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Le peuplement comme politiques

 | 
Fabien Desage
, 
Christelle Morel Journel
, 
Valérie Sala Pala

Deuxième partie. Les politiques de peuplement comme entreprises de catégorisation

Le logement des « acteurs clés » (Paris) et des key workers (Londres) : un instrument de régulation du peuplement urbain ?

Lydie Launay

Texte intégral

  • 1 Morel Journel C., Sala Pala V., « Le peuplement, catégorie montante des politiques urbaines néolib (...)
  • 2 Cole I., Goodchild B., « Social Balance and Mixed Neighbourhoods in Britain since 1979 : A Review (...)
  • 3 Voir à ce sujet : Bacqué M-H., Fol S., « Effets de quartier : enjeux scientifiques et politiques d (...)
  • 4 Tanter A., Toubon J.-C., « Mixité sociale et politiques de peuplement : genèse de l’ethnicisation (...)
  • 5 Cf. le dossier d’Espaces et sociétés, « Les paradoxes de la mixité », vol. 140-141, 2010.

1La thématique du peuplement, encore peu explorée en tant que telle dans les travaux français1, est essentiellement débattue en France et en Grande-Bretagne à travers la question de la mixité sociale et des politiques urbaines qui tentent de la promouvoir depuis une vingtaine d’années2. Dans un contexte de précarisation sociale, la mixité devient une catégorie de pensée et d’action privilégiée des actions publiques territorialisées visant à intervenir, à différentes échelles et au moyen de divers instruments, sur la localisation résidentielle des groupes sociaux, dans une logique d’insertion sociale par le territoire. Le recours à la mixité repose sur un double postulat. D’une part, la concentration de la pauvreté générerait des effets agissant de façon néfaste sur les parcours sociaux des ménages les plus fragiles3. D’autre part, leur mise en cohabitation avec des populations jugées mieux intégrées dans la société générerait une émulation sociale et économique censée profitable à tous4. Jouissant d’une valeur positive sans cesse renouvelée dans les politiques urbaines et de l’habitat, la mixité s’impose progressivement comme un instrument et un objectif central des opérations visant à intervenir sur le peuplement urbain, malgré les nombreuses réserves formulées par les chercheurs dont les travaux pointent les résultats mitigés de sa promotion, tant sur ses modalités d’application que sur ses effets sociaux5.

  • 6 En France, le logement aidé comprend le parc locatif social, intermédiaire ainsi que l’accession s (...)
  • 7 Le Greater London Authority élabore la stratégie de mixité par l’habitat à l’échelle métropolitain (...)

2Ce référentiel est au cœur des stratégies de mixité par l’habitat conduites, depuis le début des années 2000, à Paris et à Londres dans une perspective de « rééquilibrage social » de la ville. Face à la dualisation annoncée de ces deux capitales mondiales et dans un contexte de compétition interurbaine, la mairie de Paris et le Greater London Authority tentent de réorienter la production et le peuplement du logement aidé6 dans le but de soutenir la cohésion sociale et la compétitivité de la ville. Pour ce faire, ces deux instances locales7 mobilisent de nouvelles catégories de populations, appelées les Acteurs clés de la ville (ACV) à Paris, les Key Workers (KW) à Londres, dont les activités socioprofessionnelles sont considérées comme indispensables au fonctionnement optimum de la ville. Ce sont ces deux catégories qui sont placées au centre de notre réflexion. Qui sont les acteurs clés de la ville et les Key Workers ? Quels groupes de populations sont ainsi mis en catégorie ? Quelles opportunités représentent le recours à ces catégories pour réaliser les objectifs de cohésion et de compétitivité des deux métropoles ? De quelle manière sont-elles mobilisées pour intervenir sur le peuplement urbain à l’échelle de la ville et de la métropole ainsi qu’à des échelles plus fines, dans des configurations urbaines aussi différentes que les beaux quartiers et les quartiers populaires ?

  • 8 Raco M., « Key Worker Housing, Welfare Reform and the New Spatial Policy in England », Regional St (...)
  • 9 Harvey D., « From Managerialism to Entrepreneurialism : The Transformation in Urban Governance in (...)
  • 10 Peck J., Tickell A., « Neoliberalizing Space », Antipode, vol. 34, no 3, 2002, p. 380-404.
  • 11 Florida R., Cities and the Creative Class, New York, London, Routledge, 2005.
  • 12 Le Galès P., « Regulations and Governance in European Cities », International Journal of Urban and (...)

3En vue de développer cette réflexion, nous mobilisons les travaux du géographe britannique M. Raco8 inspirés des thèses néomarxistes9 qui montrent que la catégorie KW a été forgée à l’échelle nationale, dans un contexte de néolibéralisation10, et s’inscrit dans le cadre plus large de la restructuration des politiques sociales territorialisées, engagée par le New Labour, dans une logique d’adaptation aux contraintes du capitalisme mondial. Sous l’influence des thèses autour de la « creative class » portées par R. Florida11, l’État mise dorénavant sur l’attractivité des villes, devenues une échelle clé de la compétitivité nationale, afin de capter les capitaux mobiles liés aux activités tertiaires stratégiques et les classes moyennes et supérieures qui y sont associées. Tout en considérant les divergences existantes entre les deux catégories (KW et ACV) et plus largement, entre ces deux stratégies (aussi bien en termes d’échelles que d’instruments mobilisés), cette conceptualisation des KW nous semble éclairante pour comprendre le rôle attribué au logement de ces groupes de population et interroger sa fonction régulatrice du peuplement urbain qui s’inscrirait dans une perspective de reproduction du régime post-fordiste12. C’est en effet à partir de leur localisation et de leur mobilité résidentielle que sont opérés, à différentes échelles et selon les types de cohabitations souhaitées ou non désirées, les « rééquilibrages sociaux » afin de répondre aux deux enjeux interconnectés, et pourtant contradictoires, du soutien de la cohésion et de la compétitivité de ces deux villes-capitales.

  • 13 Cet article repose sur la réalisation d’un doctorat en sociologie portant sur les politiques de mi (...)

4Sur la base d’une double démarche comparative13, cet article analyse dans un premier temps le cadre de pensée à partir duquel sont mobilisées ces catégories de population. Il montre que leur émergence dans ces stratégies locales est étroitement liée à l’annonce d’une dualisation urbaine. L’explicitation des opérations de définition et de classement permet de dévoiler dans un deuxième temps les représentations positives ou négatives que les porteurs de ces stratégies associent à la présence des groupes sociaux dans la ville. La comparaison entre les beaux quartiers (Chelsea/Kensington and Chelsea et les Champs/8e arrondissement) et les quartiers populaires (Shadwell/Tower Hamlets et la Goutte d’Or/18e arrondissement) révèle qu’à cette première entrée par les catégories de populations s’articule une deuxième, axée sur les espaces. Autrement dit, les régulations à opérer varient selon la configuration sociale des espaces considérés qui est, nous le verrons, plus ou moins discutée selon le contexte territorial local.

5Pour explorer cette question, nous mobilisons un corpus diversifié, constitué entre 2006 et 2009. À l’échelle de l’agglomération londonienne, nous avons étudié le London Plan et le London Housing Strategy et, dans le cas parisien, le Programme local de l’habitat et le plan local d’urbanisme. En complément, nous avons réalisé des entretiens avec les chefs de cabinet successifs de l’adjoint au maire chargé du logement de la Ville de Paris, qui ont porté cette stratégie, B. Tallec (2001-2006), G. Caron-Thibault (2006-2008) et D. Steinfeld (2008-2014). À l’échelle des boroughs et des arrondissements, nous avons analysé les documents programmatiques et effectué des entretiens avec les responsables du service logement et urbanisme des boroughs, le maire du 8e arrondissement, l’adjoint au maire chargé de l’urbanisme du 18e arrondissement, des chargés de mission ainsi qu’avec des responsables d’organismes de logement social, engagés dans la programmation et le peuplement des logements aidés.

La mixité au service de la cohésion et de la compétitivité

  • 14 Entretien de B. Delanoë paru dans le Moniteur du 1er décembre 2006.
  • 15 Biville S., « Londres menacé d’“épuration sociale”, selon son maire », publié sur le site du journ (...)
  • 16 Lelévrier C., « La mixité sociale et les politiques urbaines », Passages, no 109-110, mai-juin 200 (...)

6Si la question du peuplement est absente des discours, elle transparaît à travers celle positivement connotée de la mixité sociale. Le maire socialiste, Bertrand Delanoë, la désigne comme « un objectif décisif pour l’identité même de Paris14 ». Le maire conservateur, Boris Johnson, la présente comme un des moteurs de l’attractivité et de la richesse de Londres : « Pourquoi est-ce si fantastique de vivre à Londres ? Parce que c’est une ville d’une grande diversité, où des gens de différents milieux sociaux vivent côte à côte15. » Si l’adhésion de ces élus à la mixité s’inscrit dans un discours général convenu auquel il paraît difficile de s’opposer tant la mixité est liée à l’égalité et à la justice sociale16, elle ne se réduit pas à un mot d’ordre. Elle constitue le référentiel central de l’action publique locale en matière de logement et d’habitat.

Paris et Londres, le récit partagé de la ville duale

  • 17 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, Greater London Authorit (...)

7L’élaboration de stratégies de mixité par l’habitat se fonde sur la dualisation annoncée des deux capitales. Dès l’introduction du London Plan, la globalisation économique est présentée comme un facteur « de polarisation sociale et économique », dont la principale conséquence serait une « exclusion sociale et une discrimination continue qui affecte tout particulièrement les populations issues des minorités ethniques17 ». La crainte d’une accentuation de la polarisation et de ses conséquences sur les populations les plus fragiles anime l’action publique londonienne qui incorpore la mixité résidentielle comme l’un de ses principes fondamentaux :

  • 18 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, op. cit. p. 3.

« Le danger est la polarisation sociale : une ville en deux parties avec d’un côté, une richesse croissante et de l’autre, une exclusion sociale bien établie. Le logement a un rôle clé à jouer en soutenant la croissance économique, en réalisant une plus grande inclusion sociale et en satisfaisant les différents besoins des diverses communautés de Londres18. »

8Dans les discours parisiens, la dualisation serait le produit des départs contraints d’une partie croissante des « couches intermédiaires » vers les espaces périphériques :

  • 19 Mairie de Paris, Programme local de l’habitat, 2003, p. 10.

« Paris ne doit pas devenir la ville “des plus aisés et des plus aidés”, être réservée à ceux dont les revenus offrent la possibilité d’accéder à un logement privé cher, et à l’autre bout de la chaîne du logement, les occupants du social, dont les études récentes montrent la paupérisation grandissante, avec au final la disparition progressive des maillons centraux de cette chaîne du logement, à l’image de ce que connaît une capitale comme Londres. Pour être équilibrée et fonctionnelle, la ville doit aussi permettre aux couches intermédiaires, qui participent également à la vie de la cité, de pouvoir s’y maintenir19. »

  • 20 Sassen S., La Ville globale, New York, Londres, Tokyo, Paris, Decartes et Cie, 1996. Cette théorie (...)

9La « ville duale », théorisée par la sociologue américaine S. Sassen20, constitue le schéma explicatif à travers lequel sont lues les reconfigurations socio-spatiales des deux métropoles. Le renforcement de la ségrégation, produit par l’élévation quasi continue des prix de l’immobilier depuis les années 1990 sous l’effet de la spéculation, représente un problème majeur pour les pouvoirs publics locaux.

Les enjeux de cohésion et compétitivité de la ville

10La dualisation annoncée légitime dès lors l’élaboration de stratégies de mixité par l’habitat qui accordent une place centrale au logement des ACV et des KW dans le but de relever les enjeux de cohésion et de compétitivité de la ville.

  • 21 Tissot S., L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Paris, Éditions d (...)
  • 22 Mairie de Paris, Programme local de l’habitat, op. cit., p. 6.
  • 23 Mairie de Paris, Introduction du Programme local de l’habitat, site Internet de la ville de Paris (...)
  • 24 Mayor of London, London Plan, 2004, p. 4.
  • 25 Ibid., p. 4.

11Premièrement, la cohésion sociale de la ville serait menacée par la persistance de la pauvreté dans les quartiers d’habitat social, pourtant ciblés par des politiques urbaines depuis plus de vingt ans. La municipalité parisienne qui, à l’instar des discours nationaux, dépeint les quartiers populaires comme des « territoires à problèmes21 » note la « persistance de situations de pauvreté et d’exclusion dans certains quartiers de la capitale22 ». En favorisant la mixité, Bertrand Delanoë entend « s’attaquer aux inégalités sociales et territoriales pour bâtir un Paris plus juste et plus solidaire23 ». À Londres, l’enjeu de la cohésion passe par des politiques de lutte contre les discriminations pour tenter de faire profiter les quartiers populaires et leurs habitants des bénéfices de la croissance économique de la ville. Ken Livingston, maire du Grand Londres de 2000 à 2008, souhaite promouvoir « l’inclusion sociale pour donner à tous les Londoniens l’opportunité de partager le succès à venir de Londres24 », et ceci spécifiquement dans « les zones d’habitat déprécié [qui] tendent à être habitées par des ménages aux revenus bas, confrontés au chômage, peu qualifiés, au faible niveau d’instruction et à la santé fragile25 ».

12Dans les deux cas, la concentration du logement social est pointée comme le principal facteur explicatif du développement de cette pauvreté, tout au moins de sa persistance :

« Le logement social correspond à des revenus, donc si on a dans un même quartier uniquement une population avec un même type de revenus, on a les mêmes difficultés sociales […]. Et le problème, c’est que si l’on concentre dans le même endroit des personnes qui ont les mêmes problématiques, on concentre à un même endroit des problématiques qui deviennent des problèmes et c’est ça qui crée des tensions entre les territoires » (G. Caron-Thibault, mairie de Paris).
« Je ne pense pas que ce soit bénéfique pour les personnes, et tout spécialement celles qui vivent de revenus de transfert, elles ne travaillent pas et si elles ne voient pas leurs voisins aller travailler tous les matins, elles sont coupées. Je pense que ces gens sont influencés par leur environnement, il influence leurs décisions, c’est pour cette raison qu’il doit être équilibré » (responsable du service Logement, Kensington and Chelsea).

13Cette croyance partagée en l’existence d’« effets de quartier » amène les acteurs locaux à organiser une déconcentration de la pauvreté dans le but de lutter contre les inégalités qui affectent les ménages pauvres et par extension, la société urbaine dans son ensemble.

14Le deuxième enjeu est la compétitivité, attribuant ainsi à la mixité et donc au peuplement, une fonction dans le développement économique de ces villes. D’une part, la lutte contre l’« exclusion » (à Paris) et les discriminations territoriales (à Londres) passe par le retour à l’emploi ou l’amélioration des conditions d’emploi des ménages pauvres, le dynamisme économique de la ville y contribuerait en élargissant les opportunités d’emploi. D’autre part, le fonctionnement optimal d’une ville, élément fondamental de sa compétitivité, nécessite la présence de catégories socioprofessionnelles variées sur son territoire, de l’employé de nettoyage au cadre d’entreprise. Or, une partie d’entre elles ne peut se loger dans les centres ce qui, en allongeant les distances travail-domicile, accroît les risques de retard, voire décourage certains ménages d’accepter un emploi.

15Les effets de la ségrégation étant alors potentiellement « nuisibles » pour la croissance économique des villes, la production de logement aidé devient une priorité des politiques locales. En étant la première place financière d’Europe, Londres tire essentiellement sa richesse des activités tertiaires globalisées, ce qui lui assure une place privilégiée dans le cercle restreint des métropoles mondiales. Cette spécificité pourrait expliquer, avec une intégration plus diffuse de l’idéologie néolibérale dans les politiques sociales, l’accent plus marqué dans les discours politiques locaux sur l’enjeu de compétitivité :

  • 26 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, op. cit., p. 3.

« Londres est la locomotive de l’économie du Royaume-Uni. Pour maintenir cette position, Londres doit produire plus de logements ; et particulièrement, elle a besoin de plus de logements auxquels les Londoniens peuvent accéder26. »

16Bien que Paris ait une place de choix dans le système capitaliste mondial, elle reste dans l’ombre de Londres. La municipalité souhaite améliorer les conditions de vie des Parisiens, attirer de nouvelles populations intégrées dans les activités tertiaires stratégiques dans le but d’accroître sa compétitivité à l’échelle mondiale :

  • 27 Communication du maire de Paris, 23 janvier 2003, disponible sur le site [Paris.fr] le 5 janvier 2 (...)

« Trois objectifs, selon nous indissociables, qui constituent le socle de ce projet : faire de Paris une ville plus solidaire, plus agréable à vivre, mais aussi plus influente sur la scène mondiale. […] Tous ces enjeux influeront sur la compétitivité internationale de Paris. Ici, le défi est multiple : rayonnement culturel, qualité des rapports sociaux, dynamisme économique se mêlent pour dessiner un espace susceptible de séduire, de surprendre, d’attirer par-delà nos frontières27. »

  • 28 Le Galès P., Le Retour des villes européennes ? Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et (...)

17Par l’élaboration de projets de régulation du peuplement urbain, ces deux capitales tentent d’articuler le local et l’international, d’intégrer les espaces locaux dans la croissance économique mondiale pour leur permettre d’en tirer-bénéfice28. Cet objectif paraît pourtant irréalisable, les inégalités urbaines étant en grande partie produites par cette activité économique.

Le logement des Acteurs Clés et Key Workers, clé de voûte de la régulation

18Dans cette quête infinie de la compétitivité et de la cohésion sociale, le logement des ACV et des KW constitue la clé de voûte du processus de régulation du peuplement urbain. Quels sont le contenu et les contours de ces catégories ? Et sur quels postulats repose leur mobilisation ?

Des groupes professionnels considérés comme (plus) utiles

  • 29 Raco M., op. cit., p. 740.
  • 30 Ce modèle décrit un espace inclusif, composé de ménages variés en termes de taille, d’âge, de reve (...)

19Comme le rappelle M. Raco29, la catégorie des KW n’est pas nouvelle. Présente dans le Distribution of Industry Act de 1945, elle est utilisée pour organiser la mobilité résidentielle des travailleurs, majoritairement des cadres du secteur privé et des travailleurs spécialisés et qualifiés dans le secteur industriel, dont la présence est requise dans le nord du pays pour mener à bien les programmes de développement engagés. Elle disparaît lors des réformes engagées par les gouvernements Thatcher dans les années 1980 puis ressuscite, au début des années 2000, dans la stratégie d’Urban Renaissance portée par le New Labour qui repose sur le modèle des mixed communities30. Le logement des KW est donc mobilisé, dès la création de cette catégorie, dans une logique d’adaptation du peuplement aux contraintes du capitalisme.

  • 31 À Londres, la fourchette des revenus annuels se situe entre 18 100 et 61 400 livres sterling, la m (...)
  • 32 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, op. cit., p. 5.
  • 33 Dans le London Plan, l’objectif est de produire 8 500 logements par an en mobilisant les dispositi (...)

20La priorité accordée aux KW à Londres n’échappe pas au centralisme britannique. Elle est encadrée par le programme national Key Worker Living qui désigne les salariés éligibles aux segments Key Workers, en admettant des variations en fonction des spécificités et des problèmes de recrutement locaux, telles que les fourchettes des revenus annuels31. Entrent dans cette catégorie les employés du National Health System (excepté les médecins et les dentistes), les enseignants, les infirmières scolaires, les forces de police et militaires, les salariés du milieu carcéral et agents de probation, les travailleurs sociaux, des employés municipaux et attachés aux services gouvernementaux et aux agences publiques, des acteurs urbains des collectivités locales ainsi que les sapeurs-pompiers. La municipalité londonienne souhaite « produire des logements pour les travailleurs clés qui sont essentiels pour assurer les services publics de Londres et créer des mixed communities32 », en définissant une politique chiffrée de production de logements essentiellement basée sur l’accession sociale à la propriété33.

21Tandis que la catégorie KW est une catégorie opérationnelle définie dans les politiques britanniques, la catégorie ACV est labile et floue. Apparue récemment dans le contexte parisien, elle n’est définie ni dans les politiques du logement et de l’habitat françaises, ni dans les documents programmatiques locaux. Il est seulement mentionné dans le programme local de l’habitat parisien que « la ville doit aussi permettre aux couches intermédiaires, qui participent également à la vie de la cité, de pouvoir s’y maintenir ». Absente des textes, elle est néanmoins mobilisée dans les discours des acteurs locaux pour légitimer une priorité accordée à certaines catégories socioprofessionnelles dans les politiques du logement. De plus, elle semble être le produit de processus de transferts internationaux, son apparition dans les discours parisiens étant concomitante avec les premiers échanges d’expérience organisés, au début des années 2000, entre les porteurs de la stratégie parisienne et ceux engagés dans l’expérience londonienne. Cette filiation expliquerait en grande partie la similitude des catégories socioprofessionnelles ciblées.

22En 2007, G. Caron Thibault (mairie de Paris) nous propose la définition suivante :

« Les acteurs clés de la ville, à partir du moment où vous êtes agent de la ville de Paris, éboueurs, crèche, tous ces métiers dont on a besoin régulièrement sur Paris et dont on n’a pas toujours conscience qu’on en a besoin, il y a une priorité. »

23Il l’associe principalement aux agents municipaux, tout en restant évasif sur les statuts et les revenus des salariés ciblés. Lorsque nous demandons à son successeur de clarifier cette catégorie, ses contours se sont élargis :

« Les acteurs de la ville, ce sont ceux qui travaillent à enrichir cette ville sans en tirer un grand patrimoine et qui peuvent avoir des temps de transport importants. […] On loge des enseignants, des chercheurs CNRS, des infirmières. On loge des gardiens de la paix, des postiers. Après, on peut voir aussi le parcours résidentiel, on crée des logements pour travailleurs et jeunes étudiants qui, à terme, auront eux aussi accès au logement social comme les autres. Ce sont des professions utiles à la ville, pas très bien payés par rapport aux loyers parisiens » (D. Steinfeld, mairie de Paris).

24Dès lors, cette catégorie intègre des employés du secteur privé et englobe un spectre plus large de travailleurs occupant des postes dans des domaines d’activité divers, aux niveaux de qualification et d’autonomie très hétérogènes. L’approche par les revenus n’est pas plus éclairante, aucune fourchette n’étant établie. Les rémunérations des salariés cités par les chefs de cabinet successifs oscillent entre les tranches basses et intermédiaires des classes moyennes et comprennent là encore de vrais écarts. Alors que G. Caron-Thibault évoque des exemples comme une directrice de crèche en début de carrière dont il estime le revenu mensuel net autour de 2 000 euros, son successeur se réfère à des salariés aux revenus plus modestes, situés autour de 1 300 euros. Le contenu et les contours de cette catégorie encore en construction varient donc selon les cadres cognitifs des acteurs parisiens, ce qui contribue à brouiller la lisibilité de l’action publique tant sur ses modalités d’application – aucun segment du logement aidé ne leur est consacré –, que sur sa réalisation en termes quantitatifs. Malgré ces divergences, un trait commun se dégage entre les deux catégories : les groupes professionnels considérés comme particulièrement utiles à la ville appartiennent aux catégories des employés, des professions intermédiaires, intellectuelles et des cadres – incluant les franges inférieures et supérieures des classes moyennes.

Des catégories « positives » pour la société urbaine

  • 34 Tunstall R., « “Mixed Tenure” Policy in the UK : Privatisation, Pluralism or Euphemism ? », Housin (...)

25Le logement des KW et des ACV représenterait une autre opportunité : il est pensé comme le moyen de réguler la localisation résidentielle de catégories de populations – au contenu particulièrement nébuleux – dont la concentration poserait problème. Leur mise en cohabitation avec les KW et ACV, étiquetés comme des « modèles de références34 » auprès de leurs voisins, générerait alors une émulation positive pour ces derniers et pour la société urbaine dans son ensemble.

26Si ces populations ciblées en creux ne sont pas explicitement définies, l’analyse des discours locaux permet de dégager des groupes de populations qui se caractérisent par la conjonction de deux critères mobilisés à des degrés divers. Premièrement, sont visés les locataires du parc social, dont la pauvreté serait une condition commune, qu’il s’agit de mieux répartir géographiquement et de mettre en cohabitation avec des ACV ou des KW. En prenant appui sur l’exemple des quartiers inscrits dans les dispositifs de la Politique de la ville, G. Caron-Thibault (mairie de Paris) explique que :

« Si on réussit à faire vivre à côté d’un lycée sensible dans une zone urbaine sensible des profs du lycée, on a réussi à injecter un petit peu d’autre chose dans le quartier et, du coup, à faire que les populations se mélangent, se brassent, de faire que l’on n’a pas que des rmistes, pas que des smicards. »

  • 35 La loi Solidarité et renouvellement urbains (2000) restreint le parc social à trois catégories de (...)

27La mairie de Paris préconise la promotion d’une mixité socio-économique à plusieurs échelles (de la cage d’escalier à la ville) en combinant les différents conventionnements et segments spécifiques du parc locatif social « SRU35 » sans spécifier les proportions requises. Selon ce chef de cabinet, ce jeu permettrait de « casser » la « ghettoïsation » des quartiers populaires « par l’attribution des logements qui est en partie déterminée par les conventionnements décidés à la mairie de Paris de manière à atteindre une mixité sociale ». Notons que ce jeu des conventionnements laisse une grande souplesse quant à la destination socio-économique de l’occupation des logements et que les procédures d’attribution engagent des catégories de jugement sur les personnes et les types de cohabitation souhaités ou non désirés variant selon les contextes territoriaux.

  • 36 Mullins D., Murie A., Housing Policies in the UK, Palgrave, Macmillan, 2006.

28À Londres, la dispersion et la mise en cohabitation des locataires du parc social avec les KW reposent sur la mobilisation de segments plus diversifiés du logement aidé. Après trente années de réformes successives des politiques du logement britanniques sur fond de privatisation et de marchandisation36, le logement social ne peut constituer un instrument de mixité per se. La mixité socio-économique par l’habitat est donc recherchée par une diversification des modes d’occupation qui permettrait, selon le responsable du service logement de Kensington and Chelsea, de « mixer les profils sociaux dans les immeubles et dans de nombreux quartiers de Londres […] Nous essayons de rééquilibrer en diversifiant l’offre de logement. C’est une façon de donner une chance aux habitants du social parce que beaucoup d’entre eux sont touchés par le chômage ».

  • 37 L’usage de la dimension ethnique renvoie ici à une catégorisation mobilisée dans les discours loca (...)
  • 38 Les statistiques ethniques, dont l’utilisation depuis 1991 s’inscrit dans une politique de reconna (...)
  • 39 Mayor of London, London Plan, op. cit., p. 2.

29Au critère socio-économique se conjugue le critère ethnique mobilisé officiellement à Londres, officieusement à Paris37. Ce traitement différencié trouve ses sources dans les approches de la citoyenneté qui structurent les modèles nationaux. Si le modèle républicain confine à la sphère privée toutes formes de particularisme, le modèle multiculturel britannique reconnaît les dimensions identitaires particulières à chaque communauté comme autant de ressources sur lesquelles peuvent s’appuyer les populations pour s’intégrer et participer à la société. Par conséquent, la dimension ethnique constitue une catégorie de la statistique publique38 visant à lutter contre les discriminations dont les « ethnic minorities » sont susceptibles de faire l’objet. De fait, la concentration de ces populations dans les logements sociaux dépréciés et sur-occupés constitue un enjeu dans la mesure où elle serait le produit d’inégalités et participerait à les reproduire en renforçant « l’exclusion et la discrimination sociale39 ».

  • 40 Fassin D., Fassin É. (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société (...)
  • 41 Les minorités visibles désignent les populations susceptibles d’être altérisées sur une base ethno (...)

30À Paris, l’usage des critères ethniques étant interdit, ceux-ci ne devraient pas apparaître dans les discours. Or, ils sont mobilisés par les acteurs politiques parisiens, lesquels articulent étroitement à ces critères d’autres fondés sur une perception racialisée du monde social, pourtant eux aussi prohibés40. De prime abord, B. Tallec (mairie de Paris) rejette sa prise en considération : « On se base sur le modèle républicain, on est dans l’intérêt général, on n’a pas le droit de faire de distinction sur l’origine ethnique des demandeurs. » Or, il admet que les politiques de peuplement du contingent municipal intègrent, dès les premières années, une gestion racialisée du peuplement qui, paradoxalement, se réclame d’une politique volontariste de lutte contre les discriminations en donnant la priorité aux minorités visibles41 : « Si on hésite sur plusieurs dossiers, on va favoriser à la marge la famille à consonance étrangère car on se dit qu’elle aura plus de mal à trouver dans le privé. » Lorsque le dernier chef de cabinet de l’adjoint au maire tente d’expliciter l’usage de la notion d’ethnie, il entremêle trois dimensions de la mixité (sociale, ethno-raciale et confessionnelle), bien souvent articulées dans les débats publics français :

« Vous avez dans le Sud de Paris et dans l’Ouest, des anciens immeubles intermédiaires qui sont des réserves de petits cadres blancs, cartes RPR et des immeubles de Noirs du côté de Flandres, ce n’est pas notre vision des choses donc en refaisant des immeubles neufs avec les trois produits PLA-I, PLUS, PLS, on arrive à mettre un peu de mixité sociale, ethnique, confessionnelle là où il n’y en avait pas » (D. Steinfeld, mairie de Paris).

31Cette gestion ethno-raciale du peuplement n’en reste pas moins motivée par le fantasme du repli communautaire :

« Si on ne fait rien, on laisse se développer des liens communautaires qui font que le 20e arrondissement est complètement chinois, que le 10e a des airs de New Dehli, il se pourrait que la culture d’intégration anglo-saxonne prenne le pas sur notre modèle républicain français » (D. Steinfeld, mairie de Paris).

  • 42 Epstein R., Kirszbaum T., « L’enjeu de la mixité sociale dans les politiques urbaines », Regards s (...)

32La crainte d’une « londonisation » de Paris reflète une perception négative associant l’approche communautaire du modèle multiculturel britannique au communautarisme. Cette perception de la concentration des minorités visibles s’inscrit dans le cadre plus large du soupçon généré par tous regroupements communautaires – volontairement constitués ou non et observés hâtivement sous l’angle de la dérive42 – perçus comme une menace pour la société urbaine.

  • 43 Cole I., Goodchild B., « Social Balance and Mixed Neighbourhoods in Britain since 1979 : A Review (...)
  • 44 Ibid.
  • 45 Tanter A., Toubon J.-C., « Mixité sociale et politiques de peuplement : genèse de l’ethnicisation (...)

33Si d’autres critères émergent dans les discours, tels que l’âge et la taille du ménage, ils restent secondaires, servant bien souvent de proxy aux principaux critères. Ainsi, le mode d’occupation est un proxy au revenu et à la catégorie socioprofessionnelle, eux-mêmes utilisés comme un proxy à d’autres caractéristiques des ménages et à des attitudes ou modes de vie qui y sont associés. Dans les deux cas, la mise en cohabitation entre, d’un côté, les ACV et les KW et, d’un autre côté, les ménages « pauvres » et « issus de l’immigration » pose un certain nombre de problèmes inhérents à tout usage de la mixité comme catégorie opérationnelle. Premièrement, le flou autour des indicateurs utilisés pour définir les catégories de populations et au-delà, pour déterminer la bonne recette de mixité, à savoir qui « doit » être mélangé avec qui. Deuxièmement, les questions de l’échelle d’intervention à laquelle elle est recherchée et du seuil à partir duquel un espace peut être considéré comme « équilibré » impliquent une dimension subjective43. Troisièmement, cette cohabitation souhaitée s’apparente à une « gestion territorialisée des classes populaires44 » qui, au-delà de la dimension idéologique qui la sous-tend, est loin d’avoir été prouvée empiriquement45.

Variations locales des enjeux du « bon peuplement »

34Les modalités de répartition des différentes catégories de populations ciblées diffèrent selon les types de quartier, les représentations plus ou moins positives ou négatives qu’en ont les acteurs impliqués, ainsi que les enjeux que recouvrent ces opérations de régulation dans chacune des configurations socio-spatiales locales.

Les quartiers populaires : une régulation du peuplement consensuelle

35Dans les deux capitales, la transformation du peuplement des quartiers populaires fait consensus. L’image négative de ces quartiers qui réifie la figure du ghetto, se fonde sur trois principaux éléments amalgamés dans les discours des acteurs locaux : la concentration encore marquée de la pauvreté et de sa visibilité dans le bâti et l’espace public, la forte présence de minorités visibles – plus précisément des populations « africaines » et « noires » à la Goutte d’Or, « bangladeshies » à Shadwell (à Londres) –, et la visibilité de pratiques illicites.

36Les acteurs locaux intervenant à la Goutte d’Or se focalisent sur la prégnance des problèmes de drogue et d’insécurité attribués aux populations pauvres et/ou à celles « issues de l’immigration » selon les acteurs :

« Il y a des problèmes avec des épaves, ces mecs et ces nanas qui passent leur temps à se shooter et à picoler […]. Ce n’est pas très rassurant pour les gens » (adjoint au maire chargé de l’Urbanisme du 18e arrondissement).

37Cet adjoint au maire considère que la politique du logement et plus largement, les politiques de renouvellement urbain avec laquelle elle est articulée, permettent de « décloisonner le quartier » et ses habitants. Si cet acteur politique écarte toute « considération ethnique », la responsable du secteur du bailleur social Paris Habitat centre son discours sur la concentration des populations « issues de l’immigration » ou « noires », et ses effets supposés néfastes sur celles-ci :

« C’est un quartier qui vit déjà difficilement avec toute cette concentration de ménages pauvres qui sont, il faut le dire aussi, issus de l’immigration. L’objectif, ce n’est pas de rajouter de la difficulté à de la difficulté […]. C’est vrai que l’on voit bien qu’il faut éviter les ghettos. »

38En donnant une priorité au logement des ACV, cette responsable de Paris Habitat souhaite « limiter les dégâts » engendrés par la ségrégation « en renouvelant partiellement la population et au travers de l’habitat » et se défend de vouloir « faire partir tous les pauvres ». Toutefois, la réduction de la taille du parc de logements nouvellement construits, leur montée en gamme et l’injonction à la mixité participent de fait à disperser ces ménages dans d’autres quartiers parisiens, voire dans d’autres départements de la métropole.

39Shadwell souffre aussi d’une image négative que les acteurs locaux attribuent, d’une part, à la forte présence des « bangladeshis » appartenant souvent aux franges inférieures de la société et, d’autre part, aux problèmes liés à la présence de la drogue :

« Il y a des problèmes de drogue, les gens dealent en bas des immeubles et consomment. Il y a beaucoup de mariages arrangés entre Bangladeshis, cela nourrit l’immigration et, du coup, il y en a beaucoup dans le quartier. Cela concentre alors la pauvreté » (chargée de mission Participation du bailleur social THCH).

40Le responsable du service urbanisme du borough note lui aussi « un problème dans certaines parties des quartiers bangladeshis avec la drogue et les crimes de rue ». Ces perceptions négatives du quartier se fondent sur des amalgames opérés entre immigration et activités illicites, à partir desquels est légitimée la déconcentration des populations « bangladeshies ».

  • 46 Lees L., Ley D. « Introduction to Special Issue on Gentrification and Public Policy », Urban Studi (...)

41Dans les deux quartiers, le logement des ACV et KW participe à l’objectif global de revalorisation à la fois sociale, symbolique et économique du quartier. Les interventions sur le logement qui visent, d’une part, à démolir et réhabiliter le parc dégradé et, d’autre part, à réaliser une offre plus haut de gamme, se conjuguent avec des opérations de requalification des espaces publics et de diversification de l’offre commerciale, ce qui soulève la question de l’articulation entre ces politiques et la gentrification de ces quartiers. En effet, comme l’ont déjà souligné des chercheurs comme L. Lees et D. Ley46, la gentrification peut représenter un nouveau mode d’intervention plus ou moins explicitement énoncé qui vise, au nom de la mixité sociale, à reconfigurer l’espace urbain pour l’ajuster aux besoins et modes de vie des classes moyennes et supérieures.

42À Shadwell, les discours sont principalement axés sur la revalorisation économique. Selon le responsable du service urbanisme de Tower Hamlets, il s’agit d’améliorer l’attractivité du quartier pour « apporter des revenus » et « de donner à ces ménages un autre modèle ». Dans cette optique, le borough conduit une politique ambitieuse de mixité résidentielle au profit des logements KW ainsi qu’une transformation du tissu commercial voué à être, selon la responsable du service développement du bailleur One Housing Group, « moins ethnique, adapté à la demande de ces [nouveaux] ménages ». Les acteurs locaux souhaitent tirer profit de la gentrification déjà à l’œuvre :

« C’est une zone qui est en train de se gentrifier. Cela change le quartier et nous voulons accompagner ce changement » (responsable du service urbanisme Tower Hamlets).

« Il y a une gentrification de plus en plus forte qui est positive car elle pousse le quartier vers le haut. Cela transforme le quartier de manière considérable. Bientôt, le logement social restera le seul endroit où les populations immigrées pourront vivre » (chargée de mission, bailleur social THCH).

  • 47 Atkinson R., Does Gentrification Help or Harm Urban Neighbourhood? An Assessment of the Evidence-B (...)

43Si la gentrification s’opère à ce jour de façon sporadique en raison de la forte présence d’immeubles d’habitat social, sa progression dans les années à venir pourrait s’accompagner d’effets négatifs (éviction des populations locales, montée des conflits sociaux et réduction du parc bon marché) déjà observés d’autres quartiers londoniens47. Ces effets ne sont toutefois pas questionnés par les acteurs locaux, uniquement préoccupés par les bénéfices économiques et sociaux attribués à la gentrification.

  • 48 Depuis le début des années 2000, la municipalité tente d’agir à la fois sur le peuplement par les (...)
  • 49 Cf. Bacqué M.-H., Fijalkow Y., « En attendant la gentrification : discours et politiques à la Gout (...)
  • 50 Mairie de Paris, Programme local de l’habitat, op. cit.

44À la Goutte d’Or, l’accent est mis sur les dimensions symbolique et sociale de la revalorisation censée donner, selon la chargée d’opération du secteur Château Rouge (mairie de Paris), « une meilleure image de ce quartier pour l’ensemble de Paris […]. L’enjeu social est de se réapproprier complètement ce quartier et c’est ce que la municipalité essaie de faire, un quartier populaire au cœur de Paris. » Cette entreprise de revalorisation, qui tente de transformer ce quartier populaire stigmatisé en un lieu attractif48, participe de facto à sa gentrification, la mutation sociologique et urbaine qu’il connaît étant en partie imputée à sa requalification urbaine depuis les années 198049. Or, l’analyse des positionnements divergents des acteurs locaux ne permet pas d’en déterminer le caractère intentionnel. La responsable du secteur de Paris Habitat considère que la ville mène une « politique de reconquête » alors que, pour les acteurs politiques de cet arrondissement socialiste, la gentrification s’inscrit dans le processus d’embourgeoisement de Paris et serait uniquement soutenue par les investissements privés. Il faut dire qu’admettre que leurs actions publiques contribuent à gentrifier le quartier et, par conséquent, à évincer les classes populaires reviendrait à récuser le projet d’« un Paris plus juste et solidaire50 », porté par la gauche depuis 2001. Dans tous les cas, la gentrification est loin d’être présentée comme un processus négatif pour le « rééquilibrage social » de la ville, au contraire. Non seulement elle serait en partie maîtrisée par l’implantation du logement aidé mais en plus, par la diversité qu’elle produit, elle constituerait un élément participant à la régulation du peuplement du quartier en composant les ingrédients d’une « bonne mixité ».

  • 51 Propos de l’adjoint au maire chargé de l’urbanisme du 18e arrondissement, ville de Paris.

45Pour ce faire, la mairie a élaboré une politique d’attribution appelée le « tiers mixité » qui permet de réguler le peuplement des logements aidés. Le contingent municipal est réparti dans trois catégories, correspondant à la fois à des situations de logement et des catégories de populations : un tiers est réservé au relogement des ménages issus de l’insalubrité (associés aux ménages « pauvres » et « immigrés »), un tiers aux dossiers passés en commission de désignation dont les revenus sont près des plafonds et un tiers appelé « mixité sociale » au logement des ACV. Les acteurs de l’arrondissement, de la mairie centrale et de Paris Habitat espèrent que ces ménages deviendront des « relais dans ces zones là en termes de vie commune51 » tout en concédant que la réalisation de cet objectif repose sur l’unique bonne volonté sociale de ces derniers.

Une régulation discutée dans les beaux quartiers

46La production de logements dédiés aux ACV et KW ne s’inscrit pas dans une volonté de transformer les beaux quartiers, la ségrégation pourtant forte de ces quartiers n’étant pas posée comme un problème en soi. Elle répond davantage à la nécessité de loger ces ménages pour pallier le caractère inabordable du parc privé et, de façon plus secondaire tout au moins dans les discours, à celle de reloger les ménages « pauvres » et « issus de l’immigration ». Cependant, l’intervention sur le peuplement des beaux quartiers est discutée voire contestée par des acteurs locaux.

  • 52 Le London Plan impose que 50 % des logements produits dans chaque borough soient « abordables ». T (...)

47À Chelsea, derrière l’affichage politique en faveur de la production de logements aidés, de véritables réticences apparaissent en raison de la cohabitation non désirée de certaines catégories de population que cette production implique. Le responsable du service logement en témoigne : « Au niveau politique, il y a un consensus pour dire que nous avons besoin de logements abordables, mais la question est de savoir combien nous en avons besoin. » Puis, il ajoute que, sans volonté politique, « la dérogation à la règle des 50 % est utilisée plutôt que d’insister pour faire du logement abordable sur site », ce qui permet au borough conservateur d’afficher un bilan chiffré tout en réalisant la production hors de ses frontières52. L’application de cette politique dans ce quartier se heurte également aux logiques des acteurs du service d’urbanisme qui, selon le responsable de la TMO World’s End Estate, « ne veulent pas vraiment faire du logement social, surtout très social pour les plus pauvres et les minorités ethniques… c’est dévalorisant ». Elle trouve aussi des réticences du côté des promoteurs inscrits dans une logique de rentabilité et d’habitants de classes supérieures, celles-ci refusant la diversité pour préserver des intérêts économiques mais aussi sociaux relatifs à un entre soi spatial protecteur. Par conséquent, les discours portent davantage sur la nécessité de loger des KW pour pallier les problèmes de recrutement dans cette zone très aisée de Londres, argument indéniablement plus facile à faire accepter. Comme l’explique le responsable de la TMO World’s End Estate : « On rencontre de vrais problèmes pour trouver des enseignants ici, c’est trop cher pour eux. » Cependant, la ségrégation des classes supérieures n’étant pas perçue comme le produit d’une injustice, les initiatives visant à produire du parc « abordable » sont difficiles à faire accepter et à appliquer.

48Dans le 8e arrondissement de Paris, la municipalité, en collaboration avec les bailleurs sociaux, acquiert des immeubles pour conventionner les logements vacants en logements sociaux, ce qui n’est pas sans déplaire au maire d’arrondissement UMP : « Le 8e n’a pas vocation à accueillir des logements sociaux. » Il avance trois arguments :

« En achetant les immeubles extrêmement cher, au lieu de faire cent logements sociaux, on n’en a que vingt, donc sont lésés des gens qui pourraient être logés dans d’autres quartiers. Deuxième problème, vous avez une mixité dans les immeubles achetés par la ville entre les anciens occupants, qui sont encore en place parce que leur bail continue à courir et qui payent très cher et, sur le même palier, des locataires très sociaux qui ont un appartement à peu près identique, généralement rénové et qui paient deux, cinq, dix fois moins la même surface. Donc, il y a quand même un sentiment d’injustice. Troisièmement, on a des gens qui payaient des loyers sociaux ou des loyers très sociaux et qui ont trouvé très malin de sous-louer à sept cents euros par semaine à des touristes étrangers. Donc quand on veut se battre contre la réalité du marché, on est toujours rattrapé. »

49Un réel désaccord sur la notion de justice oppose la mairie centrale et le maire d’arrondissement. Pour ce dernier, la politique parisienne serait profondément injuste car elle permet à des ménages moins aisés d’accéder aux mêmes types de logement que les classes supérieures en s’acquittant d’un loyer moins élevé. Considérant le logement comme le reflet de l’appartenance sociale, les classes sociales populaires et moyennes ne devraient pas loger dans le même type d’habitat que les classes supérieures. Du reste, il estime que l’arrondissement remplit sa fonction d’accueil des ménages modestes par la présence de nombreuses chambres de bonne, destinées aux employés. Ce désaccord idéologique complique la mise en application de cette politique tant en termes de production – le maire soutenant les associations de résidents qui tentent de bloquer les programmes de logements –, qu’en termes de désignation du contingent de l’arrondissement.

  • 53 Launay L., « Des HLM dans les beaux quartiers. Les effets de la politique de mixité sociale à Pari (...)

50L’étiquette péjorative attachée au logement social générant des craintes sur son occupation sociale, la mairie de Paris et les bailleurs sociaux attribuent une partie des logements aux demandeurs qui résident ou travaillent dans ces quartiers et qui seraient donc, selon G. Caron-Thibault (mairie de Paris), « déjà habitués à ces arrondissements ». Parmi eux, figurent bon nombre d’ACV53. Cette pratique permettrait de limiter les risques d’« inadaptabilité sociale », souvent évoqués par les détracteurs de cette stratégie comme le maire d’arrondissement qui, tout en refusant tout « racisme social », estime que « pour beaucoup de familles africaines ou nord-africaines qui sont désignées pour aller dans ces logements sociaux, il y a un mal être. Ils sont loin de leurs amis, de leurs parents, il n’y a pas de boucherie hallal en bas de chez eux ». En conséquence, la mairie centrale et Paris Habitat communiquent sur les opérations réalisées pour « montrer aux habitants que c’est dans leur intérêt car ce sont des infirmières, des enseignants qui ont accès à ces logements ». B. Tallec, chef de cabinet de l’Adjoint en charge du logement à la mairie de Paris, ajoute : « C’est important qu’ils puissent vivre près de chez eux. Mêmes pour les plus réactionnaires, on veut leur faire comprendre qu’il faut que les policiers habitent près de chez eux pour les protéger. » Dans ce cas, l’argument économique associé au logement des ACV vient au secours de l’argument social pour affaiblir les réticences liées à la présence des autres catégories de population dans ces quartiers.

Conclusion

  • 54 Cochrane A., « The New Urban Policy : Towards Empowerment or Incorporation ? The Practice of Urban (...)
  • 55 Raco M., « Key Worker Housing, Welfare Reform and the New Spatial Policy in England », art. cit., (...)

51Dans un contexte de compétition interurbaine et de néolibéralisation des politiques publiques, les réponses politiques aux inégalités urbaines produites par le régime post-fordiste consistent à intervenir à la marge par la production et le peuplement des logements aidés, pour maintenir dans les centres urbains une partie des ménages ne trouvant plus à se loger convenablement dans le parc privé. Si les classes populaires sont tout autant ciblées par ces stratégies, la focale est placée sur les catégories socioprofessionnelles appartenant aux classes moyennes jugées indispensables à l’économie urbaine globalisée – laissant entendre alors que les autres groupes le seraient moins –, et ainsi permettre la reproduction du système capitaliste. Ce travail sur les deux catégories ACV et KW confirme les résultats de M. Raco lorsqu’il souligne le caractère illustratif de la politique des Key Workers pour montrer « la façon dont la politique spatiale devient de plus en plus une forme de “politique sociale active54” avec des secteurs de l’État-Providence, tels que le logement, qui sont de plus en plus ciblés pour réaliser des priorités et des objectifs de développement plus vastes55 ». Ainsi, les enjeux de la mobilisation de ces catégories dans les deux stratégies de mixité par l’habitat s’inscrivent bien au-delà de la volonté de faciliter l’accès à un logement décent pour tous, la ville et ses ressources sont dès lors considérées comme une échelle-clé de la croissance économique.

52La mise en catégorie de ces groupes professionnels constitue, par les opérations d’ajustement des localisations résidentielles des différents groupes sociaux qu’elle permet, un véritable instrument de régulation du peuplement urbain. Les interventions sur les concentrations et les cohabitations désirées ou non souhaitées reposent sur des représentations des catégories de populations, de leur situation, de leur mode de vie, de leur rôle dans la ville et plus largement, dans la société. Ces mises en catégories engagent des dimensions subjectives qui stigmatisent positivement ou négativement des groupes de populations sur la base des présupposés idéologiques venant légitimer des rapports de domination sociale par l’espace. Ces opérations de définition et de classement des groupes sociaux et des espaces renseignent plus globalement sur la place attribuée aux différents groupes sociaux dans la ville. Si les regroupements des classes supérieures et moyennes ne sont pas posés comme des problèmes, ceux des classes populaires, notamment celles appartenant aux minorités visibles, sont non désirés même lorsque ceux-ci ne relèvent pas (uniquement) d’une assignation, leur place dans la ville et, par extension, dans la société n’étant appréciée que lorsqu’elle s’inscrit dans une affiliation aux classes moyennes.

Notes

1 Morel Journel C., Sala Pala V., « Le peuplement, catégorie montante des politiques urbaines néolibérales ? Le cas de Saint-Étienne », Métropoles, vol. 10, 2011, [http://metropoles.revues.org/4536].

2 Cole I., Goodchild B., « Social Balance and Mixed Neighbourhoods in Britain since 1979 : A Review of Discourse and Practice in Social Housing », Society and Space, vol. 19, 2001, p. 103-121 ; Bacqué M.-H., Fol S., « Les politiques de mixité sociale en France : de l’injonction politique nationale aux contradictions locales », dans Fée D., Nativel C. (dir.), Crises et politiques du logement en France et au Royaume-Uni, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2008, p. 117-135.

3 Voir à ce sujet : Bacqué M-H., Fol S., « Effets de quartier : enjeux scientifiques et politiques de l’importation d’une controverse », dans Authier J.-Y., Bacqué M.-H., Guérin-Pace F., Le Quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, La Découverte, 2006, p. 177-181.

4 Tanter A., Toubon J.-C., « Mixité sociale et politiques de peuplement : genèse de l’ethnicisation des opérations de réhabilitation », Sociétés contemporaines, 1999, no 33/34, p. 59-87.

5 Cf. le dossier d’Espaces et sociétés, « Les paradoxes de la mixité », vol. 140-141, 2010.

6 En France, le logement aidé comprend le parc locatif social, intermédiaire ainsi que l’accession sociale à la propriété qui ciblent des populations spécifiques selon les contextes et les produits. Outre-Manche, il correspond à la notion d’affordable housing dont l’accessibilité est réservée à des ménages qui rencontrent des difficultés à se loger dans le marché privé.

7 Le Greater London Authority élabore la stratégie de mixité par l’habitat à l’échelle métropolitaine et incite les boroughs à l’appliquer. En l’absence de gouvernement de la métropole parisienne, la stratégie a été conçue par le cabinet de l’adjoint au maire chargé du logement de la ville de Paris et est imposée aux mairies d’arrondissement. Voir à ce sujet : Launay L., « Polarisation and Social Mix Policies in Metropolises : Thinking the Governance of Housing of Paris through London Experience », Regions, Issue 290, 2013.

8 Raco M., « Key Worker Housing, Welfare Reform and the New Spatial Policy in England », Regional Studies, vol. 42, 2008, p. 737-751.

9 Harvey D., « From Managerialism to Entrepreneurialism : The Transformation in Urban Governance in Late Capitalism », Geografiska Annaler. Series B, Human Geography, vol. 71, no 1, 1989, p. 3-17.

10 Peck J., Tickell A., « Neoliberalizing Space », Antipode, vol. 34, no 3, 2002, p. 380-404.

11 Florida R., Cities and the Creative Class, New York, London, Routledge, 2005.

12 Le Galès P., « Regulations and Governance in European Cities », International Journal of Urban and Regional Research, 22, 1998, p. 482-506.

13 Cet article repose sur la réalisation d’un doctorat en sociologie portant sur les politiques de mixité par l’habitat parisienne et londonienne, de leur genèse à leurs effets sur les modes d’habiter et de cohabiter des populations ciblées. Launay L., Les politiques de mixité par l’habitat à l’épreuve des rapports résidentiels. Quartiers populaires et beaux quartiers à Paris et à Londres, thèse de doctorat en sociologie, université Paris Ouest, 2011.

14 Entretien de B. Delanoë paru dans le Moniteur du 1er décembre 2006.

15 Biville S., « Londres menacé d’“épuration sociale”, selon son maire », publié sur le site du journal de Rue 89 le 29 octobre 2010.

16 Lelévrier C., « La mixité sociale et les politiques urbaines », Passages, no 109-110, mai-juin 2001, p. 29-32.

17 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, Greater London Authority, 2003, p. 2.

18 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, op. cit. p. 3.

19 Mairie de Paris, Programme local de l’habitat, 2003, p. 10.

20 Sassen S., La Ville globale, New York, Londres, Tokyo, Paris, Decartes et Cie, 1996. Cette théorie largement diffusée au-delà du champ scientifique reste pourtant discutée, sa pertinence pour rendre compte de la complexité des évolutions socio-spatiales de Paris et Londres étant encore discutée. Cf. Hamnett C., Unequal City, London in the Global Arena, London, Routledge, 2003 ; Préteceille E., La division sociale de l’espace francilien. Typologie socioprofessionnelle 1999 et transformations de l’espace résidentiel 1990-1999, rapport de recherche pour la direction régionale de l’Équipement d’Île-de-France, 2003.

21 Tissot S., L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Liber », 2007.

22 Mairie de Paris, Programme local de l’habitat, op. cit., p. 6.

23 Mairie de Paris, Introduction du Programme local de l’habitat, site Internet de la ville de Paris [Paris.fr], consulté en 2003.

24 Mayor of London, London Plan, 2004, p. 4.

25 Ibid., p. 4.

26 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, op. cit., p. 3.

27 Communication du maire de Paris, 23 janvier 2003, disponible sur le site [Paris.fr] le 5 janvier 2006.

28 Le Galès P., Le Retour des villes européennes ? Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.

29 Raco M., op. cit., p. 740.

30 Ce modèle décrit un espace inclusif, composé de ménages variés en termes de taille, d’âge, de revenus et d’appartenance « ethnique ». Sa définition large et évasive laisse place à une variété des niveaux d’interprétation. Cf. Colomb C., « Le discours de l’“Urban Renaissance” du New Labour au Royaume-Uni. Vers une revitalisation durable ou une gentrification accélérée des centres-villes britanniques ? », Sociétés contemporaines, 2006, no 63, p. 15-37.

31 À Londres, la fourchette des revenus annuels se situe entre 18 100 et 61 400 livres sterling, la moyenne londonienne étant de 23 000 livres sterling.

32 Mayor of London, Homes and Communities in London, London Housing Strategy, op. cit., p. 5.

33 Dans le London Plan, l’objectif est de produire 8 500 logements par an en mobilisant les dispositifs nationaux, le Homebuy et le Shared Ownership, et locaux, le London-Wide Iniative et le First Step Housing Programme. Seuls 5 000 logements sont réalisés en moyenne par an, la complexité des conditions d’accès à ce programme freinant son expansion. Cf. Battye F. et al., Evaluation of Key Workers Living, Final Report, Department for Communities and Local Government, 2008.

34 Tunstall R., « “Mixed Tenure” Policy in the UK : Privatisation, Pluralism or Euphemism ? », Housing, Theory and Society, vol. 20, 2003, p. 153-159.

35 La loi Solidarité et renouvellement urbains (2000) restreint le parc social à trois catégories de financement dont dépendent les plafonds de loyer : le Prêt locatif aidé d’intégration (PLA-I), le Prêt locatif à usage social (PLUS) et le Prêt locatif social (PLS) auxquels s’ajoutent des segments destinés à des groupes spécifiques tels que les étudiants, les handicapés, les travailleurs étrangers, etc. L’élaboration de segments dédiés à des ACV spécifiques, les chercheurs et universitaires souhaitant s’installer durablement ou temporairement à Paris, est en discussion.

36 Mullins D., Murie A., Housing Policies in the UK, Palgrave, Macmillan, 2006.

37 L’usage de la dimension ethnique renvoie ici à une catégorisation mobilisée dans les discours locaux.

38 Les statistiques ethniques, dont l’utilisation depuis 1991 s’inscrit dans une politique de reconnaissance et de lutte contre les discriminations raciales, sont élaborées à partir du principe de l’auto-assignation significative. Le terme « ethnic minorities » renvoie à cet appareillage statistique.

39 Mayor of London, London Plan, op. cit., p. 2.

40 Fassin D., Fassin É. (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006.

41 Les minorités visibles désignent les populations susceptibles d’être altérisées sur une base ethnoraciale et donc d’expérimenter le racisme. En France, il s’agit bien souvent des populations de nationalité étrangère, naturalisées ou descendants de migrants, altérisées par leur identification à l’immigration postcoloniale, réduites par l’expression « populations issues de l’immigration ».

42 Epstein R., Kirszbaum T., « L’enjeu de la mixité sociale dans les politiques urbaines », Regards sur l’actualité, no 292, juin-juillet 2003, p. 10.

43 Cole I., Goodchild B., « Social Balance and Mixed Neighbourhoods in Britain since 1979 : A Review of Discourse and Practice in Social Housing », art. cit. ; Epstein R, Kirszbaum T., « L’enjeu de la mixité sociale dans les politiques urbaines », art. cit. ;Tissot S., L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, op. cit.

44 Ibid.

45 Tanter A., Toubon J.-C., « Mixité sociale et politiques de peuplement : genèse de l’ethnicisation des opérations de réhabilitation », art. cit.

46 Lees L., Ley D. « Introduction to Special Issue on Gentrification and Public Policy », Urban Studies, vol. 45, no 12, 2008, p. 2379-2384.

47 Atkinson R., Does Gentrification Help or Harm Urban Neighbourhood? An Assessment of the Evidence-Base on the Context of the New Urban Agenda, ESRC, CNR Paper 5, 2002.

48 Depuis le début des années 2000, la municipalité tente d’agir à la fois sur le peuplement par les politiques du logement et de l’habitat et sur l’implantation de commerces plus haut de gamme et « classiques » (par exemple, la rue de la Mode) et d’équipements publics (centre musical, médiathèque, Institut des cultures d’Islam), voir Launay L., « De Paris à Londres, le défide la mixité sociale par “les acteurs clés” », Espaces et sociétés, no 140-141, 2010, p. 111-126.

49 Cf. Bacqué M.-H., Fijalkow Y., « En attendant la gentrification : discours et politiques à la Goutte d’Or (1982-2000) », Sociétés contemporaines, vol. 63, no 3, 2006, p. 63-83 ; Clerval A., Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte, 2013.

50 Mairie de Paris, Programme local de l’habitat, op. cit.

51 Propos de l’adjoint au maire chargé de l’urbanisme du 18e arrondissement, ville de Paris.

52 Le London Plan impose que 50 % des logements produits dans chaque borough soient « abordables ». Toutefois, lorsque les valeurs immobilières sont trop élevées ou que les boroughs sont confrontés à une pénurie du foncier, ils peuvent déroger à cette règle en finançant la production de logements dans d’autres boroughs, bien souvent plus populaires, ce qui met en péril l’objectif de mixité sociale par le logement.

53 Launay L., « Des HLM dans les beaux quartiers. Les effets de la politique de mixité sociale à Paris », Métropolitiques, 2012, [http://www.metropolitiques.eu/Des-HLM-dans-les-beaux-quartiers.html].

54 Cochrane A., « The New Urban Policy : Towards Empowerment or Incorporation ? The Practice of Urban Policy », dans Imrie R., Raco M. (dir.), Urban Renaissance ? New Labour, Community, and Urban Policy, Bristol, Policy Press, 2003, p. 223-234.

55 Raco M., « Key Worker Housing, Welfare Reform and the New Spatial Policy in England », art. cit., p. 749.

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Docteure en sociologie, université Paris Ouest Nanterre La Défense, membre du laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme, Environnement (LAVUE) (CNRS UMR 7218).

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