Les enfants de l'ombre
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- 1 Faugeron C., « Une théorie de la prison est-elle possible ? », in Faugeron C., Chauvenet A., Combe (...)
- 2 Combessie P., Sociologie de la prison, op. cit., 121 p.
- 3 Durkheim E., L’Éducation morale (1903), Paris, Puf, 1992, p. 138.
- 4 Beccaria C., Des délits et des peines (1764), Paris, Flammarion, 1979, 202 p.
- 5 Tocqueville A. de, Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l’étranger, Œuvres complètes (...)
- 6 Ancel M., La défense sociale, Paris, Que sais-je ?, PUF, 1985, 127 p.
1La peine privative de liberté, incarcération en prison, est légitimée par la sanction pénale, elle-même justifiée par la quadruple nécessité de faire expier le détenu, de le dissuader de recommencer, de le neutraliser afin de protéger la société et enfin de le réadapter pour qu’il puisse rejoindre la communauté des honnêtes gens. En France, la prison semble pouvoir répondre à tous ces objectifs traditionnels de la sanction explicités par Claude Faugeron1 et repris par Philippe Combessie dans Sociologie de la prison2. Pour satisfaire à l’expiation, la prison doit faire souffrir la personne fautive à hauteur de la gravité de son acte, traiter le mal par le mal. Cette conception, est un héritage religieux comme le souligne Durkheim3. Ainsi, le temps d’enfermement et les conditions de détention sont modulables et susceptibles de s’adapter à l’importance du délit ou du crime commis par l’inculpé. Dans cette perspective, la « prison coup d’arrêt » n’a guère sa place, puisque les courtes peines sont trop brèves pour permettre une expiation totale et définitive ainsi que le repentir sincère du délinquant. La dissuasion, à l’inverse, est tournée vers l’avenir et revêt un caractère de prévention. Théorisées par Beccaria4, l’intimidation et la peur du châtiment font appel au raisonnement de tous les individus qui composent une société et qui, en l’occurrence, évitent de transgresser la loi. Ce sont là des justifications anciennes, valables pour toutes les punitions infligées aux contrevenants de toutes natures, mais d’autres sont contemporaines à l’avènement de la prison pénale au cours du xixe siècle. Il en est ainsi de la neutralisation qui concerne, non plus l’ensemble des citoyens, mais ceux d’entre eux qui ont déjà commis une faute. Théorisée et répandue par Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont5, judiciairement concrétisée par la circulaire de Duchâtel en 1841, il s’agit d’empêcher les délinquants de commettre une nouvelle faute et donc de protéger l’ensemble de la communauté libre. Toutefois, si la prison est susceptible de remplir cette fonction par la simple prévention des évasions, elle ne la remplie plus au sein de la détention où l’individu peut commettre de nouvelles infractions sur les objets matériels comme sur les personnes, sur les surveillants, sur ses codétenus ou sur lui-même. Ce principe, prend le nom de « défense sociale » au début du xxe siècle et se base nettement sur le degré de dangerosité de l’individu qu’il faut isoler momentanément ou plus longuement de ses contemporains jusqu’à ce qu’il ne soit plus un danger pour la société6. La dernière des justifications à la sanction, la réadaptation, est la plus complexe et également celle qui prévaut généralement pour les mineurs. Au regard de l’enfance coupable, les théoriciens parlent plus volontiers de rééducation mais l’idée est semblable. Il s’agit d’amener le jeune détenu à la rédemption et donc de l’aider à s’amender afin de s’améliorer avant de réintégrer la société avec un risque minimum de récidive. Prédominantes tout au long du xxe siècle, parce que jugées plus digne d’un pays démocratique, la courte peine comme la longue y trouvent leur raison d’être. Du principe du « coup d’arrêt » à celui d’un objectif de traitement du coupable par la formation et l’apprentissage des règles de vie de tout citoyen modèle (horaires réguliers, habitudes de travail productif, hygiène personnelle…) s’y inscrivent parfaitement. L’administration pénitentiaire affiche régulièrement, et particulièrement envers les plus jeunes, cette volonté d’inculquer, à l’occasion de l’enfermement pénal, de saines habitudes, une formation et des compétences qui feront prendre à l’individu une meilleure place dans la société au moment de sa libération. Ces intentions, louables en apparence, sont pourtant en décalage avec la réalité.
- 7 Perrot M., « Préface : La prison, encore, et toujours ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. (...)
2L’enfermement maintient enfants et adolescents, plus encore que les adultes, dans une exclusion sociale souvent déjà amorcée dans la vie libre ou au cours d’expériences de justice antérieures. Finalement, la seule reconnaissance que confère la prison à ceux qui l’ont connue est celle de l’ancrage dans la délinquance qui permet l’intégration dans une communauté : celle, marginale, des hors-la-loi. Toutefois, c’est bien le but éducatif de réinsertion promu depuis le xixe siècle par les philanthropes, qui conduit aux plus nombreux essais de changements des conditions de détentions. Afin que la prison puisse assurer sa fonction de reclassement social, les détenus doivent être isolés les uns des autres dans des cellules salubres, occupés à un travail dans le cadre d’un emploi du temps bien réglé. Autrement dit, il s’agit de traiter le détenu pour le guérir en tenant compte de son individualité. Les justifications de la sanction pénale traversent les deux derniers siècles, se succèdent et parfois se croisent, sont influencées par le contexte politique et chaque fois débouchent sur de nouvelles conceptions de ce que doit être l’enfermement. La prison, dans sa forme architecturale et ses méthodes de redressement et/ou de coercition, doit normalement en être affectée : « Depuis la Révolution française, tout changement politique majeur implique une réforme carcérale au moins dans les principes7. » Les changements d’envergure sont rarement directement visibles ou, lorsqu’il y en a, ce sont les recherches historiques qui permettent de les repérer davantage qu’une réelle révolution interne de « l’institution prison ».
- 8 Dupont-Bouchat M.-S., Petit J.-G. (dir.), Enfants corrigés, enfants protégés. Genèse de la protect (...)
- 9 Bourquin J., « L’intervention auprès des mineurs de justice au regard de l’histoire », op. cit. Ba (...)
- 10 Bourquin J., « La difficile émergence de la notion d’éducabilité du mineur délinquant », trames, n (...)
3Les justifications de la sanction et leurs applications au sein des établissements pénitentiaires sont essentiellement issues d’un raisonnement exercé sur des individus adultes et la question des établissements pour jeunes détenus est « une question annexe aux débats sur les prisons d’adultes8 ».Tant bien que mal, l’évolution des théories pénales et des mentalités s’applique aux enfants de justice. Cependant, les penseurs et les législateurs ont bien conscience d’un particularisme de cette population aussi imprègnent-ils la justice pénale des mineurs de quelques singularités. Depuis deux siècles, l’histoire du droit des mineurs est partagée entre les exigences de l’éducatif (ou du social) et celle du maintien de l’ordre et de la punition9. La mise en œuvre des politiques de traitement de la déviance juvénile renvoie à la vision du mineur de justice. Ce dernier est socialement perçu à la fois comme une victime à protéger et comme un élément des classes dangereuses dont il faut se protéger. Le dosage entre les deux conceptions varie au gré des circonstances : en fonction de la perception de l’enfant et de l’adolescent, de l’appréhension de la gravité de la délinquance des jeunes et des théories étiologiques sur la marginalité10. La prison occupe, dans « l’invention » de la délinquance juvénile et dans la création d’un secteur professionnel spécialisé dans son traitement, une place singulière. C’est notamment en se penchant sur le sort des enfants détenus que les philanthropes de la Restauration et de la monarchie de Juillet prennent conscience de la spécificité de la criminalité infanto-juvénile. Ils cherchent alors soit à sortir les mineurs des maisons d’arrêt et des centrales, soit à créer des prisons pour enfants afin d’obvier aux inconvénients de l’incarcération « classique ». Depuis le xixe siècle, le discours sur l’enfermement pénal des mineurs prescrit donc que le régime de détention de ces derniers doit être différent de celui des adultes. La fonction de la prison pour les enfants et les adolescents doit être avant tout éducative et, sous ce prétexte, ils servent souvent de cobayes dans l’expérimentation de nouvelles formes d’incarcération ou de nouveaux concepts pénitentiaires. Patricia O’Brien estime qu’étudier les comportements de la justice vis-à-vis des enfants permet, mieux que d’autres recherches, de comprendre cette histoire de la rééducation :
- 11 O’Brien P., op. cit., p. 122.
« L’attitude de l’institution face aux enfants et aux adolescents est probablement ce qui révèle le mieux la signification du concept de réhabilitation dans le système moderne. Les enfants qui étaient les moins corrompus par la société étaient, après tout, potentiellement ceux que l’institution pouvait ramener le plus facilement dans le droit chemin11. »
- 12 Perrot M., « Introduction : Tocqueville méconnu », in Tocqueville A. de, op. cit., p. 35.
- 13 Tocqueville A. de, Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l’étranger, Œuvres complètes (...)
- 14 Dupont-Bouchat M.-S., Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 62-67.
- 15 Barbaroux M.-N., Broussard J., Hamoniaux M., op. cit., p. 2-41.
- 16 Farcy J.-C., Guide des archives judiciaires et pénitentiaires, 1800-1958, enquête, université de P (...)
4De fait, pour cette population pénale particulière, le principe de la sanction-réadaptation est largement prédominant dans la maison de correction comme dans la prison « ordinaire ». Les théoriciens les plus conservateurs ne font pas exception. Tocqueville et Beaumont réaffirment les mêmes principes. Alexis de Tocqueville ne croit guère à des possibilités d’amendement pour l’adulte et estime que la prison ne doit alors servir qu’à protéger la société et ne recèle, il en est de plus en plus persuadé, aucune valeur éducative. Il en est autrement du mineur. Pour lui, c’est la « seule frange récupérable possible12 » et, de fait, la maison de correction « lui servira moins de prison que de collège13 ». C’est souvent dans l’intérêt de l’enfant, plus qu’au nom de la protection sociale, qu’il est placé dans une institution susceptible de lui offrir une éducation que ses parents immoraux ne sont pas en mesure de lui prodiguer. D’après les multiples créations de prisons spéciales mineurs et les multiples textes de lois qui définissent des conditions de détention spécifiques à leur catégorie pénale, ce principe est régulièrement réaffirmé malgré une succession d’échecs patents. De fait, depuis le xixe siècle, les observateurs constatent que la prison n’assure guère sa fonction de rééducation des enfants et des adolescents, ils en cherchent les causes et une fois ces dernières repérées, ils établissent des solutions qui se concrétisent par de nouvelles institutions. Tout commence avec les codes pénaux de 1791 et de 1810 qui soulignent les dangers de la promiscuité des enfants et des adultes dans les prisons françaises. Puisque cette promiscuité est nuisible, il s’agit d’y remédier. Les premiers quartiers spéciaux concédés aux mineurs au sein des maisons centrales et des maisons d’arrêt font alors leur apparition14. La maison d’éducation corrective de la Petite-Roquette, rapidement baptisée prison pour enfants, ne tarde pas non plus à être réservée uniquement à cette population15. Ces deux types de prisons, quartier et bâtiment spécifiques, accueillent les premiers jeunes détenus qui ne sont pas incarcérés en commun avec des adultes. La prison doit alors pouvoir, dans ces conditions, remplir son rôle d’éducation et éviter la contamination des vices. Pour autant, l’ensemble des mineurs de justice n’est pas absorbé par ces structures et ils sont encore majoritaires à partager les dortoirs de leurs aînés dans les prisons départementales. De plus, bien qu’effective, cette stricte séparation ne suffit guère au relèvement moral des mineurs. Si elle doit être étendue, elle n’en est pas moins insuffisante seule. Aussi, la loi de 1850 réaffirme le déplorable effet des prisons sur les jeunes gens et jeunes filles mêlés à leurs aînés et crée les colonies pénitentiaires d’État sans pour autant abandonner les autres institutions déjà opérationnelles. Elle en invente même de nouvelles : les premiers quartiers correctionnels pour les indisciplinés des « maisons de correction » sont établis16 afin de mettre fin à l’influence de ces mauvais éléments sur leurs camarades non discernants ou condamnés. L’ensemble de ces dispositions doit permettre que les mineurs soient très rarement incarcérés en prison avec les adultes, au moins cela est-il susceptible de se produire uniquement en cas de détention préventive de courte durée. La pratique est bien loin de confirmer cet usage restreint de la prison « ordinaire » pour les plus jeunes. De plus, il est notable que l’un des premiers essais d’isolement des enfants réside, non dans une volonté d’adoucissement de la peine, mais bien dans un objectif prédominant de répression pour ceux que les maisons d’éducation ne parviennent ni à rééduquer ni à entraîner sur le chemin de l’amendement. Cette velléité disciplinaire passe par l’isolement des enfants entre eux. En effet, après la dénonciation de la promiscuité mineurs/majeurs le second effet criminogène attribué à l’incarcération est celui de la contamination des mauvais instants entre les jeunes détenus.
- 17 Artières P., Lascoume P., salle G., « Introduction. Gouverner et enfermer. La prison, un modèle in (...)
- 18 Entre autres sous la forme de « l’atonie paresseuse » pour reprendre une expression de l’époque.
- 19 Perrot M., « Les enfants de la Petite-Roquette », L’Histoire, n° 100, mai 1987, p. 30-38.
- 20 Carlier C., Histoire de Fresnes, prison « moderne », De la genèse aux premières années, Paris, Syr (...)
- 21 Meurillon R., op. cit., p. 22.
- 22 Mazerol M.-T., « Les effets psychologiques de la détention », Annales de Vaucresson, 1981, p. 173- (...)
5Afin que la prison soit le lieu d’apprentissage de la vertu qu’elle est censée être, et non pas l’« école du crime » qu’elle est devenue17, il suffit d’isoler chaque enfant de ses camarades. La Petite-Roquette répond parfaitement à cet objectif en expérimentant le régime cellulaire qui favorise la réflexion sur soi et le repentir. La loi du silence, l’isolement total au cours de toutes les activités quotidiennes et le travail individuel en cellule n’ont pourtant pas les effets escomptés. La récidive, la mortalité et la folie18 sont les symptômes les plus courants développés, dans des proportions importantes, par les pensionnaires de la prison pour enfants19. L’échec des quartiers pour mineurs près des maisons d’arrêt, quartiers « simples » et quartiers correctionnels, et de la Petite-Roquette n’entraîne pas pour autant l’abandon de ces expériences. Néanmoins, les inconvénients de ces méthodes d’incarcération sont pris en considération, ouvrent sur de nouvelles perspectives et débouchent sur des dispositions innovantes destinées aux mineurs de justice. Le clivage adultes/enfants constitue toujours une priorité pour l’administration pénitentiaire, une condition essentielle pour un enfermement éducatif, et les quartiers pour mineurs près des maisons d’arrêt se multiplient lentement, du moins pour les garçons. Cependant, l’oisiveté, mère de tous les vices, y est fortement dénoncée, nouvelle bête noire des philanthropes et autres législateurs. L’inactivité des jeunes détenus doit être réduite au minimum aussi sont-ils mis au travail par priorité, quitte à ce que la tâche proposée, en plus d’être mal rémunérée, soit totalement abêtissante. Cette recommandation est insuffisante. En effet, dans les prisons départementales le chômage endémique freine la volonté institutionnelle. Par conséquent, la lecture, qui remplit sainement la journée, est développée. Simultanément, le temps de promenade est augmenté pour les mineurs dont le développement physique nécessite un supplément d’exercice quotidien qui permet, de plus, d’occuper les intéressés au moins une heure par jour. De même, peu à peu, des emplois du temps théoriques, spécialement conçus pour les jeunes gens, se chargent d’activités diverses circonscrites dans des cadres horaires très stricts. Dans la première moitié du xxe siècle, ces derniers restent majoritairement lettre morte et l’inaction se rencontre dans presque toutes les détentions. Le temps carcéral semble immobile. À côté des effets négatifs de l’inactivité, d’autres conséquences de l’enfermement carcéral des enfants sont constatées. Si la prison ne parvient guère à remplir sa fonction de rééducation et surtout de réinsertion, c’est qu’elle marque le corps des petits détenus et il devient nécessaire d’éliminer ces stigmates. Afin de préserver le corps des conséquences de l’incarcération, il est fait appel aux progrès de la médecine, à l’accroissement des connaissances en matière de nutrition et aux nouvelles introspections autour des spécificités du corps adolescent. Diverses mesures sont prises. À la suite de la loi de 1912 qui inclut l’examen médical des jeunes délinquants, dans tous les types d’établissements qui reçoivent des enfants, les rations alimentaires sont doublées, des séances dirigées de sport sont organisées, des campagnes de vaccination prémunissent contre les épidémies, les cheveux ne sont plus coupés ras… Parallèlement, s’organisent des locaux dans lesquels l’accent est mis sur le dépistage des maladies et la prédominance de l’hygiène. Les cellules des prisons de Fresnes sont toutes équipées de toilettes indépendantes20 et, dans le même établissement modèle, une petite infirmerie autonome est créée pour les jeunes filles de l’École de préservation. Le concept de l’observation médicale est même étendu, pour la première fois, à un collège de spécialistes dont les jeunes détenus sont les premiers expérimentateurs. Dans la maison d’éducation surveillée de Fresnes, instituteurs, assistantes sociales et médecins se succèdent auprès des garçons afin de mieux cerner leur personnalité, d’établir la nature et la provenance de leurs troubles afin d’opter pour la solution éducative qui conviendra le mieux à chacun. C’est la naissance, au début des années trente, d’une initiative inédite supplémentaire, le premier centre de triage. Précurseur en ce domaine, essai original et assez élaboré pour l’époque, cette institution offre de plus des conditions de détention plus adaptées aux enfants21. Cependant, elle ne parvient guère plus que les autres structures à ses objectifs de reclassement et la maison d’éducation surveillée meurt d’elle-même à l’occasion des troubles provoqués par la Seconde Guerre mondiale. Offrir des activités scolaires et sportives aux jeunes détenus, lorsque qu’elles se déroulent dans un univers fermé, ne suffit ni à la réinsertion ni à l’élimination des conséquences de l’incarcération22. Entre-temps, le régime cellulaire de la Petite-Roquette est délaissé et la lutte institutionnelle pour la division dans les détentions des mineurs et des adultes se poursuit auprès des directeurs d’établissements. Dans l’ensemble, ces nouveautés souvent prescrites à plusieurs reprises dans divers textes de lois, sont aussi peu opérationnelles dans les prisons « ordinaires » que dans les prisons spécifiques pour mineurs, et elles sont très rarement effectives toutes à la fois. Les excuses sont nombreuses. Les bâtiments vétustes et le personnel insuffisant ne permettent pas le respect des règles d’hygiène (Petite-Roquette), la surpopulation carcérale empêche l’isolement des jeunes entre eux (quartiers pour mineurs), le manque de locaux gêne même encore parfois la séparation mineurs/adultes (petites maisons d’arrêt), l’entreprise générale ne parvient guère à fournir assez de travail pour l’ensemble des détenus, les cours trop petites ne sont pas adaptées à l’organisation de la promenade et/ou des exercices physiques quotidiens, l’écart entre la théorie et la pratique est source de déconvenue (maison d’éducation surveillée de Fresnes)… La Seconde Guerre mondiale interrompt pour quelques années les initiatives mais, dès la Libération, les expériences reprennent.
- 23 Gayraud A., op. cit. Yvorel É., « À la marge des prisons pour mineurs : les prisons-écoles », op. (...)
- 24 Yvorel É., Le Centre spécial d’observation de l’éducation surveillée de 1958 à 1979, op. cit.
- 25 Pinatel J., « Le récidivisme des mineurs délinquants », Sauvegarde de l’enfance, n° 22, juin 1948, (...)
- 26 Faugeron C., « Les prisons de la Ve République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit.
6Le nouveau directeur de l’administration pénitentiaire en 1945, fait le bilan des dysfonctionnements de cette administration et de ses institutions. Cela débouche sur une réforme qui porte son nom, Paul Amor, donnant la priorité à l’humanisation des conditions de détention et au principe de la réadaptation par le travail. L’ancien résistant détenu n’oublie pas, dans ces projets, les jeunes délinquants. Pour eux, il réaffirme une fois de plus l’importance que la prison doit accorder à la rééducation, à la formation et à la scolarisation, conditions sine qua non d’une réinsertion optimale. À l’occasion de leur incarcération, les mineurs, auxquels s’ajoutent désormais les jeunes majeurs, doivent impérativement recevoir des cours d’instruction générale et d’initiation professionnelle. Des ateliers et des classes s’ouvrent dans les maisons d’arrêt, souvent dirigés par des prisonniers adultes, faute de personnel qualifié. Parallèlement, la réadaptation par l’acquisition d’un métier, objectif premier des nouveaux législateurs, se concrétise dans le projet des prisons-écoles, institutions pour les condamnés de 18-21 ans tournées presque exclusivement autour de la formation professionnelle23. À défaut de quartiers spéciaux dans les maisons d’arrêt et par manque de place dans les établissements spécifiques, des mineurs pénaux condamnés intègrent ces établissements alors qu’ils ne sont pas conçus pour la catégorie pénale à laquelle ils appartiennent. Malgré un isolement plus systématique, des améliorations matérielles manifestes et un emploi du temps quelque peu plus chargé pour les adolescents détenus, l’acquisition d’une culture carcérale, la récidive et quelques stigmates physiques sont toujours constatés chez les anciens de l’administration pénitentiaire. De fait, l’incarcération en prison des moins de 18 ans connaît ses premiers détracteurs convaincus et les alternatives à la détention se multiplient, des grands internats d’éducation surveillée au milieu ouvert. Pourtant l’emprisonnement préventif et définitif des jeunes n’est pas abandonné, et d’aucuns croient encore à des améliorations possibles en ce domaine. La faute de l’échec de la prison éducative est, à la fin des années cinquante, imputée à la fois à la mauvaise connaissance des personnalités individuelles de chacun des détenus et au personnel mal formé. Les enfants délinquants doivent être mieux observés et mieux encadrés. Les surveillants sont peu à peu initiés à l’enseignement du sport, à des pratiques nouvelles d’éducation, les assistantes sociales et les psychologues pénètrent dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt. Le modèle type de ces nouvelles conceptions d’incarcération des mineurs émane de l’éducation surveillée qui, dans les maisons d’arrêt de Marseille, de Lyon et de Paris ouvre des centres d’observation, sur un modèle modernisé mais similaire à l’ancienne maison d’éducation surveillée de Fresnes. Les jeunes gens y sont observés au travers de multiples activités éducatives, formatrices, instructives et récréatives par des acteurs issus de divers milieux professionnels extérieurs à l’administration pénitentiaire, des éducateurs de Vaucresson aux psychologues indépendants en passant par les assistantes sociales nouvellement instituées. Pourtant, à l’image du Centre spécial d’observation de l’éducation surveillée de Fresnes24, l’expérience apporte visiblement le même désenchantement que les essais précédents. La création du quartier spécial de Fresnes est une tentative (échouée) supplémentaire pour créer une prison sans les inconvénients de la prison. Il observe peu et n’éduque guère, si ce n’est par l’apprentissage d’habitudes et de pratiques, toutes pénitentiaires, que les jeunes ne manquent pas de contracter. La présence d’un personnel éducatif ne parvient guère à remédier à ses inconvénients et l’expérience est finalement abandonnée en 1979. Les dirigeants de l’éducation surveillée entendent, avec le CSOES, enfermer pour redresser comme les philanthropes de la monarchie de Juillet avant eux avec la Petite-Roquette. Le CSOES obtient peu ou prou les mêmes résultats décevants que la prison pour enfants et que les quartiers pour mineurs de maisons d’arrêt classiques : récidive25 et/ou marginalisation entérinée. Pourtant, le régime carcéral est relativement privilégié au CSOES. En effet, depuis plusieurs années déjà les conditions de détention s’améliorent dans les prisons françaises et les efforts sont tournés en particulier vers les plus jeunes. Des progrès lents, mais croissants, de la vie quotidienne en détention s’opèrent depuis plusieurs dizaines d’années. Dans les quartiers des mineurs en particulier, l’alimentation, la dimension de la cellule, les équipements sanitaires, la qualité de la literie, bref les exigences envers le confort matériel se rapprochent de celles des logements des citoyens libres. De plus, les acteurs sociaux se relaient davantage auprès des jeunes, des activités de loisirs s’ajoutent à celles de scolarisation et de préformation et des libertés dans les choix vestimentaires, capillaires et cosmétiques sont concédées aux adolescents et adolescentes. Pourtant, l’ensemble de ces dispositions n’est pas applicable partout (faute de place ou de personnel) et nombre de jeunes détenus ne bénéficient toujours pas des améliorations que permet l’évolution des mœurs pénitentiaires. L’échec de la prison comme lieu d’éducation est imputé à ce phénomène. L’administration pénitentiaire prend la décision, au milieu des années soixante de construire un établissement qui regroupera tous les progrès matériels et d’encadrement susceptibles d’apporter des bases solides de réinsertion aux mineurs. Le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, prévu pour les jeunes majeurs, accueille finalement la grande majorité des mineurs, prévenus et condamnés, de la région parisienne. De ce point de vue, il est peut-être le successeur le plus direct de l’ancienne prison pour enfants de la Petite-Roquette. Et tout comme pour elle, force est de constater que, même dans une prison spécialement conçue pour les jeunes détenus, la séparation entre prévenus et condamnés ainsi qu’entre mineurs et jeunes adultes n’est pas systématiquement respectée. Le code de procédure pénale est consciemment ignoré. Cette pratique est intensifiée à Fleury-Mérogis quand, à la fin des années 1990, une solution à l’extrême violence qui règne au CJD est trouvée : les adolescents sont désormais encadrés par des détenus adultes. Le CJD de Fleury-Mérogis, moderne et spacieux, n’est pas adapté à la population qui y est incarcérée. Dès ses premières années de fonctionnement, il apparaît comme l’exemple à ne pas renouveler, incapable de rééduquer et de réinsérer. Il n’est pas pour autant délaissé, à peine réformé. Cet établissement (trop) moderne et surtout trop grand est davantage propre à achever une désocialisation des jeunes, plus qu’à leur offrir des points de repères solides avant leur remise en liberté26. C’est un nouvel échec de cette utopie persistante de vouloir créer des prisons sans les inconvénients de la prison quand il s’agit de l’incarcération des mineurs. Et pourtant, comme les autres établissements carcéraux, il est largement utilisé.
- 27 Yvorel É., « À la marge des prisons pour mineurs : les prisons-écoles » op. cit.
- 28 Combessie P., Sociologie de la prison, Paris, La Découverte, Repère, 2001, 121 p.
7Les solutions qui sont adoptées pour les moins de 18 ans, sciemment mêlés à des adultes dans les prisons-écoles, encadrés par l’éducation surveillée plutôt que par l’administration pénitentiaire dans les Centres d’observation ou entassés dans les locaux exigus des maisons d’arrêt paraissent souvent être prises « faute de mieux », parce qu’elles semblent être un pis aller. Ces placements sont toujours en contradiction avec le règlement interne de l’établissement et plus encore avec un ou plusieurs articles de loi, lorsque ce n’est pas directement avec les codes d’instruction criminelle et de procédure pénale. Dans de telles conditions de détentions, la rééducation reste lettre morte. De 1875 à 1979, la politique interne des prisons départementales dépend presque exclusivement du directeur de l’établissement qui gère la population détenue comme il le veut et comme il le peut, suivant plus ou moins les usages préconisés par les décrets et circulaires successifs. Certains cherchent effectivement à aménager un quartier pour les plus jeunes, avec les moyens à leurs dispositions ou à force de demandes de crédits. Même lorsque les établissements commencent à fonctionner essentiellement en mode cellulaire, toutes les séparations promulguées par les principes pénitentiaires ont une application des plus douteuses. En fait, la séparation des mineurs d’avec les adultes et des mineurs entre eux est totalement aléatoire : elle se fait au coup par coup, entièrement en dehors des codes d’instruction criminelle et de procédure pénale, selon l’importance de l’effectif, la disposition des locaux de chaque maison d’arrêt et le sexe des enfants. Quand l’isolement est effectif, il ne permet pas pour autant la rééducation, l’amendement ou la formation scolaire et professionnelle, pas davantage hier qu’aujourd’hui malgré quelques améliorations dans les conditions de détention au sein de ces quartiers. L’organisation d’activités qui permettent de remplacer l’oisiveté, source de vice, est tout aussi aléatoire que l’isolement. Elle dépend des crédits, de l’activité de l’entreprise générale puis, ultérieurement, de la motivation et de l’implication personnelle du personnel pénitentiaire, du surveillant au directeur. Sous prétexte d’une réadaptation qui passe par l’enseignement, certains articles du code d’instruction criminelle et du code de procédure pénale sont même sciemment bafoués et des prisonniers adultes sont chargés des groupes de mineurs détenus. Là encore la rééducation au sein de ces quartiers est un échec et pourtant ils fonctionnent encore de nos jours. Pour pallier ces inconvénients, des institutions spécifiques pour mineurs sont créées, chacune devant mettre un terme au dysfonctionnement carcéral mais leurs projets de rééducation ne rencontrent jamais le succès escompté. Un bémol peut être probablement concédé aux prisons-écoles. Aux vues des sources disponibles, Oermingen et Loos semblent ne pas voir été un échec total du point de vue de l’apprentissage d’un métier par certains jeunes détenus et donc, par extension, certainement pas non plus du point de vue de la réinsertion27. Or, ces institutions ont disparu, le projet a été absorbé par celui, plus vaste et toujours opérationnel, des divers centres de jeunes détenus. Devant l’incapacité de toutes les institutions carcérales, particulièrement celles réservées aux plus jeunes, à aider les prisonniers à s’amender et à se réinsérer dans le monde libre, l’abandon des prisons-écoles, réussite au moins partielle, ne peut que surprendre. La question du pourquoi de cette fin d’un système qui fonctionne est alors soulevée. Une enquête complémentaire à celle menée serait nécessaire. Pourtant, deux hypothèses peuvent être suggérées. Soit les sources et les archives disponibles oblitèrent totalement une faillite complète dans les objectifs qui amènent, à la Libération, à la création de telles institutions. Dans ce cas, rien de surprenant à l’abandon de l’expérience. Soit, et cela est certainement le plus probable, le but avoué d’une réinsertion des détenus n’est pas le but réel prêté à la prison. Comment expliquer sinon cette vaine recherche perpétuelle de création d’une prison sans les inconvénients de la prison pour les jeunes gens ? Les histoires, étrangement semblables, de la naissance à la fin (quand fin il y a), des diverses prisons pour mineurs mènent invariablement au même constat : quels que soient les essais entrepris pour créer une prison sans les inconvénients de la prison pour les enfants, le résultat est systématiquement négatif. La structure semble l’emporter sur les discours28 : les travers de l’incarcération dénoncés pour les adultes se retrouvent autant auprès de la population pénale des mineurs, avec parfois des conséquences plus dramatiques encore parce que l’enfant est plus fragile que l’adulte. Il semble bien établi qu’une institution totale restera toujours une institution totale malgré les aménagements les plus modernes qu’on y apporte. Les détracteurs de la prison pour les mineurs font progressivement leurs ces arguments.
- 29 Darmon J.-J., « Sous la Restauration, des juges “sondent la plaie si vive des prisons” », in Perro (...)
8Les philanthropes de la monarchie de Juillet ont mis en évidence le caractère criminogène de la prison29 mais, depuis, la remise en cause de l’enfermement carcéral des mineurs est circonscrite à quelques observateurs éclairés ou militants tels les journalistes de L’Assiette au Beurre :
- 30 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
« Un grand nombre de prisonniers de la Petite-Roquette sont des récidivistes, et cela par fatalité même des circonstances. Le régime de la prison, la mentalité des gardiens, le voisinage des codétenus constituent un milieu qui se trouve précisément l’inverse de celui qui leur serait nécessaire pour en faire des êtres sains de corps et d’esprit30. »
- 31 Chazal J., « Mesures de rééducation et peines devant les tribunaux pour enfants », Revue de Scienc (...)
9Progressivement, les dénonciations se multiplient. Cependant, les efforts d’amélioration touchent généralement d’avantage les conditions de détention ou le régime éducatif inexistant dans les prisons « ordinaires » qu’une réelle remise en question de l’incarcération en tant que telle. C’est ainsi que le juge Jean Chazal, en 1953 encore, affirme que si « les condamnations pénales [des mineurs] doivent toujours rester exceptionnelles31 », elles sont parfois nécessaires, et elles doivent alors s’effectuer uniquement dans les prisons-écoles :
- 32 Ibid.
« N’est-il pas des cas où les circonstances particulièrement audacieuses ou odieuses d’un acte anti-social doivent inciter le Juge à marquer sa décision d’un caractère exemplaire, et, en conséquence, à prononcer une rigoureuse condamnation pénale ?
Je pense que l’on doit donner une réponse affirmative à cette question […].
Il importe toutefois que le souci de la rééducation du jeune « condamné » ne s’efface pas. C’est pourquoi les peines privatives de liberté appliquées à des mineurs doivent être exécutées dans des prisons-écoles32. »
- 33 Loi du 27 juillet 1942 relative à l’enfance délinquante sur les tribunaux pour enfants, les centre (...)
- 34 Alagan A., « Une étude sur les bandes de jeunes délinquants », rééducation, n° 155-156, août-sept. (...)
- 35 Par exemple, Verin J., « Faut-il encore des “Maisons d’arrêt et de correction” ? », Revue de Scien (...)
- 36 Cette critique n’est pas nouvelle, cf. notamment la thèse de Joubrel F., L’enfance coupable, Saint (...)
- 37 Il y a bien sûr des exceptions, des spécialistes de l’enfance comme Henri Wallon ou Fernand Delign (...)
10Au mieux, quelques tentatives pour limiter l’usage de la détention des mineurs surgissent çà et là, mais elles sont rarement suivies d’effets. La loi de 1942 qui prescrit que « tous les mineurs de dix-huit ans reconnus auteurs ou complices d’un délit ne sont, en principe, l’objet que d’une mesure de protection et de redressement33 » est le point culminant des tentatives législatives avortées pour la première moitié du xxe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, outre les nouvelles prisons et quartiers spécifiques pour mineurs, les principes éducatifs de l’ordonnance de 1945 sont eux-mêmes rapidement escamotés. La courbe des jeunes condamnés détenus en maisons d’arrêt l’illustre avec sa lente progression incessante dès 1958, tout comme celle des jeunes prévenus qui n’interrompt son essor qu’en 1967. Afin d’être en conformité avec l’esprit de l’ordonnance sur l’enfance délinquante, les partisans de l’emprisonnement trouvent alors une justification éducative à cette peine largement usitée. Cette légitimation de l’enfermement inclut aussi bien la nécessité de protection de la société, la garantie de la présentation de l’adolescent à l’audience qu’une sanction salvatrice pour le mineur contraint de réfléchir à sa faute. Mais, au milieu des années soixante, le débat sur l’incarcération des moins de 18 ans évolue. Les éducateurs et autres spécialistes de l’enfance inadaptée apportent de nouveaux arguments, inédits, contre la détention des mineurs. Si de nombreuses études ont été menées, dans les années soixante, sur les transformations législatives et sur les nouvelles formes de délinquance34, celles sur l’incarcération des mineurs sont rares. Quant aux critiques de l’enfermement, aussi acerbes soient-elles, elles portent presque exclusivement sur les conditions matérielles en prison35, notamment sur la brutalité, l’absence de qualification et d’intérêt du personnel de surveillance36. Les dénonciations de la détention des mineurs en elle-même semblent rarissimes avant 196637. C’est à cette date qu’est votée une motion au congrès du Syndicat national des personnels de l’éducation surveillée (SNPES), organisation professionnelle ultra-majoritaire parmi les éducateurs de l’éducation surveillée :
- 38 Archives du SNPES, « Contre les abus de la détention préventive des mineurs », bulletin du SNPES, (...)
« Le congrès s’inquiète du nombre croissant de mineurs placés sous mandat de dépôt et des conditions matérielles et éducatives de la détention. Il juge inadmissible qu’à Fresnes, un quart de ces derniers soient des délinquants primaires38. »
- 39 Ibid.
- 40 Gazeau J.-F., Peyre V., « Vingt-cinq ans d’incarcération des mineurs en France », Droit de l’enfan (...)
- 41 Archives du SNPES, « Contre les abus de la détention préventive des mineurs », op. cit.
11Dès lors, le SNPES ne cessera de lutter contre l’incarcération des mineurs, bientôt rejoint en ce sens par une partie des magistrats de la jeunesse et, dans une certaine mesure, par quelques décideurs. Cette contestation s’appuie sur une nouvelle lecture des effets de la prison. Ébauché en 196639 par le SNPES, le discours anti-carcéral est stimulé par Mai 68 ; les analyses des conséquences de l’incarcération sur le moral et sur le psychisme des jeunes que l’on enferme se multiplient, même si « la conviction partagée que l’enfermement des adolescents est socialement néfaste et constitue un non-sens éducatif ne suffit pas à rompre un enchaînement dont tous les acteurs sont, sans jeu de mot, prisonniers40 ». L’examen, même substantiel, de l’avis des spécialistes de la rééducation, des chercheurs et des jeunes détenus sur les dangers de l’enfermement, apporte quelques éclairages. En premier lieu, les éducateurs, avec le soutien du syndicat majoritaire, soulignent l’impossibilité d’exercer correctement une action éducative dans un milieu fermé. C’est le facteur déclenchant du débat. Après le premier avertissement en 196641, le SNPES dénonce, de congrès en congrès, la détention des mineurs. Ne sont oubliés ni les conditions de travail de ses syndiqués, ni les résultats de cette mesure sur leurs « pupilles », le passage d’une critique des conditions à une critique du principe est directement lisible :
- 42 Ibid., p. 11.
- 43 Archives du SNPES, « Extrait de la motion du Congrès de 1970 », p. 11.
1968 : « [le Congrès] s’élève contre les conditions matérielles et morales de cette détention : promiscuité, durée du séjour, non isolement de nuit, et rappel que ces conditions sont autant de facteurs de récidives42. »
1970 : « [le Congrès] constate qu’il n’est pas possible d’exercer une action éducative dans un cadre répressif [et] condamne, d’autre part, une nouvelle fois, toute incarcération à titre préventif43. »
- 44 Ibid.
- 45 Ernst G., La détention provisoire des mineurs. Alors il ne restera plus qu’à remplacer les verrous (...)
12La motion de 1970 se conclut en ces termes : « La dégradation physique et morale des mineurs est inéluctable. C’est la négation du travail de l’éducateur44 ! » En 1974, Georges Ernst, rédige une brochure qui synthétise la position officielle du syndicat, il y rappelle que « la détention provisoire des mineurs est inutile ; que le support légal de sa mise en œuvre est contestable et qu’elle est inhumaine45 ». Rétroactivement, Roger Vibert-Vichet, ancien directeur d’un centre fermé, remarque :
- 46 Vibert-Vichet R., « Éloignement, enfermement, Coulommiers, Épernay. Récit d’antan », Pour l’histoi (...)
« Il fallait [les jeunes qui troublaient la quiétude des banlieues] les éloigner et les enfermer.
En théorie pour mieux les observer et trouver un traitement efficace de leurs difficultés. Cet habillage hypocrite pouvait convaincre des professionnels naïfs ou opportunistes et quelques bonnes âmes mais n’empêchait pas la stigmatisation précoce par un séjour carcéral46. »
- 47 « L’incarcération des mineurs doit être exceptionnelle, déclarent les syndicats des personnels de (...)
13La presse elle-même suit de près les discussions contradictoires, et accuse bientôt, à son tour, les conditions de détention en prenant le parti de soutenir les éducateurs… et les jeunes. Le monde titre : « L’incarcération des mineurs doit être exceptionnelle déclare le syndicat des personnels de l’éducation surveillée47. » Quelques jours plus tard, France-Soir dénonce :
- 48 Bernard S., « À la prison de Fresnes, les mères font la course pour voir leur enfant 5 secondes de (...)
« Une prison pourrissoir […]. Un cri d’alarme vient d’être lancé par le personnel de l’éducation surveillée. Celui-ci estime nécessaire de revoir tout le problème de la détention des mineurs, la prison étant pour eux souvent pire que le mal48. »
- 49 « “Le quartier des mineurs de Fresnes : un pourrissoir.” 119 détenus pour 64 places », Le figaro, (...)
14Le figaro, quant à lui, s’appuie sur ces chiffres destinés à sensibiliser l’opinion publique : « Si la délinquance a triplé en vingt ans, le nombre de mandats de dépôt a décuplé49. » De nombreux cliniciens s’accordent également pour accuser les effets pervers des divers pénitenciers. Lorsqu’il s’agit de voir quels effets la prison a sur la personnalité des jeunes délinquants, deux idées s’opposent continuellement : le concept de la prison « coup d’arrêt » où l’incarcération apparaît comme susceptible d’effrayer l’adolescent et ainsi de mettre fin à ses déviations :
- 50 Lutz P., Perrin, « Autorité et liberté dans l’histoire de la rééducation », Sauvegarde de l’enfanc (...)
« L’emprisonnement court s’inscrit le plus souvent dans le cadre d’une détention préventive. Quelques jours d’un régime sévère, comportant l’isolement et l’absence de tout contact avec d’autres détenus adultes ou mineurs, peuvent dans certains cas avoir un effet salutaire50. »
15Le second concept vise à montrer que l’incarcération est déstructurante, voire destructrice, pour les jeunes esprits et amène donc les mineurs à l’endurcissement et à la récidive. Les docteurs Vullien et Guilbert sont parmi les premiers, dès 1946, à mettre en valeur le caractère chronique des lésions psychologiques que l’enfermement imprime dans le mental des jeunes détenus :
- 51 Vullien, Guilbert, « Les mineurs dans les prisons », revue de l’éducation surveillée, n° 5, nov.-d (...)
« Le séjour en prison a parfois une action véritablement lésionnelle pour le système nerveux des sujets jeunes. Les psychoses carcérales des adultes ont généralement un caractère aigu, passager : ce sont des syndromes de confusion mentale ou de dépression mélancolique appelés à régresser, à guérir complètement grâce à un simple changement de milieu. Chez le mineur, au contraire, les troubles revêtent un caractère chronique51. »
16Ces chercheurs reconnaissent pourtant encore que la prison peut être bénéfique pour certains mineurs difficiles. Cette notion persistante disparaît finalement après plusieurs années de recherches. Des études de nombreux praticiens les rejoignent toutefois dans la reconnaissance des effets pervers de la prison sur la majorité des adolescents qui en font l’expérience. Le caractère inéluctable et indélébile des séquelles dues à l’incarcération est au cœur des débats dont le docteur Charles Poulain, médecin chef des prisons de Marseille, se fait l’écho en 1973 :
- 52 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Journées régionales de criminologie des 9 et 10 février 1973 (...)
« La réaction de l’incarcération sur le jeune n’est pas toujours celle qu’on est en droit d’attendre, car la prison n’a pas toujours cet effet d’intimidation qu’elle est censée donner.
Si certains jeunes se montrent traumatisés et présentent des dépressions carcérales allant jusqu’à l’autodestruction, par contre, d’autres, l’orgueil juvénile aidant, se refusent à trahir une émotion devant la privation de liberté.
On assiste alors à l’éclatement de réactions de vanité qui, vis-à-vis de la bande ou de quelques camarades habituels, permettront d’obtenir un visa ou une sorte de brevet de valeur antisocial. Cette intimidation devrait avoir une efficacité si les garçons étaient réellement seuls mais dès qu’ils sont placés dans des conditions de formation de groupe on voit alors apparaître ces réactions de prestance52. »
17Le médecin est conforté dans son analyse par plusieurs de ses collègues dont Marie-Thérèse Mazerol, psycho-clinicienne chercheuse au centre de Vaucresson :
- 53 Mazerol M.-T., « Les effets psychologiques de la détention », Annales de Vaucresson, p. 174.
« […] rarement, quelquefois néanmoins, et sous diverses conditions, ces effets [les effets psychologiques] en viennent à être bénéfiques […]. Fréquemment, au contraire, ces effets sont rien moins que désastreux. Là, les exemples sont légions53. »
18Les agents chargés de la prise en charge des adolescents inadaptés, ceux qui partagent leur quotidien en maison d’arrêt et autres lieux spécifiques à leur incarcération ne sont pas seuls à reconnaître le non-sens que représente la détention des mineurs. Les principaux intéressés ont bien des difficultés à prêter quelques vertus à leur enfermement, qu’ils considèrent, avec une remarquable clairvoyance, comme inutile, parfois nuisible et très souvent injuste et arbitraire. L’ouvrage de Jean-Pierre Montaron, instituteur à la prison de Fleury-Mérogis en 1971-1972, par le recueil des témoignages de ses jeunes élèves, donne un bon aperçu de la vision des jeunes incarcérés sur leur situation. Ils analysent la fonction de la prison :
« La prison est faite pour faire disparaître les gens qui gênent la société par leurs idées et leurs actes. On ne cherche même pas à comprendre le pourquoi. »
19Ils cherchent les raisons de la détention provisoire :
« Comment vient-on à Fleury et pourquoi ? Pourquoi ? À cause d’un juge qui veut vous garder à sa disposition. »
20Des raisons qu’ils ne saisissent pas toujours :
« Je ne comprends pas pourquoi je suis entre quatre murs sans avoir été jugé et la justice n’a pas l’air de vouloir s’occuper de mon sort. »
- 54 Incarcéré à la suite de l’affaire Overney.
21Enfin, ils soulignent un sentiment prédominant, celui d’abandon : « Une fois à Fleury, on vous oublie ». Un jeune ouvrier maoïste54, plus politisé, analyse même l’effet criminogène de la prison :
- 55 Montaron J.-P., op. cit., p. 127.
« À mon avis les méthodes des pays capitalistes sont très mauvaises car le gars qui a volé pour manger va se retrouver dans une prison avec de vrais truands. Cette promiscuité sera très néfaste pour cet individu, qui en sortant, commettra des délits plus forts55. »
- 56 Henry M., « De la prison du “dehors” à la prison du “dedans” » in De la délinquance à la détention(...)
22Au sein de la prison, le mineur apprend la délinquance et/ou s’endurcit. À l’extérieur, une fois la peine purgée, il met à profit ses toutes nouvelles connaissances et surtout joue de sa réputation d’ancien taulard auprès des copains du quartier56. Les effets psychologiques de la prison dépendent d’un grand nombre de variables, les uns venant de la personnalité du détenu, les autres de la détention en elle-même :
- 57 Mazerol M.-T., « Incarcération et “rejet” », Rééducation, n° 220-221, avril-mai 1970, p. 27.
« En s’inscrivant dans la ligne d’un cercle vicieux préétabli, certains types de sanction, dont l’emprisonnement en tout premier lieu, ne risquent rien moins que de renforcer les troubles initiaux57. »
- 58 Régimbeau M., L’emprisonnement des mineurs, mémoire de DEA de criminologie et science pénitentiair (...)
- 59 Mazerol M.-T., « Les effets psychologiques de la détention », Annales de Vaucresson, p. 177.
- 60 Régimbeau M., op. cit, p. 82.
- 61 Mazerol M-T., « Les effets psychologiques de la détention », op. cit, p. 179.
23Au cœur de la maison d’arrêt, les relations avec le personnel et les autres détenus sont primordiales. Le prisonnier subit ses compagnons. Les gardiens souvent tyranniques et brutaux n’aident pas à la réconciliation avec le monde adulte : « L’attitude dure, fermée des surveillants vis-à-vis des jeunes, le son de leur voix ne font que renforcer leurs carences affectives58. » Les contacts avec les éducateurs, professeurs techniques et instituteurs dépendent essentiellement de la personnalité de chacun. Cependant, « si leur nombre croît [nombre d’éducateurs], ce n’est guère qu’en valeur absolue ; aussi continuent-ils à être débordés par le nombre des cas qui leur sont confiés59 ». Et un jeune de se rendre compte : « On se demande pourquoi il y a des éducateurs en prison puisqu’ils ne peuvent rien faire60. » Les rapports avec les infirmières, médecins ou psychiatres ne sont pas systématiques et « si quelques expériences psychothérapiques ont été tentées en milieu pénitentiaire, elles sont restées limitées et les bénéfices que certains prisonniers pouvaient en tirer ne se sont pas étendus61 ». S’ajoute l’influence des codétenus. C’est le problème le plus souvent dénoncé, matérialisé par une lutte relative contre la promiscuité :
- 62 Ernst G., La détention provisoire des mineurs, op. cit, n. p.
« […] les jeunes ne trouvent en prison que des modèles permanents – les copains – qui sont négatifs.
La vie de groupe en milieu carcéral favorise :
– le développement de la fabulation, de la mythomanie, de l’homosexualité
c’est le moment de la puberté ;
– le retour à la vie végétative centrée sur la station allongée avec la vie imaginative déréglée par cette oisiveté faussée ; l’engrenage de l’hospitalisme ;
– l’acquisition de mauvaises habitudes, l’abus de tabac, le langage ordurier et spécialisé ;
– la participation à la mode très carcérale du tatouage et de toutes ses implications psychosociales62. »
- 63 Bouyssic R., « Groupes clandestins dans la population pénale », op. cit, p. 774-797.
24En cellule, en atelier, en classe et dans la cour de promenade le caïdisme est le maître. La loi du plus fort règne en prison, comme ailleurs, mais les moyens d’y échapper sont inexistants. Concrètement, le caïdisme, se traduit par une homosexualité (voir une pédérastie) endémique, des vexations et des atteintes journalières à l’amour-propre63. Écrasés par la promiscuité et la tranquille indifférence de certains gardiens ou éducateurs, les plus faibles, les primaires et les « apprentis délinquants » font les frais de la soif de considération des anciens. René Morichon, président d’un foyer de rééducation à Limoge, (peu critique par ailleurs, quant au principe de la privation de liberté), envisage des solutions pour améliorer les conditions de détention et pour lutter contre le caïdisme :
- 64 Morichon R., « À propos de la réforme pénitentiaire : le “caïdat”, un fléau trop méconnu », Tribun (...)
« Surtout, sans tomber dans une ségrégation aveugle, il convient à tout prix d’éviter de mettre les délinquants d’habitude avec les délinquants occasionnels, en particulier avec les plus jeunes […].
Je crois surtout que l’on pourra dépenser tous les milliards du budget de la Justice sans rien changer, substantiellement, à l’atmosphère carcérale française tant que le caïdat ne sera pas extirpé en s’attaquant, à la fois, aux inégalités choquantes permises entre détenus et à la contamination génératrice de misère morale, de perversion et de crime64. »
25À leur sortie, que leur destination soit un foyer ou la liberté, les jeunes garçons auront été marqués par leur expérience.
- 65 Ernst G., La détention provisoire des mineurs, op. cit, n. p.
« La dégradation morale, les perturbations affectives provoquées par l’incarcération des mineurs sont malheureusement incalculables […]. En gros, les inadaptations provoquées de la sorte sont de deux ordres :
– caractériel : le sujet vit la sanction très rapidement comme une injustice, laquelle appelle une revanche. Un cycle infernal s’établit alors vers une grande perversion ;
– névrotique : le sujet a trouvé dans la prison une forme de sécurité maternelle. Très vite, c’est le monde extérieur qui est considéré comme dangereux : on assiste alors à une inversion du mécanisme normal selon lequel la prison doit faire peur. Dans ce cas elle attire65. »
26Dans un cas comme dans l’autre, la récidive est la suite logique des troubles provoqués par la prison :
- 66 Ibid.
« La récidive dont les études récentes prouvent qu’elle est d’autant plus fréquente que le détenu était jeune à sa libération66. »
27Une étude statistique sur la récidive de 1975 confirme ce triste constat :
28À cela, s’ajoute la gloire de l’ex-détenu à l’extérieur, le risque de retrouver un ancien camarade de détention et d’effectuer un nouveau passage à l’acte :
- 68 Ibid.
« […] le jeune libéré se laisse tenter par le statut que l’entourage de ses camarades du quartier lui offre ; statut totalement négatif où l’exploit est le délit et le passage en maison d’arrêt considéré comme une épreuve d’initiation68 ».
- 69 Yvorel J.-J., « De la folie à la prison », Foucault M., Surveiller et punir : la prison vingt ans (...)
- 70 Foucault M., Surveiller et punir, op. cit.
- 71 Régimbeau M., op. cit, p. 93.
29Réputation et respect sont désormais assurés dans le lieu d’habitation. La critique de l’incarcération des mineurs ne s’est pas élaborée uniquement dans le champ de l’éducation surveillée. Elle s’est également développée dans un contexte plus général, intégrant la création du mouvement d’information sur les prisons (GIP)69, l’œuvre de Michel Foucault70 et l’écho des « nombreuses révoltes -récentes à l’origine desquelles on trouve souvent des jeunes détenus71 ».
- 72 Amorcée avec la publication de Levi G., Schmitt J.-C., Histoire des jeunes en occident, 2 t., Pari (...)
- 73 Notamment Fize M., « L’impossible socialisation des jeunes dans des conditions de contraintes maxi (...)
- 74 Le Goff J., Nora P. (dir.), Faire de l’histoire, t. III : Nouveaux objets, France, Gallimard, 1974 (...)
- 75 Ozouf J., « L’opinion publique : apologie pour les sondages », Le Goff J., Nora P. (dir.), Faire d (...)
- 76 Caron J.-C., Générations romantiques : les étudiants de Paris et le quartier latin, 1814-1851, A. (...)
- 77 Tsikounas M. (dir.), Sociétés et représentations. Le corps à l’épreuve, Paris, CREDEHESS, n° 2, av (...)
- 78 Le Goff J., Nora P. (dir.), Faire de l’histoire, t. I : Nouveaux problèmes, France, Gallimard, 197 (...)
- 79 Ibid., t. II : Nouvelles approches, France, Gallimard, 1974, 252 p.
- 80 Dupont-Bouchat M.-S., Pierre E. (dir.), op. cit, 443 p.
- 81 Buffard S., Le froid pénitentiaire, l’impossible réforme des prisons, Paris, Seuil, 1973, 223 p.
30Les enfants de l’ombre s’inscrit dans un renouveau d’intérêt des historiens pour l’histoire des jeunes72. Plus précisément, c’est la « mode » actuelle du discours sécuritaire, visant particulièrement les « jeunes des cités », qui a fait s’interroger sur cette population particulière et sur les moyens mis en œuvre pour remédier à cette « prétendue expansion » de la délinquance juvénile. Après une investigation historiographique, il apparaît que parmi les dispositifs les plus utilisés, la détention pénale est le plus méconnu et pourtant, il est indéniablement le plus répressif. Cette étude a voulu tenter de comprendre pourquoi des mineurs sont enfermés – aujourd’hui encore – alors même que les conséquences d’une peine privative de liberté chez les adolescents sont, une fois de plus, reconnues comme néfastes depuis une vingtaine d’années73. Choisir, pour répondre à ces interrogations, le fil conducteur de la vie quotidienne des jeunes détenus a permis d’aborder un vaste éventail de ce qui fait de la prison pénale ce qu’elle est et d’envisager les points de vue de tous les acteurs – jeunes détenus et personnels de l’administration pénitentiaire – comme d’examiner les synergies entre le « dedans » et le « dehors ». La discipline historique s’est avérée particulièrement appropriée pour ce type de recherche. La méthodologie propre à cette matière a permis, en effet, de traiter le phénomène sur une période chronologique suffisamment large. Elle a également apporté une compréhension et une mise en perspective de l’état actuel de la détention des mineurs qui échappe à la contingence. La production sociologique, historique, épistémologique, philosophique et juridique sur la peine et l’incarcération, a aussi assuré des bases solides de réflexion et de conceptualisation. De plus, jusqu’à présent les archives pénitentiaires n’ont pas été l’objet de travaux au regard des enfants des prisons. Mêlés aux adultes dans les pénitenciers de France, ils le sont également dans les cartons des archives nationales et départementales. Avec Les enfants de l’ombre les premières pistes de recherches sont lancées. Prenant en compte quelques « nouveaux objets74 » comme l’opinion publique75, la classe d’âge76 ou le corps77, ce travail propose un éclairage sur un « nouveau problème », la délinquance juvénile et son traitement78, et par de « nouvelles approches79 » il s’efforce de rendre compte du fonctionnement « intime » de la prison tout en reliant cette institution à la société globale. Au-delà d’une définition de la « prison pour mineurs » et d’un inventaire critique et historique des différentes « prisons pour mineurs », « ordinaires » et spécifiques, cette étude, replacée dans le contexte historiographique de ces dernières années, espère combler un « vide » de la recherche puisqu’il n’existait pas de grande synthèse de l’enfermement au xx e siècle, et moins encore de travaux concernant les mineurs et leur traitement pénal pour cette période80. Cette lacune est désormais partiellement réparée. les enfants de l’ombre montre que les paradoxes de l’incarcération des mineurs sur le territoire français ne se trouvent pas uniquement dans l’obsession de leur réserver des institutions originales, à vocation éducative, dont l’architecture et le fonctionnement systématiquement carcéral (et donc fermés) produisent forcément de la violence et promettent, de fait, un échec inéluctable81. Tous les textes législatifs dont les moins de 18 ans sont l’objet ainsi que leurs applications, recèlent aussi de nombreuses contradictions, plus encore que pour les justifiables en général :
- 82 Le Boulaire J.-M., Faugeron C., Prisons et peines de prison : éléments de construction d’une théor (...)
« Le débat sur la prison est, aujourd’hui, indissociable de la question de la peine. Pourtant, la pratique est, en France, celle de la détention de courte durée, souvent effectuée sous le régime de la détention provisoire, dont la “cible” est une population jeune, socialement précaire, sanctionnée pour des délits contre les biens, des infractions à la législation sur les stupéfiants ou à la police des étrangers. L’incarcération a d’abord, une fonction pratique de sûreté82. »
- 83 Ibid., p. 10.
- 84 Robert P., Zauberman R., La détention provisoire des mineurs de 16 ans, Paris, SEPC, Déviance et c (...)
- 85 Robert P., Zauberman R., op. cit, 107 p. Gireault-Montenay H., À propos de la détention provisoire (...)
- 86 Loi du 10-6-1983, portant abrogation ou révision de certaines dispositions de la loi 8182 du 02-02 (...)
- 87 Ibid.
- 88 Loi du 30-12-1987, relative aux garanties individuelles en matière de détention provisoire ou sous (...)
- 89 Arrêté du 30-7-1987, portant création d’un service éducatif auprès des tribunaux pour enfants, Jo (...)
- 90 Pical D., « Mesures nouvelles pour restreindre l’incarcération des mineurs », Droit de l’enfance e (...)
- 91 Loi du 6-7-1989, modifiant le CPP et relatif à la détention provisoire, Jo 8-07-1989, p. 8538.
- 92 Application de la loi n° 83/466 du 10 juin 1983 – mise en place des nouvelles peines de substituti (...)
- 93 Lemaire P., « La sous-utilisation des alternatives à l’enfermement », Revue pénitentiaire et de dr (...)
- 94 Ibid.
31De faits, deux constats marquants se retrouvent tout au long du xxe siècle. D’une part, la détention préventive (avant un transfert en colonie pénitentiaire, un placement éducatif ou une remise en liberté) est largement utilisée à l’encontre des mineurs de justice. Cette mesure concerne des enfants et des adolescents non encore jugés et, de fait, non encore reconnus coupables. D’autre part, la détention préventive puis provisoire se subit essentiellement dans les prisons départementales et les maisons d’arrêt. Or, ces dernières sont les plus vétustes, les plus délaissées et, de par leur vocation, les plus encombrées. Les conditions de détention y sont généralement exécrables, la promiscuité quasi systématique et l’inactivité endémique, plus encore dans les détentions de femmes. Ces deux faits établis, démontrés, reconnus et maintes fois dénoncés, forcent à conclure que les présumés innocents sont « pénitentiairement » moins bien traités que les déclarés coupables. Or, les mineurs incarcérés en prison « ordinaire » sont en majorité, hier comme aujourd’hui, des prévenus détenus en maison d’arrêt. De fait, en France, depuis près de cent ans il semble bien que « la mise en détention provisoire revient à une pré-condamnation83 » dont les victimes privilégiées sont souvent de jeunes garçons. La prison, rarement rééducative, mène plus souvent à la récidive qu’à la réinsertion. En conséquence, éviter la prison pour les mineurs est régulièrement une préoccupation importante de la part d’intellectuels, d’éducateurs et de législateurs spécialisés. Un certain nombre de mesures se développent à cette fin. Patronage, liberté surveillée puis milieu ouvert, prennent en charge un certain nombre de jeunes et l’effectif global des mineurs en prison « ordinaire » à tendance à diminuer au cours du siècle. Pour autant, à l’image des colonies pénitentiaires de jadis, ces organismes n’absorbent pas l’ensemble des enfants et adolescents soupçonnés d’une infraction et un certain nombre d’entre eux continuent à être placés sous mandat de dépôt dans des établissements carcéraux, classiques ou spécifiques pour jeunes détenus, dans des conditions bien souvent en contradiction avec la loi. Devant l’importance du phénomène, les réflexions et analyses se poursuivent et se multiplient avec la volonté d’améliorer ou de créer des peines dites alternatives ou de substitutions. De grands changements législatifs, réglementaires ou jurisprudentiels pour restreindre le recours aux solutions carcérales s’amorcent dans les années quatre-vingt. À la suite d’une nouvelle augmentation de la détention provisoire des mineurs84, des clauses particulières à cette catégorie de la population sont étudiées et adoptées. Entre autres, une circulaire du 2 novembre 1978 (et diverses études suscitées par elle85) rappelle que la détention des mineurs doit être exceptionnelle, particulièrement pour ceux de moins de 16 ans pour lesquelles elle doit être envisagée uniquement comme moyen pour faciliter la recherche de placements éducatifs. Puis suivent l’instauration du travail d’intérêt général (TIG86), du jour-amende87, la suppression totale ou partielle de la mise en détention provisoire des mineurs de 16 ans88, etc. Pourtant, l’arsenal de ces alternatives à l’enfermement reste peu ou mal utilisé. L’incarcération n’est toujours pas l’exception, le dernier recours qu’elle devrait être, surtout si l’on considère les moins de 18 ans qui, somme toute, sont de bien jeunes personnes. Certes, la création des services éducatifs auprès des tribunaux (SEAT89), les changements concernant la mise en détention des mineurs de 16 ans90, l’interdiction de l’incarcération de ceux de moins de 13 ans91 ont largement contribué, chacun en leur temps, à la baisse des mandats de dépôt à l’encontre des plus jeunes. Mais les autres dispositions tels le sursis, le TIG et sa clause spéciale mineurs92, le jour-amende, le contrôle judiciaire ou encore la mise à l’épreuve ont trop rarement la préférence des juges, sinon après une détention préventive d’un ou deux mois93. Une minorité d’entre eux reconnaissent toutefois que « la prison est la solution la plus facile, la plus coûteuse et certainement la moins efficace94 » mais dans l’ensemble les mentalités judiciaires peinent à évoluer et le principe de précaution – la mise en détention provisoire – domine les pratiques des tribunaux. De fait, il existe là un particularisme français.
- 95 Artières P., Lascoume P., Salle G., « Introduction. Gouverner et enfermer. La prison, un modèle in (...)
« Partout, sous tous les régimes et toutes les latitudes, on s’est contenté de créer des lieux de gardiennage, des espaces de cantonnements, où soit un détenu doit attendre l’achèvement d’une instruction et un procès, soit il est simplement mis à l’écart de la vie sociale à raison d’une dangerosité supposée ou d’une inadaptation chronique95. »
- 96 Trépanier J. (dir.), « Pratiques éducatives et systèmes judiciaires », Le temps de l’histoire, Vau (...)
32Cette réalité est valable sur l’Hexagone, tout autant pour les lieux de détention des adultes que pour ceux réservés aux mineurs pénaux. Toutefois, pour ces derniers quels que soient les dispositifs d’alternative à la prison mis en place, ils existent systématiquement aux côtés de la détention préventive et de l’incarcération en prison « ordinaire ». Même lorsque ces institutions sont indéniablement des institutions de coercition, elles ne permettent pas de supprimer la prison classique. Les colonies pénitentiaires aussi bien que les centres fermés des années soixante et d’aujourd’hui n’ont guère sonné le glas ni des quartiers pour mineurs dans les maisons d’arrêt ni des prisons spécifiques pour jeunes détenus. Seule la France connaît cette particularité du traitement de sa jeunesse déviante. Il existe bien au Canada des centres fermés pour les moins de 18 ans, mais ils remplacent entièrement les prisons « ordinaires » et sont les seuls à recevoir cette population. Il en est de même en Suisse, en Belgique et en Hollande96 où plusieurs historiens, auteurs d’articles de la revue le temps de l’histoire, constatent que les méthodes pédagogiques semblent l’emporter sur le « tout répressif » :
- 97 Pierre E., Trépanier J., « Présentation. », in Pierre E., trépanier J. (dir.), op. cit, p. 9-10.
« Ainsi, plusieurs articles présentent les systèmes correctionnels nationaux [réservés à l’enfance], avec leurs traits les plus caractéristiques. Alors que la France (Pierre) apparaît enfermée dans une logique pénale et pénitentiaire, réfractaire à toute innovation, la Suisse (Ruchat) et les Pays-Bas (Dekker) semblent plus ouvert à la pensée et aux méthodes pédagogiques97. »
- 98 À la suite du témoignage du Dr Vasseur et des deux commissions d’enquête, du parlement et du Sénat (...)
- 99 Perrot M., « Préface : La prison, encore, et toujours ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. (...)
33Certes, récemment, l’usage de la prison pour les plus jeunes a été diminué par des mesures législatives qui ont enfin contraint les magistrats à limiter le recours à la peine d’enfermement, mais non pas à l’éradiquer. La prison occupe en France, pour les mineurs, une place centrale qu’elle n’est pas prête à céder aux mesures de prévention ou aux peines réellement alternatives. C’est que pour une part importante de « l’opinion publique », la prison est la seule vraie réponse à la délinquance juvénile. Toute autre solution apparaît comme erronée et/ou insuffisante. De fait, cycliquement, les gouvernements de la République suivent, voire encouragent, cette idée reçue. C’est ainsi qu’en matière de déviance des jeunes se succèdent des périodes de prévention et des périodes de répression. Qu’un ministre tente de limiter l’usage de l’incarcération en prison pour les adolescents, fasse voter des lois pour que ces derniers évitent d’en connaître les affres, et le ministre suivant inverse le processus pour les dix ou vingt années suivantes. Il (re)banalise alors l’usage de la prison pour les mineurs pénaux, en étend à nouveau les possibilités de recours à une classe d’âge plus large ou à un nombre d’infractions plus étendu, en même temps qu’il invente (ou réinvente) de nouvelles formes de détention des mineurs, qui existent toujours parallèlement à la prison « ordinaire ». C’est l’une de ces « crises » que vit actuellement la France et la loi de réforme pénitentiaire à l’étude en 200098 « a fait les frais de la campagne sécuritaire99 ».
- 100 Allusion aux propos de M. Chevènement sur les » sauvageons »…
- 101 Le père de M. Lionel Jospin a dirigé le centre d’accueil de la rue de Madrid.
- 102 Vasseur V., Médecin-chef à la prison de la Santé, Paris, Éd. de la Seine, 2000, 201 p.
- 103 Perrot M., « Préface : La prison, encore, et toujours ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. (...)
- 104 Comme c’était déjà le cas au début du siècle d’après la presse de l’époque.
- 105 Notamment, les mesures pénales visant l’absentéisme scolaire, les rassemblements de jeunes dans le (...)
- 106 Loi de programme 2002-1 138 du 9-9-2002 d’orientation et de programmation pour la justice, Jo du 1 (...)
34Déjà amorcée par de récentes prises de positions d’un ancien ministre de l’Intérieur100, confirmée par quelques concessions sécuritaires d’un ancien Premier ministre pourtant fils d’éducateur101, l’illusion carcérale et les autres formes de mises à l’écart des mineurs sont de nouveau à l’ordre du jour. Les rapports parlementaires accablants de l’Assemblée nationale et du Sénat, suite aux virulentes déclarations du Dr Vasseur102, n’ont pas suffi ni à inverser ni même à freiner le processus103. De plus, si l’on en croit la presse, les idées répressives rencontrent un indiscutable succès auprès de l’opinion publique. De fait, la nouvelle majorité élue le 5 mai 2002 à toute légitimité pour passer du discours sécuritaire aux actes répressifs et coercitifs mettant ainsi fin à la politique de prévention de la délinquance juvénile des vingt dernières années. En réponse à une demande de répression de cette jeunesse de nouveau appréhendée comme dangereuse, des « sauvageons » perçus comme de plus en plus jeunes et de plus en plus violents104, le dernier gouvernement de Jacques Chirac prend une série de mesures. De très traditionnelles, et déjà ancestrales, solutions miracles sont présentées une fois de plus comme innovantes et surtout, éducatives alors qu’elles ont toutes trait à l’incarcération. La quantité de textes juridiques adoptés durant l’été 2002105 (pendant que les quelques acteurs pro-prévention sont en vacances) et la précipitation avec laquelle la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002106 est votée, révèlent une dimension fondamentalement politique à la question de la justice des mineurs. Le résumé-commentaire qui accompagne la loi de 2002 sur le très officiel site legifrance.gouv.fr précise aussi le ton général :
- 107 Commentaire sur le site www.legifrance.gouv.fr.
« La justice des mineurs a été durcie avec trois mesures : l’instauration de sanctions “éducatives” pour les enfants de 10 à 13 ans, la création de centres d’éducation fermés où les mineurs pourront être placés à partir de 13 ans, impliquant la suspension de la part d’allocations familiales correspondant à l’enfant, enfin la possibilité de placer en détention provisoire des délinquants dès 13 ans (au lieu de 16 ans) en cas de non-respect du contrôle judiciaire. De plus une peine de six mois de prison et 7500 euros d’amende est prévue pour outrage à enseignant107. »
- 108 Le centre fermé de Juvisy-sur-Orge est ouvert en 1970 et est fermé par le garde des Sceaux en 1978 (...)
35De fait, en matière de législation comme en matière d’application des peines, une impression de régression domine et les guillemets qui entourent le vocable « éducatives » ne suffisent pas à rassurer. Un « nouvel » essai de prison sans les inconvénients de la prison est imaginé et aussitôt ouvert. Il s’agit des centres d’éducation fermés (CEF) qui ne sont pas sans rappeler le CSOES et plus encore peut-être le centre fermé de Juvisy-sur-Orge dont l’expérience a pourtant été rapidement abandonnée108 faute de résultat satisfaisant en terme de récidive et de réinsertion. Une fois encore, remplacer les surveillants de l’administration pénitentiaire par une équipe pluridisciplinaire de médecins et d’agents sociaux, enfermer des mineurs triés sur le volet dans des chambrettes plutôt que dans des cellules, leur offrir une formation professionnelle et scolaire au rabais etc. est censé leur permettre de réintégrer la société en bons citoyens. Sociologues et éducateurs constatent que l’essai est « évidemment » déjà un échec :
- 109 Mucchielli L., « Les “centres éducatifs fermés” : rupture ou continuité dans le traitement des min (...)
« […] on devine aisément d’une part que ces mesures aux effets finalement numériquement limités (en 2003, les CEF ont concerné seulement quelques dizaines de jeunes) ont d’abord une portée symbolique (d’où leur médiatisation), d’autre part qu’elles dissimulent la lenteur, les hésitations et les difficultés avec lesquelles est réformé de façon globale le système pénal de prise en charge des mineurs ayant commis des actes de délinquance109 ».
36Et, en réponse à la désillusion, les centres sont « carcéralisés » et se rapprochent du modèle traditionnel de la prison « ordinaire » :
- 110 Le Pennec Y., Centre fermé, prison ouverte. Luttes sociales et pratiques éducatives spécialisées, (...)
« Confrontés aux piètres résultats des premières expériences et au coût des promesses électorales, le garde des Sceaux décide de “clôturer” des centres éducatifs fermés, en en rehaussant les murs sous forme de “haies vives”, en installant des alarmes et caméras tout en augmentant le nombre de jeunes et réduisant le nombre d’adultes […]110. »
- 111 Coignard J., « La prison-école de Perben en maquette », Libération, 20-2-2005.
- 112 Présentation des prisons du xxie siècle par le site www.justice.gouv.fr.
- 113 Par exemple, Bonnefous B., « Des prisons éducatives pour mineurs », 20 minutes, 1-2-2005.
37Centres éducatifs fermés et centre à éducation renforcée (CER) montrent l’oblitération volontaire de l’histoire par les décideurs. La création de ces structures est un déni caractérisé des essais antérieurs. La Petite-Roquette, les maisons d’éducation surveillée et écoles de réforme au sein des prisons, les prisons-écoles, les centres d’observation près des maisons d’arrêt, les CJD sont autant de projets éducatifs qui ont démontré qu’enfermer les jeunes, les priver de la liberté d’aller et venir, confère à n’importe quelle structure un caractère cripto-carcéral, voir totalement carcéral, qui adopte immanquablement, à très court terme, les normes et les pratiques pénitentiaires traditionnelles. Il faut relever que l’expérience s’est malgré tout étendue et qu’elle ne semble pas prête à être délaissée. À moins que les huit futures prisons pour mineurs actuellement en construction permettent prochainement la discrète fermeture de ces gouffres financiers inefficaces. En effet, ni les quartiers pour mineurs près des maisons d’arrêt, ni les centres fermés ne remplissent leurs missions éducatives et pourtant Messieurs Dominique Perben, un temps ministre de la Justice, et Michel Duvette, actuel directeur de la PJJ semblent convaincus que les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) seront plus à même de satisfaire aux besoins. La maquette exposée par l’ancien garde des Sceaux le 31 janvier 2005111 décrit de véritables prisons modèles pour adolescents de 13 à 18 ans, où « une attention particulière sera portée à la dimension éducative112 » mais où le numerus clausus n’est toujours pas envisagé. Ces établissements présentés comme « novateurs » sont surnommés et qualifiés par le gouvernement et par la presse113 de… prisons-écoles ! Les ingrédients qui ont vendu Fresnes ou Fleury-Mérogis comme des prisons modernes s’y retrouvent en effet. Ce sont les mêmes qui ont fait de ces établissements des échecs éducatifs – reconnus – pour les mineurs : présence d’éducateurs, vingt heures de cours et de sport hebdomadaires ou encore cellules individuelles aux normes de cités universitaires. En fait, seule originalité de ce projet, les EPM devraient être mixtes… Ces dernières années, l’expérience de l’histoire semble occultée. L’enfermement carcéral des mineurs est largement plébiscité et sur tout largement banalisé alors qu’éducateurs et juges des enfants ne cessent de rappeler la difficulté d’éduquer en milieu clos. Le constat est sans équivoque : malgré les effets pervers et négatifs de la prison sur les mineurs, unanimement reconnus, la France continue à mettre en prison une partie de sa jeunesse et la recherche vaine d’un mode d’enfermement pour les mineurs qui n’aurait pas les effets nocifs de l’enfermement est cycliquement réactualisée depuis deux siècles. Peut-être que cette recherche menée sur plusieurs années pourra être utile, qu’elle pourra apporter réflexion et argumentation aux éducateurs, travailleurs sociaux, surveillants de prison, magistrats, à tous ceux qui s’inquiètent du sort des jeunes en difficulté… peut-être.
Notes
1 Faugeron C., « Une théorie de la prison est-elle possible ? », in Faugeron C., Chauvenet A., Combessie P., Approches de la prison, Paris, De Boeck et Larcier, p. 15-42.
2 Combessie P., Sociologie de la prison, op. cit., 121 p.
3 Durkheim E., L’Éducation morale (1903), Paris, Puf, 1992, p. 138.
4 Beccaria C., Des délits et des peines (1764), Paris, Flammarion, 1979, 202 p.
5 Tocqueville A. de, Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l’étranger, Œuvres complètes, t. IV, vol. 1, Paris, Gallimard, 1984, 585 p.
6 Ancel M., La défense sociale, Paris, Que sais-je ?, PUF, 1985, 127 p.
7 Perrot M., « Préface : La prison, encore, et toujours ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. cit., p. 16.
8 Dupont-Bouchat M.-S., Petit J.-G. (dir.), Enfants corrigés, enfants protégés. Genèse de la protection de l’enfance en Belgique, en France, aux Pays-bas et au Québec (1820-1914), Université d’Angers (HIRES), Université catholique de Louvain, Université de Groeningen, Université de Montréal et UQAM (Université du Québec à Montréal), avril 1995, p. 52.
9 Bourquin J., « L’intervention auprès des mineurs de justice au regard de l’histoire », op. cit. Bailleau F., « L’histoire de l’observation et l’émergence d’un droit des mineurs », France, Justice (ministère), éducation surveillée, 1982, p. 5-70. Prairat E., éduquer et punir : généalogie du discours psychologique, Nancy, PUF, 1994, 300 p.
10 Bourquin J., « La difficile émergence de la notion d’éducabilité du mineur délinquant », trames, n° 3-4, 1998, p. 131-142. Yvorel J.-J., « Esquisse d’une histoire de la prise en charge de l’enfance délinquante au xixe et xxe siècles », actes du colloque Mettray, à paraître aux PUR.
11 O’Brien P., op. cit., p. 122.
12 Perrot M., « Introduction : Tocqueville méconnu », in Tocqueville A. de, op. cit., p. 35.
13 Tocqueville A. de, Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l’étranger, Œuvres complètes, t. IV, vol. 1, Paris, Gallimard, 1984, p. 262.
14 Dupont-Bouchat M.-S., Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 62-67.
15 Barbaroux M.-N., Broussard J., Hamoniaux M., op. cit., p. 2-41.
16 Farcy J.-C., Guide des archives judiciaires et pénitentiaires, 1800-1958, enquête, université de Paris X Nanterre, t. I, 1987, p. 73.
17 Artières P., Lascoume P., salle G., « Introduction. Gouverner et enfermer. La prison, un modèle indépassable ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. cit., p. 31.
18 Entre autres sous la forme de « l’atonie paresseuse » pour reprendre une expression de l’époque.
19 Perrot M., « Les enfants de la Petite-Roquette », L’Histoire, n° 100, mai 1987, p. 30-38.
20 Carlier C., Histoire de Fresnes, prison « moderne », De la genèse aux premières années, Paris, Syros, 1998, 270 p.
21 Meurillon R., op. cit., p. 22.
22 Mazerol M.-T., « Les effets psychologiques de la détention », Annales de Vaucresson, 1981, p. 173-189, et Dormoy O., Maurion A., L’incidence de la détention sur la santé médico-psychologique des adolescents, Colloque des cliniciens, Vaucresson, 18-19 décembre 1986, 1987, p. 39-58.
23 Gayraud A., op. cit. Yvorel É., « À la marge des prisons pour mineurs : les prisons-écoles », op. cit.
24 Yvorel É., Le Centre spécial d’observation de l’éducation surveillée de 1958 à 1979, op. cit.
25 Pinatel J., « Le récidivisme des mineurs délinquants », Sauvegarde de l’enfance, n° 22, juin 1948, p. 3-18.
26 Faugeron C., « Les prisons de la Ve République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit.
27 Yvorel É., « À la marge des prisons pour mineurs : les prisons-écoles » op. cit.
28 Combessie P., Sociologie de la prison, Paris, La Découverte, Repère, 2001, 121 p.
29 Darmon J.-J., « Sous la Restauration, des juges “sondent la plaie si vive des prisons” », in Perrot M. (dir.), L’impossible prison : recherches sur le système pénitentiaire au xixe siècle, Paris, Seuil, 1980, p. 123-146.
30 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
31 Chazal J., « Mesures de rééducation et peines devant les tribunaux pour enfants », Revue de Science criminelle et de droit pénal comparé, nouvelle série, n° 4, oct.-déc. 1953, p. 618.
32 Ibid.
33 Loi du 27 juillet 1942 relative à l’enfance délinquante sur les tribunaux pour enfants, les centres d’accueil et d’observation, Code pénitentiaire, t. XXIX.
34 Alagan A., « Une étude sur les bandes de jeunes délinquants », rééducation, n° 155-156, août-sept. 1963, p. 15. Joubrel H., « Les bandes asociales de jeunes », Les Cahiers de l’enfance, février 1962, p. 17-24.1963, p. 17-24. CFRES, 500 jeunes délinquants, résultats d’une pré-enquête sur les facteurs de la délinquance juvénile, Vaucresson, 1963, 255 p.
35 Par exemple, Verin J., « Faut-il encore des “Maisons d’arrêt et de correction” ? », Revue de Science criminelle et de droit pénal comparé, nouvelle série, n° 3, juill.-sept. 1966, p. 634-645.
36 Cette critique n’est pas nouvelle, cf. notamment la thèse de Joubrel F., L’enfance coupable, Saint-Brieuc, Impr. moderne, 1942, 214 p.
37 Il y a bien sûr des exceptions, des spécialistes de l’enfance comme Henri Wallon ou Fernand Deligny qui récusent le principe même de l’incarcération des mineurs.
38 Archives du SNPES, « Contre les abus de la détention préventive des mineurs », bulletin du SNPES, 1970, extrait de la motion du congrès de 1966, p. 11.
39 Ibid.
40 Gazeau J.-F., Peyre V., « Vingt-cinq ans d’incarcération des mineurs en France », Droit de l’enfance et de la famille, n° 28, 1989/2, t. I, p. 253.
41 Archives du SNPES, « Contre les abus de la détention préventive des mineurs », op. cit.
42 Ibid., p. 11.
43 Archives du SNPES, « Extrait de la motion du Congrès de 1970 », p. 11.
44 Ibid.
45 Ernst G., La détention provisoire des mineurs. Alors il ne restera plus qu’à remplacer les verrous par des hommes, Paris, 1974, n. p.
46 Vibert-Vichet R., « Éloignement, enfermement, Coulommiers, Épernay. Récit d’antan », Pour l’histoire, AHES-PJM, n° 21, sept. 1999, p. 5.
47 « L’incarcération des mineurs doit être exceptionnelle, déclarent les syndicats des personnels de l’éducation surveillée », le monde, 15-10-1970.
48 Bernard S., « À la prison de Fresnes, les mères font la course pour voir leur enfant 5 secondes de plus », France-Soir-l’Intransigeant, 21-10-1970.
49 « “Le quartier des mineurs de Fresnes : un pourrissoir.” 119 détenus pour 64 places », Le figaro, 14-10-1970.
50 Lutz P., Perrin, « Autorité et liberté dans l’histoire de la rééducation », Sauvegarde de l’enfance, nos 1-2-3, janv.-févr.-mars 1961, p. 50.
51 Vullien, Guilbert, « Les mineurs dans les prisons », revue de l’éducation surveillée, n° 5, nov.-déc. 1946, p. 31.
52 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Journées régionales de criminologie des 9 et 10 février 1973 à Aix-Montpellier. “Les aspects criminologiques de la détention provisoire et du contrôle judiciaire. L’influence de la détention provisoire et du contrôle judiciaire sur l’évolution de la personnalité de l’inculpé par Charles Poulain, médecin chef des prisons de Marseille” », février 1973.
53 Mazerol M.-T., « Les effets psychologiques de la détention », Annales de Vaucresson, p. 174.
54 Incarcéré à la suite de l’affaire Overney.
55 Montaron J.-P., op. cit., p. 127.
56 Henry M., « De la prison du “dehors” à la prison du “dedans” » in De la délinquance à la détention, Vaucresson, 1982, p. 73-96.
57 Mazerol M.-T., « Incarcération et “rejet” », Rééducation, n° 220-221, avril-mai 1970, p. 27.
58 Régimbeau M., L’emprisonnement des mineurs, mémoire de DEA de criminologie et science pénitentiaire, Faculté de droit, Bordeaux, 1978, p. 97.
59 Mazerol M.-T., « Les effets psychologiques de la détention », Annales de Vaucresson, p. 177.
60 Régimbeau M., op. cit, p. 82.
61 Mazerol M-T., « Les effets psychologiques de la détention », op. cit, p. 179.
62 Ernst G., La détention provisoire des mineurs, op. cit, n. p.
63 Bouyssic R., « Groupes clandestins dans la population pénale », op. cit, p. 774-797.
64 Morichon R., « À propos de la réforme pénitentiaire : le “caïdat”, un fléau trop méconnu », Tribune de l’enfance, n° 118, déc. 1974, p. 24-26.
65 Ernst G., La détention provisoire des mineurs, op. cit, n. p.
66 Ibid.
67 AN Fontainebleau, 960136, art. 30, « Données statistiques sur la récidive transmises par Mme le secrétaire d’État à la condition pénitentiaire au conseiller technique », 19-11-1975.
68 Ibid.
69 Yvorel J.-J., « De la folie à la prison », Foucault M., Surveiller et punir : la prison vingt ans après. Sociétés et représentations, CREDHESS, Condé-sur-Noireau, novembre 1996, p. 100-110.
70 Foucault M., Surveiller et punir, op. cit.
71 Régimbeau M., op. cit, p. 93.
72 Amorcée avec la publication de Levi G., Schmitt J.-C., Histoire des jeunes en occident, 2 t., Paris, Seuil, 1996, l’intérêt des historiens pour une histoire de la jeunesse est représenté aujourd’hui par plusieurs jeunes chercheurs : Ludivine Bantigny et Yvan Jablonka animent depuis début 2005 un groupe de travail intitulé « Jeunes et jeunesse(s), objets d’histoire » à Sciences-Po Paris tandis que David Niget et Xavier Rousseau ont organisé un séminaire sur « Violences et jeunesses » à l’université de Louvin (Belgique).
73 Notamment Fize M., « L’impossible socialisation des jeunes dans des conditions de contraintes maximum : l’exemple de la prison », annales de Vaucresson, 1988/1, n° 28, p. 201-210. Gazeau J.-F., Peyre V., op. cit. Léomant C., « Éducation et incarcération ou de la détention des mineurs comme danger pour l’ordre social », actes, n° 45-46, Cahiers de Vaucresson, n° 4, 1984, p. 63-66.
74 Le Goff J., Nora P. (dir.), Faire de l’histoire, t. III : Nouveaux objets, France, Gallimard, 1974, 281 p.
75 Ozouf J., « L’opinion publique : apologie pour les sondages », Le Goff J., Nora P. (dir.), Faire de l’histoire, t. III : Nouveaux objets, France, Gallimard, 1974, p. 220-235.
76 Caron J.-C., Générations romantiques : les étudiants de Paris et le quartier latin, 1814-1851, A. Colin, 1991, 432 p.
77 Tsikounas M. (dir.), Sociétés et représentations. Le corps à l’épreuve, Paris, CREDEHESS, n° 2, avril 1996, 284 p.
78 Le Goff J., Nora P. (dir.), Faire de l’histoire, t. I : Nouveaux problèmes, France, Gallimard, 1974, 230 p.
79 Ibid., t. II : Nouvelles approches, France, Gallimard, 1974, 252 p.
80 Dupont-Bouchat M.-S., Pierre E. (dir.), op. cit, 443 p.
81 Buffard S., Le froid pénitentiaire, l’impossible réforme des prisons, Paris, Seuil, 1973, 223 p.
82 Le Boulaire J.-M., Faugeron C., Prisons et peines de prison : éléments de construction d’une théorie, CESDIP, Études et données pénales, 1991, p. 3.
83 Ibid., p. 10.
84 Robert P., Zauberman R., La détention provisoire des mineurs de 16 ans, Paris, SEPC, Déviance et contrôle social, 1981, 107 p. Gireault-Montenay H., « Détention des mineurs. Évolutions quantitatives, significations, pratiques judiciaires », annales de Vaucresson, 1981, p. 37-66.
85 Robert P., Zauberman R., op. cit, 107 p. Gireault-Montenay H., À propos de la détention provisoire des mineurs de 16 ans, Vaucresson, CFRES, oct. 1980, 10 p.
86 Loi du 10-6-1983, portant abrogation ou révision de certaines dispositions de la loi 8182 du 02-02-1981 et complétant certaines dispositions du CPP, Jo du 11-06-83, p. 1755.
87 Ibid.
88 Loi du 30-12-1987, relative aux garanties individuelles en matière de détention provisoire ou sous contrôle judiciaire et portant modification du CPP, Jo du 31-12-1987, p. 15547.
89 Arrêté du 30-7-1987, portant création d’un service éducatif auprès des tribunaux pour enfants, Jo du 18-08-1987.
90 Pical D., « Mesures nouvelles pour restreindre l’incarcération des mineurs », Droit de l’enfance et de la famille, n° 26, 1987-1988, p. 19-35.
91 Loi du 6-7-1989, modifiant le CPP et relatif à la détention provisoire, Jo 8-07-1989, p. 8538.
92 Application de la loi n° 83/466 du 10 juin 1983 – mise en place des nouvelles peines de substitution, ministère de la Justice, 15-12-1983, n. p. Décret du 22-9-1987, complétant et modifiant les articles R. 61-28, R. 61-32 du CPP, Jo du 26-09-87, p. 11241.
93 Lemaire P., « La sous-utilisation des alternatives à l’enfermement », Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 1, 1995, n. p.
94 Ibid.
95 Artières P., Lascoume P., Salle G., « Introduction. Gouverner et enfermer. La prison, un modèle indépassable ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. cit, p. 33.
96 Trépanier J. (dir.), « Pratiques éducatives et systèmes judiciaires », Le temps de l’histoire, Vaucresson, CNFE-PJJ, n° 5, sept. 2003, p. 9-10.
97 Pierre E., Trépanier J., « Présentation. », in Pierre E., trépanier J. (dir.), op. cit, p. 9-10.
98 À la suite du témoignage du Dr Vasseur et des deux commissions d’enquête, du parlement et du Sénat, qui en ont découlé.
99 Perrot M., « Préface : La prison, encore, et toujours ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. cit, p. 20.
100 Allusion aux propos de M. Chevènement sur les » sauvageons »…
101 Le père de M. Lionel Jospin a dirigé le centre d’accueil de la rue de Madrid.
102 Vasseur V., Médecin-chef à la prison de la Santé, Paris, Éd. de la Seine, 2000, 201 p.
103 Perrot M., « Préface : La prison, encore, et toujours ? », in Artières P., Lascoume P. (dir.), op. cit, p. 19-20.
104 Comme c’était déjà le cas au début du siècle d’après la presse de l’époque.
105 Notamment, les mesures pénales visant l’absentéisme scolaire, les rassemblements de jeunes dans les halls d’immeubles, les sanctions visant les familles démissionnaires, le retour des éducateurs dans les prisons, etc.
106 Loi de programme 2002-1 138 du 9-9-2002 d’orientation et de programmation pour la justice, Jo du 10-09-2002, p. 14934.
107 Commentaire sur le site www.legifrance.gouv.fr.
108 Le centre fermé de Juvisy-sur-Orge est ouvert en 1970 et est fermé par le garde des Sceaux en 1978, au temps de la loi « Sécurité et Liberté ».
109 Mucchielli L., « Les “centres éducatifs fermés” : rupture ou continuité dans le traitement des mineurs délinquants ? », in Revue d’histoire de l’enfance “irrégulière”. Éducation et enfermement, n° 7, décembre 2005, ministère de la Justice, p. 113-146.
110 Le Pennec Y., Centre fermé, prison ouverte. Luttes sociales et pratiques éducatives spécialisées, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 100.
111 Coignard J., « La prison-école de Perben en maquette », Libération, 20-2-2005.
112 Présentation des prisons du xxie siècle par le site www.justice.gouv.fr.
113 Par exemple, Bonnefous B., « Des prisons éducatives pour mineurs », 20 minutes, 1-2-2005.
© Presses universitaires de Rennes, 2007