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L'observatoire de Toulouse aux xviiie et xixe siècles

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Jérôme Lamy

Troisième partie. L’observatoire et la République (1870-1908)

Chapitre 9. La vie de l'observatoire

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Géographique :

France

Texte intégral

1Espace d'inscription d'une pratique savante, l'observatoire de Toulouse peut être envisagé dans son rapport aux autres établissements astronomiques, mais également dans son fonctionnement interne. Inséré dans un paysage savant dont nous avons décrit les mouvements profonds qui le secouent dans les premières années du régime républicain, l'observatoire de la cité garonnaise échange ses données et ses résultats au sein de la cité savante. Il nourrit les flots ininterrompus de publications et de communications qui s'épanchent de tous les lieux de science. Derrière ses murs, l'établissement toulousain est aussi une communauté à part, soumis à ses propres codes. Il apparaît comme un espace social dense parcouru d'innombrables tensions.

2L'observatoire est donc un territoire double : situé dans une géographie scientifique vaste et hiérarchisée, il est aussi replié sur lui-même et sur sa vie interne. Cette dualité fonde, sous le régime républicain, une identité complexe dont il convient d'ébaucher l'analyse.

Toulouse, le paysage astronomique et les médiations professionnelles

3La pratique astronomique s'organise, comme nous l'avons évoqué, en transparence. La circulation des informations et des outils constitue l'essence même de la communauté savante à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle. Toulouse entretient donc des relations avec une multitude d'observatoires répartis dans le monde. Cette nouvelle dimension de la cité scientifique ne doit pas laisser dans l'ombre la densité des échanges compris dans les limites du territoire national. Les solidarités autant que les tiraillements construisent la cartographie astronomique française. L'affirmation de la position toulousaine, dans un contexte très concurrentiel, passe par la production d'articles et les prises de parole dans les congrès. L'existence même de l'institution garonnaise est liée à cette occupation massive de l'espace éditorial et à la présence renouvelée dans les réunions scientifiques.

Échanges, coopérations, solidarités et concurrences entre observatoires

  • 1 AMT, 2R 140, Lettre du père François Denza à Benjamin Baillaud, avril 1890.

4Le père Denza, directeur de l'observatoire du Vatican, assure à Baillaud en 1890, qu'il est nécessaire « d'entrer en relation avec tous les Établissements scientifiques du même genre, afin de pouvoir mieux suivre les progrès continuels des études1 » dont il s'occupe. Les correspondances et la circulation des informations sont donc les éléments fondamentaux d'une entente scientifique étendue à tout le globe.

  • 2 AMT, 2R 140, Lettre de A. Hirsch à Félix tisserand, 9 juin 1873.

5Les relations nouées entre observatoires se fondent sur une alliance harmonieuse et bienveillante, qui tente de se dégager des contingences géopolitiques et des stratégies d'affrontements internationaux. Dans une lettre adressée à Félix Tisserand le 9 juin 1873, A. Hirsch, directeur de l'observatoire de Neuchâtel, regrette les effets dévastateurs du conflit entre la France et la Prusse. Il déplore que la science ne soit pas toujours parvenue à s'extraire de cet environnement belliqueux : « tâchons de faire régner entre nous les rapports de bonne confraternité qui ont été troublés si malheureusement entre une partie des savants français et étrangers2 ».

  • 3 AMT, 2R 140, Lettre de Louìs Grüker à Félix Tisserand, 19 mars 1875.
  • 4 AMT, 2R 11104, Lettre de Friedrich Bidschof à Benjamin Baillaud, 11 octobre 1895.

6La Carte du ciel a certes accéléré les échanges d'informations à grande échelle ou même sur le territoire national, mais dès le début des années 1870, la circulation épistolaire est intense, et le flux des courriers, nourri. Les astronomes français ou étrangers s'adressent régulièrement à leurs homologues de la cité garonnaise pour obtenir quelques précisions sur une observation qu'ils ont pu effectuer. La découverte d'une nouvelle planète par Joseph Perrotin en 1874 suscite un abondant courrier d'observateurs désireux de retrouver l'astre et d'affiner les données relatives à sa trajectoire. Louis Grûker, du Bureau des Longitudes autrichien, écrit à Félix Tisserand en 1875, qu'il est « occupé avec le calcul de l'orbite de la planète Tolosa 138 et n'ayant à [s]a disposition que des observations postérieures au 7 juin 1874 », il souhaite pouvoir compléter ses informations lacunaires, notamment « entre le 19 mai, jour de la découverte et le 7 juin3 ». De la même manière en 1895, les « observations de la Comète Wolf (1891 II) », publiées dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences par Eugène Cosserat, suscitent l'intérêt de Friedrich Bidschof de l'observatoire de Vienne. Il souhaite que Baillaud lui fournisse les « bonnes positions pour les étoiles4 » de repère utilisées par l'astronome toulousain.

  • 5 AMT, 2R 104, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 16 novembre 1892.

7Les demandes de renseignements sont réciproques et les astronomes toulousains mobilisent régulièrement les compétences de leurs collègues pour affiner leurs recherches. En novembre 1892, Benjamin Baillaud contacte le savant hongrois Léopold Schulhof, « si compétent en tout ce qui concerne les comètes », pour trouver « un des fragments de la [comète] de Bééla ». L'astronome magyar lui fait parvenir, par l'intermédiaire de Félix Tisserand, une « éphéméride de recherche5 », qui lui permet d'explorer la bonne région du ciel.

  • 6 AMT, 2R 104, Lettre de Georges Rayet à Benjamin Baillaud, 6 mars 1892.
  • 7 AMT, 2R 104, Lettre de Georges Mathieu à Benjamin Baillaud, 6 décembre 1895.

8Les questions posées ou les renseignements désirés ne portent pas seulement sur la science des astres, mais concernent aussi l'étude du climat. Georges Rayet prévient Benjamin Baillaud le 6 mars 1892 qu'il est à « [s]a disposition pour [lui] transmettre les observations météorologiques nécessaires à [s]on service d'avertissement6 ». À Juvisy, c'est Georges Mathieu qui réclame à plusieurs reprises la copie des registres d'études atmosphériques de Toulouse. Il explique que son établissement s'occupe notamment « d'un travail de comparaison entre les diverses températures7 » et qu'à cette fin, il exploite l'ensemble des données compilées sur le territoire.

  • 8 AMT, 2R 138, Lettre de Georges Rayet à Benjamin Baillaud, 25 septembre 1900.
  • 9 AMT, 2R 90, Lettre de Jules Gruey à Benjamin Baillaud, 17 mai 1893.

9Les discussions épistolaires autour des problèmes techniques ou des modifications à apporter aux outils scientifiques concernent essentiellement les observatoires français. Nous avons vu qu'il existait une certaine cohérence instrumentale dans les établissements astronomiques répartis sur le territoire national, ce qui explique pour une part, cette rétractation du forum d'échanges. Georges Rayet veut connaître en 1900, les caractéristiques et les performances du « petit objectif photographique » des frères Henry, dont dispose Baillaud. L'astronome bordelais n'a pas réussi à obtenir « un objectif photographique de 0,16 m d'ouverture avec 1,14 m de distance focale », propre à examiner « les petites planètes8 ». De la même manière, avant de s'engager dans l'achat coûteux d'une « pile Lalande et Chaperon pour l'éclairage [des] instruments », Jules Gruey, directeur de l'observatoire de Besançon, souhaite connaître l'avis de Benjamin Baillaud qui a « fait un long usage9 » de ce dispositif. Se méfiant des lampes trop fragiles, il reconnaît toutefois leur intérêt et souhaite des indications claires sur la robustesse de celles qu'il envisage d'acquérir.

10Les échanges épistolaires permettent aux astronomes toulousains de fournir ou d'obtenir des renseignements précis et ponctuels. Les différents observatoires organisent une circulation plus régulière des données qu'ils ne cessent de produire et d'imprimer. Les annales, bulletins et mémoires des établissements savants se répandent dans la communauté astronomique et structurent une véritable économie des publications.

  • 10 AMT, 105, Lettre de Paul Stroobant à Benjamin Baillaud, 1er juin 1906.
  • 11 AMT, 2R 139, Lettre de Louìs Montangerand à Benjamin Baillaud, 18 septembre 1889.

11Paul Stroobant, directeur de l'observatoire de Belgique assure, en 1906 qu'« il a toujours existé entre les divers astronomes du monde, des relations directes et continues ». Il explique qu'« on aime à connaître ceux qui, ailleurs, s'occupent des mêmes travaux, afin d'échanger plus facilement les publications et de suivre, d'une manière constante et sûre les progrès accomplis dans l'une ou l'autre partie de l'astronomie10 ». Bien plus qu'un simple moyen d'actualiser en permanence les données scientifiques, les périodiques sont une source d'émulation importante. « La connaissance annuelle [...] de ce qui se fait ailleurs [...] est non seulement une information, mais un stimulant11 », confie Louis Montangerand à Benjamin Baillaud.

  • 12 AMT, 2R 95, B. Baillaud, Rapport sur l'état actuel de l'Observatoire de Toulouse et sur les travau (...)
  • 13 AMT, 2R 140, Lettre d'Auguste Martinez à Benjamin Baillaud, 22 septembre 1896.
  • 14 AMT, 2R 140, Lettre du directeur de l'observatoire d'Allegheny à Benjamin Baillaud, octobre 1901.
  • 15 AMT, 2R 140, Lettre d'Eugen de Gothard à Benjamin Baillaud, mars 1884.
  • 16 AMT, 2R 140, Lettre de Joseph Feran à Benjamin Baillaud, 7 avril 1905.
  • 17 AMT, 2R 140, Liste de distribution des volumes 4 et 5 des Annales de l'Observatoire de Toulouse, s (...)

12Le corpus de textes ainsi accumulés permet à la bibliothèque de l'observatoire de prendre forme. Le directeur de l'institution toulousaine note, dans le rapport de l'année 1903, que « la bibliothèque s'accroît par les donations ou échanges12 ». Auguste Martinez, à la tête de l'observatoire de Quito en 1896, relate les difficultés qu'il doit surmonter pour mettre en œuvre une activité régulière et soutenue dans un établissement flambant neuf. Il demande aux astronomes de la cité garonnaise de bien vouloir « favoriser sa naissante bibliothèque avec les importantes publications de [l'] Observatoire13 » de la cité garonnaise. La circulation des annales et mémoires repose sur des échanges gratuits et réciproques. Le directeur de l'observatoire Allegheny, aux États-Unis, rappelle que les volumes qu'il propose « are not for sale but are only offered in exchange for publications which our observatory needs to complete its sets14 ». Eugen de Gothard, à la tête de l'institution astronomique de Hereng en Hongrie, précise aux Toulousains qu'il fait parvenir les brochures compilant les résultats obtenus en espérant qu'ils veuillent bien « lui accorder la réciprocité15 ». Le don — contre-don organise donc l'espace de circulation éditoriale des observatoires français et étrangers. Il s'agit d'une règle scrupuleusement suivie, qui ne souffre ni retard, ni oubli. Les observateurs de Grenade en Espagne menacent, en 1905, de suspendre les relations avec Toulouse qui n'envoie plus ses productions. Le directeur de l'établissement ibérique, Joseph Feràn supplie qu'on lui fasse parvenir les Annales de l'Observatoire « en échange de [leur] "Boletîn Mensual" », qu'ils n'omettent jamais d'expédier. « En cas échéant, poursuit l'astronome andalou, peut-être aurions nous le regret de ne pas pouvoir vous l'envoyer comme auparavant, sans l'échange de vos intéressantes publications que nous avons l'espoir de recevoir16. » La liste des institutions avec lesquelles l'observatoire de Toulouse échange ses Annales, permet de cartographier le réseau astronomique qui s'ébauche à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle. Baillaud fait parvenir le quatrième tome, imprimé en 1901, à 84 observatoires européens dont 20 britanniques, 14 allemands et 16 français. Il expédie 29 volumes sur le continent américain dont 19 aux États-Unis. Enfin, il adresse 13 exemplaires des Annales en Russie, un en Turquie, un aux Iles Philippines, un au Japon et un dernier en Chine17.

13Les ramifications de ce réseau d'échanges sont sans commune mesure avec les tentatives ponctuelles et circonscrites des astronomes toulousains du xviiie siècle et du début du xixe siècle pour franchir les frontières nationales. La circulation des résultats imprimés et des compilations de données connaît une expansion importante à l'aube du xxe siècle. Même s'il est difficile de mesurer exactement le rôle joué par le projet de la Carte du ciel dans cette internationalisation des échanges scientifiques, il est incontestable que cette entreprise de grande envergure, mobilisant des observatoires répartis sur tout le globe, a favorisé les connexions entre établissements et les dialogues entre astronomes. Toutefois, les relations qui s'ébauchent à travers le monde ne doivent pas cacher que le territoire français reste l'espace de coopération privilégié au sein duquel transitent non seulement des informations et des publications, mais également des outils techniques.

  • 18 AMT, 2R 104, Lettre de Bernard Brunhes à Benjamin Baillaud, 28 octobre 1902.
  • 19 AMT, 2R 99, Lettre du commandant Guyon à Benjamin Baillaud, 17 janvier 1906.

14Bernard Brunhes, qui dirige l'observatoire météorologique du Puy de Dôme, confirme à Benjamin Baillaud en 1902 qu'il a trouvé dans l'arsenal instrumental mis à sa disposition « un appareil signé d'Ausfeld de Gotha » qui est bien le « photomètre » recherché par Henry Bourget. Brunhes assure à l'astronome toulousain qu'il tient l'objet « à [sa] disposition » s'il pense « qu'il puisse [lui] être utile18 ». De la même manière, l'observatoire de Montsouris transmet provisoirement à Baillaud un « spectroscope19 » pour faire des expérimentations en 1906.

  • 20 AMT, 2R 104, Lettre de Benjamin Baillaud au président du Bureau des Longitudes Gaston Darboux, 20 (...)
  • 21 AMT, 2R 138, Lettre du lieutenant de vaisseau Ferry à Benjamin Baillaud, 26 janvier 1905.
  • 22 AMT, 2R 99, Copie d'une lettre du lieutenant de vaisseau Ferry au président du Bureau des Longitud (...)

15Les prêts d'instruments semblent en apparence totalement libres. Toutefois, le Bureau des Longitudes peut intervenir dans ce commerce technique et réguler la circulation des outils échangés. L'équatorial que possède l'observatoire astronomique de la Marine à Toulon, intéresse vivement les astronomes toulousains pour y adapter un appareil photographique20. Le lieutenant de vaisseau Ferry, qui dirige l'institution savante varoise, accepte de céder, pour une durée limitée, l'instrument convoité par Benjamin Baillaud. Il lui écrit, le 26 janvier 1905, que l'objet a bien été expédié par train21. Un an plus tard, les observateurs de la cité garonnaise restituent l'équatorial à leurs homologues toulonnais. Ces derniers constatent que l'instrument leur est revenu « en mauvais état. Il manque le viseur et sa console, la plaque de fixation de la tringle d'immobilisation, l'oculaire de la lunette d'éclairage intérieur, un certain nombre de vis. L'embrayage ne fonctionne plus, le régulateur est faussé, le mouvement du fil mobile du micromètre ne fonctionne plus. Le micromètre est complètement hors d'usage22 ». Le lieutenant de vaisseau Ferry se plaint de ces sévères dégradations survenues pendant le séjour de l'outil scientifique à Toulouse. Il écrit au Bureau des Longitudes en janvier 1906 et lui fait part de sa surprise et de sa colère. L'instance astronomique parisienne tance Benjamin Baillaud ; son président, Gaston Darboux, lui adresse une sévère réprimande et lui demande de s'expliquer :

  • 23 AMT, 2R 99, Lettre du président du Bureau des Longitudes, Gaston Darboux à Benjamin Baillaud, 18 j (...)

Je vous serais obligé, Monsieur le Directeur, de vouloir bien, pour ce que qui vous concerne dans cette réclamation, me mettre en mesure de répondre et de m'indiquer ce dont vous vous considérez comme responsable23.

  • 24 AMT, 2R 99, Lettre de Benjamin Baillaud au lieutenant de vaisseau Ferry, 27 janvier 1906.

16Le directeur de l'observatoire de Toulouse assure qu'il est disposé « à payer le réparateur » et qu'il compte bien « résoudre la question à la satisfaction de tous24 ».

17En somme, le Bureau des Longitudes arbitre les différends et veille surtout à ce que les instruments prêtés soient protégés. L'établissement astronomique parisien apparaît donc comme une instance officieuse contrôlant à distance la circulation des objets techniques entre observatoires. L'hégémonie centralisatrice de la Capitale, dans les décisions politiques autant que dans les impulsions scientifiques, permet l'émergence d'une solidarité provinciale en miroir.

  • 25 AMT, 2R 104, Lettre d'Édouard Stephan à Benjamin Baillaud, 5 novembre 1878.
  • 26 Ibid., 7 décembre 1894.
  • 27 AMT, 2R 90, Lettre d'Édouard Stephan à Benjamin Baillaud, 6 février 1895.

18Édouard Stephan, de l'observatoire de Marseille, prend contact avec Benjamin Baillaud dès l'arrivée de ce dernier à Toulouse en 1878. Il lui expose une possible organisation d'entraide : « Je m'empresse de vous communiquer tout ce qui pourra vous intéresser, de même que j'attends vos communications », écrit l'astronome phocéen. Il assure également que Charles André, à Lyon, lui a « promis de venir prochainement à Marseille ». Il adjure Baillaud de les rejoindre : « Nous aurons probablement dans l'avenir besoin de nous soutenir mutuellement dans beaucoup de questions intéressant les observatoires de province25. » Cette association tacite se fonde sur la réunion des forces dispersées géographiquement, mais dont les intérêts sont communs. Stephan, toujours lui, prépare à la fin de l'année 1894 une offensive auprès du député marseillais Jean-Charles Roux, afin d'obtenir du parlement « un crédit de 15 000 francs destiné à [leurs] établissements ». Il propose à Benjamin Baillaud d'en faire de même : « si vous avez de l'action sur quelques uns de vos députés de Toulouse, supplie-t-il, stylez-les dans le même sens et préparez-les à signer l'amendement de M. J. Ch. Roux26 ». Le 6 février 1895, l'observateur marseillais exulte. Le député Roux a « accepté la paternité » du projet d'amendement visant à accroître les subsides accordés aux observatoires provinciaux. Il ajoute que la signature du parlementaire « est appuyée par celle de 17 de ses collègues pris un peu partout dans l'assemblée ». Jean-Charles Roux a, en outre, publié un article dans le Journal des débats afin de donner une plus grande publicité à l'affaire. Edouard Stephan conclut triomphalement : « Dans ces conditions nous pouvons réussir27. » Les observatoires provinciaux s'organisent autour de l'établissement phocéen pour constituer un bloc susceptible de rivaliser avec la puissance parisienne. Car, en creux, c'est une fronde sourde mais résolue qui unit la province contre la Capitale. Cette adversité trace les contours d'un réseau d'intérêts étendu sur tout le territoire national.

  • 28 Henry Bourget, Éclipse totale de Soleil du 28 mai 1900. Rapport de la mission organisée par l'Univ (...)
  • 29 AMT, 2R 104, Lettre de Georges Meslin à Benjamin Baillaud, 11 juillet 1899.
  • 30 H. Bourget, Éclipse totale de Soleil du 28 mai, op. cit., p. 6.
  • 31 Ibid., p. 5.
  • 32 Dominique Pestre, « Expéditions », in Nicolas Witkowski (dir.), Dictionnaire culturel des sciences (...)
  • 33 H. Bourget, Éclipse totale de Soleil du 28 mai 1900, op. cit., p. 5.

19Les expéditions scientifiques mettent en jeu des processus de coopération encore plus large, rapprochant observatoires et universités. En 1900, Auguste Lebeuf et Georges Meslin, professeurs à la faculté des sciences de Montpellier, souhaitent s'associer aux astronomes toulousains pour observer l'éclipse de soleil en Espagne. Benjamin Baillaud hésite, mais la détermination des deux enseignants et l'investissement financier promis par la faculté héraultaise convainquent l'astronome toulousain de donner son accord à cette alliance inédite. Le site choisi est celui d'Elche près d'Alicante28. Prévenant, Meslin propose de se rendre à Toulouse à l'automne 1899 afin d'« éviter tout mécompte au dernier moment et [de] bien assurer la préparation de chaque rôle ». Ainsi, précise-t-il, « sur place et avec les instruments il serait beaucoup plus facile de se comprendre ». La coordination se doit d'être parfaite et les deux équipes d'observateurs prévoient de répéter les gestes, d'assurer leurs placements, et de synchroniser leurs actes bien avant l'éclipse. Meslin reconnaît ne pouvoir apporter qu'une aide matérielle limitée : « Je dois surtout compter sur vos instruments29 », confie-t-il à Benjamin Baillaud en juillet 1899. Cette faiblesse des ressources techniques montpelliéraines conditionne sur place la distribution des activités. La dextérité d'un observateur habitué à manier un instrument familier interdit à celui qui n'a aucun outil de pouvoir s'en saisir. Lebeuf est donc relégué dans un rôle subalterne. Alors qu'Henry Bourget, qui mène la délégation toulousaine, manœuvre un « revolver photographique et les mouvements lents [d'une] lunette », l'enseignant héraultais se contente d'examiner la pendule et d'avertir par « un coup de fusil » l'imminence du « second contact30 », pour permettre aux astronomes de prendre des clichés. Les expéditions scientifiques rassemblent malgré tout un cercle d'observateurs beaucoup plus large que celui qui officie d'ordinaire dans les observatoires. Henry Bourget rapporte ainsi que dans les derniers jours avant l'éclipse, « M. Joubin, professeur de physique à l'Université de Besançon » s'est joint à la petite équipe pour « mesurer la polarisation elliptique de la couronne solaire31 ». Dominique Pestre souligne que « la communauté des gens de terrain est beaucoup moins "calibrée" que la population des laboratoires et que les amateurs continuent à jouer un rôle important dans la collecte des informations32 ». À Elche, la mission menée par Bourget accueille « M. Moye professeur à la Faculté de droit et M. Tramblay ». L'astronome toulousain précise qu'ils sont d'« habiles astronomes amateurs ». Le premier se charge « de la lunette de Steinheil [.] et de l'observation sur le sol des célèbres bandes ondulantes », le second note « les phénomènes généraux extérieurs et les variations des thermomètres33 ».

  • 34 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, mai 1900.

20Les astronomes de la cité garonnaise restent maîtres du déroulement de la campagne en Espagne pour l'éclipse de Soleil de 1900, mais ils s'investissent dans une coopération ouverte à l'université de Montpellier et aux observateurs non professionnels. Cette entraide ne doit toutefois pas cacher le contexte extrêmement concurrentiel que peut représenter une expédition telle que celle de 1900, mobilisant tous les observatoires français. La ligne de fracture entre Paris et la province et la tentation hégémonique du Bureau des Longitudes accentuent la rivalité et favorisent les petites mesquineries vexatoires. Henry Bourget explique à Benjamin Baillaud que, grâce aux efforts déployés par Auguste Lebeuf et Jean Carrère, la mission toulousaine dispose de « la meilleure installation [...] et sans rien payer » puisque c'est un ami de l'enseignant héraultais qui prête une imposante villa aux observateurs. Cette position très enviable suscite une « petite prise de bec avec [Alfred] Cornu », membre du Bureau des Longitudes, qui doit se contenter d'un emplacement moins favorable. Pour Henry Bourget, l'explication est simple : l'institution parisienne « avait déjà jeté les yeux sur Elche et [.] nous leur avons coupé l'herbe sous le pied. Raison qui nous excite à très bien faire34 ».

  • 35 AOP, Ms 1060 V, Lettre de Friedrich Argelander à Charles Delaunay, 3 juillet 1872.
  • 36 AMT, 2R 110, Lettre de Félix Tisserand au maire de Toulouse, 3 mai 1875.

21Au-delà de cette opposition entre la province et la capitale, la lutte est parfois âpre entre l'observatoire de Marseille et de celui de Toulouse pour dominer l'espace savant provincial. Dès 1872, alors que l'établissement de la cité garonnaise n'est pas encore réorganisé par le décret de Delaunay, l'astronome allemand Friedrich Argelander se réjouit de la renaissance programmée et écrit au directeur de l'observatoire de Paris qu'il « est à espérer que ce nouveau temple d'Uranie par son ciel favorable et en rivalisant avec celui de Marseille [.] fourni[sse] maintes nouvelles découvertes35 ». Les termes de la concurrence sont ici clairement énoncés car, dans la dernière partie du xixe siècle, c'est bien avec la cité phocéenne que Toulouse entre en compétition. Félix Tisserand avoue au maire de Toulouse en mai 1875 que l'installation prochaine d'« une lunette équatoriale de 8 pouces d'ouverture » permettra à l'observatoire de la cité garonnaise de « rivaliser avec celui de Marseille36 ». À la fois concurrent et modèle, adversaire et référence, l'établissement phocéen apparaît à la fin du xixe siècle, de la même manière que Montpellier au xviiie siècle, comme l'alter ego provincial de l'institution savante toulousaine.

22Échanges et coopérations laissent apparaître à l'aube du xxe siècle un réseau astronomique mondial dense et actif. Informations et ouvrages circulent entre les observatoires. Cette nouvelle dimension de la vie scientifique ne réduit pas les oppositions et les tensions qui existent sur le territoire national entre Paris et la province d'une part et entre Toulouse et Marseille d'autre part. La cité savante s'agrandit et la diffusion des productions scientifiques s'étend dans toutes les ramifications de cet imposant maillage. Les publications imprimées et les exposés oraux, espaces privilégiés d'expression sont, davantage encore qu'auparavant, encadrés et codifiés.

Publications et communications

23Les astronomes toulousains doivent sans cesse mettre en avant leur zèle et la foisonnante activité de leur observatoire. Pour cela, les publications imprimées constituent la mesure tangible des efforts déployés par les savants de la cité garonnaise.

  • 37 B. Baillaud, « Introduction », Annales de l'Observatoire astronomique, magnétique et météorologiqu (...)
  • 38 Félix Tisserand est élu correspondant en 1874 et membre en 1878. Benjamin Baillaud est corresponda (...)
  • 39 AMT, 2R 104, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 3 janvier 1906.

24L'édition des Annales de l'établissement scientifique permet de signaler à l'attention de la communauté astronomique la qualité et la régularité des recherches menées. Lorsqu'en 1899, après une période pendant laquelle Benjamin Baillaud a dû faire face à d'innombrables « difficultés budgétaires » qui l'ont contraint à « ajourner d'année en année l'impression des travaux accumulés », le directeur de l'observatoire de Toulouse assure dans l'introduction du nouveau volume d'Annales, enfin présenté, que « durant ce long intervalle de temps, l'activité des travaux d'observation [...] a été toujours croissante » et prévient que l'ouvrage sera « rapidement suivi de plusieurs autres37 ». La publication des Annales est parfois perturbée par des fluctuations financières qui rendent aléatoires le rassemblement et la présentation des données produites au sein de l'observatoire. Les Comptes rendus de l'Académie des Sciences qui paraissent à un rythme régulier, restent le périodique de référence pour la communauté savante. La Compagnie parisienne occupe une place centrale dans le paysage scientifique français depuis le xviiie siècle. Elle continue à polariser la vie savante, et les astronomes toulousains comme Félix Tisserand, Benjamin Baillaud, Henri Andoyer et Eugène Cosserat ne ménagent pas leurs efforts pour s'y faire élire correspondant ou membre38. Par comparaison, l'Académie des sciences de la cité garonnaise s'efface encore un peu plus dans le champ scientifique français. Émile Mathias, qui appartient comme Baillaud, au cénacle local, reconnaît combien il est difficile de dynamiser cette assemblée qui ne cesse de décliner depuis le début du xixe siècle. Le physicien assure qu'il est impossible de recruter « les ingénieurs [...] présents à Toulouse, même les plus brillants », car ils ne font « pas de recherches personnelles39 » et ne publient pas.

  • 40 AMT, 2R 110, Lettre de Félix Tisserand à M. Constans, 3 février 1877.

25L'hégémonie parisienne est presque sans limite et la parution d'une note ou d'un mémoire dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences assure une large audience et une reconnaissance immédiate. Accumulées, les données transmises à la Compagnie de la capitale témoignent, auprès des autorités politiques, de l'ardente activité des astronomes. Félix Tisserand explique en 1877 au député Constans qui doit soutenir une demande de crédit pour le grand équatorial, que « l'observatoire de Toulouse a déjà beaucoup travaillé ; depuis 1873 jusqu'à l'époque actuelle [...] au moins vingt communications importantes ont été adressées à l'Académie des Sciences de Paris40 ».

  • 41 Notice sur les travaux scientifiques de M. B. Baillaud, op. cit.
  • 42 Notice sur les travaux scientifiques de M. Eugène Cosserat, op. cit.
  • 43 Les articles de Frédéric Rossard sont présentés dans la bibliographie à la fin de l'ouvrage.
  • 44 Dominique Saint Blancat, « Premier Catalogue de Toulouse rapporté à l'équatorial est à l'équinoxe (...)
  • 45 D. Saint Blancat, Frédéric Rossard, « Observations de la comète Morehouse 1908 c faites à l'équato (...)

26Les observateurs de la cité garonnaise plébiscitent ce périodique qu'ils abreuvent de leurs notes. Benjamin Baillaud entre 1878 et 1907 y fait parvenir 23 de ses communications sur un total de 65 articles imprimés, loin devant les 12 mémoires rassemblés dans les Annales de l'Observatoire41. Eugène Cosserat, de 1886 à 1895, rédige, pour les Comptes rendus de l'Académie des Sciences plus de la moitié de ses travaux écrits42. Parmi les aides astronomes, Frédéric Rossard fournit à lui seul plus du quart des communications transmises entre 1878 et 190843. La division du travail en fonction des instruments détermine en grande partie la possibilité ou non d'éditer les recherches dans la prestigieuse publication parisienne. Frédéric Rossard travaille, le plus souvent, à l'équatorial, ce qui lui permet de repérer et de faire parvenir aussitôt le résultat de ses mesures. Les travaux menés par Dominique Saint Blancat au cercle méridien se prêtent mal à une succession de notes. Il s'agit d'une longue et patiente récolte de données qui prend la forme d'un catalogue compilant les informations amassées sur plusieurs années. Les Annales de l'Observatoire sont dans ce cas-là un support éditorial bien plus adapté44. La bibliographie de Saint Blancat ne comporte en revanche qu'une seule note publiée dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences et cosignée avec Frédéric Rossard45.

  • 46 Louis Montangerand, « Sur la variabilité de la planète Éros, d'après les clichés obtenus à l'obser (...)
  • 47 B. Baillaud, « Note relative à la communication de M. Montangerand », Compte rendu de l'Académie d (...)

27Le cheminement des observations depuis leurs relevés dans la coupole jusqu'à l'impression dans les Comptes rendus est encadré par une série de procédures et de règles toujours tacites, mais plus contraignantes encore qu'à l'époque de Frédéric Petit. Dans la dernière partie du xixe siècle, la hiérarchie des fonctions au sein de l'observatoire permet au directeur de vérifier le contenu des travaux de ses subalternes avant qu'ils ne parviennent à l'Académie des sciences. Benjamin Baillaud explique, le 11 mars 1901, qu'il a retardé le texte de Louis Montangerand « sur la variabilité de la planète Éros, d'après les clichés obtenus à l'observatoire de Toulouse46 ». L'aide astronome lui avait « communiqué dès le dimanche 3 mars, en [le] priant d'en faire part à l'Académie, le résultat de 2"4 m qu'il déduisait de son premier cliché ». Le temps a manqué « pour une vérification quelconque », et le directeur de l'établissement savant estime « qu'il valait mieux attendre que d'autres clichés vinssent confirmer le résultat47 ».

  • 48 AMT, 2R 142, Lettre de Maurice Loewy à Benjamin Baillaud, 9 mars 1901.
  • 49 Par exemple : AMT, 2R 104, Lettre d'Urbain Le Verrier à Félix Tisserand, 4 mai 1875 à propos de la (...)
  • 50 F. Rossard, « Observations de la comète Faye faites au grand télescope de l'Observatoire de Toulou (...)
  • 51 AMT, 2R 104, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 30 décembre 1895.

28Une fois vérifiée, la note est ensuite transmise à un astronome parisien membre de la Compagnie. Maurice Loewy se charge ainsi le 8 mars 1901 de lire en séance les communications de Benjamin Baillaud et de Louis Montangerand, « relatives à la variation d'éclat de la planète Éros48 ». Auparavant Urbain Le Verrier, puis Félix Tisserand ont été les porte-voix des observateurs toulousains dans l'enceinte du plus renommé des cercles savants de la Capitale49. Cet ultime passage, par un intermédiaire introduit dans le lieu, est aussi l'occasion d'une relecture critique sur le fond comme sur la forme. Félix Tisserand écrit à Benjamin Baillaud en décembre 1895 au sujet d'une observation de la planète Charlois, suivie à « l'équatorial de 0m2550 » par Frédéric Rossard. L'ancien directeur de l'établissement savant toulousain souligne qu'« il y a quelques inexactitudes : d'abord M. Rossard devrait mettre dans son titre les mots Observatoire de Toulouse », ensuite, l'ascension droite n'est pas réduite correctement et « il y a un nombre à modifier ». Tisserand signale « ces inadvertances [.] dans l'intérêt de l'observatoire51 ».

  • 52 AMT, 2R 102, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 24 février 1879.
  • 53 AMT, 2R 142, Lettre du secrétaire du directeur de l'observatoire de Paris, Fraycinet, à Benjamin B (...)

29Les astronomes toulousains, désireux de montrer leur productivité, envoient les travaux en masse. Mais leurs correspondants parisiens ne cessent de tempérer leur ardeur et insistent sur les rythmes de publication qui constituent une norme implicite d'édition. Tisserand dicte à Baillaud en 1879 la cadence à respecter pour faire parvenir à l'Académie l'examen des satellites de Jupiter, mené par Joseph Perrotin et Guillaume Bigourdan : « Attendez 5 à 6 semaines pour envoyer le reste des phénomènes, il faut espacer les communications, je faisais toujours ainsi52. » En 1901, Maurice Loewy conseille plutôt de synthétiser les travaux. Il estime « qu'il serait préférable [.] de ne pas envoyer plusieurs notes sur une même étude et de les condenser en une seule communication pour un même établissement et pour le même jour de séance53 ».

30Les conseils ou les rectifications se font sur un mode courtois et ne débordent pas du cadre confidentiel de la missive personnelle. Les oppositions, les critiques et même les admonestations ne sont toutefois pas absentes au sein de l'Académie des sciences. Les discussions et les débats autour des Comptes rendus animent la vie de la communauté astronomique sans toutefois être publics. Charles André, directeur de l'observatoire de Lyon, n'apprécie guère la manière dont Louis Montagerand a procédé en 1901 pour relever les variations d'éclats d'Éros et il le fait savoir dans une lettre aux termes vifs, adressée à son collègue et ami Benjamin Baillaud :

  • 54 AMT, 2R 90, Lettre de Charles André à Benjamin Baillaud, 1901.

Il est bien regrettable que cet astronome n'ait pas cherché à observer ce que j'appelle une période entière, c'est à dire une série de deux minima et deux maxima successifs [...]. Et le regret que j'émets est un regret scientifique. Peut-être aurait-il pu, car sans doute il y a eu chez vous plus de beau temps qu'ici, apporter son concours à la démonstration de la durée double54.

31La critique est sévère, mais elle s'élabore discrètement dans un échange épistolaire. L'émergence d'une communauté astronomique homogène dans laquelle les scientifiques formés à l'École normale supérieure, se connaissent, s'estiment et s'apprécient, limite les tensions et les oppositions aux missives personnelles.

  • 55 AMT, 2R 107, Ernest Mouchez à Benjamin Baillaud, 5 janvier 1884.
  • 56 Notice sur les travaux scientifiques de M. B. Baillaud, op. cit.
  • 57 Notice sur les travaux scientifiques de M. Eugène Cosserat, op. cit.

32Les Comptes rendus de l'Académie des Sciences ne sont pas les seuls supports de diffusion des travaux et des recherches astronomiques. D'autres périodiques, plus spécialisés, émergent dans la dernière partie du xixe siècle. Ils tentent de s'imposer dans une offre éditoriale largement dominée par la prestigieuse publication de la Compagnie parisienne. Le contre-amiral Mouchez prévient son homologue toulousain en janvier 1884, que « l'Observatoire de Paris va fonder une revue astronomique mensuelle sous le titre "Bulletin astronomique, publié par M. F. Tisserand avec le concours de MM. Callandreau et Radeau, et sous les hospices de l'Observatoire de Paris" ». Le contenu de cette publication est divisé en trois espaces distincts : d'abord les « Mémoires et observations faites dans le mois précédent », puis l'inventaire des revues étrangères et enfin une rubrique « variétés » qui rassemble « quelques renseignements sur les questions scientifiques à l'ordre du jour et relative aux sciences en rapport immédiat avec l'astronomie : physique du globe, météorologie, géodésie ». Les thématiques abordées sont donc presque exclusivement centrées sur la science des astres et sa pratique professionnelle. Mouchez confirme qu'il s'agit de rendre la revue « aussi utile et intéressante que possible pour les astronomes et les hommes de science qui s'intéressent à l'astronomie ». Le directeur de l'établissement de la Capitale souhaite mobiliser tous les observatoires pour nourrir ce périodique. « Désirant donner à cette Revue toute l'utilité et tout l'intérêt possible, je compte sur votre entier concours et celui de votre personnel. Je serais heureux, conclut Mouchez, d'y faire figurer chaque mois le résumé des travaux faits dans les mois précédents dans votre observatoire55. » Les astronomes toulousains participent donc à l'élaboration du Bulletin Astronomique et contribuent à sa pérennisation en fournissant des mémoires. Toutefois, les articles qu'ils transmettent à cette nouvelle publication sont bien moins nombreux que ceux envoyés aux Comptes rendus à l'Académie des Sciences. Benjamin Baillaud en a donné 4 sur les 65 qu'il a rédigés en tout entre 1878 et 190756. De même Eugène Cosserat livre 5 notes au Bulletin Astronomique entre 1886 et 1895, sur un total de 42 études imprimées dans des revues57. Les Comptes rendus de l'Académie des Sciences restent sans concurrent car leur audience dépasse le strict cadre de l'astronomie et permet aux observateurs de se faire reconnaître par toute la communauté savante, sans distinction de discipline. La création du Bulletin Astronomique témoigne d'un puissant mouvement de spécialisation des publications scientifiques. Au sein même de la science des astres, la fragmentation des pratiques et l'apparition de projets internationaux favorisent l'éclosion de nouvelles surfaces éditoriales plus finement orientées encore dans leur contenu.

  • 58 AMT, 2R 142, Lettre de Charles Trépied à Benjamin Baillaud, 16 octobre 1904.

33L'élaboration de la Carte du ciel produit une multitude d'écrits imprimés. Le Bulletin du Comité International permanent, permet une circulation fluide des informations entre les astronomes. Les résultats eux-mêmes, les données récoltées, font l'objet de publications séparées. C'est le cas en particulier pour les « mesures originales [des] clichés d'Éros » associées à la Carte du ciel. Maurice Loewy, qui coordonne ce projet à l'observatoire de Paris, propose, avec Charles Trépied un format d'impression soigneusement détaillé. En effet, « pour chaque cliché, ces tableaux de coordonnées seraient partagés en trois groupes : le premier comprenant les étoiles de repère et la planète, le deuxième les étoiles situées dans le carré de 20 minutes ayant pour centre la planète, le troisième les étoiles de comparaison ». Charles Trépied assure que ce sont « les dispositions [.] les plus rationnelles et les plus économiques » qui ont présidé à l'élaboration du cadre éditorial et à cette succession séquencée de données chiffrées. L'objectif est de « mettre entre les mains des astronomes qui voudront s'occuper du problème de la parallaxe, les matériaux si considérables accumulés dans [les] observatoires durant la campagne de 1900-190158 ». Ni périodique, ni ouvrage, ces imprimés produits par la Carte du ciel sont un objet éditorial intermédiaire qui permet à la fois de démontrer l'activité des établissements savants et de diffuser les résultats d'un projet international.

  • 59 B. Baillaud, Cours d'astronomie à l'usage des étudiants de la Faculté des sciences, Première parti (...)
  • 60 Henri Andoyer, bulletin des sciences mathématiques, 2e série, T. XXI, 1897, p. 114.

34La rédaction d'un livre se distingue, dans ses intentions, des compilations de données ou des articles ponctuels. Il ne s'agit pas d'abreuver le lecteur de mesures, ni d'inonder les pages de chiffres. Benjamin Baillaud publie, en 1893 et 1896, une version imprimée de son Cours d'astronomie à l'usage des étudiants de la Faculté des sciences59. Henri Andoyer écrit, à propos du second volume, que le directeur de l'établissement toulousain « a voulu donner à l'étudiant qui veut apprendre l'astronomie les moyens de se mettre au courant de ce qui se fait réellement dans les Observatoires quand on veut tirer parti d'une observation60 ».

  • 61 René Taton, « Algèbres et géométrie », in R. Taton (dir.), La science contemporaine, T. I : Le xix(...)
  • 62 Émile Picard, « Introduction », in B. Baillaud, H. Bourget, Correspondance d'Hermitte et Stieltjes (...)

35Outre les ouvrages pédagogiques, le directeur de l'établissement toulousain a édité, avec son collègue Henry Bourget, la correspondance scientifique du mathématicien Charles Hermitte et de l'astronome Thomas-Jan Stieltjes qui a travaillé à Toulouse, disparus respectivement en 1901 et 1894. Des échanges épistolaires nourris ont fini par constituer un corpus scientifique cohérent notamment dans la théorie des fonctions61. Charles Hermitte avait souhaité avant de mourir que l'ensemble des lettres soit édité. Baillaud et Bourget « qui avaient beaucoup connu et beaucoup aimé leur collègue de la Faculté des sciences entreprirent [.] la collation des lettres et firent quelques coupures nécessaires62 ».

36La publication des cours ou des correspondances savantes ne compile pas de données ni de mesures. Ils donnent à voir un travail scientifique qui prolonge l'activité de l'observatoire en se déployant dans le registre pédagogique ou en mettant à jour des recherches mathématiques inédites, sans céder à la logique productiviste qui domine la pratique quotidienne de la science des astres.

  • 63 F. Waquet, op. cit., p. 115.
  • 64 Anne Rasmussen, « Jalons pour une histoire des congrès internationaux au xixe siècle : Régulation (...)
  • 65 Ibid., p. 122.
  • 66 Marinette Solais, « Les débuts de l'association (1872-1882) », in H. Gispert (dir.), op. cit., p. (...)
  • 67 H. Gispert, « Introduction », ibid., p. 16.
  • 68 H. Gispert, « Administrer l'AFAS », ibid., p. 25.

37Les savants toulousains de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle ne se contentent pas de transmettre leurs connaissances par les imprimés, ils occupent les espaces d'expression orale qui s'ouvrent à eux. Jusqu'à l'avènement de la IIIe République, l'Académie des sciences de la cité garonnaise malgré son net déclin depuis la Révolution, constituait la tribune privilégiée des astronomes de la ville pour y lire leurs mémoires et faire part de leurs découvertes. Les observateurs toulousains, s'ils continuent d'exposer leurs résultats dans ce cénacle local, préfèrent désormais participer aux congrès scientifiques. Ces derniers sont selon l'expression de Françoise Waquet, « une "invention" du xixe siècle », dans une forme d'abord « nationale et généraliste63 ». Anne Rasmussen remarque qu'à partir de la décennie 1850, le congrès se singularise « par rapport à des modèles anciens de rencontres scientifiques64 ». L'historienne souligne notamment qu'à « la communication cosmopolite d'individus amateurs — celle qui s'était largement développée au xviiie siècle, conformément aux pratiques en vigueur dans la "société de cour" — succède la communication professionnalisée, réunissant administrateur et gens de métier [...] selon une logique qui n'est pas celle du savant isolé65 ». En France, la multiplication des congrès savants croise, à partir de 1872, le désir de l'Association française pour l'avancement des sciences de « permettre la rencontre de savants avec d'autres publics pour contribuer à la diffusion de la science66 ». Cette société scientifique tente de répondre au projet politique qui s'ébauche après la chute du Second Empire. Hélène Gispert rappelle que « la vie scientifique en France, entre 1870 et 1914, le développement des sciences, ses acteurs comme ses publics, se jouent dans un contexte nouveau où le nouveau régime cherche à affirmer la puissance de la France en s'appuyant sur la Science, nouvel étendard de cette République67 ». Dans cette perspective, la présentation des travaux savants menés dans toutes les disciplines s'effectue au cours d'immenses congrès. « Le rôle clé des sessions annuelles de congrès et de leurs comptes rendus, affirmé dans le projet de l'AFAS est inscrit dans le fonctionnement même de l'Association. Celle-ci est organisée avant tout en fonction de la réussite de cette mise en spectacle de son projet68 », assure Hélène Gispert. L'exposition orale des recherches entreprises et des études engagées se confond, dans une théâtralisation recherchée, avec le statut privilégié de la science dans le régime républicain.

  • 69 Danielle Fauque, « Observatoires astronomiques français et diffusion de l'astronomie à l'Associati (...)
  • 70 L. Montangerand, Titres et travaux scientifiques et participation aux œuvres sociales, de M. Louis (...)
  • 71 En particulier : L. Montangerand, « Sur des utilisations intéressantes des clichés de la Carte pho (...)
  • 72 D. Fauque, « Observatoires astronomiques français et diffusion de l'astronomie à l'Association Fra (...)
  • 73 Les astronomes exposent généralement leurs travaux dans les sections 1 et 2 (mathématiques, astron (...)
  • 74 AMT, 2R 90, Lettre d'Auguste Coron à Benjamin Baillaud, 7 janvier 1902.
  • 75 M. Solais, « Place et rôle de la province dans le projet la vie de l'Association », art. cité, p. (...)

38Certains astronomes toulousains participent régulièrement aux congrès de l'AFAS. Danielle Fauque a dénombré, entre 1872 et 1914, 4 interventions de Benjamin Baillaud et 7 de Louis Montangerand69. Les interventions de ce dernier sont postérieures à notre période d'étude, puisqu'il intervient, en 1910 à Toulouse, en 1911 à Dijon et en 1912 à Nîmes70, pour présenter des communications relatives à la Carte du ciel71. Le physicien Émile Mathias intervient lui aussi dans les congrès de l'AFAS en faisant part des travaux sur le magnétisme menés lors des différentes campagnes dans la région toulousaine. Les astronomes de la cité garonnaise sont donc peu nombreux à participer aux rassemblements de l'association savante, mais leur présence est loin d'être négligeable, puisqu'ils sont, entre 1872 et 1914, les troisièmes pourvoyeurs de communications parmi les observatoires français, derrière le Puy de Dôme et le Pic du Midi72. Leur investissement dans les réunions annuelles de l'AFAS ne se limite pas à ces présentations des résultats obtenus. En effet, à l'occasion du congrès de 1902 qui se tient à Montauban, Émile Mathias et Benjamin Baillaud organisent eux-mêmes un certain nombre de sessions. Le premier, qui est chargé de la section de mathématiques73, mobilise ses réseaux locaux pour faire participer des géomètres montalbanais. Il contacte notamment Auguste Coron, qui enseigne au lycée de la ville. Celui-ci avoue « que les mathématiciens sont choses rares à Montauban ». Il assure n'avoir « pu inscrire sur [s]a liste qu'un bien petit nombre de personnes de qui on ne puisse espérer une contribution sérieuse ». Coron propose, lors de la réunion, de rendre hommage à Pierre de Fermat originaire de Beaumont de Lomagne, dans le Tarn-et-Garonne. Le congrès « doit être pour l'illustre mathématicien, l'occasion d'une glorification retentissante74 », suggère l'enseignant montalbanais. Cette insistance de Benjamin Baillaud à offrir une tribune aux savants locaux et le souhait de Coron de rendre hommage à Fermat s'inscrivent dans le projet même de l'AFAS. Marinette Solais note que l'un des objectifs de l'association est de « réveiller l'esprit scientifique qui sommeille dans la province oubliée ». Le déplacement du congrès chaque année est l'occasion de mettre en valeur les recherches menées dans les villes et les régions de France. Ainsi, « les amateurs de science, les scientifiques provinciaux peuvent s'exprimer à la même tribune et disposer d'une occasion de publication au même titre que les savants parisiens ». L'enracinement local que Baillaud et Coron tente vainement de souligner dans leur préparation du congrès est donc un axe prioritaire de l'AFAS : « Élargir les auditoires scientifiques à tout le territoire doit aider à réaliser l'intégration des provinces dans la République75 », explique Marinette Solais.

  • 76 AMT, 2R 129, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 16 août 1902.

39Émile Mathias s'implique également dans l'organisation du congrès de Montauban et préside la session consacrée à la physique. Il détaille dans un long courrier adressé à Benjamin Baillaud resté à Toulouse pour cause de convalescence, les affres d'une pareille responsabilité. Il s'agit d'abord de gérer l'afflux considérable de participants et de rassembler l'ensemble de leurs exposés. « Au lieu de la vingtaine de communications auxquelles je m'attendais, j'en ai 43 », se lamente Mathias. Le physicien doit aussi faire montre de tact et de diplomatie pour apaiser ou ignorer les tensions latentes qui minent la communauté savante. Il raconte comment Émile Marchand, directeur de l'observatoire de Pic du Midi, avec qui Benjamin Baillaud entretient des relations houleuses et conflictuelles, s'est comporté avec désinvolture et discourtoisie. Le météorologiste est en effet « arrivé deux jours en retard et est parti deux ou trois jours avant la fin ». Lorsqu'il s'est présenté à Montauban, Marchand a commenté les recherches de Mathias et de Baillaud, « comme si rien ne s'était passé parce qu'on ne lui avait pas dit que les travaux de la section étaient déjà commencés réglementairement ». Mais la conduite d'un congrès donne aussi quelques joies. Mathias rapporte ainsi que « les communications sur la télégraphie sans fil et la prévision des orages de Tissot et Turpain ont été extrêmement remarquables et ont attiré beaucoup de monde ». Finalement le physicien toulousain avoue sa satisfaction de s'être investi dans ces sessions montalbanaises. « Je suis ravi de ma présidence : elle m'a bien fatigué, mais je crois avoir réussi bien au-delà de mes espérances76 », confie-t-il à Benjamin Baillaud.

  • 77 Benjamin Baillaud participe également au Congrès des Sociétés savantes qui se tient à Toulouse en (...)
  • 78 H. Gispert, « Introduction », art. cité, p. 17.

40Les congrès de l'AFAS constituent presque les seuls rassemblements savants nationaux auxquels participent les observateurs toulousains77. Leur présence, et plus particulièrement celle de Benjamin Baillaud, témoigne de leur attachement au projet d'une diffusion large des connaissances savantes, conforme à l'idéal républicain libéral qui domine à la fin du xixe siècle78.

41Lieux d'échanges et de discussions, les congrès s'internationalisent à partir de 1850 et étendent encore la géographie des rencontres. Les grandes conférences qui, dans les années 1880 et 1890, donnent vie au projet de cartographie céleste du contre-amiral Mouchez, sont, pour l'observatoire de Toulouse, la principale expérience de réunion internationale. L'entreprise scientifique elle-même impose ces rassemblements qui permettent aux différents directeurs des établissements impliqués d'échanger leurs points de vue. David Gill, du Cap de Bonne Espérance, qui, le premier, s'enthousiasme pour l'idée d'Ernest Mouchez, indique en 1886 comment il envisage une collaboration à l'échelle planétaire :

  • 79 AOP, Ms 1060 V, Lettre de David Gill à Ernest Mouchez, 1er mars 1886.

It will be no small matter to settle details which all participating astronomers must accept, so that the whole work, in all its parts and from firts to last, shall be carried out by precisely similar apparatus and identical methods at all the stations of observations. After the utmost has been done by means of correspondence, I think it will be essential to have a Conference and I should be glad to attend such a Conference at Paris in March or April 188779.

42L'organisation d'une cartographie céleste menée sur toute la planète impose des assises internationales. Ces assemblées pour la Carte du ciel s'inscrivent dans un mouvement général de très grande spécialisation. Brigitte Schroeder-Gudehus soutient :

  • 80 Brigitte Schroeder-Gudehus, « Les congrès scientifiques et la politique de coopération internation (...)

Par rapport aux générations précédentes, les conditions de l'activité scientifique à la fin du xixe siècle ont subi des transformations importantes : les progrès de la science et des techniques ont entraîné une différenciation des savoirs qui met en question ce qui avait jusque-là paru comme l'unité intrinsèque de la science80.

43Cette division très fine du travail réduit la portée des Conférences internationales pour l'exécution de la Carte du ciel. Tous les observatoires ne participent pas à l'entreprise et seuls les directeurs sont présents. Une partie de la communauté des astronomes n'intervient pas dans ces réunions.

  • 81 A. Rasmussen, « Jalons pour une histoire des congrès internationaux au xixe siècle : Régulation sc (...)
  • 82 I. Chinnici, La Carte du ciel, op. cit., p. 6.
  • 83 Bulletin du Comité Internationale de la Carte du Ciel, T. I, 1890, p. 87.

44La procédure structurant les Congrès pour la cartographie céleste se conforme au schéma général de ce type d'assemblée, minutieusement décrit par Anne Rasmussen. L'historienne souligne notamment « une transformation dans l'ordre des prééminences accordées à chaque échelon de l'organisation des congrès : le bureau du congrès qui survit à chaque session pour la préparation des suivantes, la commission d'organisation [...] deviennent les centres principaux de la décision81 ». Lors du premier congrès de la Carte du ciel tenu à Paris en 1887, une Commission internationale permanente est créée pour assurer la continuité du programme précédemment défini82. Enfin, un « Comité technique83 » est chargé de centraliser les questions techniques et instrumentales. La coopération internationale que nécessite le projet du contre-amiral repose, lors des Conférences internationales, sur une puissance bureaucratique adossée aux objectifs scientifiques unanimement acceptés. Les congrès pour la cartographie céleste, s'ils sont internationaux par leurs participants, restent en revanche figés dans leur géographie. Ils se tiennent tous à Paris, épicentre du programme de Mouchez.

45Benjamin Baillaud, au nom de l'observatoire de Toulouse, prend donc part à une assemblée internationale, très similaire dans son organisation aux autres manifestations de ce genre, mais également très spécifique dans les buts poursuivis. L'objectif n'est pas de faire les états généraux des savoirs produits dans une discipline mais bien de structurer une pratique savante.

46Françoise Waquet assure que dans les comparaisons qui ont été menées entre les congrès et les livres, les premiers sont parés de toutes les qualités :

  • 84 F. Waquet, op. cit., p. 263-264.

L'échange de paroles donnait beaucoup plus que la simple lecture : non seulement il assurait, comme les livres et les revues, la circulation des idées, mais encore il les communiquait avec une force supplémentaire, dans tout leur développement84.

47Pourtant, les écrits ne cessent d'envahir les congrès. C'est autour des textes imprimés que s'articulent les débats les plus âpres, même si ce lieu de présentation et de dialogue est dressé comme un théâtre uniquement destiné à la parole et à l'échange verbal. Les discussions, entamés lors des Conférence sur la cartographie céleste se poursuivent ainsi dans Bulletin du Comité International permanent pour l'exécution photographique de la Carte du ciel. La parole est très sérieusement concurrencée dans les échanges savants par une culture de l'écrit qui domine toutes les facettes de la pratique scientifique.

48L'impératif productiviste qui sous-tend l'activité des observatoires se traduit par la multiplication des articles, mémoires et notes, qui témoignent dans les revues ou les comptes rendus du zèle déployé. La vie de l'observatoire de Toulouse, tournée vers l'extérieur, s'apparente donc à celle d'un centre de production de textes imprimés et plus marginalement des échanges oraux lors de congrès nationaux ou internationaux. À l'intérieur de l'établissement, une discipline précise, modèle les rythmes, apaise les conflits et forge avec soin une image publique.

Une communauté réglée

49Derrière les murs de l'observatoire de Toulouse, un petit groupe de personnes s'organise autour d'une pratique savante. Au-delà des hiérarchies administratives et de la répartition des tâches, cette communauté adopte des règles de vie, des codes de sociabilité, qui lui permettent d'entretenir une certaine harmonie dans les rapports humains.

50La gestion du temps de travail et du repos constitue une préoccupation quotidienne aiguë dans un espace savant qui ne peut supporter la moindre interruption dans sa collecte de mesures. La proximité, la cohabitation de caractères antagonistes, génèrent des tensions très fortes qui menacent, par leur violence, l'équilibre et la qualité du travail. La vie interne de l'observatoire, véritable lieu monastique, s'ordonne autour d'une discipline collective qui réprime les excès et polit les idiosyncrasies.

51Malgré la clôture qui l'enceint et le protège du grondement urbain, l'établissement astronomique n'est pas un espace totalement replié sur lui-même, peu soucieux de l'intérêt qu'il peut susciter. Il s'ouvre bien au contraire au public et utilise de nombreux dispositifs de vulgarisation pour faire connaître son activité et répondre aux interrogations les plus diverses.

Le travail et le temps libre

  • 85 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 8 novembre 1901.
  • 86 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 2 novembre 1903.
  • 87 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 7 janvier 1903.

52Le temps consacré au travail au sein de l'observatoire est, comme nous l'avons déjà évoqué, un temps encadré, contrôlé et mesuré. Les astronomes et les auxiliaires doivent en effet indiquer leurs heures de présence. Frédéric Rossard précise ainsi à Benjamin Baillaud que, pendant toute la durée du mois de novembre 1901, il a vaqué à ses occupations de « 8 h à 10 h V » puis de « 1 h V à 5 h » les « jours pairs » et de « 8 h à 11 h » puis de « 2 h à 5 h » les « jours impairs85 ». La ponctualité est donc surveillée et le directeur de l'établissement savant ne manque jamais de recommander « une stricte exactitude86 » à ses subordonnés lorsqu'il leur indique les horaires des différents services. Dans une circulaire du 7 janvier 1903, le directeur de l'observatoire « invite toutes les personnes à qui des heures de présence sont fixées à s'y conformer ponctuellement. Toute irrégularité à cet égard doit lui être signalée immédiatement par celui qui l'a commise87 ».

  • 88 AN, F17, 23129, Lettre de Félix Tisserand au directeur de l'enseignement supérieur, 21 mai 1873.

53De manière générale, le zèle, l'ardeur au travail et l'abnégation sont des valeurs exaltées. Elles traduisent, dans le quotidien de l'observation et des calculs, le dogme productiviste qui préside, dans la dernière partie du xixe siècle, à la pratique astronomique des observatoires français. Alors qu'il reçoit son arrêté de nomination pour la direction de l'établissement toulousain en 1873, Félix Tisserand assure au directeur de l'enseignement supérieur qu'il va immédiatement commencer par « une détermination exacte de la latitude ». Il conclut avec conviction : « je n'ai pas l'intention de me reposer88 ».

  • 89 AMT, 2R 115, H. Bourget, Rapport hebdomadaire, grand télescope, du 27 novembre au 1er décembre 190 (...)
  • 90 AMT, 2R 115, Dominique Saint Blancat, Rapport hebdomadaire du 5 au 10 février 1906.
  • 91 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 24 août 1899.
  • 92 AMT, 2R 126, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er juin 1900.
  • 93 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 12 septembre 1899.

54L'activité astronomique se déploie sur un rythme qui lui est propre. L'examen du ciel impose aux observateurs de travailler la nuit. Les calculs et les réglages s'effectuent le jour. C'est donc un emploi du temps double auquel sont astreints les astronomes de la cité garonnaise. Henry Bourget rapporte en décembre 1905 qu'il s'est consacré à l'« argenture du grand miroir du télescope » le « jour » et qu'il a fait des « essais d'emplois d'écrans colorés sur les pléiades » la « nuit89 ». Au-delà de ces temporalités particulières à la pratique astronomique, l'activité des observateurs est soumise aux caprices du climat et aux configurations célestes qui déterminent également ses heures de présence dans l'observatoire. En février 1906, Dominique Saint Blancat est autorisé à s'« absenter du 7 au 9 à cause de l'état du ciel90 » déplorable qui interdit tout examen continu. Les périodes d'inactivité les plus régulières sont celles où l'éclat de la pleine Lune est trop important pour scruter les astres les plus faibles ou prendre des clichés photographiques. Louis Montangerand explique à Benjamin Baillaud, le 24 août 1899, qu'il n'a pas « encore repris [s]es observations d'après minuit, la Lune étant encore et pour quelques jours sur l'horizon à ce moment91 ». Frédéric Rossard renonce à entreprendre son programme d'étude à l'équatorial à la fin du cycle de lunaison. Il propose au directeur, en 1900, de « faire coïncider [s]on congé avec des périodes lunaires92 ». Son assistant, le jeune Duteil, souhaite lui aussi s'absenter pendant « les vacances lunaires de M. Rossard93 ». Le travail des astronomes toulousains s'organise donc dans un entrelacement de rythmes qui combinent activités diurnes et nocturnes au quotidien, s'interrompent lors des périodes de mauvais temps et se calquent sur les cycles sélènes. Dans cet univers de labeur aux scansions si spécifiques, la fatigue et l'épuisement guettent les observateurs et les calculateurs qui, assujettis aux impératifs de rentabilité et de production, tiennent coûte que coûte à achever leurs programmes de recherche quels que soient les aléas extérieurs.

  • 94 Cité par Henri Bouasse, « Le savant dans la littérature et dans la réalité », in Cristallographie (...)
  • 95 AMT, 2R 129, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 10 septembre 1906.
  • 96 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 15 mars 1905.
  • 97 AMT, 2R 142, Lettre d'Armandine Vaudein à Benjamin Baillaud, 2 août 1904.
  • 98 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 13 octobre 1894.
  • 99 Ibid., 30 décembre 1894.
  • 100 A. Corbin, « La fatigue, le repos et la conquête du temps », in A. Corbin (dir.), L'avènement des (...)
  • 101 Ibid., p. 276.
  • 102 Ibid., p. 290.
  • 103 AN, F17, 23129, Lettre du ministre de l'Instruction Publique à Félix Tisserand, 3 septembre 1875.
  • 104 AMT, 2R 126, Lettre d'Émile Besson à Benjamin Baillaud, 30 mai 1900.
  • 105 AMT, 2R 97, Lettre du recteur Claude-Marie Perroud à Benjamin Baillaud, 18 mai 1907.
  • 106 AMT, 2R 126, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 1er juillet 1903.

55Le savant américain Byrd soulignait, dans les années 1890, que l'astronome renonce « au sommeil pendant des semaines pour obtenir d'utiles observations, tandis que ses journées seront absorbées par de fastidieux calculs94 ». La résolution d'équations mathématiques ou l'accumulation de séries chiffrées accablent les opérateurs qui ne peuvent dissimuler leur lassitude et leur éreintement. Émile Mathias prépare en septembre 1906 la publication des résultats de ses diverses campagnes magnétiques. Il explique à Benjamin Baillaud sa cadence frénétique de travail : « j'ai donné un énorme coup de collier de 8 jours V de travail (à 8 h par jour quelques fois) ». Le physicien avoue être « littéralement rompu, physiquement et cérébralement » ; il prie le directeur de l'observatoire de « corriger [s]es faiblesses de rédaction95 ». Louis Montangerand se plaint lui aussi, en mars 1905, d'être exténué par une trop grande activité. Il explique à Baillaud qu'il vient d'achever « l'échelle des grandeurs de la Carte [du] ciel, travail qui [l'] a bien occupé ces derniers temps et d'ailleurs fatigué sensiblement96 ». L'épuisement guette aussi les calculatrices qui doivent se concentrer de longues heures sur d'interminables séries d'opérations mathématiques. Armandine Vaudein assure à Benjamin Baillaud, en août 1904, qu'elle a bien reçu « les premières épreuves d'Éros », accompagnées de la « liste des étoiles de repère ». Mais elle précise immédiatement qu'« étant un peu fatiguée97 », elle n'a pu se mettre à la tâche immédiatement. L'observation nécessite quant à elle une totale disponibilité physique et une grande robustesse. L'astronome ne peut être souffrant ou diminué. Son corps doit pouvoir supporter de longs examens célestes, dans une coupole ouverte aux intempéries. Victime d'un « refroidissement » et « d'une affection de vessie98 » en octobre 1894, Louis Montangerand informe Baillaud en décembre de la même année qu'il est « guéri ». L'aide astronome précise toutefois qu'il est encore « assez sensible au froid » et prévient qu'il lui sera « pénible de reprendre immédiatement [s]on service d'observations ». Il demande au directeur de bien vouloir le « dispenser quelques temps de ce service99 ». Alain Corbin a souligné que la fatigue devient à partir des années 1870 « un objet majeur de recherche, d'analyse et de débat100 ». Jusqu'ici considérée « comme un phénomène inéluctable, consécutif à tout travail, voire comme la sensation agréable de réussite du labeur, elle en vient à être douloureusement perçue comme une diminution des capacités d'action, comme un signal d'alarme qui désigne les seuils du tolérable101 ». L'exténuation ou l'éreintement consécutif à l'examen du ciel ou à des travaux mathématiques n'apparaissent qu'exceptionnellement dans les comptes rendus ou les missives des observateurs de la cité garonnaise avant la fin du xixe siècle. La lassitude des corps et l'épuisement cérébral dont se plaignent régulièrement les astronomes et les calculateurs toulousains après 1870, s'inscrivent donc dans une thématique qui traverse toute la société. La fatigue et la souffrance sont désormais soulignées. Parallèlement, note Alain Corbin, le repos et le temps libre s'imposent peu à peu comme une contrepartie au labeur et à la dépense des forces physiques102. L'observatoire de Toulouse est saisi dans un mouvement d'ensemble et permet à son personnel de prendre des congés. De même que les périodes d'activités sont encadrées par des dispositifs de surveillance, les périodes de loisir sont soumises à un strict contrôle administratif. Dans les premières années de la IIIe République, les astronomes de la cité garonnaise s'adressent directement aux instances parisiennes pour demander leurs vacances. Le ministre de l'Instruction Publique autorise ainsi en 1875, Joseph Perrotin, « à prendre son congé annuel du 1er au 15 octobre103 ». Par la suite, Benjamin Baillaud distribue une « circulaire104 » à ses collaborateurs afin qu'ils indiquent les époques de repos souhaitées, puis le directeur soumet au recteur les différentes périodes indiquées105. Les astronomes ne peuvent quitter leur lieu de travail sans indiquer où ils comptent passer leurs vacances. Benjamin Baillaud demande « aux fonctionnaires qui s'absentent de Toulouse » de lui « faire connaître à quelle adresse il doit leur écrire si besoin est », et de dire au gardien « ce qu'il doit répondre aux personnes qui demanderaient à leur parler106 ». Les périodes de repos ne signifient pas un total détachement de l'observatoire, ni une parfaite liberté de mouvement. Les astronomes, pendant leurs congés, restent au service de l'observatoire, leurs déplacements vacanciers sont donc attentivement surveillés.

  • 107 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 13 octobre 1894.
  • 108 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 19 février 1895.
  • 109 AMT, 2R 115, Rapport hebdomadaire de Mesdemoiselles Pons et Lallemand, semaine du 12 au 17 mars 19 (...)
  • 110 AMT, 2R 115, Rapport hebdomadaire de Frédéric Rossard, semaine du 1er au 8 mai 1904.

56Il convient de nuancer cette impression d'un encadrement rigide et sévère du temps libre. Le directeur de l'établissement savant fait souvent preuve de libéralité lorsque ses collaborateurs lui demandent des congés supplémentaires. Louis Montangerand, souffrant à l'automne 1894, part se reposer chez ses parents en Bourgogne. Il écrit à Benjamin Baillaud que son état de santé s'améliore très lentement et souhaite être autorisé à « rester en vacances quelques jours de plus ». Il jure qu'il « n'en abuser[a] pas » et souligne « qu'en matière de retour de vacances [il s'] efforce d'être exact »107. Le directeur de l'observatoire accède à cette prière et permet à Montangerand de ne rentrer à Toulouse qu'en février 18 9 5108. De la même manière, Benjamin Baillaud accepte bien volontiers que ses collaborateurs quittent Jolimont l'espace d'une journée pour assister à un mariage109 ou célébrer un baptême110. Mais ces congés, en dehors de ceux prévus chaque année, restent très exceptionnels.

  • 111 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 8 novembre 1901.
  • 112 AMT, 2R 126, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 4 novembre 1894.
  • 113 AMT, 2R 126, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 4 novembre 1894.
  • 114 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 13 août 1903.
  • 115 AMT, 2R 87, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 25 août 1903.
  • 116 AMT, 2R 129, Lettre d'Émile Besson à Benjamin Baillaud, 21 août 1901.

57La fonction même de l'établissement astronomique de la cité garonnaise justifie le soin apporté à l'organisation des vacances et des jours de repos entre tous les membres du personnel. L'observatoire est une usine qui ne s'interrompt jamais et qui récolte en permanence des données. La météorologie, par exemple, ne souffre aucun arrêt dans la saisie des mesures qui ne sont utiles que dans leur parfaite continuité. Il n'y a donc pas de repos dominical pour le service chargé de constater l'état de l'atmosphère. Frédéric Rossard se plaint en novembre 1901 que cette tâche fort contraignante lui incombe systématiquement. Il suggère à Baillaud « de faire faire [...] les observations de Midi et 6h du soir » des « Dimanches et jours fériés111 » par quelqu'un d'autre que lui. Tous les secteurs préparent minutieusement le changement de personnel lors des congés. Louis Montangerand propose en 1894 d'écrire à son assistant « M. Fachinetti, pour l'organisation du service photographique en [s]on absence112 ». C'est en concertation avec le directeur de l'observatoire que les opérateurs élaborent un programme de travail alternatif. Frédéric Rossard adresse ainsi à Benjamin Baillaud, en juin 1900, sa « proposition pour l'organisation du service météorologique pendant [s]on congé ». Il insiste pour que les relevés de « 9 h du matin et de 3 h du soir » soient effectués « par M. Caubet, de même que l'envoi de la dépêche du Matin ». Dans le même temps, « Besson pourrait être chargé du service des dépêches de l'après midi113 ». La période estivale est évidemment celle où se succèdent les départs en vacances des différents astronomes. L'agencement des temps de repos et le roulement du personnel maintiennent la continuité des services tout en donnant satisfaction à chacun. Le 13 août 1903, Louis Montangerand rappelle qu'il rentre à Toulouse le 22 du même mois « pour permettre à M. Saint Blancat de prendre des vacances bien méritées114 ». Les congés du directeur de l'observatoire sont plus difficiles à organiser. Ses responsabilités ne peuvent toutes être déléguées et son autorité ne peut être partagée. Benjamin Baillaud dresse avec précision le plan de travail pour l'établissement savant et le confie aux astronomes adjoints ou même aux aides astronomes qui ne sont pas en repos. Durant l'été 1903, Dominique Saint Blancat puis Louis Montangerand suivent scrupuleusement les « instructions de service » établies par le directeur et consultent méthodiquement la « liste de dispositions diverses à prendre relativement aux visites de jour et de nuit, aux pendules, etc. ». Les deux observateurs se tiennent « au courant du service des vacances115 ». Benjamin Baillaud tient à surveiller les recherches menées par ses collaborateurs et exige, pendant ses vacances, qu'ils lui fassent un compte rendu de leur activité. Il contrôle donc à distance la vie de l'établissement et conserve l'exercice de son pouvoir hiérarchique même pendant ses congés. Émile Besson, lui, retranscrit en août 1901, l'état de l'observatoire avec un luxe de détails. Il signale notamment « que la provision de feuilles imprimées pour les diagrammes du petit thermomètre enregistreur de Richard est épuisée ». L'aide astronome indique qu'il se sert « provisoirement [...] de feuilles non imprimées116 ». Benjamin Baillaud garde, à tout moment, la haute main sur l'administration de l'observatoire.

  • 117 André Rauch, « Les vacances et la nature revisitée (1830-1935) », in A. Corbin (dir.), L'avènement (...)
  • 118 Ibid., p. 112.
  • 119 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 30 août 1902.
  • 120 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 18 août 1904.
  • 121 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 28 août 1901.

58Il est très difficile de discerner, dans les archives, la manière dont les astronomes profitent de leur temps libre et de leurs vacances. Les éléments épars qui surgissent au détour d'une lettre ne sauraient constituer un corpus suffisant. Toutefois, les fragments de vie en vacances que l'on peut rassembler laissent entrevoir cette « subversion du temps de l'horloge qui rythme le début et la fin du travail productif117 » décrite par André Rauch. L'historien remarque que « les rythmes collectifs qui tendent à s'imposer justifient le besoin de se détendre en vacances pour prendre du repos118 ». Henry Bourget avoue à son directeur en août 1902, que pendant son séjour à Royan il a fait « des kilomètres à bicyclette en ne pensant à rien, ayant le reste de l'année pour songer à des choses sérieuses119 ». Faire de l'exercice physique, éprouver son corps, dissipe les tensions nerveuses et permet d'oublier les préoccupations quotidiennes du travail d'astronome. Les observateurs, qui disposent de revenus suffisants, profitent des congés pour quitter la ville et s'extraire du cadre urbain. Lorsqu'ils ne sont pas toulousains, ils peuvent rejoindre leur famille restée dans leur région d'origine. C'est ainsi qu'Henry Bourget passe une partie de ses vacances à Lagnieu, dans la résidence de son beau-père, le recteur Claude-Marie Perroud120. Louis Montangerand se rend chaque année « chez [s]es parents » en Bourgogne, mais également « en Auvergne, au milieu des bois de sapins et de pins chez [s]es beaux-parents ». Il remarque que « grâce [...] à l'air pur et vivifiant de ces hauts plateaux », sa santé défaillante « est maintenant satisfaisante121 ». André Rauch assure qu'au xixe siècle :

  • 122 A. Rauch, « Les vacances et la nature revisitée (1830-1935) », art. cité, p. 103.

Les qualités de l'air [...] telles que les révèle une sensibilité exercée, exaltent le rapport du climat avec la constitution du corps. Le besoin d'un air pur pour la santé s'inspire d'une idée des harmonies naturelles : le contact prolongé et immédiat avec les éléments se présente comme le pôle positif de ces nuisances que sont devenus dans les esprits la fétidité des espaces citadins et les miasmes des quartiers où l'air stagne122.

  • 123 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 3 septembre 1902.

59Dominique Saint Blancat, pourtant né dans la cité garonnaise, fuit lui aussi le cadre urbain et profite de quelques jours de congés en septembre 1902 pour aller « à la campagne123 ».

  • 124 AMT, 2R 142, Lettre d'Armandine Vaudein à Benjamin Baillaud, 24 septembre 1903.
  • 125 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 14 août 1900.
  • 126 AMT, 2R 104, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 11 août 1894.
  • 127 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er juin 1900.
  • 128 AMT, 2R 104, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 29 août 1897.
  • 129 AN, F17, 17268, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 15 juillet 1906.

60Les vacances ne sont pas pour les observateurs et les calculateurs un temps uniquement consacré au repos et à la détente. Le travail colonise rapidement le temps libre. Les opératrices du bureau des mesures, qui sont payées à la tâche, ne peuvent se permettre d'interrompre totalement leur activité. Elles réclament donc fréquemment des calculs à faire durant les congés. Armandine Vaudein signale en septembre 1903 qu'elle a « continué pendant [l]es vacances les calculs des clichés d'Éros124 ». En août 1900, « Mlle Joucla et Brunnel » prient le directeur de l'observatoire « de ne pas les laisser sans travail pendant les vacances125 ». Les astronomes, eux non plus, ne s'abandonnent jamais au repos complet. Émile Mathias écrit à Benjamin Baillaud, le 11 août 1894, qu'il compte bien se « livrer à un repos absolu ». Puis il se ravise : « Absolu est peut être trop dire, car il me faut faire construire des appareils126. » Frédéric Rossard, qui ne quitte pas Toulouse lors de ses vacances de juin 1900, assure au directeur de l'établissement astronomique « que malgré [son] congé », il est à son entière disposition « pour remonter les enregistrements127 ». Les observateurs qui se déplacent au cours de leur temps libre profitent parfois de leurs pérégrinations pour accumuler les informations sur d'autres lieux de science et se documenter sur les méthodes de travail existant ailleurs. Émile Mathias explique que, lors de son excursion dijonnaise de l'été 1897, il a « vu la Faculté des Sciences de fond en comble et [il] en [a] rapporté un certain nombre de renseignements utiles pour [son] Laboratoire128 ». Au mois de juillet 1906, Henry Bourget annonce à Benjamin Baillaud qu'il compte « faire durant les vacances prochaines un voyage le long du Rhin et en Hollande ». Il serait « très désireux de vérifier pendant [s]on voyage les Observatoires échelonnés le long de [s]on parcours tels que Heidelberg, Strasbourg, Bonn, Leyde, Groningue129 ».

  • 130 AMT, 2R 142, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 6 octobre 1903.

61Si le travail n'est jamais totalement absent des périodes de repos, les astronomes ne confondent toutefois pas le temps libre et l'activité. Certains se plaignent de l'excès d'oisiveté et en viennent à regretter la routine du labeur. Bourget avoue, en octobre 1903, peu de temps avant sa rentrée, qu'il a « hâte [.] de retrouver toute [s]a vie normale. Étrange effet des vacances130 », confie-t-il à Baillaud.

62Le repos et le travail rythment la vie de l'observatoire. La fatigue et la lassitude, qui désormais sont désignées, imposent des périodes de relâchement et de détente. Les différents opérateurs s'organisent pour permettre une continuité des mesures scientifiques. Astronomes, assistants et calculatrices, qui œuvrent ensemble ou se croisent au quotidien, forment une petite communauté humaine, traversée de tensions, mais aussi soudée par des liens d'amitié.

Sociabilité et tensions

63Les astronomes, les calculatrices, les auxiliaires, le concierge et le jardinier vivent presque en vase clos, derrière les murs de l'observatoire. Cet espace consacré à la pratique savante est aussi une société en miniature qui doit, pour maintenir son équilibre, établir des règles précises de vie en commun.

  • 131 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à Jean Carrère.
  • 132 AMT, 2R 129, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 15 mai 1902.

64La circulation des différents opérateurs entre les coupoles ou les bureaux est ainsi précisément codifiée. Benjamin Baillaud réserve certains lieux aux seuls observateurs habilités à se servir des instruments. Le directeur de l'établissement souligne avec fermeté en décembre 1907 que « les astronomes chargés du service [méridien] sont [...] MM. Saint Blancat, Blondel, René Baillaud. Aucune autre personne n'a rien à faire dans la salle méridienne131 ». Paul Caubet est particulièrement sensible à la séparation et à la protection des espaces de travail. Il a remarqué au printemps 1902 qu'on « ouvrait [s]on bureau fermé à clef, le fait s'est reproduit deux fois ». Le calculateur rappelle à son supérieur qu'« ayant la responsabilité des ouvrages qu'il contient, [il] tiendrai[t] naturellement à ce que pareille inquisition », dont il ne parvient à s'« expliquer le mobile », ne se reproduise plus. Caubet insiste « sur le danger d'ordre tout à fait général qu'il y aurait à laisser se perpétuer de tels procédés132 ».

  • 133 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 27 février 1905.
  • 134 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 13 décembre 1902.

65Benjamin Baillaud traque les déplacements intempestifs et les intrusions interdites. Il tempête dans une circulaire de 1905 contre ces « infractions aux règles établies ». Il remarque notamment que « plusieurs fois un de ses collaborateurs ayant laissé son tiroir fermé l'a en rentrant, trouvé ouvert. D'autres fois, poursuit Benjamin Baillaud, un observateur a trouvé déréglées certaines parties de son instrument. Et cependant toutes les salles d'observation sont fermées à clef et si les bureaux des observateurs ne le sont pas, c'est par des nécessités de service ». L'astronome rappelle que lorsqu'« une salle est déclarée fermée, cela implique l'interdiction formelle d'y pénétrer sans autorisation, même si pour des raisons quelconques elle se trouve ouverte133 ». Les coupoles sont des espaces protégés et préservés des circulations inopportunes. Il est une pièce davantage sanctuarisée encore : le bureau du directeur. Ce dernier met au point une série de dispositifs qui lui permettent d'échapper aux visites injustifiées et aux réclamations incessantes. Il explique à ses collaborateurs en 1902 que, s'ils « ont une demande quelconque à lui faire, de la faire par écrit et s'ils ont besoin de lui parler, de s'adresser au gardien134 ». Isolé, le directeur tente de préserver la tranquillité de son espace personnel de travail.

  • 135 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 3 janvier 1902.
  • 136 Ibid., 27 février 1905.
  • 137 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud et ses collaborateurs, 17 novembre 1903.
  • 138 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 27 février 1905.

66Les zones communes, où tout le monde peut se rendre, font également l'objet d'une administration pointilleuse. Benjamin Baillaud décide en 1902 « que les portes qui conduisent à des bureaux ou de l'atelier au grand vestibule, doivent être considérées comme fermées, en dehors des cas où l'on a besoin de prendre des livres dans les vitrines de la bibliothèque135 ». Chacun vient puiser dans ce lieu-ressource les éléments pour achever un article, comparer des catalogues d'étoiles ou relever des tables de mouvements planétaires. Les déambulations sont donc surveillées avec attention. La circulation des ouvrages, à la disposition de tous, est elle aussi organisée dans les moindres détails. « Tout emprunt de livres entraîne l'envoi immédiat d'une fiche de prêt signée de l'emprunteur136 », explique Benjamin Baillaud. Les revues les plus récentes et les derniers ouvrages reçus sont rassemblés dans un lieu plus facile d'accès, afin de permettre une consultation moins contraignante. Le directeur signale en novembre 1903 que les numéros des périodiques « en cours de publication [.] sont déposés au pavillon météorologique sur des étagères à la disposition de tous. Les ouvrages nouvellement arrivés à l'observatoire y sont également déposés et y restent au moins une semaine137 ». La gestion des ressources bibliographiques communes ne peut se faire sans qu'une autorité limite les abus et rappelle les règles élémentaires d'une vie en société. Le directeur de l'observatoire remarque en février 1905 qu'il n'a pas été « tenu suffisamment compte » de la « circulaire concernant l'emprunt des livres à la bibliothèque ». Les ouvrages sont en effet conservés bien au-delà des délais raisonnables, les fiches des lecteurs ne sont pas remplies avec soin, ou pire, restent vierges. Baillaud décide de fermer la bibliothèque et signale que désormais « les livres doivent être demandés par chacun au directeur ». L'astronome se désole de devoir recourir à des mesures aussi sévères qu'incommodes. Déçu, il écrit à ses collaborateurs qu'« il avait cru possible un régime administratif fondé sur l'hypothèse de la loyauté de tout le monde ; il est contraint d'y renoncer, ce ne sera pas sans les plus vifs regrets138 ».

  • 139 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 7 décembre 1906.

67Investi d'une autorité hiérarchique, Benjamin Baillaud est le garant de l'équilibre qui doit régner au sein de l'observatoire. C'est lui qui prend les directives, discipline les comportements et impose des règles de vie commune. Il lui arrive parfois de consulter ses subordonnés sur les textes organisant le quotidien de l'institution savante et codifiant les rapports entre collaborateurs. Louis Montangerand adresse à Benjamin Baillaud en décembre 1906, « quelques réflexions sur le projet de Règlement en voie de discussion et d'établissement » qui doit s'imposer à tous les observatoires de France. Le directeur a « bien voulu [lui] en lire quelques passages et [lui] demander [s]es remarques ». L'astronome adjoint se montre très critique sur ce projet imposé presque sans consultation. Il souhaite que « le personnel des observatoires » puisse « exprimer ses desiderata ». Montangerand remarque « que c'eût été une grande preuve de confiance [...] répondant à l'esprit de notre temps pour ce personnel dont le dévouement et la compétence professionnelle sont hors de doute139 ». Le désir sourd d'une plus grande collégialité dans les décisions perce ici nettement. Il ne s'agit pas de contester le pouvoir du directeur mais de souligner le fonctionnement fort peu démocratique du mécanisme de prise de décision au sein de l'observatoire. Montangerand insiste sur les changements politiques impulsés par la IIIe République et réclame que l'inflexion libérale gagne aussi les établissements astronomiques. Par le jeu d'une contamination des modes de gouvernement, il imagine un continuum entre le régime qui s'est mis en place dans les années 1870 et la vie interne des observatoires.

68Au-delà des régulations administratives qui structurent la communauté repliée sur les hauteurs de Jolimont, il est très difficile de saisir la nature des relations qu'entretiennent astronomes, calculatrices et auxiliaires.

  • 140 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 22 février 1906.

69Les drames familiaux qui frappent parfois les membres du personnel laissent entrevoir des liens de solidarité et de fraternité entre collaborateurs de l'observatoire. Lorsque le père de Dominique Saint Blancat décède en février 1906, le directeur « s'empresse d'en faire part à tout le personnel » et invite chacun à « s'associe[r] au deuil de M. Saint Blancat140 ».

  • 141 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er janvier 1902.
  • 142 AMT, 2R 104, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er janvier 1903.

70Les relations de sympathie sont très complexes à saisir. Elles ne se manifestent le plus souvent qu'à des occasions très précises, comme les vœux. Le 1er janvier 1902, Frédéric Rossard assure Benjamin Baillaud « de [s]es sentiments à la fois reconnaissants et respectueux ». Il souligne notamment la « bienveillante sollicitude141 » de son supérieur. L'année suivante, le même Rossard exprime au directeur « les sentiments d'affectueuse gratitude » qu'il lui porte. En souhaitant « que l'année qui va commencer soit pour [lui] fertile en joies de toutes sortes et heureuse entre toutes », il assure espérer voir Baillaud « longtemps encore à la tête de [l'] observatoire qui ne peut que prospérer sous [son] excellente et fraternelle direction142 ». Ces témoignages d'affection sont le fait d'un employé de l'observatoire qui mesure parfaitement combien sa situation et son avancement dépendent des liens qu'il entretient avec le directeur. La flatterie peut donc se mêler aux sentiments bienveillants ou même dissimuler une profonde détestation. Il convient d'être très prudent dans l'analyse de ces manifestations de sympathie qui ne sont jamais totalement désintéressées.

  • 143 AMT, 2R 142, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 30 juillet 1904.

71Comme nous l'avons précédemment évoqué, les marques d'amitié les plus nombreuses sont celles échangées au cours des expéditions. Les relations de travail, forgées tout au long d'un périple parsemé de difficultés, n'ont rien à voir avec les rapports routiniers au sein de l'observatoire. Les liens entre Frédéric Rossard et Émile Mathias, qui se côtoient habituellement au service météorologique presque tous les jours, évoluent sensiblement lors d'une campagne magnétique dans le Lot l'été 1901. Le physicien rapporte à Benjamin Baillaud les principales mesures qu'il a effectuées avec l'aide astronome et conclut sa missive en indiquant : « Rossard est toujours le plus gai et le plus aimable des compagnons de voyage143. »

72Presque silencieuses sur les liens amicaux qui peuvent unir les astronomes toulousains de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle, les archives sont bien plus prolixes en ce qui concerne les tensions et les tiraillements qui agitent la communauté de l'observatoire. Les reproches portent essentiellement sur des insuffisances et des négligences dans le travail. Ils s'expriment donc le plus souvent dans l'ordre hiérarchique, du supérieur au subalterne.

  • 144 AMT, 2R 102, Lettre de Benjamin Baillaud à Frédéric Rossard, 17 mai 1895.

73Les soupçons de paresse ou d'indolence sont des motifs récurrents de reproches et de blâmes. Le 17 mai 1895, Benjamin Baillaud rédige une sèche note à l'intention de Frédéric Rossard. Il le prie notamment « de lui faire connaître pourquoi il a cessé les observations le 15 à 12h 30, le 16 à minuit ». Le directeur menace ensuite le fautif de ne plus « s'occuper [de lui] s'il ne se met pas plus activement aux observations144 ». À cette époque, la situation de Rossard est encore très précaire et le désintérêt qu'invoque Baillaud à l'endroit de l'auxiliaire revient à lui signifier qu'un renvoi n'est pas à exclure.

  • 145 AMT, 2R 95, Lettre du ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts à Benjamin Baillaud, 8 (...)
  • 146 P. Véron, op. cit., p. 492.
  • 147 AMT, 2R 95, Lettre du ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts à Benjamin Baillaud, 8 (...)
  • 148 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 15 juillet 1898.

74La désobéissance est encore plus sévèrement réprimandée et fait souvent l'objet de dures punitions. L'élève astronome Jean Rey a fait « preuve de négligence à l'occasion de la fête nationale du 14 juillet [1883]145 ». Il n'a pas respecté l'ordre du directeur de « veiller en son absence à l'illumination de l'observatoire146 ». Le jeune homme a, en outre, « mérité des blâmes depuis plusieurs mois pour son peu de soin dans l'exécution de son service ». Baillaud en informe le ministre de l'Instruction Publique qui l'autorise « à priver [Jean Rey] à titre de mesure disciplinaire, de quinze jours de vacances ». Afin de contraindre l'indocile élève astronome au travail, l'autorité supérieure exige qu'il rende « chaque jour » au directeur de l'observatoire de Toulouse « un rapport sur le travail accompli147 ». Le personnel de l'établissement astronomique appointé par la municipalité n'en reste pas moins soumis à l'autorité de Benjamin Baillaud. À ce titre, il doit se plier à ses exigences et suivre ses consignes. Les écarts ou les attitudes inconvenantes sont systématiquement signalés. En juillet 1898, le directeur de l'observatoire adresse au maire de Toulouse un rapport sur le concierge Darnand. Il assure que l'homme « ne veut rien faire ici, que ce qu'il lui plaît et ne veut pas davantage s'astreindre à garder la porte de l'Observatoire ». Baillaud explique qu'il l'a « invité expressément et plus de vingt fois à ne s'absenter [...] qu'avec [s]on autorisation », mais « cela ne l'empêche pas de s'en aller purement et simplement, laissant la porte tantôt ouverte, tantôt fermée, sans prévenir personne ». Surtout, note l'astronome, le concierge est régulièrement pris de boisson et rentre à Jolimont « plus ou moins en état d'ébriété ». Il s'agit dès lors de rappeler Darnant « à un sentiment plus exact de ses devoirs148 ».

  • 149 AMT, 2R 142, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 13 octobre 1900.

75Les retards, en particulier lors des retours de congés, sont moins fermement réprimés. Les coupables prennent d'ailleurs soin de trouver une explication valable. Henry Bourget reçoit une lettre de Madame Salles le 13 octobre 1900 lui indiquant, que, de retour de Corse où se trouve son fils, « son train avait manqué la correspondance du bateau et qu'elle restait là-bas » jusqu'au 14 octobre. L'astronome avoue au directeur qu'il trouve « la chose un peu exagérée » ; il se réserve d'ailleurs le droit « de le lui dire149 » dès son retour.

  • 150 AMT, 7Z 67, Jean Carrère, Agenda, juillet 1905.

76Les tensions les plus vives apparaissent lorsqu'il s'agit de déterminer qui est à l'origine d'une négligence ou d'une inattention dans le maniement des instruments ayant entraînées des dérèglements fatals. Jean Carrère note, dans son agenda de 1905, que l'assistant « Belou a profité de voir le magasin ouvert pour prendre la pendule sans avoir soin d'enlever le balancier. Ce qui peut abîmer les palettes150 ».

  • 151 AMT, 2R 126, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 23 juillet 1900.

77L'accusation qui pèse sur Frédéric Rossard en juillet 1900, et que nous avons déjà évoquée, est bien plus grave encore. Le miroir du télescope est en effet cassé après que l'aide astronome l'ait utilisé pendant une nuit. On lui reproche « de n'avoir pas laissé l'instrument dans sa place primitive ». Après s'être fait dûment morigéner par le directeur, Rossard ressent « le devoir de [s]e défendre puisque son avenir est en jeu ». Il a « la certitude absolue » de n'avoir « pas provoqué l'accident du miroir ». Pour prouver sa bonne foi il relate avec précision « les soirs où [il a] observé au grand télescope ». Il est chargé d'examiner Éros en l'absence d'Henry Bourget. Après deux nuits infructueuses, son assistant lui « demande de lui faire voir Saturne ». Rossard avoue avait été « assez curieux de cette planète ». Il était nécessaire de « bouger l'instrument [.] de l'Ouest où il se trouvait pour le mettre à l'Est ». Les faits qui lui sont reprochés sont, martèle-t-il, incompatibles avec le déplacement du télescope qu'il a effectué. On le soupçonne notamment « de n'avoir pas dévissé les 3 vis calantes de la couronne ». L'aide astronome se défend d'une telle manœuvre car, s'il avait « négligé de faire cela la couronne n'aurait certainement pas bougé car les vis étaient extrêmement serrées ». Respectueux du matériel et habitué à son usage, Frédéric Rossard lutte avec véhémence contre les faits qui lui sont reprochés. La gravité des dégâts est telle qu'il sait que cela peut « compromettre [son] avenir151 » à l'observatoire.

78Il arrive parfois que les discordes concernent, non pas un supérieur et son subordonné, mais deux collègues chacun chef de service. L'algarade n'est pas forcément directe, mais elle laisse entrevoir des désaccords profonds et des mésententes sérieuses au sujet de la pratique astronomique.

  • 152 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 4 octobre 1900.

79À l'automne 1900, Louis Montangerand et Henry Bourget collaborent au sujet d'une adaptation possible des appareils photographiques à tous les grands instruments. Le premier propose un dispositif nouveau, inspiré de ses expérimentations à l'astrographe. Bourget indique à Baillaud que le micromètre que Montangerand a associé à l'instrument ne peut s'employer qu'avec « les deux grandes vis, la Nord-Sud et l'Ouest-Est ». Bourget avoue ne s'être « inquiété que de son mode d'opérer avec l'appareil », mais il souligne que Montangerand a aussi « adopté une méthode de mesure sur laquelle il y aurait beaucoup à dire ». Invitant presque Baillaud à dissuader son collègue d'utiliser cette manière d'observer, il reconnaît qu'il n'a personnellement aucune « qualité pour lui dire quoique ce soit à cet égard152 ».

  • 153 AMT, 2R 129, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 27 novembre 1905.
  • 154 AN, F17 24184, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 22 février 1907.
  • 155 AN, F17 24184, Carrière récapitulée de Paul Caubet, 1928.
  • 156 AMT, 2R 129, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 21 février 1900.

80L'observatoire est un lieu où sourdent inimitiés et oppositions, désaccords et dissensions. Les relations quotidiennes sont aussi empreintes de ces mouvements d'humeur imprévisibles qui surprennent ou inquiètent. Paul Caubet écrit à Benjamin Baillaud le 7 novembre 1905 qu'il a ressenti « une impression pénible [.] en entrant à l'Observatoire » le matin même. Ayant salué le directeur « en face de l'atelier », il a « cru remarquer qu ['il] n'av[ait] pas daigné [lui] répondre bien qu['il l'ait] fixement regardé ». Il vit douloureusement cette marque de mépris d'autant que « ce n'est [...] pas la première fois » que Baillaud se comporte ainsi avec lui. Caubet suppose que le directeur a voulu lui faire « ainsi constater la profonde différence qui existe entre [leurs] deux situations153 ». Le calculateur n'est pas simplement écrasé par l'autorité hiérarchique de Baillaud, il ressent surtout avec amertume l'écart social qui les sépare. Ne parvenant à intégrer le corps des astronomes, Paul Caubet vit comme une intolérable frustration le fait de ne pas être assimilé au personnel scientifique. Il demande à plusieurs reprises à « entrer dans le cadre général154 » des fonctions d'aide astronome, mais n'y parvient qu'en 1912155. Si Caubet a conscience de ne pas appartenir à l'élite de l'observatoire, il est aussi sensible au fait que sa position de calculateur ne se confond pas avec ce qu'il considère être des emplois subalternes. Le 21 février 1900, Caubet raconte au directeur comment en entrant dans l'établissement le matin même, « Madame Lacour », la femme du concierge, lui a fait « observer en termes assez vifs » qu'il avait « démoli [...] la sonnerie du portail ». Repoussant avec mépris ces accusations, le calculateur souhaiterait « à l'avenir, éviter toute altercation à l'Observatoire ». Il souligne que son « unique désir est de faire [s]on service le plus consciencieusement possible, sans avoir aucun rapport avec le concierge, ni les potins dont il pourrait être l'auteur156 ». Les différences sociales nourrissent des rapports de force entre désir d'atteindre les rangs supérieurs et dédain pour le personnel non scientifique. L'observatoire est un espace social très dense où plusieurs mondes se côtoient au quotidien, sans que jamais les écarts entre eux se réduisent complètement. L'établissement savant structure la communauté humaine. Cette vie interne très intense ne doit cependant pas cacher que l'observatoire de Toulouse à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, n'est pas un lieu hermétiquement clos sur lui-même. Il s'ouvre au public et met en scène la pratique de l'astronomie.

L'observatoire et le public

  • 157 B. Bensaude-Vincent, La science contre l'opinion, op. cit., p. 135.
  • 158 Ibid., p. 138.

81Bernadette Bensaude-Vincent assure que « construire un public de masse pour la science [...] fut le grand œuvre du xixe siècle157 ». L'historienne remarque que cette entreprise repose sur une diversification des approches de la science populaire158. L'observatoire de Toulouse n'échappe pas, comme nous l'avons vu pour la première partie du xixe siècle, à ce vaste mouvement qui tend à multiplier les registres de vulgarisation et à employer tous les supports existants pour transmettre les connaissances astronomiques au plus grand nombre.

  • 159 AMT, 2R 112, Louis Montangerand, Rapport de l'année 1898, 25 janvier 1899.
  • 160 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 23 décembre 1897.
  • 161 AMT, 2R 100, Lettre du maire de Toulouse à Benjamin Baillaud, 17 novembre 1897.
  • 162 AMT, 2R 112, Louis Montangerand, Rapport de l'année 1898, 25 janvier 1899.
  • 163 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 9 juillet 1904.
  • 164 Klaus Schlüpmann, « Les avatars du réalisme à l'époque de la photo imprimée », in B. Bensaude-Vinc (...)

82Les astronomes de la cité garonnaise continuent, après le Second Empire, d'emprunter les médias déjà utilisés par Frédéric Petit. Benjamin Baillaud professe ainsi un « cours public159 » pour les toulousains. Il ne se déroule plus à Jolimont et sa tenue est très irrégulière. Le 23 décembre 1897, le directeur de l'observatoire demande au premier magistrat de la cité garonnaise de lui attribuer « l'amphithéâtre de l'ancienne Faculté des Lettres » pour son « cours d'astronomie populaire160 » qui ne devrait comprendre que « sept leçons161 ». Les archives nous manquent pour évaluer la fréquentation de cet enseignement et son contenu précis. Les séances ne sont plus réservées aux seuls « gens du monde » et l'emploi du terme « populaire » indique une ouverture plus large du public. Il est toutefois impossible de savoir si l'épithète recouvre vraiment la sociologie de l'auditoire qui vient écouter Baillaud. Le cours semble évoluer dans sa forme avec l'introduction de représentations photographiques parallèlement au discours oral. Louis Montangerand est chargé de rechercher « photographies et dessins [...] pour le cours162 ». L'aide astronome les présente avec une « lanterne de projection163 ». Là encore les sources font défaut et nous ignorons tout des images exposées. Il s'agit toutefois d'une mutation importante dans la manière de donner un cours d'astronomie au grand public : l'iconographie et les illustrations viennent seconder la parole et donner corps au discours oral. Klaus Schlûpmann a analysé le rôle de l'illustration dans l'édition d'ouvrages de vulgarisation scientifique à la fin du xixe siècle. Il souligne notamment que « la fonction pratique du sens visuel conditionne une attention spontanée "sauvage" aux images164 ». L'introduction de photographies dans les leçons d'astronomie populaire données à Toulouse à la fin du xixe siècle témoigne d'une perception différente du public. La force du verbe ne paraît pas suffire et Benjamin Baillaud utilise l'artifice des images pour capter l'attention de son auditoire. Les illustrations ne soulignent pas simplement le propos, elles permettent de raviver en permanence la curiosité du public.

  • 165 AMT, 2R 104, Lettre du rédacteur en chef de La Petite Gironde, A. Delambre à Benjamin Baillaud, 9 (...)
  • 166 AMT, 2R 104, Lettre de l'administrateur délégué de l'Action à Benjamin Baillaud, 18 avril 1900.
  • 167 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 23 décembre 1896.

83Frédéric Petit utilisait le Journal de Toulouse pour dispenser des « leçons d'astronomie » à caractère historique. Les astronomes de la cité garonnaise de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle conservent des liens privilégiés avec la presse régionale. Cependant, les informations qu'ils transmettent n'ont aucune portée vulgarisatrice : ce sont principalement des données météorologiques brutes ou des informations astronomiques factuelles. L'« édition spéciale de Toulouse » de La Petite Gironde réclame ainsi en 1902 « la communication quotidienne de renseignements concernant la température », ainsi que « la hauteur barométrique ». Le rédacteur en chef du journal souhaite pouvoir disposer de « ces renseignements [...] vers midi » et se propose de les demander « téléphoniquement165 ». De même, l'Action, « organe de l'Union des Socialistes du Midi », désire insérer dans ses pages, les données relatives au climat et en fait la demande à l'observatoire en avril 1900166. L'établissement garonnais ne se contente pas de transmettre les mesures relevées à Toulouse même. L'institution savante rassemble les indications météorologiques qu'elle reçoit du bulletin « du Bureau Central établi à Paris », mais aussi les « télégrammes donnant la situation météorologique » de « Perpignan, Clermont, Bordeaux, le Pic du Midi ». Baillaud assure que « ces renseignements sont communiqués par [lui] aux journaux qui les demandent167 ».

  • 168 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 20 septembre 1904.
  • 169 La Dépêche, 14e année, n° 4041, mardi 16 mai 1892, p. 3, pour l'éclipse partielle de Soleil, La Dé (...)

84Les informations relatives à l'astronomie sont plus rarement réclamées et ne concernent que des publications annexes des quotidiens. En 1904, « le journal "La Dépêche" a demandé [...] pour l'impression de son almanach de 1905 les tableaux de phases de la Lune et levers et couchers du Soleil168 ». La Dépêche rend également compte des événements célestes remarquables comme les éclipses ou les comètes, mais aucun astronome de l'observatoire n'est impliqué dans la rédaction des articles169.

  • 170 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 23 décembre 1896.
  • 171 AMT, 2R 102, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 30 novembre 1878.

85L'attention portée aux évolutions atmosphériques est donc bien plus grande que celle donnée aux événements astronomiques qui, eux, n'ont aucune influence sur la vie quotidienne. Benjamin Baillaud remarque cet intérêt pour la météorologie et propose, en plus des quotidiens, d'afficher les données climatiques dans la ville. Le directeur de l'observatoire assure au premier magistrat de Toulouse, en décembre 1896, que l'ensemble des données atmosphériques que récolte chaque jour son établissement devrait être mis « directement à la disposition du public en les affichant chaque jour au Capitole ». Il demande pour cela qu'on confectionne « un cadre fermant à clef » qui pourrait être placé « soit sur la place du Capitole à côté de la boîte aux lettres, soit, à l'abri de la pluie, à l'un des piliers des arceaux de la cour du Capitole170 ». Les relevés météorologiques quotidiens sont donc présentés au public toulousain dans un lieu d'intense fréquentation et de grand passage. L'objectif n'est pas ici de vulgariser une connaissance scientifique, mais de diffuser au plus grand nombre des données atmosphériques qui, jusqu'au Second Empire, restaient cantonnées dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de la cité garonnaise ou dans le Journal des propriétaires ruraux, deux publications spécialisées visant un lectorat précis et averti. Le temps n'est donc plus seulement un objet d'étude scientifique ou une donnée indispensable aux agriculteurs. Benjamin Baillaud considère qu'il concerne tout le monde et doit donc être largement diffusé. La population toulousaine paraît attachée à ces informations météorologiques. En novembre 1878, peu de temps après avoir quitté l'observatoire, Félix Tisserand écrit à son successeur. Il explique qu'il reçoit « le Journal de Toulouse », et « mardi et mercredi derniers, les observations météorologiques étaient fautives pour 7 heures du matin et pour le minimum qu'on avait mis de -14° ». L'ancien directeur souligne que « cela peut-être la faute du journal ou celle de Mercadier [l'élève astronome,] qui demande à être surveillé. Ces petites choses-là ont de l'importance aux yeux du public171 », conclut gravement Tisserand.

  • 172 B. Baillaud, Cours d'astronomie à l'usage des étudiants des Facultés des sciences. Première partie (...)
  • 173 B. Baillaud, Cours d'astronomie à l'usage des étudiants des Facultés des sciences. Deuxième partie (...)

86Parmi les vecteurs employés précédemment au xixe siècle, l'ouvrage de vulgarisation ne suscite guère l'intérêt des astronomes de la cité garonnaise. Le directeur de l'observatoire s'est contenté de rassembler ses leçons d'astronomie dispensées à la faculté des sciences aux élèves de licence, qu'il publie en 1893172 et en 1896173. Ce projet éditorial cible évidemment un auditoire très restreint et s'inscrit dans le cadre précisément défini des ouvrages pédagogiques.

  • 174 D. Raichvarg, J. Jacques, op. cit., p. 277.
  • 175 Madeleine Rebérioux, « Au tournant des expos : 1899 », Le Mouvement social, n° 149, 1989, p. 3-13.
  • 176 Voir : Pascal Ory, Les Expositions Universelles de Paris, Paris : Ramsay, 1982, 157 p.
  • 177 D. Raichvarg, J. Jacques, op. cit., p. 282.

87Abandonnant certains supports de transmission des connaissances scientifiques, les observateurs toulousains investissent de nouveaux espaces de vulgarisation. Daniel Raichvarg et Jean Jacques soulignent qu'à la fin du xixe siècle, « la science a sa place dans des cadres très larges, les Expositions Universelles parisiennes et les expositions internationales provinciales, et dans des cadres plus restreints, les expositions thématiques174 ». Madeleine Rebérioux a montré comment la technique, d'abord dominante, à peu à peu cédé le pas à la science au début du xxe siècle175. L'astronomie s'invite dans cette vaste fête où l'on célèbre davantage le progrès triomphant qu'on ne vulgarise les savoirs176. La photographie constitue un moyen pour la science des astres de séduire le public177 en donnant à voir les plus récents travaux entrepris.

  • 178 AMT, 2R 142, Conférence tenue à l'Observatoire de Paris le 27 mai 1899. Rapport adressé au directe (...)
  • 179 AMT, 2R 112, Rapport du service de l'équatorial photographique, 1er novembre 1899-1er novembre 190 (...)
  • 180 Nouvelle annuaire de la Haute-Garonne, 1905, Toulouse : Imprimerie et Librairie E. Privat, 1905, p (...)
  • 181 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 16 février 1907.

88Intervenant dans le cadre de l'Exposition Universelle de 1900 et sous l'impulsion du ministère de l'Instruction Publique, les observatoires impliqués dans le projet de Carte du ciel s'entendent « pour donner à cette participation le plus d'éclat possible ». Ils proposent de montrer « la collection complète des feuilles déjà parues de la Carte céleste photographique, [...] le grand Atlas photographique de la Lune publié par l'Observatoire », ainsi que « des reproductions à grande échelle des parties les plus intéressantes du ciel et des objets célestes les plus remarquables, d'après des photographies qui seront spécialement faites dans les observatoires en vue de cette grande manifestation internationale178 ». Les résultats directement extraits de la cartographie céleste ne constituent qu'une petite partie des documents présentés. Les photographies « remarquables » comme celle de la Lune sont bien plus attractives que les plaques de verre piquées d'une multitude d'étoiles toutes identiques, même si ces dernières correspondent davantage à l'activité quotidienne des astronomes. Louis Montangerand envoie, pour Toulouse, des « albums de photographies » ainsi que des « cadres d'épreuves, transparents positifs179 ». Il est récompensé lors de cette Exposition Universelle et obtient « une médaille d'or180 » pour la qualité de ses travaux. Responsable du service astrophotographique, Montangerand est régulièrement sollicité pour participer aux expositions. L'une d'elle doit se tenir à Bordeaux en 1907 et l'observateur toulousain souhaite y envoyer ses « cartes célestes photographiques », ainsi que des « épreuves d'astres importants181 ».

89L'observatoire de la cité garonnaise utilise donc ces nouvelles formes de médiations scientifiques populaires où la mise en scène de résultats spectaculaires compte plus que la pratique astronomique elle-même. Dans la gamme des moyens de communication destinés au grand public, les expositions apparaissent comme des exceptions pour l'établissement toulousain. En effet, que ce soit pour les cours d'astronomie populaire ou les informations météorologiques, l'observatoire développe une politique vulgarisatrice, centrée sur la population de la cité garonnaise. Son champ d'action est essentiellement local et s'inscrit résolument dans un rapport de proximité.

90Les nombreuses missives envoyées par les habitants de Toulouse et de sa région aux astronomes mettent en lumière une très grande familiarité avec l'établissement savant. Celui-ci est d'abord envisagé comme un espace-ressource auquel on s'adresse pour obtenir un renseignement précis ou compléter des informations lacunaires.

  • 182 AMT, 2R 90, Copie d'une lettre de Benjamin Baillaud à l'ingénieur principal des chemins de fer du (...)
  • 183 AMT, 2R 87, Lettre de M. Laroyenne à Benjamin Baillaud, 29 janvier 1906.
  • 184 AMT, 2R 104, Lettre d'A. de Saint de Ré à Benjamin Baillaud, 1er juin 1898.
  • 185 AMT, 2R 104, Lettre de L. Guilhem à Benjamin Baillaud, 1er mars 1901.

91Les diverses administrations publiques et les collectivités locales interpellent régulièrement les observateurs pour qu'ils leur livrent les données météorologiques ou astronomiques dont ils ont besoin. L'ingénieur principal « de l'exploitation des chemins de fer » du Midi demande à Benjamin Baillaud une méthode sûre pour déterminer la luminosité au moment du crépuscule afin de régler « l'éclairage des voies ferrées ou des gares182 ». Le service des Améliorations Agricoles de la circonscription régionale souhaite connaître pour la saison estivale « sur combien d'heures par mois on peut compter pour des vents de 3m50 de vitesse environ, sur des vents de 5 mètres et sur des vents de 7 mètres ». L'objectif est de mieux connaître « la répartition moyenne de ces vents183 » et d'ajuster ainsi les périodes des récoltes. L'administration judiciaire fait régulièrement appel aux observateurs toulousains. Benjamin Baillaud est convoqué, en juin 1898, par « la 2e Chambre du Tribunal Civil » lors « d'un procès en dommages suite d'un ouragan du 31 janvier 1897 ». Le directeur de l'établissement astronomique est interrogé « pour savoir si de [ses] observations recueillies ce jour-là, il ne résulterait pas que le vent soufflait pas [.] en tempête de façon à constituer une force majeure. La clôture en planches qui s'est effondrée sous la violence du vent avait jusque-là bravé les coups de vents ordinaires, mais pouvait-elle résister à un ouragan d'une violence telle qu'il constitue à lui seul une force majeure ? C'est sur ce point spécial de la violence insolite du vent que le Tribunal désirerait avoir des explications184 ». L'astronome s'introduit parfois dans le prétoire au côté du médecin légiste. Celui-ci doit, pour mener des expertises sur des cadavres putréfiés, connaître « l'état atmosphérique185 » qui régnait avant que le corps décomposé ne soit découvert.

  • 186 AMT, 2R 99, Lettre du maire de Lavernose à Benjamin Baillaud, 13 mai 1905.
  • 187 AMT, 2R 90, Lettre de M. Estraband à Benjamin Baillaud, 20 mars 1905.

92Les représentants des assemblées municipales n'hésitent pas à requérir les connaissances des observateurs toulousains pour des affaires touchant à leurs communes. Le maire de Lavernose acquiert en 1905 « un thermomètre et [.] un baromètre », il écrit à l'observatoire afin qu'on lui donne « le variable moyen de Toulouse pour faire graver l'appareil à Paris186 ». Les questions adressées par certains édiles des communes de la région peuvent paraître anecdotiques, mais elles ont la saveur des disputes de clocher qui animent les villages. Le premier magistrat de Saint-Armans-Soult dans le Tarn s'adresse aux astronomes de la cité garonnaise le 20 mars 1905, pour qu'ils lui permettent d'« aplanir un différent survenu entre deux habitants » de sa commune. Il veut savoir si « la lune actuelle doit être considérée comme étant la lune de février ou celle du mois de mars courant187 ».

  • 188 AMT, 2R 104, Lettre d'Adrien Barbe à Benjamin Baillaud, 15 février 1895.
  • 189 AMT, 2R 90, Lettre d'Émile Pouvillon à Benjamin Baillaud, 14 décembre 1900.
  • 190 AMT, 2R 104, Lettre de L. Rémond à Benjamin Baillaud, 14 juin 1902.

93Les lettres envoyées par des particuliers témoignent d'une vive curiosité et d'un désir de connaître. Les Toulousains qui prennent leur plume pour écrire aux astronomes de l'observatoire sont aussi bien des béotiens que des amateurs chevronnés. Adrien Barbe s'interroge « au sujet d'une question que [lui] a posée [s]on jeune garçon et qui [l']a embarrassé quelque peu ». Il « désirai[t] savoir dans quelles constellations zodiacales se trouvent et à quels mois correspondent les planètes suivante : la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, le Soleil188 ». Émile Pouvillon de Montauban demande en 1900 à pouvoir disposer d'un « globe céleste ». Il souhaite « acquérir les notions générales et élémentaires » d'astronomie qui lui manquaient. Il avoue sa « honte » de méconnaître la science des astres et décide « d'éclairer [s]on ignorance189 ». Certains interlocuteurs se présentent au contraire comme de fins connaisseurs de la science des astres. Ils cherchent moins à obtenir un renseignement qu'à recevoir l'onction du directeur de l'observatoire de Toulouse. L. Rémond a déjà écrit « un abrégé » distingué par l'Académie des sciences de la cité garonnaise. Il a développé une argumentation qu'il soumet à Baillaud et pour laquelle il lui demande son « opinion [...] motivée ». Il assure à l'astronome que « l'examen qu ['il lui] conjure de faire » se limite à un seul point : considère-t-il « avec Tycho Brahé et Laplace, la variation de l'obliquité comme un déplacement de l'écliptique dans l'espace ou avec Copernic et M. Flammarion, comme un mouvement de la terre sur elle-même ? ». La principale démonstration de Rémond concerne « la stabilité [des] inclinaisons » des orbites, sans remettre en question « le mouvement des orbites planétaires autour du Soleil190 ». Le directeur de l'observatoire est ici saisi comme un juge du tribunal scientifique dont le verdict, s'il est en leur faveur, peut leur faire espérer une reconnaissance officielle de la communauté savante. L'observatoire est, à la fois, perçu comme un espace de référence et un organe de légitimation. Sa position dans la cité toulousaine s'affirme donc dans une relation privilégiée avec les habitants qui le consultent et peuvent aussi le visiter.

94Architecture atypique au milieu d'un faubourg populaire, l'observatoire suscite, nous l'avons vu, de nombreuses tensions dans le quartier. Son activité intrigue et sa claustration agace. Afin de réduire cette acrimonie latente et de désamorcer les critiques concernant le repliement des astronomes, Benjamin Baillaud instaure des visites publiques de l'établissement qu'il dirige. En mai 1897, l'astronome explique au maire de la cité garonnaise que cette disposition a pour but « à la fois de faire connaître davantage au public un établissement scientifique dont la fondation et le développement sont tout à l'honneur de la ville de Toulouse et de répandre le goût et la connaissance de l'astronomie ». Le dispositif mis en place pour permettre aux habitants de la ville de pénétrer dans l'observatoire est double :

Les visiteurs sont admis [...] les lundi et jeudi de chaque semaine à trois heures précises, sauf le cas de fêtes légales, sans autre formalité que l'inscription de leurs noms et adresse sur un registre, [...] pendant la belle saison, c'est-à-dire du mois de mai au mois d'octobre inclus, les visiteurs sont admis à l'observatoire à huit heure et demi du soir, le dernier dimanche de chaque mois et le samedi qui suit de treize jours.

  • 191 AMT, 2R 143, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 12 mai 1897.
  • 192 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud 25 août 1899.
  • 193 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 18 avril 1901.
  • 194 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 12 mai 1905.
  • 195 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 18 avril 1901.
  • 196 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 30 juillet 1901.
  • 197 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 25 août 1899.
  • 198 AMT, 2R 120, Lettre de Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 10 août 1903.
  • 199 AMT, 2R 112, Rapport annuel du service photographique, 1er novembre 1903-1er novembre 1904.
  • 200 AMT, 2R 120, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 9 juillet 1904.
  • 201 François Bordes, « Toulouse. Observatoire », in « Ils observaient les étoiles... » Cinq siècles d' (...)
  • 202 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 28 août 1899.
  • 203 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 18 août 1899.
  • 204 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 30 juillet 1901.
  • 205 AMT, 2R 112, Rapport de Jean Carrère du 1er octobre 1904 au 1er octobre 1905.
  • 206 AMT, 2R 120, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 12 septembre 1899 (voir également d (...)

95Ces visiteurs nocturnes sont plus strictement encadrés. En effet, nul n'est admis s'il n'est muni d'« une carte d'invitation personnelle et nominative ». Il faut demander ce laisser-passer au directeur avec « au moins trois jours d'avance [.] mentionner les noms, professions et adresses des visiteurs191 ». Le gardien de l'observatoire est, en outre, chargé d'accompagner « de près les visiteurs192 » lors de leurs déplacements entre les coupoles. À l'intérieur des bâtiments, les curieux sont « sous la surveillance immédiate de MM. les astronomes193 ». L'entrée de l'établissement savant n'est donc pas libre, mais s'insère dans un processus de contrôle et de surveillance du flux de curieux. Le principe de la visite ne repose pas à proprement parler sur une volonté de vulgariser, mais plutôt de présenter une vision édulcorée et soigneusement retouchée de la pratique astronomique. La mise en scène du spectacle est savamment orchestrée et cherche avant tout à montrer comment les observateurs effectuent leurs tâches. Lors des visites de nuit, Benjamin Baillaud demande à ses astronomes de « se trouver à [leurs] coupoles [...] à 8h M avec [leurs] assistants ». Chacun d'eux doit donner « une explication sommaire concernant l'instrument194 ». Surtout les opérateurs « ne doivent toucher aux instruments autres que ceux de leur propre service sous aucun prétexte195 ». Les visiteurs ne se contentent pas de « défile[r] devant l'instrument méridien, le télescope et l'équatorial photographique196 », ils peuvent également examiner ce que voient les astronomes à travers ces outils techniques. Là encore, la « liste des objets célestes à montrer197 » est précautionneusement définie à l'avance. L'aperçu du travail des observateurs cède le pas devant la nécessité de soutenir l'attention des curieux, de frapper leur imagination et d'impressionner leur sens visuel. En août 1903, Dominique Saint Blancat choisit de pointer les instruments optiques vers « la Lune, Saturne, Jupiter, un amas et une nébuleuse198 ». Les gestes répétitifs de l'astronome, les laborieux relevés de positions stellaires sont occultés. Le public ne doit conserver que les aspects les plus spectaculaires des objets célestes examinés par les savants toulousains. Afin de renforcer et soutenir ces images marquantes, les astronomes ajoutent des « séances de projections photographiques » aux « observations visuelles199 ». Nous ignorons, comme pour les cours publics, la nature de ces représentations iconographiques présentées dans « la coupole200 ». Les illustrations restent un outil d'explication plébiscité par les astronomes lors des visites. Une assiette décorative de la manufacture de Saint-Gaudens, éditée avant 1841 et figurant « l'observatoire de la rue des Fleurs dans son dernier état, après la restauration de 1826201 » est présentée aux groupes « des visiteurs202 » qui suivent les explications des savants toulousains. La référence à l'astronomie du xviiie siècle souligne la continuité historique et met en évidence l'attachement de la cité à ses sites scientifiques. La fréquentation de l'observatoire est très variable : le 27 août 1899, « 7 personnes203 » seulement, montent à Jolimont alors que le 28 juillet 1901, « 50 visiteurs environs204 » se pressent dans les coupoles. Les ciels orageux et tourmentés de fin d'été rebutent probablement les curieux. Les registres répertoriant les visiteurs venus admirer le spectacle astronomique ont disparu. Il est donc impossible de dessiner une sociologie précise de l'assistance qui se rend à l'observatoire. Les informations lacunaires et fragmentaires que fournissent les archives laissent entrevoir une grande diversité dans les publics accueillis, qu'il s'agisse des « gens de la localité » ou des « étrangers205 ». Les visites scolaires sont très prisées des enseignants de la région. « M. Claustres, maître au lycée » de Toulouse, se déplace plusieurs fois avec ses « élèves ». Les astronomes leur font faire « le tour des coupoles et de la terrasse »206. Les associations locales en déplacement dans la cité garonnaise viennent fréquemment assister aux séances publiques d'explication.

  • 207 AMT, 2R 100, Lettre de P. Dupont à Benjamin Baillaud, 1er juillet 1899.
  • 208 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 12 mai 1905.
  • 209 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 17 septembre 1903.
  • 210 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 23 septembre 1902.
  • 211 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 19 août 1899.
  • 212 Ibid., 4 septembre 1899.
  • 213 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 14 août 1903.

96Le 1er juillet 1899, l'« amicale du sud207 » exprime le souhait d'explorer en curieux l'observatoire de Toulouse. De même en mai 1905, « l'association générale des étudiants désire visiter l'observatoire208 ». Les qualités des visiteurs que relèvent les astronomes dans leur correspondance laissent entrevoir une nette propension à ne retenir que les notables de la région, ou les personnes d'un rang social élevé. Louis Montangerand signale à Benjamin Baillaud le 17 septembre 1903, qu'il a présenté les différentes coupoles à « un ingénieur et [...] un architecte du Midi209 ». En septembre 1902, les observateurs sont surpris de ne recevoir aucune demande des « officiers210 » pour contempler les instruments et détailler le ciel, alors que des manœuvres militaires ont lieu non loin de Jolimont. Les notables ne doivent pas cacher la masse d'anonymes et d'inconnus qui envahissent les coupoles, scrutent furtivement le ciel et assistent à un spectacle savant soigneusement mis en scène. Les astronomes essaient de séduire ce public curieux de science et s'attachent à le satisfaire dans son désir de connaître et de comprendre. En août 1889, le directeur de l'observatoire prévient Montangerand qu'« un groupe de touristes » se présentera pour une visite des bâtiments et une démonstration du fonctionnement des instruments. L'aide astronome lui assure qu'il fera de son « mieux pour leur laisser un bon souvenir de leur passage et leur promenade dans [les] installations »211. Le 4 septembre, Montangerand assure à Baillaud que « tout s'est passé correctement » et que « les visiteurs ont paru satisfaits212 ». Les seuls mécontentements relevés concernent les curieux qui, ignorant les horaires précis, se présentent à toute heure aux portes de l'établissement savant. Le 14 août 1903, Dominique Saint Blancat reçoit ainsi la missive peu amène « d'un visiteur éconduit213 ».

  • 214 Anne Secord a présenté un exemple particulièrement éclairant d'investissement amateur d'une pratiq (...)
  • 215 Bulletin de la Société d'Astronomie Populaire de Toulouse, 12e année, n° 58, T. III, 1921, p. 38.
  • 216 B. Baillaud, « Notice sur le développement successif des études astronomiques à Toulouse », art. c (...)
  • 217 Pour un exemple de coopération entre amateurs et professionnels, voir : Susan Leigh Star, James R. (...)
  • 218 Bulletin de la Société d'Astronomie Populaire de Toulouse, 12e année, n° 58, T. III, 1921, p. 38.
  • 219 Bulletin de la Société d'Astronomie Populaire de Toulouse, 1re année, n° 1, 1910, p. 19.
  • 220 Ibid., p. 19-20.

97Le public introduit dans l'observatoire peut, certes, examiner quelques objets célestes, mais il est surtout un spectateur passif à qui l'on ne confie jamais les instruments. L'apparition, à la fin du xixe siècle, d'un petit groupe d'astronomes amateurs, oblige l'établissement scientifique à s'adapter à leur désir d'explorer la voûte céleste comme des professionnels214. La « Société d'astronomie populaire » est fondée à Toulouse en 1887 par Frédéric Rossard et « M. Sultra, sous-chef de bureau des services municipaux ». Le premier, comme nous l'avons vu, est ensuite entré dans le personnel de l'observatoire de Jolimont. Dans les premières heures de la société, ces « fervents d'Uranie » se rassemblent au sein d'« un observatoire, obligeamment prêté par M. Palaud receveur des postes en retraite [.] sur les coteaux de Pech-David215 ». L'éloignement de cet espace d'observation décourage les amateurs de la science des astres. Très probablement encouragé par Frédéric Rossard, qui travaille désormais à l'observatoire, Benjamin Baillaud leur propose en 1889 d'employer « l'équatorial Secrétan de 0m11, le télescope Foucault de 0m33, le chercheur Eichens de 0m18, la lunette méridienne de Ramsden », autant d'objets « insuffisants pour les travaux difficiles que l'on attend des Observatoires ». Mais le directeur de l'établissement toulousain assure que ces outils peuvent « être employés notamment à des observations de comètes, des étoiles variables, des satellites de Jupiter, des taches du Soleil, de la rotation de Jupiter, de Saturne, de la surface de la Lune ». Baillaud souhaite que les instruments désuets pour la pratique professionnelle soient confiés à « des hommes animés de l'amour de l'astronomie ». Il leur ouvrira « toutes grandes les portes de l'observatoire » et propose de « faire leur éducation d'observateurs » en leur donnant « toutes les facilités et tous les conseils qu'il sera en [leur] pouvoir ». L'astronome espère voir le nombre de ces « jeunes gens intrépides216 » augmenter. C'est sur un mode paternaliste que Baillaud invite les amateurs toulousains à s'établir quelques soirées à l'observatoire. Il n'est nullement question de collaboration ou de coopération217. Le directeur maintient fermement une distinction entre les professionnels et les amateurs, quand bien même il a recruté un observateur parmi ces derniers. Louis Montangerand initie « le petit groupe représentant la Société d'astronomie, à la manipulation des instruments et aux observations ». Avec Frédéric Rossard, il a donc fait le lien entre les savants de Jolimont et les férus de la science des astres. Ces deux observateurs originaires de Toulouse et plus faiblement qualifiés que les astronomes adjoints, ont permis à quelques personnes d'entrer dans l'établissement astronomique et de s'initier à la science des astres. La société d'amateurs se compose de « M. Trabarel », devenu « principal du Collège de Châteaudun ; M. Baurès, professeur au Collège de Castres, M. Pujade, inspecteur de l'enregistrement ; M. Lespine [...] directeur du Journal de Toulouse218 ». Enseignants et notables composent donc ce petit noyau d'amateurs qui, lassés de devoir monter les pentes de Jolimont, décide de dissoudre la société. Celle-ci renaît de ses cendres en 1910, sous l'impulsion une nouvelle fois de Frédéric Rossard et Louis Montangerand, qui souhaitent proposer des « cours, conférences et autres réunions d'enseignement mutuel219 », ainsi que des « observations combinées, isolément ou en commun220 ».

  • 221 AMT, 2R 99, Lettre de Benjamin Baillaud au préfet de la Haute-Garonne, 21 février 1898.

98L'observatoire ouvre ses portes aux curieux, aux béotiens ou aux amateurs. Il s'impose dans la vie toulousaine comme un lieu-ressource. Espace public, il est également un espace politique au sein duquel se déroulent les rituels démocratiques et républicains. Le 21 février 1898, Benjamin Baillaud apprend « qu'un Bureau de vote doit être établi [.] à l'Observatoire221 », lors du prochain scrutin. L'établissement astronomique poursuit son intégration dans la vie de la cité, amorcée sous l'ère de Frédéric Petit. Les observateurs toulousains désamorcent les tensions qu'ils suscitent en se cloîtrant et en protégeant leur environnement. La pression sociale très forte contrarie le repli mutique et volontaire des astronomes de Jolimont. Ces derniers transmettent leur savoir, mettent en scène leur pratique, tout en contrôlant l'accès de l'observatoire. La IIIe République investit cet établissement savant, le transforme même en théâtre démocratique lors des élections.

Notes

1 AMT, 2R 140, Lettre du père François Denza à Benjamin Baillaud, avril 1890.

2 AMT, 2R 140, Lettre de A. Hirsch à Félix tisserand, 9 juin 1873.

3 AMT, 2R 140, Lettre de Louìs Grüker à Félix Tisserand, 19 mars 1875.

4 AMT, 2R 11104, Lettre de Friedrich Bidschof à Benjamin Baillaud, 11 octobre 1895.

5 AMT, 2R 104, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 16 novembre 1892.

6 AMT, 2R 104, Lettre de Georges Rayet à Benjamin Baillaud, 6 mars 1892.

7 AMT, 2R 104, Lettre de Georges Mathieu à Benjamin Baillaud, 6 décembre 1895.

8 AMT, 2R 138, Lettre de Georges Rayet à Benjamin Baillaud, 25 septembre 1900.

9 AMT, 2R 90, Lettre de Jules Gruey à Benjamin Baillaud, 17 mai 1893.

10 AMT, 105, Lettre de Paul Stroobant à Benjamin Baillaud, 1er juin 1906.

11 AMT, 2R 139, Lettre de Louìs Montangerand à Benjamin Baillaud, 18 septembre 1889.

12 AMT, 2R 95, B. Baillaud, Rapport sur l'état actuel de l'Observatoire de Toulouse et sur les travaux accomplis depuis le 1er novembre 1902 jusqu'au 31 décembre 1903.

13 AMT, 2R 140, Lettre d'Auguste Martinez à Benjamin Baillaud, 22 septembre 1896.

14 AMT, 2R 140, Lettre du directeur de l'observatoire d'Allegheny à Benjamin Baillaud, octobre 1901.

15 AMT, 2R 140, Lettre d'Eugen de Gothard à Benjamin Baillaud, mars 1884.

16 AMT, 2R 140, Lettre de Joseph Feran à Benjamin Baillaud, 7 avril 1905.

17 AMT, 2R 140, Liste de distribution des volumes 4 et 5 des Annales de l'Observatoire de Toulouse, s.d., [1908].

18 AMT, 2R 104, Lettre de Bernard Brunhes à Benjamin Baillaud, 28 octobre 1902.

19 AMT, 2R 99, Lettre du commandant Guyon à Benjamin Baillaud, 17 janvier 1906.

20 AMT, 2R 104, Lettre de Benjamin Baillaud au président du Bureau des Longitudes Gaston Darboux, 20 février 1905.

21 AMT, 2R 138, Lettre du lieutenant de vaisseau Ferry à Benjamin Baillaud, 26 janvier 1905.

22 AMT, 2R 99, Copie d'une lettre du lieutenant de vaisseau Ferry au président du Bureau des Longitudes, Gaston Darboux, janvier 1906, retranscrite dans la lettre de Gaston Darboux à Benjamin Baillaud, 18 janvier 1906.

23 AMT, 2R 99, Lettre du président du Bureau des Longitudes, Gaston Darboux à Benjamin Baillaud, 18 janvier 1906.

24 AMT, 2R 99, Lettre de Benjamin Baillaud au lieutenant de vaisseau Ferry, 27 janvier 1906.

25 AMT, 2R 104, Lettre d'Édouard Stephan à Benjamin Baillaud, 5 novembre 1878.

26 Ibid., 7 décembre 1894.

27 AMT, 2R 90, Lettre d'Édouard Stephan à Benjamin Baillaud, 6 février 1895.

28 Henry Bourget, Éclipse totale de Soleil du 28 mai 1900. Rapport de la mission organisée par l'Université de Toulouse, Paris : Gauthier-Villars, s.d. [1901], p. 1.

29 AMT, 2R 104, Lettre de Georges Meslin à Benjamin Baillaud, 11 juillet 1899.

30 H. Bourget, Éclipse totale de Soleil du 28 mai, op. cit., p. 6.

31 Ibid., p. 5.

32 Dominique Pestre, « Expéditions », in Nicolas Witkowski (dir.), Dictionnaire culturel des sciences, Paris : Le Seuil-Regard, 2001, p. 170.

33 H. Bourget, Éclipse totale de Soleil du 28 mai 1900, op. cit., p. 5.

34 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, mai 1900.

35 AOP, Ms 1060 V, Lettre de Friedrich Argelander à Charles Delaunay, 3 juillet 1872.

36 AMT, 2R 110, Lettre de Félix Tisserand au maire de Toulouse, 3 mai 1875.

37 B. Baillaud, « Introduction », Annales de l'Observatoire astronomique, magnétique et météorologique de Toulouse, T. III, 1899, p. vii.

38 Félix Tisserand est élu correspondant en 1874 et membre en 1878. Benjamin Baillaud est correspondant à partir de 1902 et devient membre lorsqu'il quitte Toulouse pour la direction de l'observatoire de Paris en 1908. Henri Andoyer est choisi comme membre de la section astronomie en 1919 et Eugène Cosserat accède au titre de correspondant de la section de géométrie en 1911 avant d'être élu membre non résidant en 1919. Institut de France. Index biographique de l'Académie des Sciences, 1666-1978, Paris : Gauthier-Villars, 1979, p. 481, 116, 107 et 193.

39 AMT, 2R 104, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 3 janvier 1906.

40 AMT, 2R 110, Lettre de Félix Tisserand à M. Constans, 3 février 1877.

41 Notice sur les travaux scientifiques de M. B. Baillaud, op. cit.

42 Notice sur les travaux scientifiques de M. Eugène Cosserat, op. cit.

43 Les articles de Frédéric Rossard sont présentés dans la bibliographie à la fin de l'ouvrage.

44 Dominique Saint Blancat, « Premier Catalogue de Toulouse rapporté à l'équatorial est à l'équinoxe de 1900,0 », Annales de l'Observatoire astronomique, magnétique et météorologique de Toulouse, T. IC, 1901, p. A1-A289, B1-B138, C1-C95.

45 D. Saint Blancat, Frédéric Rossard, « Observations de la comète Morehouse 1908 c faites à l'équatorial Brunner — Henry de l'Observatoire de Toulouse », Compte rendu de l'Académie des Sciences, T. CXLVII, séance du 14 décembre 1908, p. 1265-1266.

46 Louis Montangerand, « Sur la variabilité de la planète Éros, d'après les clichés obtenus à l'observatoire de Toulouse », Compte rendu de l'Académie des Sciences, T. CXXXII, séance du 11 mars 1901, p. 616-618.

47 B. Baillaud, « Note relative à la communication de M. Montangerand », Compte rendu de l'Académie des Sciences, T. CXXXII, séance du 11 mars 1901, p. 619.

48 AMT, 2R 142, Lettre de Maurice Loewy à Benjamin Baillaud, 9 mars 1901.

49 Par exemple : AMT, 2R 104, Lettre d'Urbain Le Verrier à Félix Tisserand, 4 mai 1875 à propos de la planète 138 Tolosa, et AMT, 2R 104, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 30 octobre 1895, pour la planète Wolf.

50 F. Rossard, « Observations de la comète Faye faites au grand télescope de l'Observatoire de Toulouse et de la planète Charlois (1895 décembre 9), faites à l'Observatoire de Toulouse à l'équatorial de 0m25 », Compte rendu de l'Académie des Sciences, T. CXXI, 30 décembre 1895, p. 1119.

51 AMT, 2R 104, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 30 décembre 1895.

52 AMT, 2R 102, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 24 février 1879.

53 AMT, 2R 142, Lettre du secrétaire du directeur de l'observatoire de Paris, Fraycinet, à Benjamin Baillaud, 9 mars 1901.

54 AMT, 2R 90, Lettre de Charles André à Benjamin Baillaud, 1901.

55 AMT, 2R 107, Ernest Mouchez à Benjamin Baillaud, 5 janvier 1884.

56 Notice sur les travaux scientifiques de M. B. Baillaud, op. cit.

57 Notice sur les travaux scientifiques de M. Eugène Cosserat, op. cit.

58 AMT, 2R 142, Lettre de Charles Trépied à Benjamin Baillaud, 16 octobre 1904.

59 B. Baillaud, Cours d'astronomie à l'usage des étudiants de la Faculté des sciences, Première partie, op. cit., 285 p., B. Baillaud, Cours d'astronomie à l'usage des étudiants de la Faculté des sciences, Deuxième partie Astronomie sphérique, Mouvements dans le système solaire. Éléments géographiques, Éclipses, Astronomie moderne, Paris : Gauthier-Villars et fils, 1896, 520 p.

60 Henri Andoyer, bulletin des sciences mathématiques, 2e série, T. XXI, 1897, p. 114.

61 René Taton, « Algèbres et géométrie », in R. Taton (dir.), La science contemporaine, T. I : Le xixe siècle, Paris : Presses Universitaires de France, 1995, Quadrige, p. 66.

62 Émile Picard, « Introduction », in B. Baillaud, H. Bourget, Correspondance d'Hermitte et Stieltjes, T. I, Paris : Gauthier-Villars, 1905, p. vi.

63 F. Waquet, op. cit., p. 115.

64 Anne Rasmussen, « Jalons pour une histoire des congrès internationaux au xixe siècle : Régulation scientifique et propagande intellectuelle », Relations internationales, n° 62, été 1990, p. 122.

65 Ibid., p. 122.

66 Marinette Solais, « Les débuts de l'association (1872-1882) », in H. Gispert (dir.), op. cit., p. 35.

67 H. Gispert, « Introduction », ibid., p. 16.

68 H. Gispert, « Administrer l'AFAS », ibid., p. 25.

69 Danielle Fauque, « Observatoires astronomiques français et diffusion de l'astronomie à l'Association française pour l'avancement des sciences (AFAS), 1872-1914 », in Guy Boistel (dir.), Observatoires astronomiques et patrimoine astronomique français, Cahiers d'histoire et de philosophie des sciences, n° 54, 2005, p. 175-189. Voir également D. Fauque, « Chimie et astronomie à l'AFAS (1872-1914) », in L'Association Française pour l'Avancement des Sciences (AFAS). Diffuser et promouvoir les sciences (1872-1914). Rapport d'étape GHDSO — Paris Sud XI, Orsay : Paris : Paris Onze Éditions, 1998, p. 115-140.

70 L. Montangerand, Titres et travaux scientifiques et participation aux œuvres sociales, de M. Louis Montangerand, op. cit., p. 4.

71 En particulier : L. Montangerand, « Sur des utilisations intéressantes des clichés de la Carte photographique internationale du Ciel », AFAS, Comptes rendus de la troisième session, Toulouse 1910, Notes et mémoires, T. I, Paris : Gauthier-Villars, 1911, p. 38-43.

72 D. Fauque, « Observatoires astronomiques français et diffusion de l'astronomie à l'Association Française pour l'avancement des sciences (AFAS), 1872-1914 », art. cité, p. 177.

73 Les astronomes exposent généralement leurs travaux dans les sections 1 et 2 (mathématiques, astronomie, géodésie et mécanique). La physique du globe correspond à la section 5 (voir H. Gispert, op. cit.)

74 AMT, 2R 90, Lettre d'Auguste Coron à Benjamin Baillaud, 7 janvier 1902.

75 M. Solais, « Place et rôle de la province dans le projet la vie de l'Association », art. cité, p. 119.

76 AMT, 2R 129, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 16 août 1902.

77 Benjamin Baillaud participe également au Congrès des Sociétés savantes qui se tient à Toulouse en 1899. voir : B. Baillaud, « Sur l'organisation du service photographique à l'observatoire de Toulouse », art. cité, p. 86-90 ; Discours prononcé à la séance générale du Congrès des Sociétés savantes, op. cit..

78 H. Gispert, « Introduction », art. cité, p. 17.

79 AOP, Ms 1060 V, Lettre de David Gill à Ernest Mouchez, 1er mars 1886.

80 Brigitte Schroeder-Gudehus, « Les congrès scientifiques et la politique de coopération internationale des académies des sciences », Relations internationales, n° 62, été 1990, p. 139.

81 A. Rasmussen, « Jalons pour une histoire des congrès internationaux au xixe siècle : Régulation scientifique et propagande intellectuelle », art. cité, p. 120.

82 I. Chinnici, La Carte du ciel, op. cit., p. 6.

83 Bulletin du Comité Internationale de la Carte du Ciel, T. I, 1890, p. 87.

84 F. Waquet, op. cit., p. 263-264.

85 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 8 novembre 1901.

86 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 2 novembre 1903.

87 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 7 janvier 1903.

88 AN, F17, 23129, Lettre de Félix Tisserand au directeur de l'enseignement supérieur, 21 mai 1873.

89 AMT, 2R 115, H. Bourget, Rapport hebdomadaire, grand télescope, du 27 novembre au 1er décembre 1905.

90 AMT, 2R 115, Dominique Saint Blancat, Rapport hebdomadaire du 5 au 10 février 1906.

91 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 24 août 1899.

92 AMT, 2R 126, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er juin 1900.

93 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 12 septembre 1899.

94 Cité par Henri Bouasse, « Le savant dans la littérature et dans la réalité », in Cristallographie géométrique. Groupes de déplacements, Paris : Librairie Delagrave, 1929, p. xi.

95 AMT, 2R 129, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 10 septembre 1906.

96 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 15 mars 1905.

97 AMT, 2R 142, Lettre d'Armandine Vaudein à Benjamin Baillaud, 2 août 1904.

98 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 13 octobre 1894.

99 Ibid., 30 décembre 1894.

100 A. Corbin, « La fatigue, le repos et la conquête du temps », in A. Corbin (dir.), L'avènement des loisirs, 1850-1960, op. cit., p. 276.

101 Ibid., p. 276.

102 Ibid., p. 290.

103 AN, F17, 23129, Lettre du ministre de l'Instruction Publique à Félix Tisserand, 3 septembre 1875.

104 AMT, 2R 126, Lettre d'Émile Besson à Benjamin Baillaud, 30 mai 1900.

105 AMT, 2R 97, Lettre du recteur Claude-Marie Perroud à Benjamin Baillaud, 18 mai 1907.

106 AMT, 2R 126, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 1er juillet 1903.

107 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 13 octobre 1894.

108 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 19 février 1895.

109 AMT, 2R 115, Rapport hebdomadaire de Mesdemoiselles Pons et Lallemand, semaine du 12 au 17 mars 1906.

110 AMT, 2R 115, Rapport hebdomadaire de Frédéric Rossard, semaine du 1er au 8 mai 1904.

111 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 8 novembre 1901.

112 AMT, 2R 126, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 4 novembre 1894.

113 AMT, 2R 126, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 4 novembre 1894.

114 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 13 août 1903.

115 AMT, 2R 87, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 25 août 1903.

116 AMT, 2R 129, Lettre d'Émile Besson à Benjamin Baillaud, 21 août 1901.

117 André Rauch, « Les vacances et la nature revisitée (1830-1935) », in A. Corbin (dir.), L'avènement des loisirs, 1850-1960, op. cit., p. 94.

118 Ibid., p. 112.

119 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 30 août 1902.

120 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 18 août 1904.

121 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 28 août 1901.

122 A. Rauch, « Les vacances et la nature revisitée (1830-1935) », art. cité, p. 103.

123 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 3 septembre 1902.

124 AMT, 2R 142, Lettre d'Armandine Vaudein à Benjamin Baillaud, 24 septembre 1903.

125 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 14 août 1900.

126 AMT, 2R 104, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 11 août 1894.

127 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er juin 1900.

128 AMT, 2R 104, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 29 août 1897.

129 AN, F17, 17268, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 15 juillet 1906.

130 AMT, 2R 142, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 6 octobre 1903.

131 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à Jean Carrère.

132 AMT, 2R 129, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 15 mai 1902.

133 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 27 février 1905.

134 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 13 décembre 1902.

135 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 3 janvier 1902.

136 Ibid., 27 février 1905.

137 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud et ses collaborateurs, 17 novembre 1903.

138 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 27 février 1905.

139 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 7 décembre 1906.

140 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 22 février 1906.

141 AMT, 2R 129, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er janvier 1902.

142 AMT, 2R 104, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 1er janvier 1903.

143 AMT, 2R 142, Lettre d'Émile Mathias à Benjamin Baillaud, 30 juillet 1904.

144 AMT, 2R 102, Lettre de Benjamin Baillaud à Frédéric Rossard, 17 mai 1895.

145 AMT, 2R 95, Lettre du ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts à Benjamin Baillaud, 8 août 1883.

146 P. Véron, op. cit., p. 492.

147 AMT, 2R 95, Lettre du ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts à Benjamin Baillaud, 8 août 1883.

148 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 15 juillet 1898.

149 AMT, 2R 142, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 13 octobre 1900.

150 AMT, 7Z 67, Jean Carrère, Agenda, juillet 1905.

151 AMT, 2R 126, Lettre de Frédéric Rossard à Benjamin Baillaud, 23 juillet 1900.

152 AMT, 2R 129, Lettre d'Henry Bourget à Benjamin Baillaud, 4 octobre 1900.

153 AMT, 2R 129, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 27 novembre 1905.

154 AN, F17 24184, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 22 février 1907.

155 AN, F17 24184, Carrière récapitulée de Paul Caubet, 1928.

156 AMT, 2R 129, Lettre de Paul Caubet à Benjamin Baillaud, 21 février 1900.

157 B. Bensaude-Vincent, La science contre l'opinion, op. cit., p. 135.

158 Ibid., p. 138.

159 AMT, 2R 112, Louis Montangerand, Rapport de l'année 1898, 25 janvier 1899.

160 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 23 décembre 1897.

161 AMT, 2R 100, Lettre du maire de Toulouse à Benjamin Baillaud, 17 novembre 1897.

162 AMT, 2R 112, Louis Montangerand, Rapport de l'année 1898, 25 janvier 1899.

163 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 9 juillet 1904.

164 Klaus Schlüpmann, « Les avatars du réalisme à l'époque de la photo imprimée », in B. Bensaude-Vincent, A. Rasmussen (dir.), op. cit., p. 122.

165 AMT, 2R 104, Lettre du rédacteur en chef de La Petite Gironde, A. Delambre à Benjamin Baillaud, 9 juillet 1902.

166 AMT, 2R 104, Lettre de l'administrateur délégué de l'Action à Benjamin Baillaud, 18 avril 1900.

167 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 23 décembre 1896.

168 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 20 septembre 1904.

169 La Dépêche, 14e année, n° 4041, mardi 16 mai 1892, p. 3, pour l'éclipse partielle de Soleil, La Dépêche, 14e année, n° 4040, lundi 15 mai 1892 p. 4, pour une comète, La Dépêche, 39e année, 11088, mercredi 28 décembre 1898, p. 3, pour une éclipse de lune.

170 AMT, 2R 100, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 23 décembre 1896.

171 AMT, 2R 102, Lettre de Félix Tisserand à Benjamin Baillaud, 30 novembre 1878.

172 B. Baillaud, Cours d'astronomie à l'usage des étudiants des Facultés des sciences. Première partie, op. cit.

173 B. Baillaud, Cours d'astronomie à l'usage des étudiants des Facultés des sciences. Deuxième partie, op. cit.

174 D. Raichvarg, J. Jacques, op. cit., p. 277.

175 Madeleine Rebérioux, « Au tournant des expos : 1899 », Le Mouvement social, n° 149, 1989, p. 3-13.

176 Voir : Pascal Ory, Les Expositions Universelles de Paris, Paris : Ramsay, 1982, 157 p.

177 D. Raichvarg, J. Jacques, op. cit., p. 282.

178 AMT, 2R 142, Conférence tenue à l'Observatoire de Paris le 27 mai 1899. Rapport adressé au directeur de l'enseignement supérieur.

179 AMT, 2R 112, Rapport du service de l'équatorial photographique, 1er novembre 1899-1er novembre 1900.

180 Nouvelle annuaire de la Haute-Garonne, 1905, Toulouse : Imprimerie et Librairie E. Privat, 1905, p. 2219.

181 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 16 février 1907.

182 AMT, 2R 90, Copie d'une lettre de Benjamin Baillaud à l'ingénieur principal des chemins de fer du Midi, 23 février 1904.

183 AMT, 2R 87, Lettre de M. Laroyenne à Benjamin Baillaud, 29 janvier 1906.

184 AMT, 2R 104, Lettre d'A. de Saint de Ré à Benjamin Baillaud, 1er juin 1898.

185 AMT, 2R 104, Lettre de L. Guilhem à Benjamin Baillaud, 1er mars 1901.

186 AMT, 2R 99, Lettre du maire de Lavernose à Benjamin Baillaud, 13 mai 1905.

187 AMT, 2R 90, Lettre de M. Estraband à Benjamin Baillaud, 20 mars 1905.

188 AMT, 2R 104, Lettre d'Adrien Barbe à Benjamin Baillaud, 15 février 1895.

189 AMT, 2R 90, Lettre d'Émile Pouvillon à Benjamin Baillaud, 14 décembre 1900.

190 AMT, 2R 104, Lettre de L. Rémond à Benjamin Baillaud, 14 juin 1902.

191 AMT, 2R 143, Lettre de Benjamin Baillaud au maire de Toulouse, 12 mai 1897.

192 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud 25 août 1899.

193 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 18 avril 1901.

194 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 12 mai 1905.

195 AMT, 2R 128, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 18 avril 1901.

196 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 30 juillet 1901.

197 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 25 août 1899.

198 AMT, 2R 120, Lettre de Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 10 août 1903.

199 AMT, 2R 112, Rapport annuel du service photographique, 1er novembre 1903-1er novembre 1904.

200 AMT, 2R 120, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 9 juillet 1904.

201 François Bordes, « Toulouse. Observatoire », in « Ils observaient les étoiles... » Cinq siècles d'astronomie toulousaine, Toulouse : Archives Municipales de Toulouse, 2002, p. 89.

202 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 28 août 1899.

203 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 18 août 1899.

204 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 30 juillet 1901.

205 AMT, 2R 112, Rapport de Jean Carrère du 1er octobre 1904 au 1er octobre 1905.

206 AMT, 2R 120, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 12 septembre 1899 (voir également dans le même carton la lettre de Montangerand à Baillaud du 17 septembre 1903).

207 AMT, 2R 100, Lettre de P. Dupont à Benjamin Baillaud, 1er juillet 1899.

208 AMT, 2R 129, Lettre de Benjamin Baillaud à ses collaborateurs, 12 mai 1905.

209 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 17 septembre 1903.

210 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 23 septembre 1902.

211 AMT, 2R 129, Lettre de Louis Montangerand à Benjamin Baillaud, 19 août 1899.

212 Ibid., 4 septembre 1899.

213 AMT, 2R 129, Lettre de Dominique Saint Blancat à Benjamin Baillaud, 14 août 1903.

214 Anne Secord a présenté un exemple particulièrement éclairant d'investissement amateur d'une pratique savante en examinant le travail des artisans du Lancashire dans le domaine de la botanique (A. Secord, « Science in the pub : artisan botanists in early nineteenth-century Lancashire », History of Science, vol. 32, part. 3, n° 97, septembre 1994, p. 269-315).

215 Bulletin de la Société d'Astronomie Populaire de Toulouse, 12e année, n° 58, T. III, 1921, p. 38.

216 B. Baillaud, « Notice sur le développement successif des études astronomiques à Toulouse », art. cité, p. 474.

217 Pour un exemple de coopération entre amateurs et professionnels, voir : Susan Leigh Star, James R. Griesemer, « Institution Ecology, 'Translations' and Boundary Objects : Amateurs and Professionnals in Berkeley's Museum of Vertebrate Zoology, 1907-39 », art. cité, p. 387-420.

218 Bulletin de la Société d'Astronomie Populaire de Toulouse, 12e année, n° 58, T. III, 1921, p. 38.

219 Bulletin de la Société d'Astronomie Populaire de Toulouse, 1re année, n° 1, 1910, p. 19.

220 Ibid., p. 19-20.

221 AMT, 2R 99, Lettre de Benjamin Baillaud au préfet de la Haute-Garonne, 21 février 1898.

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