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Développement et variabilités

 | 
Sandrine Le Sourn-Bissaoui
, 
Gaïd Le Maner-Idrissi
, 
Virginie Dardier
, 
et al.

Première partie. Cognition, cognition sociale et variabilités

Développement social et variabilité inter-sexe : dynamique développementale des différences sexuées entre 2 et 6 ans

Stéphanie Barbu, Guénaël Cabanes e Gaïd Le Maner-Idrissi

Testo integrale

Introduction

1Existe-t-il des différences entre les filles et les garçons dans leurs comportements et leur développement ? Cette question suscite toujours un grand intérêt et de nombreuses interrogations de la part des parents, des professionnels de l’éducation comme de la communauté scientifique. Malgré l’abondance des travaux sur la variabilité interindividuelle liée au sexe, l’existence même de ces différences reste très vivement discutée : considérées comme importantes pour les uns ou au contraire négligeables pour les autres (Lippa, 2005). Les résultats contradictoires entre les études contribuent sans aucun doute à alimenter le débat : certaines études ne révélant aucune différence liée au sexe alors que d’autres mettent en évidence des différences qui peuvent s’avérer conformes ou non aux stéréotypes sexués. Ces divergences sont particulièrement marquées chez l’enfant et semblent en partie dépendre des âges considérés (Blakemore, Berenbaum et Liben, 2009). Pourtant, la dynamique développementale des différences interindividuelles liées au sexe, leur stabilité et leur amplitude au cours du temps, reste une question peu explorée.

2Parmi les stéréotypes sexués répandus, les filles sont souvent considérées comme manifestant un intérêt plus précoce et plus marqué pour leur environnement social et de meilleures habiletés sociales que les garçons du même âge (Maccoby et Jacklin, 1974 ; Ruble, Martin et Berenbaum, 2006 ; Blakemore et al., 2009). Un certain nombre de résultats empiriques confirment l’existence de telles différences. De la naissance à la première année, les filles manifestent une orientation sociale plus forte que les garçons, avec un intérêt plus marqué pour les visages humains (Connellan et al., 2000 ; voir Spelke, 2005 pour une revue critique ; Lutchmaya et Baron-Cohen, 2002), des contacts par le regard plus nombreux (Hittelman et Dickes, 1979 ; Lutchmaya, Baron-Cohen et Ragatt, 2002 ; Leeb et Rejskind, 2004) et de meilleures habiletés d’imitation (Nagy et al., 2007). Au cours de l’enfance, les filles restent plus expressives et plus réceptives aux stimuli sociaux. Elles manifestent plus d’expressions d’émotions et décodent aussi mieux les émotions (Hall, Carter et Horgan, 2000 ; McClure, 2000) ainsi que les états mentaux d’autrui (Happé, 1995 ; Charman, Ruffman et Clements, 2002 ; Walker, 2005). Elles sont aussi plus enclines à se comporter de façon prosociale (Eisenberg, Fabes et Spinrad 2006). Ces habiletés peuvent être mises en relation avec les compétences sociales générales des enfants, en particulier dans les interactions entre pairs (Walker, Irving et Berthelsen, 2002 ; Walker, 2005), ainsi qu’avec différents styles d’interaction répondant à des enjeux communicationnels et relationnels différents selon le sexe (Maccoby, 1990 ; Leaper et Smith, 2004).

3Bien que la littérature atteste de l’existence de certaines différences inter-sexes dans le développement social des enfants, le bilan est loin d’être aussi simple et univoque. Au-delà d’une grande hétérogénéité méthodologique, la mise en évidence ou non de ces différences semble dépendre de l’âge des enfants. En effet, la plupart des travaux consistent en des études ponctuelles à un certain âge, voire parfois regroupent des enfants d’âges différents. De plus, les différences mises en évidence ne sont pas toujours très marquées, ni même constantes au cours de l’enfance (Blakemore et al., 2009). La variabilité inter-sexe est encore rarement étudiée sur de larges périodes de développement ; hormis quelques exceptions notables, plus centrées cependant sur la variabilité intra-sexe que sur la variabilité inter-sexe (Golombok et al., 2008). La dynamique des différences intersexes au cours du développement social reste donc à préciser (Eisenberg et al., 2006 ; Ruble et al., 2006). Le jeu offrant une fenêtre de choix sur le développement social de l’enfant (Fromberg et Bergen, 2006 ; Rubin, Bukowski et Parker, 2006 ; Göncü et Gaskins, 2006), nous avons entrepris d’étudier les différences sexuées dans l’implication sociale des enfants dans le jeu entre pairs au cours de la période préscolaire (entre 2 et 6 ans).

4La quantité et la qualité du jeu sont toutes deux associées à différentes mesures de la motivation sociale et des compétences sociales des enfants, en particulier avec leurs pairs (Howes et Matheson, 1992 ; Colwell et Linsey, 2005 ; Coplan et Arbeau, 2008). De nombreuses études montrent qu’avec l’âge, les enfants s’engagent de plus en plus dans des jeux sociaux à mesure que leurs interactions sociales deviennent plus élaborées (Howes et Matheson, 1992 ; Robinson et al., 2003 ; Fromberg et Bergen, 2006 ; Rubin et al., 2006). Cependant, des différences interindividuelles marquées sont aussi observées dans le degré d’implication des enfants dans le jeu avec leurs pairs (Coplan, Rubin et Findley, 2006). Nous avons cherché à savoir si des différences filles/garçons pouvaient s’observer entre 2 et 6 ans, période au cours de laquelle la majorité des enfants font l’expérience des interactions entre pairs. Les enfants ont été observés au cours des moments de jeu libre en récréation à l’école maternelle, en couvrant l’étendue de leurs activités (Parten, 1932 ; Howes, 1988 ; Howes et Matheson, 1992) : des activités non sociales (être inoccupé ou jouer seul), semi-sociales (être observateur, jouer en parallèle) et sociales (jeu associatif, jeu coopératif, et interactions entre pairs, essentiellement des conversations qui deviennent plus fréquentes avec l’âge, Rubin et al., 2006). Pour couvrir l’ensemble des activités des enfants, nous avons également noté les interactions avec les adultes, le personnel encadrant étant présent en récréation. L’étude a été menée auprès de 164 enfants, répartis en quatre groupes d’âge correspondant aux quatre niveaux scolaires de l’école maternelle en France.

Méthode

Participants

5Les enfants ont été recrutés dans 16 classes de deux écoles maternelles. Au total, 164 enfants (82 filles et 82 garçons), âgés de 29 à 74 mois ont participé à l’étude. Ces enfants étaient tous scolarisés à temps plein. Les enfants ont été divisés en quatre groupes d’âge selon les quatre niveaux scolaires de l’école maternelle en France : 2-3 ans, 3-4 ans, 4-5 ans et 5-6 ans. Les caractéristiques des groupes sont détaillées dans le tableau 1. Ces groupes diffèrent significativement en âge (ANOVA, F3, 156 = 1080.93, p < 0.0001) et ont des effectifs similaires, à l’exception du groupe des plus jeunes. En effet, seulement 20.9 % des enfants de 2 ans sont scolarisés en France alors que presque tous le sont à partir de 3 ans (MEN, 2008). Dans chaque groupe, le sexe ratio est équilibré. Les filles et les garçons ne diffèrent pas en âge (sexe : F1, 156 = 0.64, p = 0.42 ; âge x sexe : F3, 156 = 0.99, p = 0.40), ni par leur milieu social. Les enfants sont de milieux sociaux variés (20.1 % des parents sont de catégories socioprofessionnelles supérieures, 37.8 % de CSP intermédiaires, 25.6 % de CSP inférieures, 7.3 % sans emploi, et 9.2 % non renseigné).

Tableau 1. – Caractéristiques des groupes de sujets (M : âge moyen en mois ; d. s. : écart-type ; n : nombre d’enfants).

Conditions d’observations

6Les enfants ont été observés en jeu libre lors des récréations qui ont lieu le matin et l’après-midi. Les cours des écoles étaient équipées de matériels de jeu similaires (toboggans, bacs à sable, tricycle, ballons…). Le nombre d’enfants présents dans la cour était variable selon la taille des écoles (2 à 3 classes dans l’une et 5 à 6 classes dans l’autre, incluant généralement deux sections successives). Le ratio adultes-enfants était similaire entre les récréations et les écoles, chaque enseignant accompagnant sa classe. Le personnel encadrant était présent, mais ne dirigeait pas les activités des enfants.

Méthodes d’observation

7Les observations ont été réalisées de mars à mai. Des méthodes classiques d’éthologie ont été utilisées pour la collecte des données (scan sampling : Martin et Bateson, 2009). L’activité des enfants a été notée toutes les 2 minutes au cours de la récréation qui durait en moyenne 30 minutes. Dans la mesure où tous les enfants présents ne pouvaient être observés en même temps, l’observateur suivait un groupe de même âge de 15 enfants durant une session. Le même nombre d’observations a été réalisé pour chaque enfant (120 scans, soit 4 heures d’observation par enfant). En moyenne, 10 récréations sur 2 semaines étaient nécessaires pour collecter les données d’un groupe. Les sessions étaient contrebalancées entre les groupes pour chaque période de la journée (matin/après-midi) et du trimestre (début/fin). L’ordre d’observation des enfants était aléatoire au sein des groupes. Deux observateurs (un par école) entrainés, mais naïfs quant à l’objectif de l’étude (étudier les différences sexuées), ont collecté les données. L’observateur était visible des enfants, mais n’interagissait pas avec eux. Après une période d’habituation de plusieurs jours, l’observateur notait les activités des enfants selon la méthode précédemment décrite.

Codage des activités et accords inter-observateurs

8Les activités des enfants ont été définies en adaptant l’échelle de participation sociale de Parten (1932) : (1) inoccupé (se déplacer sans but précis, être assis calmement, sans centre d’attention particulier ou en passant d’un point d’intérêt à un autre) (k = 0.67) ; (2) jeu solitaire (jouer seul à distance des autres ou indépendamment des enfants à proximité) (k = 0.71) ; (3) observateur (observer l’activité d’autres enfants, en étant à proximité et en faisant éventuellement des commentaires ponctuels sur l’activité en cours, mais sans entrer dans le groupe de jeu) (k = 0.72) ; (4) jeu parallèle (jouer aux côtés de, et non avec – avec du matériel similaire à celui utilisé par les enfants se trouvant à proximité, mais indépendamment sans interactions soutenues) – afin d’introduire une distinction plus nette entre le jeu parallèle et le jeu solitaire, nous avons retenu la définition de Howes du « parallel aware play » (Howes, 1988 ; Howes et Matheson, 1992) qui précise que cette activité s’accompagne de regards et/ou de brefs échanges sociaux (e. g., vocalisations, sourires) (k = 0.93) ; (5) jeu associatif (jouer avec d’autres, en étant impliqué dans la même activité, en poursuivant un but commun, avec des interactions soutenues, mais un contrôle limité de l’entrée dans le groupe de jeu et sans répartition des rôles, ni des tâches) (k = 0.90) ; (6) jeu coopératif (jouer ensemble dans des activités organisées et coordonnées, avec un contrôle de l’entrée dans le groupe, une division des tâches et une répartition des rôles, le plus souvent des jeux de rôles ou des jeux avec des règles) (k = 0.99). Nous avons ajouté deux catégories afin de couvrir l’ensemble du spectre d’activités des enfants : (7) les interactions sociales entre pairs, quand les enfants ne jouent pas, mais sont impliqués dans des échanges sociaux soutenus (e. g., le plus souvent ici des conversations) (k = 0.75) ; (8) les interactions sociales avec un adulte à l’initiative de l’enfant ou de l’adulte, le personnel encadrant étant présent (k = 0.95). Enfin, quand l’enfant cible ne réalisait aucune des activités mentionnées (le plus souvent des activités de maintenance, comme manger son goûter, aller aux toilettes…), les observations étaient remplacées par des scans supplémentaires de façon à avoir le même nombre d’observations pour tous. Les deux observateurs ont été entrainés à partir de supports vidéo jusqu’à atteindre un accord inter-observateurs satisfaisant (coefficient de kappa de 0.67 à 0.99 selon les activités ; kappa global = 0.84).

Mesures et analyses

9Le pourcentage de temps passé dans chacune des activités a été calculé pour chaque enfant. Les effets de l’âge, du sexe et leurs interactions ont été analysés par des ANOVAs et des tests post-hoc PLSD de Fisher quand l’effet était significatif. De façon à caractériser le profil de participation sociale des enfants à chaque âge, l’importance relative des différentes activités a été analysée avec des tests t pour données appariées. Le seuil de significativité est de 0.05 pour tous les tests utilisés.

Résultats

Évolution de la participation sociale au cours de la période préscolaire

10L’implication des enfants avec leurs pairs présente de nombreux changements entre 2 et 6 ans : leurs activités sont de plus en plus orientées vers les pairs et organisées (Figure 1). L’effet de l’âge est significatif pour toutes les activités : les interactions avec un adulte, être inoccupé ou observateur, jouer seul ou en parallèle diminuent avec l’âge tandis que le jeu associatif, le jeu coopératif et les interactions entre pairs augmentent au cours de la période préscolaire (ANOVAs, tous les F3, 156 > 5.2, tous les p < 0.002. Pour une présentation détaillée des résultats, voir Barbu, Cabanes et Le Maner-Idrissi, 2011).

11La comparaison du temps alloué à chacune des activités pour chaque groupe d’âge montre que les groupes sont caractérisés par des profils de participation sociale différents (Figure 1, Barbu et al., 2011 pour le détail des comparaisons statistiques). Les enfants de 2-3 ans sont fréquemment observés en train de jouer seuls ou en parallèle ou même inoccupés, même si le jeu associatif représente déjà une part non négligeable de leurs activités. Ils sont aussi plus souvent observés en interactions avec un adulte que les enfants plus âgés pour qui cette proximité à l’adulte devient rare. Le profil des enfants de 3-4 ans reste assez proche de celui des 2-3 ans, à l’exception du jeu associatif qui devient aussi fréquent que le jeu solitaire et plus fréquent que le jeu parallèle. À partir de 4-5 ans, le profil change de manière importante avec la prédominance du jeu associatif à 4-5 ans, puis du jeu coopératif à 5-6 ans.

Fig. 1. – Évolution de la participation sociale entre 2 et 6 ans : pourcentages moyens de temps alloué à chacune des activités et comparaisons entre les différents groupes d’âge (Adu : interactions avec un adulte, Ino : inoccupé, Sol : jeu solitaire, Obs : observateur, Par : jeu parallèle, Aso : jeu associatif, Cop : jeu coopératif, Int : interactions entre enfants).
PLSD de Fisher, *p < 0.05, **p < 0.01, ***p < 0.001.

Les différences sexuées au cours de la période préscolaire : comparaisons inter-sexes

12Nous avons également mis en évidence des différences interindividuelles liées au sexe, révélant un décalage développemental entre les filles et les garçons du même âge (Figure 2). Une première différence significative concerne le jeu solitaire (ANOVA, sexe : F1, 156 = 14.30, p = 0.0002 ; âge x sexe : F3, 156 = 2.02, p = 0.11) : les garçons jouent plus fréquemment seuls que les filles (Figure 2e). Cette différence est particulièrement marquée à 3-4 ans (PLSD, 3-4 ans : p = 0.0001 ; 2-3 ans : p = 0.08 ; 4-5 et 5-6 ans : p > 0.10). De plus, nous avons trouvé une interaction significative entre l’âge et le sexe pour le jeu associatif (âge x sexe : F3, 156 = 4.22, p = 0.005 ; sexe : F1, 156 = 0.03, p = 0.85), le jeu coopératif (F3, 156 = 10.20, p < 0.0001 ; F1, 156 = 0.45, p = 0.50), et les interactions entre pairs (F3, 156 = 4.13, p = 0.008 ; F1, 156 = 8.36, p = 0.004), indiquant que les différences inter-sexes changent au cours du temps. À 3-4 ans, les filles sont plus fréquemment impliquées dans des jeux associatifs que les garçons (Figure 2f) (PLSD, p = 0.05), mais à 4-5 ans, ce type de jeu devient plus fréquent chez les garçons que chez les filles (p = 0.02). Aucune différence significative n’a été trouvée chez les enfants plus jeunes ou plus vieux (2-3 ans : p = 0.34 ; 5-6 ans : p = 0.06). Ces différences sexuées apparaissent avec une année de décalage pour le jeu coopératif (Figure 2g). Elles apparaissent à nouveau en premier en faveur des filles à 4-5 ans (p = 0.005), puis en faveur des garçons à 5-6 ans (p < 0.0001). Aucune différence significative n’est observée chez les enfants plus jeunes (2-3 ans : p = 0.99 ; 3-4 ans : p = 0.61). Ainsi, pour le jeu associatif et coopératif, les différences sexuées sont observées en premier en faveur des filles, puis s’inversent en faveur des garçons l’année suivante. Une différence significative apparaît également dans les interactions entre pairs à la fin de la période préscolaire (Figure 2h) (5-6 ans : p < 0.0001 ; 2-3 ans : p = 0.66 ; 3-4 ans : p = 0.11 ; 4-5 ans : p = 0.56), quand cette forme d’activité sociale devient progressivement plus fréquente chez les filles.

13Enfin, les analyses n’ont révélé aucun effet significatif du sexe, ni de l’interaction entre l’âge et le sexe pour les interactions avec un adulte (F 1, 156 = 1.49, p = 0.22 ; F 3, 156 = 1.86, p = 0.14), être inoccupé (F 1, 156 = 1.41, p = 0.24 ; F 3, 156 = 0.36, p = 0.79), être observateur (F 1, 156 = 0.72, p = 0.40 ; F 3, 156 = 1.48, p = 0.22), et le jeu parallèle (F 1, 156 = 2.42, p = 0.12 ; F 3, 156 = 0.27, p = 0.85) (Figure 2a-d).

Fig. 2. – Évolution de la participation sociale entre 2 et 6 ans chez les filles (barres noires) et les garçons (barres blanches) : pourcentages moyens de temps alloué à chacune des activités et comparaisons inter-sexes au sein de chaque groupe d’âge (Adu : interactions avec un adulte, Ino : inoccupé, Sol : jeu solitaire, Obs : observateur, Par : jeu parallèle, Aso : jeu associatif, Cop : jeu coopératif, Int : interactions entre enfants). PLSD de Fisher indiqué pour les résultats significatifs.

Les profils de participation sociale des filles et des garçons : comparaisons intra-sexes

14Pour avoir un aperçu complet des différences sexuées, il est nécessaire de considérer également le profil de participation sociale des filles et des garçons, à savoir l’importance relative de chaque activité pour chaque sexe à chaque âge (Figure 2, voir Barbu et al., 2011 pour le détail des comparaisons statistiques).

15À 2-3 ans, les profils des filles et des garçons sont assez proches : les enfants des deux sexes sont observés le plus souvent en jeu solitaire, parallèle ou associatif ou encore inoccupés. En effet, ces activités se retrouvent dans des proportions similaires pour les deux sexes (tests t appariés, tous les p > 0.08), à l’exception du jeu solitaire qui est plus représenté chez les garçons, en particulier plus fréquent que d’être inoccupé (p = 0.0003). Une autre différence est à souligner : chez les garçons, les interactions avec un adulte sont relativement moins fréquentes que les activités précédemment indiquées (tous les p < 0.04), ce qui n’est pas le cas chez les filles (tous les p > 0.20). À 3-4 ans, le jeu associatif, qui est plus fréquent chez les filles que chez les garçons, devient aussi l’activité dominante des filles (tous les p < 0.04), ce qui n’est pas encore le cas chez les garçons. Chez les garçons, les jeux solitaire et parallèle sont toujours aussi fréquents que le jeu associatif (respectivement, p = 0.27 et 0.17). À 4-5 ans, alors que le jeu coopératif est plus fréquent chez les filles que chez les garçons et le jeu associatif plus fréquent chez les garçons que chez les filles, le jeu associatif est la principale activité des enfants des deux sexes, devant toutes les autres activités (tous les p < 0.001). De la même façon, à 5-6 ans, alors que les interactions entre pairs sont plus fréquentes chez les filles que chez les garçons et que le jeu coopératif est plus fréquent chez les garçons que chez les filles, le jeu coopératif devient la principale activité des enfants des deux sexes, devant toutes les autres activités (tous les p < 0.01).

16Ainsi, à 3-4 ans, les activités des filles sont effectivement plus associatives que celles des garçons du même âge ; mais avec l’âge, le jeu devient pour les enfants des deux sexes principalement associatif à 4-5 ans, puis coopératif à 5-6 ans.

Discussion – Conclusions

17Avec l’âge, le jeu se socialise et devient plus structuré ; mais ce développement ne se fait pas à la même vitesse pour tous les enfants. Le sexe apparaît comme un facteur important de la variabilité interindividuelle observée chez des enfants de 2 à 6 ans. En effet, notre étude a permis de mettre en évidence un décalage développemental en faveur des filles. Les filles s’engagent dans des activités qui sont orientées vers les pairs et plus structurées plus tôt que ne le font les garçons, comme le jeu associatif (à 3-4 ans), le jeu coopératif (à 4-5 ans) ou encore les conversations entre pairs (à 5-6 ans). Au cours de la période préscolaire, le jeu solitaire est aussi plus fréquent chez les garçons que chez les filles, en particulier à 3-4 ans.

18Notre étude montre également que les différences interindividuelles liées au sexe peuvent apparaître au cours d’une fenêtre relativement restreinte du développement, c’est-à-dire à un âge précis, et qu’elles ne sont pas stables au cours du temps. Certaines différences observées dans un premier temps en faveur des filles, peuvent s’inverser en faveur des garçons l’année suivante, comme nous avons pu le mettre en évidence dans le jeu associatif, puis coopératif. Avec l’âge, les garçons comblent leur retard, mais les filles continuent leur avancée vers de nouvelles formes de jeux et d’interactions plus élaborées. Il n’est donc pas surprenant que des études réalisées à un moment ponctuel du développement ou regroupant des populations d’âges hétérogènes ne révèlent aucune différence inter-sexe significative, voire que ces études rendent compte parfois de différences dont la direction n’est pas celle habituellement observée (Blakemore et al., 2009). Ainsi, les différences sexuées peuvent changer au cours du temps, d’où la nécessité de développer des approches développementales de la variabilité inter-sexe pour en cerner la dynamique et également de considérer les multiples formes que peut prendre un comportement, une activité ou une habileté au cours du développement.

19De plus, les incohérences relevées entre les études peuvent aussi provenir de la façon dont les différences sexuées et les comparaisons sont opérationnalisées (Ruble et al., 2006). En effet, il est possible de considérer la variabilité inter-ou intra-sexe, à savoir rechercher si un comportement est plus fréquent chez un sexe que l’autre (est-ce que les filles passent plus de temps à jouer avec une poupée que les garçons ?) ou rechercher si un comportement est le principal comportement exprimé par un sexe contrairement à l’autre (est-ce que les filles passent plus de temps à jouer avec une poupée qu’avec d’autres jouets ?). Les comparaisons inter-et intra-sexe offrent des points de vue différents sur les différences sexuées (Jadva, Hines et Golombok, 2010). Ainsi, en considérant les profils de participation sociale des filles et des garçons, nous avons montré qu’en dépit de l’avance des filles, le jeu est principalement associatif à 4-5 ans, puis coopératif à 5-6 ans chez les enfants des deux sexes. Les différences observées en faveur des filles apparaissent systématiquement l’année avant que l’activité ne devienne la principale forme de jeux ou d’interactions pour les enfants des deux sexes.

20Le jeu sollicite différentes habiletés des enfants, telles que la communication, la prise de rôle et la coopération. Les différences sexuées observées dans le jeu et les interactions entre pairs pourraient être liées à des différences dans certaines habiletés socio-cognitives telles que le langage (Bornstein, Hahn et Haynes, 2004 ; Blakemore et al., 2009) et la théorie de l’esprit (Happé, 1995 ; Charman et al., 2002 ; Walker, 2005) pour lesquelles une avance des filles a également été démontrée au cours de la période préscolaire. Ces différences peuvent elles aussi apparaître au cours d’une fenêtre restreinte de développement (au cours des années préscolaires en particulier) et disparaître avec l’âge. Il existe un lien certain entre les habiletés socio-cognitives des enfants et certains aspects du jeu social (Harris, 2006 ; Smith, 2006). Cependant, cette relation reste encore à préciser. En effet, si certaines habiletés socio-cognitives sont nécessaires pour s’engager dans des formes plus élaborées de jeu, le jeu permet également de promouvoir de nouvelles habiletés (Coplan et al., 2006 ; Coplan et Arbeau, 2008). L’enjeu actuel est de dépasser les approches le plus souvent corrélationnelles pour aller vers des études expérimentales de la question du lien de cause à effet entre jeu, socialité et cognition (Smith, 2006).

21Les différences sexuées mises en évidence dans la participation sociale des enfants pourraient également être liées aux préférences sexuées des enfants pour certains matériels et activités de jeu (Berenbaum et al., 2008). Les choix sexués de jouets sont observables dès la première année (Jadva et al., 2010) et s’accentuent au cours de la période préscolaire (Ruble et al., 2006 ; Blakemore et al., 2009). Or le matériel de jeu peut avoir un effet significatif sur la quantité et la qualité du jeu et des interactions sociales (Brenner et Omark, 1979). Les enfants des deux sexes s’engagent dans des jeux plus complexes avec des jouets féminins qu’avec des jouets neutres ou masculins (Cherney et al., 2003). L’implication de ces résultats est double. Les choix sexués de jouets pourraient d’une part, avoir un impact direct sur le développement socio-cognitif des enfants et ainsi expliquer l’avance des filles ; et d’autre part, conditionner l’évaluation qui est faite de la qualité du jeu et ainsi conduire à sous-évaluer les habiletés sociales et cognitives des garçons, alors plus souvent identifiés comme sujets à risques par les professionnels (Cherney et al., 2003).

22Comprendre la dynamique développementale des différences sexuées est essentiel pour progresser dans la compréhension des déterminants de la variabilité interindividuelle, et préciser la nature, le poids respectif et les possibles interactions entre les différents facteurs biologiques et socioculturels qui peuvent agir à différents moments du développement (Hines, 2004 ; Lippa, 2005) et même avoir un impact différent sur les filles et les garçons (Morrisset, Barnard et Booth, 1995 ; Galsworthy et al., 2000 ; Iervolino et al., 2005).

Bibliografia

Références

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Indice delle illustrazioni

Legenda Tableau 1. – Caractéristiques des groupes de sujets (M : âge moyen en mois ; d. s. : écart-type ; n : nombre d’enfants).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/61369/img-1.jpg
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Legenda Fig. 1. – Évolution de la participation sociale entre 2 et 6 ans : pourcentages moyens de temps alloué à chacune des activités et comparaisons entre les différents groupes d’âge (Adu : interactions avec un adulte, Ino : inoccupé, Sol : jeu solitaire, Obs : observateur, Par : jeu parallèle, Aso : jeu associatif, Cop : jeu coopératif, Int : interactions entre enfants).PLSD de Fisher, *p < 0.05, **p < 0.01, ***p < 0.001.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/61369/img-2.png
File image/png, 206k
Legenda Fig. 2. – Évolution de la participation sociale entre 2 et 6 ans chez les filles (barres noires) et les garçons (barres blanches) : pourcentages moyens de temps alloué à chacune des activités et comparaisons inter-sexes au sein de chaque groupe d’âge (Adu : interactions avec un adulte, Ino : inoccupé, Sol : jeu solitaire, Obs : observateur, Par : jeu parallèle, Aso : jeu associatif, Cop : jeu coopératif, Int : interactions entre enfants). PLSD de Fisher indiqué pour les résultats significatifs.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/61369/img-3.png
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Autori

Éthologie animale et humaine – EthoS, Unité mixte CNRS à l’université de Rennes 1 no 6552.
Éthologie animale et humaine – EthoS, Unité mixte CNRS, université Rennes 1 no 6552.
Centre de Recherche en Psychologie, Cognition et Communication (EA 1285), Laboratoire de Psychologie du développement et de l’éducation, université Rennes 2.

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