Développement de la métamémoire : étude longitudinale de précurseurs potentiels
p. 89-103
Texte intégral
Introduction
1À l’école, identifier les variables pouvant affecter la performance mnésique est une tâche essentielle et une aide non négligeable permettant d’optimiser les apprentissages scolaires. Dans notre étude, nous tenterons d’appréhender chez l’enfant avant l’entrée à l’école la façon dont il acquiert des connaissances sur le fonctionnement de la mémoire – connaissances métamnésiques – et quels sont les outils cognitifs lui permettant de faire une telle acquisition.
Le développement de la métamémoire déclarative
2La métamémoire regroupe l’ensemble des connaissances qu’un individu possède sur sa propre mémoire, sur le fonctionnement de la mémoire, son utilisation (en tant que système d’encodage et de stockage d’informations) et sur les variables pouvant influencer la mémorisation et la performance mnésique. Flavell et Wellman (1977) ont été les premiers à proposer une taxonomie du concept de métamémoire. Ils ont proposé de diviser les connaissances métamnésiques en deux catégories de connaissances : les variables et la sensibilité. La première catégorie « Variables » regroupe toutes les connaissances relatives aux variables influençant le fonctionnement de la mémoire, telles que les caractéristiques individuelles (avoir conscience de ses propres limites et de sa capacité mnésique), les caractéristiques dues à la tâche (nature du matériel à mémoriser et procédure d’encodage et de récupération), mais aussi les stratégies mnésiques disponibles. La seconde catégorie « Sensibilité » renvoie à la capacité de détecter les situations sollicitant une activité mnésique. Par exemple, si vous devez mémoriser une longue liste de mots, vous savez que la tâche sera plus difficile (activation de la connaissance déclarative concernant l’influence du nombre d’items à mémoriser), alors vous mettrez en place diverses stratégies pour atteindre le but fixé : mémoriser cette liste de mots et optimiser votre performance mnésique.
3Cette distinction en deux catégories de connaissances est à l’origine de la distinction faite entre les études sur la métamémoire déclarative (e. g., Kreutzer, Leonard, et Flavell, 1975 ; Lockl et Schneider, 2007 ; Wellman, 1977) et celles sur la métamémoire procédurale (e. g., Nelson et Narens, 1990). Comme notre étude porte sur le développement de la métamémoire déclarative, nous n’aborderons pas le développement de la métamémoire procédurale (pour une revue, cf. Schneider et Lockl, 2008). Les recherches princeps sur le développement de la métamémoire ont davantage porté sur la métamémoire déclarative (e. g. Kreutzer, et al., 1975 ; Wellman, 1977, 1978). Les variables à l’étude portaient sur des caractéristiques individuelles (e. g. âge, capacité mnésique), sur la tâche et les conditions de passation (e. g. salle bruyante, nombre d’éléments à mémoriser, temps alloué à la mémorisation des éléments) et sur la connaissance de certaines stratégies (e. g. organisation du matériel en catégorie sémantique, répétition des éléments, association thématique). Les résultats de ces premières études sur la métamémoire déclarative indiquent que les enfants possèdent dès le plus jeune âge des connaissances élémentaires sur l’effet de certaines variables sur la mémorisation. Le nombre de ces connaissances augmentera jusqu’à l’adolescence, et s’accroît significativement et rapidement entre le début de la période préscolaire et la fin de la période scolaire (e. g. Kreutzer, et al., 1975 ; Wellman, 1977, 1978). À titre d’illustration, la majorité des enfants comprennent entre 3 et 6 ans qu’il est plus difficile de mémoriser dans une pièce avec du bruit que dans une pièce calme, que la mémorisation sera d’autant plus difficile que le nombre d’items à mémoriser augmente, ou encore qu’il est préférable d’avoir cinq minutes au lieu d’une pour mémoriser la même liste d’items (Kreutzer, et al., 1975 ; Lockl et Schneider, 2006, 2007 ; Wellman, 1977). L’explication donnée par Flavell et Wellman (1977) quant à la compréhension précoce de l’influence de ces variables, est que les enfants repèrent mieux leurs effets sur la mémorisation parce qu’ils en ont déjà fait personnellement l’expérience auparavant et vu les effets sur leur performance mnésique. Concernant les stratégies, il a été mis en évidence que les jeunes enfants savent identifier certaines stratégies élémentaires très tôt (cf. Schneider et Pressley, 1997) mais ne comprennent pas l’utilité de les utiliser en situation de mémorisation : on parle de manque d’efficacité des stratégies. Par exemple, vers 5-6 ans, les enfants sont capables d’utiliser la catégorisation partielle du matériel sans avoir conscience de l’effet facilitateur lors de l’encodage et pour le rappel (Kreutzer et al., 1975). Ce n’est qu’entre 8 et 10 ans, qu’ils utilisent délibérément les stratégies d’organisation en catégorie sémantique et en bénéficient par une augmentation de leur performance mnésique (Hasselhorn, 1992 ; Schneider et Weinert, 1995 ; Weinert et Schneider, 1999).
4Le deuxième objectif de notre étude est d’appréhender les précurseurs cognitifs potentiels du développement de la métamémoire déclarative.
Les précurseurs cognitifs potentiels de la métamémoire déclarative
5Certains auteurs (Flavell, 1999, 2000 ; Kuhn, 1999, 2000 ; Schneider, 2008 ; Schneider et Lockl, 2008) considèrent que les développements des théories de l’esprit et de la métacognition sont liés. En effet, dans ces deux domaines, les recherches tentent d’appréhender les connaissances que les enfants possèdent sur le monde mental : comprendre le monde en termes d’états mentaux pour les recherches en théories de l’esprit et comprendre les activités mentales lors d’une tâche cognitive pour la métacognition.
6Premack et Woodruff (1978) définissent les théories de l’esprit comme la capacité d’attribuer des états mentaux à soi ou à autrui, mais aussi d’expliquer et de prédire les comportements en faisant appel à un raisonnement fondé sur ces états mentaux inobservables que sont les désirs, les croyances, les intentions, les savoirs et les émotions. Habituellement, l’évaluation des compétences en théorie de l’esprit se fait par le biais des tâches de fausse-croyance, comme par exemple la tâche de Max et le Chocolat (Wimmer et Perner, 1983), au cours de laquelle le personnage de l’histoire va faire l’expérience d’une fausse-croyance sur le lieu où est rangé l’objet qu’il désire. Les résultats de ces études sur les théories de l’esprit indiquent que les enfants réussissent diverses tâches de fausse-croyances aux alentours de 4-5 ans (e. g. Hogrefe, Wimmer et Perner, 1986 ; Perner, Leekam et Wimmer, 1987 ; Wimmer, Hogrefe et Perner, 1988). Les théories de l’esprit constituent alors un outil cognitif utile pour aider les enfants à trouver les règles régissant le fonctionnement cognitif, mais aussi à identifier les variables affectant ce fonctionnement (i. e. métacognition).
7Seules deux études ont porté leur attention sur les liens entre le développement des théories de l’esprit – compréhension des fausses croyances – et le développement précoce de la métamémoire déclarative (Lockl et Schneider, 2006, 2007). Dans leur étude longitudinale la plus récente, Lockl et Schneider (2007) ont appréhendé la compréhension que les enfants de 5 ans avaient de l’influence du temps alloué à la mémorisation, du nombre d’objets et de la stratégie d’organisation en catégorie sémantique, sur la mémorisation. Les auteurs avaient aussi évalué les compétences langagières avec une batterie d’évaluation du langage et les compétences en théories de l’esprit des enfants à 3, 4 et 5 ans, à l’aide de diverses tâches de fausses croyances. Les résultats indiquent que le langage et les compétences en théories de l’esprit sont des prédicteurs significatifs des compétences en métamémoire déclarative. Concernant le langage, Lockl et Schneider (2007) expliquent que son influence est double sur le développement de la métamémoire déclarative : elle est indirecte, de par le lien fort qu’il entretient avec le développement des théories de l’esprit (cf. Milligan, Astington et Dack, 2007 pour une revue), et elle est directe par la compréhension des termes spécifiques à la mémoire, comme se souvenir, oublier, apprendre (Lockl et Schneider, 2006).
8Il est également fait état dans la littérature que le développement des théories de l’esprit est un prédicteur significatif du développement de la mémoire épisodique (Perner, Kloo et Gornik, 2007). La mémoire épisodique permet à une personne de voyager mentalement dans le temps, du présent au passé, pour revivre des évènements passés personnellement vécus, par l’intermédiaire de la conscience autonoétique, mais aussi pour se projeter dans un futur proche par le biais de l’imagination ou des rêves (Wheeler, Stuss et Tulving, 1997). Perner (2000) propose une hypothèse explicative du lien observé entre la mémoire épisodique et les théories de l’esprit : la mémoire épisodique nécessite de posséder des capacités métareprésentationnelles puisque l’individu doit reconnaître l’évènement rappelé comme un évènement vécu précédemment, et faire le lien entre ce souvenir et l’expérience à l’origine de ce souvenir. Perner et ses collaborateurs (2007) font donc l’hypothèse que le développement de la mémoire épisodique nécessite de comprendre par quels moyens on a appris quelque chose – connaissance de la source. De son côté, Naito (2003) souligne que la mémoire épisodique – plus particulièrement la conscience autonoétique – est nécessaire pour réussir certaines tâches de théories de l’esprit. Par exemple, dans une tâche de contenu inattendu (Perner et al., 1987), l’enfant fait l’expérience d’une fausse croyance (i. e., la boîte ne contient pas des bonbons, mais un crayon) avant de répondre à la question : « Avant que pensais-tu qu’il y avait dans la boîte avant de l’ouvrir ? » Pour répondre correctement, l’enfant devra revivre l’évènement trompeur qui l’a conduit à avoir cette fausse croyance et reconnaître cette croyance comme la sienne.
9L’ensemble de ces résultats nous amène à formuler l’hypothèse selon laquelle la mémoire épisodique joue un rôle dans le développement précoce de la métamémoire déclarative, directement ou indirectement par le biais du développement des théories de l’esprit.
Notre étude
10Les deux principaux objectifs de notre étude sont d’appréhender le développement de la métamémoire déclarative d’enfants français d’âge préscolaire, et d’identifier parmi le langage, les théories de l’esprit et la mémoire épisodique, les précurseurs cognitifs favorisant son développement précoce. Pour répondre à ces deux objectifs, et tenter d’établir une séquence développementale de ces quatre dimensions, nous avons choisi de conduire une étude longitudinale sur 20 mois (6 temps d’étude). Comme l’étude est en cours, ne seront présentés ici que les deux premiers temps de notre étude. La métamémoire est évaluée ici à travers la compréhension de l’influence du temps pour mémoriser, du nombre d’éléments à mémoriser et de l’organisation du matériel à apprendre en catégorie sémantique (Lockl et Schneider, 2007).
Méthode
Participants
11Au premier temps de l’étude (T1), 31 enfants âgés de 4 ans (moyenne : 48 mois ; étendue : 45 à 52 mois) ont été recrutés avec l’accord écrit de leurs parents. Ils étaient tous scolarisés en Moyenne Section dans des écoles maternelles de Reims et ses environs. Après un intervalle de 4 mois, nous avons de nouveau évalué leurs compétences (T2).
Matériel
Métamémoire
12Trois variables supposées influencer la mémorisation ont été sélectionnées : le temps disponible pour mémoriser (temps limité par un sablier vs pas de limite de temps), le nombre d’objets à mémoriser (e. g., 2 objets vs 5 objets) et l’organisation du matériel en catégorie sémantique (organisé en catégorie vs non organisé en catégorie). La procédure est la même que celle utilisée par Lockl et Schneider (2007) : les enfants devaient pointer entre deux situations, celle qui était la plus difficile des deux. Considérant que le matériel imagé utilisé par Lockl et Schneider reposait trop sur la capacité d’abstraction de l’enfant, nous avons décidé d’utiliser des histoires avec des poupées et des objets/jouets familiers. Au total, nous avons construit 4 histoires différentes par condition (temps, nombre, organisation).
13Pour chacune des histoires l’enfant devait répondre à trois questions :
- Question test : Montre-moi pour qui c’est plus difficile de se rappeler des objets pour plus tard. C’est plus difficile pour Théo ? C’est plus difficile pour Victor ? C’est difficile pour les deux ?
- Question de justification : Pourquoi c’est plus difficile pour (choix de l’enfant) ?
- Question contrôle (e. g. pour la condition nombre) : Qui a le plus d’objets ? Théo ou Victor ?
14Pour chacune des histoires, un point était accordé à la question test, si l’enfant avait correctement répondu à la question contrôle qui lui est associée.
Théories de l’esprit
15L’évaluation des théories de l’esprit a été réalisée à l’aide d’une tâche de source de connaissance (Wimmer et al., 1988) et de deux tâches de contenu inattendu (Smarties, Bartsch & Wellman, 1989 ; Boîtes de céréales adaptées de la tâche des pansements, Perner et al., 1987).
16La tâche de source de connaissance permet d’évaluer trois conditions d’accès aux connaissances à l’aide d’une boîte vide dans laquelle un objet est placé, soit à l’insu de l’enfant (aucun accès), soit devant lui (accès visuel), soit en lui disant seulement le nom de l’objet (accès linguistique). Pour chacune des conditions, l’enfant devait répondre à trois questions : « Est-ce que tu sais ce qu’il y a dans la boîte ? » (Question Test) ; « Qu’est-ce qu’il y a dans la boîte ? » (Question Contrôle) et « Comment le sais-tu ?/Pourquoi tu ne le sais pas ? » (Question d’explication). Immédiatement après, l’enfant devait répondre aux mêmes questions, mais cette fois-ci du point de vue de Théo, une poupée. Un point est accordé par réponse correcte à la question Test si l’enfant a correctement répondu à la question qui lui est associée. Le score maximal à cette tâche est de 12 points.
17La tâche des Smarties consiste à présenter à l’enfant une boîte dont l’emballage est trompeur. Par exemple, une boîte de Smarties contenant un crayon. L’enfant doit alors répondre à 3 questions Test (« Que pensais-tu qu’il y avait dans la boîte avant de l’ouvrir ? », « Théo n’a pas regardé dans la boîte. Que va-t-il penser qu’il y a dans la boîte avant de l’ouvrir ? » et « Pourquoi Théo va penser qu’il y a [réponse de l’enfant] ? ») et une question Contrôle : « Qu’est-ce qu’il y a dans la boîte ? » Un point est accordé pour chaque réponse correcte aux questions Test, si et seulement si la question Contrôle est réussie. Le score maximal à cette tâche est de 3 points.
18Dans la tâche des céréales, on présente à l’enfant une boîte de pansements et une boîte dont l’emballage est générique. L’enfant devait répondre à 5 questions Test et 2 questions Contrôle : « QT1 : Avant, où pensais-tu que les céréales étaient rangées ? », « QT2 : Zoé a faim et elle veut manger des céréales. Où penses-tu qu’elle ira chercher les céréales ? », « QCa : Trouvera-t-elle les céréales ? », « QT3 : Théo veut aussi des céréales. Pourquoi Théo a cherché les céréales dans cette boîte ? », QT4 : Est-ce que Théo sait où sont rangées les céréales ? », « QT5 : Qu’est-ce que Théo croit ? » et « QCb : Où sont les céréales ? ». Un point est accordé aux réponses correctes obtenues aux questions Test QT1, QT3, QT4, QT5 si l’enfant répond correctement à la question Contrôle QCb. Un point est accordé aux réponses correctes à la question test QT2 si l’enfant a correctement répondu à la question Contrôle QCa. Le score maximal obtenu à cette tâche est de 5 points.
19Au total, le score maximal en théorie de l’esprit est de 20 points.
Langage
20Le langage a été évalué à l’aide de certains subtests issus de la batterie d’évaluation du langage N-EEL (Nouvelles Épreuves pour l’Examen du Langage, Forme P ; Chevrie-Muller et Plaza, 2001). Nous avons sélectionné les subtests permettant d’évaluer les aspects syntaxiques et phonologiques, ainsi que la mémoire verbale de l’enfant dans le versant compréhension du langage. Les subtests sélectionnés sont les suivants : Phonologie et mémoire (2), Mémoire auditivo-verbale (3), Compréhension-Morphosyntaxe (7), Compréhension-Topologie et Arithmétique (8), Mémoire verbale (12). Les scores bruts obtenus à chacun des subtests ont été additionnés. Le score maximal est de 122 points.
Mémoire épisodique et mémoire de source
21La mémoire épisodique a été évaluée à l’aide d’une tâche de reconnaissance couplée à une tâche de mémoire de source. Cette tâche est adaptée de celle proposée par Lind et Bowler (2009). Dans la phase d’encodage, on présente à l’enfant 14 images qu’il devra mémoriser. La moitié sera nommée par l’expérimentateur et la moitié sera nommée par l’enfant. Après avoir réalisé une tâche distractrice (tâches de théories de l’esprit), les enfants réalisaient une tâche de reconnaissance sur 28 images (dont 14 distractrices). Pour chaque image reconnue comme vue précédemment, l’expérimentateur demandait à l’enfant : « Qui a dit le nom de l’image ? »
22Nous avons utilisé la méthode de calcul proposée par Donaldson (1992), pour obtenir un indice de discrimination d’items (A’) et un indice de biais de réponse (B"D) afin d’appréhender la performance en mémoire épisodique. L’indice A’ peut varier de 0 à 1 alors que l’indice B"D varie de-1 à 1 (-1 = biais libéral : l’enfant a tendance à considérer les items de la tâche de reconnaissance comme ayant été vus précédemment ; 1 = biais conservateur : l’enfant a tendance à considérer les items de la tâche de reconnaissance comme n’ayant jamais été vus). Quant à la mémoire de source, les scores varient de 0 à 1 et correspondent à la proportion d’items reconnus pour lesquels la source a été correctement identifiée. Le score maximal en mémoire de source est donc de 1.
Procédure
23Chaque enfant a été testé individuellement dans une pièce calme de l’école maternelle. Nous lui avons proposé 3 sessions de tests, chacune d’une durée allant de vingt à trente minutes, étalée sur plusieurs jours de la semaine. La session 1 correspond aux subtests issus de la batterie d’évaluation du langage N-EEL. Pendant la session 2, les enfants devaient répondre aux épreuves de théories de l’esprit et de mémoire épisodique. Dans la session 3, les enfants passaient l’épreuve de métamémoire. L’ordre des sessions a été partiellement contrebalancé de sorte que les enfants passent toujours la session 2 avant la session 3. En effet, nous pensions qu’il était nécessaire à l’enfant de faire l’expérience d’une tâche mnésique avant de répondre aux questions sur la métamémoire, de manière à ce que cela facilite leur compréhension des verbes spécifiques comme « se rappeler ».
Résultats
24Le nombre moyen de réponses correctes, les écart-types et les scores maximum pour les épreuves de métamémoire, de langage, de théories de l’esprit et de mémoire épisodique sont présentés dans le tableau 1.

Tableau 1 – Nombres moyens de réponses correctes et écart-types obtenus aux épreuves de langage, de théories de l’esprit, de mémoire épisodique et de métamémoire aux temps 1 et 2 de l’étude longitudinale.
Développement de la métamémoire
25Afin de déterminer si les réponses des enfants différaient du niveau du hasard, plusieurs tests de Student ont été réalisés. Il est nécessaire de rappeler qu’un point était accordé à la question test, si l’enfant avait correctement répondu à la question contrôle qui lui était associée. Pour chaque histoire, il y avait 3 possibilités de réponses pour la question test (Plus difficile pour Théo ? Pour Victor ? Pour les deux ?) et deux possibilités de réponses pour la question contrôle (Théo ou Victor ?). Nous avons choisi de calculer le niveau du hasard en suivant le calcul de probabilité de Bayes. Ainsi, le niveau de hasard varie de 0.16 à 0.33 pour une histoire, en fonction des réponses supposées correctes aux questions contrôles, soit 0.64 à 1.32 pour chaque condition. Les résultats des tests de Student sont présentés dans le tableau 2. Seules les performances concernant le nombre d’objets à mémoriser diffèrent significativement du hasard, aussi bien au temps 1 qu’au temps 2 de l’étude (respectivement M = 2.16, t (30) = 3.80, p < .001 et M = 2.32, t (30) = 3.91, p < .001).

Tableau 2 – Nombres moyens de réponses correctes obtenues (maximum : 4) en fonction des conditions de l’épreuve de métamémoire et le temps de l’étude, niveau de hasard et résultats des tests de Student.
26Afin de déterminer l’évolution des connaissances en métamémoire entre le temps 1 et le temps 2, nous avons réalisé une analyse de variance (ANOVA) à mesures répétées sur le nombre moyen de réponses correctes obtenues. L’âge (T1, T2) et la condition (Nombre, Temps, Organisation) ont été traités comme des variables intra-sujets. Nous observons un effet significatif de l’âge (F [1,30] = 5.09, p < .05) et de la tâche (F [2,60] = 26.16, p < .0001). Même si les connaissances globales en métamémoire augmentent en 4 mois, il apparaît que l’évolution est notable seulement dans la condition Nombre (F [1,30] = 33.96, p < .001).
Développement des théories de l’esprit, du langage et de la mémoire épisodique
27Plusieurs tests de Student pour échantillons appariés ont été réalisés sur les nombres moyens de réponses correctes obtenus à chaque temps pour chacune des variables – langage, théories de l’esprit et mémoire épisodique. Nous observons un effet significatif de l’âge pour le langage (t [30] = 9.80, p < .0001), et les théories de l’esprit (t [30] = 6.85, p < .0001). À titre d’illustration, en prenant comme critère de réussite 75 % du score maximum obtenu à l’épreuve des théories de l’esprit (total d’au moins 15 points sur 20), seulement 2 enfants sur 31 au temps 1 et 10 sur 31 au temps 2 atteignent ce critère de réussite concernant la batterie des théories de l’esprit (toutes tâches confondues). Ces résultats sont en accord avec ceux observés dans la littérature, montrant que c’est entre 4 et 5 ans que les enfants réussissent les tâches de théories de l’esprit sélectionnées (e. g. Wellman et Liu, 2004).
28Concernant la mémoire épisodique, un effet plafond est observé aux T1 et T2 (respectivement M = 0.94 et M = 0.91 pour la discrimination des items). Il n’y a effectivement aucun effet significatif de l’âge pour la discrimination des items (A’) (t [30] < 1, p =. 47, ns) et pour le biais de réponses (B"D), t (30) < 1, p = .96, ns. On observe néanmoins qu’aux Temps 1 et Temps 2, les enfants présentent un biais de réponse de type conservateur (c’est-à-dire qu’ils considèrent des items anciens comme étant nouveaux).
29Une ANOVA à mesures répétées a également été réalisée sur les proportions moyennes obtenues en mémoire de source en prenant comme variables intra-sujets, les temps de l’étude (T1, T2) et la source (Soi/Autrui). Les résultats n’indiquent aucun effet significatif. En d’autres termes, les enfants de 4 ans sont capables de reconnaître des items précédemment vus parmi des distracteurs, mais aussi de rappeler la source de l’information, en faisant aussi bien la distinction entre les items piochés par eux-mêmes ou par une autre personne. Ils ont par contre plus tendance à faire des erreurs en reconnaissance en identifiant plus souvent un item comme nouveau. Étant donné qu’aucune différence significative n’a été observée selon la source de l’information, un nouveau score global de mémoire de source a été calculé (nombre d’items dont la source a été correctement identifiée divisé par le nombre d’items cibles correctement reconnus). Pour les analyses visant à appréhender le lien entre métamémoire et mémoire épisodique, seul cet indice de mémoire de source sera pris en compte.
Liens entre métamémoire, théories de l’esprit, langage et mémoire épisodique.
30Les corrélations entre les scores obtenus à ces 4 différentes épreuves sont présentées dans le tableau 3. Au temps 1 comme au temps 2, nous retrouvons des corrélations modérées entre âge et langage (respectivement, r = .59, p < .001 et r = .46, p < .01), entre théories de l’esprit et langage (respectivement, r = .47, p < .01 et r = .55, p < .01). Ces résultats sont conformes à ceux observés dans la littérature, bien que ces corrélations soient plus modérées. Par contre, contrairement à ce que nous attendions, nous n’observons aucune corrélation significative entre les scores de métamémoire et ses précurseurs potentiels – langage, théories de l’esprit et mémoire de source, que cela soit au T1 ou au T2. Enfin, les résultats indiquent qu’au T2, les scores de mémoire de source sont corrélés aux scores de théories de l’esprit (r = .36, p < .05) et de manière assez inattendue, et aux scores à l’épreuve de langage (r = .43, p < .05).

*p < .05, **p < .01, ***p < .001.
Tableau 3 – Corrélations de Pearson aux temps 1 et 2, entre les scores de métamémoire, de théories de l’esprit, de langage, et de mémoire de source.
Discussion
31Le premier objectif de notre recherche était d’appréhender les connaissances en métamémoire déclarative chez des enfants de 4 ans, à l’aide de trois variables – nombre d’items à mémoriser, temps pour mémoriser, et organisation du matériel en catégorie sémantique – et de suivre leur évolution après 4 mois (T2). Le second objectif de notre étude était d’appréhender les relations qu’entretiennent les théories de l’esprit, le langage, la mémoire épisodique et la métamémoire au cours du développement.
Développement de la métamémoire déclarative
32Conformément aux études précédentes menées sur le développement de la métamémoire déclarative, les enfants de 4 ans comprennent l’influence du nombre d’objets sur la mémorisation. Ils sont, par exemple, capables de juger que 5 objets seront plus difficiles à mémoriser que 2 objets. Par contre, ils n’ont pas encore conscience que le temps alloué à la mémorisation et l’organisation du matériel en catégorie sémantique ont aussi une influence sur la mémorisation. Ces résultats sont en accord avec ceux observés dans la littérature : l’influence du nombre est comprise dès 4 ans (Wellman, 1977) et la compréhension de l’ensemble des variables ne s’opère pas avant 5 ans (Lockl et Schneider, 2006, 2007 ; Wellman, 1977).
Relations entre la métamémoire, théories de l’esprit, langage et mémoire épisodique
33Les résultats obtenus aux T1 et T2 n’ont pas permis d’établir de liens entre le développement de la métamémoire déclarative et ceux de ses précurseurs cognitifs potentiels (théories de l’esprit, langage, mémoire épisodique). Étant donné les compétences faibles des enfants en métamémoire observés aux T1 et T2 (respectivement M = 4.61 et M = 6.32 sur 24 points), il nous semble nécessaire d’attendre qu’une plus grande variabilité dans les scores de métamémoire soit observée pour engager des analyses complémentaires permettant de déterminer les liens qu’entretiennent la métamémoire et ses précurseurs cognitifs (analyse de régression). Si nous n’avons pas pu explorer notre hypothèse sur les précurseurs cognitifs de la métamémoire déclarative, nous avons pu observer des liens entre le développement des théories de l’esprit, le langage et la mémoire de source.
Conclusion
34Pour conclure, l’analyse des deux premiers temps de notre étude longitudinale indique que les enfants français âgés de 4 ans comprennent que le nombre d’objets va rendre plus difficile la mémorisation. Ces résultats sont bien en accord avec ceux observés dans la littérature (Wellman, 1977). De plus, bien qu’aucun changement significatif des connaissances sur les variables influençant le fonctionnement mnésique ne soit observé dans un intervalle de 4 mois, il n’en est pas de même concernant les développements du langage et des théories de l’esprit.
35La poursuite de notre étude longitudinale, sur les 4 prochains temps, permettra d’établir une séquence développementale de l’acquisition des connaissances sur les 3 variables auxquelles on s’intéresse – le nombre d’objets à mémoriser, le temps alloué à la mémorisation et l’organisation du matériel en catégorie sémantique – mais aussi d’appréhender la contribution des développement du langage, des théories de l’esprit et de la mémoire épisodique dans le développement de la métamémoire déclarative, ainsi que les liens qu’entretiennent ces précurseurs potentiels entre eux.
Bibliographie
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Auteurs
-
Camille Gavoille
Laboratoire C2S – Cognition, Santé, Société, à l’université de Reims Champagne-Ardenne.
-
Stéphanie Caillies
Éthologie animale et humaine – EthoS, Unité mixte CNRS à l’université de Rennes 1 no 6552.
-
Florence Labrell
Inserm U669 à l’université de Reims Champagne-Ardenne.
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