (Flaran, 1995), Toulouse, 1998, p. 109 ; Zerner M., « La question du crédit dans les campagnes du Comtat Venaissin au début du xve siècle : enquête dans les registres notariés », ibid., p. 199-216.

141 Simon-Muscheid K., « Les documents normatifs et les “vécus” d’après les inventaires. Le cas de Bâle et de la région du Haut-Rhin », Lambrechts P., Soisson J.-P. (éd.), Les métiers au moyen Âge : aspects économiques et sociaux, Louvain-la-Neuve, 1994, p. 320.

142 Chapelot J., « Le raffinage du sucre dans la seconde moitié du xvie siècle à La Rochelle et ses relations avec les ateliers céramiques régionaux », Archéologie médiévale, t. XXXV, 2005, p. 69.

143 Hanusse C., op. cit., p. 202-207.

144 Alessandri P., « Une tentative de délocalisation artisanale : le contrat proposé à deux potiers au xvie s. », Études roussillonnaises, 1998, XVI, p. 63-70.

145 Favreau R., « La ville de Poitiers… », op. cit., p. 561.

146 L’artisan au village…, op. cit.

147 Favreau R., op. cit., p. 246.

148 Chapelot J., « Les origines du village de La Chapelle-des-Pots (Charente-Maritime) et de la production céramique médiévale Saintongeaise », Archéologie médiévale, t. XXXV, 2005, p. 84.

149 Fajal B. « Une communauté de potiers normands du xve au xixe siècle : statuts et règlements du centre de Ger (Manche) », Histoire et sociétés rurales, n° 10, 2e semestre 1998, p. 240.

150 Favreau R., op. cit., p. 444.

151 Chapelot J., « Le raffinage… », op. cit., p. 172.

Table des illustrations

Titre Tableau n° 1 : Statuts des centres de production de terres cuites poitevins à la fin du Moyen Âge
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Titre Tableau n° 2 : Répartition des charrois de la pierre de « La Jovenetière » vers le chantier de Vasles en 1471 110
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Titre Tableau n° 3 : Contrats de location d’étals par les potiers de La Guérinière au xvie siècle
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Titre Tableau n° 4 : Origine de l’approvisionnement de quelques chantiers de Poitiers en chaux et tuiles (xve siècle) 119
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