Les enfants de l'ombre
|Troisième partie. Le corps carcéral prisonnier
Chapitre VII. Violences du système, violences des acteurs
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FranceTexte intégral
1Marie-Thérèse Mazerol, psychologue au début des années soixante-dix, rappelle que la mesure pénale d’incarcération répond à un double besoin :
- 1 Mazerol M.-T., « Incarcération et “rejet” », Rééducation. Revue française de l’enfance délinquante (...)
« 1° La protection de la société : le délinquant attente aux lois établies pour faire respecter le droit de tous ; le magistrat, qui a pour mission de sauvegarder ce droit, est amené à le retirer d’une société qu’il menace.
2° La “correction” du délinquant lui-même : de même que l’enfant “au coin”, le délinquant ira “réfléchir” dans son cachot sur les risques personnels que lui fait encourir son attitude1. »
2Elle résume deux siècles de réflexion sur la peine privative de liberté, dont la conception oscille entre protection de la société et rééducation du détenu. De fait, de part ce double objectif, la sécurité est au cœur des préoccupations de l’administration pénitentiaire. Tout dans la prison est régi par cette obsession. Sa construction d’abord, des hauts murs aux cellules individuelles, puis son fonctionnement intérieur régi par des horaires immuables. Étudier la sécurité pénitentiaire revient à étudier la prison elle-même et inversement. Il n’est donc guère question ici de proposer un examen complet des règles sécuritaires pénitentiaires, nombreuses et complexes. En effet, l’étude proposée est circonscrite à la population pénale particulière des mineurs pénaux, à l’examen de sa vie quotidienne et des bâtiments pénitentiaires singuliers qui lui sont destinés. Il s’agit donc de traiter plus particulièrement de la discipline, moyen interne par lequel la sécurité, tant de la société que de la communauté pénale, est théoriquement assurée. C’est au nom de la sécurité que la plus grande discipline est exigée des détenus autant que de leurs gardiens, afin d’obvier aux risques d’évasions, de suicides, de violences. Ce cadre autorise à traiter le thème de la sécurité d’une façon plus circonstanciée et de l’introduire exclusivement sous le rapport des mineurs détenus. Le regard peut alors se porter dans deux directions distinctes : vers les moyens que l’administration pénitentiaire utilise afin d’assurer la discipline, au nom de la sécurité, et vers les différentes réactions que les acteurs du monde carcéral adoptent face aux contraintes qui découlent de la discipline exigée.
La discipline au nom de la sécurité et du règlement : un quotidien ingérable
- 2 Perrot M., « Introduction :Tocqueville méconnu », in Tocqueville A., op. cit., et Chantraine G., P (...)
3L’administration pénitentiaire fait des essais, s’adapte parfois et tente toujours (en vain) de mieux répondre à ses objectifs de sécurisation de la société d’une part et de celle des détenus d’autre part. En l’occurrence, le premier choix est celui du bâtiment. La sécurité de la société implique principalement de pallier les risques d’évasions : la prison est donc loin de la ville et possède de hauts murs infranchissables. L’aménagement du cœur de la détention doit également répondre à cette attente : les portes à serrures sont nombreuses et les fenêtres sont grillagées. Mais la prison doit aussi assurer la sécurité de ceux qu’elle héberge, des détenus comme des gardiens : le bâtiment est divisé en cellules et en cours individuelles faciles à surveiller. Progressivement, les observateurs constatent que les plus jeunes des délinquants, dans leurs réactions face à l’incarcération et au traitement pénal tel qu’il leur est imposé, montrent des caractéristiques différentes de celles de leurs aînés. Par conséquent, les murs des prisons doivent s’adapter aux besoins singuliers des mineurs et le cellulaire leur est prioritairement destiné. Prévention de l’évasion, du suicide et des violences physiques sont les maîtres mots qui régissent la vie en prison : c’est la sécurité. L’architecture de l’établissement carcéral ne saurait suffire à remédier à tous ces dangers2 et les hauts murs sont renforcés par des règles de vie en communauté régie par une discipline stricte, inscrites dans le règlement intérieur. Ce dernier est constitué d’autorisations et d’interdictions que les gardiens sont chargés de faire respecter au moyen d’un système complexe de récompenses et de punitions.
De l’importance et de l’absurdité du règlement : l’exemple de la règle du silence
- 3 Fize M., « La répression disciplinaire dans les prisons françaises pour adultes au xixe siècle », (...)
- 4 Décret du 19-1-1923, op. cit., décret du 29-6-1923, op. cit.
- 5 OIP, op. cit., p. 119.
4Le principe de la discipline carcérale est posé dès 1791 mais il n’est décrit avec précision que par l’ordonnance du 10 mais 1839 puis par le règlement général du 30 octobre 18413 auxquels s’ajouteront diverses notes et circulaires. L’ensemble est repris par les décrets de 19234, base à partir de laquelle les responsables de détention rédigent un règlement propre à chaque établissement. Ce règlement intérieur, véritable loi interne, régit l’essentiel de la vie quotidienne dans l’établissement malgré ses défauts et les dérives qu’il entraîne depuis près d’un siècle5. Les agents de l’administration pénitentiaire ont à disposition des punitions légales pour le faire respecter. En parallèle, un certain nombre de mesures, aussi vexatoires puissent-elles paraître, n’appartiennent pourtant pas au registre des sanctions autorisées. Elles relèvent de règles plus ou moins formelles auxquelles les détenus doivent se plier quotidiennement, telles celles qui jalonnent la gestion des repas ou de l’hygiène. Certaines de ces dispositions relèvent de préoccupations sécuritaires évidentes telle, par exemple, la séparation des hommes et des femmes prescrite pour éviter tout abus sexuel. D’autres mesures paraissent bien plus absconses. En effet, les chapitres III des deux décrets de 1923, « discipline et police intérieure de la prison », sont particulièrement révélateurs de la multiplicité des obligations qui incombent aux détenus, aux mineurs y compris. Or, nombre d’entre elles ne sont pas applicables, ce qui ouvre le champ à l’arbitraire de la sanction de la part des surveillants dont la fonction principale est de faire respecter le règlement. C’est le cas notamment, pour prendre un exemple parmi tant d’autres, de la règle du silence.
- 6 Petit J.-G., « Les travaux et les jours (1800-1875) », in Petit J.-G. (dir), op. cit., p. 149.
5À propos de cette règle, l’historien Jacques-Guy Petit parle « d’une infraction inévitable » : « Dans le système de promiscuité des prisons, l’interdiction de parler est un raffinement de cruauté, notent la plupart des réformateurs comme d’Haussonville en 18756. » Or, cette règle pourtant sévèrement critiquée est encore présente dans les règlements de 1923. Particulièrement rigoureuse pour les détenus incarcérés dans les prisons cellulaires, elle est également imposée à ceux qui subissent l’emprisonnement en commun :
- 7 Décret du 19-1-1923, op. cit., art. 49.
« Tous cris et chants, interpellations et conversations à haute voix, toute réunion en groupe bruyant et généralement tous actes individuels ou collectifs de nature à troubler le bon ordre sont interdits aux détenus, à quelque catégorie qu’ils appartiennent. Il en est de même de toute réclamation, demandes ou pétitions présentées de façon collective7. »
- 8 Ibid., art. 32.
- 9 Lesselier C., « Les femmes et la prison, 1820-1939. Prison de femmes et reproduction de la société (...)
- 10 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
6Les articles qui décrivent les modalités de la règle du silence sont nombreux et ont un ton si péremptoire que l’obsession du silence apparaît dans toute son ampleur. Outre le port obligatoire du capuchon « afin de prévenir les communications visuelles8 », en résumé, les détenus n’ont le droit de parler qu’à voix basse et uniquement au surveillant. Or, imposer un silence total dans une communauté humaine paraît bien illusoire. De fait, toutes les occasions de communiquer pour les détenus sont saisies : une porte qui claque permet de glisser une parole, un croisement dans un couloir est l’occasion de se transmettre un mot griffonné à la hâte, etc.9. Les mineurs ne font pas exception. Pour eux, le silence est plus encore exigé et, à la Petite-Roquette, « il est interdit de parler, de sangloter haut, de tousser trop bruyamment. Il faut que, d’un bout à l’autre du jour, le silence le plus absolu ne cesse de régner dans la prison10 ». À l’École de préservation de Fresnes, un jeune médecin voit dans cette règle le moyen d’intimidation le plus efficace pour les jeunes filles :
- 11 Faivre L., op. cit., p. 112.
« La prison n’intimide pas sa jeune pensionnaire […]. Seul le silence, ce silence particulier aux prisons, aggravé encore par l’isolement auquel elles sont contraintes, les surprend et les déconcerte à la fois11. »
- 12 Cf. planche P.
7C’est que les filles, les femmes et les enfants sont réputées mieux adaptées à la prison que les hommes, et plus particulièrement à la prison cellulaire. Pour autant, la cellule n’empêche pas l’échange. Parmi les archives de l’instituteur de la Petite-Roquette de 1910-1912, se trouvent un certain nombre de « biftons » écrits sur papier-toilette et échangés à l’insu du gardien avec le voisin de cellule. Raison de l’arrestation, éloge de la liberté, angoisse de l’incarcération et des « gaffes », parfois même véritables récits de vie, s’échangent ainsi avec les codétenus malgré toutes les interdictions de communication12. Ces écrits ne rompent pas le silence, aussi ne suffisent-ils pas aux jeunes apaches et à leurs voisins de la correction paternelle qui, par tous les moyens, cherchent à entendre des phrases sonnantes et trébuchantes. Mais la sanction à la suite de l’émission d’un bruit peut être redoutable :
- 13 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
« […] les malheureux se croient délivrés de toute surveillance. Quelle chance ! pouvoir enfin parler ! Parler ! Tel est l’irrésistible prurit… Parler ! dire n’importe quoi, jeter un bonsoir au compagnon de chaîne entrevu le matin… Parler ! Enfin !…Les appels, hésitants d’abord, se font plus audacieux à mesure que les bavards se croient plus en sûreté. Prudemment, les anciens se taisent. Ceux-là savent quelle terrible leçon se prépare […]13. »
- 14 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, (...)
8Le besoin de deviser n’est certes pas l’apanage des seuls enfants. Dans son rapport d’inspection de 1927, Monsieur Mossé dénonce des pratiques équivalentes, notamment à Fresnes, où « non seulement des billets parviennent à être glissés, mais il n’est pas rare de surprendre des détenus à utiliser tous les appareils mis à leur portée, tels les tuyaux de ventilation14 ». Les garçons de la Maison d’éducation surveillée de Fresnes, sont également isolés et contraints à la règle du silence. Mais, contrairement aux adultes et aux enfants de la Petite-Roquette, ils ont régulièrement l’occasion d’être regroupés entre eux. D’après l’instituteur de l’établissement, le silence est respecté à ces occasions :
- 15 Meurillon R., op. cit., p. 22.
« Nous avons cependant vu que les enfants se trouvaient en commun au moins deux fois par jour à l’éducation physique et à la conférence. Ceci n’a aucun inconvénient, les conversations étant formellement interdites, d’ailleurs les enfants qui jouent ne songent qu’à se distraire et il est évident que les conférences seraient impossibles sans cette règle15. »
- 16 AN Fontainebleau, 960136, art. 100, « Règlement intérieur type proposé par la direction régionale (...)
- 17 Ibid., p. 5.
9Il est difficile de prêter une foi aveugle à ces propos. Un groupement d’enfants ne semble pas pouvoir rester silencieux pendant une heure d’affilée. De fait, la règle du silence ne peut être effective. L’être humain cherche forcément à communiquer avec son prochain et l’en empêcher apparaît comme une sanction particulièrement sévère. Aussi, progressivement, la règle s’adoucit et « les détenus doivent garder le silence, sauf les exceptions nécessitées par les besoins du service ou du travail, et en dehors des moments consacrés à la détente ». Toutefois, « tout cri, chant, interpellation ou tapage, toute réunion en groupe bruyant, et généralement tous actes individuels ou collectifs de nature à troubler le bon ordre, la discipline ou la sécurité sont interdits16 ». Malgré ces précisions, la définition de la règle du silence reste assez floue pour qu’il puisse y être fait référence aisément dès lors que le comportement d’un détenu prête à quelques possibles remontrances. Et comme « toutes communications clandestines ou en langage conventionnel, sont interdites aux détenus17 », les pratiques des « biftons » et des tuyaux de ventilation ne sont pas prêtes d’être délaissées. Même dans les prisons-écoles où le règlement est moins sévère, le mémento distribué aux détenus précise, dès la première page :
- 18 Ibid., « Règlement – Mémento à l’usage des détenus – MC de Loos, centre de jeunes condamnés », n. (...)
« Tous les mouvements collectifs (sortie pour la promenade, les ateliers, le sport ou les cours scolaires) se font en colonne par un et en silence. À l’ouverture de sa cellule, le détenu doit se tenir devant la porte en silence et attendre l’ordre de mise en marche. Au retour chacun doit se placer devant sa porte et attendre en silence18. »
- 19 Décret du 12-9-1972, portant modification au CPP, AN Fontainebleau, 960136, art. 94.
- 20 Zonzon, un film de Bouhnick L., 1998, et 9m2, un film de Cesarini J. et Glasberg J., 2004.
- 21 AD Essonne, 1466W1, Livres et liasses de procédures disciplinaires, mars 1988-juin 1988.
10Parmi les prisons spécifiques pour mineurs, seul le CSOES n’a pas de « clause mutisme ». Dans tous les autres cas, les moins de 18 ans et les majeurs sont astreints à des règles similaires, jusqu’à la refonte du code de procédure pénale de 1972 qui fait observer que la règle du silence a été abrogée même si « il n’en reste pas moins que le calme doit être respecté à l’intérieur de l’établissement19 ». Cette précision fait qu’aujourd’hui encore, les détenus utilisent tous les moyens possibles pour échanger entre eux et font preuve en la matière de beaucoup d’imagination : en plus des traditionnels « biftons », la tuyauterie fait caisse de résonance, un petit miroir passé entre les barreaux permet de se voir d’une cellule à l’autre20… Ces pratiques, tout comme un chant jugé intempestif ou un cri de désespoir, sont toujours susceptibles d’être sanctionnés. Une jeune fille de la MAF de Fleury-Mérogis, en 1988, fait l’objet d’une procédure disciplinaire pour « tapage en détention21 ». Les sanctions qu’elle encoure consistent en un panel de mesures bien définies, plus ou moins afflictives, que les surveillants sont susceptibles d’infliger à tout détenu qui enfreint le règlement intérieur.
Quelles pratiques disciplinaires pour les mineurs ?
- 22 Haussonville G. (dir.), op. cit., p. 125.
« Les punitions que les règlements permettent sont : la privation des vivres chauds, du régime gras le dimanche, de la promenade, de la correspondance, la peine du cachot et celle des fers22. »
11Cet inventaire ne donne pas la mesure de l’importance du recours à la sanction. Le respect du règlement intérieur, la discipline donc, est exigé au nom de la sécurité. Ce dernier prévoit une série de sanctions possibles en cas d’infraction à l’un des articles. Or, certaines clauses ne sont pas applicables, s’y plier constamment est impossible, autant qu’il est impossible de sanctionner systématiquement toutes les fautes commises. La punition est pourtant le seul outil disponible afin de s’assurer l’obéissance des détenus et, par-là même, elle est le seul moyen d’assurer la sécurité. L’arbitraire quant à la prononciation d’une sanction est donc possible et probable. Le pendant inverse des punitions, les récompenses, moins nombreuses, consistent essentiellement en l’octroi de petits avantages ou autorisations exceptionnelles, insuffisantes pour inciter le détenu à respecter les règles de disciplines imposées. Punitions et récompenses s’entremêlent donc, les premières pouvant consister en la suppression des secondes. Au début de la période d’étude, c’est l’article 66 du décret du 29 juin 1923 qui établit l’inventaire des sanctions autorisées en fonction de la situation légale du détenu.
Document 11 – Punitions autorisées pour les condamnés et les prévenus, mineurs et adultes, des maisons d’arrêt affectées à l’emprisonnement en commun (1923).

- 23 Instruction n° 36, le 4-6-1937, à MM. les directeurs des institutions publiques d’ES et à M. le di (...)
- 24 Circ. du 14-4-1969, modification de la réglementation relative à la punition de cellule, AN Fontai (...)
- 25 Décret du 12-9-1972, portant modification au CPP, AN Fontainebleau, 960136, art. 94.
12Ce texte est valable autant pour les adultes que pour les mineurs. Or, tandis que les enfants des colonies pénitentiaires voient leur régime disciplinaire s’adoucir dès 1937 avec notamment « la suppression pure et simple des punitions de pain sec et de pain sec de rigueur23 », rien de tel n’est décidé pour les enfants des maisons d’arrêt exclus des nombreux textes qui réactualisent les modalités punitives. Même la circulaire du 29 décembre 1952 qui leur est dévolue, ne consacre aucune ligne à d’éventuelles sanctions spécifiques. Ce n’est qu’en 19661968, qu’une commission chargée d’humaniser le système les prend pour la première fois en considération. Cela ne se fait pas sans difficulté et finalement peu d’adoucissements sont concédés. Le « mitard » notamment, n’est pas supprimé pour les mineurs car certains membres de la commission considèrent qu’il « est dans la réalité le seul moyen de sanction efficace dont disposent la plupart des établissements ».Toutefois, la circulaire définitive du 14 avril 1969 prévoit qu’ » à l’égard des mineurs âgés de moins de dix-huit ans la punition de cellule revêt un caractère exceptionnel24 » et que l’isolement ne pourra excéder huit jours (contre trente pour les majeurs). Par la suite, les modifications législatives sont rares. Seul le nouveau code de procédure pénale de 1972 apporte quelques changements tels le renforcement du droit des détenus à se défendre ou l’implication systématique du juge d’application des peines. La punition de cellule est toujours exécutée dans des conditions équivalentes à l’exception, notable, qu’un « régime alimentaire normal est appliqué, sans aucune restriction, aux détenus punis de cellule25 ». Les raisons qui mènent à de telles sanctions sont bien nombreuses et il s’agit ici de voir dans quelles mesures elles sont appliquées aux mineurs.
Des punitions et des récompenses inapplicables
13Parmi les punitions prévues dans les décrets de 1923 certaines ne concernent pas, ou peu, les enfants incarcérés. Notamment les moins sévères tels le « retrait de l’autorisation d’occuper une cellule de pistole » et le « retrait de l’autorisation de faire usage du tabac », ne peuvent les toucher car ils n’ont guère les moyens pécuniaires de s’offrir la pistole et ne sont pas autorisés à consommer du tabac. De même, le « retrait de l’autorisation de faire usage du vin » et la « privation de cantine » sont forcément utilisés avec parcimonie par les surveillants : les enfants, sous payés et premières victimes du chômage carcéral, n’ont guère le loisir de faire de grandes dépenses. Quant aux privations d’activités récréatives, prévues en cas d’indiscipline au cours de l’une de ces manifestations, il est également difficile de les mettre en œuvre dans tous ces établissements qui n’en organisent pas. En revanche, la privation de lecture, dans les établissements où une bibliothèque est opérationnelle, est bien une sanction usitée parfois même de manière abusive :
- 26 AD Isère, 3262W1, « Rapport de la MA de Valence, le procureur de la République près le tribunal de (...)
« Je m’entretiens un moment avec ces mineurs qui se plaignent seulement de manquer de lecture, mais le surveillant-chef leur fait remarquer qu’ils déchirent les pages des livres qui leur ont été prêtés […]. J’ai l’impression que le milieu n’est pas bon, mais je fais remarque au surveillant chef qui se plaint de leur mauvais esprit que la turbulence notée est de leur âge […]. Il serait également souhaitable de ne pas les laisser pareillement inactifs en prison26… »
- 27 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, (...)
- 28 Ibid., p. 651.
- 29 Meurillon R., op. cit., p. 20.
- 30 Ibid.
14Ces différentes punitions réglementaires, privation d’achats et d’activités, ne sont donc pas toujours applicables. Il reste alors à la disposition des gardiens, pour réprimer les actes des indisciplinés, les sanctions les plus sévères : la privation de nourriture et la punition de cellule. Le panel est réduit à bien peu de possibilités et les récompenses prévues, et donc leur suppression en guise de sanction, trop peu nombreuses, n’étoffent guère la liste des moyens de pression. Les rares récompenses des décrets de 1923 dédiées uniquement aux condamnés sont, de plus, rarement utilisées. Le rapport d’inspection des prisons de la Seine de 1927, constate même qu’ » il n’est prévu nulle part, sauf à la Petite-Roquette, de système de récompense27 ». Les jeunes de la prison pour enfants seraient-ils donc privilégiées ? La désillusion vient dans la suite du rapport qui précise que « le directeur a cru pouvoir permettre, à titre de récompense, l’usage du tabac aux condamnés adultes28 ».Toutefois, une trentaine d’années auparavant, les garçons les plus méritants avaient la possibilité de travailler en commun dans l’atelier de fleurs artificielles, récompense qui s’accompagnait de séances de gymnastique. Cette faveur ne survit guère à la fermeture de l’atelier et, du même coup, les récompenses disparaissent totalement. En revanche, à la Maison d’éducation surveillée, « s’il faut prévoir des mesures de correction à l’égard des récalcitrants, il faut aussi songer à récompenser ceux qui par leur conduite, leur tenue générale, leur repentir, leur soumission méritent des éloges29 ». Le centre de triage, malgré son implantation en milieu carcéral, tente donc d’adopter le système de récompense en vigueur dans le règlement dévolu aux maisons d’éducation surveillée classiques. Il n’est bien sûr pas question d’autorisation de sortie ou de placement chez un particulier agriculteur mais une section « mérite » est ouverte. L’enfant qui y est admis « bénéficie d’avantages tels que séances de sports supplémentaires, jeux divers, livres de bibliothèque supplémentaires, abonnement à certains journaux sportifs ou amusants etc.30 ». De plus, les instituteurs choisissent dans cette section les enfants chargés du service général, rémunérateur, faveur considérable dans un établissement où le chômage et l’oisiveté sont omniprésents. Pourtant, une de ces récompenses au moins, est un leurre : la lecture est censée être illimitée. Comment est-il alors possible d’en ouvrir davantage l’accès ? Après 1945, le nombre des récompenses s’accroît mais elles touchent principalement l’accès aux loisirs et aux biens matériels… dont la privation constitue de nouvelles sanctions. De fait, ces nouvelles récompenses ne sont pas toujours possibles. Tel est le cas, par exemple, pour les activités récréatives. Si le règlement interne type de 1966 propose l’autorisation d’y assister à titre de gratification, nous avons vu qu’elles étaient inexistantes dans nombre de petites maisons d’arrêt. Il est naturellement alors impossible d’en faire bénéficier les détenus méritants. Lorsque cette récompense est envisageable, le fait de pouvoir la supprimer à titre de punition, en fait une faveur bien fragile et aléatoire. Ainsi, dans le règlement de la prison-école de Loos se superposent ces deux sentences :
« Des récompenses sont prévues pour encourager les bons éléments […] : courrier supplémentaire, parloirs prolongés, admission dans les clubs culturels ou récréatifs, etc. »
« Les sanctions applicables sont les suivantes […] : retrait de faveurs accordées : privation de tabac, de mandats, de certains articles de cantine, de spectacles et autres distractions. »
- 31 AN Fontainebleau, 960136, art. 89, « Lettre du Syndicat national des éducateurs de l’AP au dir. gé (...)
15Les récompenses sont bien une source de chantage possible. Les exemples peuvent se multiplier. Cependant, ils suivent le même schéma et la même démonstration, que pour les « privations impossibles ». En résumé, parmi les punitions, est prévue la suppression des récompenses or, ces dernières sont finalement fort rares, en pratique, avant le milieu des années 1970. Outre l’accès à la cantine, il ne s’agit souvent que de légers avantages comme le droit de décorer sa cellule ou, plus tard, la possession d’un poste de TSF. Cependant, pour les mineurs, les éducateurs qui pénètrent peu à peu dans le monde carcéral, s’opposent systématiquement à toute annulation d’activité culturelle « parce qu’elle atteint le détenu dans ses loisirs (qui sont souvent à caractère éducatif)31 ». Cependant, la récompense la plus prisée des détenus, la réduction de peine, introduit une véritable gratification à laquelle les détenus tiennent particulièrement. Aussi, est-elle rapidement la source d’un chantage privilégié de la part des gardiens. Angel Perez, mineur incarcéré, reste perplexe devant ce cadeau improbable du ministère de la Justice :
- 32 Perez A., op. cit., p. 18.
« Ils ont bien calculé leurs histoires de réduction de peine ! Exemple : 7 jours de moins par mois, cela représente 3 mois de réduction de peine par an. Cependant dans les tribunaux ils se font des comptes. Si on veut réellement te faire faire un an de prison, ils te donnent 15 mois… pas plus compliqué que ça ! En fait, c’est un moyen de pression sur le détenu qui finalement n’est pas récompensé pour sa bonne conduite32. »
16L’autorité en prison ne s’exerce que par le biais d’un chantage permanent par l’entremise d’un système complexe de récompenses et de punitions où les punitions les plus sévères sont particulièrement privilégiées.
Les punitions autorisées et appliquées : du pain sec à la cellule
- 33 Décret du 29-6-1923, op. cit., Code pénitentiaire, t. XXI, art. 37.
17Les deux principales punitions que les surveillants peuvent effectivement infliger aux prévenus mineurs de toutes les maisons d’arrêt quelles que soient les conditions de détention, sont la septième et la huitième inscrites dans le décret de 1923 : la suppression des vivres autres que le pain et la mise en cellule de punition ou aux fers33.
18Par manque d’archives, l’usage qui est fait de ces sanctions envers les enfants est bien difficile à quantifier, seules quelques pistes peuvent être proposées. D’après l’historien de Fresnes Christian Carlier, les filles de l’École de préservation en 1905 subissent essentiellement le pain sec et le « mitard » :
- 34 Carlier C., Spire J., Wasserman F., Fresnes, la prison, Ponthierry, Écomusée Fresnes, n. d., p. 58
« Il arrive à ces filles d’être punies, pour insubordination le plus souvent, rarement pour immoralité, plus rarement encore pour paresse. Le directeur réprimande peu, punit souvent de cachot, plus souvent encore de privations diverses, principalement alimentaires34. »
19En matière de nourriture, les dénonciations des journalistes de l’assiette au beurre sont particulièrement véhémentes et la faim est, dans leur récit, omniprésente :
- 35 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
« À la moindre incartade, et souvent sans motif, le gardien condamne au pain sec les détenus […]. Certains prisonniers subissent ce supplice jusqu’à sept jours consécutifs […].
Tous les détenus souffrent cruellement de la faim, la nuit, le jour, et pour toute la durée de la détention, d’une faim obsédante, qu’aucun repas réglementaire n’apaise35. »
20Peut-être exagérées, ces critiques trouvent pourtant des échos qui les rendent tangibles. D’abord, l’alimentation carcérale de cette première moitié de xx e siècle est souvent insuffisante. Ensuite, bien que très lapidaire sur le sujet, le rapport d’inspection des prisons de la Seine de 1927 confirme la prédominance de la privation de nourriture et l’importance des peines de « mitard » pour les environ quatre cents enfants détenus :
- 36 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, (...)
« D’une façon générale, la discipline est assez médiocre dans les prisons de la seine […].
À la Petite-Roquette, où les punitions les plus fréquentes sont le pain sec, on trouve 287 punitions de cellules dans les dix premiers mois de 192636. »
21La peine de cellule n’est pas infligée avec parcimonie mais largement usitée. C’est pourtant la sanction la plus sévère, notamment pour les conditions dans lesquelles elle se subit entre autre à la Petite-Roquette :
- 37 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
« Les cachots sont des cellules rectangulaires, situées au sous-sol. Elles mesurent environ un mètre cinquante de largeur sur trois de longueur, et leur hauteur, du sol au plafond, n’est pas de moins de cinq mètres. Un vasistas placé dans le haut de la muraille, et dont le volet est seulement entr’ouvert, laisse pénétrer un peu d’air et de lumière jusqu’au fond de cette basse-fosse dans laquelle, d’ailleurs, l’obscurité presque complète permet de se mouvoir qu’à tâtons.
Au moindre bruit commis par le prisonnier, le vasistas est entièrement clos ; le malheureux se trouve alors privé d’air et dans l’obscurité absolue […].
Les cahots sont fort malsains. L’eau coule abondamment le long de leurs parois, entretenant une température très basse. Les détenus y ont les pieds nus dans des chaussons37. »
22Il est possible, cette fois, de porter entièrement crédit aux propos des journalistes de L’Assiette au Beurre : la Petite-Roquette est une prison déjà ancienne, mal entretenue et obsolète avec son chauffage au charbon. À la Maison d’éducation surveillée de Fresnes des sanctions sont également prévues, celle d’isolement notamment. Toutefois, leur mode d’exécution semble plus proche de celui des maisons d’éducation surveillée et écoles de réforme :
- 38 Meurillon R., op. cit., p. 20.
« Punitions : Le régime de l’isolement rend peu utile tout l’arsenal des punitions mis à la disposition du Directeur pour sanctionner les diverses infractions au règlement :
Annulation de récompenses individuelles ; réprimande par le directeur ; corvées supplémentaires ; privation de visite ; lit de camp ; pain sec ; pain sec de rigueur ; équipe de discipline ; cellule de punition ; envoi au quartier correctionnel ; en plus réparation de tout dommage matériel intentionnel. D’ailleurs, lorsque ces peines sont prononcées, elles se trouvent adoucies, du fait qu’on ne prive jamais l’enfant de nourriture. En conséquence, la cellule de punition réservée aux auteurs d’infractions graves (coups, menaces, indiscipline continuelle) se réduit-elle à l’isolement de jour et de nuit dans une chambre plus sombre que les autres, sans autre distraction que la promenade quotidienne réglementaire laissant ainsi le puni désœuvré entre quatre murs qui l’intimide38. »
- 39 Ibid., p. 5.
- 40 AD Isère, 6Y8, « Divers avis de transferts de mineurs de la MA de Grenoble à destination d’autres (...)
23Les différences les plus importantes dans les méthodes disciplinaires du quartier pour mineurs de Fresnes résident dans la suppression des sanctions alimentaires et dans l’aspect des pièces qui font offices de « mitard », « semblables aux autres cellules39 ». Pour les autres maisons d’arrêt, munies ou non de quartiers spéciaux, aucun indice n’est disponible. Les archives sont muettes alors que l’on y trouve des enfants indisciplinés comme ce garçon de 14 ans, détenu à Grenoble, de « mauvaise moralité, réputé comme paresseux, filou et voleur40 », susceptible d’avoir subis quelques punitions.
- 41 AD Isère, 3262W1, « Inspection du dir. régional de Lyon de la MA de Grenoble », 13-4-1959.
- 42 AN Fontainebleau, 960136, art. 100, « Règlement – Mémento à l’usage des détenus – MC de Loos, cent (...)
- 43 Fonds Brisset, « Rapport de Henri Gaillac à Pierre Ceccaldi », 3-7-1958, p. 11.
- 44 Ibid.
- 45 Fonds Brisset, « Lettre de la direction de l’AP au dir. de l’ES », 14-8-1958.
- 46 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « Note du bureau de la détention pour le Dr Fully », 23-9-1968.
- 47 Ibid., « Note du bureau de la détention pour le dir. du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis », (...)
- 48 Montaron J.-P., op. cit., p. 32-33.
24À la Libération, de nouveaux quartiers et de nouvelles prisons spécifiques pour mineurs sont expérimentées, les mineurs détenus prennent progressivement une place à part dans les textes législatifs et, corrélativement, dans les détentions. Si ces progressions ne concernent pas le régime disciplinaire, l’évolution des mentalités laisse présager que, peut-être, les pratiques sont susceptibles de devancer les textes officiels muets sur la question. Or, l’examen des quelques sources disponibles discrédite cette hypothèse et les notes de directeurs qui déclarent qu’ » un mineur était placé en cellule d’isolement en raison de son attitude indisciplinée et de sa mauvaise influence sur ses codétenus41 » sont relativement courantes. À l’inverse des maisons d’arrêt, dans les prisons spécifiques, un régime disciplinaire particulier est souvent prévu bien que très inspiré du règlement des prisons classiques. De fait, dans les prisons-écoles les sanctions sont très similaires à celles des décrets de 192342 et ne mentionnent pas les moins de 18 ans mais il est vrai qu’Oermingen et Loos sont normalement réservées aux jeunes majeurs. Le CSOES géré par l’éducation surveillée a pourtant emprunté à l’administration pénitentiaire son traditionnel « mitard ». À l’ouverture de l’institution, la punition de cellule n’est pas prévue, car « il est souhaitable que la création au quartier d’un véritable climat éducatif supprime presque totalement le recours à des sanctions importantes43 ». Or, trois mois après, d’importantes manifestations collectives sont à déplorer. Il en résulte une correspondance tripartite entre le ministre de la Justice et les directeurs de l’éducation surveillée et de l’administration pénitentiaire au terme de laquelle il est décidé qu’ » il appartient au directeur des prisons de Fresnes d’intervenir au cas où il estimerait qu’une intervention de sa part est nécessaire44 ». À partir de cette première incursion du disciplinaire au cœur du CSOES, la punition de cellule est désormais possible et utilisée : « Les mineurs du centre spécial d’observation de Fresnes faisant l’objet d’une mesure d’isolement subissent leur punition dans les locaux disciplinaires dépendant de l’administration pénitentiaire45. » Il est bien question ici du « mitard » réservé aux adultes de la détention d’à côté. Au CSOES, les jeunes gens les plus indisciplinés sont punis comme n’importe quel détenu des maisons d’arrêt. À Fleury-Mérogis, le « mitard » est également présent tant au CJD qu’à la MAF. Dès l’ouverture de la prison moderne, la colère d’un médecin à propos du suicide d’un jeune puni fait valoir que la punition de cellule est prescrite sans beaucoup de discernement46. À la suite de cet accident, « le quartier disciplinaire […] ne sera plus utilisé pour les jeunes détenus47 ». Pourtant, quatre ans plus tard, un mineur en proie à une crise de nerf dévastatrice est conduit « dans le bâtiment d’en face – celui des adultes – celui des cellules de mitard48 ». Angel Perez s’y retrouve également, après une tentative d’évasion avec violence, « en slip et mort de froid ». À la suite de l’annonce d’une peine de vingt jours de « mitard », peine maximum pour ses 17 ans, il est transféré, enchaîné, au bâtiment D2. Il décrit une cellule, à l’aménagement rudimentaire mais salubre :
- 49 Perez A., op. cit., p. 104.
« Le mitard est en fait une cellule semblable aux autres, mais totalement vide et toute peinte en beige. En entrant sur la gauche tu as les WC, c’est-à-dire un trou surélevé d’une vingtaine de centimètres comme on en voit encore dans quelques vieux bars de Paris… Fixée sur un mur, une plaque de fer destinée à te servir de lit et toujours sur la gauche dans le petit coin : un lavabo. C’est ça le mitard : un endroit où s’arracher les cheveux de la tête tellement on se sent comme un oiseau pris en cage […]49. »
25Cet isolement est accompagné des traditionnelles privations de tabac et de loisir mais aussi, plus grave, de parloir. Difficile à vivre, le « mitard » est pourtant la peine la plus utilisée. Des livres et liasses de procédures disciplinaires de la MAF de Fleury-Mérogis permettent d’évaluer la fréquence de parution au prétoire des jeunes filles détenues, les peines qui leur sont infligées et les raisons de leurs sanctions : elles rendent compte des parutions au prétoire de mars à juin 1988 et totalisent cinq cent quatre prétoires sur six mois. Trente-cinq de ces comparutions mettent en cause neuf mineures, parmi elles une seule est une condamnée. Le tableau suivant récapitule les affaires qui concernent Malika Z., particulièrement indisciplinée. La jeune fille, prévenue, a 14 ans ½.
- 50 AD Essonne, 1466W1, Livres et liasses de procédures disciplinaires, « Les fiches disciplinaires de (...)
Document 12 — Les comparaisons au prétoire de Malika, jeune détenue à la MAF de Fleury-Mérogis (1988)50.

26Malika est essentiellement convoquée au prétoire pour insultes verbales à l’encontre des surveillantes, dans deux cas seulement il s’agit d’une infraction et d’un refus d’obéissance. Chaque fois, la punition consiste en une courte peine de punition de cellule, systématiquement assortie du sursis. De fait, Malika ne subit finalement aucune punition réelle. Sa situation n’est pas unique : sur les vingt-huit autres fiches, la courte punition de cellule avec sursis apparaît très majoritaire. Un seul cas de relaxe est décrété en faveur d’une jeune fille qui « a été victime d’une altercation ». Les autres punitions sont soit la réprimande soit la peine ferme de cellule, aucune autre alternative. Le code de procédure pénale est nettement nié et le panel des punitions mis à la disposition des surveillantes est peu utilisé. Aucune privation de récompense, par exemple, n’est prononcée mais il est vrai, qu’à la MAF, les loisirs sont peu nombreux. De plus, les raisons qui entraînent la peine ne paraissent pas toujours assez graves pour justifier un envoi au cachot. Certes, les mineures détenues ne sont pas des anges mais, la lutte contre l’insulte des surveillantes, si fréquemment invoquée, ne semble pas pouvoir se résoudre avec la menace du « mitard » : Malika est condamnée cinq fois en quatre mois à une peine avec sursis pour cette raison.
- 51 Chemin A, « La procédure disciplinaire n’offre pas de garantie aux détenus », Le Monde, 5-2-1995.
- 52 OIP, op. cit., p. 308.
27En 1995, l’arbitraire des sanctions infligées aux détenus, trop flagrant, est médiatisé. Il en ressort que « les mineurs détenus ne sont pas épargnés : en 1993, ils se sont vus infliger 1817 sanctions, soit une proportion plus importante, au regard de leur nombre, que leurs aînés51 ». L’administration pénitentiaire prépare enfin une réforme de la procédure disciplinaire prête en 1996. La peine de cellule n’est plus applicable aux mineurs de 13 à 16 ans qui ne peuvent non plus être privés des activités scolaires. Pour ceux de 16 à 18 ans, la peine de cellule est strictement limitée à quinze jours52. Toutefois, en 2000, les enquêtes simultanées des parlementaires et des sénateurs mènent toutes deux à des constats équivalents :
- 53 Hyest J.-J. (président), op. cit., p. 18.
« Elle [la commission] a constaté que le nombre de punitions de quartier disciplinaire était très élevé. Par exemple, à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, 581 sanctions de quartier disciplinaire ont été prononcées en 1999, contre 132 pour les autres sanctions […].
Certaines cellules disposaient encore de toilettes à la turque, d’une saleté souvent repoussante, avec un robinet. Le détenu dort sur un mince matelas, posé sur une dalle de béton. L’aération est parfois déficiente. La température peut y être glaciale en hiver, et suffocante en été.
La “promenade” consiste à se rendre seul, une heure par jour, dans une petite cour grillagée53. »
28Une observatrice, infirmière à Fleury-Mérogis en 2000, corrobore ces propos. Après une description du quartier disciplinaire, « dans un état épouvantable », elle fait un décompte des punis : sur cinquante-deux, « plus de la moitié ont moins de 20 ans et viennent du CJD » et décrit deux réactions différentes des jeunes gens face à cette sanction :
- 54 Schachtel M., op. cit., p. 148-149.
« Après un séjour au mitard, explique le surveillant, ces voyous deviennent les caïds de leur bâtiment. À croire qu’ils font des conneries pour passer ici. Y’en a un qu’est venu 22 fois. Je sais aussi que d’autres, terrorisés par leur séjour au mitard, s’ouvrent les veines, comme ce jeune de 17 ans qui n’a rien trouvé de mieux que d’enfoncer des clous et des vis rouillés dans sa blessure54. »
29Du caïd au suicidaire, les jeunes détenus, garçons et filles, ont tous une réaction d’adaptation ou de rejet plus ou moins marqué face à la prison et aux conditions de détention. La révolte se tourne non seulement contre l’institution et ses représentants mais aussi contre soi.
De l’adaptation à la révolte
- 55 Melas L., Ménard F., « Production et régulation de la violence en prison », Arrêt sur recherche, M (...)
« Car les établissements pénitentiaires, lieux de la norme et de la règle par excellence, sont aussi des lieux de “flottement” où chacun ajuste sa conduite en fonction des multiples décalages qui semblent constituer l’ordinaire de la vie pénitentiaire : décalage entre les missions et les moyens, entre la règle et les usages, entre le dit et le su, entre des objectifs institutionnels et les cultures professionnelles, etc.55. »
30Consciente d’une singularité des mineurs de justice, l’administration pénitentiaire tente sans cesse d’adapter ses structures à la prise en charge de cette population pénale qui relève d’autres problématiques que celle composée d’adultes. De la Petite-Roquette au CJD de Fleury-Mérogis, elle entreprend inlassablement de nouvelles expériences. Le séjour en détention entraîne des comportements particuliers inhérents à l’enfermement, de mieux en mieux connus, et dont les législateurs désirent diminuer les effets persistants sur le psychisme des jeunes ; ils inventent des prisons qui n’auraient pas les inconvénients de la prison. De fait, les idées déjà anciennes de rééducation et de réinsertion des détenus s’étendent et sont intégrées dans les régimes de détention, plus humains. La politique mise en place est désormais axée sur la formation scolaire et professionnelle, prioritairement destinée aux moins de 21 ans. Dans cette nouvelle optique, la fonction du personnel de surveillance se transforme. En plus du rôle traditionnel de surveillance de la population pénale, il lui est de plus en plus demandé de prendre part aux efforts de réadaptation entrepris en faveur des prisonniers. Sa place se rapproche, malgré de nombreuses réticences, de celle des éducateurs et autres assistants sociaux. Pour autant, la formation du personnel pénitentiaire est longtemps largement négligée. Cela a pour conséquence une incompréhension chronique entre les détenus et ceux chargés de les garder, incompréhension qui débouche régulièrement sur des crises touchant aux individus et susceptibles de s’étendre à l’ensemble de la détention. Cependant, dans les efforts entrepris, il s’agit bien de contrer les conséquences, psychologiques et physiques, engendrées par l’oisiveté et la contamination des « connaissances criminelles » entre prisonniers, autrement dit d’empêcher l’acquisition d’une culture carcérale. Mais cela est-il seulement possible ? La vie en communauté réduite et non mixte, régie par une discipline jugée nécessairement contraignante, ne nécessite-t-elle pas obligatoirement un mécanisme d’adaptation de la part de ceux qui y sont soumis ? De fait, certains jeunes détenus adoptent, selon leur personnalité et leur passé judiciaire, des conduites défensives ou passives susceptibles de les intégrer à la vie pénitentiaire, tant auprès des surveillants que de leurs codétenus. D’autres n’y parviennent guère, faute d’une capacité à opérer les concessions nécessaires dans le rapport de force constant que demande ce mode d’enfermement. Le malaise ressenti peut alors se traduire par des conduites a priori diamétralement opposées, et pourtant empreintes des caractères carcéraux. Ces attitudes sont souvent accentuées par les comportements et aptitudes des compagnons omniprésents des prisonniers : les surveillants. De l’adaptation personnelle à l’adaptation au groupe, l’adolescent peu passer à la révolte, qui revêt également des formes individuelles aussi bien que collectives en fonction de chaque personnalité et du contexte politique général ou de la gestion interne à l’établissement. L’adaptation à l’enfermement et les révoltes contre le système carcéral se manifestent systématiquement par le biais d’actions violentes plus ou moins apparentes. Malgré les efforts affirmés de l’administration pénitentiaire et la multiplication des initiatives originales, les mineurs détenus développent systématiquement des symptômes corrélatifs à l’enfermement et en gardent des stigmates qui ressurgissent à l’occasion d’une nouvelle incarcération ou au moment de la remise en liberté.
Adaptation à l’enfermement ou acquisition d’une culture carcérale ?
31La définition et le principe de sous-culture carcérale sont étudiés pour la première fois par le sociologue américain Donald Clemmer en 1940 sous l’appellation de « prizonisation » :
- 56 Combessie P., Sociologie de la prison, op. cit., p. 70.
« […] développant le concept de prizonisation, qu’il [Donald Clemmer] définit comme un processus d’assimilation des valeurs et qui se manifeste au travers des modes de vie propres à l’univers carcéral. Plus l’enfermement dure, plus le détenu incorpore des habitudes spécifiques au mode carcéral : ne plus ouvrir une porte, faire ses besoins devant témoins, ne prendre aucune initiative, etc. À la libération, nombre de ces habitudes acquises en prison vont s’ajouter aux handicaps de l’ancien détenu et rendre plus difficile son insertion dans le monde libre56. »
- 57 Gresham S., Society of Captives : A Study of a Maximum Security Prison, Princeton (New Jersey), Pr (...)
- 58 Combessie P., Sociologie de la prison, op. cit., p. 70.
32Gresham Sykes, en 1958, reprend le même concept lorsqu’il étudie l’argot carcéral avec les outils de la linguistique57. Sa terminologie de sous-culture carcérale, confirmée, est définitivement adoptée par les chercheurs qui s’intéressent au monde pénitentiaire58. De fait, les pratiques des détenus sont bien distinctes de celles de la population libre, adaptées à l’enfermement. Peut-être par un besoin d’adaptation immédiate au milieu qui les entoure ou à une communauté quelle qu’elle soit, les mineurs semblent assimiler bien plus rapidement encore que leurs aînés les us et coutumes de la prison.
Une adaptation subversive
33Cyclothymique, la réaction des enfants face à l’incarcération diverge d’un individu à l’autre. L’adaptation au système se fait plus ou moins aisément. Les psychologues ont analysé ce phénomène, notamment les docteurs Vullien et Guilbert dans un article de 1946 :
- 59 Vullien, Guilbert, « Les mineurs dans les prisons », Revue de l’éducation surveillée, n° 5, nov.-d (...)
« C’est surtout au moment de l’évolution pubertaire où l’émotivité est la plus délicate, où, même dans des conditions de vie normales, l’adolescent est incliné aux solutions de révolte et d’opposition que l’on risque de voir la nonchalance morale se cristalliser à la faveur d’une dépression organique. Nous avons observé des cas de ce genre ; ce qu’on constate surtout chez ces sujets, c’est une véritable perte de l’élan vital, une adaptation au climat de la prison59. »
- 60 Levacher J., « Si La Courneuve m’était contée… », Pour l’histoire, AHES-PJM, n° 17, avril 1998, p. (...)
- 61 À l’origine, l’expression de « pointeurs » désigne dans le jargon carcéral les détenus incarcérés (...)
- 62 Entretien informel de déc. 1999 avec Roger Vibert-Vichet, ancien responsable du FAE de La Courneuv (...)
34Le propos est pour lors de donner une piste quant à l’adaptation des adolescents à un milieu fermé et, en la matière, l’exemple du CSOES où l’observation est à la base du projet éducatif, est particulièrement révélateur. Après-guerre, s’amorce toute une réflexion sur l’observation des animaux et des hommes. Celle du règne animal est développée, entre autres, par Konrad Lorenz qui étudie des animaux en cage, leurs attitudes et l’évolution de leurs comportements. Sa conclusion est on ne peut plus claire : en observant des êtres prisonniers, ce n’est pas leur façon de vivre habituelle que l’on découvre mais leur capacité d’adaptation à un milieu fermé. Face au développement de l’observation participante en milieu naturel, l’observation dans un lieu clos se révèle être une aberration, sauf s’il s’agit de saisir les capacités d’adaptation d’un individu à sa cage ce qui n’est certes pas l’objectif du CSOES. Or, si cet établissement n’est pas une maison d’arrêt classique, c’est un lieu d’observation situé entre quatre murs. Les mineurs y sont éloignés de leur famille, de leur quartier, de leurs fréquentations. Au CSOES, on ne fait qu’observer des adolescents qui se plient plus ou moins bien aux contraintes du cloisonnement. Un exemple, à lui seul, illustre bien cette vérité : pour accueillir les mineurs de Fresnes, trop marqués par l’emprisonnement et que personne ne veut plus prendre en charge, il est créé à La Courneuve un foyer d’action éducative (FAE) faisant office de centre de « semi-liberté » de postcure. Une des particularités de cet établissement est que les pensionnaires étaient choisis par les éducateurs du CSOES60. Dans un premier temps ils y envoient les garçons les plus calmes et c’est une catastrophe. Ces mineurs sont en fait les mieux adaptés au système carcéral, c’est-à-dire les caïds, les « pointeurs61 » qui, s’ils sont disciplinés face aux éducateurs, terrorisent leurs camarades. Par la suite, ce sont les « gars du mitard », les fortes têtes du quartier spécial qui sont conduits au foyer… en fait, les jeunes qui ne se sont pas faits à la claustration. La gestion de l’établissement, qui offre une certaine indépendance, en est alors facilitée62. Cette anecdote confirme les différentes façons de réagir des adolescents enfermés. Certains perçoivent et assimilent le fonctionnement de la prison et parviennent à s’y adapter. Éventuellement, ils savent également exploiter les failles du système et les particularismes de ce microcosme. D’autres ne parviennent guère à accepter leur détention et se révoltent contre toute injustice, répondent à la provocation par la provocation. Or, si ce phénomène est observable au CSOES dont le régime de détention est relativement libéral, il prend d’autant plus d’ampleur dans les prisons spéciales qui reçoivent un grand nombre de jeunes détenus.
- 63 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Étude sur le problème posé par les jeunes détenus incarcérés… (...)
35Les jeunes délinquants incarcérés après avoir été placé dans une institution d’éducation surveillée, à l’occasion d’une infraction antérieure, adoptent-ils un comportement divergeant de celui des adolescents vierges de cette mesure éducative ? C’est l’objet d’une vaste enquête menée par le garde des Sceaux en 1969. Les institutions interrogées sont exclusivement les prisons-écoles de Loos et d’Oermingen, le CJD de Fleury-Mérogis et les quartiers spéciaux de Rouen (garçons) et la prison pour femmes de Rennes (filles). Les différents agents chargés du bilan différencient deux tendances : les mineurs qui utilisent le système parce qu’ils le connaissent pour être déjà passés par des institutions plus ou moins fermées, et ceux qui n’y parviennent pas, ignorants encore des codes et lois internes de la détention. En effet, dans l’imaginaire collectif, la prison est austère et effrayante. Aussi, « le primaire est, en général, à son arrivée, anxieux, déprimé, inquiet, impressionné. Il se représente la Prison comme un épouvantail63 ». À l’occasion de leur intégration au groupe, ce sont également les adolescents les plus insolents vis-à-vis du personnel de surveillance, pas encore initiés à la vie semi-communautaire inhérente à la prison :
- 64 Ibid.
« Le primaire est peut-être plus sincère que le jeune ayant déjà été en prison, car il n’a pas subi d’échec. Le séjour en prison le touche. Il regrette sincèrement la liberté qui lui manque, car il n’est pas habitué à cette vie. Il désire vivement une fois dehors ne plus faire de bêtises de façon à ne plus revenir en prison […]. Le réflexe “Bêtise” = Prison joue en général64. »
- 65 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. de la prison-école d’Oermingen au garde des Sceaux », 28-4 (...)
36Les primaires ne savent pas encore doser la part d’hypocrisie et de mensonge qu’il faut afficher devant le personnel, contradictoire avec l’attitude de prestance et de nonchalance nécessaire pour s’imposer auprès des codétenus. À l’inverse, les jeunes gens rompus aux institutions d’éducation surveillée, s’adaptent plus facilement à la prison. Elle est démystifiée, ils ont l’impression de la connaître, soit parce qu’ils y ont déjà fait un bref séjour en préventive, soit parce qu’ils en ont déjà entendu parler par les copains. Aussi, malgré leur hostilité envers tous ceux qui représentent l’autorité, ils savent se plier docilement, du moins en apparence, au règlement intérieur et concéder « un certain conformisme et opportunisme dans leur adaptation à la vie du centre ». Cauchemar de leurs camarades, souvent caïds de la détention, « méfiants, aigris, réticents, blasés65 », ils savent parfaitement jouer aux « bons détenus » et éviter ainsi d’attirer l’attention du personnel sur eux et, de fait, la sanction :
- 66 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. de la prison-école de Loos au garde des Sceaux », 28-5-196 (...)
« Agressifs, impulsifs, instables, ces jeunes détenus [anciens de l’éducation surveillée] sont en général très bien adaptés à la vie carcérale. Très à l’aise, ils connaissent les moyens de tirer profit de toutes les situations, cherchent souvent à jouer les “leaders” et adoptent, pour la plupart, un comportement stéréotypé66. »
37Une note manuscrite du garde des Sceaux figure dans la marge de ce rapport : « Serait-ce un succès pour l’ES ? ! ! ! ! » Cela révèle, sans aucun doute, son expectative quant à l’opportunité d’un séjour dans un IPES. Les propos des responsables des mineurs détenus laissent en effet peu d’espoir en la matière. L’exemple du foyer de La Courneuve vient encore confirmer cet effet pervers de la « chaîne carcérale » tout autant que les commentaires de l’éducateur de la prison de Rouen :
- 67 Ibid., « Rapport concernant le centre des mineurs des prisons de Rouen par M. Jean Lestelle, éduca (...)
« Le garçon qui a déjà bénéficié d’un établissement à régime éducatif connaît le processus. Il s’adapte bien plus vite, bien plus facilement, il s’accommode et, en général, est un “bien meilleur détenu”, car il n’ignore pas grand-chose du système et sait que son intérêt le pousse à s’intégrer avec le souci de donner entière satisfaction67. »
- 68 Goffman E., op. cit.
38Autrement dit, les directeurs de ces divers établissements de jeunes détenus ne font que constater ce que Erving Goffman a mis en évidence un an auparavant pour les hôpitaux psychiatriques et, par extension, pour toutes les « institutions totales ». L’auteur d’Asiles distingue les « adaptations primaires » qui consistent à simplement tenter de respecter les règles de l’institution, dans notre étude apanage des jeunes sans expérience de l’éducation surveillée, des « adaptations secondaires » qui consistent en une stratégie pour l’enfermé à se créer des espaces de liberté dans les interstices du contrôle de l’institution68. Les anciens de l’éducation surveillée semblent majoritairement appartenir à cette seconde catégorie. En ce domaine, les filles ne font pas exception. Le responsable de détention à Rennes, comme ses homologues, fait un lien direct entre l’institution d’éducation surveillée et la prison :
- 69 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Lettre et commentaire du dir. régional de Rennes au garde des (...)
« Le personnel “sent”, dès l’arrivée à l’établissement lorsqu’il a à faire à une détenue qui a déjà fréquenté une institution.
I-Attitude face à la discipline et au personnel
– apparente docilité mais aussi rouerie et habileté ;
– réaction de prestance en collectivité69. »
39Entré(e)s depuis un certain temps déjà dans les rouages de la prise en charge judiciaire des mineurs, les anciens et anciennes de l’éducation surveillée ne semblent plus attendre grand-chose de leur avenir et vivre au jour le jour. Le responsable du CJD de Fleury-Mérogis est, à ce sujet, de loin, le plus critique et le plus acerbe :
- 70 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. régional responsable du CJD de Fleury-Mérogis au garde des (...)
« Il est un trait commun à ces mineurs de 18 ans [anciens de l’éducation surveillée], c’est leur profonde perversion ; d’une façon générale ils sont allergiques à toute action éducative et posent un problème encore plus délicat que les jeunes de 18 à 21 ans70. »
40Le rapport final, assez succinct, résume les propos des directeurs et laisse peu d’espoir quant au bienfait éventuel d’un passage en IPES. Les conclusions émises par la commission confirment que les adolescents détenus qui ont précédemment fait l’objet d’une mesure d’éducation adoptent un comportement singulier par rapport à leurs camarades primaires :
- 71 Ibid., « Rapport – Problèmes posés par les jeunes détenus incarcérés après échec de leur traitemen (...)
« Ils se comportent donc, à la limite, comme d’anciens détenus et sont susceptibles par conséquent de s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie tout en observant souvent un comportement assez hypocrite.
C’est ainsi que par rapport aux jeunes détenus certains défauts sont chez eux nettement accentués : même s’ils se plient apparemment aux règles qui leur sont imposées, ils conservent un esprit d’opposition et de contestation fondamentale envers l’ordre social71. »
- 72 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. régional responsable du CJD de Fleury-Mérogis au garde des (...)
41Toutefois, « il semble également que les meneurs ne se recrutent pas spécialement parmi les détenus ayant fait l’objet de placements en institution » même s’il est précisé « que par leur influence ces jeunes délinquants incitaient leurs codétenus à exercer des brimades et des exactions sur les éléments les plus faibles ». Or, ces jeunes gens sont mêlés à des codétenus « très jeunes qui n’ont pas achevé leur croissance et qui sont exposés plus que les autres à l’influence nocive et aux sévices des individus plus âgés72 ». De fait, il s’agit d’être le plus fort, le leader, le caïd, ou à défaut, d’être à la solde de ce dernier sous peine de se voir continuellement harcelé et brutalisé. Dans ce cheminement vers l’acquisition de la culture carcérale, la forme peut-être la plus violente qui permet l’organisation hiérarchique du groupe de jeunes détenus, est la pratique, obscure, du viol des uns par les autres.
Une pratique toute carcérale : l’exemple de la sexualité des garçons détenus
- 73 Debesse M., op. cit., p. 43.
« La première nouveauté dans l’affectivité des adolescents est précisément l’émergence de l’instinct sexuel […]. C’est pour cela sans doute que l’épanouissement de l’instinct sexuel est souvent difficile et sujet à plus de déviations que tout autre73. »
- 74 Peyrefitte R., Les amitiés particulières, Paris, J’ai Lu, 1958, 441 p.
- 75 Lesage de la Haye J., La guillotine du sexe, Paris, 2e éd., Monde libertaire, 1992, 219 p.
42Le problème de l’homosexualité dans les communautés d’hommes soulève un intérêt ancien. La littérature regorge d’études et d’histoires sur des couples du même sexe dans les institutions dévolues aux jeunes gens. Par littérature, il faut entendre aussi bien celle romanesque, illustrée par les amitiés particulières de Roger Peyrefitte74, que celle plus scientifique qui émane des médecins et psychiatres. Il ressort de ces travaux que dans ces internats ou petits séminaires, une certaine violence dans la sexualité naissante peut émerger entre les garçons. Déjà difficile à contrôler, à assumer et à assouvir dans la vie libre, la découverte de la sexualité chez l’adolescent détenu est particulièrement oppressante. À défaut de présence féminine, il ne reste aux jeunes prisonniers que la puissance de leur imagination et la masturbation, remèdes de substitution pas toujours suffisants : les rapports homosexuels deviennent alors le seul dérivatif à une sexualité contrariée. Cependant, très rarement consentis, ils sont majoritairement violents et brutaux. L’existence d’affaires de mœurs entre détenus est reconnue par l’administration pénitentiaire mais le sujet reste tabou. Le voile commence certes à se lever75 mais la recherche sociologique, ethnologique et plus encore historique n’en est qu’à ses balbutiements et la règle du silence pénitentiaire est, peut-être, en ce domaine, plus forte encore que pour n’importe quel autre :
- 76 Mermaz L. (dir.), op. cit., p. 37.
« Le problème des viols entre détenus, s’il fait parfois la une des journaux, est totalement occulté et, comme le note l’un des parlementaires dans ses comptes rendus de visite : “Il est impossible de savoir, côté détenus comme administration, ce qui se passe vraiment la nuit dans les cellules. L’omertà sur ces questions semble très puissante et efficace76.” »
- 77 « Prisonnières », Dedans-Dehors, n° 12, mars-avril 1999, p. 8. cons E., op. cit., p. 173-190.
- 78 Welzer-Lang D. (dir.), Sexualités et violences en prison : ces abus qu’on dit sexuels, Lyon, Aléas (...)
- 79 Schachtel M., op. cit., p. 106.
43Nous ne prétendons guère remédier à ce déficit de la connaissance pénitentiaire mais apporter quelques pistes quant à une éventuelle spécificité de ces pratiques chez les jeunes d’autant que les rares recherches sur la sexualité carcérale concernent les maisons centrales, peuplées d’adultes, où le long temps d’incarcération pousse les détenus à trouver des palliatifs. Quant aux détentions de femmes, il est plus difficile encore de cerner les pratiques sexuelles qui s’y développent. L’omertà y est plus importante encore que dans les détentions d’hommes. Il paraîtrait, d’après quelques récents témoignages plus ou moins confirmés77 par une étude sociologique qui attend d’être développées78, que la sexualité y est moins violente, plus souvent consentie bien que d’avantage réprimée que pour les hommes79. Seulement, là, aucune archive pour le confirmer ou l’infirmer et l’étude proposée doit se contenter d’examiner le cas masculin. Un fait est certain, la surpopulation et la promiscuité sont les premières causes des viols entre détenus. Les préoccupations sanitaires en milieu carcéral et la promotion du régime cellulaire, au début du siècle, sont les premières qui mettent en lumière cette réalité incontournable. Les inquiétudes des médecins des prisons à ce sujet sont fréquentes :
« M. Gröll [le médecin de la prison] m’a déclaré constater d’assez nombreux cas de blennorragie et de syphilis acquis à la prison et résultant des relations qu’avaient les détenus entre eux dans les dortoirs en commun. »
- 80 AD Isère, 2Y, « Rapport sur la MA de Grenoble », n. d. (vers mars 1914).
- 81 AN (CARAN), BB18 6503, « Rapport sur une tentative de meurtre, le procureur général de Montpellier (...)
- 82 Vullien, Guilbert, « Les mineurs dans les prisons », op. cit., p. 30.
- 83 Montaron J.-P., op. cit., p. 30.
- 84 Ibid., p. 47.
44La réponse du responsable de la détention confirme que le phénomène est bien connu de la direction et si « ces actes sont très regrettables », « en raison de la promiscuité dans les dortoirs en commun, il est malheureusement impossible de les prévenir et de les empêcher80 ». Les archives d’avant 1945 ne révèlent que des soucis d’hygiène et de prophylaxie. Aucune plainte, et moins encore de trace d’une sanction infligée à la suite d’un viol. Cependant, certaines notes qui semblent à première vue relever du fait divers sordide, offrent en réalité une mesure du phénomène chez les jeunes délinquants. Ainsi, des affaires liées à la sexualité apparaissent dans les archives des colonies pénitentiaires mais toujours en second plan, comme une excuse à un acte plus grave. Par exemple, en 1909, à Aniane, un jeune homme blesse grièvement un camarade avec des ciseaux. Dans son rapport le procureur général précise simplement que la querelle « a pour cause des faits d’homosexualité81 ». L’adolescent violent est condamné à huit mois d’emprisonnement par le tribunal correctionnel pour la blessure infligée et non pour rapport sexuel illicite. Du fait d’une puberté récente et de la vie en groupe restreint et masculin, la violence sexuelle chez les jeunes détenus des maisons d’arrêt est forcément fréquente. Les Drs Vullien et Guilbert, en 1946, ont accès au journal intime d’un prisonnier de 16 ans : « On trouve de tout dans ces notes […] des débordements d’obscénité, seul exutoire d’une sexualité exacerbée par la claustration82. » D’après ces spécialistes de l’enfance inadaptée, c’est la nature même des conditions de détention qui amène les garçons à expérimenter l’homosexualité alors qu’ils n’auraient peut-être pas franchi le pas dans la vie libre. Les jeunes eux-mêmes ont une conscience aiguë du manque sexuel et des conséquences psychologiques qui s’en suivent. Du manque de fille à la peur de l’homosexualité chronique, le risque de dépendance à la prison est présent dans leur esprit : la prison « ça manque de femmes, c’est tout. La femme, ici, c’est la main83 », « après un nombre d’années on n’a pas envie de sortir. On devient con. Le monde a changé. À la sortie on est pédé ou impuissant84 ». En prison « ordinaire » comme en prison spécifique, de telles tendances sont décelées par les observateurs. L’âge et la puberté des intéressés s’ajoutent au surencombrement pour expliquer les pratiques homosexuelles. Le CSOES de Fresnes n’échappe pas à cette règle :
- 85 Roumajon Y., « Le centre spécial d’observation de l’ES de Fresnes », Sauvegarde de l’enfance, n° 9 (...)
« La pratique du triplage trop souvent imposée par les nécessités d’hébergement, outre qu’elle ne facilite pas l’orientation normale des sexualités imprécises, modifie profondément les conditions même de l’observation85. »
- 86 Entretien du 11 avril 2 000 avec G. Tramonti, éducateur puis chef de service au CSOES, de 1965 à 1 (...)
45Si le fond Brisset qui regroupe les archives du CSOES ne contient aucun rapport sur des incidents sexuels, le témoignage de l’éducateur Guy Tramonti qui se remémore la triste expérience de l’un des garçons, confirme la réalité des brutalités qui touchent à la verge ou à l’anus : le jeune homme se faisait régulièrement sodomiser avec un manche à balai86. De fait, la promiscuité des maisons d’arrêt engendre la peur sourde et violente du viol. Pourtant, bien souvent, la stricte application de la loi suffirait à éviter ces accidents. De fait, en 1962, l’entassement, dans une même cellule, de trois ou quatre adolescents à conduit à une affaire de mœurs avec violence. Et pourtant, d’après la correspondance qui s’en suit, les solutions pour que cela ne se reproduise pas ne sont pas à l’ordre du jour :
- 87 AN Fontainebleau, 960136, art. 2, « Note du bureau de la détention au dir. de l’ES. Objet : situat (...)
« M. le Directeur de l’éducation surveillée a bien voulu demander au Directeur de l’administration pénitentiaire d’examiner les mesures qui pourraient être prises en vue d’améliorer les conditions de détention des mineurs à la maison d’arrêt de Grenoble et d’éviter le retour d’incident semblable à l’attentat aux mœurs commis par trois mineurs sur la personne de l’un de leurs codétenus […].
La seule solution qui paraît de nature à mettre fin aux difficultés actuelles d’une manière satisfaisante et définitive réside dans la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire […]. Cette construction est prévue au plan d’équipement immobilier […]. Toutefois, ces projets ne sont pas susceptibles d’être réalisés avant un certain nombre d’années […]. Compte tenu de l’importance de la population pénale de la maison d’arrêt de Grenoble et de la nécessité de placer les mineurs à l’isolement absolu de nuit, la seule solution se révélera peut-être l’affectation d’une partie des mineurs à la maison d’arrêt de Chambéry, si la distance séparant ces deux villes et les moyens de transport disponibles le permettent87. »
- 88 Le nouvel établissement, la MA de Varces, a été bâti au début des années soixante-dix sans qu’un q (...)
- 89 Devillechabrolle V., « Après les violences subies par un adolescent à Bois-d’Arcy M. Arpaillance c (...)
46La solution proposée n’est pas exécutée et le quartier spécial pour mineurs de Grenoble n’est construit qu’en 200688. La cohabitation de deux, trois ou quatre mineurs dans une même cellule reste courante et les conséquences ne varient guère d’une époque à une autre. En 1914 comme en 1962, le viol de détenus par d’autres dans la prison iséroise est connu des autorités mais cinquante ans n’ont pas suffi à guérir le mal. En 1989 encore, « l’affaire Damien », « “les viols et sévices répétés” dont avait été victime durant une dizaine de jours, dans sa cellule, un adolescent de dix-sept ans et demi, Damien, inculpé de vol simple89 » met la France en émoi et panique le garde des Sceaux. Pourtant, Damien a été placé en détention avec deux autres mineurs, « contre l’avis des services éducatifs attachés au TGI de Versailles qui l’avaient jugé “psychologiquement fragile et susceptible d’être victime de racket” ». Pour une affaire dévoilée, tel ce scandale, combien sont tues ? Traditionnellement, le plus grand silence entoure systématiquement les outrages infligés par des détenus à un ou plusieurs de leurs codétenus :
- 90 Welzer-Lang D., Mathieu L., Faure M., op. cit.
« Reconnaître avoir vécu ou participer à un abus sexuel place les détenus ou ex-détenus dans une position périlleuse, devant le risque de perdre la face et de subir une dégradation de l’image de soi, pour parler comme Goffman. Mais ils ne sont pas les seuls dans cette situation. Les représentant(e)s de l’administration pénitentiaire, lorsqu’est évoqué le thème de l’abus, tendent eux/elles aussi à adopter une attitude défensive et embarrassée de mutisme et de dénégation90. »
47Le problème de la sexualité en prison est passé sous silence parce que le besoin, humain, d’avoir des rapports sexuels, même pour des détenus, est totalement nié. Pierre Cannat dans un article de 1960, émet l’hypothèse que le sujet mérite éventuellement d’être enfin abordé :
- 91 Cannat P., « La mise en œuvre des peines dans les MA », Revue pénitentiaire et de droit pénal, jan (...)
« Sous l’angle de la santé morale, il faudrait songer à résoudre mieux les rapports avec la famille et – qui sait ? – peut-être même aller jusqu’à se pencher sur le problème de l’hygiène sexuelle […]91. »
- 92 AN Fontainebleau, 960136, art. 95, « Lettre du bureau de la détention au dir. pénitentiaire de Tou (...)
- 93 Hyest J.-J. (président), op. cit., p. 131-132.
- 94 Welzer-Lang D., Mathieu L., Faure M., op. cit.c
- 95 Bouyssic R., « Groupes clandestins dans la population pénale », Revue pénitentiaire et de droit pé (...)
- 96 Mermaz L. (dir.), op. cit., p. 60.
48Cet appel précautionneux reste bien sûr lettre morte mais il a le mérite d’être unique en son genre. En effet, des discours qui abordent de front le manque naturel des détenus en la matière n’existent guère. Seul l’homosexualité et ses dérives sont parfois mentionnées sans que le problème de fond ne soit jamais soulevé. Dans l’ensemble, si le scandale d’un délit sexuel entre détenus a la possibilité d’être étouffé, même les hautes instances de la justice demeurent dans l’ignorance. Témoins, cette remise à l’ordre du directeur de l’administration pénitentiaire. L’affaire remonte à 1971. À deux reprises, trois mineurs s’en prennent physiquement à leur jeune codétenu à l’infirmerie. Ce n’est que deux ans après les faits que le directeur du bureau de la détention rappelle la « nécessité de rendre compte à l’administration centrale de tout incident grave et d’établir avec rigueur l’index d’orientation92 ». Cet index indique à l’époque, malgré l’incident, que l’un des agresseurs a un « comportement en détention satisfaisant, bon élément ». Quelques mois plus tard pourtant, il est condamné à « 18 mois de prison pour coups et blessures volontaires avec préméditation » et, de fait, renvoyé de la prison-école d’Oermingen. Il y est à nouveau condamné en juillet 1972 à 30 mois d’emprisonnement pour vols et outrage public à la pudeur. Si la notice d’orientation avait signalé le viol de l’infirmerie, d’autres mesures auraient été prises envers ce jeune manifestement prédisposé à pratiquer l’homosexualité par contrainte. Pour avoir voulu étouffer l’affaire, au moins deux autres adolescents ont pâti des velléités sexuelles de ce garçon. Pourtant, ce silence et le tabou des directions ne s’expliquent pas seulement par la pudeur de l’administration pénitentiaire. Officiels et sociologues se heurtent à une population masculine qui adopte majoritairement un discours fortement « machiste », qui répète « on est pas des pédés » et qui refuse de reconnaître qu’elle se livre à des pratiques homosexuelles93. De plus, les détenus victimes ne se confient pas facilement car « comment décrire avec pudeur et dignité des actes qui ont avili et humilié la personne ? Dans ces conditions, la plupart des témoins préfèrent se taire94 ». De plus, s’ajoute à la honte des victimes la peur d’éventuelles représailles. Les sévices à caractère sexuel ne sont que l’une des manifestations de l’adaptation à l’enfermement, l’une des plus violentes il est vrai. La pression est telle, que certains détenus, souvent les plus jeunes, se « prostituent » volontairement afin d’obtenir la protection du chef95. Paradoxe frappant, outre la valorisation excessive de la virilité qui normalement devrait restreindre les pratiques homosexuelles, la population carcérale est aussi habituellement unie pour rejeter avec force les détenus auteurs de viols. Viols que certains pratiquent pourtant eux-mêmes et, de surcroît, de préférence sur ceux de leurs codétenus incarcérés pour ces faits96. L’homosexualité masculine n’est qu’une conséquence parmi d’autres de la promiscuité, de la jeunesse des détenus, des phénomènes de caïdisme, bref, de l’enfermement et de son inéluctable construction d’une culture carcérale :
- 97 Fedou G., « Le magistrat de la jeunesse et la détention préventive des mineurs », Bulletin de l’Un (...)
« […] l’inévitable promiscuité et le risque de contamination sur le plan des mœurs ; le développement de la fabulation, de la mythomanie, de l’homosexualité, l’accoutumance à une vie végétative, oisive et passive, l’acquisition de mauvaises habitudes (tabac, langage spécial), la participation à la mode carcérale du tatouage avec toutes ses implications psychosociales97. »
- 98 Welzer-Lang D., Mathieu L., Faure M., op. cit.
49Ce problème pourrait pourtant être évité avec l’autorisation pour les détenus de recevoir leur compagne quelques heures par semaines dans une cellule pourvue d’un lit et sans œilleton apposé à la porte, « les parloirs d’amours » tels qu’ils existent déjà au Québec98. Cette éventualité commence tout juste aujourd’hui à être mentionnée, entre autre grâce à l’ouvrage de Jacques Lesage de La Haye qui a contribué à lever le tabou.
Les jeunes détenus, une population conquise mais non soumise : des révoltes collectives aux révoltes individuelles
Les différentes formes de révoltes collectives : l’exemple des jeunes activistes
- 99 Vimont J.-C., La prison politique en France, Genèse d’un mode d’incarcération spécifique xviiie-xx(...)
50Les mineurs prisonniers politiques et leurs homologues adultes, sont parfois à l’origine d’innovations de l’administration pénitentiaire99. Déjà les résistants incarcérés à Eysses, Fontevrault et Clairvaux au début de la Seconde Guerre mondiale bénéficient, après manifestation, d’un régime de détention moins rigoureux que celui des droits communs. Mais d’autres actions à l’issue moins heureuse succèdent à cette avancée :
- 100 Vimont J.-C., La prison à l’ombre des hauts murs, op. cit., p. 72.
« Autre épisode tragique : la mutinerie des jeunes de la Santé en juillet 1944. Excédés par des conditions d’incarcération exécrables, une centaine de jeunes défoncent les portes de leur quartier. Une cour martiale composée de trois chefs miliciens est réunie. Vingt-huit jeunes sont fusillés100. »
- 101 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 67.
- 102 Exercice 1962, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1963, p. 36.
51Ces détenus sont souvent de jeunes gens impulsifs dont la conscience politique et la culture générale en font des détenus peu ordinaires prompts à revendiquer. Quelques années plus tard, les détenus du Front de libération nationale (FLN) et ceux de l’Organisation armée secrète (OAS) remplacent les résistants puis les collaborateurs. Or, ces détenus politiques sont peu dociles et, pendant près de dix ans, ils provoquent de nombreux troubles en détention. Ils sont traditionnellement isolés des droits communs, afin qu’ils puissent bénéficier d’un régime de détention adoucie, officialisé seulement par le code de procédure pénale de 1958 et appelé « régime spécial, dit politique101 ». À partir de 1961, les condamnés définitifs sont désormais majoritaires par rapport aux prévenus et l’effectif des activistes cesse de croître102. La préparation d’une audience accordée à un journaliste du Monde sur les problèmes de leur incarcération, résume les modalités de leur régime spécial. Ces prisonniers dits de catégorie A sont « les prévenus ou condamnés incarcérés pour les faits en relation avec les événements d’Algérie, sans aucune distinction selon la nature de l’infraction reprochée aux intéressés, non plus que selon l’origine ethnique ou l’appartenance politique ou religieuse de ceux-ci ». Le régime spécial comprend les avantages suivants :
- 103 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Préparation d’une audience qui doit être accordée à un journa (...)
« Séparation des détenus bénéficiaires des autres catégories de détenus ; faculté de recevoir des journaux quotidiens et de disposer d’un poste transistor ; possibilité selon les aménagements de l’établissement de détention, de se livrer sous contrôle de l’administration à certaines activités en commun (sport, jeux, études…) et, pour les condamnés, dispense de l’obligation au travail et port d’un costume pénal différent de celui des condamnés de droit commun103. »
52Nulle mention n’est faite des mineurs. Pourtant, les porteurs de valises et autres militants actifs se recrutent en abondance chez les jeunes adultes, parfois encore adolescents. Les états statistiques successifs de l’année 1962 des détenus dits « activistes » évaluent la proportion des mineurs de moins de21 ans (catégorie avec laquelle sont confondus ceux de moins de 18 ans) à 15 % de l’ensemble des prévenus et condamnés. Leur statut est des plus ambivalents. Dénommés mineurs, ils sont en fait une majorité de jeunes adultes de moins de 21 ans. Mineurs tout de même, ils sont également activistes. En ce début d’année 1962, ils devraient donc bénéficier à la fois du régime pénitentiaire prévu pour les jeunes détenus et de celui prévu pour les prisonniers politiques :
- 104 AN Fontainebleau, 960136, art. 64, « Le bureau de l’application des peines au cabinet du garde des (...)
« La situation de ces jeunes détenus [activistes mineurs de 21 ans] est complexe. Il convient en effet d’observer que les règles relatives au régime spécial dit de la catégorie A leur sont applicables selon les distinctions prévues par les dispositions de la note de service du 1er février 1962. Il en résulte que les uns bénéficient des avantages consentis à cette catégorie de détenus et que les autres par contre sont soumis au régime de droit commun en raison de la nature des faits qui leur sont reprochés. Ces derniers doivent cependant être placés en principe dans des locaux distincts de ceux renfermant les autres détenus de droit commun, conformément aux dispositions de cette même note de service104. »
- 105 Ibid.
- 106 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Préparation d’une audience… », op. cit.
53Afin de respecter ces prescriptions, trois quartiers distincts pour mineurs seraient nécessaires : pour les jeunes de droit commun, pour les activistes soumis au régime de droit commun et pour les activistes de catégorie A. Cela est bien entendu infaisable quand les droits communs de moins de 18 ans n’ont déjà pas systématiquement de quartier réservé. Cependant, comme « le régime particulier des mineurs comporte la plupart des avantages consentis à la catégorie A, les seules différences appréciables concernant l’usage des postes à transistors et la réception de journaux ou de livres105 », le responsable du bureau de la détention propose de réunir tous les mineurs activistes afin qu’ils bénéficient sans distinction du régime dit politique. C’est le cas à la Santé où ils sont toutefois sciemment mêlés aux adultes de leur catégorie. Les conséquences de ces irrégularités ne se font pas attendre. Entre le 31 août et le 6 novembre 1962, à la suite des manifestations tumultueuses auxquelles des activistes se sont livrées, trois cent quatre-vingt-seize d’entre eux sont transférés dans la première division de Fresnes106, non loin des détenus FLN qui occupent la seconde division et de ceux du MNA rassemblés dans la troisième. Parmi ces punis, des mineurs. Fresnes est désormais décrété prison d’accueil des prévenus activistes justifiables des juridictions parisiennes (alors que la Santé se réserve les activistes de catégorie A). Quelques archives éparses permettent d’apprécier l’état d’esprit de ces membres de l’OAS. Ils dépendent donc du régime normal des droits communs, et doivent se trouver normalement satisfaits des nouvelles conditions de détention :
- 107 Ibid.
« Il est à observer que sur le plan de leur incarcération, les détenus transférés de la Santé à Fresnes n’ont pas perdu au change et que la plupart des réclamations qu’ils avaient présentées alors qu’ils étaient à la Santé n’ont plus le moindre fondement107. »
- 108 Ibid., « État des détenus activistes “C” qui ont participé à la mutinerie du 13-12-62 en qualité d (...)
- 109 Ibid., « Note du bureau de la détention à M. Mazeaud, chargé de mission », 29-12-1962.
54Parmi eux, les mineurs ne semblent pas goûter aux allégations du directeur de l’administration pénitentiaire. Leur désaccord se manifeste par une nouvelle mutinerie au milieu du mois de décembre 1962. La répression est immédiate et les sanctions infligées aux principaux responsables sont le transfert à la Santé ou le « mitard ». Parmi les détenus « qui ont participé à la mutinerie du 13-12-62 en qualité de meneurs et dont la conduite a été très mauvaise108 », les jeunes hommes représentent un quart de l’effectif sanctionné, soit onze garçons sur quarante-trois prisonniers ce qui montre leur part active dans la révolte de décembre. À l’exception d’un transféré à la Santé, tous sont placés dans les cellules de punition de Fresnes109. Les objets de mécontentements qui ont, pour partie, provoqué cette révolte sont du ressort de la présence des jeunes. Cette population pénale très restreinte, jeunes activistes prévenus avec des adultes à la prison de Fresnes, possède en effet deux caractéristiques singulières décrites par la lettre du détenu Jules C. Ce membre de l’OAS remarque les nombreux incidents, sanctionnés, provoqués par ces codétenus. Sans remettre en cause la punition, il expose des raisons de ces insubordinations dont le refus d’être confondus avec les criminels ordinaires n’est pas des moindres. De plus, leur espoir de rémission est ballotté entre les promesses d’amnistie auxquelles succèdent des verdicts sévères pris à l’encontre de leurs camarades :
- 110 Ibid., « Lettre d’un détenu activiste adressé au garde des Sceaux », 25-2-1963.
« La 1re division de Fresnes compte actuellement 430 activistes. Cette population présente les caractères généraux suivants :
– Une moitié originaire d’Algérie, l’autre de France métropolitaine.
– 80 sont des jeunes de moins de 21 ans. Le plus grand nombre à moins de 35 ans. Quelques dizaines dépassent la quarantaine […].
Pour le jeune le problème est encore plus grave. Le voilà démarrant dans la vie avec l’étiquette de criminel, alors qu’il avait le sentiment d’avoir lutté pour sa patrie. Mélangé à des hommes plus âgés qui ne raisonnent pas comme lui, privé de l’influence familiale dont il a encore besoin, les tentations de révoltes sont grandes, les dépressions nerveuses fréquentes. Il perd l’équilibre […].
Tout d’abord il serait bon (et je crois savoir que c’est réglementaire) de séparer les adultes des mineurs dont l’instabilité est un facteur d’incidents. Une fois regroupés, il serait possible de les fixer par des pratiques sportives fréquentes et des cours scolaires sérieux et nombreux110. »
55Ces adolescents sont donc plus sensibles à leur incarcération qu’ils ressentent comme particulièrement injustifiée, convaincu de leur lutte pour une cause juste. Quelques jours plus tard, le directeur de Fresnes rappelle les inconvénients de cette situation et souligne le fait que si les activités prévues pour les mineurs (sport, cour scolaire et loisir) fonctionnement correctement, les conditions de détention ne sont pas tout à fait celles qu’elles devraient être :
- 111 Ibid., « Compte-rendu mensuel sur le fonctionnement de la 1re division des prisons de Fresnes par (...)
« […] si la préparation de la nourriture est assurée avec un soin constant, il semble que, compte tenu de l’âge moyen très jeune des détenus activistes, il conviendrait d’augmenter les quantités, notamment en ce qui concerne la viande […].
Je rappelle que 91 détenus mineurs sont incarcérés en 1re division mélangés aux adultes […]. Je sais que le problème est difficile à résoudre mais je suis obligé une nouvelle fois de dire que la place de ces 91 jeunes détenus n’est pas au milieu de leurs camarades adultes111. »
56Le directeur rejoint l’avis du responsable du bureau de l’application des peines émis près d’un an auparavant et réclame le transfert de ces jeunes à la Santé afin qu’ils puissent y être séparés des adultes. Cependant, il se heurte au refus du directeur régional :
- 112 Ibid., « Lettre M. Hourcq, dir. régional chargé des fonctions d’inspection générale au dir. de l’A (...)
« […] sur le plan matériel la création d’un quartier spécial à la Santé n’apportera aux jeunes qui y seront placés aucun bénéfice marquant par rapport à leur situation actuelle. Les conditions de logement, de nourriture, les facilités pour les promenades, les activités scolaires ou physiques ne seront guère meilleures à la Santé qu’à Fresnes […].
Tout ceci ne peut avoir qu’une influence défavorable sur le comportement de jeunes adultes dont on signale l’état d’esprit difficile et revendicateur.
Séparés des adultes de même catégorie dont certains peuvent être des éléments modérateurs, placés dans ces conditions non améliorées il faut craindre de la part de ces jeunes adultes une aggravation de la tendance à « l’intoxication » qui peut les amener à provoquer des incidents112 ».
57Finalement, le projet est définitivement abandonné et les jeunes activistes restent avec les adultes et les archives ne racontent guère leur devenir. Tout juste est-il possible de supposer que, jugés les uns après les autres, ils sont progressivement libérés ou conduits à leur lieu de détention définitive. Cet exemple de mutineries de détenus met en valeur la part active que prennent les jeunes dans les mouvements collectifs revendicateurs. Sans qu’il puisse être démontré de façon certaine qu’ils sont à l’initiative de ces révoltes, un certain nombre d’entre eux sont manifestement des meneurs, capables d’exiger le respect de leurs droits avec toute la fougue que leur confèrent leur jeunesse et leur esprit d’appartenance à une cause qu’ils estiment juste. Ce sont eux également qui généralisent la pratique des grèves de la faim.
- 113 Petit Larousse illustré, 1985, p. 473.
58Les dictionnaires définissent cette action comme un « refus de nourriture afin d’attirer l’attention sur des revendications113 ». Dans le milieu carcéral elles sont très rares avant 1956. De fait, les rations alimentaires permettent tout juste d’assurer une subsistance très élémentaire et, dans ce contexte, si l’on considère la grève de la faim comme un moyen de revendication, il est certain que cette pratique n’aurait en rien influencé les responsables à l’échelon judiciaire. La situation évolue à partir de 1957 par la conjugaison des améliorations dans les menus carcéraux, plus copieux, et de la guerre d’Algérie :
- 114 Boudot de la Motte E., Les grèves de la faim en milieu carcéral, thèse pour le doctorat en médecin (...)
« La guerre d’Algérie avait entraîné l’emprisonnement d’Algériens en France. À cette époque, les détenus algériens avaient organisé des grèves de la faim collectives, et c’est depuis cette date qu’on considère la grève de la faim comme un moyen de revendication valable. C’est une méthode qui a fait ses preuves, qui a donné des résultats, qui impressionne le public et surtout l’administration pénitentiaire qui voit alors sa responsabilité engagée vis-à-vis du détenu dont elle a la tutelle114. »
- 115 Casile-Hugues G., La grève de la faim en milieu carcéral, Aix-en-Provence, Presses Universitaires (...)
59Au début des années soixante-dix, la méthode est répandue pour obtenir des améliorations sur le plan judiciaire (liberté provisoire, protestation contre le chef d’inculpation, lenteur de l’instruction…) et sur le plan pénitentiaire (conditions de détention, demande de transfert…)115. Un jeune médecin effectue sa thèse sur ce sujet. Son étude sur les grèves de la faim à Fleury-Mérogis révèle qu’au cours de l’année 1972 « sur 72 grèves de la faim, les 2/3 sont le fait de sujets majeurs ». De fait, les mineurs, malgré les fringales de l’adolescence, sont susceptibles d’employer le « refus de plateau » comme moyen de pression sur les autorités. Le chercheur constate que la majorité des détenus qui se résolvent à cette solution n’ont majoritairement que leur corps comme moyen de protestation :
- 116 Boudot de la Motte E., op. cit., p. 52-55.
« Nous l’avons dit, il s’agit souvent de gens qui ne savent pas écrire, dont l’expression verbale n’est pas une expression courante et ou le passage à l’acte est une dimension plus commune de leur forme d’expression et pour ces personnalités-là, il faut agir d’une façon qui marque l’attention116. »
60Souvent illettrés, les jeunes détenus appartiennent à cette catégorie.
Et les révoltes des filles ?
61Une fois de plus, l’historien est désarmé pour ne serait-ce qu’entrevoir, les moyens et les raisons des révoltes des jeunes filles détenues. Peu de traces dans les archives, peu de récits sinon quelques témoignages très récents. Toutefois, une fois n’est pas coutume, le manque d’information se justifie en ce domaine. Très peu nombreuses, rarement regroupées entre elles, il est difficile d’envisager qu’elles aient la possibilité d’organiser une mutinerie. Toutefois, un éducateur de l’éducation surveillée, Roger Vibert-Vichet, relate son expérience d’une contestation féminine de groupe. Cela se passe aux alentours de 1958 dans le quartier pour mineures de Fresnes. Les jeunes filles ne sont pas montées sur les toits, n’ont pas refusé le plateau ou fait appel à ces pratiques classiques de revendications qui ont la préférence des garçons mais ont fait usage d’une méthode tout originale :
- 117 Vibert-Vichet R., « Et la honte (vers 1958) », AHES-PJM, n° 17, avril 1998, p. 4.
« La situation s’était envenimée, au point d’échapper à la maîtrise des éducatrices : les adolescentes, dans un élan de protestation, avaient jeté leurs vêtements dans la cour du quartier et, nues, s’étaient regroupées au milieu de la détention en refusant de regagner leurs chambrettes […].
Désigné volontaire d’office, je ne tardais pas à me retrouver face à un groupe de jeunes filles goguenardes, dont la nudité provocante ne me permettait guère d’apprécier l’éventuelle vénusté, d’autant qu’un langage d’une verdeur certaine me promettait des voluptés inédites117. »
- 118 Corbin A., op. cit., p. 478-480.
62Les demoiselles de Fresnes, mécontentes de leur sort, ont utilisé leurs corps comme moyen de contestation. La technique est certes singulière et s’est avérée assez efficace jusqu’à ce que le jeune éducateur, après de vains essais de dialogue, utilise la lance à incendie pour faire regagner leurs chambrettes aux jeunes rebelles. Par cet usage de la nudité, les filles de Fresnes reproduisent là, sans le savoir, un mode de protestation déjà utilisé près de cinquante ans auparavant par les jeunes prostituées victimes des lois de 1906 et de 1908. Ces dernières, envoyées en maison de correction ou en prison ne supportent pas l’enfermement injustifié (la prostitution n’est pas un délit) et fomentent de multiples révoltes constituées d’insultes, de coups et à certaines occasions « les filles réduisent leurs vêtements en lambeaux118 ». Cependant, outre ces événements rapportés par l’historien Alain Corbin et l’épisode du quartier des filles de Fresnes, aucun autre document sur les révoltes dans les détentions de femmes n’apparaît dans les archives consultées pour cette étude.
Vivre libre ou mourir
63Dans les rapports de l’administration pénitentiaire de toutes natures, les deux rubriques « évasions » et « suicides » se suivent de près. Toujours succinctes, elles se contentent de donner les chiffres de l’année, tentatives et réussites. À partir du début des années cinquante, un commentaire lapidaire est parfois joint à la statistique pour expliquer une forte augmentation. Le rapprochement de ces deux comportements des détenus, soif de vivre et acte de désespoir, apparemment diamétralement opposés, n’est pas anodin. Les réussites d’évasion et de suicide mettent toutes deux en cause le défaut de surveillance et, corrélativement, l’échec de l’administration pénitentiaire à remplir son double rôle de protection de la société et de sauvegarde du prisonnier. De fait, l’administration pénitentiaire multiplie les mesures de sécurité afin de limiter au maximum ces comportements et leurs conséquences parfois fatales. Malgré ces multiples précautions, certains détenus parviennent à fuir ou à se tuer. Cercle vicieux du système pénitentiaire, plus la discipline et les mesures de sécurité sont contraignantes, plus les prisonniers sont à même de vouloir échapper à cette vie de claustration et d’humiliation par tous les moyens. Cependant, entre ces deux extrêmes, une multitude de déclinaisons est observable. La volonté d’attirer l’attention sur soi amène à se rendre sciemment coupable d’actes répréhensibles plus ou moins spectaculaires. Le plus ancien est l’automutilation qui consiste à se blesser volontairement ou à avaler des objets divers susceptibles de requérir un soin médical. Depuis que le manque de nourriture n’est plus un problème qui relève de l’administration pénitentiaire, le » refus de plateau » s’est généralisé et les grèves de la faim solitaires ou collectives se sont répandues dans les détentions. Toutes ces manifestations, exercées individuellement ou en groupes restreints, ont des visées revendicatrices. Les mineurs ne font pas exception et nombreux sont ceux qui adoptent l’une ou l’autre de ces pratiques. Pourtant, les méthodes et les choix de la manière, divergent souvent des options adoptées par les adultes. L’exemple de l’évasion peut être examiné sous cet angle.
L’évasion d’occasion chez les jeunes détenus
64Il n’est guère possible de quantifier et de comparer les tentatives d’évasions des adolescents à celles de leurs aînés, mais quelques indices permettent de subodorer qu’elles sont bien moins nombreuses chez les jeunes gens. Certains chiffres disponibles indiquent le nombre d’évasions d’établissements fermés réussies de 1974 à 1980 et précisent l’âge des détenus concernés. Or, sur la trentaine de fuites annuelles, aucune ne concerne un détenu de moins de 18 ans. Toutefois, si les évasions des jeunes détenus sont, semble-t-il, rarement consommées, ce n’est pas faute d’essais répétés et les méthodes briguées par ces derniers divergent de celles des majeurs. Ainsi, il est plutôt rare que les jeunes gens bénéficient d’une aide extérieure. Rarement organisés en réseaux, les mineurs qui tentent une échappée sont plus souvent seuls, capables de saisir une opportunité ou jouets d’un effet biaisé quant à la facilité supposée de l’escapade. Ainsi a opéré à la prison de Châtellerault un jeune hardi de 17 ans. Choisi avec huit autres détenus pour des travaux dans le grenier de l’établissement, il saisit l’occasion qui se présente pour tenter de faire la belle :
- 119 AD Vienne, 6Y68, « Le dir. de la circonscription pénitentiaire de Thouars au préfet de la Vienne » (...)
« […] il [le surveillant] fit procéder par les mêmes détenus au balayage de l’escalier sans s’apercevoir, avant de quitter le grenier, que le jeune D. trompant sa surveillance, s’était furtivement glissé derrière les bottes de jonc.
Resté seul dans le grenier, D., qui avait remarqué la présence d’un petit câble en fil de fer, eut vite fait de s’en emparer, de le fixer par un bout à un soliveau, et après avoir arraché le châssis, de passer par l’ouverture et se laisser glisser dans la rue au moyen du dit câble, l’ouverture dont il s’agit n’étant distante de la rue que de 8 mètres environ. Il prenait alors la fuite dans la direction de la rivière […].
Le temps employé par D. pour consommer son évasion n’ayant pas duré plus de 10 minutes, les gendarmes envoyés à sa poursuite furent vite sur ses traces […].
D. interrogé a déclaré qu’il n’avait été poussé par personne et qu’il avait agi à l’insu de ses codétenus119. »
65Le garçon, après sa courte escapade, est puni de la peine maximum de quatre-vingt-dix jours de cellule. Bien que souvent solitaires, il arrive aussi que les mineurs se réunissent en petit groupe pour tenter l’aventure et les centres d’observation spéciaux de l’éducation surveillée, comme les prisons-écoles ne font pas exception aux tentatives régulières des pensionnaires. Cinq pupilles des Baumettes, après avoir échappé à la vigilance de leurs éducateurs, se sont essayés, en vain, à la poudre d’escampette :
- 120 AN Fontainebleau, 950279, art. 18, Dossier n° 108, « Le dir. des Prisons de Marseille aux Baumette (...)
« J’ai l’honneur de vous rendre compte que hier 16 janvier 1949 vers 16h30, Monsieur Blot, surveillant en service […] a eu son attention attirée par 5 individus qui franchissaient le premier mur de ronde et s’apprêtaient à escalader le second.
L’alarme fut donnée aussitôt et un groupe d’agents se porta sur les lieux où ces présences insolites étaient signalées. Il s’agissait de 5 pupilles du Centre d’observation pour mineurs qui étaient sur le point de s’évader en se servant comme escalier de la cuisine adossée au mur de ronde (intérieur).
Ces mineurs ont été remis aux éducateurs du Centre qui ne s’étaient pas encore rendu compte de cette tentative d’évasion.
Les pupilles avaient coupé les fils électriques et téléphoniques qui desservent l’établissement et courent à l’intérieur des murs de ronde120. »
- 121 Sarrazin A., L’astragale, Paris, Le livre de poche, 1965, 192 p.
- 122 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 20. (...)
66Quant aux prisons-écoles, l’évasion hardie d’Albertine Sarrazin121 et les chiffres figurant dans les rapports de l’administration pénitentiaire, illustrent le fait que des jeunes détenus déterminés parviennent régulièrement à franchir les murs dans lesquels ils sont confinés. Par exemple, en 1957, sur deux-cent quarante évasions « 18 à partir d’un établissement ouvert, soit 1 à la prison-école de Doullens et 17 à celle d’Oermingen122 ». Les évasions qui impliquent des mineurs, seul ou en groupe restreint, semblent davantage spontanées que réellement et patiemment préparées. Toutefois, en cas de préméditation, cette dernière est empreinte d’une certaine naïveté. L’idée de couper les fils de communication des jeunes gens des Baumettes est toute romanesque. Cette marque d’inventivité se retrouve dans les propos du commissaire de police de Poitiers, au sujet d’une tentative d’évasion de cinq jeunes gens (dont un mineur pénal) :
- 123 AD Vienne, 1Y141, « Le commissaire de police au Commissaire général (sûreté nationale) », 3-6-1942
« Il ne faut voir dans cette tentative d’évasion aucune action communiste, mais le désir seulement de Deux jeunes gens, dont la tête est farcie de romans policiers, de rendre service à d’anciens codétenus et de se jouer de la surveillance des gardiens de la prison123. »
67L’évasion des mineurs a pour seul objectif la liberté, le désir immédiat et spontané d’échapper à la vie contraignante inhérente à l’incarcération. Cependant, s’échapper des prisons françaises n’est pas aisé et, parfois, l’unique moyen qui paraît susceptible de mettre fin à une existence difficilement supportable, est d’attenter à ses jours.
Entre résistance et désespoir : le suicide chez les jeunes détenus
68L’intérêt de l’administration pénitentiaire, du ministère de la Justice et des mass media pour le suicide dans les prisons émerge tardivement. C’est une recrudescence préoccupante du nombre de détenus qui attentent à leur vie au début des années soixante-dix, en pleine crise du milieu pénitentiaire, que les premières enquêtes du bureau d’étude de l’administration pénitentiaire et des travaux de chercheurs en sciences sociales sont menés. Les raisons qui amènent les détenus à se suicider ont évolué. Auparavant, les causes des suicides combinent les malheurs personnels et les conditions de vie carcérale. Dès 1972, il apparaît que le suicide tend à devenir un acte de résistance chez des individus qui, par la démocratisation de la presse dans les détentions, semblent prendre une conscience politique de leur situation et qui n’ont que leur corps pour lutter (automutilation, grève de la faim, suicide…). Cependant, ce constat ne peut être étendu aux plus jeunes des prisonniers. Chez les adolescents, le désespoir est majoritairement à l’origine des actes de cette nature. Angel Perez, jeune multirécidiviste, cède à la tentation après un simple trait d’humour déplacé de la part d’un surveillant qui ordonne aux garçons, goguenard, « regagner vos appartements » :
- 124 Perez A., op. cit., p. 20-21.
« Sans bien comprendre, j’ai fini par arracher une capsule de bière en conserve, remonter ma manche gauche, et me surprendre à m’entailler l’avant-bras.
Est-ce que je veux mourir ? Je ne le pense pas. J’ai plutôt le besoin irrésistible de faire sortir de moi cette crise de nerfs, cette angoisse qui m’étouffe. Dans ma conscience c’était ce triste moyen qui s’imposait […].
Mais d’autres choisissent de foutre des coups de poings dans les murs en hurlant leur désespoir, de s’y cogner la tête, d’avaler toutes sortes d’objets, tels que les bouts de fourchettes par exemple, de se pendre pour essayer vraiment de mourir, certains y parviennent, etc.124. »
- 125 Chesnais J.-C., Les morts violentes en France depuis 1826 : comparaisons internationales, Paris, P (...)
69C’est dans ce contexte de crise pénitentiaire que Jean-Claude Chesnais soutient une thèse sur les morts violentes en France125 et consacre plusieurs articles au suicide dans les prisons comparé au milieu libre. Le numéro de Population qui publie l’un d’eux résume ainsi les conclusions de l’auteur :
- 126 Chesnais J.-C., « Le suicide dans les prisons », Population, n° 1, 1976, p. 85.
« Depuis 1952, le suicide des détenus en France a traversé trois phases principales : forte aggravation jusqu’à la première guerre mondiale, stabilité relative pendant l’entre-deux-guerres, et nouvelle aggravation depuis. Une crise d’ampleur inégale a pris naissance en 1972, les prisonniers étant plus frappés qu’ils sont plus jeunes. La comparaison entre la population pénale et une population libre de caractéristiques semblables (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle…) montre qu’à tout âge les détenus se tuent aujourd’hui beaucoup plus que les personnes libres correspondantes. Les écarts les plus forts s’observent chez les plus jeunes notamment entre 15 et 21 ans126. »
- 127 Ibid., p. 81.
70En effet, une crise aiguë de suicidité sévit en prison de 1971 à 1975 et les jeunes détenus sont les plus touchés : « Le prisonnier de 21 ans se tue près de 9 fois plus que son homologue libre au même âge127. » Précisons que face à la faible population pénale féminine, le taux de suicidité chez les détenues n’est guère étudié et que les travaux sur la question concernent presque exclusivement les hommes et les garçons. Or, les raisons de la hausse soudaine du suicide carcéral ne peuvent pas s’expliquer uniquement par les conditions matérielles de détentions, qui n’ont pas subi de changement brutal ces années-là, mais bien davantage par des facteurs plus subjectifs. Une première manifestation d’inquiétude de l’administration pénitentiaire en 1967 se matérialise par le biais d’une circulaire qui exige un compte-rendu détaillé des incidents de cette nature sur des fiches pré-imprimées. C’est le début des enquêtes en la matière. Outre cette première démarche, les préoccupations se cristallisent en 1972 devant la « véritable crise de sursuicidité » qui persiste et touche essentiellement les plus jeunes :
- 128 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Note du garde des Sceaux (via le dir. des affaires criminelle (...)
« On a pu constater ainsi que ce sont souvent les jeunes adultes qui manifestent en cours de détention des tendances suicidaires, que les détenus les plus menacés à cet égard sont les délinquants primaires, au cours des premiers jours de leur détention provisoire128. »
- 129 Circ. du 15-5-1974, relative au problème des suicides dans les établissements pénitentiaires, AN F (...)
- 130 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « Contribution statistique à l’étude des conduites suicidaires (...)
- 131 B. Ph., « Douze mois de suicides dans les prisons, un “record” battu », 5-1-1973.
71Par conséquent, une commission est formée. Chargée de l’étude des actes d’auto-agression, elle travaille en lien étroit avec le bureau de l’individualisation des régimes de détention. Afin de mener à bien cette étude, un questionnaire est diffusé auprès de toutes les régions pénitentiaires129. Il s’agit de rechercher les causes premières du suicide carcéral et neuf cours d’appel y répondent. Ces travaux préliminaires ont un lien direct avec le rapport rédigé en 1979, « contribution statistique à l’étude des conduites suicidaires en milieu carcéral (1975-1978) » de Pierre Tournier et Philippe Chemithe, respectivement expert démographe et magistrat. Ce rapport débute par l’exposition de l’évolution quantitative du suicide depuis 1945, qui rejoint les constats de Jean-Claude Chesnais, soit une augmentation manifeste depuis la Libération qui atteint un seuil critique en 1972, « le taux passant de 0,55 à 1,16‰130 ». La presse préfère bien souvent compter en chiffres absolus mais les conclusions sont équivalentes : « Avec trente-sept suicides, le “record” de 1968 (vingt-six cas) est très largement dépassé, et le chiffre de 1972 représente plus du double du chiffre de 1971 (dix-sept cas)131. » Il est à noter que les prisonniers qui tentent de se suicider n’ont pas obligatoirement la volonté de mourir. Les rapports des cours d’appel au garde des Sceaux en 1974 apportent quelques précisions. Le président de la cour d’appel de Lyon résume les tendances, relevées par l’ensemble de ses confrères :
- 132 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « Le Premier président de la cour d’appel de Lyon et le procure (...)
« La plupart des auteurs des tentatives de suicide sont des gens relativement jeunes : de 18 à 30 ans ; incarcérés pour la 1re fois ; ce sont presque toujours des prévenus […]. La tentative de suicide apparaît souvent au cours des premiers mois et parfois des premiers jours qui suivent l’incarcération ; on la constate quelquefois dans la période qui précède immédiatement le jugement132. »
- 133 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 6.
72Le rapport de 1979 le confirme encore : « Comme on a pu le constater par le passé, le suicide est constamment plus fréquent chez les prévenus que chez les condamnés », or les jeunes détenus appartiennent majoritairement à cette catégorie pénale et d’ailleurs, « si la recrudescence du suicide a affecté tous les groupes d’âge, les jeunes détenus en ont été les principales victimes133 ». La toute première cause des suicides des détenus, invoquée par l’ensemble des tribunaux sans exception, réside dans le manque de communication généralisé et de suivi des détenus. Une circulaire de 1967 sur la prévention des suicides se justifie déjà, dans son préambule, par le manque d’information des surveillants :
- 134 Circ. du 15-2-1967, prévention des suicides. Rédaction des comptes-rendus de suicides et de tentat (...)
« Il apparaît […] qu’en certains cas des conséquences tragiques auraient pu être évitées, si le personnel avait été mieux informé de la personnalité du détenu et avait pu, en conséquence, prendre à son égard les précautions nécessaires134. »
73Ainsi, les suicides sont beaucoup plus nombreux dans les grands établissements modernes que dans les petites prisons au régime en commun, et ce malgré la présence plus fréquente d’assistantes sociales et d’éducateurs. Dans la modeste prison départementale de Vesoul, particulièrement sensible à la population des jeunes détenus, les suicides sont rares :
- 135 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « TGI de Vesoul, le président du tribunal et le procureur de la (...)
« Les visites du Parquet et du JAP sont fréquentes et contribuent probablement à la détente qui règne habituellement dans cette maison d’arrêt. On peut en dire autant de la présence, 6h par semaine, d’un instituteur qui dispense son enseignement aux jeunes détenus135. »
74À l’inverse, à la maison d’arrêt de Besançon où le désœuvrement des détenus est préoccupant, le directeur de l’établissement remet en cause le manque d’implication des différentes instances judiciaires auprès des détenus :
- 136 Ibid., « Cour d’appel de Besançon, parquet général le procureur général au garde des Sceaux », 5-3 (...)
« Les JI […] devraient se rendre à la maison d’arrêt pour voir les détenus qu’ils y ont envoyés. Ces visites sont beaucoup trop rares et personnellement j’ai relevé, en lisant le courrier adressé par les détenus à leur famille ou en les interrogeant, que beaucoup se plaignaient de n’avoir pas vu leur avocat136. »
- 137 bid., « Le premier président de la cour d’appel de Lyon et le procureur général au garde des Sceau (...)
75Pour les moyens et grands établissements attachés à la cour d’appel de Lyon, ce sont les compétences des surveillants qui paraissent insuffisantes puisque « sans doute doit-on tendre à une modification de la conception que ce personnel a eue de son rôle jusqu’à ces dernières années137 ». Quand à Nancy, le soucis vient davantage de l’insuffisance de l’effectif :
- 138 Ibid., « Le premier président de la cour d’appel de Nancy et le procureur général au garde des Sce (...)
« […] il serait nécessaire, toujours dans le but de multiplier les contacts avec les détenus et pour exercer une surveillance constante sur les plus déprimés, que le personnel d’encadrement soit plus nombreux, notamment auprès des jeunes qui sont beaucoup plus fragiles (depuis dix ans ils ont de plus en plus de difficultés à s’adapter)138 ».
76Mais, le défaut de communication le plus générateur de suicide est d’ordre familial. Les détenus ont souvent connu des situations malheureuses en ce domaine que la détention aggrave encore et, si le personnel n’y prête pas attention, le geste fatal peu rapidement être l’issue de la tension :
- 139 Ibid., « Le président du TGI et le procureur de la République d’Angers au procureur général de la (...)
« Dans tous les cas [de suicide] il s’agissait non pas de condamnés mais de personnes se trouvant en détention provisoire depuis peu et préoccupées surtout par des problèmes familiaux, tels que l’absence de visites, la crainte du rejet par les proches ou de l’abandon de ceux-ci sans ressources139. »
- 140 Ibid., « Cour d’appel de Dijon, premier président de la cour d’appel de Dijon et le procureur géné (...)
77Cependant, le manque de communication n’est pas seul en cause dans les suicides en milieu carcéral. Le choc que provoque l’entrée en prison, avec tout ce que cet événement implique de rupture brutale avec le monde extérieur, de claustration dans un espace réduit et de soumission à des règles de discipline contraignantes, n’est pas étranger au désespoir. Il est à ajouter que tous ces inconvénients, qui sont inhérents au régime carcéral, sont ressentis avec d’autant plus d’amertume par les détenus, surtout les plus jeunes, que la société moderne dispense plus de confort, de liberté, de possibilités de déplacement, et, par l’intermédiaire tout au moins des moyens de communication de masse, de contact avec le monde extérieur. En bref, « le régime actuel paraît effectivement peu adapté au niveau de la vie moderne140 ». À ces causes prédominantes de l’augmentation des suicides de détenus s’ajoutent, selon les cas, d’autres facteurs aux variantes fluctuantes. Le sentiment d’une injustice est très fréquent chez les adolescents, soit que l’intéressé ne se considère pas comme socialement responsable, soit qu’il estime sa détention provisoire injustifiée ou la condamnation prononcée trop sévère. Une vie déjà perturbée, avec des soucis graves préexistant à l’incarcération et, chez beaucoup, l’impression diffuse d’un échec personnel ; la présence de troubles caractériels, fréquente chez les multirécidivistes ; l’appréhension au moment de la sortie (retrouver un emploi et se récréer un entourage et un cadre de vie satisfaisant) ; enfin, dans une mesure non négligeable, un phénomène d’attirance vers le suicide par la contagion de l’exemple sont autant de raisons diversement mises en cause par nombre d’instances. Lorsque ces différents facteurs de mécontentement se combinent et affectent l’ensemble de la population pénale, les grèves de la faim et les suicides peuvent être détrônés par les mutineries collectives déclenchées aussi bien par solidarité avec un détenu en souffrance que par un malaise généralisé.
Notes
1 Mazerol M.-T., « Incarcération et “rejet” », Rééducation. Revue française de l’enfance délinquante, déficiente et en danger moral, n° 220-221, avril-mai 1970, p. 23.
2 Perrot M., « Introduction :Tocqueville méconnu », in Tocqueville A., op. cit., et Chantraine G., Par-delà les murs, Paris, Puf, 2004.
3 Fize M., « La répression disciplinaire dans les prisons françaises pour adultes au xixe siècle », in Petit J.-G., la prison, le bagne et l’histoire, op. cit., p. 179.
4 Décret du 19-1-1923, op. cit., décret du 29-6-1923, op. cit.
5 OIP, op. cit., p. 119.
6 Petit J.-G., « Les travaux et les jours (1800-1875) », in Petit J.-G. (dir), op. cit., p. 149.
7 Décret du 19-1-1923, op. cit., art. 49.
8 Ibid., art. 32.
9 Lesselier C., « Les femmes et la prison, 1820-1939. Prison de femmes et reproduction de la société patriarcale », in Petit J.-G. (dir), op. cit., p. 119.
10 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
11 Faivre L., op. cit., p. 112.
12 Cf. planche P.
13 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
14 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, Code pénitentiaire, t. XXII, p. 650.
15 Meurillon R., op. cit., p. 22.
16 AN Fontainebleau, 960136, art. 100, « Règlement intérieur type proposé par la direction régionale de Rennes », n. d. (vers 1966), p. 6.
17 Ibid., p. 5.
18 Ibid., « Règlement – Mémento à l’usage des détenus – MC de Loos, centre de jeunes condamnés », n. d. (vers 1966), p. 1.
19 Décret du 12-9-1972, portant modification au CPP, AN Fontainebleau, 960136, art. 94.
20 Zonzon, un film de Bouhnick L., 1998, et 9m2, un film de Cesarini J. et Glasberg J., 2004.
21 AD Essonne, 1466W1, Livres et liasses de procédures disciplinaires, mars 1988-juin 1988.
22 Haussonville G. (dir.), op. cit., p. 125.
23 Instruction n° 36, le 4-6-1937, à MM. les directeurs des institutions publiques d’ES et à M. le dir. de la Maison d’ES et de l’École de préservation de Fresnes, Code pénitentiaire, t. XXVII.
24 Circ. du 14-4-1969, modification de la réglementation relative à la punition de cellule, AN Fontainebleau, 960136, art. 89.
25 Décret du 12-9-1972, portant modification au CPP, AN Fontainebleau, 960136, art. 94.
26 AD Isère, 3262W1, « Rapport de la MA de Valence, le procureur de la République près le tribunal de Valence au procureur général près la cour d’appel de Grenoble », 21-11-1946.
27 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, Code pénitentiaire, t. XXII, p. 651.
28 Ibid., p. 651.
29 Meurillon R., op. cit., p. 20.
30 Ibid.
31 AN Fontainebleau, 960136, art. 89, « Lettre du Syndicat national des éducateurs de l’AP au dir. général de l’AP », 4-3-1969.
32 Perez A., op. cit., p. 18.
33 Décret du 29-6-1923, op. cit., Code pénitentiaire, t. XXI, art. 37.
34 Carlier C., Spire J., Wasserman F., Fresnes, la prison, Ponthierry, Écomusée Fresnes, n. d., p. 58.
35 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
36 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, Code pénitentiaire, t. XXII, p. 650.
37 Almereyda M., Delannoy A., op. cit.
38 Meurillon R., op. cit., p. 20.
39 Ibid., p. 5.
40 AD Isère, 6Y8, « Divers avis de transferts de mineurs de la MA de Grenoble à destination d’autres institutions », 1930-1932.
41 AD Isère, 3262W1, « Inspection du dir. régional de Lyon de la MA de Grenoble », 13-4-1959.
42 AN Fontainebleau, 960136, art. 100, « Règlement – Mémento à l’usage des détenus – MC de Loos, centre de jeunes condamnés », n. d. (vers 1966), p. 2.
43 Fonds Brisset, « Rapport de Henri Gaillac à Pierre Ceccaldi », 3-7-1958, p. 11.
44 Ibid.
45 Fonds Brisset, « Lettre de la direction de l’AP au dir. de l’ES », 14-8-1958.
46 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « Note du bureau de la détention pour le Dr Fully », 23-9-1968.
47 Ibid., « Note du bureau de la détention pour le dir. du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis », 23-9-1968.
48 Montaron J.-P., op. cit., p. 32-33.
49 Perez A., op. cit., p. 104.
50 AD Essonne, 1466W1, Livres et liasses de procédures disciplinaires, « Les fiches disciplinaires de Z. Malika », mars à juin 1988.
51 Chemin A, « La procédure disciplinaire n’offre pas de garantie aux détenus », Le Monde, 5-2-1995.
52 OIP, op. cit., p. 308.
53 Hyest J.-J. (président), op. cit., p. 18.
54 Schachtel M., op. cit., p. 148-149.
55 Melas L., Ménard F., « Production et régulation de la violence en prison », Arrêt sur recherche, Mission de recherche Droit & Justice, n° 2, juin 2002, p. 13.
56 Combessie P., Sociologie de la prison, op. cit., p. 70.
57 Gresham S., Society of Captives : A Study of a Maximum Security Prison, Princeton (New Jersey), Princeton University Press, 1958, 144 p.
58 Combessie P., Sociologie de la prison, op. cit., p. 70.
59 Vullien, Guilbert, « Les mineurs dans les prisons », Revue de l’éducation surveillée, n° 5, nov.-déc. 1946, p. 29.
60 Levacher J., « Si La Courneuve m’était contée… », Pour l’histoire, AHES-PJM, n° 17, avril 1998, p. 3.
61 À l’origine, l’expression de « pointeurs » désigne dans le jargon carcéral les détenus incarcérés pour viol. Par extension, les « pointeurs » et les « pointés », sont les sodomites et les sodomisés et aussi, plus largement, les chefs et leurs acolytes.
62 Entretien informel de déc. 1999 avec Roger Vibert-Vichet, ancien responsable du FAE de La Courneuve.
63 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Étude sur le problème posé par les jeunes détenus incarcérés… », op. cit.
64 Ibid.
65 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. de la prison-école d’Oermingen au garde des Sceaux », 28-4-1969.
66 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. de la prison-école de Loos au garde des Sceaux », 28-5-1969.
67 Ibid., « Rapport concernant le centre des mineurs des prisons de Rouen par M. Jean Lestelle, éducateur », 23-5-1969.
68 Goffman E., op. cit.
69 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Lettre et commentaire du dir. régional de Rennes au garde des Sceaux », 13-6-1969.
70 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. régional responsable du CJD de Fleury-Mérogis au garde des Sceaux », 28-4-1969.
71 Ibid., « Rapport – Problèmes posés par les jeunes détenus incarcérés après échec de leur traitement dans les institutions pour mineurs délinquants », juil. 1969.
72 Ibid., « Lettre et commentaires du dir. régional responsable du CJD de Fleury-Mérogis au garde des Sceaux », 28-4-1969.
73 Debesse M., op. cit., p. 43.
74 Peyrefitte R., Les amitiés particulières, Paris, J’ai Lu, 1958, 441 p.
75 Lesage de la Haye J., La guillotine du sexe, Paris, 2e éd., Monde libertaire, 1992, 219 p.
76 Mermaz L. (dir.), op. cit., p. 37.
77 « Prisonnières », Dedans-Dehors, n° 12, mars-avril 1999, p. 8. cons E., op. cit., p. 173-190.
78 Welzer-Lang D. (dir.), Sexualités et violences en prison : ces abus qu’on dit sexuels, Lyon, Aléas, OIP, 1996, 280 p.
79 Schachtel M., op. cit., p. 106.
80 AD Isère, 2Y, « Rapport sur la MA de Grenoble », n. d. (vers mars 1914).
81 AN (CARAN), BB18 6503, « Rapport sur une tentative de meurtre, le procureur général de Montpellier au garde des Sceaux », 31-12-1909.
82 Vullien, Guilbert, « Les mineurs dans les prisons », op. cit., p. 30.
83 Montaron J.-P., op. cit., p. 30.
84 Ibid., p. 47.
85 Roumajon Y., « Le centre spécial d’observation de l’ES de Fresnes », Sauvegarde de l’enfance, n° 9-10, nov.déc. 1959, p. 589.
86 Entretien du 11 avril 2 000 avec G. Tramonti, éducateur puis chef de service au CSOES, de 1965 à 1979.
87 AN Fontainebleau, 960136, art. 2, « Note du bureau de la détention au dir. de l’ES. Objet : situation des mineurs détenus à la MA de Grenoble », 3-8-1962.
88 Le nouvel établissement, la MA de Varces, a été bâti au début des années soixante-dix sans qu’un quartier pour mineurs ne soit prévu sur le plan de l’architecte.
89 Devillechabrolle V., « Après les violences subies par un adolescent à Bois-d’Arcy M. Arpaillance crée une mission générale d’inspection sur les conditions de détention des mineurs », le monde, 22-11-1989.
90 Welzer-Lang D., Mathieu L., Faure M., op. cit.
91 Cannat P., « La mise en œuvre des peines dans les MA », Revue pénitentiaire et de droit pénal, janv.-mars 1960, p. 48.
92 AN Fontainebleau, 960136, art. 95, « Lettre du bureau de la détention au dir. pénitentiaire de Toulouse-Objet : nécessité de rendre compte à l’administration centrale de tout incident grave et d’établir avec rigueur l’index d’orientation », 19-1-1973.
93 Hyest J.-J. (président), op. cit., p. 131-132.
94 Welzer-Lang D., Mathieu L., Faure M., op. cit.c
95 Bouyssic R., « Groupes clandestins dans la population pénale », Revue pénitentiaire et de droit pénal, oct.-déc. 1972, p. 778.
96 Mermaz L. (dir.), op. cit., p. 60.
97 Fedou G., « Le magistrat de la jeunesse et la détention préventive des mineurs », Bulletin de l’Union des sociétés de patronage de France, n° 89, 1er trim. 1971, p. 121.
98 Welzer-Lang D., Mathieu L., Faure M., op. cit.
99 Vimont J.-C., La prison politique en France, Genèse d’un mode d’incarcération spécifique xviiie-xxe siècles, Paris, Anthropos-économica, 1993, 503 p.
100 Vimont J.-C., La prison à l’ombre des hauts murs, op. cit., p. 72.
101 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 67.
102 Exercice 1962, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1963, p. 36.
103 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Préparation d’une audience qui doit être accordée à un journaliste du Monde sur les problèmes que pose l’incarcération des activistes », 8-9-1962.
104 AN Fontainebleau, 960136, art. 64, « Le bureau de l’application des peines au cabinet du garde des Sceaux. Objet : Régime pénitentiaire applicable aux activistes mineurs de 21 ans », 9-3-1962.
105 Ibid.
106 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Préparation d’une audience… », op. cit.
107 Ibid.
108 Ibid., « État des détenus activistes “C” qui ont participé à la mutinerie du 13-12-62 en qualité de meneurs et dont la conduite a été très mauvaise », n. d. (vers fin décembre 1962).
109 Ibid., « Note du bureau de la détention à M. Mazeaud, chargé de mission », 29-12-1962.
110 Ibid., « Lettre d’un détenu activiste adressé au garde des Sceaux », 25-2-1963.
111 Ibid., « Compte-rendu mensuel sur le fonctionnement de la 1re division des prisons de Fresnes par le dir. de Fresnes au garde des Sceaux », 12-3-1963.
112 Ibid., « Lettre M. Hourcq, dir. régional chargé des fonctions d’inspection générale au dir. de l’AP », 14-3-63.
113 Petit Larousse illustré, 1985, p. 473.
114 Boudot de la Motte E., Les grèves de la faim en milieu carcéral, thèse pour le doctorat en médecine, 1975, p. 4.
115 Casile-Hugues G., La grève de la faim en milieu carcéral, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1994, p. 131-157.
116 Boudot de la Motte E., op. cit., p. 52-55.
117 Vibert-Vichet R., « Et la honte (vers 1958) », AHES-PJM, n° 17, avril 1998, p. 4.
118 Corbin A., op. cit., p. 478-480.
119 AD Vienne, 6Y68, « Le dir. de la circonscription pénitentiaire de Thouars au préfet de la Vienne », 6-9-1918.
120 AN Fontainebleau, 950279, art. 18, Dossier n° 108, « Le dir. des Prisons de Marseille aux Baumettes au garde des Sceaux », 17-1-1949.
121 Sarrazin A., L’astragale, Paris, Le livre de poche, 1965, 192 p.
122 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 20. L’évasion de la prison-école de Doullens est celle d’Albertine Sarrazin.c
123 AD Vienne, 1Y141, « Le commissaire de police au Commissaire général (sûreté nationale) », 3-6-1942.
124 Perez A., op. cit., p. 20-21.
125 Chesnais J.-C., Les morts violentes en France depuis 1826 : comparaisons internationales, Paris, PUF, 1976, 346 p.
126 Chesnais J.-C., « Le suicide dans les prisons », Population, n° 1, 1976, p. 85.
127 Ibid., p. 81.
128 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Note du garde des Sceaux (via le dir. des affaires criminelles et des grâces, Pierre Arpaillange) aux premiers présidents et procureurs généraux, Objet : suicides des détenus dans les établissements pénitentiaires », 15-1-1973.
129 Circ. du 15-5-1974, relative au problème des suicides dans les établissements pénitentiaires, AN Fontainebleau, 960136, art. 96.
130 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « Contribution statistique à l’étude des conduites suicidaires en milieu carcéral (1974-1978) », oct. 1979.
131 B. Ph., « Douze mois de suicides dans les prisons, un “record” battu », 5-1-1973.
132 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « Le Premier président de la cour d’appel de Lyon et le procureur général au garde des Sceaux », 4-7-74.
133 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 6.
134 Circ. du 15-2-1967, prévention des suicides. Rédaction des comptes-rendus de suicides et de tentatives, Code pénitentiaire, t. XXXVII.
135 AN Fontainebleau, 960136, art. 96, « TGI de Vesoul, le président du tribunal et le procureur de la République au premier président et au procureur général de la cour d’appel de Besançon », 5-11-1974.
136 Ibid., « Cour d’appel de Besançon, parquet général le procureur général au garde des Sceaux », 5-3-1975.
137 bid., « Le premier président de la cour d’appel de Lyon et le procureur général au garde des Sceaux », 4-7-74.
138 Ibid., « Le premier président de la cour d’appel de Nancy et le procureur général au garde des Sceaux », 2-7-74.
139 Ibid., « Le président du TGI et le procureur de la République d’Angers au procureur général de la cour d’appel d’Angers », 20-6-1974.
140 Ibid., « Cour d’appel de Dijon, premier président de la cour d’appel de Dijon et le procureur général au garde des Sceaux », 17-7-74.
Table des illustrations
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Titre | Document 11 – Punitions autorisées pour les condamnés et les prévenus, mineurs et adultes, des maisons d’arrêt affectées à l’emprisonnement en commun (1923). |
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Titre | Document 12 — Les comparaisons au prétoire de Malika, jeune détenue à la MAF de Fleury-Mérogis (1988)50. |
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