La vaine recherche d’une prison pour mineur sans les inconvénients de la prison

1À la fin du xviii^e siècle, la condamnation à mort est limitée à un nombre réduit de crimes et les autres châtiments sont progressivement remplacés par l’enfermement, pratique et modulable. Dès lors, la peine de prison prend une importance qui ne cesse de croître1 et les modalités de la peine privative de liberté évoluent avec les changements politiques et sociaux. Devant les réserves soulevées par les humanistes qui considèrent que tous les enfermements recèlent un risque de contagion provoquée par les rencontres carcérales et qui, parallèlement, dénoncent des conditions de vie en détention particulièrement éprouvantes, des aménagements sont rapidement apportés à la prison pénale légale. D’une part, l’instauration de l’emprisonnement cellulaire doit remédier à la contamination des vices. D’autre part, les gouvernements successifs s’efforcent d’améliorer les conditions de vie en détention par la modernisation des établissements pénitentiaires et intègrent alors la pénibilité de l’enfermement dans le processus de rédemption auquel le détenu doit se soumettre. Désormais, l’individu coupable doit pouvoir s’amender puis s’améliorer, à l’occasion de sa détention, afin de retrouver sa place dans une société qui l’a momentanément isolé pour son bien et celui de ses concitoyens. Il n’en demeure pas moins que l’enfermement est surtout un dispositif pratique, peu onéreux et assez discret. Aussi est-il rapidement étendu aux plus jeunes qu’il faut isoler de leurs aînés.

2Philanthropes et autres politiciens se mettent donc à l’œuvre dès le début du xix^e. Ils mettent en place les premiers quartiers pour mineurs dans les centrales puis dans les maisons départementales. Après des essais de regroupement de la jeunesse délinquante à Sainte-Pélagie et aux Madelonnettes, les parisiens des années 1830 assistent finalement à la naissance de la très cellulaire Petite-Roquette. Cependant, les quartiers séparés ne donnent pas entière satisfaction tandis que l’isolement cellulaire de la prison pour enfants s’avère particulièrement coûteux. Ces constats débouchent sur la naissance, expérimentale puis officialisée en 1850, des colonies pénitentiaires, des « prisons aux champs » sans barreaux, dont l’utopie est de rééduquer les jeunes de justice par le travail de la terre, l’instruction et l’éducation religieuse. Dès leurs créations, il est prévu, au sein de ces institutions, d’y séparer les pupilles les plus difficiles de ceux susceptibles de s’amender. La France s’équipe donc de quartiers puis de colonies correctionnelles, prisons cachots aux côtés de la prison ouverte. Largement contestées, ces « maisons de correction » sont l’objet de fermeture dans le premier xx^e siècle pour les très disciplinaires Gaillon et Eysses, et de réformes pour les moins sévères, de Saint-Maurice à Cadillac, à la fin des années 1930. Les « prisons aux champs » deviennent des maisons d’éducation surveillée puis de grands internats ouverts, des institutions publiques d’éducation surveillée (IPES) et des Institutions spéciales d’éducation surveillée (ISES) qui n’ont presque plus de points communs avec leurs ancêtres. Mais des établissements hybrides entre la colonie et la prison côtoient ces institutions ouvertes et fermées.

3Filles et garçons sont parqués dans les prisons de Fresnes qui dissimulent habilement la nature indéniablement carcérale des locaux et du rythme quotidien sous les appellations aux résonances éducatives d’École de réforme et de Maison d’éducation surveillée. Le caractère cryptocarcéral de ces institutions n’en est pas moins particulièrement manifeste. Ces premiers essais d’établissements spécifiques et hybrides sont suivis par bien d’autres qui intègrent dans leurs projets éducatifs les nouveaux préceptes édictés par l’ordonnance du 2 février 1945 et par la réforme Amor. Les prisons-écoles, le CSOES et enfin les CJD sont autant de manifestations d’essais de créations de prisons sans les inconvénients de la prison. Toutes ces institutions ont en commun de chercher à éduquer et à former de jeunes personnes par les vertus pourtant régulièrement contestées de l’enfermement.

4Des colonies pénitentiaires à Fleury-Mérogis en passant par les quartiers des maisons d’arrêt, chacune de ces institutions n’entre pas obligatoirement dans la catégorie des prisons « ordinaires » pour mineurs auxquelles s’intéresse plus particulièrement cette étude. En effet, l’expression « prisons pour mineur » – et non seulement le terme de « prisons » employé seul – est à envisager avec circonspection. Manifestement, les institutions qui peuvent prétendre à cette appellation ne sont pas forcément dénommées ainsi alors que d’autres qui ont reçu ce nom de baptême peuvent en être exclues. Aussi cette première partie a consisté à éclaircir et construire ce concept par l’examen de l’évolution historique de chaque institution. En la matière, c’est l’histoire qui tranche.

5Ainsi, la colonie correctionnelle d’Eysses est, indéniablement, un véritable lieu d’enfermement pour adolescents, jugés coupables mais également acquittés pour non-discernement. Cependant, par le même chemin que celui emprunté par les colonies pénitentiaires, elle n’est pas une « prison pour mineur » mais une institution originale qui prend une place singulière dans la chaîne carcérale et possède son règlement et son mode de fonctionnement propre et indépendant. De plus, régulièrement dénoncée dans sa forme et dans son fond, elle est objet de réformes et de changements jusqu’à sa fermeture définitive. Bien qu’instrument particulièrement cruel de répression de la délinquance juvénile, elle n’est pas statique à l’inverse des « prisons pour mineurs ». Ainsi, les éphémères quartiers correctionnels situés au cœur des maisons d’arrêt, de par leur immobilisme institutionnel et de fonctionnement, peuvent être considérés comme des « prisons pour mineurs » tout à fait « ordinaires ». Leurs successeurs directs, les quartiers pour mineurs près des maisons d’arrêt encore en usage de nos jours, n’ont guère de différence que dans leur dénomination. S’il n’existe plus ni aujourd’hui, ni depuis plus de 50 ans, d’institutions comparables à Eysses et Gaillon, ce n’est pas le cas des quartiers réservés aux enfants dans les prisons départementales : le quartier pour mineurs de la maison d’arrêt d’Angers, aménagé en 1856, existe toujours et continue à recevoir son contingent d’adolescents. Aux côtés de ces quartiers classiques, naissent des quartiers et établissements spécifiques dont la politique est soit tournée vers l’apprentissage d’un métier soit vers l’observation et l’éducation. C’est ainsi que les prisons-écoles, le CSOES de Fresnes et ses homologues des Baumettes à Marseille et de Saint-Paul à Lyon, appartiennent bien à la catégorie des « prisons pour mineurs ». En effet, ces lieux, s’ils changent parfois d’appellation, ne subissent aucune modification, aucune restructuration radicale de leur naissance à aujourd’hui. Les prisons-écoles, conçues pour les jeunes condamnés majeurs pénaux, conservent un système progressif régulièrement déficient et qui n’empêche jamais un fort taux de récidive des anciens de l’institution. Mais, comme les prisons-écoles sont moins déshéritées que les maisons d’arrêt, des mineurs pénaux y sont délibérément envoyés, faute de mieux. Le Centre spécial d’observation de l’éducation surveillée est un échec, l’échec d’une utopie. La création du quartier spécial de Fresnes est une énième tentative pour créer une prison sans les inconvénients de la prison. Tels les philanthropes de la monarchie de Juillet érigeant la Petite-Roquette2, les dirigeants de l’éducation surveillée entendent enfermer pour redresser. Comme l’écrit Michel Foucault « la pénalité moderne n’ose plus dire qu’elle punit les crimes, elle prétend réadapter des délinquants3 ». Pour ce faire « elle voisine et cousine avec les sciences humaines4 ». Dans un établissement comme dans l’autre, les objectifs de la science positive, de l’amendement du délinquant à l’observation, s’élèvent jusqu’à la caricature. Véritables lieux d’enfermement, vraies prisons, dans l’esprit des contemporains, ils valent pourtant mieux que l’établissement pénitentiaire classique et sont perçus comme toujours mieux que la prison. De fait, ces établissements fonctionnent jusqu’à ce que la critique devienne trop véhémente et conduise à leur fermeture. Les prisons modèles n’ont pas une histoire plus glorieuse. Le manque de financement souvent mis en cause dans l’échec de l’enfermement pénal ne peut être le seul incriminé dans les effets néfastes que l’incarcération imprime sur les individus. La Petite-Roquette, les différents quartiers pour adolescents et adolescentes de Fresnes et Fleury-Mérogis n’ont guère manqué de moyens et pourtant ils sont rapidement devenus des prisons « ordinaires », surpeuplées, qui ont contribué, comme les autres, à la désocialisation de mineurs déjà marginalisés. De plus, l’enfermement en prison « ordinaire » ou spécifique se passe facilement, et légalement, de condamnation judiciaire, de l’incarcération civile à la très utilisée détention préventive.

6Le système carcéral semble ne pas être capable, seul, de se transformer. L’évolution de la vie quotidienne des mineurs dans ces différentes institutions est particulièrement révélatrice de ce phénomène.