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Les bourgeoises au pensionnat

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Rogers Rebecca

Deuxième partie. Les femmes et les institutions scolaires (1830-1880)

Chapitre VI. Les pensionnats : espace, culture et identités féminines

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Géographique :

France

Texte intégral

1Malgré l’absence de soutien de l’État en faveur du développement de l’enseignement secondaire féminin, un réseau d’établissements en relevant apparaît au sein du paysage urbain français au cours des années 1850-1880, réseau dont il importe de percevoir la présence si l’on veut comprendre les stratégies adoptées à titre individuel par les directrices pour attirer des élèves durant cette période. À partir des années 1850, la bourgeoisie dispose d’un large éventail d’institutions proposant des options éducatives diverses parmi lesquelles exercer son choix. Au sein des pensionnats féminins, les enseignantes mettent de plus en plus l’accent sur des aptitudes et des valeurs qui ne sont pas orientées vers la vie familiale en dépit de l’importance que revêt l’idéologie domestique pour la bourgeoisie. Les élèves reçoivent de ce fait des messages éducatifs variés, auxquels elles doivent se confronter au cours de leurs années d’adolescence. L’ensemble de ces expériences de pensionnat constitue une culture scolaire, perceptible dans les écrits privés des demoiselles du xixe siècle, dont il s’agira de saisir les effets sur la construction des identités de genre.

Emplacement et stratégies des institutions

  • 1 Grew, Harrigan, L’École primaire…, p. 319. En 1837, on compte 17 900 écoles de garçons et 20 900 é (...)

2Les tentatives pour quantifier l’offre d’établissements secondaires féminins en France au milieu du siècle sont vouées à l’échec. L’État ne jouant officiellement aucun rôle dans la gestion de ces écoles et ayant de fait promulgué une loi supprimant le niveau secondaire en 1853, les statistiques officielles sur l’éducation ne s’avèrent guère utiles pour cartographier la progression numérique des établissements secondaires féminins. Le nombre d’écoles primaires pour filles croît de manière importante : en 1837, on en compte 14 100, contre 27 300 en 18631. Les institutions secondaires se multiplient également, et, si elles ne concernent qu’un petit pourcentage de la population féminine, elles marquent néanmoins le paysage urbain et attirent l’attention des autorités éducatives. En 1864, une enquête nationale portant sur l’enseignement secondaire des garçons inclut, à la fin, des questions concernant les pensionnats de filles. Du point de vue du ministère de l’Instruction publique, ces pensionnats relèvent clairement d’un enseignement secondaire féminin. Les résultats de cette enquête offrent une vision globale de la carte de l’éducation à un moment précis, et permettent de mieux cerner la gamme des écoles existant au milieu des années 1860.

Les pensionnats féminins en cartes

  • 2 Les archives contiennent les résultats pour 83 départements sur un total de 89. Les renseignements (...)
  • 3 Pour une comparaison avec les écoles primaires féminines, voir Grew, Harrigan, L’École primaire…, (...)

3Malgré des lacunes, cette enquête révèle clairement que les pensionnats parsèment l’ensemble du territoire national2. Leur emplacement confirme l’avance globale du Nord de la France en matière d’institutions scolaires, et la faiblesse des implantations dans les régions traditionnellement désavantagées, comme la Bretagne ou le centre rural3. Néanmoins, la carte révèle quelques surprises : la France du Nord-Est apparaît sous-représentée étant donnée la tradition historique d’alphabétisation des femmes dans cette zone, tandis qu’on n’attend guère la forte concentration des écoles apparaissant dans les départements ruraux autour de Lyon, dans un groupe de départements de la France de l’Ouest – en particulier la Loire-Atlantique et l’Ille-et-Vilaine –, ou dans le Sud-Ouest. La présence de grandes villes, voire de villes de taille moyenne, explique souvent ces surprises – Nantes, Rennes et Caen pour les départements de l’ouest, Toulouse, Bordeaux et Montpellier pour le Sud-Ouest. La répartition que révèle l’enquête reflète néanmoins pour une part la manière dont les inspecteurs ont interprété les questions posées. Le ministre leur a demandé, ainsi qu’aux recteurs, de spécifier : « Combien de pensionnats sont tenus par des femmes laïques ? Par des religieuses enseignantes ? Combien ont le brevet de capacité ? Combien n’ont que la lettre d’obédience ? » Il apparaît clairement que certains inspecteurs ont inclus dans leur compte l’ensemble des établissements accueillant ne serait-ce qu’une poignée de pensionnaires, tandis que d’autres ont concentré leur attention sur des institutions offrant un enseignement au caractère secondaire plus marqué. Dans le département très rural du Puy-de-Dôme, le recteur relève ainsi près de 108 pensionnats religieux – juste derrière le Rhône et les départements du nord de la France – éparpillés dans la campagne et s’adressant à des élèves dont les familles vivent dans des hameaux isolés. Le rapport précise que seules cinq enseignantes sont titulaires du brevet supérieur, quatre dirigeants des établissements à Clermont-Ferrand et une à Thiers. La plupart de ces écoles ne sont clairement pas des institutions d’enseignement secondaire, et tous les inspecteurs n’incluent pas les établissements de ce type dans leurs rapports. En Alsace, ne sont ainsi relevées que vingt-huit écoles pour les deux départements, malgré une tradition éducative bien plus forte que dans le Massif Central. Il semble qu’ici l’inspecteur n’ait pas inclus les écoles de village accueillant quelques pensionnaires.

  • 4 Cette carte et les deux suivantes ont été réalisées par le laboratoire de Recherche historique Rhô (...)

Carte I : Les pensionnats féminins (1864)4

Carte I : Les pensionnats féminins (1864)4

4Une comparaison des résultats de l’enquête touchant les enseignantes laïques et religieuses permet de mieux comprendre certaines des surprises initiales. Les zones qui comptent des congrégations enseignantes dynamiques sont bien représentées, notamment autour de Lyon, où sont basées les Sœurs de Saint-Charles et les Sœurs de Saint-Joseph. De même, en Bretagne – si l’on exclut l’extrémité ouest –, de nombreux ordres religieux dirigent des pensionnats – 83 % des 356 établissements relevés dans cette académie sont tenus par des congrégations. Globalement, les pensionnats religieux prédominent et représentent les deux tiers de l’ensemble des écoles, soit 2 338 sur 3 480. Il convient cependant de garder à l’esprit qu’étant donné le grand nombre d’établissements laïcs dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise – dont aucun des deux n’est inclus dans l’enquête –, ces résultats doivent être réajustés. S’il ne fait pas de doutes que les institutions religieuses sont majoritaires, les établissements laïcs sont cependant loin d’être absents.

Carte II : Les pensionnats religieux (1864)

Carte II : Les pensionnats religieux (1864)

Carte III : Les pensionnats laïcs (1864)

Carte III : Les pensionnats laïcs (1864)

5L’enquête montre que les pensionnats sont de fait présents partout en France, avec une plus forte probabilité dans les villes. Une image générale de la qualité de l’enseignement qui y est offert émerge des réponses apportées à la question portant sur la « situation générale de enlevant à l’industrie privée et aux corporations s pensionnats de filles dans votre région en matière 1° de moralité 2° d’éducation et 3° d’instruction ». Il convient cependant de tenir compte du fait que les réponses des personnes interrogées reflètent souvent leurs orientations politiques, et constituent une prise de position dans le conflit religieux de l’époque, en particulier pour défendre les institutions laïques contre leurs homologues religieuses.

  • 5 Seul un département fait état de problèmes de moralité : à Nice, un prêtre remplaçant au couvent d (...)
  • 6 AN, F17 6846, Rapport général du recteur concernant l’académie de Lyon, 23 oct. 1864.
  • 7 AN, F17 6848, Rapport de l’inspecteur Belhomme en 1863.

6Globalement, la plupart des inspecteurs considèrent qu’en matière de moralité et d’éducation, ces écoles vont d’excellentes à satisfaisantes ; moins de 2 % des départements ont des établissements estimés médiocres ou mauvais dans ce domaine5. La qualité de l’instruction offerte est cependant jugée de manière beaucoup plus sévère : plus de 25 % des départements comptent des écoles considérées comme médiocres, tandis que 15 % supplémentaires apparaissent comme possédant des écoles de qualité extrêmement variable. Des commentaires plus précis mettent en lumière la nature de ce que les observateurs considèrent comme des problèmes. Les inspecteurs déplorent fréquemment les effets d’un programme d’études qui met trop exclusivement l’accent sur la mémoire. À Lyon, c’est aux familles que le recteur reproche l’absence de « solidité » dans l’enseignement féminin : en quatre ans d’études, « [la] mémoire [des jeunes filles] est surchargée au détriment de leur jugement6 ». En Vendée où les établissements religieux dominent largement – vingt-cinq écoles sur un total de trente et une –, l’inspecteur regrette une éducation « [qui] donne aux enfants des habitudes trop étroites, et dans la crainte d’altérer leur innocence on leur montre nullement le monde tel qu’il est7 ».

7L’enquête s’intéresse également aux qualifications professionnelles des enseignantes et pose la question de savoir si les institutions font l’objet d’inspections. Contrairement à la situation parisienne, les résultats montrent que la vaste majorité des maîtresses travaillent sans posséder de diplôme d’enseignement officiel autre qu’une lettre d’obédience pour les religieuses : 2 004 femmes enseignent sans diplôme, tandis qu’elles ne sont que 291 à en posséder un. La question portant sur les inspections révèle l’existence de pratiques très diverses, mais dans la plupart des départements, les inspecteurs rapportent que leurs homologues féminines ne visitent plus les écoles, si tant est qu’elles l’aient jamais fait. La plupart des établissements sont de ce fait inspectés soit par les autorités ecclésiastiques, soit par les inspecteurs de l’enseignement primaire. Ces derniers notent fréquemment que les directrices sollicitent ce type d’inspections qui leur apparaît comme un moyen d’établir la qualité de leur institution, vraisemblablement pour attirer davantage de clients.

8Enfin, l’enquête pose la question de l’opportunité d’étendre l’éducation dispensée dans les cours normaux et de créer un diplôme de niveau supérieur afin d’améliorer la formation des enseignantes des établissements secondaires. Les inspecteurs sont très peu nombreux – six au total – à penser que des écoles normales sont nécessaires pour modifier le niveau de l’instruction offerte. Au contraire, ils insistent sur le fait que ce sont des enseignantes pour les écoles rurales dont on a besoin, de sorte qu’il n’y a aucune nécessité d’accroître l’offre en matière de formation de niveau secondaire. Conformément à cela, les rapports notent que ce n’est que dans les villes qu’il faut des établissements plus avancés. Néanmoins, dans vingt et un départements – sur soixante-dix-sept ayant répondu à cette question –, les inspecteurs soutiennent la création d’un diplôme de niveau secondaire pour les enseignantes.

  • 8 AN, F17 6843, Inspecteur des Basses-Alpes, s. d.
  • 9 AN, F17 6843, Rapport du 25 sept. 1864.

9Les arguments pour et contre un tel diplôme révèlent l’absence de consensus sur les raisons qui sous-tendent la nécessité pour les filles d’étudier. Ceux qui sont opposés à ce diplôme soutiennent d’une manière consacrée par l’usage qu’il ne ferait que nourrir la vanité des filles (Deux-Sèvres) ou inspirer des désirs impossibles à assouvir. D’autres inspecteurs agitent le spectre du « déclassement » : « Offrir aux jeunes filles l’occasion de recevoir une instruction plus élevée et plus développée, ce serait les déclasser et les exposer à tous les dangers d’une instruction et d’une éducation qui ne seraient pas en rapport avec leur fortune8. » Occasionnellement, des inspecteurs recommandent l’ajout de certaines matières au brevet complet existant. Dans les Bouches-du-Rhône, le rapport plaide pour l’inclusion des langues étrangères et de la musique, ces matières étant « une nécessité dans l’éducation des femmes destinées au monde », mais ne voit aucune nécessité pour celles-ci d’apprendre l’algèbre ou les langues anciennes9. Dans les Alpes-Maritimes, l’inspecteur juge la mise en place d’un nouveau diplôme superflue, mais encourage la création d’un lycée de filles :

  • 10 AN, F17 6843, Rapport 12 sept. 1864.

« En enlevant à l’industrie privée et aux corporations religieuses le monopole de l’éducation des femmes, il [l’État] exercerait sur les familles une action efficace et durable. Il offrirait, en outre, à un grand nombre de personnes, femmes, filles de fonctionnaires ou autres, une position recherchée et dépendante, qui pourrait lui apporter de précieux avantages10. »

10Dans le Gard, l’inspecteur soutient la création d’un diplôme supérieur qu’il perçoit comme un moyen d’insuffler un esprit d’émulation parmi les candidates à l’enseignement :

  • 11 AN, F17 6846, Rapport de l’inspecteur d’académie Deloche, 20 oct. 1864.

« Il se fonderait dans quelques années des établissements dirigés par des personnes pourvues de ce diplôme et il résulterait de cette nouvelle concurrence un mouvement de plus en plus prononcé qui ne pourrait que tourner au profit de l’instruction des filles11. »

  • 12 AN, F17 6848, Rapport d’inspection pour le Maine-et-Loire, 14 oct. 1864.

11Cet argument, comme celui de l’inspecteur des Alpes-Maritimes, envisage clairement un système d’établissements scolaires féminins similaire à celui en vigueur pour les garçons. Les inspecteurs raisonnent cependant plus couramment en termes de savoirs nécessaires aux femmes pour remplir leur rôle dans la société. Sur ce point, les opinions divergent : dans le Maine-et-Loire, l’inspecteur défend l’offre d’une instruction très littéraire dans les établissements urbains, où les filles étudieraient l’histoire, la littérature, l’histoire littéraire de la France et la langue française12. Dans l’académie de Lyon, au contraire, le recteur se prononce en faveur d’une orientation beaucoup plus pratique, et propose l’ajout de cours de droit commercial, d’économie domestique et de devoirs féminins ( !) au brevet complet existant.

12Cette diversité d’opinions souligne l’absence de consensus au cours de cette période sur les besoins éducatifs des filles au-delà du niveau primaire. La portée nationale de l’enquête révèle des différences majeures entre régions, et suggère l’existence de stratégies éducatives extrêmement diverses à travers la France. Les inspecteurs raisonnent différemment selon qu’ils traitent de départements où la clientèle des pensionnats est constituée principalement des filles de petits propriétaires terriens et de familles de riches agriculteurs – comme dans le cas de la Creuse –, ou de départements dans lesquels une grande ville génère une demande sociale plus diversifiée. À Bordeaux, par exemple, l’inspecteur recommande la création d’un diplôme secondaire comme moyen d’attirer les filles des familles riches. Victor Duruy utilise finalement les résultats de cette enquête pour conclure qu’il n’existe pas d’enseignement secondaire féminin, un jugement politique qui ne rend clairement pas justice à la complexité de la situation. Au bout du compte, cette tentative pour réaliser un instantané national échoue par manque d’informations suffisantes sur les institutions existantes. L’analyse de villes prises individuellement, et de Paris en particulier, révèle plus clairement l’importance d’un réseau hiérarchique d’établissements scolaires féminins apparu au cours de cette période et offrant toute une gamme de possibilités éducatives à une bourgeoisie définie de manière large.

La diversité institutionnelle en milieu urbain

  • 13 Il convient cependant de mettre ceci en rapport avec les changements administratifs dans Paris et (...)
  • 14 AN, F17 12434B. En 1874, l’augmentation du nombre de pensionnats religieux ne porte leur chiffre q (...)
  • 15 Pour des renseignements sur les transformations urbaines dues à Haussmann, et sur leur effet sur l (...)

13La période allant de 1850 à 1880 voit une augmentation considérable du nombre d’écoles de filles ouvertes à Paris, les établissements religieux étant clairement minoritaires parmi elles13. En 1855, on trouve vingt-deux pensionnats religieux à Paris et quatre en banlieues, qui accueillent un total de 1 721 élèves, tandis qu’on compte dans le même temps 320 pensionnats laïcs prenant en charge 13 529 jeunes filles14. Les transformations urbaines du baron Haussmann ne chassent pas les pensionnats du centre-ville : au contraire, leur nombre augmente, avec l’apparition de nouvelles institutions dans les secteurs périphériques, tout particulièrement dans les arrondissements les plus riches du Nord-Ouest de Paris. L’élévation des loyers a pu forcer certains établissements à quitter le cœur de la ville, comme les inspectrices le soutiennent, mais les directrices se sont également déplacées vers les zones où elles étaient susceptibles d’attirer une clientèle riche. Les rapports d’inspection indiquent que les frais de scolarité de ces pensionnats bourgeois sont de l’ordre de 800 à 1 000 francs par an sous le Second Empire, les instituteurs du primaire ne gagnant alors que 700 francs par an après cinq ans d’exercice. Tandis que des externats pour filles ouvrent à travers toute la ville, les pensionnats s’installent, quant à eux, dans les zones de forte présence bourgeoise, particulièrement les VIIIe, XVIe et XVIIe arrondissements. Ces zones du Nord-Ouest de Paris sont également reconnues pour la qualité de leur air – un argument publicitaire important dans les brochures des établissements –, les écoles situées là disposant en outre de cours et de jardins bien plus vastes qu’au centre-ville15.

  • 16 AN, F17 12434B, Inspection des pensionnats de filles tenus par des religieuses dans le diocèse de (...)
  • 17 AP, VD6 159, Inspection de maisons d’éducation de demoiselles (1851-1862), Ier arrondissement. Les (...)

14Les pensionnats qui parsèment le paysage parisien durant cette période sont de taille très variable, un grand nombre d’entre eux accueillant cependant des groupes d’élèves assez importants. Sur ce point, de nombreux pensionnats de filles en viennent à ressembler aux institutions de garçons, plutôt qu’à un second foyer. Les grands établissements accueillant plus de cent pensionnaires sont relativement rares dans Paris intra muros, se trouvant plutôt en banlieue, où l’on peut disposer de davantage d’espace et de jardins. Il y a, cependant, des exceptions. Établissement d’élite situé dans l’aristocratique faubourg Saint-Germain, l’Institut Beaujon compte ainsi 120 pensionnaires, parmi lesquelles environ trente élèves étrangères. Les meilleurs pensionnats religieux accueillent en général entre cinquante et soixante pensionnaires. Une enquête de 1855 indique les chiffres suivants : congrégation de la Mère de Dieu, rue Picpus (64 pensionnaires), Dames de l’Assomption (62 pensionnaires), Dames de l’Abbaye-aux-Bois (57 pensionnaires)16. On trouve également de petits pensionnats, s’adressant souvent à une clientèle spécifique. Rose Coulon, une directrice protestante, accueille ainsi dans son établissement un total de dix-neuf jeunes femmes (dont onze étrangères) essentiellement de même religion qu’elle : douze d’entre elles sont considérées comme des pensionnaires, tandis que sept sont des « élèves en chambre », une expression utilisée pour désigner des élèves peu assidues qui fréquentent l’institution pour un an, à l’adolescence. L’établissement de Virginie Rey accueille quant à lui trente-cinq élèves, dont seulement quatre pensionnaires. Son école est connue pour la qualité de ses cours de russe, d’anglais, d’allemand et d’italien17.

  • 18 Voir Rebecca Rogers, « French Education for British Girls in the Nineteenth Century », Women’s His (...)

15Les établissements aussi bien laïcs que religieux attirent des élèves issues de familles aux aspirations sociales, culturelles et professionnelles très diverses. En outre, leur pouvoir d’attraction s’exerce bien au-delà des frontières nationales. Entre 1852 et 1860, 3 070 élèves étrangères suivent des cours dans des établissements parisiens. Parmi elles, les Anglaises dépassent de loin en nombre les ressortissantes d’autres nationalités (49,6 % de l’ensemble des élèves étrangères), suivies par les Américaines (14,7 %), puis les Polonaises (8,8 %)18. Tandis que certaines institutions proposent une formation aux arts d’agrément aux futures femmes du monde, d’autres offrent un cycle d’études sérieux organisé de manière rigoureuse par classes. Étant donné le nombre d’établissements existants, les familles peuvent se permettre de se montrer difficiles : ne réussit que la directrice qui parvient à conférer à son institution une identité spécifique. La capitale offre clairement une gamme exceptionnellement large d’établissements féminins, où dominent les institutions laïques plutôt que religieuses. Si dans les villes de province, cet éventail est nécessairement plus réduit, une diversité similaire n’en émerge pas moins des études locales, suggérant l’existence d’un réseau d’enseignement secondaire féminin dès les années 1860.

  • 19 L’analyse qui suit n’est pas fondée sur une étude exhaustive de ces sources qui sont loin d’être c (...)
  • 20 En accord avec les analyses de J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie, je soutiens également qu’il faut q (...)
  • 21 Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 19-27. La population de Strasbourg est en 1860 d’environ (...)

16Des milliers d’écoles de filles ont ouvert et fermé dans les villes de province françaises tout au long du siècle19. Il existe clairement une demande en matière d’établissements féminins qui explique la complexité souvent troublante de l’offre institutionnelle au sein du paysage urbain. Réciproquement, cependant, la multiplication des écoles contribue à générer une demande, comme l’ont montré des analyses récentes20. Les pensionnats laïcs ont tendance à largement dépasser en nombre ceux tenus par des congrégations religieuses, comme à Paris, mais ils sont également plus éphémères. Quelques exemples tirés d’almanachs départementaux soulignent cette tendance générale. À Strasbourg, soixante-neuf établissements laïcs ouvrent entre 1800 et 1870, contre seulement trois institutions religieuses, mais ces dernières n’ont jamais fermé leurs portes, contrairement à leurs concurrentes laïques21. Dans la ville de Troyes, bien plus petite (25 000 habitants en 1851), où l’on compte de nombreux artisans, l’almanach départemental révèle que quarante établissements scolaires différents ouvrent entre 1834 et 1875 ; seuls cinq d’entre eux sont dirigés par des religieuses. À Chartres (17 028 habitants en 1861), on ne compte que dix-huit pensionnats laïcs ouvrant entre 1845 et 1890, probablement en partie du fait de la réputation des trois importants établissements religieux tenus par le Sacré-Cœur, la Providence et les Sœurs de Saint-Paul. Alors que les écoles laïques de cette ville ont une durée de vie moyenne de 7,7 ans, les institutions religieuses, une fois ouvertes, ne ferment jamais.

  • 22 Je me suis intéressée aux directrices plutôt qu’aux bâtiments où se trouvaient leurs écoles. Celle (...)
  • 23 Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 31-32.

17Les directrices ouvrent et ferment leurs institutions avec une très grande régularité tout au long du siècle, bien que les bâtiments eux-mêmes conservent souvent la même fonction22. Malgré un pourcentage élevé d’établissements éphémères, cependant, l’on est frappé par la constance de la présence dans la plupart des villes de quelques établissements laïcs durables bénéficiant de l’estime d’une clientèle locale. Un nombre surprenant de directrices fait avec succès concurrence aux ressources financières des congrégations, même après 1850, alors que s’étend l’éducation congréganiste. En Alsace entre 1800 et 1870, les directrices gèrent leurs écoles pour une durée moyenne de quinze ans, mais Mlle Barbenes établit un record de quarante-cinq ans de service, tandis qu’une bonne poignée d’entre elles exerce entre vingt-deux et vingt-huit ans23. À Besançon entre 1821 et 1881, la durée moyenne d’exercice des directrices est de 10,1 ans, avec un maximum de trente-sept ans. Sur les 79 pensionnats de la ville, quatorze (17,7 %) fonctionnent pendant plus de vingt ans, tandis que trente et un (39,2 %) ont une durée de vie inférieure à cinq ans, répartition qui ressemble à celle que j’ai constatée pour Paris. À Chartres, malgré une moyenne générale qui n’est que de 7,7 ans pour les pensionnats laïcs entre 1845 et 1890, trois d’entre eux fonctionnent entre vingt-trois et vingt-huit ans. Ces établissements sont largement reconnus comme des institutions supérieures où la plupart des futures enseignantes de la ville reçoivent leur éducation initiale et leur formation.

  • 24 Ibid., p. 13-14.
  • 25 En 1845, les Dames dites des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie demandent 450 francs par an (sans l (...)
  • 26 Bourgade, Contribution…, p. 148. Les archives du Sacré-Cœur révèlent que les frais de pension dans (...)

18Les établissements aussi bien laïcs que religieux attirent des clientèles très diverses au sein de la bourgeoisie et des classes moyennes. Tout comme à Paris, le coût des pensionnats de province détermine largement la nature du groupe d’élèves qu’ils accueillent, coût qui varie beaucoup selon la ville et le nombre d’institutions qui s’y trouvent. En général, les frais de pension s’échelonnent entre un minimum de 400 francs par an, dans certaines institutions religieuses, et un maximum de 1 000 francs par an. À Strasbourg, les familles ont ainsi le choix parmi une série d’institutions couvrant toute une gamme de prix : les établissements religieux dirigés par la congrégation de Notre-Dame et du Saint-Sacrement ne coûtent que 400 francs par an, prix qui reste en outre stable tout au long du siècle. Les pensionnats laïcs ont un coût moyen de 650 francs par an, mais celui-ci peut s’élever jusqu’à 1 200 francs si l’on inclut l’étude des arts d’agrément24. Les institutions les plus chères justifient leur prix élevé par le nombre de professeurs hommes employés. Mlle Knoderer, par exemple, demande 1 200 francs par an, mais ses élèves bénéficient de l’intervention de dix-sept professeurs extérieurs à l’établissement ; Mlle Paulus, qui donne elle-même des leçons et ne fait appel qu’à cinq enseignants extérieurs, ne demande que 600 francs par an. Sur l’ensemble du territoire, les pensionnats religieux semblent avoir uniformément proposé des tarifs plus bas que leurs homologues laïcs, en partie tout simplement parce que l’infrastructure des congrégations leur permet de réduire les coûts25. Les tarifs varient cependant également en fonction de la clientèle visée, les institutions religieuses les plus élitistes tendant à s’aligner sur les établissements laïcs les plus chers de leur ville. À Toulouse, par exemple, le pensionnat le plus cher est celui du Sacré-Cœur : bien que les frais de pension ne s’élèvent qu’à 650 francs par an, le coût des leçons de musique ou des matières artistiques peut faire quasiment doubler ce tarif annuel – en 1878-1879, il est estimé à 1 274 francs26.

  • 27 Cahour, Les Écoles et pensionnats privés…
  • 28 Bourgade, Contribution…, p. 234.
  • 29 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre du 20 fév. 1876.

19Dans cette gamme globale de prix, les pensionnats écartent de fait les filles issues des milieux populaires, mais s’adressent néanmoins à des familles de niveaux très divers, allant des classes moyennes à l’aristocratie. À Laval, l’établissement des demoiselles Mouliès et Sainte Marie attire des élèves aussi bien de la bourgeoisie que de la noblesse27. À Toulouse, la clientèle des pensionnats a été plus précisément décrite comme provenant du monde des magistrats, des hauts fonctionnaires et des officiers de l’armée28. À Angers dans les années 1870, deux sœurs issues d’une famille de moyens fonctionnaires, pensionnaires dans l’établissement de bonne réputation de Mlle Gellerat, écrivent dans leur correspondance que bien que les autres élèves soient gentilles, elles viennent pratiquement toutes de familles de commerçants : « Ce n’est plus du tout le même genre. Elles sont très étonnées que maman soit instruite29. »

  • 30 Louis Savès, Les Écoles du Saint Nom de Jésus en Bigorre, 1827-1977, Tarbes, Les éditions du Midi, (...)
  • 31 Jégou, Mesnil, Les Ursulines françaises…, p. 188 ; Notre-Dame de la Compassion dans le sud-ouest d (...)
  • 32 Cette analyse est tirée de Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 52, et se fonde sur une étude (...)

20Les établissements religieux accueillent fréquemment des clientèles relativement diverses, qui sont cependant souvent tenues strictement à l’écart les unes des autres : au couvent du Saint-Nom de Jésus à Tarbes, les pensionnaires sont filles de propriétaires terriens de la région, tandis que les externes sont issues de familles d’officiers, d’hommes de loi et de commerçants30. À Ambert dans le Massif Central, les Ursulines tiennent trois établissements que distingue leur clientèle : le premier pensionnat, qui compte de quatre-vingts à cent élèves, comprend six classes accueillant une population urbaine. Le second, plus peuplé, forme 140 à 150 filles de familles rurales selon les mêmes méthodes éducatives que le premier. Enfin, le troisième établissement accueille des filles issues des milieux populaires : là, quelque quatre-vingts élèves reçoivent une éducation primaire manuelle gratuite31. Au pensionnat tenu par la congrégation de Notre-Dame à Molsheim, un petit village alsacien de 3 500 habitants, on observe une diversité sociale similaire parmi les élèves : 25 % sont issues de familles d’agriculteurs, 32 % de familles possédant un commerce ou une entreprise, 15 % ont un père qui enseigne ou exerce une profession libérale, tandis qu’on trouve même une poignée de filles venant de milieu ouvrier32. Cette diversité est néanmoins sans aucun doute plus grande dans les petites villes où n’existe pas d’autre possibilité éducative, et les archives ne permettent pas de conclure que ces élèves se mêlent librement.

  • 33 Voir Germaine Bourgade, « Une maison d’éducation anglaise à Caen au temps de la Monarchie de Juill (...)

21La religion joue également un rôle dans le succès des divers pensionnats. Si les établissements laïcs enseignent tous la religion, ils ciblent cependant consciemment les familles qui ne veulent pas que leurs filles soient éduquées par des sœurs ou tentées par la vie religieuse. Dans les villes, comme Strasbourg, où existe une population bourgeoise protestante ou juive, on voit apparaître des écoles qui s’adressent spécifiquement à ces groupes. À Montpellier, l’annuaire de commerce précise que deux des neuf écoles laïques sont dirigées par des protestantes. Enfin, certaines directrices ciblent une clientèle étrangère. Dans l’ouest de la France, en particulier, un certain nombre de villes comme Caen, Rouen ou Honfleur se vantent de posséder des pensionnats accueillant des jeunes Anglaises qui traversent la Manche afin d’acquérir les atours de ce qui est perçu comme une éducation française d’élite33.

22Les renseignements sur la clientèle des écoles de filles sont inévitablement fragmentaires, mais leur accumulation suggère que les directrices ciblent non seulement des groupes sociaux, religieux et nationaux précis, mais parfois également des groupes d’âges particuliers, positionnant ainsi plus clairement leur établissement au sein d’un réseau émergeant d’enseignement primaire et secondaire. Des exemples provenant de deux villes soulignent les stratégies qui sous-tendent le succès de certaines écoles (Tableau II).À Nantes en 1861, les inspecteurs reconnaissent que sur treize établissements accueillant des pensionnaires, quatre ou cinq sont de grande qualité. Les meilleures institutions varient en taille de seulement trente à 125 élèves, dont huit à quarante pensionnaires. Le prestige, cependant, ne dépend pas de la taille de l’établissement, puisque de petites écoles « familiales » ont souvent d’excellentes réputations. Celles-ci ont cependant tendance à accueillir des élèves plus âgées, afin de pouvoir constituer de véritables classes d’âge homogène.

  • 34 AD Loire-Atlantique, 5T 4, état de 1861. Il est intéressant de noter que É. Priet est elle-même is (...)
  • 35 Au pensionnat dirigé par les Sœurs de Notre-Dame à Molsheim, la moitié des 220 élèves présentes da (...)
  • 36 Mme d’Aubigny ouvre son pensionnat avec une autre femme, Mme Lelarge, en 1843 ; elles poursuivent (...)

23Les statistiques scolaires sous le Second Empire classifient l’ensemble des élèves selon les catégories d’âge suivantes : moins de sept ans, entre sept et treize ans, et plus de treize ans. Le type d’éducation offert varie alors grandement en fonction de l’âge. Les familles de la bourgeoisie hésitent en général à envoyer leurs filles à l’école avant sept ans, bien que les pères veufs s’y résolvent fréquemment. Pourtant, comme le révèlent les chiffres à Nantes et à Poitiers, de nombreuses écoles accueillent des petites filles, certains établissements, comme les institutions des dames Midoux et Saint Grière à Poitiers, s’adressant spécifiquement à cette tranche d’âge. À Nantes, Clémentine Duplessy dirige clairement une sorte d’école primaire, que les inspecteurs qualifient de « nulle » et qui ferme au bout de quatre ou cinq ans. Les petites institutions qui rencontrent davantage de réussite concentrent leur énergie pour attirer des élèves « plus âgées » – les filles de plus de treize ans – qui vont en classe afin d’acquérir une éducation au-delà de la première communion. Dans l’établissement d’Élisabeth Priet, considéré comme l’un des meilleurs de Nantes, 40 % des 80 élèves ont plus de treize ans, aucune n’en ayant moins de sept ans34. À Poitiers, Mme de Chateaurocher accueille près de 70 % d’élèves appartenant à la tranche d’âge supérieure. Les institutions plus grandes peuvent se permettre d’accueillir des élèves d’âges plus variés. Les établissements religieux, en particulier, sont souvent ceux qui font montre d’une spécialisation moindre en termes d’âge, bien que les pensionnaires aient généralement plus de dix ans35. Certains pensionnats bien établis, comme celui de Mme d’Aubigny à Poitiers, acquièrent clairement la réputation de former les élèves les plus âgées, qui viennent y suivre des cours à un niveau avancé et prendre des leçons dans les matières artistiques36. Les écoles faisant un profit sur ces leçons, les tranches d’âge auxquelles elles s’adressent reflètent également les choix stratégiques des directrices.

Tableau II : Répartition des élèves par tranches d’âge dans les pensionnats Nantes et Poitiers, années 1860

Tableau II : Répartition des élèves par tranches d’âge dans les pensionnats Nantes et Poitiers, années 1860
  • 37 AD Aude, 1 T 23, « Situation scolaire des communes, états de 1867 ».
  • 38 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre d’Augustine Goblot à (...)

24S’il est difficile de généraliser à partir de l’exemple de ces deux agglomérations, c’est, semble-t-il, seulement dans les grandes villes que les directrices développent une stratégie consciente pour attirer un groupe d’âge particulier. À Carcassonne (qui compte environ 15 000 habitants) où quelque 702 filles sont éduquées au sein d’un des pensionnats de la ville – comme pensionnaires ou comme externes –, aucune école ne se distingue pour son éducation « supérieure » en 1867 : 10 % des élèves ont moins de sept ans, 77 % fréquentent l’école entre sept et treize ans, tandis que seulement 12 % poursuivent leurs études au-delà de cet âge – malgré la possibilité d’un enseignement donné par les professeurs hommes du lycée local37. Les statistiques, cependant, ne permettent pas de faire apparaître les différences plus subtiles qui distinguent les établissements les uns des autres. En 1848, Augustine Dubois écrit fièrement à son frère : « Notre pension [à Pont-Audemer en Normandie] passe maintenant dans la ville pour être la plus en prospérité ; c’est nous qui avons les plus grandes demoiselles38. » Ceci confirme que les « meilleures » écoles sont celles qui accueillent les élèves les plus âgées. Les directrices fonctionnent nécessairement dans un contexte social spécifique, et leur capacité à générer une demande pour un type particulier d’éducation dépend d’un certain nombre de facteurs, dont la présence d’établissements pour garçons – et des maîtres qui vont avec –, les caractéristiques de la bourgeoisie locale, et le nombre et la nature des écoles rivales. Lorsqu’on passe du niveau de la ville à celui des institutions considérées à titre individuel, il apparaît cependant clairement que les directrices se positionnent de plus en plus explicitement par rapport à une certaine clientèle, et reconnaissent que pour attirer des élèves, il leur faut offrir un type d’éducation précis. Un examen plus attentif du contenu de cette formation rend manifeste que, dès le Second Empire, les directrices considèrent que l’éducation des filles ne se limite pas uniquement à faire d’elles de bonnes épouses et mères.

La culture scolaire au féminin

25Des sources diverses permettent de discerner l’esprit qui sous-tend les pensionnats féminins – règlements, emplois du temps, prospectus d’établissements et discours prononcés au moment des cérémonies de distribution des prix. Si les historiens se sont souvent appuyés sur les règlements pour caractériser l’enseignement offert dans les écoles, les prospectus et les discours de remise des prix offrent un point de vue tout aussi révélateur sur ce que les enseignantes cherchent à transmettre dans leurs établissements et sur ce qu’elles croient que souhaitent leurs clients. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ces deux types de sources révèlent une gamme étonnante d’objectifs éducatifs, qui ont certainement eu un impact sur les élèves fréquentant ces établissements.

Les directrices de pensionnats présentent leur établissement

  • 39 Ces prospectus se trouvent principalement dans la série T des archives départementales et, pour Pa (...)
  • 40 AP, VD6 158.
  • 41 Henri Léon, Les Indiscrétions de Jehan Bomoloque à l’endroit des maîtresses de pension, Paris, 185 (...)

26Les prospectus des établissements scolaires cherchent à vendre les mérites d’une institution particulière39. Il est donc peu étonnant de constater qu’ils reproduisent les stéréotypes associés à l’éducation des filles. Pratiquement tous insistent sur la place de la religion et de la morale dans les programmes, et soulignent fréquemment que l’objectif de l’établissement qu’ils vantent est de former « des filles tendres et soumises qui deviennent des épouses vertueuses et de bonnes mères40 ». En outre, de nombreuses directrices insistent sur la qualité des professeurs – masculins – qui donnent des cours dans leur établissement, ou mettent en avant la possibilité de se familiariser avec une large palette d’arts d’agrément. La description du contenu et de l’esprit des programmes d’études s’accompagne généralement de commentaires sur l’environnement de l’établissement. La qualité de l’air et un accès facile à un jardin sont, en particulier, des thèmes récurrents. De fait, la rhétorique de ces prospectus est répétitive, comme le suggère Henri Léon dans sa description humoristique de 1855. En prétendant parodier quelque trois à quatre cents brochures, il décrit l’Institution de Mme Prude-Boniface comme étant située dans le quartier le plus sain de Paris, avec de vastes dortoirs bien chauffés et des repas sains en quantité suffisante. Les membres de la famille contribuent aux leçons de religion et de morale, tandis que la moralité globale de l’environnement éducatif est garantie par la présence d’enseignants mariés de sexe masculin41. La description de Léon gomme cependant la diversité des messages que véhiculent ces documents, qui présentent en réalité un environnement bien moins aseptisé et normalisé qu’il ne le suggère.

  • 42 AN, F17 12432, « Dossier Shanahan, maîtresse anglaise à Paris ».
  • 43 Institution Protestante de jeunes demoiselles, prospectus reproduit dans Schvind, L’Éducation des (...)
  • 44 Elle n’accepte qu’entre douze et quinze élèves. AD Seine-et-Oise, 38 T 5*.

27Les prospectus pour les établissements scolaires révèlent plus précisément que leurs auteurs sont bien conscients que l’éducation des filles sert en fait toute une série d’objectifs. En mettant l’accent sur le contenu des études, les carrières futures ou l’environnement général, les directrices donnent à voir des orientations très différentes selon les institutions, vraisemblablement afin d’attirer une clientèle spécifique (voir figures V, VIII). Les petits établissements sans prétentions intellectuelles soulignent en général la sollicitude maternelle des enseignantes et l’ambiance familiale qu’ils cherchent à cultiver. Mme Shanahan, qui tient une institution s’adressant à une clientèle de jeunes filles françaises et anglaises à Paris, précise ainsi qu’elle ne détaillera pas ce qu’elle enseigne, mais plutôt la façon dont elle envisage ses obligations maternelles : « La manière de vivre […] est entièrement celle de la vie de famille, elle n’en diffère que par plus de régularité et d’exactitude dans le travail, par plus d’émulation dans l’accomplissement des devoirs42. » De même, l’Institution Sainte-Marie de Tarbes présente le personnel enseignant comme une famille : Mme Bernigole-Forcade est aidée et soutenue par son mari dans la salle de classe, tandis que sa mère, la veuve Jouvel, offre aux élèves la touche maternelle. Les établissements protestants font fréquemment ressortir leur caractère familial : à Barr, on compte ainsi sur la petite taille du pensionnat pour garantir « une vie de famille et les influences de la maison paternelle43 ». Un nombre restreint d’élèves n’est pas automatiquement synonyme de programme éducatif peu ambitieux : en 1843, Mlle Ansous, à Versailles, déclare explicitement dans sa brochure que son école est « une maison d’éducation destinée à tenir le milieu entre les institutions et pensions de demoiselles et l’éducation particulière, dans laquelle l’instruction sera poussée aussi loin que les parents pourront le désirer44 ».

  • 45 Archives privées des Sœurs de Notre-Dame, Prospectus, rue Faubourg du Roule, s. d.

28Au milieu du siècle, la plupart des prospectus consacrent davantage d’espace à la qualité de l’enseignement offert et, si possible, insistent sur la longévité de l’établissement, qui témoigne de son succès professionnel. Dès les années 1870, de nombreuses directrices indiquent qu’elles préparent leurs élèves aux différents examens de l’enseignement, à l’image de Mme Legrand, de Paris, qui ouvre sa brochure sur ce thème. Les pensionnats religieux cherchent en particulier à souligner qu’ils ont conscience des possibilités nouvelles qui s’ouvrent aux filles. Les sœurs de la congrégation de Notre-Dame à Paris précisent qu’« elles connaissent et les besoins de l’époque et les préventions qui existent dans le monde contre les maisons religieuses à cet égard45 ». Certains pensionnats affirment plus explicitement leur volonté de former les filles de façon à ce qu’elles puissent gagner leur vie, ce qui constitue une rupture claire avec l’orientation domestique de la plupart des prospectus. En témoigne, par exemple, l’établissement de Mme Michel de la Thulière à Ivry :

  • 46 AN, AJ16 198.

« Les gens de bien sont douloureusement affectés en voyant un grand nombre de jeunes filles intelligentes languir dans l’oisiveté et dans l’ignorance au milieu d’une nation riche de lumière et de travail […]. Former des jeunes filles solidement instruites et sincèrement religieuses, préparer à la société des femmes utiles, leur procurer les moyens d’acquérir les talents qui doivent les mettre à même de se pourvoir honorablement dans le monde, c’est le but que se propose la fondatrice de cet établissement […]. Toutes les élèves de Sainte Thérèse recevront l’instruction […] pour que dans l’avenir elles puissent être en état de se distinguer soit dans le commerce, soit dans l’enseignement46. »

  • 47 Voir Suteau, Une ville et ses écoles…, p. 130-135, et A. Donis, Historique de l’enseignement prima (...)

29Alors que des écoles davantage tournées vers l’enseignement professionnel se développent pour les filles, comme l’École Guépin de Nantes, quelques directrices reconnaissent l’existence d’une clientèle potentielle et adaptent leur programme éducatif en conséquence. On trouve de ce fait à Bordeaux et à Nantes des pensionnats faisant concurrence aux écoles primaires supérieures plus clairement professionnelles47.

  • 48 AD Doubs, 38V3.
  • 49 AP, DT, supplément n° 120, Dossier Isaac.

30La plupart des prospectus publicitaires des pensionnats défendent cependant une vision tout à fait domestique de l’avenir de leurs élèves, tout en cherchant à attirer des catégories précises. De manière laconique, l’Institution du Sacré-Cœur de Jésus de Besançon précise son intérêt pour les « classes moyennes » en 1861. Alors que l’établissement est dirigé par une congrégation connue pour son caractère aristocratique, cette déclaration correspond probablement à une tentative pour attirer un ensemble d’élèves plus diversifié socialement48. La brochure de Mme Kahn (voir figure VIII), consacre les trois quarts de sa première page à une représentation de l’école. La façade relativement austère de l’institution laisse voir, à l’arrière, des groupes de jeunes filles en train de jouer dans un espace « naturel » soigneusement clos. Cet établissement juif tente clairement d’attirer une clientèle internationale, la gravure étant encadrée d’un texte vantant l’école en anglais et en allemand, bien que le caractère religieux de l’établissement n’apparaisse que dans cette dernière langue. Le programme d’études témoigne de la présence d’objectifs professionnels modestes, puisqu’à côté de l’assortiment typique de cours d’histoire, de mythologie, de géographie et d’histoire naturelle, sont également proposés des cours de maths à finalité commerciale49.

  • 50 Cette analyse se fonde sur environ vingt discours qui ont été recueillis pour la plupart dans la s (...)

31Les discours prononcés lors des cérémonies de distribution des prix révèlent plus explicitement la diversité des objectifs qui sous-tendent l’éducation des filles au milieu du siècle50. Les directrices ou leurs représentants – maris et prêtres – prononcent ce type de discours devant un public hétérogène composé de notables locaux, de parents, et bien sûr des élèves elles-mêmes. De manière surprenante, vu le public et la nature très ritualisée de ces événements, les directrices profitent parfois de l’occasion qui leur est offerte pour présenter une vision franchement féministe de l’éducation des filles. En net contraste avec ces idées, les discours cléricaux reproduisent plus couramment les stéréotypes concernant l’avenir maternel des filles, vraisemblablement en accord avec la directrice.

  • 51 Abbé Bonin, Pensionnat des dames de Saint-Maur. Discours prononcé à la distribution solennelle des (...)
  • 52 Abbé Brière, Discours prononcé à la distribution solennelle des prix de l’Institution de Mlles Del (...)
  • 53 Abbé Boulage, Discours prononcé par M. Boulage, curé de Saint-Pantaléon le 17 août 1855 à la distr (...)

32Je n’ai pas trouvé trace de discours publiés prononcés par des religieuses : des prêtres prennent la parole à leur place, produisant des textes ressemblant beaucoup à des sermons. M. Bonin, par exemple, souligne que l’Église a besoin de mères chrétiennes, avant de poser la question : « Qui saura mieux la préparer [la jeune fille] à ces saints devoirs de la maternité, que ces bonnes religieuses, que ces douces créatures, plus anges que femmes, qui ont tout quitté pour s’occuper d’elles51 ? » Dans une veine similaire, l’abbé Brière décrit les enseignantes comme les assistantes indispensables des prêtres « qui, en s’associant en quelque sorte à leur sacerdoce, commentent, répètent, inculquent avec assiduité leurs leçons52 ». M. Boulage vante plus précisément les qualités d’une éducation morale et cherche à inspirer de l’amour pour leur pensionnat aux élèves de l’établissement de Mlle Pfeiffer, à Troyes53. L’esprit de sacrifice et l’amour des autres doivent façonner les cœurs et les âmes de ces futures mères.

  • 54 Hébert-Duperron, Souvenirs de distribution de prix de l’année scolaire 1864-65, Perigueux, 1865, e (...)

33Les hommes d’Église adoptent parfois une position plus progressiste en accord avec les orientations libérales de Mgr Dupanloup. L’abbé Hébert-Duperron, par exemple, encourage les élèves du pensionnat de Mlle Hirche, à Vesoul, à étudier pour passer les examens de l’enseignement, en avançant l’argument que par les temps qui courent, de tels diplômes sont nécessaires aux filles en cas de catastrophe. S’il souligne qu’il ne souhaite pas qu’elles deviennent savantes, il couvre néanmoins d’éloges celles qui se sont distinguées dans leurs études54. En tant que fonctionnaire du ministère de l’Instruction publique (il est inspecteur de l’académie de Besançon) et auteur de manuels à l’usage des enseignants, Hébert-Duperron affirme clairement que les filles doivent être fières de leur éducation et se fixer des objectifs.

  • 55 Discours prononcé par Mme Bachellery, le 29 août 1857 en son institution, Côte-St-André (Isère) ; (...)
  • 56 Archives privées de V. Isambert-Jamati, discours de 1866, 1868.

34Les directrices présentent plus fréquemment une vision active, voire héroïque, de la féminité française, qui cherche à galvaniser les jeunes femmes afin qu’elles développent leurs capacités à raisonner pour faire face à un avenir incertain. La saint-simonienne Joséphine Bachellery développe un point de vue clairement féministe dans les discours qu’elle prononce devant ses élèves parisiennes dans les années 1840, même si elle fait souvent usage d’une imagerie religieuse pour faire passer son message. Pour cette directrice combative, l’éducation doit préparer les filles à une profession et leur donner assez de confiance pour qu’elles puissent croire en elles et prendre en mains leur propre destin. En utilisant l’exemple de la mère du Christ, elle soutient qu’« avec Marie l’existence de la femme est devenue plus intellectuelle et plus libre ». Cette vision de la femme active et engagée dans une profession ne survit pas à son déménagement à la Côte- Saint-André, en Isère. Dans les années 1850, devant un public provincial, elle parle de la nécessité de développer l’intelligence des filles « [qui] est le rayon qui nous rapproche de Dieu55 ». Les femmes continuent d’être présentées comme actives dans ses discours, mais cette activité est plus clairement confinée au sein de la sphère domestique. Les discours d’Eugénie Dubois, directrice dans la petite ville de Pont-Audemer en Normandie, véhiculent une orientation similaire, mettant en avant la nécessité d’offrir aux filles un savoir solide, destiné cependant principalement à leur permettre de remplir « avec intelligence et dévouement leur sainte et noble mission56 ».

  • 57 Lequien, Institution de jeunes filles dirigée par Mlle Lequien. Discours prononcé à la distributio (...)
  • 58 Discours prononcé le 25 août 1871 à la distribution de prix de Mme Alvarès à Caussade, texte manus (...)
  • 59 De Lozières, De l’émulation. Discours prononcé à la distribution solennelle des prix fin de l’anné (...)

35Certaines directrices accordent davantage d’attention à la cérémonie de distribution des prix elle-même et développent un point de vue sexué sur le concept d’émulation. En accord avec les idées de Mme Campan au début du siècle, plusieurs de ces discours soutiennent explicitement que l’émulation doit être une pratique féminine. Mlle Lequien loue ainsi l’aspect pédagogique des prix, qui apprennent aux jeunes femmes « que la seule voie honorable pour réussir, c’est le mérite réel ». En rappelant l’influence des femmes dans le passé, et en particulier leur contribution au progrès de la civilisation et du langage, elle soutient l’idée d’offrir aux filles une éducation plus sérieuse, qu’elle les encourage à poursuivre une fois de retour à la maison57. Mme Alvarès, dans la petite ville de Caussade (Tarn-et-Garonne), tente d’associer émulation et vertus féminines dans une volonté manifeste de la dissocier de l’esprit de compétition masculin : « [C’est l’émulation] qui fera de vous une femme forte selon Dieu ; c’est l’émulation qui vous donnera la supériorité morale dont l’édifice repose sur ces deux grands mots, base de notre société : famille et religion58. » Avec davantage de défi dans le ton, Mme de Lozières, de Senlis (Oise), soutient que l’émulation est « la mère de la civilisation, des sciences et des arts » qui a produit toutes les femmes remarquables qui écrivent alors pour la jeunesse59.

  • 60 Viviane Isambert-Jamati, Crises de la société. Crises de l’enseignement. Sociologie de l’enseignem (...)

36Contrairement à ceux adressés aux garçons, ces discours apparaissent plus ouvertement sexués et désireux de développer des caractéristiques et des rôles spécifiquement féminins. Vertu, maternité, famille, piété et religion sont des termes qui réapparaissent continuellement. Selon Viviane Isambert-Jamati, les garçons sont encouragés à s’identifier avec des concepts plus « universels » – « le vrai, le beau, le bien ». À la différence des filles, leur position dans la hiérarchie sociale est précisée plus explicitement, tandis qu’ils sont également davantage encouragés à penser à la manière dont leurs actions influent sur la patrie. Est cependant soulignée à l’intention des deux sexes la nécessité de travailler et de mener une vie disciplinée60.

  • 61 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Eugénie Dubois en 1866.

37Comme le suggère la diversité des thèmes abordés, les directrices envisagent leur tâche selon des perspectives très différentes malgré le poids normatif de l’idéologie domestique. Il est difficile de déterminer ce qui inspire les envolés rhétoriques conduisant une femme à décrire l’action d’une de ses homologues célèbres du passé, ou une autre à se prononcer en faveur de l’éducation afin de se « prémunir contre les circonstances imprévues, contre les rudes coups du sort61 ». Certaines d’entre elles parlent clairement en fonction de leur propre expérience, tandis que d’autres cherchent à rassurer les familles. Dans tous les cas, ces documents suggèrent que les objectifs pédagogiques au sein des établissements scolaires destinés à la bourgeoisie sont loin d’être homogènes.

Programmes et pratiques scolaires

  • 62 Pour plus de renseignements sur les programmes d’études, voir Rogers, Les Demoiselles…, p. 195-234
  • 63 Voir Jean-Marie Chapoulie, « L’enseignement primaire supérieur, de la loi Guizot aux écoles de la (...)

38Dès le Second Empire, les pensionnats s’adressant à la bourgeoisie offrent une gamme relativement établie de cours qui ressemblent par bien des aspects au programme d’enseignement moderne en vigueur dans l’enseignement secondaire masculin, mettant l’accent sur l’histoire, la géographie, la littérature et les langues vivantes62. Les programmes d’études des différents établissements témoignent d’un large consensus autour de l’idée qu’une demoiselle bien éduquée devrait être familière avec les lettres, avoir des notions de sciences naturelles, être capable de converser dans d’autres langues, savoir manier le fil et l’aiguille, et posséder un certain nombre de talents (voir figure XII). Le programme d’études et les objectifs pédagogiques de ces institutions répondent cependant à une demande familiale qu’ils contribuent dans le même temps à façonner, demande dont la nature commence à changer au cours de la période considérée, alors qu’augmentent les possibilités de carrière pour les femmes. Un certain nombre d’institutions se mettent en conséquence à proposer un plan d’études plus explicitement « utile », parallèlement à l’apparition de l’enseignement primaire supérieur63. Si quelques établissements professionnels pour filles apparaissent dans les années 1850 et 1860, il est plus courant de voir des directrices réorienter subtilement leurs programmes pour répondre à une demande croissante de compétences authentiquement utiles.

  • 64 AP, VD6 159, Inspection de maisons d’éducation de demoiselles, 1851-1862. Brada, Souvenirs d’une p (...)

39Au sommet de l’échelle sociale, la demande de changement n’est guère évidente : les témoignages provenant des institutions les plus exclusives révèlent une conception de l’éducation des filles encyclopédique par sa diversité, mais demeurant étroitement fixée sur l’idée du mariage comme objectif final. Les mémoires de la comtesse Puliga nous permettent de pénétrer dans un établissement de ce type – l’Institut Beaujon à Paris, dirigé par Émilie Saint-Aubin Deslignières. Ce grand pensionnat (112 élèves dans les années 1850, dont environ 105 internes) organise rigoureusement la journée scolaire, avec environ huit heures d’étude ou de cours par jour pour les élèves les plus âgées. Comme dans la plupart des établissements de ce type, la matinée est consacrée aux cours généralement sous la direction de maîtresses internes à l’école, tandis que l’après-midi des enseignants extérieurs hommes et femmes viennent donner des leçons dans des domaines aussi bien scolaires qu’artistiques. Les matières considérées comme intellectuelles sont presque exclusivement aux mains de six professeurs hommes, tandis que les leçons d’arts et de langues relèvent principalement de femmes – six hommes viennent pour enseigner le piano, la musique, le dessin et la peinture, alors que l’on trouve dix-sept femmes donnant des leçons d’anglais, d’allemand et de musique, dont des cours de harpe64. Le pensionnat fait appel à des professeurs hommes bien connus dans la capitale : Alphonse Dantier enseigne l’histoire et la littérature, Eugène Cortambert la géographie, et Emmanuel Le Maout les sciences. Malgré l’accent mis sur la répétition et la mémorisation, la comtesse se souvient d’une éducation stimulante, grâce à un système d’examens rigoureux – tous les quatre mois, les élèves ont deux semaines d’épreuves orales –, et relativement large d’esprit. Elle a cependant clairement gardé de sa formation l’impression que la science est associée aux hommes.

  • 65 Brada, Souvenirs…, p. 107.

40Ces mémoires sont également révélateurs des objectifs de cette éducation. À côté d’un apprentissage livresque, les élèves passent de nombreuses heures à apprendre à déchiffrer la musique, à dessiner, à peindre et à acquérir une langue étrangère, capacités qui ont toutes pour but d’en faire de meilleurs partis sur le marché matrimonial. À la différence des institutions moins élitistes où de tels talents sont considérés comme potentiellement productifs, la comtesse affirme explicitement dans ses mémoires que « le mariage était ouvertement le but vers lequel nous étions menées65 ». De fait, elle rapporte que les élèves n’avaient aucun doute sur leur avenir – elles savaient qu’elles devaient acquérir aussi bien la capacité de converser agréablement que celle de danser. De façon peu surprenante, ses mémoires ne mentionnent jamais les travaux d’aiguilles, censés être un élément majeur de l’éducation des filles. Pour les élites, ils ne sont clairement pas aussi essentiels que pour d’autres groupes sociaux.

  • 66 Le nouveau manuel de piété à l’usage de la jeune pensionnaire, 1865, cité dans Gibson, Social Hist (...)

41Cette vision de la femme cultivée ramène par bien des côtés à un modèle du xviiie siècle, et n’est pas mise en avant de la même manière dans les institutions moins distinguées. En 1865, un manuel pour pensionnats féminins édité par les Ursulines souligne que « rien ne rend une jeune pensionnaire plus intéressante qu’une docilité parfaite : même si elle manque d’intelligence, de talent et de grâce naturelle, tant qu’elle est docile, on est forcé de la louer et de l’aimer66 ». Si cet anti-intellectualisme n’est pas universel chez les Ursulines dans les années 1860 et 1870, elles résistent néanmoins à l’idée de former des femmes « modernes » préparant des examens de l’enseignement :

« À Clermont, on reçoit aussi des demandes de diplôme, et nous avons présenté avec succès plusieurs de nos élèves. Mais cette maladie n’est pas encore épidémique, et nous espérons que la terre classique du bon sens, comme on appelle notre Auvergne, ne trouvera pas urgent que ces mères de familles soient brevetées par l’Académie […]. Nous tâchons de faire de nos grandes élèves des femmes de goût plutôt que des femmes savantes ; et si on enseigne les mathématiques, la minéralogie, la physique, etc., on réserve la première place à la pureté du langage, à la formation du style et aux études historiques. »

  • 67 Ibid., p. 195, circulaire des Ursulines de Clermont-Ferrand, 21 nov. 1876.

42La future femme de goût reçoit néanmoins ici des leçons dans une large gamme de matières scolaires, et peut développer ses capacités intellectuelles par l’accès à un cabinet d’histoire naturelle, à un jardin botanique, et à des traités d’archéologie et de géométrie, ainsi qu’en participant à un journal littéraire écrit par les élèves67.

  • 68 ASC (Rome), C.I. c° 3, boîte 8, Travail de la commission pour les études et le pensionnat.
  • 69 La pédagogie mise en œuvre en classe reste, en général, fortement structurée autour de la mémorisa (...)
  • 70 ASC (Rome), D.I 1b, Conseil des Études, 1869. L’analyse que fait Bonnie Smith des écoles du Sacré- (...)
  • 71 Cette tendance est également visible dans d’autres congrégations religieuses s’adressant aux élite (...)

43Au sein du Sacré-Cœur, la volonté de développer la qualité intellectuelle du programme offert devient particulièrement évidente après le milieu du siècle, alors que la congrégation met en place une Commission pour les études, puis se réunit périodiquement pour discuter des moyens d’une réforme. Dès le départ, les membres du comité déplorent le caractère frivole et trop dévot des études féminines dans les établissements de la société destinés aux élites. La question de l’emploi de professeurs extérieurs de sexe masculin est néanmoins rejetée de crainte que ne soit révélée par là trop ouvertement l’incompétence des sœurs. La commission recommande par contre l’emploi de ces mêmes professeurs pour former les religieuses enseignantes elles-mêmes. À la différence de ce qui est pratique courante dans les meilleurs pensionnats laïcs, elle se prononce en faveur du maintien des classes sous la direction pédagogique d’une seule enseignante plutôt que pour la création de cours donnés par des spécialistes, craignant que ceux-ci n’encouragent les maîtresses à devenir semblables aux enseignants de collège : « Bientôt on ne trouverait plus aucune trace de cette conduite toute maternelle68. » Cette tentative pour proposer un programme plus sérieux mais présentant néanmoins une orientation domestique conquiert progressivement l’approbation du conseil général de la société. Dès 1864, celui-ci déclare qu’il faut modifier les programmes d’études afin de répondre aux changements culturels plus généraux. Il recommande en particulier que la classe de niveau le plus élevé devienne plus exigeante et que les leçons données aux élèves soient moins nombreuses mais plus longues. Le programme révisé de 1866 reste néanmoins de portée encyclopédique, conformément à la conception en vigueur de ce qu’une femme cultivée doit savoir. La classe la plus avancée, en particulier, voit les élèves étudier la grammaire, la rhétorique, l’histoire universelle, la cosmographie, l’arithmétique, la littérature ancienne et sacrée, la physique et la chimie, de même que l’archéologie. Des commentaires sur les pratiques pédagogiques révèlent cependant que les élèves apprennent pour la plupart leurs leçons par cœur et sont incapables d’appliquer leurs connaissances à des situations nouvelles69. Seulement trois ans plus tard, le conseil des études propose des transformations supplémentaires qui révèlent un changement important dans l’orientation élitiste de cette congrégation enseignante. La classe de niveau supérieur prend une forme bien plus moderne. Au lieu de l’histoire universelle et de la littérature ancienne, le conseil se prononce en faveur de l’histoire contemporaine et de l’histoire littéraire du xixe siècle. En physique et en chimie, on s’intéresse aux éléments pouvant être appliqués à l’industrie. La future maîtresse de maison reçoit également un enseignement des éléments de base du droit usuel, ainsi qu’une instruction en hygiène pratique et en économie domestique. Les langues étrangères gardent leur place au sein du programme, le conseil recommandant cependant que les élèves n’en étudient qu’une à la fois, mais de façon bien plus sérieuse. Au lieu de 30 minutes par jour, il se prononce en faveur de trois fois une heure par semaine. Enfin, la philosophie chrétienne est ajoutée au programme afin de développer les capacités logiques des élèves70. Bien que l’esprit de cette éducation demeure profondément conservateur, le programme révisé est intellectuellement ambitieux71.

  • 72 Archives privées de V. Isambert-Jamati, lettre du 23 oct. 1874.

44Les établissements laïcs plus modestes adaptent plus aisément leur enseignement au type de demande qui domine chez leur clientèle. À Pont-Audemer, les sœurs Dubois ne proposent ainsi que trois classes différentes aux quatre-vingts élèves qu’elles accueillent à leur apogée. S’adressant à des filles de commerçants, de petits industriels ainsi que de fermiers, elles semblent être restées modestes dans leurs objectifs éducatifs. Sans professeurs extérieurs, le programme d’études se limite à l’enseignement de l’histoire, de la géographie, des sciences naturelles, de la littérature et de l’arithmétique, sans oublier les obligatoires travaux d’aiguilles. À la différence de ce que l’on constate à l’Institut Beaujon, les arts d’agrément ne sont pas très demandés, ce qui reflète certainement les réalités culturelles d’une petite ville de province. Les Dubois ne sont pas dans le métier pour produire les Emma Bovary locales. De fait, leur correspondance révèle qu’en 1874, elles n’ont qu’une seule élève qui étudie le dessin, deux qui apprennent le piano, et une poignée qui travaillent leur anglais72.

  • 73 Cosnier, Le Silence des filles…, en particulier p. 227-232. On en trouve un bon exemple dans les s (...)
  • 74 Rogers, Les Demoiselles…, p. 209-211.
  • 75 Archives privées de P. Lejeune, journal intime de Mathilde Savarin, 25 juin 1881.

45Si les travaux d’aiguilles sont omniprésents dans les prospectus des établissements et dans les programmes scolaires, les mémoires et les journaux intimes d’élèves parlent relativement peu de ces pratiques. En se fondant sur les écrits privés d’adolescentes, Colette Cosnier affirme que, si les jeunes filles et les femmes mentionnent la couture, c’est fréquemment pour souligner qu’elles s’engagent bien à se comporter d’une manière féminine appropriée, tout en laissant souvent deviner à leur lecteur qu’il ne s’agit pas de leur activité de prédilection73. Les jeunes auteures de journaux intimes évoquent en effet rarement avec éloquence le maniement de l’aiguille. Élève à la Légion d’honneur, Eugénie Servant mentionne occasionnellement la couture dans son journal, mais souligne toujours sa faiblesse dans ce domaine, alors qu’elle excelle dans les matières intellectuelles74. Mathilde Savarin, une jeune fille beaucoup plus conventionnelle qui écrit également dans les années 1880, parsème son journal de commentaires comme celui-ci : « Assisté à la messe, fait ma broderie tout le matin » ; elle accepte sans se poser de question le poids de ses devoirs aussi bien à l’égard de l’Église qu’en matière de talents féminins. Quelques jours plus tard, elle note qu’en un geste charitable à l’égard d’une amie, elle a reprisé ses bas75. Les jeunes filles consacrent clairement des heures au pensionnat à faire des travaux d’aiguilles tout en écoutant la lecture de textes religieux mais, pour celles qui choisissent d’écrire à propos de leurs expériences scolaires, cette activité occupe rarement le devant de la scène.

  • 76 Lemonnier, Élisa Lemonnier…
  • 77 Pour des renseignements sur l’École professionnelle Drouot à Nancy, voir Philippe Savoie, « Offre (...)
  • 78 Rogers, Les Demoiselles…, p. 205-208, et Rogers, « Retrograde or Modern ? »…

46Dès les années 1860, les objectifs relativement modestes de nombreux pensionnats sont de plus en plus remis en question par la compétition qu’exercent d’autres institutions et par les demandes des familles qui souhaitent voir leurs filles préparées en vue d’un avenir professionnel actif. Cette période voit l’apparition des premiers établissements d’enseignement professionnel féminin, comme celui fondé par Élisa Lemonnier à Paris en 1862. En réponse aux inquiétudes suscitées par la condition de la femme seule, cette dernière met en place un programme offrant un enseignement primaire solide en trois ans, qui inclut également de la physique, de la chimie, ainsi que des leçons d’hygiène et de dessin linéaire. Au bout de ce laps de temps, les élèves ont accès à des cours spéciaux de commerce, de tenue de compte, de droit commercial et de dessin industriel, ainsi qu’à des leçons dans diverses branches des métiers du textile76. Des écoles féminines à orientation professionnelle similaires apparaissent de même à Nancy, Nantes et Bordeaux77, les établissements de la Légion d’honneur réorganisant quant à eux leur programme pour répondre à l’augmentation des possibilités de travail offertes aux femmes. En 1861, l’établissement des Loges accueille un ensemble d’élèves appartenant clairement aux classes moyennes, plus de 60 % d’entre elles étant issues de familles de sous-officiers. Les enseignantes craignent qu’étant donnée la modestie de leur milieu d’origine, elles ne quittent l’école avec des idées trop élevées quant à leur avenir et qu’elles ne soient que trop rapidement confrontées avec le triste fait que la capacité à converser brillamment et la maîtrise des arts d’agrément constituent une formation insuffisante. La réforme entraîne la suppression du programme de la physique, de la littérature, de la cosmographie et des sciences naturelles, de sorte que les élèves puissent se concentrer sur une formation de type apprentissage semi-professionnel à la fin de leurs études. Après deux ans d’instruction élémentaire, les trois dernières années sont consacrées à l’acquisition de compétences dans la broderie sur soie, la coupe de vêtements, la dentelle, la peinture sur porcelaine et la fabrication de fleurs artificielles. De cette manière, « les élèves qui sortent de [cette maison sont] prêtes à subvenir à tous leurs besoins, sans aide ni secours, soit qu’elles viennent à s’établir, soit qu’elles restent dans le célibat ». Les élèves d’Écouen, issues de milieux plus bourgeois, sont également confrontées à une réforme des études, la congrégation en charge de l’établissement adaptant ses programmes afin de les préparer aux diplômes de l’enseignement, en y incluant une formation plus complète en géométrie, cosmographie, pédagogie et rhétorique78.

47Le développement d’institutions avec une orientation davantage professionnelle reflète la manière dont l’éducation des filles se transforme progressivement en un système cohérent avec des objectifs de plus en plus diversifiés selon le niveau de l’enseignement – primaire, primaire supérieur ou secondaire. Les études qui s’intéressent à ces nouvelles écoles révèlent cependant une imbrication de leur clientèle et de celle des pensionnats des villes censés être moins professionnalisés. Si la plupart des institutions ne se prononcent pas ouvertement en faveur d’une formation professionnelle, à l’exception de l’enseignement, elles sont cependant de plus en plus nombreuses à encourager leurs élèves à entretenir des aspirations qui ne sont pas d’orientation strictement domestique.

Examens et diplômes : vers de nouvelles ambitions féminines ?

  • 79 Gréard, Éducation et Instruction…, p. 142.

48L’augmentation du nombre de jeunes femmes qui passent et obtiennent les diplômes de l’enseignement offre une voie intéressante pour explorer l’esprit de l’éducation des filles de la bourgeoisie entre 1850 et 1880. Les historiens ont eu tendance à présenter cette augmentation comme un effet de mode, en suivant l’analyse d’Octave Gréard, inspecteur de l’académie de Paris dans les années 1880. Ce dernier note qu’entre 1855 et 1880 les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à passer et obtenir des examens de l’enseignement : sur un total de 33 616 brevets de capacité, 24 171 (72 %) sont décernés à des femmes ; au cours de la seule année 1881, 3 807 femmes obtiennent ce brevet. Ces diplômes ouvrent la porte de l’enseignement primaire, mais également du secondaire, étant donnée la disparition des diplômes de niveau secondaire en 1853. Gréard insiste cependant sur le fait que pour la plupart des jeunes femmes, « il ne s’agit point de s’assurer les avantages du brevet professionnel. C’est un certificat d’études, un modeste parchemin de noblesse intellectuelle qu’on se fait honneur d’obtenir dans une épreuve publique79 ». Ce jugement, cependant, convient peut-être mieux au cas de la capitale qu’à celui des autres villes. L’analyse d’établissements pris individuellement et de pratiques enseignantes suggère, au contraire, que des ambitions professionnelles ont pu venir doubler l’accent typiquement français mis sur l’émulation pour produire une génération d’élèves qui poursuivent leurs études avec une vaste gamme d’objectifs en vue.

49Pratiquement tous les pensionnats consacrent de la place soit dans leur programme d’études, soit dans leur prospectus, à la question de l’émulation. À travers un système de bons et de mauvais points, les enseignantes cherchent à encourager une certaine attitude à l’égard des études, qui influe sur les filles tout autant que sur les garçons, pour qui le succès scolaire se traduit néanmoins plus directement en possibilités professionnelles. Le débat à propos des cérémonies de distribution des prix, en particulier la question de savoir si elles doivent être publiques ou privées, se prolonge tout au long du siècle, témoignant de l’importance attachée aux récompenses au sein de la culture française en général. Comme l’a montré l’étude des prospectus des pensionnats, cependant, à partir des années 1860 et 1870, les directrices présentent de plus en plus les diplômes de l’enseignement comme l’un des objectifs majeurs de leur programme d’études, une réorientation du discours qui a sans aucun doute des répercussions au sein des classes.

  • 80 Bourgade, Contribution…, p. 234, et AD Vienne, Distribution des prix faite le 7 août 1863 (côte 8° (...)
  • 81 AD Hautes-Pyrénées, T 39.
  • 82 Bourgade, Contribution…, p. 233.
  • 83 En 1863, on compte onze écoles normales de femmes et cinquante-sept cours normaux dans l’ensemble (...)
  • 84 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois-Goblot, Augustine à Eugénie Dubois, (...)
  • 85 AP, VD6, n° 158.
  • 86 Archives privées de P. Lejeune, journal de Mathilde Savarin (1881-1893).

50D’un point de vue général, la valorisation des diplômes et des prix transparaît dans la publicité faite autour de ces événements. À Toulouse, les résultats des examens de l’école Fénelon paraissent dans la presse locale, tandis qu’à Poitiers, les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus publient une brochure dans les années 1860 qui présente des listes d’élèves, la nature des prix qu’elles ont obtenus et leur origine géographique80. L’établissement de Marie Fortine, à Arrau (Hautes-Pyrénées), vante l’existence de deux sessions d’examens publiques pour les parents81. Tandis que le système éducatif français accorde traditionnellement de la valeur aux prix, les diplômes de l’enseignement représentent un changement important pour les écoles : ils prennent place hors des murs des établissements, sont administrés par des hommes, et ne sont plus partis prenante du système de classement subtil au sein de l’institution elle-même. Ils conduisent les filles dans un domaine davantage public et ouvrent bien évidemment de nouvelles possibilités à celles qui réussissent. L’intérêt pour l’obtention de ce type d’examens augmente indéniablement dans la seconde moitié du siècle (voir figure IX).À Toulouse, seulement 69 jeunes femmes ont ainsi obtenu leur brevet simple ou complet entre 1833 et 1850, alors que c’est le cas de 400 de leurs homologues masculins. Entre 1851 et 1867, le nombre de femmes qui obtiennent de tels diplômes s’élève à 463, rivalisant presque avec les 527 hommes qui réussissent l’examen dans la même période82. Si les écoles normales sont logiquement l’endroit où préparer ces diplômes, elles sont cependant peu nombreuses avant que l’État n’ordonne leur mise en place dans chaque département en 187983. En outre, la décision de fréquenter une école normale représente une orientation professionnelle claire que la plupart des femmes de la bourgeoisie, ainsi que leurs familles, hésitent à adopter. En conséquence, la demande augmentant, certains pensionnats acquièrent une réputation pour la préparation qu’ils offrent aux examens de l’enseignement. À Angers, on reconnaît que : « La pension Picherat est une maison qui date ; les études y sont fortes. Plusieurs jeunes filles se présentent chaque année aux examens et sont généralement reçues. Il y a en effet beaucoup d’élèves84. » Néanmoins, quand les sœurs Goblot, Madeleine et Germaine, décident de poursuivre leur quête du brevet à Angers, elles s’inscrivent dans l’établissement tenu par Mlle Gellerat, qui emploie des professeurs extérieurs pour donner des leçons de lettres, d’anglais et de mathématiques. Leur correspondance familiale révèle clairement que cette décision relève d’une stratégie professionnelle délibérée, leur mère les destinant à reprendre le pensionnat de leur tante à Pont-Audemer. À Rennes, le conseil municipal offre trente demi-bourses à des jeunes femmes méritantes pour leur permettre de fréquenter une Institution de jeunes demoiselles fondée en 1844 : les élèves y préparent le brevet et, lorsqu’elles sont reçues, un comité philanthropique se charge de les placer à un poste approprié85. Mathilde Savarin elle-même, dont la formation scolaire ne semble pas avoir été de première qualité, écrit que ses camarades de classe préparent et passent les examens du brevet86.

51Si l’on a des preuves évidentes que les filles sont de plus en plus nombreuses à étudier pour les examens de l’enseignement et à les passer dans la seconde moitié du siècle, la raison de cette pratique n’est cependant pas claire. Est-ce effectivement une simple mode dans les milieux éduqués de présenter une fille titulaire d’un brevet ? De nombreuses familles bourgeoises semblent avoir considéré ce diplôme comme un certificat utile pour assurer la transition de l’adolescence à l’âge adulte. Pour des filles issues de la petite bourgeoisie, celui-ci devient le billet leur permettant d’ouvrir leur propre établissement. Il ne fait cependant aucun doute que la quête du brevet révèle les ambiguïtés évidentes au sein du système d’enseignement féminin qui se met alors en place. Celles-ci se font encore plus nettes quand on examine plus attentivement les caractéristiques de la culture scolaire féminine durant cette période.

Culture et identité féminine au pensionnat

  • 87 Il est difficile de connaître la durée des études des jeunes filles au pensionnat. Les historiens (...)

52Dès la seconde moitié du siècle, des établissements féminins parsèment le paysage urbain et s’adressent à une clientèle aux motivations variées en matière d’instruction de ses enfants. Quelle sorte de culture existe-t-il alors au sein de ces institutions, et comment le professionnalisme naissant s’accorde-t-il avec l’idéologie domestique ambiante ? Cette partie explore l’environnement du pensionnat à la fois dans son organisation matérielle et dans ses aspects moraux. En portant une attention particulière aux écrits d’élèves, je tenterai de comprendre comment les jeunes filles perçoivent leur vie quotidienne, et de déterminer les valeurs auxquelles elles adhèrent, consciemment ou non87.

Donner forme à l’espace éducatif

  • 88 Sur l’organisation spatiale des intérieurs de la bourgeoisie, voir Monique Eleb, Anne Debarre, Arc (...)

53L’espace physique des pensionnats conditionne fortement les formes de la vie quotidienne. Le processus d’ouverture d’une institution oblige la directrice à subir des inspections qui garantissent que le bâtiment est organisé de manière convenable pour accueillir des pensionnaires. Les inspecteurs vérifient en particulier la disposition des dortoirs par rapport à l’espace alloué aux salles de classe et aux appartements privés de la directrice, et notent également la position de l’établissement vis-à-vis de l’espace urbain environnant. Les plans architecturaux que les directrices sont obligées de soumettre avec leur demande d’ouverture d’un établissement scolaire soulignent tous l’aspect hermétique de l’école dans son ensemble. Bien que de nombreuses petites institutions soient simplement des maisons d’habitation reconverties, les plans notent soigneusement les murs qui isolent les filles des influences extérieures, de même que le jardin qui leur offre des plaisirs plus naturels88 (voir figures VIII, XV).

  • 89 Henriette Picanon, Mon frère et moi. Souvenirs de jeunesse accompagnés de poésies d’E. Berthoud, P (...)
  • 90 AD Loire-Atlantique, 76 T 1, Maisons d’éducation de jeunes filles, 1811-1857. Mme Tautain dirige c (...)
  • 91 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre du 9 mai 1878 ; à ce (...)

54Les murs et l’enfermement sont un aspect frappant de la vie au pensionnat que les élèves ont tendance à intérioriser. Henriette Berthoud décrit la cour de l’école normale de Sainte-Foy dans les termes suivants :« Étroite, sombre, entourée de hautes murailles, elle avait aux yeux des nouvelles venues quelque chose de sinistre, mais on s’y accoutumait bientôt89. » L’idée de surveillance sous-tend souvent les préoccupations liées aux arrangements spatiaux, comme l’indiquent les commentaires portant sur les plans de pensionnat. En 1843, Mme Tautain reçoit l’autorisation d’accueillir vingt-six, voire vingt-sept pensionnaires : « Si le mur qui sépare les dortoirs Est-Ouest était supprimé, des ouvertures convenablement placées devront d’ailleurs être pratiquées dans les cloisons et murs qui séparent les différents dortoirs, [afin] de permettre la plus grande surveillance90. » Tandis que les inspecteurs s’inquiètent de la surveillance, les directrices se préoccupent également de la perception de leur établissement par le public (voir figures X, XI). La correspondance Dubois- Goblot révèle la manière dont les directrices gèrent leurs contacts avec leurs clients potentiels. En 1878, les sœurs Dubois investissent lourdement pour remanier leur vestibule, en imaginant clairement attirer des parents par l’impression de luxe devant en résulter. Apparemment, elles obtiennent le résultat escompté, comme en témoigne le commentaire de la mère d’une de leurs pensionnaires, qu’elles citent avec fierté : « Vous êtes dans un petit château91. »

  • 92 Voir Rogers, « Schools, Discipline and Community : Diary-writing and Schoolgirl Culture in Late Ni (...)
  • 93 Archives privées de P. Lejeune, journal de Pauline Weill, Histoire de ma vie. Journal (1858-1859)  (...)
  • 94 Brada, Souvenirs…, p. 41.
  • 95 AMD, journal d’E. Servant, juil. 1875, 1er cahier, p. 29.

55Pour les élèves vivant à l’intérieur des murs de l’école, la configuration de l’espace constitue la manifestation physique de principes éducatifs sous-jacents. Comme je l’ai montré ailleurs, les règles et les règlements structurent la vie quotidienne dans les établissements scolaires français92. Ces règles ont pour but de déterminer la manière dont chaque moment de la journée doit être occupé, et mettent en place une hiérarchie claire entre élèves et enseignantes, ainsi qu’entre les élèves des différentes classes. Des règles, aussi bien implicites qu’explicites, régissent également l’usage de l’espace au sein des pensionnats. La disposition des tables du réfectoire matérialise ainsi des hiérarchies internes. Dans l’établissement parisien de Mme Neymark, certaines élèves reçoivent le privilège de manger avec la directrice, tandis qu’au pensionnat religieux que fréquente Marguerite Rousset, manger seule avec les enseignantes constitue une punition93. Dans l’institution de Mme Deslignières, les Anglaises sont séparées des Françaises lors des repas, et bénéficient de certaines faveurs : leur table a une nappe, elles reçoivent des pommes de terre, leurs desserts sont plus variés, et surtout, elles ont le droit de parler alors que les autres pensionnaires sont condamnées au silence94. L’espace récréatif du jardin est également une zone où les élèves font l’expérience des hiérarchies internes structurant les pratiques spatiales. Eugénie Servant décrit la division par deux allées du jardin d’Écouen en quatre quadrants, dont chacun constitue le terrain de jeux d’une classe particulière. Une grille entoure cet espace de jeux, censée protéger les élèves des « loups » se trouvant à l’extérieur95. Enfin, dans les grands pensionnats, comme ceux de la Légion d’honneur, chaque classe a son propre dortoir.

  • 96 Adèle Riobe, Notice sur ma fille, Le Mans, Imprimerie Monnoyer Frères, 1863, p. 121.
  • 97 Brada, Souvenirs…, p. 29-32.
  • 98 Elle est l’une des quelque cent élèves du couvent des Sœurs de Saint-Maur à Montluçon, Bonnefonds, (...)
  • 99 Émile Gossot, Un pensionnat d’autrefois. Souvenirs d’une pensionnaire, Tours, Mame, 1900, p. 31.

56L’accent mis sur les règles et les hiérarchies internes produit un sentiment de rigidité morale qui imprègne la vie quotidienne. Ces règles reflètent fréquemment un catholicisme ascétique et poussent les élèves à agir comme on l’attend d’elles. Adèle Riobe note ainsi dans son journal intime, à l’âge de quinze ans, qu’elle travaille dur car elle sait les sacrifices que sa famille a faits pour son éducation96. On apprend aux filles à connaître leur place à la fois au sein de l’école et dans la société, selon un code imposé d’en-haut. Naturellement, certaines élèves acceptent cette discipline constante plus facilement que d’autres, mais toutes ont conscience de la manière dont elle affecte leur expérience scolaire. Dans ses mémoires, la comtesse Puliga souligne la séparation de l’école d’avec le monde extérieur ; à l’intérieur, les élèves sont soumises à des règles qui ne souffrent pas d’exception : « Se plier à la règle était une nécessité inéluctable. » Rétrospectivement, elle reconnaît la nécessité d’une telle discipline, qui dans son esprit constitue une « excellente gymnastique » pour le corps et l’âme97. Élise de Bonnefonds considère que le règlement en vigueur dans son pensionnat religieux apporte à sa vie une structure nécessaire : « La règle du pensionnat favorisait ma bonne volonté98. » Les mémoires d’Émilie Darnay sont tout aussi positifs dans leur jugement des effets de ces règles dans un pensionnat laïc de province : « Avec quel charme, après cinquante ans, j’aime à y revenir et à revivre en imagination dans cette sainte maison, où l’autorité était si égale et si douce, où la surveillance s’exerçait avec tant de tact et de discrétion99. »

57Le journal d’Eugénie Servant offre un point de vue plus immédiat sur ces règles, non encore teinté par le passage du temps. Sa réaction initiale est la révolte. Quand les religieuses lui coupent ses longs cheveux blonds à son arrivée, Eugénie proteste : « Le règlement !… Toujours le règlement… Mot magique qui courbait toutes les têtes. Comme je le détestais cet insupportable règlement ! » Mais petit à petit, la rigidité des règles cesse de peser :

  • 100 AMD, journal d’E. Servant, 1er cahier, 1er mai 1875, p. 11-12, mars 1876, p. 58.

« Le miracle [d’être heureuse à Écouen] s’était produit cependant. Comment ?… je ne m’en étais pas bien rendue compte moi-même ; mais regrettant si fort mes parents, je n’étais pas restée longtemps insensible à la bonté des Mères qui essayaient de les remplacer auprès de moi. J’avais fini par obéir au règlement, non plus seulement par manque de gaieté et par conséquent sans mérite, mais parce que je ne le trouvais plus du tout détestable. À présent, j’étais contente de mon sort100. »

  • 101 M***, Souvenirs de la vie d’Éléonore de Gaulmyn, élève du Sacré-Cœur, 1848, cité dans Arnold, Le C (...)
  • 102 Voir, en particulier, les archives privées de Philippe Lejeune, Journal de P. Weill. Eugénie Serva (...)
  • 103 Adam (Juliette Lambert), Le Roman de mon enfance et de ma jeunesse, Paris, 1902, 3e éd., p. 68.

58En un certain sens, la structure qu’offre le règlement constitue un réconfort pour Eugénie qui a perdu les valeurs et les codes familiers de son environnement familial. Les élèves pieuses, en particulier, intériorisent des règles qu’elles considèrent vraisemblablement comme venant de Dieu. Dans un recueil de souvenirs évoquant Éléonore de Gaulmyn, une jeune camarade de classe décrit sa tentative manquée de lui faire rompre la règle du silence. Rendue humble par le refus d’Éléonore, plus vertueuse qu’elle, la jeune femme analyse l’événement comme un signe supplémentaire de la perfection de celle-ci101. Toutes les élèves n’acceptent cependant pas les contraintes de la vie quotidienne, et il est frappant de noter la manière dont les jeunes filles qui tiennent un journal expriment leur sentiment d’enfermement par l’usage de métaphores spatiales assimilant fréquemment leur école à une prison, dont les murs représentent une barrière les séparant de leurs familles à l’extérieur102. Rétrospectivement, Juliette Lambert décrit avec humour son premier jour d’école dans les termes suivants : « La grande porte de la pension, de la prison ! s’ouvre. Elle se referme sur nous avec le bruit de tonnerre. Nous entrons dans une cour où sont les petites et les grandes. Mme Dufey, la maîtresse de la pension, apparaît. Elle a des moustaches, je la trouve laide et elle me terrifie103. » Malgré la rhétorique domestique, les filles ne perçoivent clairement pas leur pensionnat comme un foyer : il s’agit bien d’une institution.

Les leçons de la communauté

59Les règles ont un objectif dépassant la volonté de produire des jeunes femmes dociles et obéissantes. Des descriptions de la vie au pensionnat, rédigées aussi bien sur le coup que plus tard, suggèrent que l’organisation physique et morale de la vie quotidienne fonctionne à deux niveaux. Si l’accent mis sur la discipline et la surveillance renforce d’une part les hiérarchies et proscrit l’intimité afin d’assurer un respect des règles, ces dernières entraînent d’autre part l’émergence d’un sentiment d’appartenance et de communauté morale qui constitue un aspect vital et reconnu de la vie au pensionnat. Les enseignantes et les directrices cherchent consciemment à façonner un esprit collectif, dans lequel les individus consacrent leur énergie à la promotion du groupe. Dans leur aspiration à faire partie de ce dernier, les élèves découvrent cependant le caractère très ténu de la distinction entre émulation et compétition.

  • 104 Picanon, Mon frère et moi…, p. 34-35. Malgré cette émulation, elle poursuit : « Pourtant, il faut (...)
  • 105 AMD, journal d’E. Servant, avril 1878, 2e cahier, p. 14.
  • 106 Archives privées de G. Plaisance, journal de M. Rousset, janv. 1870.
  • 107 Pour des témoignages de punitions plus physiques dans les établissements pour garçons, voir Paul G (...)

60D’emblée, les institutions féminines suscitent un sentiment d’appartenance, en imposant un uniforme à l’entrée du pensionnat. Celui-ci marque visuellement les élèves et indique qu’elles sont parts d’un tout qui les dépasse. Dans ses souvenirs, Henriette Berthoud bénit le fait qu’on lui ait donné un uniforme, et affirme que les effets personnels conduisent à un « flot de vanité, de luxe, d’orgueil » ; écrivant de manière rétrospective, elle applaudit la manière dont la vie à l’école encourage une « émulation salutaire104 ». Les établissements les plus importants imitent souvent les maisons d’éducation de la Légion d’honneur, qui assignent une couleur de ceinture à chaque classe, inscrivant encore plus soigneusement celle qui la porte dans un groupe particulier. Les ceintures rendent visible une hiérarchie entre les classes, tandis qu’on attend des filles les plus jeunes qu’elles aspirent aux couleurs des classes les plus avancées. Eugénie Servant décrit la manière dont ces signes d’appartenance sont également utilisés pour exclure les élèves indisciplinées (voir figure XIV). Quand Jeanne B. répond de manière impolie à l’une de ses maîtresses, la directrice lui fait prendre place au milieu de la salle de classe et jette la ceinture verte de la classe des plus petites à ses pieds en lui ordonnant : « Retirez votre ceinture blanche, mademoiselle, et mettez celle-ci. Vous vous êtes conduite comme une personne sans cœur et sans raison ; toutes vos compagnes en sont indignées. » Cette expulsion du groupe des blanches dure toute une journée, durant laquelle Jeanne est également séparée physiquement de ses compagnes au réfectoire, dans la chapelle, en classe et au dortoir105. De même, quand Marguerite Rousset se conduit mal, les religieuses de son pensionnat l’excluent de la société de Saint-Joseph. De manière plus inhabituelle, elle est également privée de cours et de devoirs quand elle obtient de mauvaises notes. Comme punition, « nous copierons la doctrine chrétienne pas autre chose qui puisse nous servir106 ». Clairement certaines enseignantes accordent plus d’importance aux leçons morales de la communauté qu’aux objectifs intellectuels. Ces leçons ne s’accompagnent cependant pas de châtiments corporels similaires à ceux en vigueur dans les institutions masculines107.

61Les enseignantes travaillent énergiquement à inspirer une adhésion collective de leurs élèves à certains idéaux, parmi lesquels la vertu, l’obéissance, l’honnêteté, et la piété sont certainement les plus ouvertement affirmés, de même que le fait de travailler dur, y compris, bien sûr, dans le domaine intellectuel. On attend des jeunes filles qu’elles intériorisent ces idéaux à travers un effort constant d’auto-évaluation, effort décrit de manière poignante dans le journal d’une élève de l’école normale du Mans, âgée de seize ans :

  • 108 Cité dans Gemie, Women and Schooling…, p. 184.

« Je vais mettre en ordre tout ce qui m’entoure de sorte que je puisse faire de même avec mon cœur. J’espère qu’alors mes efforts pour devenir une élève sage et laborieuse auront des résultats. Chaque soir j’examinerai ma conscience. Je noterai les petites victoires que j’aurai remportées sur moi-même, et je crois qu’en les notant, j’arriverai à les rendre plus nombreuses jour après jour108. »

  • 109 Pour un exemple de ce type d’encouragement à l’auto-évaluation, voir Lejeune, Le Moi des demoisell (...)

62Étant donnés les encouragements adressés aux filles pour qu’elles tiennent l’inventaire de leurs actions et de leurs pensées, il n’est guère surprenant que celles qui tiennent un journal intime notent scrupuleusement leurs bons et leurs mauvais côtés, l’auto-évaluation n’étant pas toujours menée dans le but de trouver des fautes, à la différence de la confession catholique109.

  • 110 Archives privées de A. Blond, lettre écrite en 1865.

63Les pensionnats utilisent un système de bons et de mauvais points, ainsi que de médailles, pour renforcer l’importance de certains idéaux et pour établir des classements au sein des groupes. Les médailles constituent un moyen à la fois de représenter une hiérarchie et de créer un sentiment d’appartenance. Les écrits personnels des filles regorgent de déclarations qui reflètent leur désir de devenir membre de tel ou tel groupe, ou leur fierté d’y être admises. Eugénie Servant admire ainsi les élèves appartenant à une société littéraire de son établissement, dont elle aimerait beaucoup devenir membre. Plus couramment, comme cela a été décrit au chapitre cinq, les jeunes filles expriment leur joie d’être admises dans une association religieuse, à l’image de Sophie Simon qui écrit à sa mère pour lui dire qu’elle est devenue membre de la société des Saints Anges110.

  • 111 Les religieuses utilisent également cette méthode pour favoriser l’émulation au pensionnat du Sacr (...)
  • 112 M. Lévêque, Mathilde Salomon. Directrice du Collège Sévigné. Membre du Conseil Supérieur de l’Inst (...)

64Les meilleurs établissements encouragent activement le développement d’un esprit d’émulation, comme le révèle le journal intime d’Eugénie Servant (voir figure XIII). En 1880, elle est dans sa cinquième année d’école à la Légion d’honneur et prépare les examens du brevet – examens qu’elle ne lie d’ailleurs jamais à un avenir potentiel d’enseignante. Sa maîtresse, Mère Sainte-Eugénie, prend la préparation de cette épreuve très au sérieux et encourage la quête de l’excellence intellectuelle en suivant la méthode séculaire développée par les Jésuites. Elle divise la classe en deux camps opposés et désigne les deux meilleures élèves comme chefs militaires de chacun des deux « bataillons111 ». Les élèves se livrent alors combat sur le terrain scolaire. La constitution de groupes et de hiérarchies peut ainsi avoir des effets très éloignés des considérations portant sur la vertu morale et domestique. Plus généralement, on attend de la proclamation publique des noms des « bonnes » et des « mauvaises » élèves qu’elle suscite une émulation parmi celles qui n’appartiennent pas au petit groupe d’élues, et un esprit de communauté chez ces dernières. Mathilde Salomon, la directrice du célèbre collège Sévigné fondé en 1880, réprouve cette approche, qu’elle caractérise de « comptabilité du mérite qui crée une émulation de qualité un peu inférieure112 ».

65Au sein d’un tel système, l’orgueil doit être sublimé et la jalousie étouffée, ce qui n’est pas toujours facile. À quinze ans, Mathilde Savarin doit lutter contre des émotions conflictuelles quand on accorde des distinctions à ses camarades de classe, et pas à elle :

  • 113 Archives privées de P. Lejeune, journal de M. Savarin, 18 juin 1881.

« Plus qu’un mois et demi à passer dans cette pension bénie où j’ai reçu les notions et les exemples de la vertu ; ensuite je rentrerai pour jamais vers mes parents où je suis appelée à remplir la mission d’ange de la famille. Confession ce matin ; aujourd’hui un concours de musique où j’ai fait taire ma jalousie devant les deux décorations d’honneur données à L. Rimard113. »

66Ce passage intrigant souligne les tensions que ressentent les jeunes filles, qui reconnaissent et acceptent les valeurs de la vie domestique tout en ne parvenant pas à faire taire leur ego.

  • 114 AMD, journal d’E. Servant, 1er cahier, p. 20. En 1870, Marguerite Rousset note dans son journal qu (...)
  • 115 Brada, Souvenirs…, p. 55.

67Au sein de la société que constitue le pensionnat, les leçons de la communauté impliquent également une lutte constante pour bannir l’intime. L’intimité des élèves entre elles, des élèves avec les enseignantes, ou celle liée à la découverte de soi sont toutes vigoureusement condamnées aussi bien dans les règlements que dans les pratiques scolaires, comme le confirment les écrits féminins. Dans les établissements de la Légion d’honneur, des règles de langage servent à souligner les différences existant entre les élèves de chaque classe, tout en bannissant la familiarité entre individus de la même classe : « Le tutoiement était interdit et nous pouvions seulement appeler par leur nom les élèves de notre propre classe. À toutes les autres, nous étions censées dire Mademoiselle114. » De manière bien plus draconienne, la comtesse Puliga rapporte que les élèves de l’Institut Beaujon perdaient leur nom pour devenir des numéros – Mademoiselle 23 ou Mademoiselle 71115. En général, les établissements féminins semblent avoir évolué vers davantage de formalité au cours de cette période, alors qu’ils renoncent à prétendre offrir un foyer de substitution.

  • 116 Pour des exemples de comportements de ce type et des réponses institutionnelles, voir Rogers, Les (...)
  • 117 Pour un point de vue différent sur les amitiés masculines et féminines dans le cadre du pensionnat (...)

68L’organisation de la vie au pensionnat est conçue pour empêcher le développement de relations intimes en mettant constamment en avant le groupe. Les enseignantes séparent les paires et découragent les manifestations d’affection trop marquées entre élèves116. Les établissements religieux, en particulier, réprouvent « les amitiés particulières » dans leurs règlements, aussi bien dans le cas des relations entre religieuses que de celles entre ces dernières et leurs élèves. Au lieu d’amies choisies librement, les pensionnats favorisent, dans la même optique, un système de « petites mères » : des élèves plus âgées prennent en charge des plus jeunes. Plutôt que de les considérer comme une inquiétude vis-à-vis du lesbianisme, dont le concept même n’existe pas à l’époque, ces mises en garde contre les amitiés intimes témoignent de la valeur attachée à la communauté dans un tel contexte, communauté que mine le rapprochement exclusif de deux personnes117.

  • 118 Picanon, Mon frère et moi…, p. 13. Trente ans auparavant, George Sand décrit deux modèles de direc (...)
  • 119 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre du 23 fév. 1878.
  • 120 AMD, journal d’E. Servant, 5e cahier, 23 déc. 1880. Voir également Rogers, Les Demoiselles…, p. 25 (...)

69Si les uniformes, les médailles, les sociétés et la classe elle-même contribuent tous à créer un ensemble de valeurs morales communes, la communauté ainsi forgée diffère cependant notablement de la famille. Les descriptions des maîtresses qu’offrent les écrits d’élèves soulignent ce point, la directrice étant en particulier souvent dépeinte dans des termes fort éloignés des stéréotypes traditionnels de genre. Les élèves décrivent en effet des femmes qui inspirent le respect et parfois la crainte, des personnages apparaissant de fait plus masculins que féminins. La jeune protestante Henriette Berthoud dépeint ainsi la directrice de l’école normale de Sainte-Foy en ces termes : « Je la craignais beaucoup, jamais l’idée ne me serait venue de m’approcher d’elle pour lui faire une caresse ou l’embrasser118. » La comtesse Puliga présente de même Mme St-Aubin Deslignières comme une femme distante et crainte de toutes, même si elle nuance ce jugement en ajoutant que toutes les élèves la considèrent néanmoins comme juste. À Angers, la mère de l’une des élèves de Mlle Gellerat écrit, quant à elle, dans sa correspondance que cette femme gronde souvent ses élèves, et utilise la crainte comme un outil pédagogique119. Les religieuses n’échappent pas plus aux stéréotypes masculins, comme le révèle le journal d’Eugénie Servant. La maîtresse qui pousse sa classe à passer le brevet, Mère de Gethsémani, est décrite comme ayant « des traits fermes et accentuées, une voix mâle et sonore ». Bien que jeune, elle porte des lunettes et a la réputation d’être très stricte : « Et malgré cela, nous aimons avec enthousiasme la manière de Mère de Gethsémani. C’est agréable de se sentir conduite par une énergie qui franchit tous les obstacles […elle] a toutes les qualités d’un excellent professeur. » Cette description est d’autant plus frappante qu’Eugénie Servant dépeint d’autres enseignantes en termes caractéristiquement féminins : Mère Sainte-Thérèse est « jeune et jolie, et porte fort gracieusement le costume des religieuses120 […] ».

  • 121 Sur la nature construite de la vie familiale anglaise au xixe siècle, voir L. Davidoffet al., The (...)

70Si les élèves décrivent souvent des enseignantes jouant un rôle maternel dans leur vie, les directrices revêtent cependant fréquemment des traits plus masculins. Les jeunes filles perçoivent intuitivement ces femmes de plus en plus « professionnelles » comme des figures masculines relativement distantes. Que ceci reflète une volonté de recréer le pensionnat en termes familiaux est une autre histoire121. Ce qui semble probable, cependant, c’est que ces modèles divers de féminité sapent les effets du discours domestique. De fait, la hiérarchie et la distance qu’impose la vie en communauté excluent l’intimité règnant dans les relations familiales.

La transgression des règles et l’écriture de soi

  • 122 P. Lejeune distingue trois types d’auteur de journal intime, qui correspondent à trois stades de l (...)

71Les élèves n’acceptent pas sans question les exigences de la vie en institution. Bien que les écrits personnels révèlent peu de trace de révolte franche, les adolescentes apprennent à contourner et à adapter les règles tandis qu’elles façonnent leur identité personnelle. Des signes de cette tentative de développer un sentiment de soi peuvent se lire aussi bien dans les pratiques quotidiennes de la vie au pensionnat que, plus directement, dans les écrits personnels qui constituent le matériau historique à partir duquel est construite une grande part de cette analyse. Bien que les journaux intimes de cette période demeurent très conventionnels, ils n’en révèlent pas moins des aspirations et des pratiques qui témoignent de l’émergence d’une culture adolescente à partir des années 1850, culture dont les valeurs ne sont ni celles de la communauté morale que l’on vient de décrire, ni celles d’une féminité confinée au sein de la famille122.

  • 123 AMD, journal d’E. Servant, oct. 1878, 2e cahier, p. 37.
  • 124 Archives privées de P. Lejeune, journal de P. Weill, 22 fév. 1859 et 22 sept. 1859.

72Les jeunes filles aspirent à des relations intimes qu’étouffe en pratique la vie en groupe. Les auteures de journaux intimes, en particulier, consacrent du temps à décrire les autres élèves ou les enseignantes avec lesquelles elles tentent d’établir une relation plus intime. Eugénie Servant dédie de nombreuses pages à son amitié particulière avec Virginie, qui débute au cours de sa deuxième année d’école et se poursuit pendant les quatre ans qui suivent. Elles marquent leur amitié en étudiant et en jouant ensemble, en s’aidant réciproquement à apprendre des mots d’italien et d’espagnol, et nouent même leurs ceintures d’uniforme l’une à l’autre en cours. Bien que les enseignantes tolèrent clairement cette amitié, elles sont régulièrement punies pour des actes qui sont perçus comme menaçant l’unité du groupe plus large de pairs. Ainsi, quand elles rédigent de concert une devise décrivant leur amitié – « Vive Plaisir [le surnom de Virginie] et vive Gaieté [le surnom d’Eugénie] » –, puis entrelacent leurs noms et leurs initiales, la maîtresse générale de leur section les ridiculise publiquement. De même, quand Eugénie est prise en train de réveiller Virginie après minuit, elle est bannie au dortoir des élèves les plus jeunes123. Pauline Weill, bien que moins expansive à propos de ses amies dans son pensionnat juif, demande à sa cousine et à ses camarades de classe d’écrire dans son journal. Sa cousine Sophie écrit alors : « Je ne veux manquer, chère Pauline, de répondre à l’aimable lettre dans laquelle tu m’exprimes si sincèrement ton amitié pour moi ; sois bien sûre que je te rends la pareille et je m’empresse de te répéter dans mon jargon alsacien les sentiments affectueux que j’éprouve pour toi. » De fait, Pauline écrit que ses années de pensionnat sont de « mauvais moments » et « de tristes et ennuyeuses journées » ; ses souvenirs les plus positifs sont ceux de moments passés au lit avec quatre ou cinq amies, où « [nous] jasions ensemble comme de véritables pies124 ».

  • 125 Crouzet-Benaben, Souvenirs…, p. 273-298.
  • 126 Cité dans Gemie, Women and Schooling… Le journal se trouve dans AD Calvados, T 1537, 8 avril, p. 1 (...)

73Dans ses mémoires, Jeanne Crouzet-Benaben déploie beaucoup d’éloquence pour évoquer ses amitiés adolescentes dans les années 1880 au collège Sévigné. Elle perçoit clairement l’adolescence comme un tournant spécifique dans la vie d’une jeune fille, où les secrets remplacent les jeux et où la « camaraderie » cède le pas à « l’amitié ». Elle évoque ensuite sa tenue d’un carnet témoignant de ces secrets et de ces amitiés, et rédige même un questionnaire qu’elle donne à remplir à une amie dans un carnet de confession. Écrivant ses mémoires à l’âge de soixante-dix ans, elle insiste sur la nature pure de ces amitiés tout en reconnaissant, cependant, leur côté exclusif et jaloux125. Le journal d’une jeune élève anonyme de l’école normale du Mans révèle un désir plus passionné d’établir une relation intime, dans ce cas avec l’une de ses maîtresses. Ce journal est en fait adressé à Mademoiselle, dont les moindres regards et actes provoquent de vives réactions. Cette dernière tente clairement de maintenir la distance avec l’ardente jeune fille de seize ans, mais quand elle lui permet une intimité plus grande – comme la serrer dans ses bras le matin par exemple –, celle-ci accepte bien mieux sa routine quotidienne : « De ce fait toute ma journée se passait mieux, et je respectais toutes les règles126. » L’auteure du journal partage également ses espoirs et ses désespoirs avec une autre élève, Marie Savare, seule personne en qui elle semble avoir confiance. Manifestement, cette jeune femme a du mal à intérioriser les valeurs de cette communauté féminine, tiraillée entre une forme d’adoration à l’égard de Mademoiselle et un béguin sérieux pour un « lui » anonyme. Se sentant constamment en marge à l’école normale, elle finit par abandonner ses études et quitter l’établissement.

  • 127 Archives privées de P. Lejeune, journal de P. Weill, 10 fév. 1859.

74La vie au pensionnat implique également de nombreuses transgressions mineures, comme de s’aventurer dans des parties de l’établissement ou du jardin qui sont au-delà des limites permises, ou simplement de contempler des objets ou des gens qu’il est interdit de regarder. Pauline Weill affirme dans son journal qu’« il n’y a personne de plus rusé, de plus fûté que les pensionnaires127 ». De fait, les journaux intimes et les mémoires sont remplis de références à des défis adolescents à l’égard des règles. À quinze ans, Mathilde Savarin confie à son journal cette anecdote amusante :

  • 128 Archives privées de P. Lejeune, journal de M. Savarin, 23 juin 1881.

« Comme la curiosité et la désobéissance sont filles d’Ève ! On nous avait défendu d’aller dans le jardin devant le château à cause des statues, j’ai voulu y aller avec quelques-unes, j’en ai regardé deux qui n’étaient pas indécentes, mais il y avait une Amphitrite au fond du jardin qui était presque nue, je ne l’ai pas regardée et je suis partie128. »

  • 129 Crouzet-Benaben, Souvenirs…, p. 182, et archives privées de G. Plaisance, journal de M. Rousset.

75Tout en ayant intériorisé certains aspects des règles scolaires, notamment le refus de la nudité corporelle, elle n’en transgresse pas moins d’autres règles en s’aventurant dans le parc. Le journal de Marguerite Rousset, âgée de treize ans, décrit également de nombreuses escapades mineures généralement sources de quelques remords. Alors qu’elle n’a célébré sa première communion que peu de temps auparavant, ses farces pleines d’ardeur témoignent davantage de son souci de jouer et de s’amuser que d’une quête intérieure menée dans un but de connaissance de soi. Plus âgée, Jeanne Crouzet-Benaben note que certaines filles du collège Sévigné s’échappent lors de l’heure d’étude pour fumer des cigarettes, bien qu’elle ne participe pas elle-même, sa « petite mère » l’en ayant empêchée. Plus audacieusement, Pauline Weill décrit son évasion de son pensionnat parisien pour se faire lire son avenir129.

  • 130 Mme O ctave Feuillet, Quelques années de ma vie, Paris, Calmann Lévy, 4e éd., 1894, p. 15. Pour pl (...)

76Les transgressions avant tout spatiales décrites précédemment se doublent fréquemment de transgressions plus culturelles, notamment de lectures du type de celles ayant conduit Emma Bovary à sa chute. On dispose de témoignages abondants décrivant la manière dont les jeunes filles font entrer furtivement des livres illicites au sein du pensionnat puis partagent ces lectures avec leurs amies ou leur journal. Les interdits séculaires en matière de lectures féminines, qui sont constamment renforcées dans les leçons scolaires, n’empêchent pas les filles de jeter un œil sur des textes prohibés. Les ouvrages autorisés eux-mêmes peuvent d’ailleurs être lus de manière inappropriée. Valérie Feuillet décrit son séjour au pensionnat du couvent de la Visitation à Caen comme une période durant laquelle elle a échappé aux pressions familiales en se plongeant dans la piété. Quand ses parents inquiets la ramènent de force à la maison, ses livres sont brûlés et sa harpe cachée. Écrivant beaucoup plus tard, elle décrit cette période de crise adolescente comme reflétant un désir d’être aimée pour ce qu’elle pensait et non pour ce qu’elle faisait130.

77La décision de tenir un journal intime révèle clairement la manière conflictuelle dont les filles intériorisent les messages de la vie au pensionnat. Les journaux connaissent deux types d’usages distincts au sein du cadre scolaire. Ils sont d’une part proposés aux élèves comme un outil pédagogique représentant avant tout un moyen d’évaluation de soi, destiné à pousser les filles à réfléchir à leur comportement afin qu’elles se conforment à une norme bien établie de féminité caractérisée par l’obéissance et la vertu. Les journaux de ce type ne correspondent guère à des écrits personnels, puisqu’ils sont ensuite corrigés par les enseignantes ou les mères, et concernent souvent les filles les plus jeunes, autour de l’âge de la première communion. Certaines jeunes filles se lancent d’autre part dans l’écriture d’un journal pour exprimer un sentiment naissant de soi. Prenant la plume plutôt que l’aiguille, les adolescentes tentent de donner sens à leur vie à travers leur écriture, tout en témoignant dans le même temps de leur conscience de leur individualité.

  • 131 Voir Quartararo, Women Teachers… et Linda Clark, Schooling the Daughters of Marianne : Textbooks a (...)
  • 132 Christina de Bellaigue, « The Development of Teaching as a Profession for Women before 1870 », The (...)
  • 133 Vicinus, Independent Women…, p. 163-210.

78Cet examen des enseignantes, des études scolaires et de la vie des élèves révèle de nombreuses similarités avec ce que nous connaissons de l’éducation des filles dans la société britannique au xixe siècle, et témoigne d’une manière commune d’envisager les rôles sexués dans la société bourgeoise occidentale. En France, cette organisation de la vie scolaire des jeunes filles ne se limite cependant pas à l’éducation bourgeoise. Les écoles normales, qui attirent des populations plus modestes, fonctionnent de manière similaire, tandis que les manuels scolaires renforcent ces mêmes valeurs féminines de docilité, d’obéissance et de travail131. Les changements notés dans l’éducation des filles en France, avec l’élévation des attentes quant à ce qu’il convient aux filles d’étudier, et dans quel but, font écho à des évolutions bien documentées en Grande- Bretagne et en Allemagne132. Les historiens travaillant sur l’histoire des femmes en Angleterre ont couramment établi un lien entre la vitalité et la force du mouvement féministe de la fin du xixe siècle et le développement des possibilités éducatives, l’apparition des high schools réformées et l’accès à la formation universitaire et à ses diplômes. Paradoxalement, la volonté de mieux préparer les femmes à leurs responsabilités domestiques leur a ouvert des portes leur permettant de mener leur vie au sein de la sphère publique, une situation que Martha Vicinus a décrit avec éloquence dans son étude des pensionnats anglais133.

  • 134 Dyhouse, Girls Growing Up…, p. 48, et Andrea Jacobs, « Les examens, la professionnalisation et les (...)
  • 135 Bellaigue, « The Development of Teaching »…, p. 970 ; pour l’influence des expériences éducatives (...)

79Mon analyse de l’éducation des filles en France entre 1830 et 1880 a souligné l’existence d’une tendance à la professionnalisation parmi les enseignantes, ainsi que d’une attention croissante accordée aux examens au sein des écoles, deux traits qui ont également été mis en avant dans le contexte britannique, où les examens et l’esprit de compétition sont traditionnellement considérés comme peu féminins134. De fait, l’accent mis sur les examens et la formation qui apparaît dans le dernier quart du siècle en Angleterre pourrait avoir été en partie inspiré par des exemples français. Mary Carpenter et Frances Goodman, deux enseignantes anglaises réformatrices, attribuent leur propre effort pour introduire des normes et des examens à leurs expériences éducatives au sein d’établissements français135. Et pourtant, en dépit de la volonté de promouvoir l’émulation parmi les filles en France, de l’introduction de normes plus élevées pour les enseignantes, et de l’effort général pour offrir aux filles de la bourgeoisie une éducation qui leur permettrait d’obtenir des diplômes, les Françaises ne développent pas une culture féministe vibrante du type de celle qui apparaît en Grande- Bretagne. Peut-on lire la culture scolaire française d’une manière qui permette de comprendre ce fait ?

  • 136 Mémorial des enfants de Marie…, p. 32, 61.

80La plus grande différence en matière d’éducation des filles dans les deux pays réside clairement dans la présence en France de religieuses enseignantes et d’écoles congréganistes dont la préoccupation majeure est d’inculquer des valeurs catholiques. Au sein de ces établissements, mais également de manière plus générale au sein des écoles laïques, l’aspect réglementé de la vie quotidienne pousse les filles à chercher à s’identifier avec des groupes sociaux et religieux qui donnent un sens à leur vie. Les écrits des élèves témoignent de l’importance des communautés religieuses et morales structurant leur existence au pensionnat, où les aspirations individuelles n’émergent qu’avec difficulté. Alice Bizot, élève au couvent des Oiseaux à Paris, ne tarit pas d’éloquence à propos de l’admission au sein de sociétés religieuses, tandis que ses succès individuels génèrent des sentiments plus conflictuels : en 1857, elle décrit son aspiration à obtenir un prix scolaire « dans le but unique de faire plaisir à sa mère bien aimée », et, au cours de sa dernière année, elle essaie de ne pas gagner de prix afin qu’ils soient attribués à ses amies136. On peut également trouver des contre-exemples, mais ceux-ci représentent bien plus l’exception que la norme. Juliette Lambert apprend ainsi de son père l’importance du travail, non pas juste pour atteindre l’indépendance, mais également pour avoir une image de soi plus valorisante :

  • 137 Adakm, Le Roman…, p. 371.

« Travaille, travaille, deviens quelqu’un. Il n’y a pas d’autre moyen pour une femme de conquérir sa liberté que d’affirmer sa personnalité. En nourrissant, en élevant ma fille, je travaillais, je complétais mon instruction, très poussée en certaines matières, très insuffisante sur d’autres points. Puis un beau jour, après des essais insignifiants, révoltée par les insultes que Proudhon du haut de son livre : La justice dans la Révolution, avait jetées à Daniel Stern et à George Sand, j’écrivis mes Idées anti-Proudhonniennes. Alors commença ma Vie littéraire par laquelle je continuerai ces récits137. »

81En général, cependant, les messages conflictuels de la culture scolaire féminine française ne produisent pas des rebelles, ni même de nombreuses féministes notables. Comparé à l’Angleterre ou à l’Allemagne, où des éducatrices comme Dorothea Beale, Frances Mary Buss, ou Helene Lange peuplent le paysage féministe, on ne trouve, de manière frappante, que peu d’équivalents en France, si ce n’est tardivement parmi les rangs des républicaines protestantes. Les élèves françaises ont peut-être appris à passer des examens et à prendre leurs études au sérieux durant cette période, mais ceci s’est rarement traduit dans leur vie adulte par une prise de conscience des inégalités de genre méritant d’être directement remises en question.

Notes

1 Grew, Harrigan, L’École primaire…, p. 319. En 1837, on compte 17 900 écoles de garçons et 20 900 écoles mixtes ; en 1863 ces chiffres sont de 23 700 et 17 800 ; il y avait donc plus d’écoles de filles que de garçons à cette date. Entre 1850 et 1875, le taux de filles scolarisées dans des écoles catholiques passe de 44 à 59 % (p. 160).

2 Les archives contiennent les résultats pour 83 départements sur un total de 89. Les renseignements manquent pour l’Indre, l’Isère, l’Ardèche, la Drôme, les Hautes-Alpes, la Seine-et-Oise et la Seine. Pour les résultats de l’enquête, voir AN, F17 6843-6849.

3 Pour une comparaison avec les écoles primaires féminines, voir Grew, Harrigan, L’École primaire…, p. 165.

4 Cette carte et les deux suivantes ont été réalisées par le laboratoire de Recherche historique Rhône-Alpes.

5 Seul un département fait état de problèmes de moralité : à Nice, un prêtre remplaçant au couvent du Bon-Pasteur est accusé d’avoir embrassé des élèves ; aucune action disciplinaire n’est engagée. Ceci semblerait confirmer l’argument sur le caractère très masculin des affaires disciplinaires concernant les questions sexuelles. Voir Caron, À l’école de la violence…, p. 215-216.

6 AN, F17 6846, Rapport général du recteur concernant l’académie de Lyon, 23 oct. 1864.

7 AN, F17 6848, Rapport de l’inspecteur Belhomme en 1863.

8 AN, F17 6843, Inspecteur des Basses-Alpes, s. d.

9 AN, F17 6843, Rapport du 25 sept. 1864.

10 AN, F17 6843, Rapport 12 sept. 1864.

11 AN, F17 6846, Rapport de l’inspecteur d’académie Deloche, 20 oct. 1864.

12 AN, F17 6848, Rapport d’inspection pour le Maine-et-Loire, 14 oct. 1864.

13 Il convient cependant de mettre ceci en rapport avec les changements administratifs dans Paris et l’annexion des communes périphériques, qui font faire un bond à la population, qui passe de 1 million d’habitants avant 1860 à 1 696 000. Voir Bernard Marchand, Paris : Histoire d’une ville, xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1993, p. 91.

14 AN, F17 12434B. En 1874, l’augmentation du nombre de pensionnats religieux ne porte leur chiffre qu’à vingt-huit. Voir Langlois, Le Catholicisme…, p. 483. Les chiffres concernant les institutions laïques proviennent d’annuaires de commerce parisiens et du conseil général du département de la Seine, Résultats de l’inspection, 1864. Pour les écoles primaires, voir Octave Gréard, L’enseignement primaire à Paris et dans le département de la Seine de 1867 à 1877, Paris, A. Chaix et Cie, 1878, p. 14.

15 Pour des renseignements sur les transformations urbaines dues à Haussmann, et sur leur effet sur les écoles, voir Jeanne Gaillard, Paris, la ville (1852-1870), Paris, L’Harmattan, 1997, p. 201-231. Elle s’intéresse cependant principalement à l’enseignement primaire, et mentionne à peine la présence de pensionnats laïcs féminins.

16 AN, F17 12434B, Inspection des pensionnats de filles tenus par des religieuses dans le diocèse de Paris en avril 1855.

17 AP, VD6 159, Inspection de maisons d’éducation de demoiselles (1851-1862), Ier arrondissement. Les établissements de R. Coulon et de V. Rey sont tous deux situés dans le faubourg Saint-Honoré. Ces chiffres se rapportent à une inspection de 1853.

18 Voir Rebecca Rogers, « French Education for British Girls in the Nineteenth Century », Women’s History Magazine, 42, 2002, p. 21-29.

19 L’analyse qui suit n’est pas fondée sur une étude exhaustive de ces sources qui sont loin d’être complètes dans les archives départementales. J’ai consulté des annuaires de commerce et des almanachs de vingt-cinq départements, ainsi que quinze dépôts d’archives départementaux (Aude, Doubs, Eure-et-Loir, Haute-Garonne, Gers, Loire-Atlantique, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Hautes-Pyrénées, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Haute-Saône, Seine-et-Oise, Somme, Vienne).

20 En accord avec les analyses de J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie, je soutiens également qu’il faut que les historiens de l’éducation soient plus attentifs au rôle des directeurs d’écoles qui créent activement leur propre clientèle : Jean-Pierre Briand, Jean-Marie Chapoulie, « L’Institution scolaire et la scolarisation : une perspective d’ensemble », Revue française de Sociologie, 24, 1993, p. 3-42. L’étude de Marc Suteau sur Nantes confirme l’utilité de cet axe de recherche pour comprendre le développement d’un système éducatif, Une ville et ses écoles…, p. 13.

21 Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 19-27. La population de Strasbourg est en 1860 d’environ 56 000 habitants.

22 Je me suis intéressée aux directrices plutôt qu’aux bâtiments où se trouvaient leurs écoles. Celles-ci cédaient souvent leurs bâtiments et leur clientèle à un successeur.

23 Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 31-32.

24 Ibid., p. 13-14.

25 En 1845, les Dames dites des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie demandent 450 francs par an (sans les arts d’agrément) dans leur pensionnat de Châtellerault. AD Vienne, 3 T 36, « Écoles de filles, 1836-1875 ».

26 Bourgade, Contribution…, p. 148. Les archives du Sacré-Cœur révèlent que les frais de pension dans cette institution élitiste oscillent généralement entre 600 et 750 francs par an. Dans ces établissements, comme à Toulouse, les leçons dans les arts d’agrément entraînent un surcoût.

27 Cahour, Les Écoles et pensionnats privés…

28 Bourgade, Contribution…, p. 234.

29 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre du 20 fév. 1876.

30 Louis Savès, Les Écoles du Saint Nom de Jésus en Bigorre, 1827-1977, Tarbes, Les éditions du Midi, 1977, p. 77. Au milieu du siècle, cette institution compte environ 200 élèves.

31 Jégou, Mesnil, Les Ursulines françaises…, p. 188 ; Notre-Dame de la Compassion dans le sud-ouest de la France accueille de même des groupes sociaux spécifiques dans ses différents établissements. Voir Jean-Claude Meyer, « La congrégation de Notre-Dame de la Compassion », dans Gérard Cholvy, Nadine-Josette Chaline (dir.), L’Enseignement catholique en France aux xixe et xxe siècles, Paris, Cerf, 1995, p. 137-138.

32 Cette analyse est tirée de Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 52, et se fonde sur une étude des origines sociales de 136 élèves présentes dans l’établissement entre octobre 1856 et décembre 1865.

33 Voir Germaine Bourgade, « Une maison d’éducation anglaise à Caen au temps de la Monarchie de Juillet : la pension Roberts, 1834-1843 », Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, 62, 1963, p. 514-523 ; Rogers, « French Education for British Girls »…

34 AD Loire-Atlantique, 5T 4, état de 1861. Il est intéressant de noter que É. Priet est elle-même issue d’un milieu d’artisans : son père était contremaître dans une imprimerie, mais parce qu’il souffrait d’une maladie mentale, sa fille a été placée en pensionnat dès l’âge de cinq ans.

35 Au pensionnat dirigé par les Sœurs de Notre-Dame à Molsheim, la moitié des 220 élèves présentes dans l’établissement entre 1856 et 1865 ont plus de 13,5 ans. Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 55-56.

36 Mme d’Aubigny ouvre son pensionnat avec une autre femme, Mme Lelarge, en 1843 ; elles poursuivent leur activité pendant les trente ans qui suivent.

37 AD Aude, 1 T 23, « Situation scolaire des communes, états de 1867 ».

38 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre d’Augustine Goblot à Édouard Goblot d’avril 1848.

39 Ces prospectus se trouvent principalement dans la série T des archives départementales et, pour Paris, dans Archives de Paris, série VD6. Pour les Ursulines, voir Jégou, Mesnil, Les Ursulines françaises… Voir Rebecca Rogers, « Constructions de la féminité bourgeoise en France au xixe siècle : Éducation, normes et pratiques », dans J.-P. Bardet, J.-N. Luc, I. Robin-Romero, C. Rollet (dir.), Lorsque l’enfant grandit. Entre dépendance et autonomie, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2002, p. 663-675.

40 AP, VD6 158.

41 Henri Léon, Les Indiscrétions de Jehan Bomoloque à l’endroit des maîtresses de pension, Paris, 1855.

42 AN, F17 12432, « Dossier Shanahan, maîtresse anglaise à Paris ».

43 Institution Protestante de jeunes demoiselles, prospectus reproduit dans Schvind, L’Éducation des demoiselles…, p. 128.

44 Elle n’accepte qu’entre douze et quinze élèves. AD Seine-et-Oise, 38 T 5*.

45 Archives privées des Sœurs de Notre-Dame, Prospectus, rue Faubourg du Roule, s. d.

46 AN, AJ16 198.

47 Voir Suteau, Une ville et ses écoles…, p. 130-135, et A. Donis, Historique de l’enseignement primaire public à Bordeaux, 1414-1910, Bordeaux, Imp. G. Delmas, 1913.

48 AD Doubs, 38V3.

49 AP, DT, supplément n° 120, Dossier Isaac.

50 Cette analyse se fonde sur environ vingt discours qui ont été recueillis pour la plupart dans la série Rp de la Bibliothèque nationale. Si je ne prétends pas qu’un nombre aussi limité soit en quelque manière représentatif des milliers de discours de ce type qui n’ont pas été publiés, la diversité des thèmes abordés dans cet échantillon mérite en elle-même une analyse attentive.

51 Abbé Bonin, Pensionnat des dames de Saint-Maur. Discours prononcé à la distribution solennelle des prix des dames de Saint-Maur de Chalon, 1862.

52 Abbé Brière, Discours prononcé à la distribution solennelle des prix de l’Institution de Mlles Delfeuille et Leconte à Nogent-le-Rotrou ( Eure-et-Loir), Nogent-le-Rotrou, 1858.

53 Abbé Boulage, Discours prononcé par M. Boulage, curé de Saint-Pantaléon le 17 août 1855 à la distribution des prix de la pension de Mlle Ernestine Pfeiffer à Troyes, Troyes, 1855.

54 Hébert-Duperron, Souvenirs de distribution de prix de l’année scolaire 1864-65, Perigueux, 1865, et Allocution prononcée… Prix du pensionnat de Mlle Hirche à Vesoul, 19 août 1867, Paris, s. d.

55 Discours prononcé par Mme Bachellery, le 29 août 1857 en son institution, Côte-St-André (Isère) ; « Au sujet de l’éducation de la jeunesse », Lyon, L. Perrin, 1857, p. 9.

56 Archives privées de V. Isambert-Jamati, discours de 1866, 1868.

57 Lequien, Institution de jeunes filles dirigée par Mlle Lequien. Discours prononcé à la distribution des prix le 28 août 1838, Poissy, 1838, texte manuscrit.

58 Discours prononcé le 25 août 1871 à la distribution de prix de Mme Alvarès à Caussade, texte manuscrit.

59 De Lozières, De l’émulation. Discours prononcé à la distribution solennelle des prix fin de l’année scolaire 1851-1852, Senlis, Impr. Ch. Duriez, 1852.

60 Viviane Isambert-Jamati, Crises de la société. Crises de l’enseignement. Sociologie de l’enseignement secondaire français, Paris, Presses universitaires de France, 1970, en particulier p. 69-104.

61 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Eugénie Dubois en 1866.

62 Pour plus de renseignements sur les programmes d’études, voir Rogers, Les Demoiselles…, p. 195-234.

63 Voir Jean-Marie Chapoulie, « L’enseignement primaire supérieur, de la loi Guizot aux écoles de la IIIe République », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 36, 1989, p. 413-437.

64 AP, VD6 159, Inspection de maisons d’éducation de demoiselles, 1851-1862. Brada, Souvenirs d’une petite Second Empire, Paris, Calmann-Lévy, 1921.

65 Brada, Souvenirs…, p. 107.

66 Le nouveau manuel de piété à l’usage de la jeune pensionnaire, 1865, cité dans Gibson, Social History…, p. 186. Pour plus de renseignements sur l’esprit de l’éducation offerte au couvent, voir Arnold, Le Corps et l’âme…, p. 194.

67 Ibid., p. 195, circulaire des Ursulines de Clermont-Ferrand, 21 nov. 1876.

68 ASC (Rome), C.I. c° 3, boîte 8, Travail de la commission pour les études et le pensionnat.

69 La pédagogie mise en œuvre en classe reste, en général, fortement structurée autour de la mémorisation, ce qui est aussi un aspect courant de l’éducation des garçons.

70 ASC (Rome), D.I 1b, Conseil des Études, 1869. L’analyse que fait Bonnie Smith des écoles du Sacré-Cœur à Lille à la fin du siècle suggère que ces recommandations ne sont pas universellement appliquées. Voir Smith, Les Bourgeoises…, chap. 7.

71 Cette tendance est également visible dans d’autres congrégations religieuses s’adressant aux élites. Alice Bizot, élève au couvent des Oiseaux en 1859, prévient sa mère en riant : « D’abord, je t’annonce que, probablement à ton retour, tu me trouveras philosophe consommée, car […] depuis quelque temps plongée entièrement dans la logique, les raisonnements, les syllogismes, les inductions […] cette étude m’intéresse beaucoup », Mémorial des enfants de Marie de la congrégation Prima primaria établie dans le Monastère des Religieuses de la congrégation de Notre-Dame, maison dites des Oiseaux, Paris, rue des Sèvres 86, Paris, Pélagaud, 1864, p. 74.

72 Archives privées de V. Isambert-Jamati, lettre du 23 oct. 1874.

73 Cosnier, Le Silence des filles…, en particulier p. 227-232. On en trouve un bon exemple dans les souvenirs d’Élise de Bonnefonds. Après son retour à la maison, en sortant du couvent, elle regrette ses études car elle s’ennuie souvent en faisant de la couture. Elle remercie néanmoins sa mère de lui avoir donné ces habitudes de travail, É. de Bonnefonds, Mes Souvenirs, Paris, Lecoffre, 1861, p. 69-72.

74 Rogers, Les Demoiselles…, p. 209-211.

75 Archives privées de P. Lejeune, journal intime de Mathilde Savarin, 25 juin 1881.

76 Lemonnier, Élisa Lemonnier…

77 Pour des renseignements sur l’École professionnelle Drouot à Nancy, voir Philippe Savoie, « Offre locale et engagement de l’État. Les enseignements technique et primaire supérieur à Nancy et les conditions de leur évolution sous la Troisième République », Histoire de l’Éducation, 66, 1995, p. 47-84. Pour Nantes et la création de l’École Guépin (1873), voir Suteau, Une ville et ses écoles…, p. 125-139. Sur le développement de l’enseignement primaire supérieur féminin, voir Émilien Constant, « Les débuts de l’enseignement secondaire (et primaire supérieur) des jeunes filles dans le Var, 1867-1925 », Historical Reflections, 7, 1980, p. 301-312 ; Kathleen Alaimo, « Adolescence, Gender and Class in Educational Reform in France : The Development of Enseignement Primaire Supérieur, 1880-1910 », French Historical Studies, 18, 1994, p. 1025-1056, et Jean-Pierre Briand, Jean-Marie Chapoulie, Les Collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et le développement de la scolarisation prolongée sous la Troisième République, Paris, INRP, 1992.

78 Rogers, Les Demoiselles…, p. 205-208, et Rogers, « Retrograde or Modern ? »…

79 Gréard, Éducation et Instruction…, p. 142.

80 Bourgade, Contribution…, p. 234, et AD Vienne, Distribution des prix faite le 7 août 1863 (côte 8°E 2396).

81 AD Hautes-Pyrénées, T 39.

82 Bourgade, Contribution…, p. 233.

83 En 1863, on compte onze écoles normales de femmes et cinquante-sept cours normaux dans l’ensemble du pays. Il faut noter que ces établissements forment peu d’institutrices du secteur public, la plupart des femmes préfèrent chercher un emploi comme gouvernante ou dans des pensionnats privés. Quartararo, Women Teachers…, p. 75, 86. Voir aussi Gemie, Women and Schooling…, p. 117-127.

84 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois-Goblot, Augustine à Eugénie Dubois, 25 août 1872.

85 AP, VD6, n° 158.

86 Archives privées de P. Lejeune, journal de Mathilde Savarin (1881-1893).

87 Il est difficile de connaître la durée des études des jeunes filles au pensionnat. Les historiens répètent en général qu’il ne s’agit que d’un ou deux ans, mais la lecture de mémoires, ainsi que les trajectoires de futures enseignantes révèlent des scolarités institutionnelles bien plus longues.

88 Sur l’organisation spatiale des intérieurs de la bourgeoisie, voir Monique Eleb, Anne Debarre, Architectures de la vie privée. Maisons et mentalités, xviie-xixe siècles, Bruxelles, archives d’architecture moderne, 1989, ainsi que L’Invention de l’habitation moderne, Paris 1880-1914, Bruxelles, Hazan, 1995.

89 Henriette Picanon, Mon frère et moi. Souvenirs de jeunesse accompagnés de poésies d’E. Berthoud, Paris, J. Bonhoure, 1876, p. 21.

90 AD Loire-Atlantique, 76 T 1, Maisons d’éducation de jeunes filles, 1811-1857. Mme Tautain dirige cette école des environs de 1848 jusqu’à la fin des années 1870. Elle reçoit généralement de bonnes notes dans les rapports d’inspection, bien qu’elle ne soit pas considérée comme dirigeant une des meilleures écoles.

91 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre du 9 mai 1878 ; à cette date, l’établissement compte 77 élèves.

92 Voir Rogers, « Schools, Discipline and Community : Diary-writing and Schoolgirl Culture in Late Nineteenth-Century France », Women’s History Review, 4, 1995, p. 525-554.

93 Archives privées de P. Lejeune, journal de Pauline Weill, Histoire de ma vie. Journal (1858-1859) ; Archives privées de G. Plaisance, journal de Marguerite Rousset, 17 janv. 1869.

94 Brada, Souvenirs…, p. 41.

95 AMD, journal d’E. Servant, juil. 1875, 1er cahier, p. 29.

96 Adèle Riobe, Notice sur ma fille, Le Mans, Imprimerie Monnoyer Frères, 1863, p. 121.

97 Brada, Souvenirs…, p. 29-32.

98 Elle est l’une des quelque cent élèves du couvent des Sœurs de Saint-Maur à Montluçon, Bonnefonds, Mes Souvenirs…, p. 58.

99 Émile Gossot, Un pensionnat d’autrefois. Souvenirs d’une pensionnaire, Tours, Mame, 1900, p. 31.

100 AMD, journal d’E. Servant, 1er cahier, 1er mai 1875, p. 11-12, mars 1876, p. 58.

101 M***, Souvenirs de la vie d’Éléonore de Gaulmyn, élève du Sacré-Cœur, 1848, cité dans Arnold, Le Corps et l’âme…, p. 41.

102 Voir, en particulier, les archives privées de Philippe Lejeune, Journal de P. Weill. Eugénie Servant fait également référence à sa « chère prison ».

103 Adam (Juliette Lambert), Le Roman de mon enfance et de ma jeunesse, Paris, 1902, 3e éd., p. 68.

104 Picanon, Mon frère et moi…, p. 34-35. Malgré cette émulation, elle poursuit : « Pourtant, il faut l’avouer, ce qu’on apprend d’ordinaire en pension n’est qu’élémentaire et préparatoire. »

105 AMD, journal d’E. Servant, avril 1878, 2e cahier, p. 14.

106 Archives privées de G. Plaisance, journal de M. Rousset, janv. 1870.

107 Pour des témoignages de punitions plus physiques dans les établissements pour garçons, voir Paul Gerbod, La Vie quotidienne dans les lycées et les collèges au xixe siècle, Paris, Hachette, 1968, p. 101-106, et Caron, À l’école de la violence…, p. 114-164.

108 Cité dans Gemie, Women and Schooling…, p. 184.

109 Pour un exemple de ce type d’encouragement à l’auto-évaluation, voir Lejeune, Le Moi des demoiselles…, p. 353.

110 Archives privées de A. Blond, lettre écrite en 1865.

111 Les religieuses utilisent également cette méthode pour favoriser l’émulation au pensionnat du Sacré-Cœur. N obécourt, Un Exemple…, p. 228.

112 M. Lévêque, Mathilde Salomon. Directrice du Collège Sévigné. Membre du Conseil Supérieur de l’Instruction Publique. Chevalier de la Légion d’honneur, 1837-1909, St Germain-lès-Corbeil, Imp. Leroy, s. d. (1909). Les protestants semblent en général avoir eu des réserves quant à la valeur pédagogique de l’émulation.

113 Archives privées de P. Lejeune, journal de M. Savarin, 18 juin 1881.

114 AMD, journal d’E. Servant, 1er cahier, p. 20. En 1870, Marguerite Rousset note dans son journal que les religieuses enseignantes ont banni le tutoiement entre les élèves. Archives privées de G. Plaisance, journal de M. Rousset, 4 mars 1870.

115 Brada, Souvenirs…, p. 55.

116 Pour des exemples de comportements de ce type et des réponses institutionnelles, voir Rogers, Les Demoiselles…, p. 275-279, ainsi que « Schools, Discipline and Community »…

117 Pour un point de vue différent sur les amitiés masculines et féminines dans le cadre du pensionnat, voir Vincent-Buffault, L’Exercice de l’amitié…, en particulier p. 143-155. Elle met l’accent sur les aspects médicaux qui sous-tendent ces interdits, tandis que, dans le cas des filles, l’aspect moral des interdits est selon moi plus important. Voir également Houbre, La Discipline de l’amour…, p. 192-195.

118 Picanon, Mon frère et moi…, p. 13. Trente ans auparavant, George Sand décrit deux modèles de directrices opposés. Mme Héreau, auprès de qui elle place d’abord sa fille Solange, est présentée comme ayant une « familiarité plus expansive, plus maternelle et plus indulgente ». Solange est ensuite transférée chez la directrice bien plus stricte qu’est Mme Bascans, qui punit fréquemment la capricieuse fille de la romancière. G. Sand, Correspondance de George Sand, vol. 5, (avril 1840décembre 1842), Paris, Garnier Frères, 1969, p. 479 (1841).

119 Archives privées de V. Isambert-Jamati, Correspondance Dubois- Goblot, lettre du 23 fév. 1878.

120 AMD, journal d’E. Servant, 5e cahier, 23 déc. 1880. Voir également Rogers, Les Demoiselles…, p. 257-259.

121 Sur la nature construite de la vie familiale anglaise au xixe siècle, voir L. Davidoffet al., The Family Story. Blood, Contract and Intimacy, 1830-1960, Londres, Longman, 1999.

122 P. Lejeune distingue trois types d’auteur de journal intime, qui correspondent à trois stades de l’écriture du journal de jeune fille au xixe siècle : 1° la jeune fille romantique (environ 1800-1850) 2° la jeune fille « ordre moral » (environ 1850-1880), et 3° la jeune fille « moderne » (environ 1880-1910), Le Moi des demoiselles…

123 AMD, journal d’E. Servant, oct. 1878, 2e cahier, p. 37.

124 Archives privées de P. Lejeune, journal de P. Weill, 22 fév. 1859 et 22 sept. 1859.

125 Crouzet-Benaben, Souvenirs…, p. 273-298.

126 Cité dans Gemie, Women and Schooling… Le journal se trouve dans AD Calvados, T 1537, 8 avril, p. 187.

127 Archives privées de P. Lejeune, journal de P. Weill, 10 fév. 1859.

128 Archives privées de P. Lejeune, journal de M. Savarin, 23 juin 1881.

129 Crouzet-Benaben, Souvenirs…, p. 182, et archives privées de G. Plaisance, journal de M. Rousset.

130 Mme O ctave Feuillet, Quelques années de ma vie, Paris, Calmann Lévy, 4e éd., 1894, p. 15. Pour plus d’informations sur les pratiques de lecture des jeunes filles, voir Cosnier, Le Silence des filles…, p. 233-257, et Rogers, Les Demoiselles…, p. 212-224.

131 Voir Quartararo, Women Teachers… et Linda Clark, Schooling the Daughters of Marianne : Textbooks and the Socialization of Girls in Modern French Primary Schools, Albany, SUNY Press, 1984.

132 Christina de Bellaigue, « The Development of Teaching as a Profession for Women before 1870 », The Historical Journal, 44, 2001, p. 963-988 ; Carol Dyhouse, Girls Growing up in Late Victorian and Edwardian England, Londres, Routledge and Kegan, 1981 ; Deborah Gorham, The Victorian Girl and the Feminine Ideal, Bloomington, Indiana University Press, 1982 ; Joyce Senders Pedersen, « The Reform of Women’s Secondary and Higher Education : Institutional Change and Social Values in Mid and Late Victorian England », History of Education Quarterly, 19, 1979, p. 61-99 ; J. Pedersen, The Reform of Girls’ Secondary and Higher Education in Victorian England, Londres, Garland, 1987 ; pour l’Allemagne, voir James Albisetti, Schooling German Girls and Women. Secondary and Higher Education in the Nineteenth Century, Princeton, Princeton University Press, 1988.

133 Vicinus, Independent Women…, p. 163-210.

134 Dyhouse, Girls Growing Up…, p. 48, et Andrea Jacobs, « Les examens, la professionnalisation et les enseignantes. Les établissements féminins du secondaire en Angleterre, 1850-1900 », Histoire de l’éducation, 98, 2003, p. 87-108.

135 Bellaigue, « The Development of Teaching »…, p. 970 ; pour l’influence des expériences éducatives étrangères parmi les pédagogues unitariennes, voir Ruth Watts, Gender, Power and the Unitarians in England 1760-1860, Londres, Longman, 1998, p. 124.

136 Mémorial des enfants de Marie…, p. 32, 61.

137 Adakm, Le Roman…, p. 371.

Table des illustrations

Titre Carte I : Les pensionnats féminins (1864)4
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Titre Carte II : Les pensionnats religieux (1864)
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Titre Carte III : Les pensionnats laïcs (1864)
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Titre Tableau II : Répartition des élèves par tranches d’âge dans les pensionnats Nantes et Poitiers, années 1860
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