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Développement et variabilités

 | 
Sandrine Le Sourn-Bissaoui
, 
Gaïd Le Maner-Idrissi
, 
Virginie Dardier
, 
et al.

Deuxième partie. Apprentissage, handicaps et variabilités

Étudier la dynamique de l’ajustement réciproque mère/enfant au cours des échanges conversationnels : une analyse par grilles espace-état (GEE)

Julie Briec, Cyrille Perchec, Gaïd Le Maner-Idrissi y Françoise Bariaud

Texto completo

Introduction

1C’est par le biais de l’étayage exercé par l’adulte que l’enfant acquière progressivement ses habiletés conversationnelles (Bruner, 1983). L’ajustement de l’adulte à l’enfant permet à ce dernier d’élaborer des connaissances sociales tacites nécessaires pour la conduite des échanges conversationnels telles que : initier un échange, partager son attention sur un même objet, prendre un tour de parole (Guidetti, 2003). Dans les situations d’interaction, les partenaires exercent une influence mutuelle et réciproque (Dunham et Dunham, 1992) de manière implicite, d’une part, selon certaines caractéristiques particulières (sexe, handicap, tempérament, etc.) et de manière explicite, d’autre part, par le biais de leurs comportements (pleurs, rires, partages d’attention, etc.) (Vaughan et al., 2003).

L’ajustement du parent et son impact sur le développement de l’enfant

2Il est largement reconnu aujourd’hui que la sensibilité de la mère joue un rôle fondamental dans le développement précoce de l’enfant. Notamment, c’est par le biais des premiers échanges entre l’enfant et sa mère que la socialisation émerge et que se développe le langage (Veneziano, 2000).

3La sensibilité maternelle a des définitions à la fois variées et multi-dimensionnelles, incluant des construits tels que la présence, la coopération dans l’échange, le contact, l’attention portée à l’enfant, ainsi que l’affection (Tamis-Le Monda, Bornstein, Baumwell, Melstein et Damast, 1996). En dépit de ce large tableau de définitions, la plupart des chercheurs accordent une grande importance au construit de « responsiveness ». Celui-ci peut se définir comme la compétence de l’adulte à s’ajuster et orienter son intérêt sur les activités de l’enfant (Tamis-Le Monda et al., 1996). Élever son enfant de manière responsive, c’est pouvoir le guider et le soutenir, l’amener à prendre des initiatives tout en favorisant son sentiment d’auto-efficacité, l’envie et la sécurité (Bornstein 1989). En cela, la responsiveness peut être considérée comme exerçant de manière directe et indirecte une influence sur l’émergence des capacités des enfants. Les comportements parentaux sensibles et attentifs aux signaux de l’enfant ont une influence positive sur le développement cognitif et plus particulièrement linguistique ; tandis que les comportements qui interrompent, interdisent ou ignorent les initiatives de l’enfant apparaissent non reliés ou inversement reliés aux habiletés de l’enfant (Tomasello, 1995). Ainsi, lorsqu’elles sont contingentes avec l’activité de l’enfant, les conduites de l’adulte maternant permettent à ce dernier de développer à la fois des connaissances sur les caractéristiques de son environnement et d’anticiper les réponses typiques de son partenaire d’interaction. De plus, les réponses verbales de la mère qui visent à monitorer l’attention visuelle de l’enfant et son activité (réponses contingentes) maximisent la correspondance entre ce qui est dit (mot/phrase) et ce sur quoi l’enfant focalise son attention et/ou activité (Dunham et Dunham, 1992).

4Un autre aspect du parenting, semble-t-il associé au développement de la compétence linguistique de l’enfant, est l’attention conjointe. Les adultes promeuvent l’acquisition du premier vocabulaire de leur enfant quand ils soutiennent une attention visuelle sur les objets sur lesquels l’enfant pose aussi son attention (Bruner, 1983 ; Tomasello et Farrar, 1986). De plus, Tomasello et Todd (1983) montrent que les mères qui maintiennent de hauts niveaux d’attention conjointe durant des sessions de jeu non structuré avec leur enfant ont les enfants avec les plus hauts niveaux de vocabulaire.

5Enfin, un troisième comportement de parenting semble aussi favoriser l’émergence du langage chez l’enfant. Il s’agit d’attirer l’attention de l’enfant lorsque celui-ci est inattentif. Par exemple, les études de Bornstein et Tamis-Lemonda (1990) et Tamis-Lemonda et Bornstein (1989) montrent que les mères qui stimulent leur enfant inattentif de 2 et 5 mois pour qu’il se concentre sur des objets et évènements particuliers de l’environnement, ont des bébés qui sont plus souvent engagés dans l’exploration ainsi que dans le jeu symbolique ; ils montrent par ailleurs un vocabulaire réceptif plus large au cours de la seconde année.

6Il existe des comportements maternels sensibles à ce sur quoi l’enfant est focalisé ; il y en a d’autres qui interrompent, interdisent ou manquent l’initiative de l’enfant. Spécialement, des comportements intrusifs (ceux qui interrompent, contrôlent, ou redirigent l’activité de l’enfant) ont été identifiés comme étant non reliés au langage ou affectant négativement le langage. Tomasello et Farrar (1986) mettent en lumière que les mères qui initient l’interaction en dirigeant l’attention de leur enfant sur quelque chose de nouveau, plutôt que de suivre le focus attentionnel de l’enfant, ont des enfants avec un stock lexical moins dense et qui se montrent aussi moins autonomes dans la prise d’initiatives conversationnelles à 21 mois. Des différences dans le développement de l’attention conjointe de l’enfant peuvent être mises en lien avec les problèmes affectifs de l’adulte maternant (Goldsmith et Rogoff, 1997), les difficultés d’attachement (Claussen, Mundy, Willoughby et Scott, 2002), l’âge et la maturité de l’adulte (Flanagan, Coppa, Riggs, et Alarion, 1994) ou encore le niveau général de stimulations sociales dans l’environnement de la maison (Wachs et Chen, 1986).

7L’ajustement du parent est classiquement apprécié en termes de fréquence et de qualité des comportements de l’adulte maternant en réponse aux comportements du bébé en situation d’échange. Pour apprécier l’ajustement parental au cours d’un échange, Baumwell, Tamis-Lemonda et Bornstein (1997) identifient cinq comportements parentaux adressés à l’enfant, exclusifs les uns des autres, ainsi qu’un « non comportement » :

  1. La responsiveness ou ajustement : par exemple, lorsque l’enfant regarde une brosse à cheveux et que la mère dit : « Brosse. »

  2. Le partage d’attention sur le même objet : par exemple, lorsque l’enfant regarde la brosse et que la mère dit « la brosse. C’est rose », la description de la brosse est codée comme étant un partage d’attention.

  3. La demande d’attention : par exemple : « Regarde la brosse ! »

  4. La prohibition/restriction : par exemple, la mère empêche le comportement de son enfant : « Non, pas comme ça. »

  5. La redirection d’attention : par exemple, l’enfant regarde la brosse et la mère dit : « Regarde la tasse ! »

  6. L’absence de partage d’attention.

L’activité de l’enfant dans les situations d’échange avec l’adulte maternant

8Les premiers échanges entre le partenaire adulte et le bébé, caractéristiques de la période pré-langagière, présentent des caractéristiques structurales des futurs échanges conversationnels langagiers (Veneziano, 2000). Au sein de ces routines interactives, de ces activités conjointes, les échanges sont régulés, réglés, ils possèdent une structure et peuvent être considérés comme de véritables interactions conversationnelles.

9Ces deux dernières décennies de recherche et d’élaboration théorique ont pu souligner, au sein de ces routines interactives ou formats (Bruner, 1983 ; Laval et Guidetti, 2004 ; Guidetti, 2003), le rôle important de l’attention conjointe dans le développement de l’enfant (Dunham et Dunham, 1992 ; Morales, Mundy, Delgado, Yale, Messinger, Neal et Schwartz, 2000, Tomasello et Farar, 1986). L’attention conjointe se réfère à la capacité du jeune enfant à coordonner son attention visuelle avec un partenaire social sur un objet ou un évènement. Elle est classiquement définie par le temps passé dans une attention mutuelle sur un objet, dans une situation naturelle ou dans une expérience induisant des comportements de pointage ou de regard alternant le partenaire et l’objet d’attention. Le développement des habiletés d’attention conjointe durant l’enfance est mesuré et conceptualisé en 2 comportements (Vauhgan et al., 2003).

  1. L’habileté à suivre la direction du regard, la direction de la tête, ou des gestes de pointages d’un partenaire social. Il s’agit ici de l’habileté à répondre à un épisode d’attention conjointe.

  2. La tendance à initier une attention coordonnée avec un partenaire social, en pointant, montrant, ou alternant le regard entre l’objet ou l’évènement et le partenaire social.

10Durant la période de 9/12 mois, l’enfant a un développement important de ses habiletés d’attention conjointe et de coordination de l’attention avec un partenaire social. L’achèvement de la construction de l’attention conjointe constitue un des développements majeurs et fondamentaux de la période de la petite enfance. Cette compétence sociocognitive précoce constitue un soubassement nécessaire à l’acquisition du langage et au développement de compétences sociales futures (Bruner, 1983 ; Tomasello, 1995). Les épisodes d’attention conjointe sont considérés comme favorisant l’acquisition du langage parce que ce type de médiatisation de l’objet par le biais de l’interaction sociale aide l’enfant à identifier le référant de la production langagière du parent (Duham et Duham, 1992).

11Des observations suggèrent que les enfants présentent des différences importantes dans le développement de l’attention conjointe (Carpenter, Nagell, et Tomasello, 1998 ; Mundy et Gomes, 1998 ; Ulvund et Smith, 1996). Ces différences individuelles ont été mises en lien avec des différences ultérieures au niveau langagier (Mundy et Gomez, 1998), cognitif/intellectuel (Ulvund et Smith, 1996), social (Charman, Baron-Cohen, Swettenham, Baird, Cox et Drew, 2001 ; Carpenter et al., 1998 ; Morales et al., 2000, Mundy et Gomes, 1998) et de l’attachement (Claussen et al., 2002). Cependant, à ce jour, il y a peu d’études qui se sont intéressées aux facteurs contribuant à ces différences, et ceux-ci ne font état que de corrélations. Celles-ci seraient sous l’influence mutuelle de processus de maturation, notamment des capacités sociocognitives (Tomasello, 1995 ; Vaughan et al., 2003), de certains aspects du tempérament comme la réactivité émotionnelle (Trevarthen et Aitken, 2001 ; Vaughan et al., 2003) et d’interaction avec l’environnement, en particulier la sensibilité de l’adulte et sa capacité à s’ajuster à l’enfant (Duham et Duham, 1992 ; Tomasello et Farar, 1986 ; Vaughan et al., 2003).

Les méthodes classiques d’étude de l’ajustement

12Si, sur le plan théorique, il existe un consensus pour dire que l’ajustement réciproque des partenaires au cours de l’échange est le résultat d’une co-construction, les méthodologies traditionnellement mises en œuvre ne permettent pas de rendre compte de la complexité de ces situations d’interaction. Classiquement, les situations d’ajustement au cours d’interactions sont étudiées de manière statique et unidirectionnelle. Il s’agit, par exemple, d’utiliser des indicateurs tels que le pourcentage d’actes du parent directement reliés à l’activité de l’enfant, pour apprécier son ajustement, sans rien dire de l’ajustement de l’enfant à la situation d’échange (Baumwell, Tamis-LeMonda et Bornstein, 1997, Duham et Duham, 1992, Tomsello et Farar, 1986) ; ou encore, de relever les comportements d’attention conjointe de l’enfant ainsi que l’ajustement du parent et les corréler au développement ultérieur de l’attention conjointe de l’enfant, sans rien dire de la co-construction de l’échange entre les deux partenaires d’interaction (Vaughan et al., 2003). À ce jour, les méthodologies utilisées, malgré les corrélations évidentes mises en avant (Dunham, Dunham et Curwin, 1993 ; Tomasello et Farar, 1986), ne permettent pas de déterminer dans quelle mesure le processus de développement du langage de l’enfant est mutuellement influencé par les caractéristiques particulières de chacun des partenaires (Dunham et Dunham, 1992). Par exemple, une corrélation positive entre la qualité de l’ajustement maternel et le développement lexical de l’enfant peut être interprétée de diverses façons, le sens de l’influence n’étant pas strict : (1) l’ajustement maternel influence le développement lexical ultérieur de l’enfant ; (2) ce sont les progrès linguistiques de l’enfant qui permettent à la mère un ajustement de qualité durant les échanges ; (3) un troisième facteur influence conjointement l’ajustement maternel et les conduites de l’enfant (Dunham et Dunham, 1992). Dans les études classiques, l’interaction conversationnelle dynamique qui a lieu en situation d’attention conjointe n’est donc jamais prise en considération. Il pourrait pourtant s’agir là d’une dimension déterminante dans la compréhension de l’ajustement de l’adulte ou des conduites de l’enfant (Veneziano, 2000).

Problématique

13Une situation d’interaction est de fait dynamique, elle implique une réciprocité entre les partenaires. Partant du principe que ce qui se passe à un temps t dépend avant tout de ce qui c’est passé au temps t-1, il apparait pertinent d’adopter une méthodologie qui permet de rendre compte de la dynamique de l’ajustement dans la dyade mère/enfant. Le regard emprunté dans cette perspective implique de prendre en compte à la fois l’ajustement de l’adulte au cours de ses échanges avec le jeune enfant et le rôle actif de l’enfant dans la construction de l’échange, à travers son ajustement à la situation. Pour cela, de nouveaux outils de mesure et d’analyse de l’activité réciproque des partenaires en temps réel durant l’échange doivent être développés. Pour apprécier l’ajustement réciproque, nous avons construit une grille d’observation qui permet de relever le degré d’ajustement de chaque partenaire à la situation (prises d’initiatives, prise de tour de parole, ajustement à l’activité du partenaire, demande d’attention, non réponse, résistance à jouer, absence de partage d’attention ou encore redirection d’attention). Nous avons ensuite procédé à une analyse par Grilles Espace-État (GEE) ou State Space Grids, en anglais (Lamey, Hollenstein, Lewis et Granic, 2004 ; Lewis, Lamey et Douglas, 1999) afin de représenter les séries chronologiques du degré d’ajustement des partenaires et d’étudier le fonctionnement dynamique du système mère/enfant en temps réel (au cours d’une séance d’échanges conversationnels) ainsi qu’au fil du développement (entre les différentes séances du suivi).

14C’est à travers le suivi de deux dyades d’enfants sourds profonds implantés de parents entendants que l’outil est ici présenté. L’objectif est d’apprécier, à l’aide de cette méthode, la dynamique de l’ajustement au sein du système que constitue la dyade mère/enfant en temps réel (niveau micro) et d’observer comment cette dynamique évolue au fil des mois suivant l’implantation cochléaire (niveau macro). La population d’enfants sourds profonds de parents entendants est reconnue pour avoir des conduites d’échange parfois difficiles du fait de l’indisponibilité du canal auditif. Au sein des dyades parent entendant/enfant sourd profond, les routines interactives se déroulent dans le contexte spécifique engendré par le handicap. Or, les routines interactives tiennent une place toute particulière dans le développement : elles mettent en jeu non seulement la compétence de l’enfant sourd, mais aussi l’aide, le tutorat de l’adulte. Les études qui s’attachent à comparer des dyades de mère sourde/enfant sourd avec des dyades de mère entendante/enfant sourd rapportent une plus grande maladresse du côté des mères entendantes durant les échanges avec leur enfant (Bergeson, Miller et McCune, 2006 ; Harris, 2001 ; Van Den Dikkenberg-Pot et Van der Stelt, 2001 ; Lepot-Froment et Clerebaut, 1996). Celles-ci considèrent moins souvent l’attention que porte déjà le bébé sur l’objet et profitent moins des pauses attentionnelles de l’enfant pour insérer leurs nouveaux messages. De la même manière, leurs messages se trouvent moins souvent positionnés dans le champ visuel de l’enfant que ceux des mères sourdes ; elles orientent plus souvent l’attention de l’enfant vers un objet auquel il ne prête pas attention (Deleau et Le Maner-Idrissi, 2005). Ces attitudes semblent traduire une difficulté à communiquer, c’est-à-dire à établir une co-référence, difficulté semble-t-il liée au rôle singulier du regard chez l’enfant sourd, qui sert à la fois à la prise d’informations et au maintien de l’échange social (Mellier et Deleau, 1991). Aussi, il apparaît intéressant d’analyser l’impact de l’implantation cochléaire dans l’évolution des échanges entre le parent entendant et son enfant sourd implanté. L’intérêt de l’étude est de mettre en avant les différents patterns qui se construisent au sein de dyades parent entendant/enfant implanté au cours d’un suivi longitudinal.

Méthode

Participants

15Deux dyades d’enfants sourds implantés cochléaires et leur mère participent à cette étude. La première dyade se compose d’une petite fille atteinte de surdité profonde pré linguale, âgée de 9 mois à l’implantation et de sa mère. La deuxième dyade se compose d’un petit garçon, atteint de surdité profonde pré-linguale, âgé de 1 an 7 mois au moment de l’implantation et de sa mère. Un suivi longitudinal a été réalisé tous les 6 mois sur une période de deux ans après l’implantation cochléaire. Les enfants ont tous les deux été implantés avec un implant MED EL Tempo au CHU de Rennes. Aucun trouble associé à la surdité n’est présent. Dans les deux dyades, la surdité est congénitale (cf. tableau 1 pour plus de détails).

Tableau 1 – Caractéristiques des participants (sexe, étiologie de la surdité, âge chronologique aux différents temps du suivi longitudinal).

Situation

16L’ajustement mutuel des deux dyades mère entendante/enfant sourd implanté est apprécié à travers une série de films. Les films sont réalisés à intervalles réguliers, la première séance avant l’activation de l’implant cochléaire, les autres séances tous les 6 mois après l’activation de l’implant et ceci pendant 2 ans (5 occasions de mesure au total).

17Une situation de jeu libre est proposée à chaque dyade. Le but est d’observer dans une situation la plus habituelle possible les échanges de l’enfant avec sa mère. Les dyades ont été filmées dans une salle du CHU. La durée de chaque film est fixée à 7 min et 30 secondes. La dyade a pour consigne de jouer comme d’habitude et est laissée seule dans la pièce où est installée la caméra. Cette situation de jeu libre permet l’observation de la qualité des échanges entre l’enfant et son parent dans un contexte le plus habituel possible.

Matériel

18Chaque dyade dispose d’un ensemble de jouets posés sur le tapis de jeu. Les jouets fournis et leur positionnement sur le tapis sont toujours les mêmes : il s’agit d’une ferme et de ses animaux, de 4 petites voitures, de deux téléphones, d’une dînette, d’une poupée et ses accessoires ainsi qu’un établi.

Mesures

19La grille d’observation a été constituée spécialement pour l’étude et utilisée d’une manière qui permet de saisir la dynamique de l’ajustement mutuel au cours de l’échange. Les comportements de l’adulte et de l’enfant sont codés en simultané (càd de manière synchrone : pour chaque événement, une mesure de l’ajustement chez l’adulte et une mesure de l’ajustement chez l’enfant sont relevées) et prennent en compte le contexte d’échange. Cette analyse, de part son caractère descriptif très précis, permet une approche originale et complémentaire aux approches classiques.

20Les comportements de l’enfant qui permettent de juger de la qualité de son ajustement à la situation sont classés selon quatre catégories numérotées de 1 (ajustement médiocre) à 4 (ajustement optimal). Le tableau 2 rapporte la grille de codage originale utilisée et les indices pertinents associés.

1. Refus de participer à l’échange.

– L’enfant résiste à jouer et sort du cadre (cris, pleurs).
– Il fait des choses qui sont interdites par le parent.

2. Absence d’échange entre l’enfant et l’adulte.

– L’enfant ne répond pas aux tours de parole, aux stimulations que lui offre l’adulte car il est pris dans une autre activité.
– Absence de communication, d’activité commune entre les partenaires : ils sont « l’un à côté de l’autre ».

3. Échange conduit par l’adulte.

– L’enfant suit les propositions de jeu de l’adulte.
– Le partage d’attention est monitoré par l’adulte.
– Les échanges verbaux sont menés par l’adulte.

4. Autonomie de l’enfant dans l’échange.

– L’enfant prend des initiatives dans le jeu et le langage.
– Il initie les échanges de regard.
– Il prend les tours de parole et de jeu que l’adulte lui offre.

Tableau 2 – Codage de l’ajustement chez l’enfant.

21Pour ce qui est du codage de l’ajustement de l’adulte, la grille a été largement inspirée par les travaux de Baumwell, Tamis-Lemonda et Bornstein (1997). Le codage utilisé pour apprécier le degré d’ajustement de l’adulte comporte trois modalités qui représentent un continuum entre des comportements non adaptés (notés 1) et des comportements optimaux (notés 3). Chaque modalité regroupe plusieurs comportements possibles signant un degré d’ajustement particulier à la situation. Le tableau 3 présente le détail de la grille de codage appliquée.

1. L’adulte manifeste une absence de partage d’attention.

– L’adulte est passif, à côté de l’activité de l’enfant.
– Absence de sollicitation, l’adulte ne répond pas verbalement aux sollicitations de l’enfant, ne répond pas verbalement à une nouvelle activité de l’enfant.

2. L’adulte contrôle la situation, dirige.

– L’adulte fait des demandes d’attention à l’enfant, fait des initiatives pour un changement de jeu (redirection d’attention). L’adulte redirige l’attention de l’enfant vers un jouet différent alors que celui-ci est concentré depuis moins de 2 secondes sur un autre objet.
– Il lui offre des tours de parole qui ne sont pas en rapport avec son activité présente.
– Il replace l’enfant sur le tapis pour diriger son attention.
– Il empêche le comportement de son enfant : « Non, pas comme ça ! »

3. L’adulte est ajusté à l’activité de l’enfant (responsiveness, attention conjointe).

– Il y a partage d’attention, l’adulte élabore verbalement sur le jouet ou l’activité de l’enfant.
– L’adulte offre des tours de parole en rapport avec l’activité de l’enfant, initie un échange en rapport avec l’activité de l’enfant, càd un échange positif et porteur de sens, un comportement verbal contingent et dépendant de la production vocale de l’enfant ou de son activité d’exploration.
– Il stimule l’enfant alors inactif, attire verbalement l’attention de l’enfant, à ce moment-là inattentif, sur un jouet (demande d’attention).

Tableau 3 – Codage de l’ajustement chez l’adulte.

Analyses

22Afin de ne pas gommer l’aspect dynamique du relevé du degré d’ajustement mutuel, une méthode d’analyse dérivée de la théorie des systèmes dynamiques est adoptée (Granic et Hollenstein, 2003). Il s’agit de l’analyse par Grilles Espace-État (Granic, Hollenstein, Dishion et Patterson, 2003 ; Hollenstein, 2007 ; Lewis, Lamey et Douglas, 1999). Cette méthode permet de représenter graphiquement le fonctionnement dynamique d’un système, ainsi que de prélever des mesures en vue d’analyser les données recueillies dans une approche dynamique. Cette technique est peu utilisée dans la littérature. Aussi, nous la présentons avant de poursuivre.

23L’analyse par grilles espace-état est une méthode qui permet de représenter, quantifier et analyser des séries temporelles de variables qualitatives (Hollenstein, 2007). En se basant sur la théorie des systèmes dynamiques, Lewis et ses collègues (Granic et al., 2003 ; Hollenstein, 2007 ; Lewis et al., 1999) ont développé cette approche afin d’être en mesure d’examiner le fonctionnement d’un système dynamique à un moment donné du développement (en temps réel, dans une approche micro-développementale), mais aussi l’évolution du fonctionnement de ce système au fil du temps (au fil du développement, dans une approche macro-développementale). Concrètement, dans notre cas, il s’agit d’étudier le fonctionnement du système mère/enfant au cours d’une séquence d’observation, à une occasion de mesure donnée, et d’examiner l’évolution de ce fonctionnement au fil des séquences d’observation, c’est-à-dire au fil des différents temps du suivi.

24Plus précisément, cette méthode permet de représenter le fonctionnement d’un système en suivant sa trajectoire sur une grille bidimensionnelle qui représente l’ensemble des états possibles du système étudié (« espace des états » ou « espace des phases » dans la terminologie des systèmes dynamiques). Dans notre cas, chaque axe de la grille représente l’ajustement d’un des deux partenaires de la dyade (cf. variables qualitatives issues de la grille d’observation).

25La grille espace-état que nous utilisons est présentée dans la figure 1 et commentée ci-après. Elle est obtenue à l’aide du logiciel GridWare (Lamey, Hollenstein, Lewis et Granic, 2004).

Fig. 1. – Exemple d’une grille espace-état représentant la dynamique de l’ajustement mutuel au cours d’un échange de 20 secondes entre un enfant et sa mère.

26L’ajustement de l’adulte est représenté en ordonnée (Y1 = absence d’ajustement, Y2 = ajustement médiocre, Y3 = ajustement optimal). L’ajustement de l’enfant figure en abscisse (X1 = refus manifeste d’échanger, X2 = conduites et jeu solitaires, X3 = ajustement à l’autre sans initiative, X4 = ajustement optimal). La grille dans son ensemble représente l’espace des états (càd, l’ensemble des combinaisons possibles entre les modalités des deux variables considérées conjointement). Chaque cellule représente donc un état possible du système. Dans cet espace des possibles, chaque événement est représenté par un rond de taille plus ou moins grande en fonction de sa durée. Les événements successifs sont reliés entre eux afin de suivre la trajectoire du système au fil du temps. Enfin, notons que lorsque deux événements se succèdent au sein de la même cellule, ils y sont placés aléatoirement afin de ne pas se confondre. Cela rend compte du fait que de multiples événements peuvent se succéder sans qu’il y ait changement de l’état du système.

27Au-delà de cette représentation graphique, des mesures peuvent être extraites pour la grille toute entière ou pour chaque cellule (ou région) de la grille afin de réaliser des analyses quantitatives classiques : la durée moyenne d’un évènement, le nombre d’évènements, le nombre de visites dans chaque cellule, le nombre de transitions entre cellules ou encore un indice de dispersion qui permet d’appréhender le degré de stabilité/instabilité du système au cours de l’interaction.

28L’intérêt majeur de cette méthode est qu’elle permet, au plan descriptif, de repérer les configurations stables et récurrentes (notion « d’attracteur » dans la terminologie des systèmes dynamiques) et de décrire les processus de changement (phases de transition). Elle permet également de mettre des hypothèses à l’épreuve des faits en menant des analyses statistiques sur les mesures extraites du logiciel GridWare.

Résultats

29Nous nous limiterons ici à une analyse descriptive à travers la présentation de deux vignettes cliniques. Celles-ci s’attachent à décrire les changements dans la dynamique de l’ajustement mutuel chez les deux dyades mère entendante/enfant sourd implanté présentées précédemment.

30La figure 2 présente les grilles espace-état relatives à la dyade 1 pour chacun des 5 temps du suivi longitudinal. La grille pré-implant met clairement en évidence un fonctionnement du système mère/enfant marqué par un ajustement mutuel de très bonne qualité (le système semble être fortement « attiré » dans la configuration la plus optimale du système). L’enfant produit des initiatives dans son jeu et a des conduites d’attention conjointe efficaces. La mère, quant à elle, se caractérise par un ajustement optimal qui se traduit notamment par des productions et conduites qui suivent l’activité présente de l’enfant.

Fig. 2. – Grilles espace-état de la dyade 1 représentant la dynamique de l’ajustement mutuel à chacun des 5 temps du suivi longitudinal.

31Six mois après l’implantation, 91 évènements sont relevés (contre 51 six mois plus tôt). Sur l’ensemble de ces événements, 59 (65 %) correspondent à un ajustement optimal du système (cellule X4Y3), 15 évènements (16 %) où la mère est ajustée à l’activité de l’enfant mais celui-ci ne prend pas d’initiative (cellule X3Y3), 10 événements (12 %) traduisent un ajustement optimal de la mère mais une absence de partage d’activité chez l’enfant (cellule X2Y3), 4 évènements (5 %) correspondent à des situations où la mère se montre directive et l’enfant suit (cellule X3Y2) et enfin, 2 évènements (2 %) correspondent à des situations au cours desquelles la mère est directive mais l’enfant reste pris dans son activité et ne répond pas aux sollicitations (cellule X2Y2). Une plus grande variété de configurations du système émerge à cette occasion de mesure en comparaison de la précédente. Ce changement semble trouver davantage son origine du côté de l’ajustement de l’enfant que de celui de la mère. Cette période semble être le début d’une phase de transition puisque le système se caractérise par une stabilité moins importante qu’à la séance pré-implant. Cela apparaît clairement si l’on considère le nombre de transitions entre cellules, plus important au temps + 6 mois qu’avant l’implantation (respectivement 40 contre 5).

32Les séances de suivi + 12 et + 18 mois après l’implantation semblent également s’inscrire dans cette phase de transition, même si cela est moins prégnant sur le plan quantitatif (les transitions entre les cellules sont moins nombreuses à ces deux occasions de mesure, respectivement 30 et 28). En dépit de ces variations toujours marquées, la majorité des échanges se fait avec un ajustement mutuel optimal à chacun de ces deux temps (respectivement 68 % et 76 % des évènements se réfèrent à la cellule X3Y4).

33Enfin, à + 24 mois, nous pouvons relever que 92 % des évènements d’ajustement mutuel observés au cours de la séance traduisent un ajustement mutuel optimal (cellule X3Y4). Pour autant, il arrive encore que le système quitte cette configuration optimale, mais très rarement et uniquement du fait de l’enfant (7 % des événements en X2Y3 et 1 % en X3Y3) puisque la mère maintient systématiquement un niveau d’ajustement optimal.

Fig. 3. – Évolution de l’indice de dispersion au cours du suivi longitudinal chez la dyade 1.

  • 1 L’indice de dispersion nous renseigne sur le degré de stabilité/instabilité au sein du système. Il (...)

34En complément de cette analyse descriptive détaillée, il convient de s’intéresser à l’évolution de la dispersion1 du système au cours du suivi. La figure 3 présente l’évolution du coefficient de dispersion au fil du temps. Il apparaît clairement que le système connait une phase de transition consécutive à l’implantation cochléaire puis, au fil temps, une diminution progressive de cette instabilité du système. L’implant cochléaire semble effectivement jouer un rôle de « perturbateur » dans ce système mère/enfant. Il participerait ici à la mise en place de cette dynamique dans l’échange en favorisant le développement des habiletés d’attention conjointe à un moment particulier du développement. Rappelons en effet que l’enfant a été implanté à 9 mois, période marquée par le développement des habiletés d’attention conjointe.

35La figure 4 présente les grilles espace-état relatives à la dyade 2 pour chacun des 5 temps du suivi longitudinal. La grille pré-implant met en avant une dynamique d’ajustement instable tant du côté de la mère que de l’enfant. Sur 83 évènements, 30 (36 %) signent un ajustement mutuel optimal : l’enfant produit des initiatives dans son jeu et a des conduites d’attention conjointe efficaces. La mère, quant à elle, se caractérise par un ajustement optimal qui se traduit notamment par des productions et conduites qui suivent l’activité présente de l’enfant. Cependant, on peut aussi relever, au cours de cette séquence d’interaction, 14 évènements (17 %) pour lesquels l’enfant suit son partenaire dans les jeux et les échanges mais sans faire preuve d’autonomie ou d’initiative en prenant par exemple des tours de parole qui introduiraient une nouvelle thématique (cellule X3Y3). De même, 11 évènements (13 %) montrent que l’enfant est pris dans son activité et ignore les sollicitations directives de l’adulte (cellule X2Y2). La directivité de l’adulte peut aussi, pour 12 évènements relevés (15 %), être associé à un ajustement passif de l’enfant, ce dernier étant dans l’échange mais ne participant pas activement à la construction de celui-ci (cellule X3Y2). Enfin, quelques comportements d’opposition du côté de l’enfant sont aussi relevés au cours de cette première séance (cellule X1Y3), soulignant une dynamique de l’ajustement mutuel parfois difficile.

36Six mois après l’implantation, 84 évènements sont relevés. Sur l’ensemble de ces évènements, 33 (39 %) correspondent à un ajustement optimal du système (cellule X4Y3), 12 (14 %) évènements où la mère est ajustée à l’activité de l’enfant mais celui-ci ne prend pas d’initiative (cellule X3Y3), 11 évènements (13 %) correspondent à des situations où la mère se montre directive et l’enfant suit (cellule X3Y2). Enfin, 11 évènements (13 %) correspondent à des situations au cours desquelles la mère est directive mais l’enfant reste pris dans son activité et ne répond pas aux sollicitations (cellule X2Y2). Comme à la séance pré-implant, une variété de configurations du système est présente. Cette variabilité dans l’ajustement mutuel semble être la conséquence à la fois des variations affectant l’ajustement propre de l’enfant et celui de la mère.

Fig. 4. – Grilles espace-état de la dyade 2 représentant la dynamique de l’ajustement mutuel à chacun des 5 temps du suivi longitudinal.

37La séance + 12 mois après implantation présente encore ce profil très varié d’ajustement mutuel. Par ailleurs, les conduites directives de la mère sont encore présentes dans des proportions non négligeables. En effet, sur 98 évènements relevés durant la séance, 53 (54 %) correspondent à des situations au cours desquelles la mère est directive. En parallèle, l’enfant se montre fréquemment passif dans ses ajustements, observant ce que fait la mère et suivant ses directives. Aussi, sur l’ensemble des 98 évènements relevés, 27 (28 %) seulement signent un ajustement optimal.

38La séance + 18 mois après implantation témoigne d’un changement notable dans la dynamique de l’ajustement, en particulier du côté de la mère. Elle montre cette fois un ajustement optimal sur l’ensemble des évènements relevés. En effet, dans la grille espace-état, seules les cellules d’ordonnée Y3 sont occupées. Du côté de l’enfant une variabilité, bien que moins importante, est toujours constatée. Ainsi, même si la majorité des échanges se caractérise par une dynamique d’ajustement mutuel optimal – 53 évènements (56 %) se situent dans la cellule X4Y3 –, on observe aussi que l’enfant se montre encore relativement peu autonome dans l’échange : 12 évènements (13 %) sont relevés dans la cellule X3Y3.

39Enfin, à + 24 mois, nous pouvons relever que 80 % des évènements d’ajustement mutuel observés au fil de la séance correspondent à un ajustement mutuel optimal (cellule X3Y4). L’adulte est ajusté à l’activité de l’enfant, tandis que ce dernier prend des initiatives durant l’échange tout en partageant activement son attention avec son partenaire. Toutefois, il arrive encore que le système quitte cette configuration optimale, mais dans une moindre mesure que précédemment. Aussi, 9 % des évènements se situent dans la cellule X3Y3 et 11 % dans la cellule X3Y2. Il apparaît donc, 24 mois après l’implantation cochléaire, que les échanges conversationnels ont trouvé une dynamique optimale et que celle-ci a aussi gagné en stabilité. Cela apparaît clairement si l’on considère la diminution du nombre de transitions entre cellules au cours du suivi (59 transitions au temps pré-implant contre 27 transitions deux ans après l’implantation cochléaire).

40Afin de compléter cette analyse, intéressons-nous à l’évolution de la dispersion du système mère/enfant au cours du suivi longitudinal. La figure 5 présente l’évolution du coefficient de dispersion au cours du temps. Dix-huit mois après l’implantation, une diminution de l’instabilité du système apparaît clairement. L’implant cochléaire apparaît jouer ici le rôle de « perturbateur » dans ce système mère/enfant, même si cet effet semble être quelque peu différé temporellement. L’implant cochléaire semble avoir favorisé du côté de l’enfant la prise d’informations au cours de l’échange et par-là même lui a permis de se montrer plus autonome. Parallèlement à l’évolution de la dynamique d’ajustement chez l’enfant, le profil de la mère, d’abord directif, évolue vers un ajustement plus optimal.

Fig. 5. – Évolution de l’indice de dispersion au cours du suivi longitudinal chez la dyade 2.

Discussion

41L’objectif de cette étude préliminaire était de présenter la méthode des Grilles Espace-Etat pour étudier la dynamique de l’ajustement mutuel mère/enfant au cours d’un échange conversationnel. Nous avons procédé pour cela à l’étude clinique de deux vignettes avec deux dyades d’enfants implantés qui se distinguent notamment en ce qui concerne l’âge à l’implantation (9 mois pour la première, 1 an et 7 mois pour le second) et le sexe de l’enfant. Nous avons pu relever, au cours du suivi, des périodes de forts changements avec la présence de comportements directifs du côté de la mère, profil fréquemment relevés chez les parents d’enfants sourds en particulier. Nous avons pu constater que pour ces deux dyades, la dynamique de l’ajustement mutuel évolue vers une configuration plus stable et davantage optimale au fil du temps pour le développement des échanges conversationnels de l’enfant. Pour autant, la présence de différences interindividuelles dans l’évolution du fonctionnement des systèmes mère/enfant en ce qui concerne l’ajustement mutuel est aussi notable. Cette hétérogénéité semble se manifester tant au niveau des trajectoires empruntées qu’au niveau des dynamiques présentées. Plusieurs facteurs en jeu, non pris en compte ici, peuvent être à l’origine des différences interindividuelles observées dans l’évolution de la dynamique de l’ajustement mutuel. Nous pouvons par exemple citer l’expérience qu’a le parent entendant de la surdité (présence d’un autre enfant sourd dans la famille), son engagement dans la prise en charge et l’acceptation du handicap de l’enfant, le tempérament de l’enfant, l’âge à l’implantation, etc. Malgré les limites des analyses cliniques présentées ici, ces résultats soulignent l’importance de reconnaitre l’hétérogénéité présente au sein des dyades d’enfant implanté/mère entendante. Cette hétérogénéité n’est sans doute pas sans lien avec la variabilité des habiletés conversationnelles observée au niveau de la population d’enfants implantés. Afin d’approfondir cette perspective de recherche, d’autres travaux réalisés sur un plus grand nombre de dyades sont en cours, permettant cette fois une approche davantage empirique.

42Au-delà de l’intérêt descriptif clinique des grilles espace-état, il est possible de réaliser des analyses statistiques afin de quantifier et comparer les changements qui interviennent au fil du développement. Cela à l’aide de différentes méthodes statistiques, des analyses en clusters notamment (Hollenstein, 2007) et des calculs de scores de distance inter-grilles. De telles approches permettent d’appréhender la dynamique du système mère/enfant à chaque temps du suivi, à la fois en ce qui concerne la stabilité des échanges au cours de la séance, la nature des échanges et les changements en jeu au cours des suivis longitudinaux (processus psychologiques).

43Étudier la dynamique de l’ajustement mutuel au cours des échanges conversationnels à un moment du développement où de nouvelles compétences langagières émergent devrait également permettre la formulation d’hypothèses nouvelles à propos des processus en œuvre dans l’acquisition de ces nouveaux savoir-faire (Veneziano, 2000). En particulier, nous pensons qu’il serait pertinent de poser le regard sur ce que font les partenaires à l’intérieur de l’échange afin de saisir la construction – au niveau microgénétique, d’une part, et macrogénétique, d’autre part – de l’ajustement réciproque au cours de l’échange conversationnel. L’intérêt se situe aussi au niveau clinique : pouvoir repérer précisément où se situent les difficultés d’une dyade particulière grâce à cette méthode permettrait une prise en charge plus pertinente en proposant une guidance parentale spécifiquement adaptée au fonctionnement de chaque système mère/enfant considéré dans sa singularité.

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Notas

1 L’indice de dispersion nous renseigne sur le degré de stabilité/instabilité au sein du système. Il s’agit d’un coefficient borné à gauche et à droite compris entre 0 (stabilité parfaite au sein du système, aucun changement d’état constaté) et 1 (instabilité maximale possible).

Índice de ilustraciones

Leyenda Tableau 1 – Caractéristiques des participants (sexe, étiologie de la surdité, âge chronologique aux différents temps du suivi longitudinal).
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Leyenda Fig. 1. – Exemple d’une grille espace-état représentant la dynamique de l’ajustement mutuel au cours d’un échange de 20 secondes entre un enfant et sa mère.
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Leyenda Fig. 2. – Grilles espace-état de la dyade 1 représentant la dynamique de l’ajustement mutuel à chacun des 5 temps du suivi longitudinal.
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Leyenda Fig. 3. – Évolution de l’indice de dispersion au cours du suivi longitudinal chez la dyade 1.
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Leyenda Fig. 4. – Grilles espace-état de la dyade 2 représentant la dynamique de l’ajustement mutuel à chacun des 5 temps du suivi longitudinal.
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Leyenda Fig. 5. – Évolution de l’indice de dispersion au cours du suivi longitudinal chez la dyade 2.
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Autores

Centre de Recherche en Psychologie, Cognition et Communication (EA 1285), Laboratoire de Psychologie du développement et de l’éducation, université Rennes 2.
Université de Bordeaux, Psychologie, Santé et Qualité de vie, EA 4139
Centre de Recherche en Psychologie, Cognition et Communication (EA 1285), Laboratoire de Psychologie du développement et de l’éducation, université Rennes 2.
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