1En détention, c’est le travail qui règle l’essentiel de la vie quotidienne des détenus. Entre nécessité de production et d’occupation, l’administration pénitentiaire s’évertue à attirer les entreprises au sein de ses établissements. Malgré ses efforts, le chômage est endémique et nombre d’incarcérés demeurent inoccupés. Il s’agit donc de leur permettre de sortir des cellules, ou des dortoirs, où ils sont confinés tout au long du jour et de la nuit. L’administration pénitentiaire instaure la promenade obligatoire : les surveillants veillent à ce que chaque individu aille à l’extérieur, quotidiennement, de trente minutes à deux heures selon les époques et les catégories. En parallèle, l’administration tente de développer l’accès à la lecture qui occupe, instruit et moralise les âmes perverties. Promenade et littérature sont, jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les seuls loisirs offerts à la population pénale, tous âges confondus, et tous autres divertissements exclus. Avec la recrudescence du chômage, la pénurie des matières premières et le surencombrement toujours croissant, ces occupations s’avèrent insuffisantes, en des temps où, de plus, il s’agit d’humaniser la peine privative de liberté. Le souci de l’administration envers les conditions de détention des mineurs pénaux s’accentue et l’amène à les faire bénéficier en priorité de sa nouvelle politique. La lecture est développée et, parallèlement, les bienfaits de l’exercice physique sont valorisés. Cependant, une certaine inertie et la faiblesse des moyens ne permettent pas une extension de ces pratiques à la hauteur des souhaits de la hiérarchie pénitentiaire. Les bibliothèques pénitentiaires, correctement alimentées en ouvrages au début des années soixante, sont un bon complément à la pratique du sport qui s’est étendue aux mineurs incarcérés. Bientôt, les prisons s’équipent également d’appareils modernes destinés aussi bien à la pédagogie scolaire, qu’aux loisirs et à la discipline : les postes de radios servent autant à diffuser de la musique qu’à émettre des instructions à l’ensemble de la détention. Malgré un équipement toujours mieux adapté et une certaine ouverture sur l’extérieur, les occasions de divertissements demeurent rares et insuffisantes. De plus elles sont continuellement l’objet de chantage de la part des surveillants, et les mineurs qui en bénéficient les premiers sont aussi les premiers à s’en voir privés.

Prendre l’air : de la promenade à l’éducation physique

2Pendant longtemps la promenade est l’unique moment de la journée où le détenu sort de sa cellule en 24 heures. De fait, face au chômage et à l’inactivité fréquente des incarcérés, l’administration tient particulièrement à cette pratique. Aussi la réglemente-t-elle tout particulièrement et les promenoirs font souvent partie intégrante de l’architecture1. Toutefois, cette activité s’avère insuffisante. Le besoin de dépense physique d’un être humain dépasse de beaucoup une demi-heure ou une heure de marche au pas par jour. Ce constat s’applique tout particulièrement aux jeunes gens dont la nervosité ne peut être calmée que par un défoulement sur un terrain de sport.

Sortir le jeune de sa cellule : le temps de la promenade

3Si la promenade est obligatoire pour les condamnés depuis des décennies, « les prévenus et accusés ne sont pas astreints à la promenade au préau2 » dans les prisons à emprisonnement individuel. Les premiers enfants incarcérés à la Petite-Roquette, quant à eux, sortent trente minutes quand cela est possible, dans un préau minuscule, quelle que soit la météo :

« La promenade, obligatoirement individuelle, pose de gros problèmes. Les enfants sortent un par un, une demi-heure par jour, tous les trois jours s’ils sont en surnombre. En 1841 sont construits des préaux cellulaires où il est pratiquement impossible de courir3. »

4Dans les établissements affectés au régime en commun, règnent les mêmes conditions que pour les établissements cellulaires mais il est ajouté que la promenade est « obligatoire pour les condamnés et pour les jeunes détenus4 ». Une certaine spécificité de la population des mineurs est déjà prise en compte. Ces dispositions sont valables jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, indifféremment pour les garçons et les filles. La promenade se généralise alors et tous les détenus, quel que soit leur statut, doivent pouvoir sortir de leur cellule une fois par jour. Comme le montre les photographies prisent par les studios Henri Manuel, les modalités de la promenade sont variées : à la file, en petit groupe, en rond, libres ou très encadrés5. Quoi qu’il en soit, chaque établissement doit lui réserver un espace : préau comme à la maison d’arrêt de Toulouse ou cour, comme à l’École de préservation de Fresnes. Après la Seconde Guerre mondiale, les prisons sont les mêmes, installées au cœur des mêmes bâtiments et par conséquent la variété des lieux affectés à cette sortie quotidienne est toujours semblable. Cependant, les établissements modernes présentent également une grande disparité. À la prison de Saint-Paul à Lyon, qui accueille des mineurs depuis plus d’un siècle, c’est toujours une minuscule cour ouverte qui sert de lieux de promenade en 1972 :

« Après le petit déjeuner, un jour sur deux, ils ont droit à la promenade pendant une heure en moyenne. Ils feront les cent pas, dans une cour triangulaire d’une vingtaine de mètres de côté, entourée de murs de 2,5 m surmontée d’un grillage6. »

5Le quartier pour mineurs de Pontoise, quant à lui, possède une cour grande de 10 m², recouverte de sable fin, d’où le surnom de « Pontoise-plage » que lui donnent les jeunes pensionnaires qui y effectuent leur détention préventive7. Les détenus se rendent seuls ou à plusieurs à la promenade selon le régime cellulaire ou en commun de la prison et selon s’ils sont punis ou non. En cas d’isolement disciplinaire, la cour de promenade n’est plus qu’un minuscule espace entouré de hauts murs. Il paraît dérisoire d’espérer que le prisonnier ou la prisonnière y trouve autre chose à faire que de tourner en rond ou de faire les cent pas. Cette pratique perdure, même dans les centres pour jeunes détenus. Puni, Angel Perez raconte sa promenade quotidienne dans l’espace extérieur dépendant de son cachot, au CJD de Fleury-Mérogis en 1974 :

« La seule chose qui m’est permise de faire, comme je disais, est de penser et marcher […].
On m’emmène tous les matins au 4^e étage faire une courte promenade dans une pièce d’à peu près 5 m² dont le toit est un grillage. Pour l’occasion ils me donnent une tenue pénale grise8. »

6Aujourd’hui encore, un mineur puni à la maison d’arrêt de Varces, près de Grenoble, fait sa promenade dans une petite pièce, close, munie d’un toit en dur, opaque, sans fenêtre, munie d’un simple trou ajouré au sol en guise d’aération9. Le temps de la promenade est lui aussi sujet à bien des différenciations.

7Jacques Guy-Petit note, pour le xix^e siècle, que la promenade, « matin et soir, dure environ une demi-heure, pour les condamnés qui ne sont pas au cachot10 ». Pendant la première moitié du xx^e siècle, tout détenu, incarcéré en prison cellulaire ou en commun, doit pouvoir effectuer une promenade qui est « d’une heure par jour, autant que possible ; elle ne doit, en tout cas, être inférieure à une demi-heure11 », pour les « isolés » y compris. Cette clause est rappelée par le directeur de l’administration pénitentiaire en 1946. En effet, ces dispositions « semblent avoir été perdues de vue par certains chefs d’établissement, car il m’est signalé que dans de nombreuses prisons la durée de la promenade quotidienne n’excède pas vingt minutes12 ». Comme aucune différence n’est faite entre les mineurs et les adultes à ce titre, il est probable que certains jeunes de moins de 18 ans ne bénéficient pas non plus de sortie quotidienne de la durée réglementaire. En fait, les conditions dans lesquelles se fait la promenade, ainsi que ses horaires, sont très variables. Cela dépend de la météo, de l’effectif des détenus et des surveillants, du nombre ou de la taille des cours. Depuis que le régime de détention des mineurs dans les maisons d’arrêt est précisé, par la circulaire essentielle de 1952, les jeunes détenus, mineurs civils et pénaux, de par leur besoin de dépense physique supérieure à celui des adultes, « doivent bénéficier chaque jour d’une promenade en commun au préau. La durée de cette promenade, pendant la belle saison, est de deux heures au moins, et peut être supérieure si les nécessités du service le permettent13 ». Ce précepte est très inégalement appliqué. En 1956, à Poitiers, « l’après-midi une prolongation de sortie est accordée aux jeunes détenus14 » tandis qu’à Strasbourg, en 1961, les adolescents, dont les cellules sont parfois « triplées », n’ont pas cette chance :

« Au lieu d’avoir droit à deux heures de promenade par jour, les mineurs ne bénéficient que d’une heure, les deux cours réservées à ces exercices physiques étant continuellement occupées par les autres détenus, en groupe ou isolés15. »

8Les arguments des directeurs qui n’appliquent pas la législation sont d’autant plus aisés que les circulaires sur les conditions de détention des mineurs usent systématiquement, une fois de plus, de termes conditionnels tel « chaque fois que le temps le permettra16 ». Pourtant, l’importance de la promenade, surtout pour les jeunes, est bien reconnue par l’administration pénitentiaire, à tel point qu’une circulaire de 1969, prescrit que même les mineurs de 21 ans isolés au « mitard » pourront sortir à une heure entière (contre trente minutes auparavant)17. Cette promenade est aussi un moment crucial pour les prisonniers. Après la nourriture et l’approvisionnement des cantines, la prolongation des promenades figure en seconde place dans les revendications des détenus lors des grandes révoltes de 1968-1972 puis de juillet 1974. Un adolescent de Fleury-Mérogis, en 1971, explique la place primordiale qu’il concède à cette sortie quotidienne :

« La promenade. La promenade, seul moment de la journée où l’on a l’illusion d’être libre – libre parce qu’on ne pense pas, parce qu’on oublie qu’on est prisonnier et qu’on le sera pour encore un temps indéfini […]. La promenade, toute la journée nous l’attendons, mais elle est courte et il faudra attendre vingt-trois heures la prochaine heure de détente18. »

9Pourtant, le caractère dorénavant obligatoire de cette sortie quotidienne peut aussi devenir pernicieux. À Poitiers, au quartier des femmes, une avocate venue voir sa cliente raconte en 1981 :

« Hélène, un jour que j’allais la voir, me raconte que la promenade est obligatoire, par n’importe quel temps. Paradoxe aussi : faire d’un moment de détente, la promenade, une sortie forcée, odieuse, dans une courette glacée19. »

10Toutefois, cette reconnaissance d’un besoin de dépense physique à l’air libre pousse l’administration pénitentiaire à développer les activités sportives dans leur ensemble, avec un souci particulier d’en faire bénéficier d’abord les plus jeunes. La détention est plus calme quand les adolescents sont fatigués.

Le sport des mineurs en détention : une activité salvatrice

De la volonté des responsables de détention…

11L’idée d’éducation physique est assez tardive au sein de l’administration pénitentiaire. Les décrets de 1923 ne parlent que des modalités des promenades et de l’enseignement scolaire, jamais il n’y est question de séances de sport individuel ou collectif. Pourtant, cette notion existe bel et bien au sein de la direction : si le règlement provisoire de juin 1928 sur les maisons d’éducation surveillée ne font pas non plus mention d’exercices physiques, les photographies d’époque mettent régulièrement en scène les enfants pendant des activités de cette nature. Pour les garçons, ces dernières sont essentiellement disciplinaires, sorte de préparation militaire, mais aussi ludiques puisque les matchs développent l’esprit d’équipe. Toutefois, l’évolution de la nature des exercices entre 1930 et 1950 est particulièrement limitée, avant comme après l’autonomie de la direction20. Une exception pour l’époque est à relever à la Maison d’éducation surveillée de Fresnes. L’instituteur, dans sa description, ne parle guère de promenade (activité carcérale) mais bien d’éducation physique (activité des institutions d’éducation surveillée). Il décrit avec moult détails les trois terrains de sports à disposition des pupilles, car « des enfants de 13 à 18 ans ne peuvent vivre toute une journée sans se dépenser ». Il ajoute qu’une heure par jour est consacrée au sport. Seulement, une lecture plus attentive révèle que moniteurs et instituteurs n’encadrent quotidiennement cette activité que pour le quart des garçons. Les trois quarts restants sont en cellule et, de fait, ne sortent pas de la journée21. Après la Seconde Guerre mondiale, l’administration pénitentiaire recommande enfin l’organisation de séances sportives pour les mineurs des maisons d’arrêt, mais par le biais de simples notes de services dont le poids institutionnel est bien faible. Ce n’est qu’en 1958 qu’apparaît la première circulaire qui affirme que « l’éducation physique et le sport doivent jouer un rôle important » afin de « favoriser la rééducation des condamnés en vue de leur reclassement22 ». Cependant, certains directeurs n’ont pas attendu les ordres de leur hiérarchie pour tâcher d’occuper les adolescents par toutes sortes de courses et de gymnastiques. L’enquête du garde des Sceaux de 1946 sur le régime appliqué aux mineurs révèle une grande diversité de pratiques, qui restent toutefois peu généralisées. Dans l’ensemble, les volontés des responsables de détention comptent pour beaucoup dans la mise en place d’activités pour les mineurs, tant scolaires que sportives. Par exemple, dans la région de Nancy, sur quatre maisons d’arrêt, seule celle d’Épinal met sur pied des exercices journaliers pour les jeunes. A contrario, à la maison d’arrêt de Vesoul, seule une simple promenade est proposée aux jeunes, sans aucune activité plus dynamique pour l’agrémenter. Les neuf autres établissements planifient, à l’occasion de la promenade, des « exercices divers » ou des « exercices variés ». Si ces exercices n’ont pas encore un réel caractère de « cours », du moins la volonté d’occuper la jeunesse détenue par des activités extérieures est visible, ce qui ne semble pas être le cas dans la circonscription de Poitiers : une seule maison d’arrêt y prévoit une séance de sport et l’excuse invoquée, qui pour une fois ne concerne pas l’exiguïté des locaux, ne laisse pas moins sceptique :

« Quant à l’éducation physique le personnel n’est pas qualifié pour faire ces cours, il faut donc trouver des moniteurs qualifiés parmi les détenus adultes ce qui est assez difficile et délicat, aussi sauf à la maison d’arrêt de Niort où des séances journalières leur sont faites par un détenu sous la surveillance d’un agent, rien n’a été fait dans les autres maisons23. »

12En effet, en cette période de Libération, des détenus adultes moniteurs sont auprès des jeunes gens, autant dans les classes que dans les cours et préaux. Sur les vingt-sept maisons d’arrêt recevant des mineurs, trois organisent de véritables cours d’éducation physique et douze donnent toutes facilités pour la pratique de quelques jeux sportifs pendant la promenade. Devant ce bilan médiocre, en 1948, le ministre de la Justice enquête de nouveau sur « les mesures qui ont pu être prises par les chefs d’établissements en ce qui concerne notamment la nourriture, l’enseignement scolaire et l’éducation physique de ces mineurs24 ». À travers les réponses des vingt-quatre établissements qui hébergent des moins de 18 ans, transparaît une aussi grande diversité teintée, cependant, d’une certaine généralisation. Toutes les déclinaisons existent entre le cas en apparence parfait de la maison d’arrêt de Bordeaux où « des heures de récréations et des séances de culture physique alternent avec leurs heures de travail25 », le cas, prévisionnel, de la maison d’arrêt de Pontoise où il est prévu prochainement que « ces séances de travail scolaire seront entrecoupées de séances de culture physique26 », et les difficultés rencontrées à la maison d’arrêt de Caen :

« Toutefois, je vous signale que les leçons d’éducation physique ne pourront avoir l’ampleur qu’elles ont à la maison d’arrêt de Rouen. En effet, les mineurs ne disposent à la maison d’arrêt de Caen – prison cellulaire – que de petites cours individuelles, qui sont occupées d’ailleurs une partie de la journée par la promenade des autres détenus27. »

13Deux ans plus tard, la quasi-totalité des maisons d’arrêt semblent s’être organisée de façon à consacrer espace et temps à l’éducation physique des enfants. Le surveillant-chef de la maison d’arrêt de Lisieux, va même jusqu’à envoyer en stage l’un des surveillants afin qu’il soit « à même de faire faire de la culture physique aux jeunes détenus28 ». Ce n’est cependant que par la circulaire de 1952 sur le régime de détention des mineurs que la pratique du sport est consacrée législativement : « Les mineurs doivent au surplus suivre des leçons d’éducation physique, s’il en est organisé à l’établissement29 ». Il faut attendre encore six ans avant que le sport devienne obligatoire dans les prisons pour mineurs.

…à la circulaire de 1958 et son application aléatoire

14L’importance du sport pour des personnes enfermées, est enfin clairement reconnue par une circulaire de 1958 qui prescrit « le développement systématique et rationnel de cette pratique dans les établissements pénitentiaires30 ». C’est le début d’une « sportification pénitentiaire » intense pour reprendre l’expression du sociologue François Courtine31. En effet, les exercices physiques, « constituent enfin un dérivatif puissant pour les intéressés qu’elles détournent de leurs préoccupations journalières32 ». La circulaire prône par la suite l’aménagement, « chaque fois que cela sera possible », d’un terrain de sport distinct de celui de la promenade, l’installation d’une salle de gymnastique « dans les établissements les plus importants » et la fourniture en équipement individuel et collectif. Quant au personnel d’encadrement, il peut se composer de « surveillants ou d’éducateurs ayant reçu une formation spéciale33 », « d’aides-moniteurs du secteur privé » ou de moniteurs bénévoles. L’intention est louable, cependant, deux ans plus tard, malgré le dévouement des surveillants « il faut reconnaître qu’ils ne possèdent ni la compétence, ni la formation pour assurer une pareille tâche34 ». Aussi, est-il précisé, comme pour l’enseignement scolaire à la même période :

« Exceptionnellement, et sous le strict contrôle du personnel, il [l’enseignement sportif ] pourra être apporté par un détenu dont la capacité aura été pleinement reconnue35. »

15La législation confirme la pratique et des moniteurs détenus sont fréquemment mis à contribution, essentiellement dans les prisons-écoles et autres quartiers de jeunes majeurs. Malgré sa volonté d’étendre et de réglementer le sport en prison, la circulaire de 1958 pose de nombreuses limites. En premier lieu, elle se tait totalement au sujet des quartiers pour femmes. Pourtant, à l’image du travail pénal très « sexué », il était logique de s’attendre à ce que certains sports soient déconseillés aux jeunes filles. Il n’en est rien. En second lieu, l’horaire consacré à ces activités est restreint et « ne saurait normalement être inférieur à deux heures par semaine et peut s’élever à une demi-heure par jour […] étant fait observé que le temps réglementairement consacré à la promenade peut s’en trouver réduit d’autant ». Il faut encore préciser que certains sports sont bannis des prisons, pour des raisons évidentes de sécurité. Ainsi, « doit être absolument prohibée la pratique des sports “de combat” ». Enfin, ce texte précise qu’il est souhaitable d’intéresser tous les détenus aux activités sportives, sans pour autant qu’elles leur soient imposées à l’exception des « mineurs relevant des juridictions pour enfants (cir. 29-12-52), ainsi que tous les condamnés définitifs âgés de moins de trente ans [qui] devront être astreints à cette éducation36 ». Aucune autre allusion aux mineurs en 1958. Dans les faits, les adolescents incarcérés n’ont pas tous accès au sport et la différenciation institutions spécialisées et petites maisons d’arrêt est conséquente.

16Dans la majorité des cas, les grands établissements sont seuls à bénéficier d’un aménagement suffisant pour l’organisation de séances sportives qui ne sont pourtant pas toujours à l’ordre du jour. Ainsi, à la prison-école d’Oermingen, les exercices physiques ne font pas partie du programme initial et n’intègrent le règlement qu’en 1956. Le détail des activités et les résultats des jeunes gens sont, dès lors, décrits avec forces précisions : 1424h30 annuelles sont consacrées aux sports ; des équipes de condamnés se rencontrent au cours de matchs de basket-ball, volley-ball, hand-ball ou football et des sports individuels sont également proposés (athlétisme, cross-country, culturisme). Bref, sans apologie particulière pour les disciplines sportives, elles sont nombreuses à la prison-école d’Oermingen, encadrées par des éducateurs et par des détenus adultes37. Convaincue par cet exemple encourageant, dès l’ouverture de la prison-école fermée de Loos en 1962, « les activités sportives ont été développées en priorité et au maximum pour tenir compte des grands besoins d’énergie ressentis par ces adolescents détenus38 ». Aux côtés des prisons-écoles, les centres de jeunes majeurs, presque exclusivement, sont en mesure d’appliquer ce texte. C’est le cas au quartier des J3 de Fresnes à partir de 1963. Si les garçons qui travaillent à plein temps dans les ateliers ont le droit à une heure de promenade par jour, les autres bénéficient de deux heures quotidiennes de sports, par beau temps dans un premier temps mais « une salle couverte sera prochainement construite afin de permettre les exercices même en cas de mauvais temps39 ». Pour une fois, ce plan d’équipement est respecté et, en 1965, les mineurs de Fresnes occupent fréquemment le « hangar “aubertin” ». Cette variété et cette organisation bien huilée, ne se retrouvent guère dans les petites maisons d’arrêt ni même au CSOES. Dans ce dernier, l’absence d’une salle abritée40, notamment, est tout juste compensée par le dynamisme et l’imagination de l’éducateur sportif, Marcel Sense41. Celui-ci valorise les sports collectifs qui « donnent aux mineurs l’occasion de se manifester dans des activités de groupe42 » et « des challenges périodiques avec mise en compétition d’une coupe permettent une saine émulation43 ». L’absence d’abri reste pourtant problématique et décourage de nombreux garçons : « […] j’avais les mains, elles étaient toutes rouges, je les bougeais plus, fallait qu’on courre, pour ça, moi, j’y vais plus au sport44 ». Même quand il est possible, le sport au CSOES s’avère assez formel et demeure exercée entre quatre murs. Ailleurs, excepté le cas des filles sur lequel aucune information n’est disponible, les difficultés d’application de la circulaire de 1958 proviennent essentiellement des mêmes éternelles raisons. Tout comme pour l’enseignement, la rareté des quartiers pour mineurs, indépendants de la détention des adultes, gêne la mise à disposition d’un lieu pour l’entraînement des adolescents. En 1959, ce problème semble sans solution :

« […] l’aménagement et la mise en service de tels quartiers soulèvent un certain nombre de problèmes d’ordre matériel et financier […] que la conjoncture présente et l’encombrement des établissements pénitentiaires ne permettent pas de résoudre d’une manière satisfaisante45. »

17Toutefois, malgré le manque de moyens, une multitude de mesures palliatives apparaît. Les quartiers pour mineurs qui ouvrent au début des années soixante, comprennent systématiquement dans leur projet pédagogique, l’application des prescriptions de la réglementation des activités physiques :

« Aux prisons de Rouen une redistribution des locaux a permis d’affecter à la détention des mineurs de 21 ans un bâtiment comportant 55 cellules disponibles […]. Le centre dispose de deux locaux scolaires et d’un terrain de sport. Un éducateur coordonne les différentes activités (scolaires, sportives etc.)46. »

18Mais le surpeuplement freine une fois de plus les initiatives et en 1961 « les deux tiers de nos jeunes détenus vivent dans une promiscuité et une oisiveté dangereuse47 ». Néanmoins, dans certaines maisons d’arrêt, plus anciennes et de moindre importance, le sport est donné prioritairement, et parfois exclusivement, aux jeunes comme aux dix-huit mineurs d’Orléans, en 1965 :

« Le sport est réservé aux seuls détenus mineurs de 18 ans, en raison des mesures de sécurité édictées par M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice, et compte tenu également de l’insuffisance du nombre des agents de service48. »

19L’organisation de cours de sport reste sujette au moindre imprévu comme à Grenoble, en 1963, où les « séances [sont] interrompues durant les semaines de grand froid que nous venons de subir49 ». De même, ils sont perturbés lorsque le personnel chargé de l’encadrement des exercices subit des aléas quant à son effectif. Reconnu substantiellement insuffisant jusqu’en 1963, celui-ci semble enfin pouvoir satisfaire aux besoins en 1964. Cependant, cette juste satisfaction des acteurs est de courte durée et, dès 1965, les progrès enregistrés dans le domaine du recrutement s’effondrent de nouveau et « c’est ainsi que le nombre de surveillants assurant des fonctions de moniteurs est passé de 99 à 5950 ». Cette pénurie d’agents amène à une décision surprenante de la part du garde des Sceaux lors de la refonte du code de procédure pénale, en 1972 :

« L’article D. 244 est complété par une disposition selon laquelle certaines responsabilités peuvent être confiées à des détenus dans le cadre d’activités dirigées organisées à l’établissement, sous le contrôle effectif du personnel51. »

20Le retour à cette pratique abandonnée est marquant. Finalement, il semble bien que seul l’enseignement scolaire échappe à l’emploi des détenus adultes. Peu à peu, les activités sportives prennent de l’ampleur dans les établissements. À la fin des années soixante elles sont même parfois, avec la lecture, les seules accessibles dans les petites maisons d’arrêt. Les modifications apportées au code de procédure pénale en 1972 libéralisent définitivement les activités sportives en détention classique, et les motifs de dérogations sont désormais bien peu nombreux :

« L’article D. 363 relatif aux activités sportives ne distingue plus à cet égard entre les prévenus et les condamnés et selon l’âge des intéressés. Sauf contre-indication médicale, tous les détenus peuvent être admis sur leur demande à pratiquer l’éducation physique et sportive (à l’exception des punis et des détenus qu’il convient d’écarter pour des motifs d’ordre et de sécurité)52. »

21Pourtant, cette modification de l’article D. 363 n’est toujours pas appliquée ou applicable partout. En 1974, la cour d’appel d’Angers fait part du désarroi des jeunes qui ne peuvent faire davantage de sport :

« L’effectif étant actuellement de 235 détenus, l’utilisation du terrain est absolument dérisoire faute d’un moniteur à temps plein […]. Semblable situation est ressentie avec amertume spécialement par les jeunes détenus qui sont pratiquement privés des exercices sportifs auxquels la plupart désirent se livrer53. »

22Toutefois, généralement, le sport est maintenant une pratique bien ancrée en détention. Au CJD de Fleury-Mérogis, le règlement interne le rend obligatoire afin « de vous maintenir en bonne santé et de vous procurer une saine détente54 ». Pour l’exercice 1976, « sur 180 établissements, 85 d’entre eux bénéficient d’une organisation sportive correcte55 ». En 1970, l’éducation physique est « convenablement organisée dans une cinquantaine d’établissements seulement56 » et pour l’exercice 1980, ce sont les détenus de quatre-vingt-dix établissements qui bénéficient de séances sportives57. Le sport est plus rapidement mis en place et plus généralisé que l’enseignement scolaire. Certains chefs d’établissement n’attendent pas les directives de leurs supérieurs pour l’instaurer. Toutefois, ces cours dans les établissements pénitentiaires suivent une progression équivalente, tant au niveau du personnel encadrant, qu’au niveau des catégories d’établissements qui les organisent : malgré quelques dysfonctionnements momentanés, les structures spécifiques aux jeunes détenus sont plus rapidement et mieux équipées ; dans les petites maisons d’arrêt ce sont les mineurs qui bénéficient en priorité des structures existantes ; le recrutement des détenus moniteurs disparaît lentement, remplacé par les fonctionnaires du ministère de la Jeunesse et des sports. Travail, scolarité et éducation physique, se côtoient et se mêlent dans les espaces carcéraux où des mineurs sont enfermés mais toujours à petite échelle. Au-delà d’avancées indéniables, un constat est tout de même particulièrement édifiant : quand il s’agit de sport, plus encore que pour le travail pénal, la formation professionnelle ou l’enseignement, les filles sont totalement absentes des archives. Il n’en est pas tout à fait de même pour tous les loisirs proposés en prisons.

Les lectures : des bibliothèques pénitentiaires à la « liberté de la presse »

23La lecture, pendant longtemps, est, avec la promenade, le seul loisir toléré en prison. Elle est présente sous différentes formes : individuelle avec le prêt de livres aux détenus et « en commun » avec l’organisation de lecture à haute voix. L’enseignement vise, d’ailleurs, en premier lieu, l’analphabétisme. Les rapports annuels de l’administration pénitentiaire, eux-mêmes, possèdent tous une partie consacrée à l’état des bibliothèques pénitentiaires. Cela révèle une préoccupation certaine au regard de l’accès à des ouvrages susceptibles d’aider au relèvement moral mais également le désir d’exercer un contrôle strict de cette lecture. Les textes législatifs concernent donc, tour à tour, les lectures autorisées et celles interdites, les modalités de fonctionnement de la bibliothèque et le personnel chargé d’y veiller.

Les bibliothèques des prisons

24À la Petite-Roquette, « après 1850, grâce à une bibliothèque de quelques centaines de livres, la lecture se répand ; les enfants aiment surtout les récits de voyages58… » Cependant, ils sont plus de quatre cents petits détenus, et la quantité de livres s’avère insuffisante pour satisfaire l’ensemble de la population pénale. Avec un millier d’ouvrages disponibles à la fin du siècle, les besoins sont déjà mieux couverts et les enfants « dans la compagnie de Jules Vernes […] vont en imagination courir les aventures59 ». En ce début de xx^e siècle, la prison pour enfants semble néanmoins être une exception. Les bibliothèques des prisons sont longtemps mal pourvues et le choix du genre littéraire, limité, est strictement contrôlé60. Pour avoir connaissance des livres en question, il faut remonter au catalogue établit en 1864 qui prône également le développement de la lecture comme moyen de combler l’oisiveté, de moraliser et d’amender les détenus. Ces vertus prêtées à la lecture se retrouvent tout au long des xix^e et xx^e siècles. Pourtant, les bibliothèques pénitentiaires fonctionnelles n’apparaissent qu’au lendemain de la « drôle de guerre » mais il est vrai que dans la société libre les citoyens ne possèdent encore que peu d’ouvrages personnels. Par la suite, les progrès de l’alphabétisation permettent la démocratisation de la lecture61, étendue avec un certain retard aux geôles françaises. En attendant, au temps où tout loisir est encore proscrit, où l’enseignement en détention est dérisoire et où l’exercice physique est inexistant, les prisons ont déjà des bibliothèques constituées. Certes, l’accès aux livres est limité, leurs contenus strictement contrôlés et à caractère essentiellement moralisateur mais la lecture est plébiscitée alors même qu’aucune autre distraction n’est admise. Les décrets de 1923 modifient quelque peu la nature des livres proposés et ouvrent davantage l’accès à la lecture :

« Art. 107-Des livres de la bibliothèque de la prison sont mis à la disposition des détenus.
Les condamnés peuvent faire usage des livres, le dimanche et les jours de fête ; lorsqu’ils ont en semaine fait les devoirs donnés par l’instituteur et après la journée de travail, ils ont la faculté de consacrer à la lecture le reste du temps. Il n’est pas fixé de limite à cet égard à ceux qui se trouveraient momentanément sans travail non plus qu’aux prévenus ou accusés62. »

25Cependant, il est probable que de grands lecteurs et lectrices, ou des « chômeurs longue durée », épuisent rapidement les disponibilités en matière de lecture. En effet, les ouvrages présents dans les établissements sont peu nombreux. Dans les maisons d’arrêt d’hommes et de femmes, l’envergure, très mesurée, des meubles qui contiennent les livres le laisse présager63. Dans la même lignée, les quelques livres disponibles sont généralement en piteux état, à l’exemple de la situation des prisons viennoises en 1926 où « les rares livres en état de propreté suffisant ne sont pas mis en lecture64 ». Le règlement reste sévère et les conditions de prêt des ouvrages sont soumises à nombres de directives. Au centre de triage de Fresnes, d’après Robert Meurillon, il n’y aurait pas de limite à l’accès aux deux bibliothèques qui « contiennent un certain nombre de livres, de revues et d’ouvrages scolaires mis à la disposition des enfants65 ». Toutefois, les jeunes punis du « mitard » non pas plus de droit à la lecture que dans toute autre maison d’arrêt et, pour ceux de la section « mérite », on peut lire entre autres avantages : « livres de bibliothèque supplémentaires ». Comment peut-on proposer des livres supplémentaires si leur nombre est déjà illimité ? Quoi qu’il en soit, le vide et le contrôle des bibliothèques pénitentiaires entraînent diverses réactions. Celle des détenus, d’une part, qui exercent échange et trafic, comme cette détenue de Saint-Lazare :

« L’une d’elle dissimule en passant devant la sœur un petit livre qui n’a rien de liturgique : un roman populaire à couverture bariolée66. »

26Celle de la hiérarchie, d’autre part, qui montre une volonté réelle d’accroître les moyens par le biais d’instructions et/ou de circulaires. En 1936, le garde des Sceaux s’enquiert de l’état des ouvrages et de la valeur « morale et intellectuelle » des livres qui composent les bibliothèques67. À la maison d’arrêt de Poitiers, établissement moyen de province, par exemple, la bibliothèque est composée de cinq cent soixante-six volumes dont trois cent cinquante environ sont effectivement distribués. Ils se divisent en quatre catégories : littérature et roman (majoritaires), historiques, livres de voyages et enfin, en moindre quantité, livres scientifiques. Quant à la moralité, « il s’agit en somme de quelques ouvrages classiques et de romans populaires anodins, déjà triés par l’administration pénitentiaire et de ce fait les ouvrages de moralité douteuse ont été éliminés ». La bibliothèque est donc effectivement fonctionnelle, mais « ces ouvrages sont imprimés en caractères très fins, ce qui ne rend pas la lecture facile à la plupart des détenus peu entraînés à lire68 ». En effet, la population carcérale est peu instruite. Le bibliothécaire propose, à ce titre, des solutions qui deviennent des priorités :

« […] il y aurai lieu de diviser les livres en deux catégories : ceux qui s’adressent à des prisonniers d’un certain niveau intellectuel, qui pourraient comporter des ouvrages littéraires ou de vulgarisation scientifique courants et ceux qui s’adressent à un niveau mental inférieur […].
En outre il serait utile pour les illettrés ou les demi-illéttrés d’acquérir des ouvrages illustrés, composés d’historiettes écrites en gros caractères. Il ne faut pas oublier, en effet, que beaucoup de détenus sont, au point de vue mental presque comme des enfants69. »

27Il est justement difficile de connaître les préférences des enfants, les vrais, qui sont incarcérés dans les geôles françaises. Cependant, l’école de réforme de Saint-Hilaire répond à l’enquête de 1937, et il est loisible de supposer que les pupilles de la colonie montrent des goûts équivalents aux jeunes des maisons d’arrêt :

« Seuls quelques livres de littérature, de morale, d’agriculture sont restés en bon état de conservation par suite de leur délaissement par les jeunes pupilles. Ceux-ci demandent, plus particulièrement, des romans, contes et nouvelles et récits d’aventure70. »

28Pour l’instant, plus que de satisfaire aux goûts des détenus, il s’agit de résoudre le problème de la pénurie d’ouvrages qui ne se résorbe pourtant pas dans les années qui suivent. Devant un coût excessif et des problèmes de gestion, l’administration pénitentiaire choisit finalement d’ouvrir les cantines aux périodiques71 et les prisons aux bénévoles. Le secours de la Croix-Rouge et de L’entr’aide française en ce domaine, comme en celui de l’alimentation, devient primordial. Ils gèrent les bibliothèques et offrent des lots de bouquins glanés à travers la France. Outre cet apport appréciable, le directeur de l’administration pénitentiaire suggère aux chefs d’établissements de placarder des affiches dans les parloirs et salles d’attente, incitant les visiteurs à déposer des livres dans une corbeille prévue à cet effet. Ces récoltes sont toutefois l’objet d’un contrôle « en vue d’écarter toutes œuvres dont les tendances paraîtraient suspectes notamment à l’intérêt national, aux bonnes mœurs ou à la discipline ». S’il faut favoriser l’accès des prisonniers aux livres, il ne s’agit certainement pas de risquer de les pervertir par des lectures malsaines. Les collections bibliographiques nouvellement enrichies, ont besoin d’avoir leur gérant et « les Chefs d’établissement ne doivent pas hésiter, toutes les fois que la chose est possible, à choisir parmi leurs détenus de droit commun un ou plusieurs individus qui leur paraîtront particulièrement aptes et à les affecter à ce service72 ». Viennent également s’ajouter à ces bibliothécaires de fortune, les assistantes sociales chargées de la « création et amplification du service de la bibliothèque en liaison avec le service compétent de la Croix-Rouge73 ». Cependant, bien trop occupées par leurs autres tâches, les toutes nouvelles assistantes sociales attachées à la pénitentiaire, de surcroît peu nombreuses, ne peuvent guère convenablement s’acquitter de ce travail. La démocratisation de l’accès à la lecture dans les maisons d’arrêt n’est pas encore opérée. L’enquête de 1946, sur le régime de détention des mineurs le confirme. Les réponses font rarement état d’une bibliothèque fonctionnelle, tout juste est-il question à défaut d’enseignement, de l’existence de livres scolaires :

Maison d’arrêt Chalon-sur-Saône : « Pas d’enseignement scolaire mais ont des livres d’études à leur disposition74. »
Circonscription de Poitiers : « Les livres de la bibliothèque sont mis spécialement à la disposition des mineurs mais actuellement le choix des livres est peu varié et partout ils sont en mauvais état75. »

29Le directeur de l’administration pénitentiaire ne se décourage guère et multiplie les instructions qui visent à l’aménagement des locaux76, à l’affectation de personnel (ou de détenus) à la tenue des bibliothèques77 et au catalogage des ouvrages. Le décret de 1952 sur le régime de détention des moins de 18 ans réaffirme même leur accès illimité aux œuvres disponibles78. Malgré des progrès de gestion, l’enrichissement des bibliothèques reste limité dans de nombreuses prisons. Ainsi, en 1954, la bibliothèque de la maison d’arrêt de Poitiers est composée de cinq cent soixante-quinze ouvrages, soit neuf livres de plus qu’en 1937 ! L’apparition du Livre de Poche, moins onéreux et regroupant des titres à succès79, va permettre de remarquables augmentations et, en 1957, Poitiers possède sept cent trente-neuf volumes, distribués à raison de trois livres hebdomadaires par détenu80. Même dans les petites maisons d’arrêt, la bibliothèque du début des années soixante peut offrir une lecture relativement variée et abondante aux prisonniers, souvent à défaut de toute autre activité. Cette démocratisation de la lecture fait ressurgir d’anciennes inquiétudes. En 1965, une circulaire fait un bilan élogieux des progrès dans ce domaine, tant en terme de gestion que d’augmentation du volume des ouvrages, grâce aux assistantes sociales et à la création d’une bibliothèque centrale chargée de la question de l’approvisionnement des différentes prisons. Cependant, le garde des Sceaux se préoccupe de « la mise à disposition des détenus d’ouvrages présentant un caractère immoral ou licencieux ou encore traitant de sujets qui auraient dû interdire leur diffusion en détention81 ». En effet, les prisonniers sont autorisés à faire venir du dehors certains ouvrages mais, devant les abus, il s’agit de préciser de nouveau les conditions de ce droit : seuls les ouvrages d’études, d’édification ou religieux peuvent éventuellement ne pas appartenir à la bibliothèque de l’établissement. Aucune exception ne saurait être tolérée. De plus, cet acquis maintenant bien assis, devient objet de récompenses et de punitions : la privation de lecture appartient désormais au contingent des sanctions et même dans les prisons-écoles, comme à Loos en 1966, « la privation de lecture peut être infligée, par mesure disciplinaire82 ». Cependant, parfois encore, cette privation ne saurait être possible, dans ces petites maisons d’arrêt dépourvues de classe ou de cours d’éducation physique, où l’oisiveté règne et touche particulièrement les plus jeunes :

Par contre j’ai constaté qu’ils [les mineurs] n’avaient aucune occupation si ce n’est de lire des romans toute la journée. Certes, il vaut mieux que certains s’abrutissent sur des lectures qu’à ne rien faire mais il serait préférable, à mon avis, de les voir faire quelque chose d’utile83. »

30La bibliothèque est peut-être le seul service interne qui fonctionne correctement dans la plupart des établissements pénitentiaires. Chez les femmes détenues de Montluc, en 1981, « en cette période morte de l’été, on lit beaucoup à Montluc, le travail manque cruellement84 ». Promu depuis plus d’un siècle, l’accès à la lecture est essentiel tant aux yeux de l’administration pénitentiaire qu’à ceux des détenus, jeunes et moins jeunes et pourtant, certaines limites, peu visibles dans les textes législatifs, persistent. Jean-Pierre Montaron, l’instituteur du CJD de Fleury-Mérogis, dénonce censure exacerbée et méfiance persistante :

« Aucune possibilité de choix n’est offerte et les échanges entre détenus sont théoriquement interdits.
Une personne de l’extérieur peut envoyer à un prisonnier les livres qu’il désire ; mais, à l’arrivée, une censure s’exercera et refoulera bon nombre d’ouvrages. Sont interdits : les policiers, les livres réputés “dangereux”, “érotiques” ; une liste d’ouvrages qu’il est inutile de commander circule parmi les détenus. La censure n’en demeure pas moins arbitraire […].
J’ai donné des références d’un ouvrage à l’un de mes élèves pour qu’une personne de sa famille puisse l’acheter et l’envoyer. “C’est un livre de philosophie, qu’il apprenne d’abord le français.”
C’est en ces termes que le directeur du quartier des jeunes de Fresnes, à la suite des protestations du détenu, me notifiait son refus de remettre ce livre et me conseillait, pour l’avenir, de rester à ma place, celle d’instituteur85. »

31Cette censure souvent injustifiée, est mal vécue par les prisonniers. Elle devient souvent source de revendications comme en 1975 quand « M. Bejjean indique qu’au cours des derniers incidents de la maison d’arrêt de Varces, les détenus ont protesté contre la censure des livres de poche86 ». Aujourd’hui, la bibliothèque de Varces occupe une assez vaste pièce et revêt l’allure d’une petite bibliothèque municipale bien entretenue. Pour autant, malgré les progrès accomplis en ce domaine, l’offre et la demande ne s’équilibrent pas systématiquement dans toutes les détentions87. Auparavant, le contrôle des ouvrages était d’autant plus mal vécu que les périodiques y étaient également soumis et les journaux quotidiens strictement interdits.

Périodiques et presse en milieu carcéral

« […] l’autre édition, celle des journaux et revues, a conquis une place à part et un statut important, et par l’enjeu politique de sa fonction et par son importance économique et sa force de pénétration88. »

32Ce sont précisément enjeu politique et force de pénétration qui freinent l’entrée en détention des journaux et périodiques. Ni politique, ni atteinte aux bonnes mœurs, ni même fictions policières ne sont admises dans les prisons. Plus encore, les écrits sur ces sujets sont traqués avec acharnement. La méfiance de la hiérarchie pénitentiaire envers la presse paraît légitimée par la place que les journaux d’opinion tiennent dans l’histoire de la propagande et des révoltes populaires. L’administration pénitentiaire ne fait finalement que suivre une tradition des gouvernements français qui cherchent régulièrement à museler les journalistes89. À la fin du xix^e siècle, l’émergence des reportages par les grands quotidiens d’information et les répercussions des grandes affaires médiatisées ne font qu’augmenter la méfiance et, par conséquent, la censure dans les centrales et les maisons d’arrêt. Comment ne pas penser à l’impact qu’ont eu l’affaire Dreyfus ou la campagne contre les « bagnes d’enfants » ? Même la presse de la Grande Guerre, cette « presse pour enfants […], illustrée ou non, qui exalte l’héroïsme90 », n’entre ni dans les colonies pénitentiaires ni dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt. La mésaventure du jeune Alain illustre cette méfiance des pouvoirs publics à l’encontre de la presse. Le procureur général de la cour d’appel de Paris résume cette affaire au garde des Sceaux à la suite de la question écrite de monsieur Marty, député communiste91 :

« Le 20 novembre 1925, le jeune Alain O., âgé de douze ans et demi, vendait le journal L’Exploité92, sur la voie publique à Reims. Un agent lui ayant demandé s’il possédait l’autorisation réglementaire, il ne put la produire. L’agent l’ayant invité à le suivre au Commissariat, O. s’y refuse, lui porta des coups, l’outragea et se roula par terre ; il tenta même de mordre un civil qui prêtait main-forte au gardien de la paix. Pendant son transfert au commissariat il a dit à l’agent : “Si la Révolution éclatait, je serais le premier à tirer sur la police, je ne peux pas vous voir.”
O. a comparu le 11 janvier dernier, sous l’inculpation d’outrage à agent, devant le tribunal pour enfants de Reims, qui l’a confié à l’internat de Chanteloup (Vienne) jusqu’à sa majorité, sous le régime de la Liberté surveillée.
Le condamné et le ministère public ont interjeté appel à cette décision, et le dossier de procédure vient d’être transmis à mon parquet général.
Bien que le jugement précité fût exutoire par provision et nonobstant appel, mon substitut de Reims n’a pas cru devoir faire exécuter cette décision de justice, pour des raisons d’opportunité.
D’une part, en effet, les parents du jeune délinquant font l’objet de renseignements favorables. Ils ont six enfants qu’ils élèvent convenablement. Employé à la compagnie des chemins de fer de l’Est, à Reims, le père est bien noté par ses chefs.
D’autre part, cette affaire a donné lieu à une campagne de presse assez violente, O. père, étant un militant communiste. Le journal L’Exploité dans ses n° des 22, 29 janvier, et 5 février, a publié des articles à ce sujet. l’Éclaireur de l’Est, a consacré également un entrefilet à cette affaire, le 7 de ce mois – En outre, une réunion publique a été organisée, le 5 février, pour protester contre la décision du tribunal ; elle n’a d’ailleurs donné lieu à aucun incident. – J’ai appelé l’attention de l’avocat général d’audience sur l’intérêt qu’il y aurait, dans les circonstances actuelles, à ce que la cour reformât la décision des premiers juges et rendît purement et simplement le jeune O. à ses parents. Il doit conclure dans ce sens, devant la Cour […]93. »

33Finalement, Alain est effectivement acquitté et rendu à ses parents. Ainsi peut se comprendre l’aversion du ministère de la Justice pour la presse politique et les risques de contestations qu’elle est susceptible de provoquer si elle est introduite dans les détentions. Mais qu’en est-il de la presse dite non politique, celle spécialisée dans un domaine, celle qui diffuse des romans feuilletons ? Elle est également éliminée car, toujours, des articles peuvent être consacrés à des chroniques ou à des faits divers qui concernent des affaires criminelles. Il reste les revues. Leurs grandes diversités et leurs finalités de divertissement conduisent le ministère de la Justice à les autoriser au même titre que les livres. La Maison d’éducation surveillée de Fresnes n’a d’ailleurs pas attendu la bénédiction de la hiérarchie puisque les enfants admis dans la section « mérite » ont la possibilité de souscrire à un « abonnement à certains journaux sportifs ou amusants94 ». Fresnes est toutefois une exception. Ce n’est qu’en 1939 que « la lecture, étant un moyen efficace de maintien de la discipline et de relèvement moral et professionnel95 », le directeur de l’administration pénitentiaire ordonne le droit des détenus à acheter des périodiques et des revues, sous la responsabilité des directeurs d’établissements. De même que pour les livres, un catalogue des magazines autorisés est établi et l’information fait sa première entrée en détention. En effet, la liste comprend deux types de périodiques. D’une part, ceux qui ne possèdent pas de rubrique d’actualité, consacrés aux « Sciences, professions, métiers, industries, agriculture, sport (athlétisme, auto, cycle, avion, etc.), chasse, pêche, voyage, hygiène, mode et couture (femmes) ». Pas de liste limitative pour ce genre de littérature, « sauf à exercer votre droit de suppression ou de censure au cas où un numéro ou un article vous paraîtrait inopportun96 ». D’autre part, ceux qui comportent une rubrique d’actualité, toujours réduite, dont la liste des titres est établie avec soin et ne saurait souffrir d’exception :

34À noter que la masse des hebdomadaires, la quantité de périodiques qui naissent et meurent chaque année font que cet inventaire est évolutif. De l’usage qui est fait dans les prisons de cette faculté, il est impossible de l’établir. L’absence totale de notes pendant plus de dix ans laisse juste supposer que les directeurs ne rencontrent pas de problème particulier d’application. À moins que la Seconde Guerre mondiale annihile toute préoccupation en ce sens, ce qui est également probable. Ce n’est que par la note du 11 mars 1949 qu’il est de nouveau fait allusion à la presse périodique : elle délègue à chaque directeur de circonscription pénitentiaire le soin de dresser la liste des revues autorisées à être reçues dans les prisons. Ce système ne donne pourtant pas satisfaction, certains établissements offrant davantage de possibilités que d’autres. De fait, les préoccupations de sécurité et de bonne morale réapparaissent. En conséquence, dans ce contexte de guerre froide et d’expansion de l’instruction primaire, deux nouvelles listes sont composées en 1956, valables pour l’ensemble des établissements pénitentiaires :

« Ainsi se trouve écartés, non seulement les publications qui n’ont jamais été admises en détention en raison de leur caractère politique ou policier ou de leurs tendances licencieuses ou pornographiques, mais aussi des magazines qui étaient parfois tolérés en dépit de leur intérêt discutable, tels notamment ceux contenant des articles à scandales ou à sensation […] ou ceux relevant de la presse dite “du cœur”97. »

35La première liste, de quarante-quatre titres, comprend les rubriques « Actualité Reportages-Variétés », « Résumés de lecture », « Littérature-Art-Histoire », « Sciences-Voyages » et « Périodiques féminins ». La seconde liste, comme en 1939, concerne les revues spécialisées professionnelles et artistiques et celle destinées aux femmes « concernant exclusivement la mode, la couture, le tricot ou la broderie ». L’éternelle recommandation de censure n’est pas omise, « par exemple, si ces périodiques […] relatent des faits auxquels un de leurs détenus se serait retrouvé mêlé98 ». Il n’est pas fait mention de magazines réservés à la jeunesse et, dans les titres proposés, aucun n’est spécialisé pour cette catégorie. Toutefois, dans la presse féminine, la revue Les Bonnes soirées, par exemple, accueille des dessinateurs de bandes dessinés tels Goscinny, Uderzo et Franquin99. Cependant, force est de constater, que les mineurs des prisons ont accès à la même presse mensuelle et hebdomadaire que les majeurs sans qu’aucun magazine réservé à leur catégorie d’âge ne soit disponible. Peu d’indices permettent de déterminer l’intérêt que les détenus, et encore moins les jeunes détenus, portent à ces diverses publications. Seul un rapport de fouille générale opérée en 1960 à la maison d’arrêt de Bordeaux, autorise à penser que ce sont des objets prisés : parmi un briquet, sept jeux de cartes, un réchaud, une lettre clandestine, figurent cinq romans autorisés et une grosse quantité d’illustrés100. En effet, par règlement, l’échange de revues entre détenus et leur conservation durant plus d’un mois sont interdits101. La censure demeure un leitmotiv d’importance et l’information reste bannie des détentions même dans les établissements récents et malgré l’utilisation croissante de la radio et de la télévision :

« À Fleury-Mérogis, prison ultramoderne, les détenus ont la radio dans leur cellule, diffusée par interphone ; mais toutes les informations étaient interdites et le gardien devait, du rond-point, interrompre la radio au moment de ces émissions. Les journaux étaient interdits. Seuls quelques rares magazines étaient autorisés : Jour de France, Le Pèlerin, Science et Vie102 … »

36Ce sont finalement les révoltes des détenus au début des années 1970 qui contraignent l’administration pénitentiaire, par la circulaire A.P. 71-6 du 5 août 1971, à autoriser la lecture de la presse quotidienne dans toutes les prisons. Lors de ces mutineries la presse a largement pris parti pour les détenus… qui ne pouvaient que l’ignorer. Il est alors reconnu que l’introduction de la presse quotidienne en détention tend à « améliorer les conditions de la réinsertion sociales des détenus en atténuant leur rupture avec le monde extérieur103 ». Pourtant, cette liberté est partiellement escamotée et les prisonniers reçoivent leurs journaux parsemés de fenêtres vides : la censure s’exerce désormais à coup de ciseaux. En conséquence, les nouvelles révoltes de 1974 comprennent, à nouveaux, des revendications de liberté de la presse dans les prisons et l’administration pénitentiaire s’empresse de donner satisfaction en ce sens, notamment pour les mineurs : « Bientôt, le directeur du CJD annonça par interphone qu’il nous accordait […] la possibilité de cantiner toutes sortes de journaux104. » La mesure remporte un vif succès auprès des jeunes gens et un état des ventes de périodiques en cantine montre leur vive préférence pour les bandes dessinées désormais disponibles : en trois mois, cent quatre-vingt-quatre Tintin, cent soixante-quatre Mickey et cent vingt et un Spirou sont vendus contre deux cent vingt-cinq Paris match, magazine qui suit immédiatement, par ordre d’importance numérique des ventes, les illustrés pour jeunes105. Une comparaison avec d’autres inventaires confirme que cette tendance est commune à tous les établissements, toutes catégories pénales confondues. Par exemple, à Grenoble, l’ensemble des bandes dessinées totalise six cent cinquante-six ventes à l’année contre trois cent trente-quatre Paris Match106. Il faut relever que les périodiques féminins, non disponibles dans les prisons pour hommes, tiennent une bonne place dans les ventes des maisons d’arrêt qui possèdent un quartier pour femmes : à la MAF de Fleury-Mérogis, en trois mois, deux cent onze Mickey, Spirou et Tintin sont vendus tandis que, sur un même laps de temps, Femmes d’aujourd’hui, Elle et Écho de la mode totalisent trois cent soixante-neuf exemplaires achetés contre cent trente-trois numéros de Paris-match. Un fait qui attire l’attention, la liste des périodiques vendus aux femmes de Fleury-Mérogis comprend Auto-Journal et Moto-Revue, magazines plutôt destinés aux hommes (dix numéros vendus). Au final, lorsqu’un ancien vice-président de l’Assemblée nationale se plaint, en octobre 1974, auprès du ministre de la Justice, de l’accès des jeunes détenus aux journaux et récepteurs radiophoniques, ce dernier se justifie ainsi :

« Je dois toutefois vous préciser que le libre accès à l’information est désormais un principe en vigueur dans tous les systèmes pénitentiaires des pays démocratiques […]. J’ajoute que les dispositions anciennes avaient également des conséquences dommageables. En effet, des nouvelles alors le plus souvent déformées et tendancieuses pénétraient clandestinement dans les établissements pénitentiaires et étaient de nature à altérer le climat psychologique de la détention107. »

37Puis le décret du 23 mai 1975 modifie l’art. D. 444 du code de procédure pénale et autorise la libre entrée en détention de tous les journaux, périodiques et livres, français et étrangers, n’ayant pas fait l’objet d’une saisie dans les trois derniers mois. Or, rapidement, ce décret subit un certain nombre de dérogations et, dans la réalité de la vie carcérale, la censure reste une pratique courante quoique moins sévère.

[Question écrite posée par M. Delehedde]
« […] contrairement aux assurances données à une délégation du comité d’action des prisonniers […] le journal de ce comité n’est toujours pas diffusé normalement dans les établissements pénitentiaires. En outre, le numéro de la revue actes consacré aux prisons a été interdit par la direction de l’administration pénitentiaire, de même que sont interdits à Fleury-Mérogis la revue antirouille et le livre de Bernard Cuau sur l’affaire Mirval108. Enfin, le quotidien libération a été censuré à Fleury-Mérogis le 8 octobre après avoir fait l’objet d’une mesure identique le 1^er octobre dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, à l’exception de Fresnes et de la Santé109. »
[Réponse du ministre de la Justice]
« […] il est apparu que des écrits comportaient des allégations qui par la résonance particulière qu’elles pouvaient avoir en détention étaient de nature à compromettre gravement la sécurité de certaines personnes mises en causes en provoquant à leur égard des réactions d’hostilité de la part de la population pénale […].
Afin de lever toute ambiguïté à l’avenir, un décret en cours de signature tend à permettre au garde des Sceaux de retenir les publications contenant des menaces contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires110. »

38Bien que théoriquement effective, la liberté de la presse en prison semble conserver, envers et contre tout, quelques limites.

39La lecture des livres et périodiques revêt une grande importance en prison surtout avant le début des années soixante : c’est en effet, le seul loisir, en plus de la promenade, qui est laissé aux détenus. L’accès qui en est laissé aux femmes alors même qu’elles sont habituellement oubliées des législations, montre bien l’importance accordée à cette activité. L’enseignement se développe ainsi que les cours de sport mais, dans les petites maisons d’arrêt, ces activités ne sont pas toujours organisées. Aussi, la lecture est-elle bien souvent l’unique moyen d’occuper le temps passé en cellule. Par la suite, les réclamations d’accès à des quotidiens d’information se font de plus en plus énergiques. Le concept a été introduit par les prisonniers politiques de la guerre d’Algérie (qui ont le droit d’acheter le journal de leur choix) mais l’ouverture de l’administration pénitentiaire dans cette direction met du temps à se concrétiser. L’accès à l’information est d’ailleurs toujours un problème et, sans l’introduction des récepteurs radiophoniques et télévisuels dans les établissements pénitentiaires, il est probable que les détenus seraient encore aujourd’hui privés de cette liberté d’information.

Les autres loisirs : la pauvreté des activités dirigées et de l’équipement culturel

40Avant la réforme Amor, un inventaire des loisirs autorisés en prison est rapidement effectué : promenade et lecture. Toute autre activité récréative est proscrite et les décrets de 1923 sont très explicites à ce sujet : « Les jeux de toutes sortes sont interdits, ainsi que tous dons, trafics ou échanges entre détenus111. » Cependant, les gestions internes des chefs d’établissements ne suivent pas toutes cette voix, particulièrement en ce qui concerne les plus jeunes des détenus.

Des premiers loisirs à la télévision

Les premiers jeux : entre tolérances des directeurs et trafics des détenus

41Quels que soient les moyens et les politiques, l’ambiance d’une prison est lugubre et glauque. Les barreaux aux fenêtres, les sols et peintures délavés, les lourdes portes, le bruit incessant, ont une portée démoralisante incontestable. De plus, les lits étroits, l’alimentation médiocre, le surencombrement en font un lieu tout à fait inconfortable. Aussi, les détenus font preuve d’imagination pour rendre la vie carcérale moins pesante et attache souvent une grande importance à de petits plaisirs que le citoyen libre soupçonne à peine. Notamment, « les extra, peu nombreux, proposés par la cantine deviennent essentiels : un paquet de beurre, des gâteaux secs, une bouteille de sirop de fruit !112 ». Cette recherche d’amélioration de l’ordinaire, est exercée avec d’autant plus de motivation qu’il faut également combler les heures d’inactivité, « il faut essayer de passer le temps avec n’importe quoi, ça s’apprend113… » Laver son linge, faire son lit et le ménage de sa cellule, s’acquitter de sa correspondance sont autant de petites tâches nécessaires qui comblent une heure ou deux, peut-être trois, d’oisiveté. Pour les lecteurs, la lecture est salutaire pour voir plus rapidement s’écouler une ou deux heures supplémentaires. Les sportifs lui préfèrent peut-être une demi-heure de pompes et de tractions entrecoupées d’une sieste de trois quarts d’heure. Mais ce sont souvent vingt-trois heures en cellule qu’il faut tenter de vivre le mieux possible et, selon les intéressés eux-mêmes, ce n’est pas une sinécure :

« Une cellule et ses occupations. On s’y sent seul, abandonné, on ne sait que faire, on tourne, on vire, on s’assoit, on se lève, on regarde par la fenêtre mais, comme il n’y a rien à voir, on revient et toujours on ne sait quoi faire. Puis vient l’heure du déjeuner, la seule joie qu’on trouve à manger est que l’on a dix minutes où l’on ne pense plus, on mange c’est tout, le jour tombe, on se couche et demain cela recommencera jusqu’à la fin de notre peine. Je crois que la conclusion est dans le texte et que ce n’est pas la peine d’épiloguer, il faut attendre, toujours attendre114. »

42Au côté des trouvailles des détenus, certaines activités sont donc organisées par les directeurs, activités qui mettent en scène les moyens de l’époque. En 1930, à la Maison d’éducation surveillée de Fresnes, les garçons ont accès non seulement à des jeux, mais également à la technologie la plus récente :

« Disposé sur une passerelle, un haut-parleur de TSF permet de faire entendre aux pupilles pendant les dimanches et les jours de fête les concerts intéressants et les reportages des événements sportifs115. »

43De même, leur heure quotidienne de conférence est agrémentée d’un appareil de projections lumineuses et les fins de séances scolaires « sont suivies de l’audition de quelques disques de phonographe qui délassent l’esprit ». Cependant, cette description, presque idyllique, est unique. L’enquête de 1946 sur le régime de détention des mineurs révèle une tout autre vérité mais également les tolérances de certains directeurs. À la maison d’arrêt de Nancy, où l’enseignement scolaire et sportif est inexistant, et donc où l’oisiveté des mineurs est importante, les adolescents « s’adonnent à différents jeux tels jeux de cartes, nain jaune, jacquet116 ». L’interdiction de jouer, surprenante au premier abord, provient en fait d’une peur des paris que les jeux occasionnent bien souvent. Si l’argent ne circule pas en détention, des cigarettes ou du chocolat peuvent parfaitement faire office de monnaie d’échange. Fidèle à son principe de précaution et à ses exigences sécuritaires, l’administration pénitentiaire préfère interdire que risquer les dérives. Néanmoins, cela n’empêche pas les détenus de contourner les règles. En 1960, des comptes-rendus de « fouille générale » font émerger un certain nombre de jeux « fabriqués mains » dans tous les établissements inspectés. Le record est détenu par les prisonniers de la maison d’arrêt de Bordeaux avec sept jeux de cartes confisqués qui, toutefois, ne sont pas susceptibles de « servir à une évasion ou à une agression117 ». Avec le temps, devant la réalité de l’inaction forcée des détenus, les mentalités évoluent et les règles changent. Le règlement intérieur type de 1966, autorise les jeux à condition qu’ils soient exercés sous le contrôle constant d’un membre du personnel et qu’ils excluent toute idée de gain118. Au CJD de Fleury-Mérogis, les adolescents ont le loisir d’acheter des jeux de cartes en cantine exceptionnelle119. À l’heure de la radio et de la télévision, il devenait absurde d’empêcher ces amusements. Aujourd’hui, les prisonniers sont souvent mis en scène devant un jeu de scrabble120, d’échec ou de carte sur fond de musique diffusée par radio ou chaîne stéréo quand ce n’est pas la télévision qui constitue directement le fond sonore121.

Le faible équipement culturel des établissements pénitentiaires

44De fait, dans le contexte de la réforme pénitentiaire et de l’industrialisation de la culture de masse, l’Administration cherche à élargir le champ des loisirs proposés aux détenus. Les activités sportives sont développées en premiers lieux mais toutes les avancés technologiques sont également utilisées. Elles sont toutefois introduites avec de nombreuses précautions, car l’époque se méfie de l’influence des « mauvaises lectures » et du cinéma sur les jeunes âmes en particulier, « ces enfants dont l’imagination demeure exaltée par le cinéma et les lectures122 ». Le lien évident, dans les esprits, entre la délinquance et les médias est entériné en 1948 avec l’enquête sur « le cinéma et la délinquance juvénile » lancée par l’éducation surveillée123. En plus de la lenteur de l’introduction de l’équipement culturel dans les prisons, ce dernier est effectué de façon inégale. Un rapport d’ensemble de fonctionnement pour les prisons de la circonscription de Bordeaux en 1955 le confirme :

« Dans les grands établissements, où les locaux se prêtent à cela, où les détenus restent longtemps, des séances de cinéma, des séances récréatives données par des groupes artistiques composés uniquement de détenus, des compétitions sportives, ont lieu régulièrement.
Les auditions TSF sont nombreuses et variées.
Dans les maisons d’arrêt, il n’a pas été possible de faire bénéficier les détenus de telles réformes, parce que la population y est trop mouvante, passagère et ne s’y prête pas ; les locaux sont insuffisants ou trop petits. Néanmoins, pour certaines maisons cellulaires, l’administration pénitentiaire envisage d’organiser conférences et auditions radio, ainsi que culture sportive pour les détenus de moins de 30 ans124. »

45De fait, l’accès aux instruments de loisirs est difficile pour les prisonniers et tout aussi contrôlé que la lecture. Les détenus, mineurs et adultes, n’ont le choix ni de la fréquence ni de la nature de leurs divertissements. Ceux-ci sont d’ailleurs tout à fait limités dans les maisons d’arrêt. Lorsqu’ils existent, ils ne sont composés que de séance de radio, de cinéma ou de quelques rares conférences. Nulle trace d’activité manuelle ou d’atelier d’écriture par exemple. De plus, les prisons sont mal équipées en matériel sonore et/ou visuel. L’enquête de 1964, déjà exploitée pour l’équipement scolaire, indique également l’état de l’équipement culturel de chaque prison, en terme de nombre d’appareils. Le bilan général révèle que l’équipement de radio diffusion est le plus performant. Aucune des régions pénitentiaires n’est dépourvue d’au moins quelques postes de TSF, de huit à trente selon les circonscriptions, et les installations collectives semblent compléter à peu près l’installation individuelle. Cependant, le nombre des autres appareils est beaucoup plus faible, négligeable parfois, absents dans douze cas. Si toutes les régions possèdent au moins une installation cinématographique, ce n’est pas le cas pour les magnétoscopes, électrophones, téléviseurs et appareil de projection. Pour le total des cent soixante-dix-huit prisons, il n’y a que vingt-cinq appareils de cinéma, vingt-six téléviseurs, six projecteurs, vingt-neuf électrophones et onze magnétophones. De plus, l’inégalité entre les prisons est particulièrement flagrante comme le montre l’exemple détaillé de la circonscription de Marseille :

Document 9 – L’équipement culturel dans la circonscription pénitentiaire de Marseille (hommes) en 1964125.

46Note*126

47Note**127

48La faiblesse de l’équipement culturel apparaît clairement dans ce tableau. Seuls huit établissements sont équipés de radios individuelles parmi lesquels quatre ont également un système radiophonique collectif fonctionnel. La région possède quatre téléviseurs, dont deux appartiennent aux seules Baumettes, et quatre électrophones disponibles, etc. C’est la prison des Baumettes la mieux équipée avec un appareil de cinéma, deux petits écrans, un poste de radio et un électrophone. Il est probable que cela soit lié au grand nombre d’adolescents incarcérés (trente-trois de moins de 18 ans et quatre-vingt-un jeunes majeurs) population pénale à laquelle l’administration tente généralement d’offrir davantage de loisirs qu’aux adultes. Cependant, la prison de Nice qui détient en moyenne cinquante-trois adolescents, ne possède absolument aucun équipement son et image et il en est de même à Toulon (quarante-deux jeunes détenus). De plus, il est fréquent que les installations existantes subissent nombre de dysfonctionnements. À la maison d’arrêt de Valence qui est équipée uniquement, comme la majorité des prisons départementales, d’une installation de radio diffusion, « les haut-parleurs dans les galeries sont d’un mauvais rendement – si la musique est diffusée dans de bonnes conditions, par contre les émissions parlées sont inintelligibles dans les cellules128 ». Une énumération systématique de toutes les anomalies temporaires ou de plus longues durées serait fastidieuse. Ces résumés d’enquête suffisent à apprécier la situation d’ensemble de l’équipement culturel des établissements carcéraux. La situation est pire encore dans les établissements pour femmes. De manière générale, les prisons qui ont un quartier qui leur est réservé sont simplement munies de la radio, essentiellement pas le biais d’installations collectives mais ces dernières ne sont pas généralisées. En effet, plus de la moitié des établissements ne possèdent pas d’appareil radio mais plus de la moitié également n’a pas d’installation collective. Quant à la présence des autres engins, elle est bien rare : seuls deux établissements sont équipés d’une installation cinéma, un seul d’un téléviseur et sept d’un électrophone, soit dix appareils pour cent une prisons. De plus, parmi ces établissements, le centre pénitentiaire de Rennes possède à lui seul le téléviseur, l’un des deux cinémas et l’un des sept électrophones. L’inventaire de l’équipement culturel des établissements qui incarcèrent la gent féminine est bien rapide. Cette faiblesse de l’équipement culturel, dans tous les établissements pénitentiaires, est d’autant plus frappante que les foyers français sont de mieux en mieux équipés, au minimum d’un poste de radio129, contraste relevé par l’administration pénitentiaire elle-même : « Sur le plan matériel, les conditions dans lesquelles sont exécutées les peines restent souvent très inférieures au nécessaire ; elles contrastent singulièrement avec l’abondance qui caractérise la société moderne130. » Dans ces conditions, il n’est pas toujours possible d’offrir aux jeunes, comme aux adultes, les activités récréatives ou éducatives pourtant prévues dans les textes. Aussi, le règlement de 1966 autorise l’entrée en détention d’associations à vocation artistique ou culturelle, véritable révolution pénitentiaire. Les détenus ne sont plus les seuls, comme en 1955, à pouvoirs monter, organiser et présenter un spectacle. Ce changement est à relativiser. En effet, les autorisations ne sont pas facilement accordées, sans compter que du comportement du détenu dépend sa possibilité d’assister à ces séances récréatives puisque le surveillant-chef peut en exclure, s’il le désire, les prisonniers indisciplinés. Auparavant, quelques expériences ont bien été tentées par quelques visiteurs motivés mais elles sont généralement vite abandonnées devant la réticence des directeurs à laisser entrer des groupes de civils dans leurs établissements131. Dans la seconde moitié du xx^e siècle, l’accès des détenus aux quelques loisirs existants en maisons d’arrêt reste minime et soumis à de nombreuses conditions.

49Au début des années 1970, les détenus commencent à avoir la permission d’acheter en cantine des postes de radios, des radios cassettes puis de louer des téléviseurs. Cependant, les produits proposés dépendent des établissements et les règles établies en ce domaine sont rares et mouvantes. Ainsi, au cours des révoltes du début des années 1970, les mutins réclament souvent le droit d’accès à la télévision ou simplement une sonorisation des cellules. Les 23 et 24 mars 1974, par exemple, quatre-vingt-seize détenus refusent de se nourrir en soutient à l’un des leurs à qui l’on a retiré « un lecteur cassette transformé en récepteur radio132 ». D’autres détenus revendiquent, et obtiennent, « la possibilité d’écouter le soir autre chose que de la grande musique sur France-Inter133 », notamment les jeunes détenus férus de Johnny Hallyday. En 1980 encore, la télévision, pour ne citer que cet appareil, n’est pas couramment répandue et cela retient l’attention de quelques observateurs, tel Michel Rocard :

« […] les possibilités d’usage des télévisions collectives sont très restreintes à la fois en ce qui concerne les horaires, les émissions télévisées et la quantité de prisonniers qui peuvent simultanément assister aux émissions télévisées qui les intéressent134. »

50Le parlementaire propose alors de permettre aux détenus de louer ou d’acheter un petit écran personnel pour chaque cellule. Or, le directeur de l’administration pénitentiaire objecte, outre les raisons pratiques et techniques135, que « la masse des détenus, notamment les jeunes incarcérés en maison d’arrêt, n’aurait pas les moyens d’acheter ou de louer un téléviseur136 ». Pourtant, avec sa généralisation et la baisse de son prix d’achat dans le monde libre, la télévision pénètre peu à peu dans les cellules et est officiellement autorisée en 1985. Quant aux plus dépendants de la TV, les jeunes téléspectateurs, il est bien vite décidé dans la plupart des établissements, que chacune de leur chambrette en sera pourvue gratuitement ce qui n’est pas sans conséquences nuisibles :

« La mission se déclare hostile à l’incarcération des mineurs dans les maisons d’arrêt des petites et moyennes villes, qui n’offrent “souvent aucune ressource éducative et thérapeutique et fort peu d’activités scolaires et sportives”. La télévision branchée jour et nuit y “joue alors le rôle de camisole médiatique”137. »

51Les loisirs en prison sont rares, peu accessibles, circonscrits dans des horaires rigides, souvent payants même pour les mineurs. De plus, au fur et à mesure qu’ils se diversifient et se généralisent, ils deviennent une source supplémentaire de possibilité de chantage pour les surveillants, et viennent s’ajouter au complexe système récompense/punition. Cependant, quelques exceptions quant à la diversité des loisirs sont apportées dans les établissements spécifiques pour adolescents.

Des loisirs sous condition dans les prisons-écoles au modèle, presque idéal, du CSOES

52Dans les prisons-écoles, les moyens mis à disposition, tant en matériel qu’en personnel, sont nettement supérieurs que dans les prisons classiques et permettent une certaine variété. L’équipement moderne des locaux autorise, en plus de l’écoute d’émissions choisies, un système d’information de la vie du centre par la diffusion de messages radiophoniques. En 1966, à Loos, la diversité des distractions proposées, bien que strictement encadrées, est inédite dans les maisons d’arrêt :

« Divers “cercles” à but culturel ou distrayant, animés par des éducateurs ou des animateurs bénévoles sont ouverts aux détenus les plus méritants :
— Ciné-club
— Cercle de bricolage, comportant plusieurs sections ; pyrogravure, modélisme, etc.
— Cercle de musique
— Club d’échec et jeux intellectuels
— Cercle de lecture (niveau CEP exigé au minimum)
— Cercle de dessin et peinture
La création de nouvelles activités est portée à la connaissance de la communauté pénale par voie d’affichage et par diffusion radiophonique138. »

53Ce vaste choix est toutefois à relativiser. En effet, les séances ont lieu deux fois par mois seulement, tout comme les projections de film, activités qui sont de plus payantes sauf pour les indigents. Ces loisirs ne changent donc pas réellement la vie quotidienne mais davantage, en quelque sorte, la vie mensuelle. Une autre restriction, essentielle, est imposée : tout comme dans les maisons d’arrêt, l’inscription aux cercles et aux projections filmographiques est uniquement destinée aux bons éléments :

« L’admission dans les clubs est subordonnée à l’autorisation directoriale. Il s’agit d’une récompense pour les élèves ayant fait preuve de bonne volonté au travail, d’assiduité et de sérieux à l’école, et donnant par ailleurs satisfaction au point de vue disciplinaire139. »

54Autrement dit, tous les jeunes ne bénéficient pas des moyens disponibles à Loos. Le loisir est un moyen de chantage que la direction utilise à volonté comme instrument de récompense ou de punition en autorisant l’inscription au club ou en l’annulant. Si les activités récréatives ou éducatives sont plus nombreuses dans les prisons-écoles que dans les maisons d’arrêt, elles sont soumises aux mêmes règles, ce qui n’est pas le cas au CSOES de Fresnes, seul établissement où les loisirs semblent réellement organisés.

55Au CSOES, par manque de moyens, c’est presque exclusivement la volonté des éducateurs et de leur directeur qui permet aux jeunes détenus de « sortir » de la routine de la scolarisation et de la formation professionnelle, du moins à partir du milieu des années soixante. Au CSOES, si le travail en atelier, en classe et sur le terrain de sport est essentiellement à but d’observation, les activités de loisirs sont davantage à but récréatif. Ce dessein n’est pourtant pas facile à réaliser dans un contexte où l’emploi du temps est aussi strictement minuté que dans les maisons d’arrêt :

« Le système était le suivant : le matin à 7 h, la radio se mettait en route, c’était dans le bureau du chef de service qu’il y avait la commande du poste, dans chaque cellule il y avait un haut-parleur. Les jeunes se réveillaient, jusqu’à 9 h il y avait le petit déjeuner qui passait. À chaque étage il y avait un jeune de service, il allait en bas chez les majeurs. Puis ils distribuaient la bouffe, du café et du pain. À 9 heures, ils étaient censés avoir fait leur toilette, nettoyé leur cellule avant de partir en atelier ou en activité ou en classe140. »

56Impossible de ne pas relever que la TSF, montrée comme un progrès pédagogique par l’administration pénitentiaire, est aussi utilisée, même au CSOES, à des fins plus pratiques dont ce réveil, qui n’est pas sans rappeler les méthodes militaires. Les moments laissés aux activités culturelles sont essentiellement les soirées, les week-ends et, en journée, le temps consacré aux activités dirigées. Lorsqu’il est décidé, en 1966, de laisser plus de place aux activités, au dépend du temps de classe que les mineurs n’apprécient guère, le directeur constate que l’équipe d’éducateurs n’est pas formée, comme dans beaucoup d’autres domaines. Ce phénomène, récurrent également en maison d’arrêt, trouve ici une solution plus rapide et « la Ligue de l’enseignement a bien voulu organiser au SES des cours de formation en plusieurs disciplines […]. Il faut souligner que les frais de stage ont été supportés par les éducateurs141 ». L’implication personnelle des acteurs auprès des garçons apparaît ici dans son ampleur, état d’esprit plus rarement rencontré auprès des surveillants des quartiers pour mineurs classiques. De fait, la nature des techniques de loisirs est diverse : céramique, rotin, vitrophanie, pyrogravure et aluminium repoussé. Dans l’ensemble elles sont prisées par les jeunes. Puis, les années passant et les éducateurs changeant, la poterie, les émaux sur cuivre, l’art des maquettistes s’ajoutent à la liste précédente. Des concours sont régulièrement organisés, entre autres pour les fêtes de Noël, et poussent les élèves à se surpasser. De plus, jeunes et adultes disposent d’un matériel plus ou moins pédagogique toujours sciemment utilisé : « Les moyens audiovisuels sont suffisants et permettent l’organisation de veillées culturelles ou récréatives. La discothèque est largement utilisée mais, surtout, en ce qui concerne les variétés142. » Des jeux plus classiques se retrouvent dans les couloirs du CSOES, comme une table de ping-pong et un baby-foot, objets dont la présence dans un couloir de détention surprend le visiteur habitué aux maisons d’arrêt ordinaires143. Au palmarès du centre d’observation s’ajoute bien sûr une bibliothèque et divers jeux de société nouvellement autorisés dans les autres établissements pénitentiaires. Toutes ces occupations sont pratiquées lors des heures d’activités dirigées et pendant les veillées dont le programme est reproduit ci-dessous.

Document 10 : Emploi du temps des internes du CSOES, soirées144.

57Les veillées se déroulent dans un climat d’autant plus décontracté qu’il « n’est pas possible de faire intervenir dans cette activité la notion d’observation ou de post-observation. Ce qui, par certains côtés, est gênant145 », sauf pour les éducateurs qui peuvent alors privilégier un rapport individuel avec certains jeunes. Le sourire aux lèvres, Denis Collinet se souvient de ces soirées :

« Il y avait veillée de 19h30à 20h30. C’étaient des activitésdans la salle d’activité de chaque étage (ce qui se faisait aussi une heure dans la journée). Ça pouvait être ou jouer aux cartes, ou écouter de la musique, il y avait un électrophone, on écoutait James Brown, tout le temps tout le temps tout le temps, de toute façon ils ne voulaient écouter que ça. Il y avait une table de ping-pong et c’était à tour de rôle qu’ils y jouaient. À 20h30, ils regagnaient leur cellule, et puis, à 21h les éducateurs partaient et c’était les veilleurs de nuit qui arrivaient146. »

58Les fins de semaine, pas de veilleurs de nuit, ni de classes ni d’ateliers… seuls les éducateurs de groupes qui « se faisaient 24 h ou 48 h d’affilée147 ». Le weekend au CSOES est un vrai week-end en ce sens qu’il diffère de la routine de la semaine. Comme dans beaucoup de foyers familiaux, c’est le temps du rangement, du ménage et également celui du cinéma, des jeux entre copains et éventuellement celui du devoir religieux. Comme en famille, le week-end est aussi l’occasion d’une « grasse matinée » mais jusqu’à 8 h seulement et c’est d’ailleurs le moment tant attendu du parloir. Toutefois, de manière générale, une heure par semaine de contact avec ses parents, c’est bien peu pour nombre de garçons : « Les réactions [de violences], lorsqu’il y en a, proviennent de l’abandon des familles (pas de visite, de courrier)148. » Les autres activités qui sortent du « train-train » hebdomadaire sont celles du dimanche. D’abord la messe du matin :

« Le dimanche c’était une journée très particulière. Dans le hall, on tendait une bâche de façon à faire le noir. Dessous, ça faisait chapelle et il y avait le curé qui venait faire la messe149. »

59L’après-midi du même jour, c’est le temps du film. Malgré « le coût des séances de cinéma et la qualité parfois discutable des films programmés150 », c’est une activité appréciée par tous : « Ça m’a permis de revoir de vieux classiques […]. De temps en temps il y avait un policier, c’était marrant parce que tous les jeunes prenaient parti pour les malfrats151. » De tels films sont prohibés dans les détentions classiques. L’excuse du cinéma, c’est aussi l’occasion de faire venir des intervenants extérieurs. Selon les responsables ces interventions sont plus ou moins appréciées. Le directeur de 1961 estime que c’est « une expérience intéressante sur le plan éducatif mais à ne pas renouveler trop fréquemment152 » alors que celui de 1968 le voit comme « un apport minime, mais le fait de la présence d’autres personnes que leurs éducateurs est salutaire pour les garçons153 ». Ce bref aperçu de la diversité des activités de loisirs au CSOES et de la bonne humeur dans laquelle elles semblent être dispensées, grâce en grande partie à des adultes motivés mais également à un matériel suffisant, est à relativiser. Ces divertissements, s’ils sont plus nombreux et tiennent une place plus conséquente qu’en maison d’arrêt, sont tout de même organisés au sein d’un lieu clos et ne suffisent pas à faire oublier les barreaux et les murs. Cependant, les adolescents du CSOES ont moins le souci de chercher à occuper leur temps et/ou améliorer leur confort que ceux des petites et moyennes prisons départementales.