Les enfants de l'ombre
|Deuxième partie. Le temps carcéral : temps vides et temps pleins
Conclusion de la 2e partie
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L’amélioration de la vie quotidienne des jeunes détenus et ses limites
- 1 MA des Yvelines, Guide de l’arrivant, MA des Yvelines, ministère de la Justice, 1997, fiches n° 3- (...)
1Comment les jeunes détenus d’aujourd’hui sont-ils occupés en détention ? Quelles libertés et facilités leur sont accordées pour l’exercice des gestes quotidiens et des activités journalières ? Se nourrir, dormir, travailler, étudier demande-t-il toujours autant d’efforts ? Un premier constat s’impose : le rythme de la journée est inchangé. L’emploi du temps des jeunes détenus de la maison d’arrêt des Yvelines en 1997 ressemble peu ou prou à celui des premiers adolescents incarcérés au CJD de Fleury-Mérogis à la fin des années soixante et même, en ce qui concerne les horaires, à celui des enfants de la Petite-Roquette au début du xixe siècle : le lever est à 7 h, les repas du midi et du soir respectivement à 11h45 et 17h45 et la fermeture des cellules à 19 h1. Les gestes du quotidien, quant à eux, sont plus aisés à accomplir malgré des entraves qui restent importantes dans certains établissements et des inégalités toujours aussi frappantes selon les détentions. En outre, l’alimentation demeure au cœur des tensions entre l’administration et les prisonniers. Le nouveau guide du prisonnier remarque que la nourriture carcérale proposée aux détenus de l’an 2000 est à peu près aussi controversée que celle distribuée plusieurs dizaines d’années auparavant :
- 2 OIP, op. cit., p. 137.
« […] L’alimentation fournie par l’administration pénitentiaire est d’une qualité très variable. Immangeable selon les uns, identique à n’importe quelle cantine selon les autres… Il est un point sur lequel tous s’accordent : il faut de l’argent pour se nourrir correctement afin d’acheter les compléments à la cantine2. »
- 3 Ibid., p. 126.
2Du moins, à défaut d’être suffisante, l’alimentation est aujourd’hui équilibrée. Certes, les repas se prennent encore en cellule ou en réfectoire, mais le régime amélioré pour les mineurs est maintenant respecté et même étendu à tous les détenus de moins de 21 ans sans distinction du statut juridique. A contrario, dormir s’avère toujours aussi problématique. Comme au début du siècle, dans les cellules bondées, « certains détenus en surnombre sont contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol3 ». À l’inconfort, comme depuis toujours, s’ajoute la nuisance des bruits inhérents à la prison, immuables, qui gênent le candidat dormeur. En ce domaine, la seule évolution notable réside dans les progrès de la médecine et l’introduction en détention de « camisoles chimiques » plus efficaces. Prisés par les détenus, qui espèrent y trouver quelques moyens de repos, aussi bien que par les surveillants, adeptes du calme carcéral, l’entrée des psychotropes en prison a le regrettable désavantage de rendre dépendants à ces drogues légales bon nombre des utilisateurs. Les mineurs, souvent protégés de ces abus dans la vie libre, se trouvent ainsi, en tant que détenus, tout autant contaminés que leurs aînés.
3De la formation professionnelle aux divertissements, les activités se diversifient et se répandent dans les maisons d’arrêt. Si pendant la première moitié du xxe siècle, les détenus n’ont accès qu’à un travail productif, à une petite promenade quotidienne et à la lecture, la réforme pénitentiaire de 1945 donne le départ du développement de l’instruction primaire, des activités physiques et des différents loisirs. L’intérêt des pouvoirs publics pour les mineurs, puis pour les jeunes majeurs, est bien souvent au centre, parfois à l’origine, de ces initiatives. Pour eux, plus que pour les adultes, la prison doit être un lieu de rééducation susceptible de leur apporter les clés d’une bonne réintégration dans la société en limitant les risques de récidives. Ils sont généralement prioritaires pour bénéficier des activités éventuellement organisées dans l’établissement. Et c’est là que le bas blesse. L’inégalité des prisons face aux moyens tant matériels que structurels est endémique. Ici, il n’y a que les cours de sport qui fonctionnent, là, seul le service général fournit quelques emplois rémunérés. Dans ces conditions, tous les adolescents détenus ne sont pas occupés à l’apprentissage d’un métier. De plus, le développement de cette volonté formatrice envers les plus jeunes tend aujourd’hui à perdre de sa vigueur. Le chômage et la crise économique ne justifient pas seuls ce tournant. La mode gouvernementale est bien davantage à la répression, à la priorité de la protection de la société, qu’aux efforts de rédemption et de réadaptation des détenus. Le nouveau guide du prisonnier, thème par thème, pose les limites de l’organisation de la vie quotidienne des détenus. C’est la réalité du travail et de la formation professionnelle en détention qui est le plus sévèrement critiqués :
- 4 Ibid., p. 175.
[Au sujet du travail]
« La réalité du travail carcéral est particulièrement éloignée d’une mission de réinsertion. Le travail proposé est sous-payé, non soumis à la législation du travail et rarement qualifiant […].
Certaines catégories de détenus peuvent être totalement ou partiellement exclues de l’accès au travail […]. Comme à l’extérieur, les mineurs ne peuvent travailler qu’à partir de 16 ans. »
[Au sujet de la formation professionnelle]
« À la différence du travail pénitentiaire qui s’avère peu qualifiant, la formation professionnelle pourrait représenter un levier afin que le temps carcéral ne soit pas un temps perdu. Pourtant, ce domaine est peu exploité par l’administration pénitentiaire et une infime quantité de détenus en profite4. »
4La formation scolaire est largement traitée, particulièrement celle des mineurs, avec ses progrès, indéniables, et ses résultats, insuffisants :
- 5 Ibid., p. 161-166.
« Si le droit à l’éducation est de mieux en mieux respecté dans les prisons françaises […] les conditions de détention ou le manque d’enseignants ne permettent pas un accès à l’enseignement dans tout l’ensemble des lieux de détention […].
Les détenus les plus jeunes et les moins instruits sont prioritaires dans l’accès à l’enseignement […].
3 045 mineurs ont été scolarisés en prison en 1999. Pour ce qui est des heures d’enseignement, la moyenne nationale s’élève à 9 heures hebdomadaires5. »
- 6 Ibid., p. 155.
- 7 Ibid., p. 142.
- 8 Ibid., p. 160.
5Pour ce qui est de l’organisation des activités sportives « la plupart des établissements pénitentiaires en prévoit aujourd’hui la possibilité, mais parfois dans de très mauvaises conditions ». Quant à l’accès à la lecture, « certaines prisons ne disposent pas encore d’une véritable bibliothèque en accès direct pour les détenus et lorsqu’elle existe, celle-ci est parfois insuffisamment fournie pour des lecteurs qui restent enfermés de longues journées, mois ou années ». De plus, la liberté d’information subit toujours une certaine censure car « en pratique, des chefs d’établissement prennent régulièrement la liberté de retenir des journaux ou publications sans même avertir la direction de l’administration pénitentiaire6 ». Quant aux activités socioculturelles, « elles sont souvent réservées à un nombre restreint de détenus et peu adaptées à la diversité des personnes qui peuplent les prisons ». Parmi tous ces dysfonctionnements, quelques préceptes édictés par le code de procédure pénale trouvent une application tout à fait satisfaisante en maison d’arrêt. Ainsi, la promenade d’une heure est toujours respectée même si « elle se déroule dans des conditions très différentes d’un établissement à un autre, tant au niveau de sa durée, que de ces conditions7 ». De même la location, ou l’achat, de postes de télévision et de radio est systématiquement autorisée. Quelques restrictions survivent toutefois mais, mises à part les privations d’origines disciplinaires toujours sujettes à d’éventuels abus, elles paraissent justifiées. Par exemple, sur l’usage du petit écran, « seuls les mineurs peuvent se voir imposer des restrictions tenant à leur âge, certains programmes leur étant interdits (pornographie, violence, etc.) ». Sur le mode d’acquisition des postes de radio, sont interdit uniquement « certains récepteurs-radio très perfectionnés […] appareils qui peuvent permettre la réception de fréquences de la police et de l’administration pénitentiaire8 ».
6L’inégalité entre les détenus face aux conditions d’exécution de la peine privative de liberté, ou de la détention provisoire, est récurrente. L’établissement, le chef de détention, la nature de l’infraction, la situation financière du prisonnier, sa situation familiale, son ethnie d’origine et son âge sont autant de facteurs qui influent sur sa vie quotidienne. Mais, entre tous, le facteur qui tout au long du siècle est le plus déterminant est celui du sexe. Sous prétexte d’un petit effectif, les femmes détenues souffrent d’une discrimination généralisée face à l’incarcération et, parmi elles, les filles maintenues sont encore davantage en dehors des textes législatifs.
- 9 Kalifa D., « Prisons à treize sous. Représentation de l’enfermement et imprimés de masse à la fin (...)
7L’amélioration des conditions de détention des mineurs détenus, comme des majeurs, au cours du xxe siècle est indubitable. Certains s’en félicitent au nom de l’humanisation des peines, d’autres le regrettent en faisant planer l’idée séculaire de la néfaste prison trois étoiles, ou prison de cocagne9. Cette dernière, dénoncée par Alexis de Tocqueville, n’épargne guère les institutions pour enfants qu’il conçoit déjà, par ailleurs, nécessairement éducatives :
- 10 Tocqueville A., Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l’étranger, Œuvres complètes, t (...)
« On ne doit pas oublier que ces établissements [les maisons de refuge pour mineurs délinquants], pour remplir leur véritable objet, doivent, quoique différents de la prison, conserver une partie de ses vigueurs, et que le bien-être matériel, comme aussi l’instruction morale que les enfants trouvent dans les maisons de refuge, ne doivent pas envier leur sort par les enfants dont la vie est irréprochable.
Rappelons à cette occasion une vérité qu’on ne saurait méconnaître sans danger, c’est que l’abus des institutions philanthropiques est aussi funeste à la société que le mal qu’elles se proposent de guérir10. »
8Ces améliorations ont pourtant leurs limites. De fait, elles ne font que suivre l’évolution de la société moderne, avec un certain retard, suivant en cela le principe de less eligibility, étudié, sous un point de vue marxiste, par Georg Rusche et Otto Hirchheimer :
- 11 Hirchheimer O., Rusche G., op. cit., p. 247.
« La limite supérieure du niveau de vie des prisonniers était ainsi déterminée par la nécessité de maintenir ce niveau au-dessous de celui de la classe la plus basse de la population libre11. »
- 12 Ibid., p. 245.
- 13 Lucas C., Du système pénitentiaire en Europe et aux États-Unis, vol. 2, Paris, 1930, p. 407.
- 14 Cornil P., « La réforme des prisons », Revue pénitentiaire et de droit pénal, janvier-mars 1962, p (...)
9Un courant de pensée de l’époque, rapidement majoritaire, est en effet convaincu que « si les prisons offraient un sort plus enviable que celui que les travailleurs pouvaient s’offrir grâce au revenu de leur travail, elles perdraient leurs effets dissuasifs12 ». Charles Lucas exprime la même idée, celle que les prisonniers sont en droit de participer aux progrès de la civilisation, mais dans une moindre proportion que les autres membres de la société13. Aux vues des conditions de détention des jeunes détenus du xxe siècle, il semble que malgré l’évolution des discours pénitentiaires et la réaffirmation constante d’une prison pour mineurs rééducative, le principe de less eligibility soit toujours en vigueur du moins dans les maisons d’arrêt et, de fait, dans les détentions qui accueillent la majorité des adolescents de moins de 18 ans. Une exception peut, peut-être, être attribuée à l’alimentation, généralement assez abondante et de bonne qualité dans les prisons pour mineurs (malgré ce qu’ils peuvent en dire), situation qui ne se rencontre pas dans tous les foyers des travailleurs les plus pauvres du territoire métropolitain. Dans tous les autres domaines cependant, la prison accuse un retard dans la modernisation et un inconfort en tout point conformes aux désirs des premiers théoriciens de la peine privative de liberté. Pourtant quelques voix s’élèvent contre ce principe, certaines qu’il est nécessaire d’établir une moyenne entre les plus déshérités et les plus riches, « le standard de vie du détenu doit être, au contraire, plus élevé que celui des classes inférieures14 ». Pourtant l’auteur de cette maxime nuance rapidement ses propos en préconisant d’attendre que tous les foyers bénéficient de telle ou telle amélioration avant de l’introduire dans les prisons :
- 15 Ibid., p. 35.
« […] il convient de faire une comparaison avec les usages extérieurs. Dès le moment où la radio est devenue d’un usage général, on a trouvé tout naturel d’en faire bénéficier les détenus. Aussi longtemps que la télévision n’est pas encore à la portée de tous, on doit se montrer prudent dans l’usage pénitentiaire de ce mode de distraction […]15. »
- 16 Combessie P., op. cit., p. 60.
10L’étude du bilan de l’équipement culturel de 1964, suffit à s’assurer que cette précaution est effectivement largement respectée dans les détentions. Quant à la spécificité principale de l’éducation des mineurs, l’accès à l’instruction et à la scolarité obligatoire est très largement inférieur dans les prisons, « ordinaires » et spécifiques, que dans la société française. La faible quantité d’heures de cours hebdomadaire, l’équipement scolaire des établissements, le petit nombre d’instituteurs trop souvent simples bénévoles non avertis des progrès pédagogiques sont autant de sombres traces perceptibles dans les prisons. En ceci, l’administration pénitentiaire apparaît comme particulièrement en dehors du cadre juridique établi pour chaque citoyen. En revanche, elle reproduit parfaitement, en l’accentuant davantage encore, l’inégalité des hommes et des femmes devant le travail et autres droits fondamentaux, cantonnant la détenue dans l’univers le plus réduit que possèdent les établissements pénitentiaires, la cellule, et bafouant délibérément et systématiquement des articles des codes d’instruction criminelle et de procédure pénale aussi essentiels que, par exemple, celui de la séparation des mineures d’avec les majeures. Cependant, de manière générale, la tendance à l’amélioration des conditions de vie dans la société comme dans les prisons prend de l’importance, du moins si l’on s’en tient à la situation des hommes. Le quotidien en milieu carcéral, tend à une certaine normalisation qui le rapproche des us et coutumes des français libres16. De fait, des impondérables empêcheront toujours une totale équité entre les deux univers, celui du dedans et celui du dehors. Le plus probant est la limitation, autant que faire se peut, des rencontres mixtes et intergénérationnelles des détenus, indispensable pour éviter les abus de pouvoir qu’exercent immanquablement les plus puissants sur les plus faibles. Brisées par la détention, les solidarités sociales habituelles, celles de la famille, des amis, des collègues, ne sont plus susceptibles d’apporter la protection et le soutien dont les éléments les plus fragiles ont besoin, d’où la séparation des différentes populations pénales au sein de l’établissement carcéral (« ordinaire » ou spécifique pour mineurs) et l’impossibilité d’établir une normalisation totale dans les détentions. Cependant, antagonisme de l’enfermement, cette séparation n’empêche pas les plus aguerris d’abuser, et d’exploiter, la situation malgré la mise en place d’un complexe système disciplinaire interne élaboré au fil du temps par l’administration pénitentiaire.
Notes
1 MA des Yvelines, Guide de l’arrivant, MA des Yvelines, ministère de la Justice, 1997, fiches n° 3-4 et 3-5.
2 OIP, op. cit., p. 137.
3 Ibid., p. 126.
4 Ibid., p. 175.
5 Ibid., p. 161-166.
6 Ibid., p. 155.
7 Ibid., p. 142.
8 Ibid., p. 160.
9 Kalifa D., « Prisons à treize sous. Représentation de l’enfermement et imprimés de masse à la fin du xixe siècle », Revue d’histoire du xixe siècle, n° 20-21, 2000, p. 203-215.
10 Tocqueville A., Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l’étranger, Œuvres complètes, t. IV, vol. 1, Paris, Gallimard, 1984, p. 266.
11 Hirchheimer O., Rusche G., op. cit., p. 247.
12 Ibid., p. 245.
13 Lucas C., Du système pénitentiaire en Europe et aux États-Unis, vol. 2, Paris, 1930, p. 407.
14 Cornil P., « La réforme des prisons », Revue pénitentiaire et de droit pénal, janvier-mars 1962, p. 33.
15 Ibid., p. 35.
16 Combessie P., op. cit., p. 60.
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