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Les enfants de l'ombre

 | 
Élise Yvorel

Deuxième partie. Le temps carcéral : temps vides et temps pleins

Chapitre IV. Remplir l’emploi du temps utilement : travail et instruction

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France

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1L’inactivité des détenus est une obsession de l’administration pénitentiaire. « Mère de tous les vices », il s’agit de bannir l’oisiveté des geôles françaises et de la remplacer par des occupations rémunératrices pour l’État, saines, morales puis formatrices et éducatives pour les prisonniers. Le travail pénal est peut-être le thème le plus récurrent dans les textes de lois qui régissent le régime pénitentiaire. Avant les principes édictés par la réforme Amor, c’est l’argent et l’oisiveté qui sont au centre des discussions. Après 1945, c’est la double obsession du régime progressif et de la formation professionnelle qui prend le dessus. Dans ce contexte, les détenus les plus jeunes occupent une place de plus en plus conséquente puisqu’ils sont particulièrement susceptibles de profiter des divers enseignements. De plus, l’idée d’occuper en permanence les adolescents est à la base des conceptions de l’éducation. Aussi, lorsque le travail, productif ou formateur ne suffit pas, d’autres activités doivent pouvoir remplir l’emploi du temps des mineurs détenus, la scolarité notamment. De fait, la loi du 5 août 1850 précise déjà l’obligation d’éducation des jeunes de la pénitentiaire :

  • 1 Loi du 5-8-1850, sur l’éducation et le patronage des jeunes détenues, Code pénitentiaire, tome I-2

« Les mineurs des deux sexes détenus à raison de crimes, délits, contraventions aux lois fiscales, ou par voie de correction paternelle, reçoivent, soit pendant leur détention préventive, soit pendant leur séjour dans les établissements pénitentiaires, une éducation morale, religieuse et professionnelle1. »

2Autrement dit, l’enfant doit pouvoir bénéficier d’une éducation dispensée par l’administration pénitentiaire qui le détient. Un siècle après la promulgation de cette loi, malgré les avancées en ce domaine dans les écoles publiques, l’organisation de la scolarité des jeunes dans les prisons françaises est presque inexistante. Comme pour la formation professionnelle, quelques efforts plus appuyés jalonnent l’histoire des établissements spécifiquement pour mineurs. Peu à peu, l’administration pénitentiaire prend conscience des graves conséquences de l’illettrisme et de l’inactivité des enfants enfermés et cherche réellement à y remédier. Sous l’impulsion de directeurs d’établissements et des premiers agents sociaux, la scolarisation des mineurs devient une obsession du ministère de la Justice.

Travail : de l’industrie à la formation professionnelle

  • 2 Faugeron C., «  De la libération à la guerre d’Algérie », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 304.

« […] le travail reste un élément constitutif de la peine privative de liberté. Il s’agit là d’une construction historique dans laquelle interviennent trois thèmes :la valeur sociale du travail, son usage social comme mode de gestion des populations incarcérées, la contrainte pour tout système pénitentiaire d’assurer l’exécution de la peine au moindre coût pour les finances publiques2. »

  • 3 Talandier J., Travail en prison. Rapport présenté au nom de la section du travail, Conseil économi (...)

3Dans un premier temps, le travail est institutionnalisé dans un but affirmé d’amendement du détenu. Il fait donc partie intégrante de la punition elle-même. Cependant, cette louable préoccupation n’est pas seule à entrer en ligne de compte : la main-d’œuvre pénale, bon marché, est essentielle pour l’entretien des locaux (service général) et pour leur construction. Il s’avère donc nécessaire de réglementer les multiples facettes que sous-entend le facteur emploi et son économie. Il s’agit, dans un monde clos où l’individu n’a pas de libre entreprise, de lui imposer un carcan horaire et de lui éviter l’inactivité, au moindre coût3. Graduellement, la question de différencier les conditions de mise au travail des adultes et des mineurs s’impose. Si c’est la réforme Amor qui est à l’origine du changement des mentalités, elles sont toutefois lentes à trouver une application. Les idées de formation professionnelle et de rémunération décente font leur apparition pendant que celles de rentabilité et d’exploitation de la main-d’œuvre pénale s’atténuent. Le régime applicable aux mineurs se métamorphose pour finalement se départir totalement de celui des majeurs mais la situation diverge selon le type d’établissement.

Le travail productif de la première moitié du xxe siècle

Un régime commun aux adultes et aux mineurs

  • 4 Pierre M., « Les prisons de la IIIe République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 279.

« La prison correspond à plusieurs objectifs. Elle met hors d’état de nuire, elle punit par l’obligation d’une souffrance dont la durée et les modalités sont fonction du délit ou du crime commis, elle est un moyen de régénération du détenu. Afin d’approcher ces buts et leurs contraintes diverses, le travail est l’une des clés du système pénal français. Nous savons qu’il l’était dès le Premier Empire ; il le demeure sous la IIIe République. Le travail occupe et moralise le prisonnier ; il contribue aux finances de l’État4. »

  • 5 Décret du 19-1-1923, op. cit., art. 88.
  • 6 Statistiques pénitentiaires pour l’année 1911, 1913, p. 86.
  • 7 Cf. planche H.

4Cette analyse de l’historien Pierre Michel, résume ce qu’est le travail pénal au début du siècle : une manière d’occuper le détenu tout en assurant une certaine production. Le décret de 1923 confirme que « le travail est organisé dans les prisons de manière à ne laisser oisif aucun condamné, ni aucun mineur détenu par mesure de correction paternelle5 ». Mis à part pour ces derniers, le sort des jeunes détenus pénaux des maisons d’arrêt dépend du même règlement que celui des adultes. La législation ne fait encore la différence qu’entre les prévenus et accusés, non astreints au travail, et les condamnés pour qui il est obligatoire. Or, la détention préventive peut durer plusieurs mois, ce qui entraîne une inactivité forcée pour nombre de garçons et de filles dans cette situation. La nature du travail donné aux prisonniers est de plusieurs sortes : les travaux de type industriel fournis par l’entreprise générale ; les tâches du service général allouées par le directeur de l’établissement ; les métiers liés à une profession spécifique (coiffeur, cordonnier…) ou à une formation intellectuelle qui permet d’assurer l’enseignement ou la gestion de la bibliothèque. Volontairement, l’administration pénitentiaire opte pour des activités de production qui « sont généralement des besognes faciles, en rapport avec l’aptitude des détenus et suivant les ressources des localités où elles s’exercent6 ». En témoignent quelques industries confiées aux détenus avant 1945 en Isère : triage de pois et de haricots ; fabrication de balais ; classage, triage et effilochage de chiffons ; et, activité régionale typique, le cassage des noix. Ces travaux peuvent être accomplis en cellule, et le détenu gère alors seul sa productivité en fonction de la demande de son « employeur », ou en atelier sous l’égide d’un surveillant qui veillent à la qualité de la confection, au silence et à la discipline7. En récompense de l’exécution de ces ouvrages aliénants, le détenu touche une part du bénéfice dit « pécule ». La répartition du produit du travail des prisonniers, complexes et laborieux, ne laisse qu’une part de salaire bien faible au travailleur incarcéré :

  • 8 Statistiques pénitentiaires pour l’année 1911, 1913, p. 86.

« Le produit du travail des condamnés est réparti par portions égales entre eux et l’État ou l’entrepreneur, selon le mode de gestion des services de l’établissement. Les dixièmes concédés aux détenus sur le produit de leur travail […] varient de trois à cinq8. »

  • 9 Ibid.
  • 10 Guillot A., op. cit., p. 324-325.
  • 11 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, (...)
  • 12 Circ. du 4-2-1938, transmission à MM. les préfets du rapport à M. le ministre de la Justice par Wu (...)
  • 13 Meurillon R., op. cit., p. 3.
  • 14 Pierre M., « Les prisons de la IIIe République », in Petit J.-G. (dir), op. cit., p. 287.

5Le peu d’argent reçut sert à rembourser le gîte et le couvert en cellule, à l’épargne obligatoire en prévision de la libération et, s’il reste quelque sous, à l’achat de denrées monnayables en cantines. Les prévenus, quant à eux, s’ils obtiennent une occupation rémunérée, « profitent des sept dixièmes du produit de leur travail et peuvent en disposer intégralement9 ». Le type de manufacture proposé aux détenus, simple et répétitif, peut-être confié sans restriction à des enfants, notamment à ceux de la Petite-Roquette qui, en 1890 consacrent « environ huit heures de travail industriel » à « un atelier de fleurs artificielles10 ». De cette main-d’œuvre, « on ne peut attendre un rendement semblable à celui d’une population d’adultes11 », ce qui n’empêche guère l’administration d’en faire un large usage. La direction responsable des prisons est obnubilée par le coût de ses travailleurs, aussi, aux côtés des tâches industrielles, tous les prétextes sont-ils bons pour utiliser les détenus à bon escient. C’est ainsi que, par exemple, le quartier pour mineur de la prison de Lyon est refait à neuf par des détenus adultes12 pendant que quelques femmes subissent leur peine à l’École de préservation de Fresnes afin d’assurer le service général dans le bâtiment des fillettes. En effet, en ce qui concerne les mineurs, les politiques selon les maisons d’arrêt divergent. À la Petite-Roquette par exemple, ce sont des détenus de 18 à 21 ans, maintenus dans la prison à cet effet, qui assument le ménage et les repas. À l’inverse, dans la Maison d’éducation surveillée de Fresnes, ce sont les garçons les plus méritants qui s’acquittent des « services généraux, nettoyage, entretien des galeries, distribution de la nourriture, vestiaire, lingerie, bibliothèque, entretien des terrains de sport et des jardins, des préaux13 ». De nombreuses maisons d’arrêt, premières à souffrir des crises économiques, ont ces seules et uniques « boulots » à offrir dans des locaux désertés par les entrepreneurs14. Les femmes ne sont pas exclues de ce système du travail pénal. Pour elles aussi, il est à la base du relèvement moral, après la religion et l’encellulement individuel qui demeurent les meilleurs garants de leur amendement. Les rares industries proposées aux détenues sont tout aussi répétitives que celles offertes à leurs homologues masculins mais, le plus souvent, ce sont des tâches liées à leur condition de femme qui leur sont confiées :

  • 15 Ibid., p. 274.

« Les condamnées sont en général astreintes à des travaux de coutures dans des ateliers équipés de machines à coudre où elles confectionnent le linge des prisons, des uniformes et des productions pour les grands magasins. Le tout pour des salaires dérisoires, inférieurs à ceux des hommes15. »

  • 16 AD Vienne, 1Y141, « Exposition de la disposition et de l’état de la MA de Loudun par le sous-préfe (...)
  • 17 AD Isère, 4670W10, « Rapport de la MA de Valence, par le procureur de la République près du tribun (...)

6Il est vrai que cette différence de salaires est aussi de rigueur dans le monde libre. Toutefois, la conjoncture peut être favorable à la gente féminine. En l’occurrence, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans une maison d’arrêt viennoise, « il a été impossible de trouver du travail aux détenus. Seules quelques femmes obtiennent, de temps en temps, du Secours National de Loudun des travaux de tricot ou de raccommodage16 ». Comme dans la société libre, les bouleversements économiques mènent à un accroissement du taux d’activité féminin. Ce léger avantage n’a cependant qu’un temps puisque dès 1946, « l’ordre des choses » reprend son cours et, dans un établissement isérois « chez les femmes, quatre seulement sont occupées à des travaux de cuisine. Toutes les autres sont désœuvrées17 ». Devant le chômage carcéral féminin chronique, pour « soustraire les détenues à l’oisiveté où les circonstances actuelles les contraignent trop souvent », le garde des Sceaux, envisage des solutions originales :

  • 18 AN Fontainebleau, 960279, art. 25, Dossier n° 99, « Note pour MM. les Directeurs régionaux des ser (...)

« Instituer des cours qui seraient donnés bénévolement, de temps à autre, aux détenues […]. Il pourrait s’agir notamment de cours de couture, de coupe, de tricotage, de puériculture, qui seraient notamment donnés de préférence aux détenues jeunes qui sont les plus susceptibles d’en tirer profit lorsqu’elles auront été remises en liberté18. »

7Impossible de ne pas remarquer, qu’en guise de formation professionnelle, ce qui est proposé aux demoiselles correspond au seul statut de future mère au foyer. Garçons et filles mineurs sont soumis au même régime que leurs codétenus adultes jusqu’à ce que, progressivement, les aptitudes des mineurs soient davantage prises en compte.

Vers l’orientation professionnelle des mineurs

8Les débuts de l’observation des mineurs de justice tirent leurs origines en partie de l’obsession de l’administration pour le travail pénal. Les idées d’éducation et de reclassement social apparaissent avec la loi de 1898 sur l’enfance victime/enfance coupable et remisent à l’ordre du jour avec celle de 1912 sur les tribunaux pour enfants. Ces deux textes n’ont pourtant pas encore atteint ceux des mineurs incarcérés en maisons d’arrêt. Au début des années 1930, l’idée qu’il faut prendre en considération les désirs des mineurs de justice émerge et des projets de centres spécialisés voient le jour, telle cette proposition :

  • 19 AN, CARAN, BB18 6597, « Lettre du procureur général de la cour d’appel de Lyon au garde des Sceaux (...)

« J’ai l’honneur de vous signaler qu’un centre de triage de jeunes délinquants pourrait être organisé, dans de bonnes conditions, à Lyon […].
Une première visite aurait lieu lors de la mise en information d’une procédure concernant un mineur et une fiche médico-légale établie ; d’autres visites seraient faites, s’il y a lieu, soit au cours de la procédure soit après la décision du tribunal […]. Les avantages de cette institution sont, en effet, les même pour ces deux catégories de mineurs [moins de 13 ans et moins de 18 ans] et elle ne peut donner les résultats que l’on est en droit d’en attendre, que si son action s’étend à l’ensemble de l’enfance coupable19. »

  • 20 Circ. du 26-3-1931, sur l’orientation professionnelle des mineurs, An Fontainebleau, 950398, art. (...)

9Dans le même ordre d’idée, il est proposé de soumettre les enfants à des examens dirigés par les Offices d’orientation professionnelle qui ont pour but « de déterminer, au moyen d’enquêtes approfondies, les aptitudes des enfants, afin de les orienter vers le métier dont l’exercice convient plus spécialement à leur tempérament20 ». Progressivement, une coopération s’organise entre ces Offices et les tribunaux afin que les magistrats puissent y avoir recours à l’occasion de poursuites exercées contre les mineurs. Cela concerne toutefois davantage les enfants destinés aux colonies pénitentiaires et la classification se fait donc plutôt dans un but de reclassement social post-carcéral ou de patronage comme l’explicite une circulaire du 26 mars 1931 :

  • 21 Référence à la loi de 1912 sur les tribunaux pour enfants.
  • 22 Circ. du 26-3-1931, sur l’orientation professionnelle des mineurs, An Fontainebleau, 950398, art. (...)

« Mon attention a été appelée sur l’intérêt qui s’attache à ce que les aptitudes des mineurs délinquants soient examinées par les Offices d’Orientation Professionnelle […].
Ainsi, dans l’intérêt des jeunes délinquants, qui, d’après le vœu du législateur, doivent être l’objet de mesures d’éducation et de reclassement social, bien plutôt que de répression21, des indications précieuses seraient fournies, d’une part au tribunal qui y trouverait des éléments pour apprécier vers quels établissements (agricole ou industriel) il conviendrait de diriger le mineur, d’autre part aux personnes même auxquelles ce dernier viendrait à être confié22. »

10En ce qui concerne plus particulièrement les maisons d’arrêt, d’autres initiatives inspirées des premières sont prises. À la Maison d’éducation surveillée de Fresnes, en 1930, le personnel observe le mineur avant de rendre compte de ses possibilités d’amendement au juge. La méthode retenue est celle d’entretiens privés et répétés avec l’enfant car le chômage règne dans la Maison d’éducation surveillée, et les éventuelles tâches industrielles qui leur sont confiées sont peu révélatrices :

  • 23 Meurillon R., op. cit., p. 19.

« Jusqu’à l’année dernière les garçons étaient employés par un fabricant de pinces à linges, le travail consistant simplement dans l’assemblage des deux morceaux de bois et du ressort. Pendant quelques mois certains d’entre eux confectionnaient des petits drapeaux destinés à marquer, sur les cartes, le passage de la mission « citroëne » centre […]. Actuellement […] le travail fait défaut23. »

  • 24 Pedron P., La prison sous Vichy, Paris, Éd. de l’Atelier – Éd. ouvrières, 1993, p. 82.
  • 25 Ibid., p. 84.
  • 26 Ibid., p. 90.
  • 27 Vimont J.-C., op. cit., p. 69.

11La Maison d’éducation surveillée de Fresnes est, malgré ses défauts, le premier centre de triage de l’administration pénitentiaire mais, en 1940, l’occupation de l’établissement par les Allemands amène un regroupement des enfants au centre de Crimée, lui-même rapidement sur-encombré et à son tour transféré, en 1942, dans la caserne des Tourelles. Le régime de Vichy est en effet plutôt progressiste en ce qui concerne le régime de détention des mineurs pénaux. La délinquance juvénile, en constante augmentation, préoccupe alors grandement. Les causes avancées sont multiples : l’absence du père, la recrudescence du vagabondage, le marché noir et « l’entrée massive de jeunes en dissidence [qui] fait suite à la mise en place du STO (17 février 1943) et décuple les actes de résistance qualifiés de terrorisme par le pouvoir en place24 ». Mais ne nous y trompons pas, « le fait que Vichy se soit intéressé aux problèmes des mineurs délinquants n’est pas politiquement neutre. Cette démarche correspond au choix délibéré d’un régime qui fait de la jeunesse un des thèmes dominant de la Révolution Nationale25 ». Quoi qu’il en soit, le régime crée trois autres centres de triage, parisiens, qui ferment tous avant 1951 mais serviront de modèle ultérieurement : le centre de la rue de Madrid pour les garçons de 14 à 16 ans, le centre de la rue de Crimée pour les garçons de 16 à 18 ans de caractère peu difficile et le centre de Villejuif pour les jeunes plus récalcitrants. La guerre empêche la généralisation de l’observation et la multiplication des centres de triages. De plus, « la pratique démontre que, bien souvent, faute de structures adéquates, le placement en maison d’arrêt demeure la solution la plus souvent retenue26 ». Pour l’instant, les détenus sont majoritairement entassés dans les réfectoires ou les dortoirs, résistants et prisonniers de droit commun, mineurs et majeurs, pêle-mêle, soumis à la loi du silence qu’un surveillant, assis sur un tabouret, fait respecter27. Malgré les différentes possibilités de travail, entre les offres des entrepreneurs et le service interne, le chômage en prison est important. L’inactivité règne et nombreux sont les détenus, prévenus et condamnés, qui restent enfermés vingt-trois heures sur vingt-quatre dans leur cellule et, parmi eux, les mineurs ne font pas figure d’exception. Bien souvent, seul le service général de l’établissement est susceptible de fournir quelques activités rémunérées aux prisonniers. Or, afin de les laisser éloignés des adultes, ces tâches sont rarement attribuées aux moins de 18 ans. Après 1945, la volonté des législateurs est de faire évoluer cette situation. La formation professionnelle doit prendre le dessus et les centres d’observations se multiplier…

Quelles formations professionnelles pour les mineur(e)s des maisons d’arrêt ?

Occuper les jeunes à tout prix : du travail à la formation professionnelle

12Avec à sa tête Joseph Barthélemy, garde des Sceaux de 1941 à 1943, le gouvernement de Vichy promeut le reclassement social des détenus notamment par le travail carcéral et les chantiers extérieurs qui ont l’avantage de désengorger les prisons. En ce qui concerne les mineurs, est votée la loi du 27 juillet 1942 qui instaure la primauté de la rééducation après une phase d’observation. Les bases de l’ordonnance de 1945 y sont posées mais l’anarchie ambiante et les autres priorités d’État, empêche toute application. Paul Amor reprend ces principes et modifie complètement, sinon la réalité pénitentiaire, du moins la vision que les hommes de l’époque se font du détenu. Non seulement la nécessité de mettre à l’ouvrage les détenus est réaffirmée mais, en plus, le travail doit être désormais l’occasion d’une formation professionnelle :

  • 28 Principes formulés en mai 1945 par la commission de réforme des institutions pénitentiaires frança (...)

« I- La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné […].
III-Le traitement infligé au prisonnier […] doit […] tendre principalement à son instruction générale et professionnelle et à son amélioration.
IV-Tout condamné de droit commun est astreint au travail et bénéficie d’une protection légale pour les accidents survenus pendant son travail28. »

  • 29 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Note pour MM. les directeurs de circonscriptions pénitentiair (...)

13Le gouvernement se préoccupe alors particulièrement des jeunes détenus ce qui entraîne l’autonomie de l’éducation surveillée et l’ouverture des prisons-écoles. Auprès des tribunaux pour enfants, l’observation devient essentielle pour déterminer les goûts et les aptitudes de chaque adolescent, afin qu’il puisse être orienté vers une institution qui possède la formation adéquate. Avant tout placement, les moins de 18 ans sont donc théoriquement l’objet d’une procédure d’observation dont le CSOES est la représentation la plus marquante. Le souci de formation gagne les maisons d’arrêt ou, du moins, « qu’ils soient prévenus ou condamnés, les mineurs doivent recevoir du travail par priorité […] même s’il y en a pas assez pour les détenus adultes de l’établissement29 ». Pour autant, le gouffre entre le discours et la pratique demeure. De fait, longtemps encore, la grande majorité des établissements continuent d’utiliser le « système D » pour occuper leurs pensionnaires :

  • 30 AD Isère, 4670W10, « Rapport de la MA de Valence, par le procureur de la République près du tribun (...)

« Mon attention est particulièrement retenue par les mineurs. Ils sont au nombre de cinq enfermés dans une même pièce, sans relation avec les autres détenus […]. Je m’entretiens un moment avec ces mineurs qui se plaignent seulement de manquer de lecture […]. Il serait également souhaitable de ne pas les laisser pareillement inactifs en prison30… »

  • 31 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 70.

14Trois ateliers sont pourtant en état de fonctionnement dans cet établissement mais, manifestement, les mineurs n’y sont pas prioritaires. Une autre tendance est notable : si elle baisse d’importance, la question de la rentabilité n’est pas pour autant abandonnée. C’est encore avec une certaine fierté que le directeur de l’administration pénitentiaire déclare en 1956 que « la quasi-totalité des travaux entrepris dans les établissements pénitentiaires est effectuée avec la main-d’œuvre pénale31 ». Le quartier des mineurs des prisons de Lyon bénéficie une fois de plus de ce système et les travaux du bâtiment restent la principale « formation » offerte aux détenus :

  • 32 Ibid., p. 12.

« L’effort entrepris dans ce domaine [celui du bâtiment] contribue également au reclassement professionnel des détenus employés à des travaux de maçonnerie, plâtrerie, plomberie, électricité, chauffage, peinture et il leur est ainsi donné le moyen de préparer leur réinsertion dans un secteur du marché du travail où la demande de main-d’œuvre est importante32. »

  • 33 Exercice 1961, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1962, p. 181

15Faute de moyens, les prétentions de la réforme Amor en ce qui concerne le travail ne sont pas atteintes, particulièrement dans les maisons d’arrêt. Vétustes, il est difficile d’y organiser les structures nécessaires au nouveau traitement pénitentiaire. Les efforts et les progrès en matière de scolarité et de formation se concentrent sur les établissements réformés et les prisons-écoles. Malgré une conscience aiguë de la nécessité « d’éviter que la privation de liberté constitue pour le jeune détenu une rupture avec la vie libre dans la mesure où celle-ci était pour lui l’occasion de se livrer à des activités scolaires ou professionnelles33 », rien ne change. Au début des années 1960, la situation se dégrade encore en milieu fermé avec l’augmentation de l’incarcération des jeunes issues des « événements d’Algérie », de la répression de la délinquance en bande et de l’entrée dans l’adolescence des enfants du « baby-boom » :

  • 34 Faugeron C., « Les prisons de la Ve République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 321.

« Dans les années 1960, la catégorie des “jeunes” – y compris les “mineurs” – se révèle être une source de problème dans les établissements normaux et devient une préoccupation spécifique, transcendant les catégories pénales34. »

16Désormais, les conditions de détention des mineurs de 21 ans ne cessent d’être préoccupantes dans les maisons d’arrêt, qui renferment non seulement des prévenus et condamnés à une courte peine, mais aussi des condamnés à une longue peine, faute de place suffisante en prison-école. Nombre de mineurs sont donc inoccupés tel le cas de Thierry :

  • 35 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Lettre du juge des enfants au garde des Sceaux », 16-12-1961.

« J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’à son audience du 4 décembre 1961 le tribunal pour enfants de Caen a pris à l’égard du jeune Thierry […] la mesure suivante : placement jusqu’à l’âge de 20 ans en application de l’art. 28 dernier alinéa de l’ordonnance du 2 février 45 relatif à l’enfance délinquante.
Thierry n’a pas porté appel de cette décision qui devrait normalement entraîner son envoi dans une institution spéciale d’éducation surveillée. Toutefois, en raison de la fermeture des institutions spéciale d’éducation surveillée la mesure ne pourra s’exécuter que dans un établissement pénitentiaire.
Or, la maison d’arrêt de Caen, où il est actuellement retenu ne comporte pas de quartier spécial pour les mineurs et ne peut offrir à Thierry ni le travail, ni les activités de plein air dont il a besoin […]. Bien qu’il n’ait sur le plan professionnel aucun goût affirmé, il apparaît indispensable de le mettre enfin au travail dans un cadre éducatif très ferme35. »

  • 36 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Rapport de visite du quartier J3 à Fresnes par MM. les magist (...)
  • 37 AN Fontainebleau, 960136, art. 17, « PV de la commission de surveillance de la prison d’Orléans », (...)

17L’urgence de la situation mène à une prise de conscience de l’administration qui concrétise, enfin, l’aménagement de lieux exclusivement consacrés aux jeunes détenus. Le regroupement des femmes dans certaines maisons d’arrêt, notamment, laisse quelques locaux vacants pour l’aménagement de quartiers pour mineurs, mineurs garçons sous-entendus. De même, le futur complexe pénitentiaire de Fleury-Mérogis est destiné prioritairement aux plus jeunes. En attendant, des efforts sont entrepris pour pourvoir plus spécialement à la formation professionnelle mais aussi à l’enseignement scolaire des adolescents. Cette double préoccupation quitte ainsi le seul cadre des prisons-écoles et des prisons réformées. Cependant, le travail productif reste quelques années encore, quand il est disponible, le maître dans les maisons d’arrêt. En effet, seuls quelques grands établissements qui possèdent un conséquent quartier pour jeunes parviennent à instaurer quelques activités. Au J3 de Fresnes, l’inactivité, endémique ailleurs, est limitée. Quelques ateliers de formation sont improvisés dans des cellules et cent trente et un jeunes, « choisis parmi ceux qu’il n’est pas nécessaire de scolariser36 », travaillent à plein temps dans des locaux adéquats. Dans les maisons d’arrêt de moindre importance, le travail proposé aux jeunes reste souvent rébarbatif et peu professionnalisant. En 1965, à Orléans il consiste notamment en la confection de ballons de sports, l’enfilage d’étiquettes ou la mise de confettis en petits sacs37. Impossible de ne pas relever les similitudes entre cette liste de « métiers » et celle des prisons d’avant-guerre en l’Isère. D’après cet exposé, l’évolution du travail pénal paraît nulle. Malgré tout, avec le temps, il n’est bientôt plus question de travail mais plutôt de formation professionnelle.

Une formation « spéciale jeunes » : la préformation, une formation au rabais

18Les maisons d’arrêt éprouvent de grandes difficultés à organiser l’enseignement professionnel, ou même des activités productives de base, pour les jeunes détenus. Aussi, au début de l’année 1969, encouragée par l’expérience a priori positive de Fleury-Mérogis qui vient d’ouvrir ses portes, l’administration mène une enquête à ce sujet et relève les raisons qui entraînent ces dysfonctionnements :

  • 38 Exercice 1969, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1970, p. 96.

« — Etalement sur toute l’année de l’arrivée des jeunes ;
— durée des séjours inconnue et très variable, de quinze jours à quelques mois ;
— pas de sélection à l’entrée, niveau scolaire et aptitudes des jeunes très variables et généralement assez bas38. »

  • 39 Ibid.

19La solution retenue est celle dite de « préformation ». Cela consiste à initier les jeunes au travail « par l’exécution de petits ouvrages, de les informer par ce moyen sur les professions, de leur faire réviser les connaissances scolaires de base39 ». C’est ainsi qu’à défaut de vraies formations fonctionnelles, naît la préformation dans les maisons d’arrêt :

  • 40 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Rapport sur “Les problèmes posés par les jeunes délinquants d (...)

« L’enseignement professionnel est dispensé sous deux formes :
— L’apprentissage d’un métier déterminé réservé aux condamnés ayant une peine suffisamment longue à subir et justifiables par conséquent de la prison-école ;
— La préformation ou l’initiation professionnelle pour la population fluctuante des maisons d’arrêt (prévenus et condamnés à une courte peine)40. »

  • 41 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Enquête sur la détention préventive des mineurs et des majeur (...)
  • 42 Ibid. « Fiche sur le quartier des mineurs des Baumettes », nov. 1969.

20De cette manière, les ateliers de production, micro-usines à porte-clés ou à emballage divers, entrent dans la catégorie « initiation à une activité professionnelle », et occupent les adolescents des maisons d’arrêt en toute bonne conscience. Une autre enquête réalisée en 1966, sur la détention préventive des mineurs et des majeurs, fait le point sur les avancées effectuées dans le cadre de la politique de l’administration pénitentiaire et conclut que « les réalisations ne sont pas à la mesure des besoins41 ». De fait, l’activité effective dans un certain nombre de quartiers ou d’établissements spécialisés dans l’accueil des mineurs, ne fait que confirmer ces propos. Presque toute la population pénale mineure semble être occupé mais à des tâches peu professionnalisantes, qualifiées de préformations. Aux Baumettes à Marseille, « les mineurs sont occupés, pour la moitié environ des mineurs de 18 ans et pour plus de la moitié des mineurs de 21 ans, au montage des porte-clés42 ». En 1972, l’Union des jeunes avocats de Lyon dénonce encore une bien faible qualification au quartier mineurs de Saint-Paul :

  • 43 AN Fontainebleau, 960136, art.94, « Brochure de l’Union des jeunes avocats de Lyon », n. d. (début (...)

« En prison, le travail procure de faibles ressources. 2,30 F pour monter cent douzaines d’épingles à linge […]. Il est bien évident que les emplois offerts sont fondés sur la répétition, et ne revêtent aucun intérêt43. »

  • 44 Rolland F., « Les emmurées », Le Progrès, 2-9-1982.
  • 45 Exercice 1970, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1971, p. 119

21L’inventaire pourrait être interminable et, pour autant, aucun des « métiers » proposés ne paraît susceptible de faciliter une réinsertion sociale quelle qu’elle soit. Il en est de même chez les femmes détenues lyonnaises vingt ans plus tard où si les filles ne sont pas astreintes à ces tâches dignes du travail à la chaîne du début du siècle, elles sont occupées uniquement au « lavage du linge venant de prisons de Lyon, ravaudage, repassage44 ». La tradition et la répartition sexuée des tâches ont la vie longue en prison, plus encore que dehors. Pour en revenir aux garçons, les vraies sections préparatoires, celles qui portent cette dénomination, ne sont pas bien nombreuses. En 1972, il en existe seulement vingt-deux dont douze sont destinées uniquement aux jeunes adultes condamnés d’Écrouves45, les autres sont réparties uniquement sur les maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis, Bordeaux Gradignan et Loos-lez-Lille.

La réalité de la formation professionnelle dans les « centres pour jeunes détenus » toujours plus enviable que le sort réservé aux filles

De beaux discours inappliqués dans les prisons-écoles

22La réforme de Paul Amor n’est pas seulement un échec. Outre le fait qu’elle contribue pour une bonne part à l’évolution des mentalités, l’administration pénitentiaire peut s’enorgueillir de quelques originalités, du moins dans un premier temps. De 1947 au milieu des années 1960, tous les congrès pénitentiaires mentionnent les exemples français d’Oermingen et de Loos. Les rapports de fonctionnement de l’administration pénitentiaire sont d’ailleurs jalonnés des réussites scolaires, sportives et professionnelles des garçons, et des garçons seulement. En effet, une exception remarquable est d’importance : la prison-école de Doullens est oubliée. Les renseignements disponibles sur la formation professionnelle des filles dans cette institution sont maigres :

  • 46 « Conseil supérieur de l’AP–Séancedu30-1-1947 », op. cit., p. 184.

« […] l’après-midi, elles se livrent à des travaux professionnels : broderie sur canevas, couture, tricot. D’ici peu de temps elles suivront un cours de sténodactylographie et également un cours de comptabilité46. »

  • 47 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 11.

23Il faut ajouter à ces travaux, un cours ménager qui ouvre en 1952. Malgré le manque d’information supplémentaire, cette brève description permet de constater que, tout comme dans les maisons d’arrêt, les filles sont astreintes à des travaux en rapport avec leur sexe, « formation professionnelle » susceptible de leur être utiles dans un foyer. En revanche, les sources disponibles permettent une analyse bien plus détaillée des prisons-écoles pour garçons. L’activité dans ces dernières est effective. La plupart des jeunes bénéficiaires jouissent de quelques heures de scolarisation, de formation ou de travail productif en plus de divers ateliers de loisirs. Plusieurs candidats obtiennent même leurs diplômes, techniques ou scolaires. Dans l’ensemble, ces établissements semblent remplir de façon à peu près satisfaisante les nouvelles conditions de mise au travail et de formation professionnelle des jeunes détenus. Il est effectivement probable qu’en 1957, majoritairement, « les ateliers d’Oermingen, Écrouves et Doullens, ainsi que ceux des très nombreuses maisons centrales, ont rempli le rôle qu’on attendait d’eux47 ». Pourtant, il ne faut guère s’y tromper et il est possible de suivre Claude Faugeron lorsqu’il relève qu’il n’en a pas toujours été ainsi :

  • 48 Faugeron C., « De la libération à la guerre d’Algérie », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 300.

« Bien que souvent donnée en exemple, la prison-école d’Oermingen ne donne pas à l’administration les satisfactions attendues. Dès 1954, on commence à s’inquiéter […] la prison-école donne de moins bons résultats, évalués en terme de récidive, que les établissements réformés pour adultes48. »

  • 49 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 90.
  • 50 Exercice 1968, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1969, p. 83.
  • 51 Ibid., p. 82.
  • 52 AN Fontainebleau, 960136, art. 94, « Modifications apportées au CPP : décret n° 72-852 du 12-9-197 (...)

24Sans revenir sur la nature des formations dispensées dans ces institutions, il est pertinent d’en souligner les limites, peu visibles dans les rapports louangeurs officiels. Incontestablement, l’emploi du temps établi par la direction laisse une large place à la formation et des efforts sont fournis pour diversifier et augmenter le choix des ateliers. Ainsi, dès 1963 à Loos, l’administration pénitentiaire est fière d’annoncer la mise en chantier prochaine d’un atelier d’apprentissage de motoriste et de réparateurs automobiles. Cependant, pour une réelle fonctionnalité, elle se heurte à deux obstacles principaux : le recrutement d’un personnel qualifié et celui de concessionnaires motivés. Au CSOES, dans les prisons-école, et plus généralement dans les centres de formation pénitentiaire, lors de l’élaboration de ces divers projets, il est prévu un personnel nombreux et qualifié. Aussi, dans un premier temps, le budget alloué est-il suffisant pour l’embauche des surveillants et surtout des indispensables instructeurs techniques. Mais le recrutement de ces derniers s’avère difficile. Ainsi, en 1959, malgré un équipement en machines-outils suffisant, le fonctionnement d’Oermingen se trouve gêné par « l’impossibilité d’accorder aux instructeurs une rémunération suffisante » et, par conséquent, « le départ de cinq instructeurs du centre pénitentiaire d’Oermingen […] avait entraîné l’obligation de fermer plusieurs ateliers49 ». Ce problème récurrent s’aggrave avec la rareté des entrepreneurs. En effet, « les industries du Nord sont toutes mécanisées et de plus une crise sévit dans la région. Il est donc difficile de trouver des travaux correspondants aux besoins d’une maison centrale de jeunes, c’est-à-dire des travaux industriels, à caractère manuel ou artisanal ayant une valeur formative et éducative50 ». Par conséquent, malgré l’ouverture d’un atelier de mécanique auto, au 31 décembre 1968, sur une population pénale de 397 détenus, 289 étaient occupés dont 70 au service général, 22 sur les chantiers extérieurs et 197 en atelier de travail concédé51. Le bilan de ce décompte est révélateur : 108 jeunes ne travaillent pas ; 70 sont astreints au service général et ne reçoivent donc pas de formation ; 197 salariés occupés à des travaux à « caractère manuel » bénéficient d’un semblant de formation, inadaptée à la « mécanisation » des industries du département. Seuls 22 jeunes reçoivent une réelle formation dans le bâtiment et pourront peut-être passer leur certificat d’aptitude professionnelle. Il est impossible de dire dans laquelle de ces catégories se trouve la dizaine de mineurs de 18 ans qu’héberge mensuellement le centre. Que ce soit par pénurie de personnel ou de concessionnaire, la formation « dans une perspective d’amendement et de reclassement52 » n’est pas, loin s’en faut, optimale. La création à partir de 1971 des « sections préparatoires de formation professionnelle » n’apporte pas de modifications marquantes : à petits effectifs, deux seulement sont ouvertes à Loos et aucune à Oermingen.

  • 53 Ibid.
  • 54 Trois condamnées mineures de 18 ans y sont alors incarcérées.

25Outre ces obstacles conjoncturels, un autre « bémol » peut être relevé : il est dit, dans le code de procédure pénale, que « l’attribution d’une tâche doit être en fonction non seulement des capacités physiques, intellectuelles et professionnelles du détenu, mais également de ses goûts53 ». Or, le choix possible concerne presque uniquement les professions liées au bâtiment pour les garçons et des métiers attachés à la condition féminine pour les filles. En effet, nombre de magistrats, éducateurs, directeurs de prisons même, ne semblent pas manquer de bonne volonté pour que soit respecté le désir des enfants mais même lorsque les ateliers de formation se font plus nombreux, aux débuts des années 1970, il reste utopique pour un adolescent d’espérer obtenir l’apprentissage qui lui plaît. La différence des sexes est la première limite. Cela est évident mais il est impossible pour les filles détenues de se former en menuiserie ou en plâtrerie. En 1973, à la centrale pour femme de Rennes, les jeunes condamnées peuvent se former aux travaux de comptabilité, de sténodactylographie ou d’opératrices en tissu léger54. En 1981, une journaliste remarque, acerbe :

  • 55 Azoulai M.,« La prison comme si vous y étiez », Nouvelles Littéraires, févr. 1981.

« Et puisque Fleury et Rennes sont des prisons pour femmes, on y trouve aussi leurs activités préférées. La couture, le tricot, la dactylo et l’enseignement ménager. Mlle Mercier [la directrice de rennes] est persuadée du bien fondé de ce programme […]. “On leur enseigne non seulement la cuisine, mais aussi la gestion d’un budget et l’épargne…” En vue de leur réinsertion bien sûr… Tout comme les cours de sténo-dactylo, banalement féminins55 ! »

  • 56 Schachtel M., op. cit., p. 53.
  • 57 AFP, « Abus lors des fouilles générales », Dedans-Dehors, n° 24, mars 2001, p. 7.

26En 2000, rien n’a changé et, à Fleury-Mérogis, les quelques cours proposés aux détenues « traitent de l’économie familiale et sociale (couture, cuisine)56 ». À la maison d’arrêt de Nîmes, les femmes « se voient proposer pour tout travail de réinsertion l’emballage de gadgets sexuels57 ». Les exemples pourraient se multiplier à l’infini. Le bilan de 1999-2000 est révélateur de l’abandon particulièrement important de l’administration pénitentiaire envers la population pénale féminine, exclue parmi les exclus :

  • 58 « Prisonnières », dedans-dehors, n° 12, mars-avril 1999, p. 8.

« Entre-temps, les prisonnières ont été victimes de leur faible nombre, cette “excuse” souvent invoquée par l’administration pénitentiaire pour ne pas développer les activités dans les quartiers femmes. 63 établissements pénitentiaires sur 186 accueillent des détenues, mais la plupart du temps dans des petites structures. À part l’activité patchwork très répandue, on laisse trop souvent les détenues passer leur journée sur leur lit en cellule. Le travail et les formations proposées maintiennent les femmes dans des stéréotypes archaïques et sans intérêt pour leur réinsertion : le quartier des femmes s’occupe du linge de toute la prison, les formations de couture et de cuisine sont les plus répandues58. »

  • 59 AN Fontainebleau, 960136, art. 66, « Lettre de C. Neyme (CNFE) à la direction de l’ES », 7-5-1974.
  • 60 Ibid., « Lettre de M. Fayard, de l’AP, à M. Neyme », 6-6-1974.

27Les jeunes garçons n’ont pas davantage accès aux professions proposées à leurs consœurs. Bien souvent, ils n’ont pas non plus le choix de leur apprentissage. Pour exemple, le 7 mai 1974, un éducateur questionne l’éducation surveillée au sujet d’un mineur qui exprime le désir, louable, de passer son CAP de boulanger59. Le 6 juin 1974, il reçoit enfin une réponse définitive qui présente les formations disponibles dans la circonscription de Lille : électricité de bâtiment, serrurerie de bâtiment et mécanique auto à la prison-école de Loos ; plâtrerie, limousinerie, béton armé, plomberie, chauffage central, peinture, électricité, menuiserie, soudage, tournage, fraisage et jardinage à Oermingen et enfin, maçonnerie et limousinerie à la maison d’arrêt de Laval60. Le jeune condamné n’achèvera pas sa formation de boulanger-pâtissier. Pour remédier en partie à ces déficiences et au manque de place dans les prisons-écoles, l’administration pénitentiaire forme le projet révolutionnaire du CJD de Fleury-Mérogis.

Les dysfonctionnements du CJD de Fleury-Mérogis

  • 61 Exercice 1969, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1970, p. 97.
  • 62 Ibid., p. 100.

28Après quelques mois de fonctionnement d’un centre provisoire pour jeunes détenus, le CJD de Fleury-Mérogis est opérationnel en 1968. Sitôt ouvert, sitôt rempli de jeunes détenus, le grand centre pénitentiaire met immédiatement en place la formation scolaire et professionnelle destinée aux moins de 21 ans. Tablant sur une moyenne de détention d’un à deux mois, il est établi « un programme de cette durée comprenant une suite d’exercices capables de stimuler l’intérêt des jeunes et leur application au travail et susceptible aussi de leur faire acquérir quelques connaissances valables sur le plan professionnel61 ». En 1969, un premier bilan est fait et de multiples vices de fonctionnement sont déjà constatés. Le problème majeur est de lier l’enseignement professionnel et l’enseignement scolaire à une population très fluctuante. En effet, il est nécessaire de posséder des bases scolaires pour accéder aux ateliers de formation et l’enseignement scolaire à plein temps n’est pas adapté à une population qui, justement, y est peu réceptive. La gageure est donc d’associer scolarité et travail plutôt que de les juxtaposer, et la méthode retenue est, là aussi, celle de la préformation « qui permettrait aux jeunes d’acquérir un niveau suffisant pour être inscrits à leur sortie dans une section normale de FPA [formation pour adulte]62 ». Ce système est mis en place en 1972. Sur les 452 stagiaires des « sections préparatoires de formation professionnelle » de l’année, 26 % ont achevé leur stage de deux mois dans les ateliers d’électricité, de menuiserie, de plomberie, de mécanique générale ou auto, et de serrurerie. Seulement, cela ne dure pas. Les rapports annuels de l’administration pénitentiaire se font moins précis et dissimulent la réalité d’une formation peu rémunératrice et passablement aliénante :

  • 63 Montaron J.-P., op. cit., p. 22.

« Dans le bâtiment D2 fonctionnent des ateliers de travail pénal. De petites tâches (pliages, cartonnages), payées à la pièce, permettent aux détenus qui n’ont pas envie trop souvent d’aller aux WC de gagner dans les 15 F par jour de travail […].
Au D4, bâtiment sans atelier, quelquefois du travail est distribué dans les cellules. Travail ingrat : il s’agit, par exemple, de coller la reproduction d’une pièce ancienne (cadeau publicitaire) sur un prospectus. C’est ainsi qu’en 1970 et 1971 la finition des gadgets du magazine Pif le chien, qui fait partie de la presse communiste, était réalisée en prison63. »

29Somme toute, se retrouvent ici des tâches similaires à celles pratiquées dans les maisons d’arrêt classiques. Au CJD, il est tout aussi difficile de faire le choix de sa formation. La discrimination est de mise pour les jeunes criminels mais également pour les plus indisciplinés des détenus :

  • 64 Ibid.

« Un éducateur soupçonnait les responsables des ateliers (“les négriers”) de s’entendre avec les gardiens pour éliminer, par un rapport, les détenus turbulents, c’est-à-dire peu productifs ; bien sûr sans se soucier de la situation monétaire du détenu, de la durée de sa peine, des difficultés de sa famille64. »

  • 65 Brachet M.-C., op. cit., p. 36.
  • 66 Exercice 1974, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1975, p. 77- (...)
  • 67 Montaron J.-P., op. cit., p. 23.

30Outre ces travers cachés, le CJD de Fleury-Mérogis commence déjà à apparaître comme un échec. Les tentatives de suicide et les dépressions chez les adolescents sont plus nombreuses que dans les autres prisons, l’embauche de personnel qualifié est difficile et la gestion de l’emploi du temps des recrutés n’est pas une sinécure. Jeunes et personnels ressentent un malaise grandissant. Le complexe pénitentiaire n’est pas à la mesure des espérances et l’administration des prisons se fait moins prolixe sur une institution qui comporte nombre d’imperfections, dont l’échec du « plein-emploi » n’est pas le moindre. Comme dans une maison d’arrêt ordinaire, en fin de compte, le service général est le premier pourvoyeur de travail. L’inactivité est omniprésente, pesante pour les adolescents comme ce jeune homme soulagé d’avoir été transféré au CSOES : « Moi je trouve que c’est mieux à Fresnes [qu’à Fleury] parce qu’on est pas tout le temps dans nos cellules65… » Le compte rendu d’activité de 1974 indique que le CJD ne comporte pas de section classique de formation professionnelle, mais seulement six sections préparatoires de chacune une quinzaine d’élèves66 soit : six fois quinze, quatre-vingt-dix mineurs, qui bénéficient effectivement d’une formation. En fin de compte, entre un choix limité et une formation précaire, il n’est pas certain que, dans un monde où se développe le tertiaire, tous les jeunes détenus formés au CJD aient les moyens de trouver un emploi à leur libération : « Sans aucun diplôme, aucun certificat, les jeunes sortiront avec quelques rudiments de connaissances, aussi démunis qu’avant67. »Toutefois, dans ce paysage pessimiste, les moniteurs techniques, comme nombre d’éducateurs, font la différence par leur motivation. Contrairement aux surveillants qu’ils détestent, les adolescents leur montrent souvent un certain respect :

  • 68 Perez A., op. cit., p. 73.

« Notre instructeur est […] patient lorsqu’il pense que ça en vaut la peine, mais ferme dans le cas contraire. En fait c’est un homme tout à fait équilibré qui nous paraît juste, aux quinze de l’atelier […]. Ce n’est point un maton et dès le début du stage il nous le laisse entendre68. »

  • 69 Kajman M., » Femmes en prison », Le Monde, 20-9-1977.
  • 70 Exercice 1979, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1981, n. p.

31Malgré sa taille, et ses moyens, à Fleury-Mérogis, les métiers tournent essentiellement autour du bâtiment, tout comme à Aniane au début du siècle. L’agrandissement du parc automobile et la passion que montrent les jeunes pour la mécanique, ne mènent que tardivement à la création d’ateliers spécialisés. Quant aux filles, « à la MAF de Fleury-Mérogis où le travail est facultatif, moins de la moitié des deux cent trente prisonnières s’y adonnent ». La proportion des mineures dans chacune des catégories, travailleuses et inactives, est impossible à déterminer. Dans l’autre grande prison pour femmes, la question n’a même pas lieu d’être puisque « les détenues du quartier “arrêt” de Rennes ne travaillent pas69 ». En 1980, les sections préparatoires ont disparu et ont été remplacées par sept sections type FPA. Il est plus que probable que seul le nom ait changé et que la formation soit toujours aussi superficielle. Quant aux métiers proposés, s’ils se sont quelque peu différenciés, ils tournent encore et toujours autour du bâtiment (la mécanique a même disparu). Chaque atelier accueille douze stagiaires70. En 1980, sur les cinq cent quarante places du CJD, et un nombre certainement plus grand de jeunes détenus étant donné le sureffectif constant, seul douze fois sept, soit quatre-vingt-quatre adolescents bénéficient d’une formation. Où sont les autres prisonniers ? Certainement pas tous dans l’une des salles de classe… Aujourd’hui, le travail n’est plus obligatoire pour les détenus. Il reste toutefois un droit reconnu par la Constitution, reconnu mais non appliqué, en plus grande proportion encore que dans la population libre. L’instruction scolaire quant à elle, est devenue obligatoire pour les moins de 16 ans et si elle est majoritairement respectée dans les écoles de la République ce n’est pas le cas dans les prisons de la même République.

L’enseignement scolaire en prison : de la théorie généreuse à la lente mise en pratique

32Les mineurs incarcérés bénéficient théoriquement d’une éducation dispensée par l’administration pénitentiaire depuis 1850. Les textes législatifs qui régissent l’accès à la scolarisation pour les mineurs de justice, paraissent souvent plus progressistes que dans le monde libre puisque tous doivent bénéficier d’une instruction primaire. Les délinquants ont en effet besoin d’une aide pour leur relèvement moral et leur amendement, aide qui passe pour partie par l’éducation. C’est toutefois sans compter l’écart entre la théorie et la pratique et les solutions adoptées faute de mieux.

De la scolarisation pour tous à celle des mineurs détenus (1875-1958)

Les prémices de l’enseignement en milieu carcéral : l’abandon du religieux

  • 71 Haussonville G. (dir.), op. cit., p. 133 et 137.

33En 1875, le Vicomte d’Haussonville rappelle que la peine sert à « l’amendement moral des détenus ». De fait, l’enseignement carcéral est alors teinté de religion puisqu’il est généralement admis que « les deux agents directs de la moralisation dans les prisons sont d’abord la religion, ensuite l’instruction71 ». Or, l’une des conditions à remplir pour atteindre cet objectif est la séparation des jeunes et de leurs aînés. Avant même d’offrir un enseignement primaire, il s’agit de diminuer les risques de contamination entre les malfaiteurs expérimentés et ceux qui le sont moins. Le Vicomte d’Haussonville consacre une partie essentielle de son rapport à l’isolement des mineurs et ses conclusions sont essentiellement négatives, emplies de contradictions :

  • 72 Ibid., p. 136.

« Nous avons pu voir, dans la maison d’arrêt d’une de nos grandes villes du Nord, des jeunes filles de quinze ans condamnées pour fraude de tabac, enfermées avec tout ce que la population féminine d’une grande ville compte de plus abject. Il est vrai que, dans cette même prison, un quartier spécial était réservé aux jeunes garçons, et que dans ce quartier la commission de surveillance leur faisait donner, à ses frais, l’enseignement primaire par un frère de la doctrine chrétienne72. »

  • 73 Malgré une différenciation qui s’est atténuée depuis la loi Falloux du 15-3-1850. Merle P., La dém (...)
  • 74 Haussonville G. (dir.), op. cit., p. 139.
  • 75 AD Vienne, 1Y139, Inspections diverses, 1920 à 1931.
  • 76 AD Isère, 2Y14, « Rapports de fonctionnement de la direction pénitentiaire de l’Isère au préfet », (...)
  • 77 AD Isère, 2Y14, « Rapports sur les prisons de l’Isère », n. d. (oct. 1909).
  • 78 Pierre M., « Les prisons de la IIIe République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 282.
  • 79 Décret du 19-1-1923, op. cit., art. 106. Décret du 29-6-1923, op. cit., art. 103.

34Deux réalités généralisables à l’ensemble des établissements ressortent de ces propos. D’abord, la scolarisation des filles passe constamment au second plan73. Ensuite, la laïcisation de l’éducation dans les prisons est en retard en comparaison à celle du monde libre où l’enseignement aux garçons est déjà principalement laïc. En prison, l’enseignement donné aux détenus est en fait constitué d’une heure de morale ou de conférence hebdomadaire faite par l’aumônier de l’établissement, plus rarement par le pasteur. À cette heure de « cours » s’ajoute la messe des dimanches et jours de fête même si « aucune de ces obligations n’est remplie avec une régularité uniforme ». De plus, avec neuf instituteurs pour quatre cent deux maisons d’arrêt, l’enseignement primaire aux détenus « fait presque absolument défaut dans les prisons départementales74 ». Quelques exemples jalonnent les archives départementales. Dans le département de Poitiers, des rapports de fonctionnement de 1920 à 1931, précisent systématiquement qu’il n’y a pas d’école dans les maisons d’arrêt de la région75. Face à la pénurie de professeurs, des surveillants-chefs prennent parfois la charge à leur compte et un inspecteur de la prison de Saint-Marcellin en 1882 peut proposer « une mention très spéciale pour le zèle et le dévouement qu’il met [le gardien-chef] à faire l’école aux quelques détenus qui peuvent en profiter76 ». Les autres rares enseignants, non titulaires, sont majoritairement des bénévoles ou des détenus sélectionnés pour leur bonne moralité. Dans l’ensemble pourtant, les établissements carcéraux n’ont ni bénévole ni personnel pour faire la classe si ce n’est épisodiquement. En 1909, à la maison d’arrêt de Grenoble, « depuis la suppression de deux postes de gardiens on ne peut plus avoir d’école faute de personnel. Le service de garde occupe tous les instants des agents77 ». Cependant, « la France républicaine qui avait entamé un vaste programme d’instruction publique ne pouvait et ne voulait laisser en dehors de ce combat idéologique le monde de la prison78 ». Aussi, au moment de la rédaction des décrets de 1923, l’enseignement dans les prisons a fait quelques progrès sans pour autant revêtir aucun caractère d’obligation : « Art. 103 […] un service d’enseignement primaire est organisé dans toutes les maisons de concentration ; il peut l’être également dans les autres prisons départementales79. » Dans le monde libre, l’obligation scolaire primaire est votée depuis mars 1882 mais elle ne concerne encore, en ce début des années 1920, que les jeunes citoyens de 7 à 13 ans. En prison aussi il est précisé les catégories qui doivent en priorité bénéficier de l’enseignement lorsque celui-ci existe, à savoir :

  • 80 Ibid.

« Les détenus âgés de moins de 40 ans, ayant à subir une peine de trois mois au moins, qui sont illettrés, et ceux qui ne savent que lire ou imparfaitement écrire sont astreints à recevoir cet enseignement80. »

  • 81 Ibid., art. 106.
  • 82 Vimont J.-C., op. cit., p. 51.
  • 83 Merle P., op. cit., 122 p.
  • 84 Meurillon R., op. cit., p. 16.
  • 85 Ibid., p. 10.

35A priori, la majorité des mineurs appartiennent à ce contingent de prisonniers, qu’ils aient plus ou moins de 13 ans. Ces enfants seraient donc avantagés par rapport à leurs jeunes contemporains libres. Néanmoins, les adolescents incarcérés sont majoritairement des prévenus et ne sont, de fait, finalement pas astreints à assister aux cours éventuellement dispensés. Toutefois, d’après le règlement d’administration publique de 1923 « les détenus non admis à recevoir l’enseignement primaire ainsi que les prévenus et accusés qui en font la demande sont conduits, deux fois par semaine au moins, à l’école cellulaire où une lecture à haute voix sur un sujet de morale leur est faite81 ». Le caractère confessionnel a disparu, en conformité avec l’application de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. En revanche, l’idée d’amendement du détenu par la réflexion, demeure bien présente et, « pour la IIIe République, pourtant laïque, la peine est aussi la pénitence82 ». La politique de l’entre-deux-guerres, basée sur une restriction du budget, ne permet pas l’ouverture de nouvelle classe et le désœuvrement intellectuel dans lequel sont laissés les prisonniers est patent. Quelques améliorations apparaissent toutefois mais elles sont sans commune mesure avec ce que l’évolution de la politique scolaire française en milieu libre laisserait espérer83. C’est ainsi que quelques classes sont fonctionnelles pour les jeunes majeurs condamnés des maisons centrales. De même, la singularité de la maison d’éducation surveillée de Fresnes est à rappeler puisqu’elle emploi, depuis sa création en 1930, deux instituteurs chargés d’une heure de conférence par jour, celle du jeudi étant réservée à la morale84. Robert Meurillon, l’un d’eux, devant le faible niveau scolaire des enfants remarque, acerbe : « Aussi, pouvons nous regretter, après tant d’autres, que l’épithète “obligatoire” accolé à l’école laïque soit toujours restée lettre morte85. » L’obligation scolaire portée à 14 ans en 1936 n’a aucune incidence sur la scolarité des jeunes prisonniers. La Seconde Guerre mondiale n’est pas non plus un moment propice ni aux réformes, ni à l’application des textes déjà existants. En un demi-siècle, excepté l’abandon de la leçon religieuse, les écoles pénitentiaires n’ont pas progressé. Ni la quantité de cours dispensés ni les conditions dans lesquelles ces derniers sont donnés ni même les personnes qui enseignent n’ont changé. Ce phénomène s’illustre par une absence presque totale de textes législatifs spécialement rédigés dans l’intention de réglementer l’enseignement. Les initiatives prises par Paul Amor et Pierre Cannat font peu à peu évoluer les mentalités pénitentiaires mais l’écart avec la pratique reste important.

L’après-guerre et l’indispensable scolarisation des mineurs : le recrutement de détenus instituteurs

  • 86 Deux notes, des 22-1 et 5-6 1946 (rappel), demandent l’état des conditions dans lesquelles sont in (...)
  • 87 AN Fontainebleau, 960279, art. 25, Dossier n° 99, « Le dir. régional de Nancy au garde des Sceaux. (...)
  • 88 Ibid., « Le dir. régional de Dijon au garde des Sceaux », 14-6-1946.
  • 89 Cette pratique, est très probablement héritière du système des prévôts, ces détenus sélectionnés p (...)

36Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la peine privative de liberté doit conduire à l’amendement et au reclassement du condamné par le biais, entre autres, de l’instruction générale et professionnelle. Cette prescription s’étend naturellement aux plus jeunes des détenus. Face à une situation confuse en ce temps de Libération, Paul Amor lance diverses enquêtes destinées à mieux cerner l’état de son administration et de ses institutions. Les comptes-rendus qui en sont issus montrent la pauvreté des initiatives tournées vers les mineurs de 18 ans. Aussi, après la création des prisons-écoles pour les jeunes majeurs, les préoccupations se tournent donc vers les mineurs pénaux qui ne sont pas pris en charge par l’éducation surveillée. Dans ces questionnaires, dès 1946, quatre axes préoccupent particulièrement la hiérarchie de l’administration pénitentiaire : l’existence d’un quartier spécial mineurs, la nourriture allouée à ces derniers, l’éducation physique et l’enseignement dont ils bénéficient86. À noter que, dans ces rapports, des mentions concernant d’éventuelles filles mineures détenues sont totalement absentes, pour chacun des thèmes abordés. Nous sommes contraints de ne parler presque que des garçons… En 1946, interrogés sur la situation des adolescents détenus, les directeurs des circonscriptions pénitentiaires font part de la grande diversité des situations scolaires. Ainsi, dans la région pénitentiaire de Nancy, sur quatre maisons d’arrêt recevant des mineurs, seule Épinal assure un enseignement « presque nul » puisque seul « des cours de lecture sont donnés ». Dans les trois autres établissements, les réponses sont sans équivoque : « Enseignement scolaire : nul. Enseignement physique : nul87. » Dans la région de Dijon, « rares sont les établissements où l’enseignement scolaire est organisé88 ». De fait, seule la maison d’arrêt d’Auxerre est dans la possibilité de créer une classe sur un total de onze maisons d’arrêt recevant régulièrement des mineurs. Le bilan général est bien négatif : sur les vingt-sept maisons d’arrêt dont les directeurs ont répondu à l’enquête, seules Auxerre et Épinal organisent quelques cours. Les raisons les plus régulièrement invoquées sont le manque de locaux disponibles suite à la surpopulation, le petit nombre de mineurs mais aussi le manque de personnel. En effet, à l’exception de quelques bénévoles, la tâche est assurée, la plupart du temps, par les détenus adultes89. Étrangement les textes successifs qui prévoient la séparation des mineurs et des adultes, n’incluent jamais ces majeurs détenus qui ont pourtant un contact privilégié avec les adolescents. Une nouvelle enquête de 1948 précise la politique volontariste de l’administration à l’égard des mineurs :

  • 90 AN Fontainebleau, 960279, art. 26, Dossier n° 108, « Note pour M. le dir. régional des services pé (...)

« 2° De les réunir [les mineurs] de jour dans un local de dimension convenable où la classe leur sera faite du lever au coucher par un détenu instituteur.
3° De choisir ce détenu parmi les condamnés qui par leur instruction générale, leur passé, et leur attitude en détention ont montré qu’ils avaient les qualités professionnelles requises et qu’ils sont dignes de confiance90. »

  • 91 Ibid., « Le dir. régional des services pénitentiaires de Lille à M. le garde des Sceaux », 24-9-19 (...)
  • 92 Ibid., « Le dir. de la MA de Bordeaux à M. le garde des Sceaux », 13-10-1948.

37Loin de soulever quelques objections, cette entorse au code d’instruction criminelle est prise très au sérieux par les directeurs des maisons d’arrêt et seules les difficultés de recrutement rencontrées les préoccupent. Les situations restent toutefois très inégales. Le directeur régional d’Orléans s’alarme du manque de prisonnier apte à assurer cette charge pendant qu’aux maisons d’arrêt de Béthune et de Boulogne-sur-Mer, l’emploi du temps « se répartit […] entre les heures de plein air consacrées à la culture physique, les heures de classe dirigées par un détenu spécialement choisi ». Cependant, la suite de la lettre révèle que cette situation presque idéale est précaire puisque « le détenu actuellement chargé de l’école est contraignable, et peut être libéré rapidement sur transaction91 ». La situation des mineurs de la maison d’arrêt de Bordeaux n’est pas aussi incertaine mais si aucune difficulté ne se présente en ce qui concerne les garçons, les filles, elles, sont simplement encadrées par « une détenue adulte possédant le brevet élémentaire et qui présente les garanties de moralité suffisantes92 ». Au total, sur les vingt-quatre établissements, dix n’assurent pas de cours aux jeunes détenus parmi lesquels trois promettent d’y remédier rapidement. Quatre autres assurent quelques leçons soit peu nombreuses, soit aléatoires. Enfin, les directeurs des dix dernières maisons d’arrêt disent respecter dûment les consignes de formation scolaire des mineurs. Dans la grande majorité des cas, ce sont des détenus adultes qui assurent l’enseignement. Grâce à leur « utilisation », en deux ans, des progrès sont visibles dans l’ensemble des maisons d’arrêt et, malgré une grande disparité des situations, un certain nombre de mineurs bénéficient d’un minimum de cours. D’après l’avis d’une assistante sociale de la maison d’arrêt du Mans, la classe est particulièrement nécessaire pour les jeunes, surtout les jeunes filles :

  • 93 Fonteix M.-T., « Les bibliothèques des prisons », Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 4 à 6, (...)

« Le niveau intellectuel de la plupart des élèves [mineurs] est extrêmement bas ; certains savent à peine lire ; d’autres ignorent les notions les plus élémentaires des connaissances humaines ; leur niveau moral est presque toujours sensiblement nul […].
Chez la femme détenue, le problème est plus grave encore et la tâche [“occuper les cerveaux pour lancer les germes d’une rééducation” ] est infiniment plus délicate, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes, privées d’un foyer qui est leur raison d’être et dont les défaillances morales risquent d’être plus fréquentes et plus lourdes de par leur sensibilité féminine93. »

  • 94 Circ. du 29-12-1952, op. cit.

38Il reste que l’enseignement scolaire dispensé aux mineurs de 18 ans n’est pas encore généralisé et la circulaire de 1952 qui leur est dédiée se contente de prescrire : « Les mineurs reçoivent, suivant leur niveau intellectuel, l’enseignement qui est éventuellement donné à l’établissement94. » Il est remarquable qu’aucune mention de l’âge des intéressés ne soit faite. Certes les enfants de moins de 14 ans, donc soumis à l’obligation scolaire dans le monde libre, ne sont pas nombreux en maison d’arrêt mais la loi ne devrait-elle pas être respectée particulièrement pour des individus si jeunes ? Face à une pratique pénitentiaire qui mêle enfants et adultes, le code d’instruction criminelle de 1954 légalise finalement la situation par l’instauration de dérogations à la séparation afin de faciliter, entre autres, la scolarité :

  • 95 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Note pour MM. les directeurs de circonscriptions pénitentiair (...)

« Dans les établissements non cellulaires, ils doivent [les mineurs] être isolés pendant la nuit, et leur séparation des adultes doit-être assurée aussi complètement que possible en dehors du temps consacré aux offices religieux, aux exercices scolaires ou d’éducation physique et aux séances récréatives95. »

39Mais nulle mention n’est faite en particulier des cours dispensés par des adultes détenus. Jusqu’en 1958, aucun texte ne paraît et l’hétérogénéité des situations demeure. Ce n’est que pendant les derniers mois de la IVe République que l’administration pénitentiaire fait de remarquables efforts, législatifs dans un premier temps, pour démocratiser et généraliser l’enseignement. Pour ce, fait notable, elle consent à s’ouvrir sur l’extérieur et accepte le concours d’autres ministères.

État des lieux et premières réalisations concrètes : sept ans de piétinement (1958-1964)

Le bilan de 1958-1959 : la diversité des enseignants

  • 96 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 88.

40Le nouveau code de procédure pénale de 1958 réaffirme le souci d’humanisation des peines qui fait le succès international de la réforme Amor et permet la poursuite de l’assouplissement du régime de détention. Une décision de collaboration entre l’administration pénitentiaire et l’Éducation nationale découle pour partie de cette volonté. Auparavant, une grande enquête est menée sur « l’organisation actuelle de l’enseignement en prison, ses lacunes, et les voies et moyens permettant aux deux ministres et à leurs services de collaborer à son développement96 ». Les résultats de ce travail sont publiés dans le rapport de l’administration pénitentiaire au ministre de la Justice de 1959. Une fois de plus, les femmes détenues n’apparaissent guère dans ces quelques pages. Cinq catégories d’enseignants officient dans les prisons, du moins en ce qui concerne les matières du premier degré (surtout français et calcul) et les techniques professionnelles. Déjà abordés, le rôle et la place des moniteurs techniques ne sont pas remis à la question ici. Outre ces derniers, l’inventaire comprend encore quatre types de personnel. Tout d’abord, les enseignants « légitimes » sont des instituteurs, parfois des professeurs, issus de l’enseignement public ou privé. En fonction ou à la retraite, ils sont recrutés avec l’accord de l’inspecteur d’Académie et l’agrément de la direction de l’administration pénitentiaire. Ils sont rétribués à la vacation. Trop peu nombreux, les cours qu’ils dispensent n’appellent cependant aucun commentaire particulier puisqu’ils ne font qu’exercer leur profession. La seconde catégorie est celle des éducateurs de l’administration pénitentiaire. Ils ne sont pas enseignants de profession mais en tant que fonctionnaires internes à l’administration pénitentiaire, ils ont parfois la préférence de directeurs de prisons qui se méfient d’agents extérieurs :

  • 97 Ibid., p. 90.

« Par des éducateurs de l’administration pénitentiaire, à qui cette tâche [celle de l’enseignement] est confiée dans certains établissements comme une partie – et quelque fois comme la partie principale – de leur travail professionnel. Cette solution, tantôt pallie la difficulté de recruter des instituteurs qualifiés, tantôt est préférée par le chef d’établissement97. »

41Le poids des cours donnés par les éducateurs est toutefois relatif. Ils exercent dans six établissements, dont deux seulement reçoivent des mineurs (le quartier de Rouen et la prison-école d’Oermingen). L’inventaire se poursuit avec les personnes « non légitimes ». Les bénévoles d’abord, issus de tous bords, internes ou externes à l’établissement :

  • 98 Ibid.

« Par des personnes l’assurant [l’enseignement] à titre bénévole : instituteurs ou professeurs, visiteurs de formation professionnelle diverse, assistantes sociales, commis-greffiers, sous-directeurs, surveillants-chefs, aumônier98… »

  • 99 AN Fontainebleau, 960136, art. 134, « Note du bureau de l’application des peines au conseillé tech (...)
  • 100 Ibid.

42Là encore, la part de cours assurés par ces derniers est ténue mais, dans certaines prisons, seul cette sorte d’enseignement fonctionne. C’est le cas à la maison d’arrêt de Poitiers, en 1958, où un surveillant assure l’éducation physique pendant qu’une visiteuse donne des cours aux illettrés. Sans détailler les motivations de tous les visiteurs, par définition d’origines très diverses, il est à noter que leurs permis de visites sont l’objet d’enquêtes sérieuses avant assentiment. Quant aux aumôniers, une note du 9 juillet 1959 précise leur mission qui comprend éventuellement l’organisation d’activités éducatives (par tolérance de la part de l’administration) mais non celle de dispenser un enseignement laïc99. Chaque visiteur civil a des qualités propres et ils peuvent être amenés, contrairement aux aumôniers, à apporter « leur concours bénévole aussi bien pour la tenue de la bibliothèque que pour l’organisation de séances récréatives ou culturelles, ou même pour l’enseignement ». Pour l’accomplissement de ces fonctions, « les assistantes sociales s’adressent de préférence pour ces tâches d’enseignement à des visiteurs instituteurs ou professeurs malheureusement trop peu nombreux100 ». Les instituteurs à la retraite sont donc particulièrement les bienvenus tandis que les membres de l’administration pénitentiaire rassurent les directeurs par leur connaissance de la population carcérale. Dans l’ensemble pourtant, ces volontaires aux origines variées, n’ont aucune formation pédagogique. Le directeur de l’administration pénitentiaire soulève d’ailleurs certaines limites à ces bonnes volontés :

  • 101 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 91.

« […] s’il faut louer le dévouement, et dans certains cas, la compétence de ces maîtres bénévoles, on peut remarquer que la régularité et quelquefois la qualité de cet enseignement paraissent plus médiocres que les deux autres [celui des instituteurs et des détenus]101. »

43Enfin, et c’est la dernière catégorie d’enseignants répertoriés, les instituteurs et les éducateurs sont souvent assistés dans leur travail par un ou plusieurs détenus adultes. Souvent aussi, ces derniers sont susceptibles de gérer seuls une ou plusieurs classes :

  • 102 Ibid., p. 90.

« Par des détenus : tantôt ceux-ci l’assurent spontanément, et l’administration le tolère avec plus ou moins de bonne grâce ; tantôt, au contraire ces détenus sont encouragés et aidés par l’Administration ; tantôt, même, ils sont spécialement affectés, désignés et classés par l’Administration pour assurer un enseignement qu’elle organise ou qu’elle contrôle102. »

  • 103 Ibid.

44Une vingtaine de prisons opte pour cette méthode, ce qui revient à constater que la part des cours faits par des détenus est bien supérieure à celle des éducateurs et des bénévoles. Relativement complet, ce rapport ne s’attarde pourtant pas sur la situation des mineurs. À aucun moment le rédacteur ne soulève cette contradiction de maîtres adultes détenus, délinquants, chargés d’apprendre rudiments scolaires et comportementaux à des adolescents eux-mêmes en prise avec la justice. La supputation que ces prisonniers ne seraient destinés qu’à enseigner à leurs codétenus majeurs est anéantie par une précision sur la situation de la maison d’arrêt de Strasbourg : « Utilisation provisoire, l’été 1959, d’un instituteur détenu, destiné à être transféré à Oermingen et utilisé six heures par jour à faire la classe aux mineurs103 ». À l’image de la variété des instructeurs, les cours revêtent autant de situations différentes, tant par leurs horaires que par leurs modalités :

  • 104 Ibid.

« En ce qui concerne les cours donnés par des instituteurs ou éducateurs et ceux donnés par des codétenus, les horaires varient de deux à trois heures par semaine (en général), jusqu’à sept, dix, quinze, vingt-quatre, trente heures et plus par semaine […]. Encore ces chiffres ne donnent-ils pas idée de la diversité de ces enseignements, qui sont parfois des leçons individuelles, parfois de vrais cours104. »

  • 105 Exercice 1964, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1965, p. 55.

45Le bilan met en exergue, sans camouflage semble-t-il, une organisation inégale et anarchique, insuffisante dans l’ensemble. Il s’agit donc d’étendre encore cet enseignement d’autant plus que l’obligation scolaire vient de passer à 16 ans. La volonté de progresser dans cette direction permet de mieux définir la collaboration entre l’administration pénitentiaire et l’Éducation nationale, partenariat qui consiste essentiellement en « l’emploi d’instituteurs publics à temps complet dans les établissements renfermant une population scolarisable nombreuse105 ». En parallèle, le 5 septembre 1960, une note de service encourage les directeurs à favoriser et développer l’enseignement scolaire par tous les moyens :

  • 106 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note de service. Objet : Développement de l’enseignement sco (...)

« Dans tous les établissements où, faute d’un instituteur ou d’un membre du personnel disposant du temps nécessaire, il ne peut être organisé de cours scolaires, je ne verrais pas d’inconvénient à ce qu’il soit fait appel à un détenu disposant des connaissances suffisantes pour donner un enseignement aux détenus analphabètes ou d’un faible niveau.
Cette possibilité doit particulièrement être mise à profit dans les établissements où de jeunes détenus risquent de demeurer inoccupés106. »

  • 107 AN Fontainebleau, 960136, art. 17, « Rapport d’information au nom de la Commission, annexe au PV d (...)
  • 108 En mars 1962, 2567 détenus âgés de 18 à 21 ans sont incarcérés dans les établissements pénitentiai (...)
  • 109 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Conclusion du groupe de travail chargé de l’étude des conditi (...)
  • 110 AN Fontainebleau, 960136, art. 66, « Visite trimestrielle des jeunes détenus – Art. 7 du décret du (...)

46L’expression qui désigne les prisons comme des « écoles du crime » prend là une acception du premier degré. À Fresnes, en 1961, les adolescents sont tous « scolarisés » « avec les moyens du bord, la plupart des cours étant donnés par des détenus107 ». La tendance à l’amélioration de l’enseignement qui se dessine au début des années soixante est freinée par la guerre d’Algérie et la surpopulation carcérale qui s’en suit. Les besoins sont pourtant encore importants puisqu’en 1962, seul un tiers des jeunes majeurs et des mineurs est occupé108. La même année, un groupe de travail chargé d’enquêter sur les conditions de détention des mineurs et jeunes adultes, conclue que pour remédier à cette situation, « il est indispensable de prévoir l’extension du recrutement des personnels spécialisés109 ». Ces constats généraux sont confirmés par des cas particuliers. En 1961, à la mai son d’arrêt de Strasbourg « l’instruction et l’éducation de ces jeunes détenus […] incombe toujours encore à un instituteur bénévole, consacrant à cette tâche deux heures par semaine110 ». Même les prisons qui reçoivent beaucoup d’adolescents sont bien en peine de satisfaire correctement aux besoins. Le bilan du permanent surencombré quartier de Fresnes, celui des J3, est représentatif :

  • 111 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Rapport de visite du quartier J3 à Fresnes par MM. les magist (...)

« 275 mineurs sont scolarisés – 28 à temps plein (13 en certificat d’étude ; 15 en BEPC et 8 en baccalauréat).
247 bénéficient de 4 heures de classe trois fois par semaine, 57 d’entre eux ont du travail pénal en cellule et les autres, lorsqu’ils ne vont pas en classe ou faire du sport, font, en principe, leurs devoirs ou apprennent leur leçon ; en fait, ils lisent, fument, discutent, etc. […].
Pour encadrer les 527 mineurs du quartier des J3 (effectif d’une grosse maison centrale !) l’administration ne dispose comme personnel spécialisé que de deux éducateurs et de quatre surveillants111. »

47La mesure de la scolarisation réelle des mineurs incarcérés est impossible en l’absence de chiffres officiels qui seraient de toute façon aléatoires aux vues de la fluctuation des situations. Cependant, un état de l’équipement scolaire et pédagogique au début des années soixante permet d’établir la misère de l’enseignement carcéral.

L’état de l’équipement scolaire dans les prisons françaises en 1963-1964

  • 112 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Étude sur les crédits alloués pour rémunérer les instituteur (...)
  • 113 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Documents divers relatifs au recensement de l’équipement scol (...)

48La hiérarchie de l’administration pénitentiaire est consciente des difficultés rencontrées dans les prisons et, au début de l’année 1964, son directeur Robert Schmeck, programme une double enquête. La première a trait aux crédits alloués pour rémunérer les instituteurs publics attachés à chacune des circonscriptions pénitentiaires112. La seconde concerne l’équipement scolaire et culturel des établissements, par établissement et par région pénitentiaire. Pour le propos, cette dernière se révèle plus pertinente car elle indique l’effectif moyen des mineurs et des jeunes adultes. Le rapprochement entre les structures d’enseignement et les jeunes prisonniers est entériné. De plus, garçons et filles sont, pour une fois, nettement différenciés. Le but affirmé de cette vaste enquête est de permettre « d’établir pour les années à venir un plan de répartition des moyens dont pourra disposer l’administration dans les domaines de l’enseignement et de la rééducation113 ». Le tableau reproduit ci-après est celui du bilan général par direction régionale. Il met côte à côte les effectifs moyens des garçons de moins de 18 ans, de ceux de 18 à 21 ans et l’état de l’équipement scolaire, représenté par le nombre de places dans les salles de classes :

  • 114 Tableau établi par l’AP à partir des réponses des directeurs régionaux et rectifié à partir des ré (...)

Document 6 – Statistiques des jeunes détenus incarcérés dans les établissements pénitentiaires et équipement scolaire : bilan par région pénitentiaire114.

Document 6 – Statistiques des jeunes détenus incarcérés dans les établissements pénitentiaires et équipement scolaire : bilan par région pénitentiaire114.
  • 115 Dans les établissements qui reçoivent des mineurs de 18 ans.

49Note*115

  • 116 Dont un oui ou il est précise « pourrait être améliore ».

50Note**116

51D’après ce tableau, le nombre de places dans les classes semble largement suffisant en rapport à l’effectif moyen de l’ensemble des mineurs pour chaque région. Par exemple, à Bordeaux les quarante et un adolescents de moins de 18 ans peuvent aisément s’asseoir sur les 174 chaises destinées à étudier (souligné). L’équipement scolaire semble suffisant dans chacune des circonscriptions pour l’ensemble des mineurs incarcérés, même en cas de surpopulation temporaire. Cependant, il n’en est plus de même lorsque l’on ajoute à cet effectif les jeunes de 18 à 21 ans. Seule la région de Lyon est alors en mesure de recevoir l’ensemble des prisonniers de moins de 21 ans pour des journées entières de cours : la moyenne annuelle de 329 jeunes peut occuper les 359 places des écoles pour détenus (encadré). C’est Paris et l’Île-de-France qui sont les moins bien équipés avec un déficit de 913 chaises (doublement souligné). Dans cette situation, même un roulement de l’enseignement par demi-journée paraît impossible à réaliser. Pour l’ensemble de la France métropolitaine, si l’administration veut scolariser tous les mineurs détenus de moins de 21 ans, il manque 1856 places dans les classes des établissements pénitentiaires (en gras). En revanche, à l’échelle du pays, les places sont suffisantes à l’accueil de tous les mineurs de 18 ans. A priori, l’enseignement scolaire est destiné à cette population en priorité et, au regard des conditions matérielles, tous semblent pouvoir assister à des cours. Pourtant, même avec l’élimination des majeurs de 21 ans qui peuvent demander à bénéficier d’une scolarisation et de ceux de 18 à 21 ans non astreints à recevoir un enseignement primaire, les réalités locales sont bien différentes de ce que laisse entrevoir le bilan général. Ainsi, avec un nombre de « non » à la question « le matériel scolaire est-il suffisant ? » toujours supérieur au nombre de « oui », la majorité des prisons qui hébergent des mineurs de 18 ans n’est pas satisfaite de l’état de l’équipement scolaire. Les circonscriptions où cette population est importante sont davantage en déficit que les autres. Paris et Lille, qui reçoivent en moyenne respectivement cent quatre-vingt-douze et cent quarante-huit mineurs, ne comptent que deux directeurs satisfaits des structures scolaires sur un total respectif de quatorze et seize prisons. À l’inverse, les prisons à plus faible effectif de mineurs sont plus souvent opérationnelles comme les geôles de Toulouse ou de Strasbourg. Il est à noter que la région de Dijon fait exception puisqu’une seule prison semble disposer d’un nombre de places de classe suffisant sur les douze qui abritent des adolescents de moins de 18 ans. Le même travail d’investigation est possible pour les filles :

  • 117 Même procédé que pour le tableau précédent.

Document 7 : Statistiques des jeunes détenues incarcérées dans les établissements pénitentiaires et équipement scolaire : bilan par région pénitentiaire117.

Document 7 : Statistiques des jeunes détenues incarcérées dans les établissements pénitentiaires et équipement scolaire : bilan par région pénitentiaire117.

52Les mineures de 18 ans sont peu nombreuses : quatre-vingt-trois filles en moyenne sont passées dans l’année dans les cinquante-six établissements qui accueillent cette population pénale. Les jeunes majeures ne sont pas non plus très présentes avec une moyenne de cent quatre-vingt-six. Pourtant, malgré ce faible effectif, qu’il serait donc relativement aisé de prendre correctement en charge, plus que les garçons encore, les filles détenues semblent dépourvues de tout matériel scolaire. Seules la maison centrale de Rennes et la maison d’arrêt d’Évreux (région parisienne) possèdent des places pour la jeune population féminine. Cela est d’ailleurs suffisant à Rennes qui a reçu deux filles de moins de 18 ans et quatre de moins 21 ans, tout comme à Évreux qui n’a reçu qu’une mineure dans l’année. Mais, pour l’ensemble des départements, ceux de Rennes et d’Évreux compris, la marge entre les besoins et l’équipement réel est presque systématiquement considérable. L’équipement scolaire est considéré comme suffisant dans seulement cinq prisons sur cinquante-six qui détiennent des filles. Partout ailleurs, les directeurs ont répondu à « contenance totale des classes » et « le matériel scolaire est-il suffisant ? » par « nul », « néant » ou « inexistant ». Pourtant, elles sont tout de même quatre-vingt-six détenues de moins de 21 ans dans la région parisienne ou encore une trentaine à Lille, Lyon et Renne. Les moyens mis à disposition des établissements pénitentiaires pour satisfaire aux besoins de la scolarisation sont donc partout insuffisants, pour les garçons et plus encore pour les filles. Mais qu’en est-il dans les institutions spécifiques, celles qui ont plus particulièrement pour vocation la détention des mineurs pénaux et civils ? De fait, il ressort du tableau ci-dessous, que les directeurs de la majorité des établissements, ou quartiers, spécialisés dans l’accueil des plus jeunes, estiment que leur équipement scolaire n’est pas non plus à la hauteur de la tâche qui leur est confiée :

  • 118 Même procédé que pour les tableaux précédents.

Document 8 – Statistiques des jeunes détenus incarcérés dans les établissements pénitentiaires et équipement scolaire : établissements et quartiers pour jeunes détenus118.

Document 8 – Statistiques des jeunes détenus incarcérés dans les établissements pénitentiaires et équipement scolaire : établissements et quartiers pour jeunes détenus118.

53Seules les institutions pour jeunes adultes condamnés de Loos et d’Oermingen, ainsi que le quartier spécial de Rambouillet, sur les onze établissements spécialisés, ont un équipement scolaire suffisant. Pourtant, seule l’exemplaire prison-école d’Oermingen a une structure réellement satisfaisante, puisque le nombre de places dans les classes de Loos et de Rambouillet ne correspond pas au nombre de jeunes de moins de 21 ans détenus. C’est que l’obligation de l’instruction primaire pour les 18-21 ans n’est pas encore obligatoire. Cet état de fait change pourtant l’année même où cette enquête est lancée.

  • 119 Exercice 1964, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1965, p. 31- (...)

54Avec l’atténuation des problèmes liés à la guerre d’Algérie, l’année 1964 peut être consacrée, par le Bureau de la détention, au développement de l’enseignement dans les prisons. Ce projet est facilité par une augmentation du budget consacré aux vacations et par la concrétisation de la collaboration avec les services de l’Éducation nationale. Par un décret du 20 juillet 1964, l’article D. 515 du code de procédure pénale qui régit les régimes de détention est modifié. Il « tend à rapprocher le régime appliqué aux jeunes adultes justifiables des juridictions de droit commun de celui des mineurs au sens de l’ordonnance du 2 février 1945 […]. De plus la réforme a permis notamment de rendre l’enseignement primaire obligatoire, même pour les prévenus de 21 ans, dès lors qu’ils sont incarcérés dans un établissement où fonctionne le régime éducatif dont il s’agit119 ». Les jeunes détenus dans les petites maisons d’arrêt ne sont toujours pas astreints à l’obligation scolaire.

Vers la généralisation de l’enseignement

Les petites maisons d’arrêt et les filles toujours délaissées

  • 120 Ibid., p. 55.
  • 121 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note d’information sur l’enseignement scolaire dans les étab (...)

55En 1964, le directeur de l’administration pénitentiaire mentionne un « important effort de recrutement […] en vue de la désignation d’instituteurs publics chargés d’un enseignement à temps partiel dans les prisons où celui-ci n’avait pas encore été organisé120 ». Cependant, il relève également l’insuffisance de ces dispositions puisque les instituteurs vacataires consacrent peu d’heure de cours à la prison. D’autre part, « l’insuffisance des effectifs du cadre des éducateurs ne permet guère d’en distraire actuellement pour prendre en charge l’enseignement à temps complet ou partiel ». Il est donc décidé d’employer des instituteurs publics à temps complet pour les établissements à fort effectif scolarisable, d’autant plus que des critiques au sujet des bénévoles émergent. Un rapport de la fin de l’année 1964 relève que « ceux qui n’appartiennent pas à un corps enseignant n’ont, le plus souvent, guère de compétences pédagogiques121 » et, pour la première fois, dénonce sévèrement la pratique du recrutement de moniteurs détenus :

  • 122 Ibid.

« Beaucoup de classes, notamment à Fresnes, fonctionnent en l’absence de personnels qualifiés grâce à des détenus moniteurs. Il y a là une solution déplorable à tout point de vue […] en premier lieu et sur un plan général, il est extrêmement choquant de confier à un condamné une mission éducative.
En second lieu et sur le plan pratique, deux inconvénients apparaissent :
– on ne peut jamais prévoir quelle sera l’attitude du moniteur détenu ;
– lorsqu’une classe a été créée et son “titulaire” libéré ou transféré, les chefs d’établissement ont bien souvent tendance à vouloir la perpétuer et pour cela à y affecter un condamné n’offrant pas de garantie. C’est ainsi que l’administration centrale a parfois constaté que des homosexuels gravement perturbés ont été chargés d’enseignement, ce qui se passe de commentaires122… »

56Peut-être l’auteur de ces propos fait-il référence au cas de cet ancien éducateur de l’éducation surveillée affecté au quartier des mineurs de Pontoise en 1963 :

  • 123 Le nom est modifié.
  • 124 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note pour M. le dir. régional des services pénitentiaires de (...)

« […] vous avez appelé mon attention sur la situation des mineurs incarcérés à la maison d’arrêt de Pontoise qui, par suite de la libération du détenu instituteur, se trouve dans un état complet de désœuvrement.
Je vous informe que, par l’ordre de transfèrement dont copie ci-jointe, j’ai décidé d’affecté à la maison d’arrêt précitée le nommé J. Jean-Michel123, ancien éducateur de l’institut d’éducation surveillée de Corbusson (Sarthe), actuellement détenu à la maison d’arrêt de Laval, où il purge une peine de trois ans d’emprisonnement prononcée pour actes impudiques sur mineurs de son sexe124. »

57Cela se passe de commentaires. Le recrutement de détenus instituteurs n’est pas pour autant immédiatement abandonné mais l’embauche d’instituteurs qualifiés s’intensifie avec la mise à disposition de vingt-six enseignants par l’Éducation nationale. Pourtant, treize d’entre eux seulement prennent leur fonction et assurent en moyenne vingt-quatre heures de cours par semaine. Leur affectation se fait, comme prévu, sur les établissements qui accueillent le plus de mineurs et qui sont aussi ceux qui ont déjà une organisation éducative à peu près opérationnelle : le quartier des J3 de Fresnes, le centre provisoire de Fleury-Mérogis, les prisons-écoles et les maisons d’arrêt de Douai et de Valenciennes. Les petites maisons d’arrêt, où sont concentrés les prévenus de moins de 18 ans, sont encore délaissées, les quartiers de filles ne sont même pas mentionnés et l’ensemble du personnel enseignant reste insuffisant au 31 décembre 1965, puisque sont en fonction, pour neuf cent cinquante-quatre mineurs :

  • 125 Exercice 1965, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1966, p. 9.

« 124 professeurs et instituteurs de l’Éducation nationale. Parmi eux, 17 sont mis à la disposition de l’administration pénitentiaire à temps complet par le ministère de l’Éducation nationale […] ; 71 éducateurs et éducatrices de l’administration pénitentiaire ;3 assistantes sociales, 11visiteurs,29 répétiteurs[détenus moniteurs], spécialement chargés d’enseignement […]125. »

58Année après année, le nombre de ces fonctionnaires augmente. Ainsi, en 1966, ils sont cent trente-sept titulaires, en 1968 cinquante-cinq nouveaux postes à temps complet sont concédés par l’Éducation nationale. Ce rapport et les suivants, ne font plus état que de progrès, valorisant les chiffres des réussites aux divers examens. Mais, pour les mineurs pénaux, ce sont toujours les mêmes grands établissements qui profitent des avancés. Ailleurs, la création de classes reste limitée et l’enseignement minimum, voire inexistant. En 1966, à Lyon, il n’y a guère d’instituteurs mais « 2 éducateurs de l’éducation surveillée et 3 stagiaires de ce Service sont chargés des mineurs pénaux ». Une évidence apparaît alors : dans les rapports officiels seul figure l’état satisfaisants des grandes structures. La situation des mineurs dans les petites maisons d’arrêt et celle des filles mineures ne sont jamais mentionnées et, pour en connaître la teneur, il faut faire appel aux cas particuliers rencontrés au fil des archives. Pour exemple, celui de la maison d’arrêt de Fontenay-le-Comte en 1966, rend compte à la fois des progrès dans le régime pénitentiaire et du laxisme dans l’organisation d’activités éducatives :

  • 126 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Rapport de Me Roger, président de la chambre d’accusation de (...)

« En attendant, les mineurs incarcérés [au nombre de 9] sont enfin dans des conditions normales de détention. Ils sont placés par cellule individuelle quand ils n’ont pas atteint l’âge de 18 ans – et à 3 pour les jeunes détenus de 18 à 21 ans. Je suis entré dans certaines cellules. Celles-ci sont propres, aérées. Les jeunes n’ont plus l’aspect de bêtes traquées qu’ils avaient à Saintes.
Par contre j’ai constaté qu’ils n’avaient aucune occupation si ce n’est de lire des romans toute la journée […]. J’ai demandé si, par exemple, il ne pourrait pas être organisé une classe ou des exercices éducatifs. M. le surveillant chef qui a de grandes qualités d’administrateur mais qui n’a accepté qu’à contre cœur de recevoir les mineurs dans sa maison d’arrêt, m’a objecté qu’il n’avait aucun local pour réunir ces jeunes. Je lui ai immédiatement rétorqué qu’il avait une vaste chapelle qui pouvait très bien être utilisée en dehors du culte évidemment […] mais il m’a objecté que nous étions en Vendée et que l’aumônier ne consentirait pas à de telles réunions. Je suis quant à moi d’un avis absolument contraire. Il y a donc à la maison d’arrêt un local très suffisant, propre et aéré, qui pourrait être utilisé pour l’occupation des jeunes. Resterait à chercher en ville un instituteur en retraite ou un visiteur de prison ayant des aptitudes pédagogiques. Ce ne doit pas être impossible à trouver126… »

  • 127 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note pour MM. les directeurs régionaux. Objet : interdiction (...)
  • 128 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Journées régionales de criminologie » des 9-10 févr. 1973 à A (...)

59La différence entre les textes officiels optimistes et la réalité du terrain est frappante. Toutefois, en ce qui concerne le personnel enseignant, la situation se stabilise et une note du 19 février 1971 vient enfin mettre fin à la pratique du recrutement des détenus instituteurs127. Ne pas interrompre le cursus scolaire des jeunes incarcérés pendant une détention préventive est désormais une priorité car « l’interruption d’une scolarité secondaire va chez le jeune entraîner des conséquences catastrophiques pour l’avenir car nous constatons rarement un désir de reprendre une activité scolaire après une épreuve carcérale128 ». Pour répondre à cette obligation, si les majeurs ne sont plus instituteurs, il arrive encore que les adolescents soient mêlés aux adultes pendant la classe. C’est le cas à Limoges en 2004 :

  • 129 Andebert S., Le suivi des mineurs incarcérés : contenu et difficultés de cette mission, CNFE-PJJ, (...)

« La mise en place de la scolarité des mineurs n’est pas conforme aux exigences demandées par les textes de lois. En effet, il est impossible pour cette maison d’arrêt d’isoler les mineurs dans les salles de classes. Par conséquent, les mineurs sont en cours avec les majeurs129. »

  • 130 Montaron J.-P., op. cit.
  • 131 Rolland F., « Les emmurées », Le Progrès, 2-9-1982.

60De manière générale, la mise en place de l’enseignement dans les établissements pénitentiaires progresse. Les grandes prisons à fort effectif de jeunes détenus ont généralement des structures appropriées, même si elles demeurent bien souvent insuffisantes pour scolariser l’importante proportion d’adolescents qu’elles reçoivent. Toujours, même au CJD de Fleury-Mérogis, une partie des jeunes « en guise d’école, ils laveront le couloir, feront des éponges métalliques ou des pinces à linge130 ». Les filles sont davantage délaissées encore. Aux débuts des années quatre-vingt, le bilan, s’il était possible, serait certainement désastreux. Seule la presse de l’époque offre quelques pistes qui étayent cette hypothèse. Ainsi, à la prison de Montluc, à Lyon, c’est Dolorès, « l’intellectuelle » de l’établissement qui, à côté de son travail de blanchisseuse, donne quelques cours à ses codétenues131. Si donc, les détenus adultes hommes ne donnent plus de cours aux mineurs garçons depuis 1971, il semble bien que ce ne soit pas le cas chez les femmes. À Montluc, l’institutrice demandée depuis bien longtemps arrive en détention qu’à la rentrée de 1981, bien des années après l’affectation d’instituteurs dans la majorité des établissements pour garçons. Les détenues de cette maison d’arrêt, en cas de chômage n’ont que la lecture pour passer le temps. Toutefois, il ne suffit pas que les cours aient lieu, l’enseignement, quand il existe, doit être efficace et comprendre une pédagogie adaptée.

Les jeunes détenus face à l’enseignement carcéral : programmes et aversions

61Contrairement aux formations professionnelles des prisons-écoles, les archives confient peu quels étaient les programmes dans les classes des maisons d’arrêt. Il est probable que ces derniers soient généralement, jusqu’au début des années soixante, laissés à l’instigation de l’enseignant. Quelques notes éparses laissent supposer que les détenus retenus pour faire la classe, tout comme les bénévoles, enseignent essentiellement la lecture, le calcul et la morale, bref les notions de bases également enseignées dans les classes élémentaires du monde libre. À la Maison d’éducation surveillée de Fresnes, l’instituteur donne les programmes de l’heure de conférence quotidienne :

  • 132 Meurillon R., op. cit., p. 16.

« […] les sujets étaient puisés dans l’histoire de France, et la géographie […].
Les sujets les plus variés y sont traités, relevons quelques titres :
Le Nord – l’Alsace – la Normandie – La Grande-Bretagne – l’Espagne – le Maroc – Saint-Louis – Jeanne d’Arc – La vie de Paris au xviie siècle – les machines à vapeurs – les moyens de communication à travers les âges – soins d’urgences à donner aux blessés etc. etc. […]. Le jeudi, chaque instituteur a tour de rôle, développe un sujet de morale132. »

62D’autre part, il semble aussi, qu’Après-guerre, les éducateurs et assistants sociaux introduisent des cours de « vie pratique », censés aider à la gestion de l’incarcération et l’après-détention. La conférence d’une assistante sociale qui prend en charge l’enseignement des mineurs de la maison d’arrêt du Mans en 1948, renseigne quelque peu :

  • 133 Fonteix M.-T., op. cit., p. 217-118.

« Les cours d’instruction générale portent sur les notions les plus élémentaires de géographie, d’histoire de France, de leçons de choses, d’hygiène et quelques éléments préparatoires à la technologie industrielle. Le cours de moral, dont chaque chapitre est copié par les élèves, exalte les vertus, flétrit les vices, précise les principes de la vie en commun133. »

  • 134 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note d’information sur l’enseignement scolaire dans les étab (...)

63Cependant, ce discours positif serait à nuancer… le manque d’archives l’empêche avant le début des années soixante. L’enseignement scolaire en prison est largement justifié, puisque « le niveau d’instruction des détenus est généralement faible » et que « l’enseignement scolaire est de nature à faciliter la préformation et la formation professionnelle, ainsi que l’adaptation à la vie libre lors de la libération » et, enfin, « l’instruction constitue une discipline de la volonté et de l’intelligence utile dans l’œuvre de rééducation134 ». Néanmoins, l’organisation d’un programme scolaire en prison, constructif et satisfaisant, n’est pas aisée. Elle doit prendre en considération l’hétérogénéité des niveaux et l’effectif fluctuant des classes des maisons d’arrêt. L’accumulation de ces difficultés appelle à une individualisation de l’enseignement adapté à l’âge, au niveau d’éducation et au temps de détention de chaque adolescent. Afin de satisfaire à ces exigences, toutes les méthodes sont mises à contribution. En 1965, l’inspection des services pénitentiaires procède à des contrôles pédagogiques sur l’ensemble du personnel chargé de l’éducation dans les établissements pénitentiaires :

  • 135 Exercice 1965, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1966, p. 8-9

« Les inspections ont porté sur l’éducation morale et l’assistance scolaire, les cours par correspondance, la formation professionnelle, la pédagogie de groupe à travers les activités éducatives et de loisir : lecture et bibliothèque, cercle de lecture, radio, télévision et télé-club, cinéma et ciné-club, cercle de peinture et d’art plastique, philatélie, échecs, art dramatique, journal, musique, chorale, disques, bricolage et aéro-modélisme, photo-club, etc.135. »

  • 136 AN Fontainebleau, 960136, art. 137, « Le dir. du Centre provisoire de jeunes détenus de Fleury-Mér (...)
  • 137 Ibid., « Lettre du service pédagogique au dir. de l’AP. Objet : installation de deux instituteurs (...)
  • 138 Ibid., « Le dir. régional des services pénitentiaires de Paris à l’inspecteur d’Académie de Seine- (...)

64Cette apparente débauche de moyens et d’initiatives dissimule une réalité pénitentiaire bien plus pauvre : tous les établissements ne sont pas équipés ne serait-ce que d’un poste de radio. De plus, il est impossible de détailler précisément les matières et programmes enseignés généralement aux adolescents des prisons, d’autant plus que ceux-ci sont certainement très variés. Seul un certain regard peut être porté sur l’organisation de l’enseignement scolaire au Centre provisoire de jeunes détenus de Fleury-Mérogis136. Chaque jeune y bénéficie, selon son niveau scolaire, de dix, huit ou sept heures de cours réparties sur quatre jours de la semaine. Les autres jours, ce sont les trois éducateurs qui prennent en charge la classe avec des activités dirigées de trois sortes : cercle de lecture, club mécanique auto et initiation à l’imprimerie avec un essai de rédaction d’un journal. Pour les six classes, les matières enseignées sont principalement le français (vocabulaire, grammaire, conjugaison, rédaction et orthographe) et le calcul (calcul mental, système métrique, numération, géométrie et problèmes pratiques). Le tout souvent en lien avec la vie pratique. Par exemple, les sujets de rédaction et les exercices de vocabulaire sont essentiellement des lettres aux proches ou relatives au travail. Les matières secondaires regroupent la législation du travail et l’éducation civique, l’histoire et la géographie, les sciences et des « exposés bibliothèque du travail ». Enfin, une rubrique est spécialement dédiée à la vie pratique, du remplissage d’une feuille de maladie pour la sécurité sociale à la lecture d’une carte routière, à raison d’une demi-heure hebdomadaire environ. Trois heures sont consacrées au français, quel que soit le niveau, tandis que le temps dédié au calcul est compris entre une heure trente-cinq et deux heures quarante, selon la classe. Cette description donne un aperçu des programmes scolaires possibles en prison. En résumé, si le nombre d’heures d’enseignement est plus restreint que dans le monde libre, les matières enseignées sont équivalentes. La différence réside dans le niveau : les adolescents des prisons, âgés de 14 à 21 ans, ont un programme qui correspond, peu ou prou, au cours élémentaire des classes ordinaires. Cette organisation, en apparence bien rodée, semble convenir aux jeunes qui en bénéficient : « Il a remarqué une nette amélioration dans le comportement des jeunes, ce qui semble confirmer le succès des méthodes éducatives137. » Mais ce système, à cette époque, fait encore figure d’exception. De plus, une organisation, quelle qu’elle soit, est souvent précaire : les instituteurs de ce centre sont entrés en fonction en avril 1964 et les jeunes sont dirigés sur Fresnes en décembre de la même année. Malgré une demande de transfert de ces deux fonctionnaires aguerris à l’enseignement en prison, ils ne sont pas réintégrés auprès de nouveaux jeunes détenus138. Les quartiers pour jeunes des maisons d’arrêt de Pontoise et de Rambouillet pour lesquels ils étaient pressentis restent sans instituteur.

65L’administration pénitentiaire n’est pas seule responsable du manque de formation scolaire des jeunes qu’elle a en charge. Les adolescents incarcérés ne montrent en effet pas forcement un grand enthousiasme à poursuivre leur cursus scolaire. L’instituteur du centre de triage de Fresnes l’explique par un abandon précoce de l’école dans la vie libre et d’un désintéressement des enfants, qu’il cite pour étayer ses propos :

  • 139 Meurillon R., op. cit., p. 10.

« Plus loin il dit “qu’il allait pas trop souvent à l’école, car il fallait garder les petits frères”.
Tel autre, au contraire reconnaît que sa famille le forçait à suivre les classes, mais qu’il était un cancre, l’orthographe dont il use ne permet pas de douter de ses allégations139. »

66Toutefois, dans l’ensemble et bien des années plus tard, si ces raisons de désaffection ne sont pas obsolètes, d’autres s’y ajoutent. En novembre 1959, le garde des Sceaux interroge les directeurs des circonscriptions pénitentiaires sur les détenus qui ont poursuivi ou demandé à reprendre leurs études au moment de leur incarcération : sur les huit jeunes de moins de 18 ans entrés en détention en novembre 1959, un seul poursuit effectivement les études entamées avant son incarcération, et le fait qu’il soit incarcéré à Oermingen a dû l’y aider. À la maison d’arrêt de Lisieux en 1960, les rares cours organisés sont suivis avec fort peu d’entrain :

  • 140 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Rapport d’inspection de la MA de Lisieux par X. Nicot », 17-3 (...)

« Mais les cours scolaires n’ont lieu qu’une fois par semaine et seulement pour quelques-uns des jeunes condamnés. Aux dires du surveillant-chef ces cours sont d’ailleurs fort difficiles à faire en raison du peu d’intérêt témoigné par les élèves, qui pensent plutôt à chahuter grossièrement qu’à s’instruire140. »

67Devant un manque certain de motivation des adolescents, l’administration pénitentiaire ne semble pas mettre une grande volonté à encourager les mineurs à la poursuite d’études commencées dans le monde libre. Elle connaît pourtant bien les raisons de ce désintéressement, relevé également par Jean-Pierre Montaron, instituteur du CJD :

  • 141 Montaron J.-P., op. cit., p. 21.

« “On est pas payé quand on va en classe. Je ne peux pas rester sans argent.”
La classe est le privilège de ceux qui reçoivent de l’argent. Cette impossibilité de suivre des cours, faute de moyens, est fréquente. Les conséquences ne sont peut-être pas dramatiques pour celui qui voulait passer le CEP ou le BEPC, mais pour celui qu’on était arrivé à convaincre d’apprendre à lire, à écrire, à faire une opération et que l’on retrouve dans les couloirs, une semaine plus tard, une serpillière à la main, pour 3 francs par jour141 ! »

  • 142 Azoulai M., « La prison comme si vous y étiez », Nouvelles Littéraires, févr. 1981.

68De plus les échecs scolaires dans le monde libre, encore très présents dans l’esprit des jeunes, les rendent réfractaires à tout apprentissage de type éducatif. L’institutrice de la centrale de Rennes en 1981, rejoint son confrère de Fleury, pour constater : « Quand les filles viennent à mes cours, c’est pour avoir un contact avec l’extérieur. Pas pour s’instruire. Elles s’en moquent et c’est leur rappeler leurs échecs scolaires142. » Et de fait, entre manque de motivation des élèves et pauvreté des moyens, l’enseignement aux mineurs des prisons peut, pour certains, paraître vain. C’est en tout cas, la teneur des propos du directeur du CJD en 1969 :

  • 143 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Étude sur le problème posé par les jeunes détenus incarcérés (...)

« Les défauts psychologiques particuliers sont l’instabilité, l’attention sautillante et vite dispersée, la fatigabilité […].
Il semble donc superflu de dispenser un enseignement scolaire lorsque ce dernier ne débouche sur rien ; de même sont mal acceptées les activités dites ‘‘d’initiation à la vie pratique”, les jeunes en effet mûris prématurément par un affrontement social précoce n’aiment pas la morale et sont sur de nombreux points aussi bien initiés que les adultes143. »

69D’après cet homme, la mise en place de la scolarisation dans les prisons à laquelle s’évertue l’administration pénitentiaire depuis plus d’un siècle serait donc inutile pour les jeunes détenus… Pourtant, le niveau d’étude chez les adolescents reste faible malgré la généralisation de l’instruction primaire et les jeunes gens en ont parfois conscience :

  • 144 Ibid., p. 67. Orthographe respectée.

« Je ne sé pas lire ni ecrier car a l’école je ne j’amé apri mes devoir je ne le vouler pas et se pour sa que j’ai mal tourne […]. Pourten mais parents mon plassé dans plusieur centre pour que j’aprene quelque chose mes rien144. »

70L’administration pénitentiaire trouve un moyen de motiver les jeunes qui ne le sont pas : la grâce en cas de réussite à un examen. Dans certains cas, cela suffit effectivement à faire franchir la porte de la cellule-classe aux mineurs, telle Sylvie incarcérée à Lyon :

  • 145 Debard M., « La rentrée à l’école spécialisée des prisons de Lyon », libération, 28-9-1982.

« Encore sonnée, Sylvie, 16 ans, parle peu. La semaine dernière, le tribunal pour enfants l’a condamnée à huit ans de prison. Une “affaire très grave” comme on dit. Mais trois mois de grâce pour la réussite au certificat : « “C’est toujours ça… surtout, ça m’a fait une bonne révision en français et en maths145.” »

  • 146 Perez A., op. cit., p. 54.
  • 147 Carlier C., Laurence C., La lutte contre l’illettrisme en prison (Enquête exploratoire conduite da (...)

71Heureusement, nombre d’instituteurs, d’éducateurs et de bénévoles qui travaillent sans relâche auprès des adolescents incarcérés ne sont pas du même avis que le directeur du CJD. Angel Perez profite du dévouement de l’un d’eux et de ses cours particuliers de grammaire. C’est que cet instituteur apprécie les efforts et les écrits de ce jeune majeur qui n’a jamais pu suivre une formation scolaire continue, gêné par des incarcérations répétées depuis ses 14 ans146. En parallèle à la lutte contre l’illettrisme en prison147 qui se poursuit d’année en année, ces mêmes fonctionnaires développent, afin qu’aucun enfant ne soit totalement délaissé, des activités pédagogiques et de loisirs susceptibles d’offrir une certaine alternative à des cours souvent méprisés.

Notas

1 Loi du 5-8-1850, sur l’éducation et le patronage des jeunes détenues, Code pénitentiaire, tome I-2.

2 Faugeron C., «  De la libération à la guerre d’Algérie », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 304.

3 Talandier J., Travail en prison. Rapport présenté au nom de la section du travail, Conseil économique et social, 2-12-1987, 186 p.

4 Pierre M., « Les prisons de la IIIe République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 279.

5 Décret du 19-1-1923, op. cit., art. 88.

6 Statistiques pénitentiaires pour l’année 1911, 1913, p. 86.

7 Cf. planche H.

8 Statistiques pénitentiaires pour l’année 1911, 1913, p. 86.

9 Ibid.

10 Guillot A., op. cit., p. 324-325.

11 « Extrait du rapport présenté par l’inspection générale des services administratifs », 31-12-1927, Code pénitentiaire, tome XXII, p. 664.

12 Circ. du 4-2-1938, transmission à MM. les préfets du rapport à M. le ministre de la Justice par Wuillaume, Inspecteur général des services administratifs, Code pénitentiaire, tome XXVII.

13 Meurillon R., op. cit., p. 3.

14 Pierre M., « Les prisons de la IIIe République », in Petit J.-G. (dir), op. cit., p. 287.

15 Ibid., p. 274.

16 AD Vienne, 1Y141, « Exposition de la disposition et de l’état de la MA de Loudun par le sous-préfet de la Vienne », 30-9-1943.

17 AD Isère, 4670W10, « Rapport de la MA de Valence, par le procureur de la République près du tribunal de Valence au procureur général près de la cour d’appel de Grenoble », 29-5-1946.

18 AN Fontainebleau, 960279, art. 25, Dossier n° 99, « Note pour MM. les Directeurs régionaux des services pénitentiaires », 19-1-1946.

19 AN, CARAN, BB18 6597, « Lettre du procureur général de la cour d’appel de Lyon au garde des Sceaux », 11-3-1929.

20 Circ. du 26-3-1931, sur l’orientation professionnelle des mineurs, An Fontainebleau, 950398, art. 18.

21 Référence à la loi de 1912 sur les tribunaux pour enfants.

22 Circ. du 26-3-1931, sur l’orientation professionnelle des mineurs, An Fontainebleau, 950398, art. 18.

23 Meurillon R., op. cit., p. 19.

24 Pedron P., La prison sous Vichy, Paris, Éd. de l’Atelier – Éd. ouvrières, 1993, p. 82.

25 Ibid., p. 84.

26 Ibid., p. 90.

27 Vimont J.-C., op. cit., p. 69.

28 Principes formulés en mai 1945 par la commission de réforme des institutions pénitentiaires françaises (Réforme Amor).

29 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Note pour MM. les directeurs de circonscriptions pénitentiaires. Objet : Régime de détention des mineurs dans les MA », 11-2-1954.

30 AD Isère, 4670W10, « Rapport de la MA de Valence, par le procureur de la République près du tribunal de Valence au procureur général près de la cour d’appel de Grenoble », 21-11-1946.

31 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 70.

32 Ibid., p. 12.

33 Exercice 1961, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1962, p. 181.

34 Faugeron C., « Les prisons de la Ve République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 321.

35 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Lettre du juge des enfants au garde des Sceaux », 16-12-1961.

36 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Rapport de visite du quartier J3 à Fresnes par MM. les magistrats Vignoux et Laplace au dir. de l’AP », 13-3-1963.

37 AN Fontainebleau, 960136, art. 17, « PV de la commission de surveillance de la prison d’Orléans », 4-1-1965.

38 Exercice 1969, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1970, p. 96.

39 Ibid.

40 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Rapport sur “Les problèmes posés par les jeunes délinquants détenus incarcérés après échec de leur traitement dans les institutions d’éducation surveillée” », juill. 1969, p. 5.

41 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Enquête sur la détention préventive des mineurs et des majeurs, remise à jour du dossier établi en octobre 1966 », nov. 1969.

42 Ibid. « Fiche sur le quartier des mineurs des Baumettes », nov. 1969.

43 AN Fontainebleau, 960136, art.94, « Brochure de l’Union des jeunes avocats de Lyon », n. d. (début 1972).

44 Rolland F., « Les emmurées », Le Progrès, 2-9-1982.

45 Exercice 1970, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1971, p. 119.

46 « Conseil supérieur de l’AP–Séancedu30-1-1947 », op. cit., p. 184.

47 Exercice 1957, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1958, p. 11.

48 Faugeron C., « De la libération à la guerre d’Algérie », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 300.

49 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 90.

50 Exercice 1968, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1969, p. 83.

51 Ibid., p. 82.

52 AN Fontainebleau, 960136, art. 94, « Modifications apportées au CPP : décret n° 72-852 du 12-9-1972 », 30-12-1972, p. 32.

53 Ibid.

54 Trois condamnées mineures de 18 ans y sont alors incarcérées.

55 Azoulai M.,« La prison comme si vous y étiez », Nouvelles Littéraires, févr. 1981.

56 Schachtel M., op. cit., p. 53.

57 AFP, « Abus lors des fouilles générales », Dedans-Dehors, n° 24, mars 2001, p. 7.

58 « Prisonnières », dedans-dehors, n° 12, mars-avril 1999, p. 8.

59 AN Fontainebleau, 960136, art. 66, « Lettre de C. Neyme (CNFE) à la direction de l’ES », 7-5-1974.

60 Ibid., « Lettre de M. Fayard, de l’AP, à M. Neyme », 6-6-1974.

61 Exercice 1969, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1970, p. 97.

62 Ibid., p. 100.

63 Montaron J.-P., op. cit., p. 22.

64 Ibid.

65 Brachet M.-C., op. cit., p. 36.

66 Exercice 1974, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1975, p. 77-78.

67 Montaron J.-P., op. cit., p. 23.

68 Perez A., op. cit., p. 73.

69 Kajman M., » Femmes en prison », Le Monde, 20-9-1977.

70 Exercice 1979, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1981, n. p.

71 Haussonville G. (dir.), op. cit., p. 133 et 137.

72 Ibid., p. 136.

73 Malgré une différenciation qui s’est atténuée depuis la loi Falloux du 15-3-1850. Merle P., La démocratisation de l’enseignement, Paris, La découverte, 2002, p. 49-51.

74 Haussonville G. (dir.), op. cit., p. 139.

75 AD Vienne, 1Y139, Inspections diverses, 1920 à 1931.

76 AD Isère, 2Y14, « Rapports de fonctionnement de la direction pénitentiaire de l’Isère au préfet », 30-10-1882.

77 AD Isère, 2Y14, « Rapports sur les prisons de l’Isère », n. d. (oct. 1909).

78 Pierre M., « Les prisons de la IIIe République », in Petit J.-G. (dir.), op. cit., p. 282.

79 Décret du 19-1-1923, op. cit., art. 106. Décret du 29-6-1923, op. cit., art. 103.

80 Ibid.

81 Ibid., art. 106.

82 Vimont J.-C., op. cit., p. 51.

83 Merle P., op. cit., 122 p.

84 Meurillon R., op. cit., p. 16.

85 Ibid., p. 10.

86 Deux notes, des 22-1 et 5-6 1946 (rappel), demandent l’état des conditions dans lesquelles sont incarcérés les mineurs délinquants dans les MA de chaque région. AN Fontainebleau, 960279, art. 25, Dossier n° 99.

87 AN Fontainebleau, 960279, art. 25, Dossier n° 99, « Le dir. régional de Nancy au garde des Sceaux. Objet : exécution de la note relative aux mesures prises dans les MA concernant les mineurs », 17-6-1946.

88 Ibid., « Le dir. régional de Dijon au garde des Sceaux », 14-6-1946.

89 Cette pratique, est très probablement héritière du système des prévôts, ces détenus sélectionnés pour faire régner l’ordre dans les quartiers disciplinaires, méthode qui ne disparaît totalement qu’à la fin des années 1950.

90 AN Fontainebleau, 960279, art. 26, Dossier n° 108, « Note pour M. le dir. régional des services pénitentiaires à ------- », 20-8-1948.

91 Ibid., « Le dir. régional des services pénitentiaires de Lille à M. le garde des Sceaux », 24-9-1948.

92 Ibid., « Le dir. de la MA de Bordeaux à M. le garde des Sceaux », 13-10-1948.

93 Fonteix M.-T., « Les bibliothèques des prisons », Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 4 à 6, avril-juin 1948, p. 215.

94 Circ. du 29-12-1952, op. cit.

95 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Note pour MM. les directeurs de circonscriptions pénitentiaires. Objet : Régime de détention des mineurs dans les MA + extrait du CPP », 11-2-1954.

96 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 88.

97 Ibid., p. 90.

98 Ibid.

99 AN Fontainebleau, 960136, art. 134, « Note du bureau de l’application des peines au conseillé technique du cabinet de M. le garde des Sceaux. Objet : Participation des visiteurs et des aumôniers aux activités éducatives dans les établissements pénitentiaires », 9-7-1959.

100 Ibid.

101 Exercice 1959, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1960, p. 91.

102 Ibid., p. 90.

103 Ibid.

104 Ibid.

105 Exercice 1964, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1965, p. 55.

106 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note de service. Objet : Développement de l’enseignement scolaire dans les prisons », 5-9-1960.

107 AN Fontainebleau, 960136, art. 17, « Rapport d’information au nom de la Commission, annexe au PV de la séance du 9-11-1961 ».

108 En mars 1962, 2567 détenus âgés de 18 à 21 ans sont incarcérés dans les établissements pénitentiaires, 430 mineurs de 18 ans sont dans la même situation.

109 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Conclusion du groupe de travail chargé de l’étude des conditions de détention des mineurs et jeunes adultes », juin 1962, p. 4.

110 AN Fontainebleau, 960136, art. 66, « Visite trimestrielle des jeunes détenus – Art. 7 du décret du 12-4-1952 – MA de Strasbourg – Par le procureur général de la cour d’appel de Colmar », 13-3-1961. C’est la troisième fois que ce procureur fait la remarque de ce déficit d’instruction.

111 AN Fontainebleau, 960136, art. 14, « Rapport de visite du quartier J3 à Fresnes par MM. les magistrats Vignoux et Laplace au dir. de l’AP », 13-3-1963.

112 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Étude sur les crédits alloués pour rémunérer les instituteurs publics pour les années 1963-1964 – Réponses des différentes circonscriptions pénitentiaires », janv.-févr. 1964.

113 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Documents divers relatifs au recensement de l’équipement scolaire, culturel et des effectifs de jeunes détenus – Lettre de Robert Scmeck aux directeurs régionaux de l’AP », 27-2-1964.

114 Tableau établi par l’AP à partir des réponses des directeurs régionaux et rectifié à partir des réponses individuelles de chaque directeur. Chiffres droits = établis par l’administration (figurent dans les archives). Chiffres en italique = totaux (ne figurent pas dans les archives).

117 Même procédé que pour le tableau précédent.

118 Même procédé que pour les tableaux précédents.

119 Exercice 1964, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1965, p. 31-32.

120 Ibid., p. 55.

121 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note d’information sur l’enseignement scolaire dans les établissements pénitentiaires », 30-11-1964.

122 Ibid.

123 Le nom est modifié.

124 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note pour M. le dir. régional des services pénitentiaires de Paris. Objet : Affectation d’un détenu instituteur à la MA de Pontoise », 1-4-1963.

125 Exercice 1965, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1966, p. 9.

126 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Rapport de Me Roger, président de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Poitiers, à la suite de sa visite trimestrielle des MA de son ressort », 8-6-1966.

127 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note pour MM. les directeurs régionaux. Objet : interdiction de confier aux détenus des fonctions d’aide-enseignant », 19-2-1971.

128 AN Fontainebleau, 960136, art. 43, « Journées régionales de criminologie » des 9-10 févr. 1973 à Aix-Montpellier. « Les aspects criminologiques de la détention provisoire et du contrôle judiciaire. L’influence de la détention provisoire et du contrôle judiciaire sur l’évolution de la personnalité de l’inculpé par Charles Poulain, médecin chef des prisons de Marseille », févr. 1973.

129 Andebert S., Le suivi des mineurs incarcérés : contenu et difficultés de cette mission, CNFE-PJJ, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2004, p. 44.

130 Montaron J.-P., op. cit.

131 Rolland F., « Les emmurées », Le Progrès, 2-9-1982.

132 Meurillon R., op. cit., p. 16.

133 Fonteix M.-T., op. cit., p. 217-118.

134 AN Fontainebleau, 960136, art. 136, « Note d’information sur l’enseignement scolaire dans les établissements pénitentiaires », 30-11-1964.

135 Exercice 1965, Rapport général présenté à M. le garde des Sceaux par le dir. de l’AP, 1966, p. 8-9.

136 AN Fontainebleau, 960136, art. 137, « Le dir. du Centre provisoire de jeunes détenus de Fleury-Mérogis au dir. régional des services pénitentiaires de Paris. Objet : Organisation de l’enseignement scolaire dans les prisons », 20-11-1964.

137 Ibid., « Lettre du service pédagogique au dir. de l’AP. Objet : installation de deux instituteurs au centre de jeunes de Fleury-Mérogis », 28-9-1964.

138 Ibid., « Le dir. régional des services pénitentiaires de Paris à l’inspecteur d’Académie de Seine-et-Oise », 30-12-1964.

139 Meurillon R., op. cit., p. 10.

140 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Rapport d’inspection de la MA de Lisieux par X. Nicot », 17-31960.

141 Montaron J.-P., op. cit., p. 21.

142 Azoulai M., « La prison comme si vous y étiez », Nouvelles Littéraires, févr. 1981.

143 AN Fontainebleau, 960136, art. 45, « Étude sur le problème posé par les jeunes détenus incarcérés après échec de leur traitement dans les institutions pour mineurs délinquants. Situation de Fleury-Mérogis, lettre et commentaire du dir. régional », 28-4-1969.

144 Ibid., p. 67. Orthographe respectée.

145 Debard M., « La rentrée à l’école spécialisée des prisons de Lyon », libération, 28-9-1982.

146 Perez A., op. cit., p. 54.

147 Carlier C., Laurence C., La lutte contre l’illettrisme en prison (Enquête exploratoire conduite dans cinq établissements), Service des études et de l’organisation de l’AP, mai 1988, 91 p.

Notas finales

115 Dans les établissements qui reçoivent des mineurs de 18 ans.

116 Dont un oui ou il est précise « pourrait être améliore ».

Índice de ilustraciones

Título Document 6 – Statistiques des jeunes détenus incarcérés dans les établissements pénitentiaires et équipement scolaire : bilan par région pénitentiaire114.
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