1Permettre à des personnes en situation d’exclusion de s’insérer ou de reprendre leur place dans leur « territoire socio-professionnel », tel est le pari que tiennent quotidiennement les Ateliers de formation aux savoirs de base. Encore faut-il que les formateurs soient dans la mesure de reconnaître, dans une situation problématique, des potentiels, des possibilités cachées qu’une formation est susceptible de mettre à jour !

2S’inscrire dans un processus de recherche d’emploi ne relève pas non plus de l’évidence pour cette population en situation d’exclusion : il lui est nécessaire de trouver un terrain d’entente entre les exigences d’un poste de travail et les capacités, les compétences, les savoir-faire dont elle peut faire preuve. Ce public est fragilisé par sa situation précaire, à la limite de l’exclusion du territoire sociétal, et demande donc un traitement spécifique des difficultés rencontrées. Le questionnement concerne au premier chef le rapport entre une situation et une envie institutionnelle de remédier aux difficultés issues de cette situation. Comment ce public en difficulté peut-il dépasser l’image qu’il se fait de lui-même ? Comment traite-t-il ce problème de l’exclusion ? Comment une formation peut-elle aider à réduire ou atténuer sinon « éliminer » ces problèmes et ces difficultés ?

3Ces questions ont constitué les axes de débats de notre groupe de travail, dont nous rapportons dans cette contribution les principales réflexions. Ce groupe considère qu’en valorisant les savoirs déjà présents, les connaissances déjà acquises, les compétences déjà susceptibles d’être traduites en actes démontrables, le public en difficulté serait mis en mesure de montrer ce qu’il ne se croit plus capable de réaliser.

4Travailler avec des adultes en vue de l’insertion professionnelle requiert donc une double vision de la personne : d’abord une croyance en son éducabilité, plus exactement en sa capacité, après une prise de conscience de ce qu’elle a déjà pu produire, de dépasser ses réticences, ses représentations d’elle-même, pour atteindre et développer d’autres capacités et, partant, d’autres compétences susceptibles alors d’intéresser un futur employeur. Même quand il ne s’agit pas exclusivement de formation débouchant sur une attestation d’acquisition de compétences nouvelles, cette analyse de la représentation de soi peut mener à un développement ultérieur capable de changer la personne à plusieurs égards, notamment dans une perspective d’émergence d’autres capacités. Il n’est besoin que de signaler les avantages d’une telle prise de conscience dans un but non plus exclusivement professionnalisant, mais dans un but de développement sociétal pour que la personne soit davantage en mesure de dialoguer réellement avec son environnement (tel que le système scolaire institutionnel) en vue d’une meilleure adaptation à cet environnement, sans crainte ni a priori profondément dommageables à la vie familiale de la personne.

Des constats et un questionnement

5Les questions récurrentes pour les formateurs sont celles de la finalité du travail effectué autour d’adultes en situation d’illettrisme, du repérage de ces personnes, de la connaissance de leurs savoirs et savoir-faire.

6Le préalable à toute démarche de formation est de repérer les lieux d’où surgissent les difficultés rencontrées par cette population spécifique. Cette contribution ne veut pas faire une fois de plus le portrait de cette population. Qu’il soit juste fait mention de quelques particularités autour desquelles gravitera notre propos. Les difficultés du lire-écrire ne sont pas apparues du jour au lendemain. Un environnement parental ou familial déficitaire, un cursus scolaire chaotique, une adolescence problématique, une formation professionnelle difficile, autant d’événements qui, conjugués ou non, conduisent peu à peu une personne fragilisée à ne plus être en phase avec le reste de la société. Ce repérage ne consiste pas davantage à dénoncer telle ou telle institution qui se serait, à un moment donné, révélée défaillante, mais à tenir compte des faits constatés pour élaborer un dispositif de formation de ces personnes en réelle difficulté.

7À l’intérieur des formations dispensées par les Ateliers de formation aux savoirs de base, la finalité qui est l’entrée dans le savoir lire, écrire et compter est, souvent pour des raisons de financement de projets, assujettie à des questions d’ordre social ou sociétal1. La motivation des apprenants, en effet, ne se suffit pas de l’approche purement théorique de ces apprentissages, mais rejoint des préoccupations pratiques d’ordre social de réinsertion dans une société du travail. Les financeurs publics, quant à eux, répugnent à octroyer des aides à des formations dont le but ne consisterait qu’en une simple remise à niveau des savoirs de base : leur objectif est davantage de pourvoir à la remise au travail des populations en situation d’exclusion, afin d’une part, d’éviter que les mannes financières distribuées à ce titre ne se multiplient, et d’autre part, de préserver une paix sociale qui, si elle souffre parfois de quelques soubresauts, n’en reste pas moins relativement effective grâce précisément à ces mesures.

8La question qui revient sans cesse est celle du lien entre les compétences réelles exigées par les postes de travail et les dispositifs de formation mis en place dans le cadre de l’alphabétisation et de la formation aux savoirs de base chez les adultes. L’enjeu a alors été de mieux définir les profils de postes dans les entreprises, de façon à mettre en place des dispositifs de formation qui répondent davantage aux exigences de l’entreprise. En même temps, on a recensé les outils pédagogiques de type informatique utilisés par les associations locales pour former ce public, afin d’analyser leur contenu (en en esquissant une évaluation des effets), puis on a réfléchi autour de l’outil portefeuille de compétences, qui selon nous devait permettre à l’apprenant de présenter ses savoir-faire avec plus d’efficacité lors d’un entretien d’embauche. Afin de mieux s’approprier cet outil, le groupe en a fait tout d’abord un usage interne afin d’en cerner toutes les composantes, les fondements mais aussi les limites. Ce travail sur le portefeuille de compétences a été conduit dans le souci permanent des formateurs de ne pas réduire la personne à un niveau, mais de la valoriser en mettant en évidence la personne et l’ensemble de son potentiel, utilisable ou non dans sa recherche de réinsertions, qu’il s’agisse d’une réinsertion professionnelle, sociale, familiale ou personnelle.

9La mise en évidence du potentiel de chaque apprenant pose la question du repérage des savoir-faire. Les apprenants disposent de savoir-faire qu’ils peinent non seulement à définir lors des formations, à mettre en valeur lors d’entretiens d’embauche, mais plus simplement à exprimer et à présenter, puisqu’ils n’ont fait l’objet d’aucune certification officielle.

10Si le problème de l’oralisation et de la certification de ces savoir-faire reste entier, l’expérience n’en a pas moins nourri leur émergence. Il est important dès lors de transformer ce « déjà-là », de s’appuyer sur ce « déjà-là » pour que « ce que l’homme a acquis de savoirs et de savoir-faire dans une situation précédente devienne un instrument de compréhension et d’action efficace dans les situations suivantes » (Dewey, 19382).

11Travailler sur le portefeuille de compétences a conduit inévitablement à se poser la question de la définition des concepts et du contenu épistémologique de la notion de compétence. En effet, une confusion latente ne cessait de revenir à la surface et l’on tendait à assimiler connaissances et compétences. Quelles sont les caractéristiques qui différencient ces deux concepts ?

Compétences et connaissances, savoirs et savoir-faire

12La confusion sémantique entre ce qui relève de la compétence, ce qui relève de la connaissance, ce qui relève du savoir et ce qui relève du savoir-faire se retrouve également chez les spécialistes qui ont du mal à cerner le contenu de chacun de ces termes.

13Si Philippe Perrenoud (1995, p. 20-24) propose de réserver la notion de compétences à des « savoir-faire de haut niveau, qui exigent l’intégration de multiples ressources cognitives dans le traitement de situations complexes », il n’en propose pas moins de donner une légitimité à la synonymie entre compétence et savoir-faire, même si l’on « place dans le même ensemble des savoir-faire extrêmement spécifiques – savoir ouvrir une boîte de conserve – et des savoir-faire composites, par exemple gagner une élection » (ibid.). Il refuse toutefois d’assimiler une compétence à un objectif, parce la pédagogie par objectif peut « ne pas se soucier du transfert des connaissances, encore moins de leur mobilisation, face à des situations complexes », ou de l’opposer à une performance potentielle dont « la seule vertu est d’opposer des dispositions virtuelles à leur actualisation, sans rien dire de leur nature “ontologique” » (ibid.).

14Perrenoud rapproche la compétence, en tant que « capacité de traitement d’une classe de problèmes, autrement dit d’un ensemble de situations de même structure appelant des décisions et des actions de même type », du schème piagétien qu’il définit comme la « structure invariante de l’action qui permet, au prix d’accommodations mineures, de faire face à une variété de situations semblables » (ibid.). Mais il en souligne une différence essentielle :

Le schème est une totalité constituée, qui sous-tend un seul geste ou une seule opération mentale, alors que la compétence est investie dans une entreprise plus complexe, mobilisant de multiples ressources cognitives d’ordres différents : schèmes de perception, de pensée, d’action, intuitions, suppositions, opinions, valeurs, représentations construites du réel, savoirs, le tout se combinant dans une stratégie de résolution de problème au prix d’un raisonnement, d’inférences, d’anticipations, d’estimation des probabilités respectives de divers événements, de diagnostic à partir d’un ensemble d’indices, etc. En pratique, un schème sophistiqué permet de faire face à certaines situations complexes aussi bien qu’une compétence élémentaire, mais c’est parce que cette dernière, initialement constituée au travers d’une chaîne de raisonnements explicites et de décisions conscientes, s’est graduellement automatisée, devenant un nouveau schème apte à fonctionner comme cet « inconscient pratique » dont parle Piaget, ou ces « connaissances-en-actes » dont parle Vergnaud (1990) (Perrenoud, op. cit., p. 20-24).

15Les connaissances, représentations organisées du réel ou de l’action sur le réel constituent selon Perrenoud :

Des ressources cognitives souvent essentielles dans la constitution d’une compétence. […] Les compétences professionnelles comportent toujours une part de raison pratique fondée sur certains savoirs. Il n’est pas indifférent que ces savoirs soient issus de l’expérience personnelle ou collective, du sens commun, de la tradition ou d’une culture professionnelle plutôt que de la science. Ce ne sont pas moins des savoirs à part entière, qui sous-tendent l’action au même titre que les savoirs les plus savants (ibid.).

16Toutefois, il n’est pas nécessaire d’être un peintre professionnel pour repeindre une porte ou une fenêtre, même si l’on doit reconnaître qu’il s’agit là aussi d’une tâche relativement complexe. C’est en cela d’ailleurs qu’elle devient une compétence, dans la mesure où l’ensemble des gestes, des postures, voire des paroles traduisent une stratégie qui confine au professionnalisme. La pratique d’une compétence professionnelle ne fait donc pas toujours l’objet d’une certification, et pourtant, cette pratique peut être professionnalisée et devenir par là une compétence professionnelle.

17C’est justement ce qui pose problème au sein de la population concernée par nos travaux : ses membres disposent de réelles compétences qui n’ont pas été professionnalisées ou qui sont en voie de l’être. Ces compétences n’ont jamais fait l’objet de certification et ne peuvent donc être reconnues que si le sujet accepte non seulement de les décrire, mais également d’en montrer l’efficience. Il n’en reste pas moins que la définition du concept de compétence se retrouve aux deux niveaux, tant cognitif que métacognitif. Il s’agit de définir ce qui peut faire l’objet d’une étude des compétences acquises lors de la vie extra-professionnelle du sujet, car toutes ces compétences peuvent être appelées à entrer dans le jeu de l’insertion. Certes, les compétences professionnelles sont fondamentales, puisque ce sont elles qui vont conduire à l’emploi, mais d’autres compétences peuvent et parfois doivent être appelées à la rescousse. On peut évoquer l’« hygiène et la présentation », qui se déclinent en plusieurs « sous-compétences » nécessaires aux exigences du travail en société ; la « ponctualité » qui est une exigence du travail socialisé. On peut également citer d’autres domaines de compétences qui relèvent davantage du domaine familial ou du domaine « privé » : responsabilité partagée dans le domaine familial ou, plus largement, social.

Aider à identifier les compétences…

18Mais comment identifier ces compétences chez des personnes qui ont des difficultés à conceptualiser et à exprimer leurs connaissances et leurs savoirs ? Comment aider ces personnes à identifier ces compétences non professionnelles dont elles disposent pourtant ?

19Certes, nous ne pouvons qu’affirmer avec Gérard Vergnaud (1990) qu’il existe un décalage important entre une forme opératoire et une forme prédicative de la connaissance, entre une forme des connaissances en actes et des connaissances en mots. Il convient de distinguer la mise en mots des actions réalisées.

20Par ailleurs, la difficulté de cette population particulière pose la question du recensement de ses connaissances et de ses compétences. Comment approcher l’ensemble des compétences d’un sujet si ce n’est en lui faisant oraliser son expérience ? Qu’a-t-il fait qui ne lui soit pas conscient ? L’oralisation participe grandement de la prise de conscience des connaissances issues de, ou présentes dans l’expérience, en mettant des mots sur des gestes. Prendre conscience de tout ce que l’on a besoin de savoir pour faire des gestes, requiert des savoirs de base qui sont déjà là. Pour organiser un goûter, « il faut que je sache compter les tartines ». Démontrer la réalité d’une connaissance, afin de la faire valider par un groupe, par le formateur ou par une instance extérieure, dépend de cette phase d’explicitation et d’oralisation de la compétence.

21Le recensement des connaissances d’une personne est un exercice difficile et demande qu’il soit tenu compte à la fois des résultats attendus de la mise en œuvre de ces connaissances et des ressources nécessaires sans lesquelles ces connaissances ne peuvent être mises en œuvre. La personne concernée, l’entourage familial ou social de cette personne, sont susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations de la personne. Ces confirmations conduisent à une sorte de diagnostic grâce auquel on peut cerner davantage – même si sa fiabilité n’est pas entière – le potentiel de la personne.

22Cette phase d’oralisation est importante, car l’énonciation participe à la valorisation du geste. Elle favorise en même temps les interactions entre les apprenants et aide la personne à s’exprimer, à nommer même les évidences, à préciser les gestes qui font partie de la prise de conscience des savoirs. Mais elle n’est pas suffisante, parce que, à cause de son caractère fragile, furtif, passager, elle ne laisse pas de trace, elle n’est pas lisible par l’extérieur.

… et à les formaliser…

23À cette phase d’oralisation succède donc une phase de passage à l’écrit. Cette phase de la formalisation écrite constitue l’une des réponses aux objectifs affichés ou imposés des AFB.

24Le passage de l’oral à l’écrit permet à la fois à l’apprenant et au formateur de garder une trace de l’oral. Il est nécessaire en effet de permettre à l’apprenant de reprendre le processus là où il s’est arrêté, de partager sa progression, s’il en a le désir, avec le groupe d’apprentissage. La trace écrite est en outre archivable, transportable, amendable, non seulement à l’intérieur de l’AFB, mais aussi chez soi, dans un contexte moins officiel que celui de la formation dans laquelle le sujet s’inscrit.

25Le portefeuille de compétences est un outil qui répond à ces exigences dans la mesure où il formalise à la fois l’acquis et le non-acquis, à la suite d’une oralisation qui consiste à expliciter les objets que l’on représente. La souplesse de l’outil et la variété des formes qu’il peut revêtir, permettent au portefeuille de compétences d’être un auxiliaire précieux de ce passage à la formalisation écrite.

… pour les visualiser…

26Les nouvelles technologies de l’informatique et de la communication nous montrent chaque jour l’importance du lien entre l’écrit et l’image et il devient nécessaire de pouvoir présenter de façon synthétique, sur un support, ce que l’on se sent capable de faire, ce que l’on a décrit et formalisé, tout d’abord de façon linéaire, sous la forme d’énoncés.

27La visualisation des compétences de la personne sous la forme d’un arbre présente les intérêts suivants. La représentation arborescente a l’avantage de ne pas figer la visualisation mais de laisser à l’individu la possibilité d’une évolution ; elle permet également à l’individu de travailler sur chacun des objets représentés, en cherchant à en définir une hiérarchie ; de multiplier les branches de l’arborescence ; de faire se développer des pans entiers en décomposant les gestes nécessaires avant de les recomposer ou de les rattacher à un objet plus général.

28À cet arbre de compétences peut-être intégré un arbre de connaissances. L’arbre des connaissances de Michel Authier et Pierre Lévy (1996) constitue un dispositif pratique qui part de la description des connaissances individuelles pour les mettre au service d’un collectif. L’individu n’est pas ici le seul à vouloir se voir, mais le collectif a le même besoin de se voir, de connaître et d’optimiser ses ressources, leur exploitation et leur évolution. Sous la forme d’une carte, l’arbre donne des informations sur le territoire (social, sociétal, professionnel…) et des indications pour s’y orienter ; il permet à chacun d’avoir une représentation dynamique de toutes les actions faites par lui-même et par les autres acteurs de la communauté avec laquelle il poursuit un but commun. Il permet en outre de mettre en évidence les liens qui existent entre l’individu et son environnement, et donc de favoriser les interactions entre l’individu et le groupe dont il fait partie.

29La mutualisation des connaissances des personnes dans un dispositif de formation est une dynamique pour chacun des participants du groupe et l’un des intérêts de l’arbre des connaissances consiste justement à montrer, à visualiser ce dont un individu est, professionnellement ou non, capable à l’intérieur d’une entreprise ou d’un groupe. Cet arbre requiert en outre un nécessaire travail de conceptualisation et se trouve en définitive être l’œuvre à la fois personnelle et commune de chacun des individus composant le groupe.

30Le concept de connaissance et celui de compétence s’enrichissent et se précisent à la fois puisqu’on y adjoint ceux de brevet et de blason, issus de la terminologie d’Authier et de Lévy (1996). Le brevet sert à identifier les richesses particulières portées par les individus. Le blason consiste en l’ensemble des brevets d’un individu à l’intérieur de l’arbre.

31Le problème posé par cette représentation est sa finalité, une finalité que les auteurs ne cachent d’ailleurs pas : l’arbre est un instrument à vocation multiple qui concerne à la fois la personne qui est à la base du renseignement, « l’exploitant » qui cherche à utiliser au mieux les compétences déclarées, certifiées ou potentielles présentes, le « facilitateur » qui a pour tâche de mettre en rapport les besoins de formation de la première et les besoins stratégiques du deuxième. Cet arbre cache une forêt de questionnements éthiques : instrument de communication, il peut devenir un instrument d’évaluation, voire un instrument d’anticipation, avec, comme l’a souligné Michèle Jubeau, présidente de l’ADLI du Maine et Loire3, toutes les dérives qui sont susceptibles de rendre les problèmes d’un public, déjà fragilisé par les circonstances de la vie ordinaire, encore plus difficiles à résoudre.

32De plus, le logiciel correspondant à l’arbre de connaissance que nous avons analysé ne semble pas être utilisable dans les AFB. Le public d’apprenants et de formateurs aurait semble-t-il beaucoup de mal à s’approprier l’outil et ses objectifs, parce qu’ils sont définis à l’avance. Il existe en effet un catalogue de connaissances à l’intérieur duquel il est nécessaire de chercher ce qui correspond le mieux à l’individu, mais chacune des connaissances du catalogue demande à être également décrite, précisée, brevetée, certifiée.

33Par ailleurs, chaque AFB disposait déjà d’un outil qu’il aimerait perfectionner et adapter davantage à chacune des situations rencontrées sur le terrain. Il peut s’agir d’une représentation « papier » qui illustre la « carte de la personne », mais il existait aussi des essais de représentations informatisées qui se heurtaient à des difficultés techniques que les formateurs n’arrivaient pas à résoudre tout à fait.

Un arbre nouveau

34Au-delà de la question du choix du support de l’arbre, papier ou informatisé, le plus approprié, s’est posée la question de son contenu, limité aux compétences professionnelles ou étendu au domaine personnel. Si l’arbre des compétences professionnelles est adapté au contexte précis de l’insertion professionnelle, le besoin des AFB est autre. Bien sûr, comme nous l’avons déjà dit plus haut, la formation professionnelle fait partie de leurs préoccupations quotidiennes, mais les personnes qu’on y rencontre ne souffrent pas que d’un déficit professionnel. Le besoin de ces personnes est aussi de pouvoir se retrouver elles-mêmes, avant de s’insérer dans les différents territoires où elles évoluent. Une représentation arborescente doit donc pouvoir tenir compte de ces différentes facettes de la personne. C’est pourquoi nous avons travaillé sur un arbre à plusieurs « troncs ».

• Le tronc des compétences concerne, comme les arbres précurseurs, directement l’insertion professionnelle de la personne. C’est celui autour duquel s’organise la formation professionnelle.
• Le tronc des savoirs s’appuie davantage sur l’évolutivité. Il présente les savoirs susceptibles d’être acquis ou développés par la formation à partir des projets de l’apprenant et doit permettre une insertion dans son territoire social ou sociétal.
• Le tronc de la vie présente, grâce à ses racines, plus ou moins profondes selon les circonstances, les événements principaux et le portrait des personnages capitaux de la vie de la personne. Le tronc de la vie permet à la personne de revenir s’insérer dans son histoire et dans son territoire personnels et de lui octroyer, au long de sa formation, cette autre dimension qui lui procure cette confiance en soi qui manque aux personnes en difficulté.

35Cette mise en valeur arborescente des compétences repose enfin sur une charte d’utilisation des arbres qui affirme cinq points fondamentaux :

• la nécessité d’une formation personnelle à côté d’une formation professionnelle ;
• la nécessité que les compétences de la personne puissent être reconnues par une validation sous-tendue par leur verbalisation ;
• la nécessité du caractère personnel des compétences ;
• la nécessité de l’évolutivité des compétences et de leur représentation arborescente ;
• la nécessité de l’utilisation positive de la représentation arborescente : un tel outil ne peut être utilisé à d’autres fins qu’une promotion positive valorisant la personne elle-même.

36Dans cette charte est également soulignée l’importance de la promotion positive de la personne à laquelle l’image de l’arbre semble être si bien adaptée.

Et l’insertion ?

37Il ne sert à rien de souhaiter valoriser la personne sans lui permettre de jouir des valeurs qu’elle porte. Cette jouissance ne peut s’exercer que dans la mesure où l’environnement permet à la personne de s’y insérer pleinement.

38En essayant d’atomiser le concept d’insertion, on s’est aperçu que les représentations, ne serait-ce qu’au sein du groupe de travail, sont loin d’être univoques. Avant donc de mettre le concept « sous notre microscope » et d’en retirer une définition, il semble important de faire état des diverses représentations que ce mot comporte. Les représentations sont-elles les mêmes chez les personnes en difficulté dans le lire-écrire, à l’intérieur des entreprises ou chez les décideurs politiques ? Qu’est-ce qu’une insertion professionnelle ? En quoi consiste une insertion personnelle ? Autant de questions qui restent ouvertes mais que la valorisation des compétences personnelles peut aider à éclairer.