1La réorganisation des structures sociales impulsée par la Révolution et l'Empire affecte la communauté savante. Charles Gillispie assure que « pendant ce quart de siècle, le développement politique et scientifique atteignirent en France leur importance par des processus qui se sont mutuellement renforcés et impliqués1 ». Dans cette recomposition générale l'observatoire de Toulouse occupe une place un peu à part, parce qu'en marge du mouvement de centralisation et de concentration institué par Napoléon. Cette position originale est déterminante pour les astronomes qui prennent la direction de l'établissement de la cité garonnaise et tentent de s'inscrire dans les réseaux scientifiques.

2La période qui court de l'Empire à l'avènement de la III^e République est marquée par une grande proximité de l'observatoire avec le pouvoir municipal. Les changements de régime et les alternances politiques affectent la vie de l'institution astronomique2. Les relations que nouent les savants avec la ville oscillent entre fortes tensions pour obtenir des subsides et tentatives de s'investir dans les affaires publiques.

3Au-delà même de ces rapports ambivalents entre les astronomes et l'administration municipale, l'observatoire connaît une situation délicate quant à son ouverture sur la cité garonnaise. La tentation du repli, de l'éloignement du centre ville, est contrariée par la mise en place d'un cours public dispensant à la population toulousaine les éléments essentiels d'une culture astronomique.

Mutations des réseaux et des sociabilités scientifiques

4La communauté savante de l'Ancien Régime est bien sûr modifiée par les nouvelles perspectives révolutionnaires et les dispositions napoléoniennes. Les académies provinciales, supprimées en 1793, se reconstituent ensuite peu à peu au début du xix^e siècle, mais sans jamais retrouver le rôle d'animatrices de la vie savante qui fut le leur au siècle des Lumières. L'omnipotence de la Capitale est, au contraire, largement consolidée3. Le pôle astronomique parisien se structure autour de l'Institut, puis de l'Académie des sciences et du Bureau des Longitudes. Les réseaux européens demeurent des horizons lointains et peu accessibles pour un observatoire de province. On peut donc s'interroger sur la manière dont les astronomes toulousains parviennent à intégrer ces différents cercles savants, alors que l'établissement dont ils ont la charge, échappe par son statut particulier à la tutelle parisienne. Il convient également d'analyser comment le renouvellement des cursus et des carrières scientifiques, forgé à partir de l'Empire dans des structures éducatives, génère des formes inédites de relations savantes.

S'inscrire dans un nouveau contexte

5Les académies constituaient le maillage essentiel de la communauté savante au siècle des Lumières. Elles organisaient la vie scientifique et les échanges. Le décret de la convention nationale du 8 août 1793 stipule que « toutes les Académies & Sociétés littéraires patentes et dotées par la Nation sont supprimées4 ». Dans un premier temps la Compagnie savante n'est pas épargnée5. Puis un lent mouvement de reconstitution émerge à partir de 1795 avec la création de l'Institut présentée « comme un acte [...] dont l'objectif consistait à poursuivre, dans le domaine culturel, la tradition glorieuse du chef de file des lumières françaises6 ». L'académisme provincial renaît lui aussi de ses cendres sous l'Empire. Toutefois les projets révolutionnaires et napoléoniens jetant les bases institutionnelles de l'organisation savante en France, affirment davantage encore la position centrale de Paris. Outre l'Institut, le Bureau des Longitudes, créé la même année, renforce la position dominante des astronomes de la Capitale.

6Les observatoires disséminés sur le territoire disparaissent peu à peu, victimes de la professionnalisation de la science et de la disparition progressive des derniers scientifiques du xviii^e siècle travaillant seuls dans leurs propres espaces savants. La multitude d'établissements qui avaient vu le jour au siècle des Lumières partout en France, laisse la place à une distribution minimale des observatoires. Celui de Marseille est sous l'autorité du ministère de l'Intérieur dès 1801, avant d'être administré par le ministère de l'Instruction Publique en 1832 et d'être rattaché à son homologue parisien en 18527. L'observatoire de Strasbourg mène une existence discrète sous l'égide de l'académie locale8. Dans ce paysage savant recomposé et très largement centralisé, l'institution de la cité garonnaise s'illustre par l'implication municipale qui la soustrait à l'influence parisienne. Après la restitution par Napoléon I^er de l'ancienne maison de Garipuy à la ville, et malgré l'intervention du ministère de l'Intérieur dans la nomination des directeurs jusqu'en 1837, l'établissement toulousain conserve une relative autonomie vis-à-vis des autorités scientifiques de la Capitale.

7Au regard de cette évolution générale qui affaiblit les académies provinciales et organise l'astronomie française à Paris, on peut s'interroger sur la manière dont les observateurs de la cité garonnaise parviennent à s'insérer dans cette communauté savante transformée.

8La Compagnie toulousaine, après avoir disparu en 1793, renaît sous le nom de Lycée en 1797. Lors de la première séance, le 21 décembre 1797, les membres de la nouvelle société saluent la fin de la « longue tourmente » révolutionnaire et assurent vouloir « mettre en commun [leurs] lumières et [leurs] expériences » pour relever « le Temple des arts9 » qui fit autrefois leur gloire. L'arrêté du 5 mai 1803 interdisant aux assemblées scientifiques de porter le nom de Lycée, qui est désormais réservé aux institutions scolaires du secondaire10, la réunion des savants toulousains porte donc le nom d'Athénée.

9Le recrutement au sein de cette forme renaissante d'Académie des sciences est un peu plus étendu qu'au siècle des Lumières en ce qui concerne les observateurs. Antoine Darquier rejoint le cercle Toulousain dès sa fondation. Surtout, les noms d'Hadancourt11, Vidal12 et Rivet13 complètent la liste des astronomes qui suivent les séances de l'Athénée, alors qu'ils n'avaient pas pu accéder à l'Académie des sciences au siècle précédent.

10Charles C. Gillispie remarque qu'un des changements les plus importants de la Révolution fut la substitution d'une « société aux rôles définis par la condition sociale » à une « société aux rôles définis par la fonction14 ». Les idéaux bourgeois libérés par la nouvelle énergie politique imposent l'idée que « ce qui importe, au sens civique, c'est ce que la personne fait et non ce qu'elle est, ce qu'elle devient, non ce qu'elle devrait devenir par naissance15 ». Dans cette période de transition et de reconstruction des cercles savants toulousains, les valeurs révolutionnaires participent à la démocratisation de la vie académique locale et offrent une tribune aux observateurs jusqu'ici écartés en raison de leurs origines sociales. Toutefois, Maurice Crubelier souligne que le nouvel ordre bourgeois, un temps ouvert, impose sa seule présence dans les sociétés savantes et reproduit le choix élitaire défini par la noblesse au siècle des Lumières. L'historien remarque que partout ces cercles « deviennent de plus en plus des fiefs nobles et bourgeois » dont le recrutement par « cooptation16 » maintient la prééminence de certains groupes sociaux au détriment des autres. Caroline Barrera indique qu'à Toulouse le « caractère sélectif de la sociabilité académique17 » toulousaine favorise les enseignants18.

11La véritable renaissance de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse en 180719 témoigne de l'effervescence impériale autour des sociétés savantes. Michel Taillefer rappelle que Napoléon, voyant dans leur reconstitution « un moyen de contrôler et de diriger l'opinion20 », a développé une politique culturelle en leur faveur.

12Les astronomes directeurs de l'observatoire toulousain sont tous membres de l'Assemblée savante21 qui s'affirme parmi les autres sociétés émergeant au début du xix^e siècle comme le cercle académique dominant en ce qui concerne les sciences22. Seul Desplas ne parvient à y accéder : ses relations houleuses avec l'administration municipale et sa faible production peuvent expliquer cette mise à l'écart du réseau scientifique toulousain.

13Les observateurs de la cité garonnaise participent activement aux travaux de l'Académie des sciences. Dans l'éloge qu'elle consacre à Pierre d'Aubuisson, la Compagnie reconnaît qu'il s'agissait d'« un confrère des plus zélés23 ». Ce savant les « entretenait fréquemment de ses observations, tant astronomiques que météorologiques et de ses méditations sur tous les objets qui ont rapport à l'astronomie et il était toujours prêt à se livrer avec zèle à tous les travaux qui pouvaient être de quelque utilité à l'Académie24 ».

14Frédéric Petit produit à lui tout seul 66 % des mémoires concernant l'astronomie publiés entre 1797 et 186525. Il s'honore de faire part à la Compagnie savante des derniers développements de la science des astres. Bien qu'associée aux recherches de l'astronome, la société savante n'est plus qu'une chambre d'enregistrement des travaux qui s'effectuent en dehors de ses prérogatives. L'intégration de Jean Vauthier au sein de l'Académie de la cité garonnaise met en lumière sa position de retrait relatif dans l'animation de la vie scientifique. Philippe-Émile Brassine reconnaît que la société savante « avait toujours suivi avec intérêt ses progrès dans l'étude et son avancement dans l'Université, aussi saisit-elle avec empressement, en 1822, l'occasion de la première vacance pour l'adjoindre à ses travaux en qualité d'Associé ordinaire26 ». Au cœur du dispositif napoléonien visant à professionnaliser les carrières savantes, la Faculté devient au xix^e siècle le véritable creuset des activités scientifiques. Robert Fox assure que « in the science, the new touchstone of competence had the predictable effect of detaching the local societies from the recognized mainstreams of research ». L'historien souligne l'écart qui sépare le monde universitaire des académies provinciales, « which survived as incongruous relics of the siècle des lumières27 ». L'investissement des astronomes toulousains dans les nouvelles structures éducatives qui forgent désormais les cursus professionnels scientifiques les éloigne de l'Académie savante locale. John Burney insiste sur l'intégration sociale des professeurs à l'intérieur de la Compagnie, facilitant leur assimilation à l'élite urbaine28. Robert Fox décrit les cercles savants jusqu'en 1850 comme des espaces réservés à la haute bourgeoisie29. Les astronomes de la cité garonnaise du xix^e siècle, comme leurs prédécesseurs du siècle des Lumières, s'imposent par leur appartenance au corps enseignant, au sommet de la société toulousaine et, à ce titre, ils intègrent les cénacles culturels les plus importants. Dans le même temps, le lien organique qui unissait l'observatoire à la Compagnie savante se distend peu à peu et cette dernière doit prendre acte de l'inéluctable distance qui la sépare de l'établissement astronomique. Dans un rapport qu'elle adresse au maire en 1827, la société savante de la cité garonnaise regrette d'avoir « perdu la propriété et la jouissance de son Observatoire ». Cet éloignement lui interdit d'avoir accès aux recherches qui y sont menées et « il lui est bien difficile de donner son opinion sur les questions Astronomiques qui peuvent lui être proposées30 ». L'appartenance à l'Académie constituait une tribune essentielle pour les observateurs du xviii^e siècle, mais elle perd son caractère incontournable au siècle suivant. Frédéric Petit avoue en 1860 à son ami Antoine d'Abbadie « que depuis deux ou trois [il a] a peu près rompu avec elle par suite d'un mauvais procédé de grands meneurs ». Suite à cette querelle, il n'est « plus revenu à ses séances31 », sans que cette absence soit préjudiciable à sa carrière.

15Déchue de son statut de pôle savant de la cité garonnaise, la Compagnie propose à ses membres de mettre leurs compétences au service de l'innovation technique.

16Le 15 janvier 1852, Frédéric Petit rend à l'Académie un « rapport très favorable sur l'horloge présentée par M. Joseph Cusson32 ». L'astronome salue dans son compte rendu « l'esprit inventif, [l]es ressources fécondes dont M. Cusson a donné la preuve33 ».

17L'Académie toulousaine tente de s'ériger en office d'évaluation et de conseils techniques au service de la société. Lorsque la ville s'adresse à elle et lui soumet son « Projet d'une nouvelle distribution d'eau34 » dans la cité, la société savante mobilise ses membres les plus à même d'apprécier ce travail. Elle confie cette étude à Lucien Mollins qui enseigne les mathématiques à la faculté des sciences, Philippe-Émile Brassine, qui professe la même discipline à l'École d'Artillerie, et Frédéric Petit qui s'est précisément intéressé dans ses recherches météorologiques au problème de la répartition des pluies et de leur récupération35.

18L'Académie reste donc une sorte de passage obligé, un cercle de reconnaissance sociale permettant aux différents directeurs de l'observatoire de renforcer leurs liens avec les autres enseignants de Toulouse. Totalement métamorphosée et concurrencée par la faculté des sciences, la Compagnie savante demeure un point d'appui pour les astronomes de la cité garonnaise.

19Les relations qu'ils entretiennent avec les autres savants provinciaux sont en revanche quasiment nulles. Cette dimension du réseau savant français s'est estompée pour les observateurs toulousains. Après la disparition des derniers astronomes du xviii^e siècle, la structure de la communauté savante, désormais totalement professionnelle et insérée dans le système éducatif, ne favorise pas l'émergence d'observatoires en province. L'établissement phocéen sous le joug de la Capitale, maintient avec difficulté une certaine activité tout au long du xix^e siècle. Montpellier, qui possède une faculté des sciences, tente de constituer un lieu permanent d'observation, mais, remarque Jean-Michel Faidit, vers 1860 « le contexte surréaliste d'une Faculté des sciences dépourvue d'observatoire perdure, en dépit d'un groupe actif d'astronomes36 ». Dans cet espace méridional exsangue, l'établissement toulousain fait figure d'exception par sa relative indépendance et la continuité des travaux menés. Pierre d'Aubuisson voit dans cette situation en 1810, la possibilité de se distinguer. Il assure au Préfet de la Haute-Garonne qu'il peut « faire des bonnes observations d'autant plus intéressantes que les observatoires de Montpellier et de Marseille sont sans astronome37 ». Le chaos héraultais et l'asservissement parisien de l'observatoire marseillais réduisent à néant les contacts provinciaux des observateurs de la cité garonnaise.

20Parallèlement à cette atonie de la vie provinciale, le centralisme parisien s'est, lui, considérablement accru dans la première partie du xix^e siècle. La Révolution et l'Empire ont renforcé un processus de concentration largement esquissé au siècle des Lumières. Une nouvelle institution, le Bureau des Longitudes, fondé en 1795, joue un rôle particulier dans l'organisation de la communauté astronomique, en structurant notamment les échanges savants. Ses statuts lui imposent de « correspondr[e] avec les autres Observatoires, tant de la République que des pays étrangers38 ». Avant que l'Institut ne reprenne sa place, les réseaux scientifiques convergent donc vers le Bureau des Longitudes. Les astronomes toulousains du début du xix^e siècle y font parvenir la plupart de leurs recherches. Le 22 juillet 1797, Antoine Darquier et Jérôme Hadancourt transmettent « les observations de l'éclipse du Soleil39 ». Quelques jours auparavant, Jacques Vidal envoyait « une suite précieuse d'observations de Mercure faites pendant une révolution entière40 ». Les astronomes de la cité garonnaise ne se contentent pas d'alimenter la collection des travaux rassemblés dans cette institution, ils s'efforcent également d'utiliser sa forte capacité de diffusion. Dès sa création, le Bureau des Longitudes « est chargé de rédiger la Connaissance des Temps41 » et donne à l'ancienne éphéméride une dimension nouvelle. La publication de référence des astronomes français joue « à maintes reprises [...] un rôle d'initiatrice, en provoquant des travaux et des recherches42 », et en canalisant le flux des observations menées sur le territoire. Jacques Vidal a édité de nombreuses séries d'examens de Mercure dans ce périodique, mais il a également fourni quelques mémoires théoriques comme son « aperçu général sur le rapport des ouvertures de la prunelle de l'œil ou des lunettes avec la visibilité des étoiles, tant de nuit que de jour43 ».

21Au-delà même de la Connaissance des temps, le Bureau des Longitudes constitue un organe de diffusion des recherches qui polarise l'attention des astronomes. Dès le 11 juillet 1795, Antoine Darquier s'inquiète de l'édition de ses mémoires. Les membres de l'institution parisienne répondent qu'ils s'occupent « du projet général d'impression des observations et qu'il y comprendra certainement celles de Darquier44 ». L'astronome toulousain insiste en 1798 et « sollicite l'impression de ses observations dans l'Histoire Céleste45 » que prépare Jérôme Lalande.

22Après la remise en ordre de l'Institut et la renaissance de l'Académie des Sciences de Paris, le rôle central du Bureau des Longitudes dans l'organisation de l'astronomie française est largement atténué. Il n'en demeure pas moins une institution importante qui, comme nous l'avons vu lorsqu'Arago en 1839 a fait doter l'observatoire toulousain de nombreux instruments, s'implique dans la gestion des forces savantes réparties sur le territoire.

23Roger Hahn remarque que l'Institut, créé en 1795, se veut « l'incarnation d'une république des lettres nationales46 ». Il témoigne à la fois d'une « bureaucratisation du savoir » et d'un assujettissement total au pouvoir étatique. Mais dans le même temps, l'historien souligne que la nouvelle Académie devient « la voix de la science la plus prestigieuse et la plus honorée du Continent47 ».

24La notoriété de l'Institut et sa force d'attraction dessinent les lignes désormais exclusivement centrées sur Paris du réseau savant français. Les astronomes toulousains qui officient sous la Révolution et l'Empire et ont conservé les liens les unissant aux observateurs de la Capitale, parviennent à devenir correspondants de l'Institut : Vidal et Darquier accèdent à cette dignité lors de la séance du 1^er février 179648. Jusqu'à sa mort, Jérôme Lalande offre une diffusion privilégiée aux observateurs de la cité garonnaise en portant leurs travaux devant l'Institut. Le 21 mars 1799, il lit « une observation de Vidal [...] qui avait très bien vu Mercure49 ». Quelques mois plus tard, il présente « de la part de Darquier [.] un imprimé » intitulé « observations astronomiques faites à Toulouse, dans les années 1792-179850 ». Les savants toulousains du début du xix^e siècle s'appuient sur leurs relations nouées sous l'Ancien Régime pour investir le cénacle parisien. Par la suite, l'accès à l'Académie des sciences est beaucoup plus difficile pour les astronomes de la cité garonnaise. Sur la période qui court de la fin du premier Empire à l'avènement de la III^e République, seul Frédéric Petit obtient le titre de correspondant, avec l'appui de son maître François Arago51.

25L'observatoire de Toulouse, indépendant des autorités administratives parisiennes, n'a plus que des contacts ponctuels avec les instances savantes de la Capitale. Il convient toutefois de ne pas surestimer cette mise à l'écart institutionnelle des observateurs toulousains. En effet, comme nous l'avons vu pour le régime de pratiques hypso-météorologiques et le magnétisme terrestre, les astronomes de la cité garonnaise restent perméables aux évolutions scientifiques nationales. Ils n'ignorent rien des recompositions thématiques et méthodologiques qui travaillent la communauté savante dans son ensemble.

26De plus, Paris reste l'horizon de référence des observateurs de la cité garonnaise. Dans une missive adressée au Préfet de la Haute-Garonne le 20 septembre 1810, le chevalier d'Aubuisson se targue avec orgueil d'avoir envoyé « à M. Delambre un petit travail astronomique52 ». En 1830, Alphonse Desplas ne cache pas son dépit de voir ses efforts délibérément ignorés par la communauté savante parisienne. Il déverse notamment sa rancœur sur le Bureau des Longitudes dont il n'a « n'a reçu aucun encouragement [.] pas même une froide lettre53 ».

27Lorsqu'avec les liens se resserrent entre la Capitale et Toulouse, on repère, comme au xviii^e siècle, une nette volonté parisienne de guider les travaux, de diriger à distance les recherches. En préparant l'observation de l'éclipse du soleil du 8 juillet 1842, François Arago contacte plusieurs astronomes pour l'aider à accomplir son programme d'analyse des « proéminences rougeâtres54 » visibles lors du phénomène céleste. Le savant parisien reconnaît que pour s'assurer une plus grande récolte de données, « M. Petit [.] avait bien voulu, à [s]a prière se rendre à Montpellier55 ». Urbain Le Verrier use du même procédé en 1855. Le directeur de l'observatoire de la Capitale écrit à Frédéric Petit « pour lui donner quelques indications relativement aux observations à faire sur la nouvelle comète, découverte tout nouvellement à Paris ». Les conditions climatiques déplorables n'ont pas permis à l'astronome toulousain « de faire les observations qui lui étaient demandées56 », et qu'il s'était empressé d'entreprendre. Si le mouvement général d'une centralisation accrue de l'organisation savante française est perceptible à Toulouse dans la première moitié du xix^e siècle, il est toutefois largement atténué par la position de l'observatoire, en marge de la centralisation parisienne.

28Des liens très ténus vers l'étranger subsistent et bornent l'horizon savant des observateurs de la cité garonnaise. Pierre d'Aubuisson entretient une correspondance suivie avec le baron Franz Xaver von Zach, fondateur de l'observatoire du Seeberg et fin connaisseur des établissements méridionaux qu'il visite à plusieurs reprises. Il rend compte avec précision en 1812 des travaux du directeur de l'observatoire de Toulouse sur le « Repetitions Kreise57 » dont il lui a indiqué l'usage quelques années plus tôt58. Jean-Michel Faidit souligne la place très particulière de cet astronome allemand « en querelle avec Delambre » qui, non content de « cristalliser autour de lui les forces vives de l'astronomie d'amateur », se permet de correspondre avec d'Aubuisson « et son homologue montpelliérain Reboul, titulaire de la chaire d'astronomie à la Faculté des sciences, tous deux officiellement inféodés par leur statut à l'autorité parisienne59 ». Aucun des successeurs de Pierre d'Aubuisson sous la Restauration ne parvient à se lier avec des animateurs étrangers de la vie scientifique. Frédéric Petit, après 1838, réussit à approcher les rédacteurs des Astronomische Nachrichten pour publier ses travaux sur les météorites. Mais ce contact ponctuel ne peut constituer l'ébauche d'un réseau savant européen dont l'astronome semble ignorer la dimension avec précision. Petit publie en 1863 un volume d'Annales, recensant l'ensemble de ses recherches et élabore une liste d'observateurs à qui il souhaite envoyer son recueil. Il demande l'aide de son ami Antoine d'Abbadie et lui confie : « Tu es beaucoup plus au courant que moi de ce qui se passe à l'étranger, et je compte sur ta complaisance pour me piloter60. »

29Qu'il s'agisse des réseaux académiques locaux concurrencés par les facultés, des cercles savants parisiens dont les astronomes toulousains sont, la plupart du temps, exclus en raison du statut de leur observatoire, ou des relations internationales très lointaines, on mesure combien l'audience des savants de la cité garonnaise est limitée dans la première moitié du xix^e siècle. Fragilisée par la recomposition du paysage scientifique, Toulouse ne parvient à s'imposer institutionnellement dans une communauté savante désormais totalement assujettie au pouvoir parisien.

30Cette relative marginalité de l'établissement méridional, n'empêche pas les observateurs de la cité garonnaise, de s'approprier les régimes de pratiques en cours dans la Capitale.

31Au-delà des évolutions structurelles dans les échanges astronomiques, la métamorphose de la cité savante institue des liens nouveaux entre les observateurs.

Maître et condisciple : les liens d'amitié

32Après la chute de l'Ancien Régime, l'organisation générale du système scolaire est modifiée, même si, comme le notent Robert Fox et George Weisz, Napoléon I^er maintient et renforce la centralisation parisienne61. Les Grandes Écoles et l'Université Impériale, en imposant des diplômes et des concours dessinent les contours de nouvelles carrières scientifiques62. Celles-ci peuvent ensuite se poursuivre dans des organismes spécifiquement consacrés à la recherche scientifique comme le Muséum d'Histoire Naturelle ou l'observatoire de Paris63. La professionnalisation de la science qui associe tâches d'enseignement et recherche fixe un parcours initiatique et détermine des cursus précis. Ainsi le doctorat est-il indispensable à partir des années 1820 pour obtenir une chaire de faculté64. Frédéric Petit, né en 1810, est le premier astronome toulousain du xix^e siècle à avoir emprunté les arcanes des nouvelles structures éducatives. Il obtient deux baccalauréats au Collège Royal de la cité garonnaise, le premier ès lettres en 1827, le second ès sciences en 183265. Petit se rend ensuite à Paris où il suit comme externe les cours de l'École Polytechnique et de l'École des Mines, mais c'est à l'Université qu'il obtient ses diplômes : une licence ès sciences mathématiques en 1833 et une autre ès sciences physiques en 1834. Nicolas Joly assure que c'est « à peu près à la même époque [que] la bienveillance d'Arago lui ouvrait littéralement les portes de l'observatoire de Paris, encourageait ses premiers efforts, et bientôt après le proclamait un de ses élèves les plus dignes et les plus distingués66 ». Frédéric Petit échoue au concours de l'agrégation67 avant de soutenir en 1835 ses deux thèses qui lui donnent le grade de docteur ès sciences. Un temps nommé au collège Royal de Rodez, il est mis en congé par le ministre de l'Instruction Publique, avant d'être « attaché à l'Observatoire de Paris68 ».

33C'est au cours de ce parcours scolaire et universitaire tracé par les réformes napoléoniennes pour accéder à une carrière scientifique que le futur directeur de l'établissement astronomique toulousain se lie d'amitié avec son condisciple Antoine d'Abbadie et son protecteur François Arago, qui, tous les deux, ont été les éléments les plus importants du réseau savant de Frédéric Petit.

34L'autorité de François Arago, sa place dominante dans la communauté des astronomes français et son implication politique lui permettent d'imposer son élève à Toulouse. Il écrit au maire de la ville en 1839 que « M. Petit est [...] bien capable, sous tous les rapports, de donner un vif relief à ce nouvel et utile établissement69 ». De son côté l'observateur de la cité garonnaise ne manque jamais de rappeler les liens privilégiés qui l'unissent à la Capitale. Lors de sa prise de fonction, il signale aux édiles « que depuis Mr. Vidal, aucun de [s]es prédécesseurs ne s'est trouvé en relation avec l'Observatoire de Paris, comme [il s']y trouve [lui]-même70 ». Implicitement Petit impose l'idée que sa nomination est une manière pour la ville de se rapprocher de la Capitale et de pouvoir en obtenir plus facilement les faveurs. Arago fait d'ailleurs montre de prodigalité et ne ménage pas sa peine pour donner à son élève de bonnes conditions travail. Il mobilise notamment le Bureau des Longitudes afin de fournir des instruments de qualité à l'observatoire de Toulouse.

35En véritable mentor, l'astronome parisien fait participer son disciple à ses propres recherches. Il l'associe en 1842 à l'expédition qu'il mène dans les Pyrénées pour étudier la polarisation de la lumière et en 1849 le fait « coopérer [.] à des recherches expérimentales71 » dans l'enceinte de l'observatoire de Paris.

36Les réseaux scientifiques que tisse Frédéric Petit restent très marqués par les années de formation dans la Capitale auprès d'Arago. Nicolas Joly remarque que grâce à son maître, le directeur de l'établissement savant toulousain a pu bénéficier de l'estime de « MM. Mathieu, Bouvard, Élie de Beaumont, Stourm, Liouville et Laugie72 ». Dans la lettre qu'il adresse à Alexis Bouvard, alors qu'il vient d'arriver dans la cité garonnaise, Petit le remercie pour « l'affection particulière » que lui témoigne l'observateur parisien en soutenant ses premiers efforts. Il lui demande également de se « rappeler au Bon souvenir de [s]es anciens camarades73 » de l'établissement de la Capitale. L'astronome toulousain conserve surtout des liens privilégiés avec Ernest Laugier, membre du Bureau des Longitudes, gendre de Louis Mathieu et neveu de François Arago74.

37Frédéric Petit bâtit donc sa carrière scientifique en s'appuyant sur l'aura de son maître François Arago. Il témoigne à ce dernier une déférence qui confine à la dévotion. Lorsqu'il apprend en 1850 la déchéance de son vieux mentor, le directeur de l'observatoire de Toulouse ne cache pas sa peine. Il assure éprouver « à son sujet une véritable affliction ». Frédéric Petit confie son anxiété à Antoine d'Abbadie au sujet du dépérissement rapide d'Arago : « c'est un ami pour lequel je ressens une affection bien profonde et dont la perte serait pour moi un cruel chagrin75 ». En 1854, le disciple se charge de rédiger pour l'Académie des sciences de la cité garonnaise la notice retraçant la vie du maître. Petit voit dans cette nécrologie le moyen pour lui « de payer un tribut de reconnaissance à l'homme éminent et bon qui [l'] avait habitué depuis longtemps, par les témoignages d'affection et d'estime dont il ne cessait de [l]e combler, à le regarder comme un second père76 ». Les liens qui unissaient l'élève et l'enseignant se sont mués en relations filiales autant qu'amicales.

38Véritable mandarin de la communauté savante de la première moitié du xix^e siècle, François Arago prépare et assure la carrière des observateurs qu'il forme. Il facilite également leur accès au marché académique très concurrentiel77. En retour Arago s'assure un point d'appui provincial non négligeable puisqu'avec Petit, il a la main mise sur l'unique observatoire de province qui échappait encore aux autorités parisiennes.

39Le cursus universitaire qui s'ébauche peu à peu et permet de vivre de l'activité scientifique met à jour une nouvelle forme de sociabilité savante fondée sur les rapports du maître au disciple.

40Au cours de ses études, Frédéric Petit a également côtoyé, comme condisciple, une future personnalité importante de la vie scientifique du xix^e siècle : Antoine d'Abbadie. Ce fils d'un homme d'affaires basque et d'une mère irlandaise polyglotte, a fait ses études secondaires à Toulouse78. C'est au Collège Royal qu'il se lie d'amitié avec Frédéric Petit, mais aussi avec Pierre Duchartre. Les jeunes garçons se distinguent particulièrement dans leur scolarité. Lors du décès de Petit, d'Abbadie évoque avec mélancolie « les trois camarades de collège, les trois meilleurs mémoires de troisième79 ». Ni les divergences politiques80, ni le temps n'érodent les fortes relations nouées dans les premières années de formation. Petit et d'Abbadie, en particulier, entretiennent une correspondance nourrie tout au long de leurs vies81. Cependant leurs parcours divergent nettement après l'obtention du baccalauréat. Le jeune étudiant basque suit des cours de droit à l'université de Paris. Attiré par les lettres autant que les sciences, il étudie également la géologie, la zoologie, la minéralogie et l'astronomie à la Sorbonne82. Avec l'appui d'Arago et de Becquerel,

41Antoine d'Abbadie s'embarque pour le Brésil en 1836 afin d'y analyser « la variation journalière de la déclinaison magnétique à proximité de l'équateur83 ». À bord de l' Andromède qui l'emmène en Amérique du sud, il dialogue avec Louis-Napoléon Bonaparte, éloigné de la France par le gouvernement de Louis-Philippe84. En 1837 le savant basque part en Abyssinie avec son frère. D'Abbadie revient deux ans plus tard pour s'équiper d'instruments et obtenir quelques soutiens. Puis il retourne en Ethiopie où il reste dix ans. Les travaux qu'il engage en Afrique témoignent de son insatiable curiosité et surtout de sa volonté de ne pas se spécialiser dans une discipline : outre un relevé topographique des régions explorées, il amasse de nombreux documents sur les langues éthiopiennes et fait d'innombrables observations astronomiques85. Une fois achevée cette exploration minutieuse d'une région jusque-là encore méconnue, d'Abbadie présente ses recherches à la Société de géographie et à l'Académie des sciences. Nommé correspondant de cette dernière assemblée, il ne ménage pas sa peine pour obtenir le droit d'être titulaire. Anthony Turner note que d'Abbadie, tout au long de sa carrière, a fait preuve d'une activité éditoriale intense, « publiant 107 communications entre 1837 et 1896 », sur des sujets aussi divers que « l'Ethiopie et l'exploration, [...] la météorologie, l'astronomie, la physique du globe, l'instrumentation ou la photographie86 ». À partir de 1858, il décide d'ériger son propre observatoire à Hendaye87. Antoine d'Abbadie occupe une place originale dans la communauté savante : il n'est pas enseignant dans le supérieur, mais jouit d'une fortune considérable qui lui permet de subvenir à ses besoins et de mener ses propres recherches, dans une perspective interdisciplinaire. Ce parcours peu commun n'empêche pas cet infatigable voyageur de pénétrer les plus importants cercles savants parisiens. Il a présidé la Société de géographie, la Société de Linguistique, la Société de philologie, l'Académie des sciences et en 1878 il devient membre du Bureau des Longitudes88. Les échanges épistolaires avec Frédéric Petit reflètent la multiplicité des études entreprises par le savant basque, mais mettent surtout à jour leur collaboration en astronomie.

42Dès son retour d'Abyssinie en 1849, Antoine d'Abbadie évoque les innombrables calculs qu'il serait nécessaire d'effectuer pour réduire ses observations89. Puis, en assistant à une leçon du directeur de l'établissement savant de la cité garonnaise, l'explorateur suggère à son ami d'effectuer quelques expériences « sur la déviation des corps qui tombent, déviation due au mouvement de rotation de la Terre90 ».

43D'Abbadie ne cosigne pas le texte soumis à l'Académie, mais Petit ne manque pas de l'associer aux résultats obtenus.

44En 1860, les deux astronomes organisent leur déplacement en Espagne pour examiner « l'éclipse du 18 juillet ». Ils partagent leurs instruments, d'Abbadie utilisant « son cercle de voyage91 » et Petit observant avec une lunette de « 92 millimètres d'ouverture à l'objectif92 ». Les calculs nécessaires pour mettre en forme le compte rendu du phénomène céleste se révèlent être un « un travail d'enfer93 ». L'astronome toulousain doute de la stabilité de l'outil employé par son ami. « Sois assez-bon, lui écrit-il en août 1860, pour vérifier toi-même la construction de ton cercle94 ». L'amitié facilite l'entraide et la mise en commun des résultats.

45Le directeur de l'observatoire de Toulouse ne se montre pas avare de conseils lorsque son ancien condisciple émet l'idée de bâtir son propre établissement. Il suggère « d'employer le béton en couches homogènes » et des « briques creuses bien faites » pour les murs. L'essentiel est « que la construction soit à l'abri du soleil ». Petit rapporte ici son expérience personnelle et remarque qu'« il suffit d'une heure d'exposition le matin dans l'été, pour que la bulle de [s]on niveau accroché par un bout à des murailles d'un mètre d'épaisseur exposées au soleil et par l'autre bout à des murailles abritées, se déplace de 20 à 25 divisions95 ».

46Les positions des deux hommes dans la communauté savante ne sont certes pas équivalentes, mais elles n'ont pas l'asymétrie disproportionnée des rapports qu'entretiennent Petit et Arago. L'astronome toulousain et son homologue basque n'hésitent donc pas à user, chacun pour l'autre, des relations dont ils peuvent jouir pour étendre leurs réseaux.

47Antoine d'Abbadie se rend à Toulouse le 7 juin 1849 pour lire devant l'Académie des sciences de la ville « un Mémoire sur un météore (le Qobar) qu'il a aperçu sur différents points du globe96 ». La commission qui examine son texte est dirigée par Frédéric Petit. Ce dernier fait, la semaine suivante, un « rapport écrit » sur le travail de son ami et demande « qu'il lui soit accordé le titre d'Associé correspondant97 ». Le 21 juin suivant Antoine d'Abbadie obtient sans peine la place tant convoitée. L'explorateur et astronome basque fait profiter l'observateur de la cité garonnaise de ses liens privilégiés avec Louis-Napoléon Bonaparte porté au pouvoir en 1850. Petit souhaite faire, en 1857, une demande à l'Empereur dont nous ignorons la teneur. D'Abbadie l'informe que « [s]a pétition », accompagnée d'une lettre d'introduction sera sous peu « en mains officielles ». Cependant l'observateur d'Hendaye reste sceptique quant au succès de l'entreprise : « comme je n'ai jamais pu solliciter pour moi, je n'attends pas grand chose de ma démarche actuelle98 », écrit-il à son ami. Quelle que soit l'issue de cette requête, elle met en lumière les échanges de bons procédés entre Petit et d'Abbadie qui mobilisent leurs réseaux pour s'aider mutuellement.

48Les sentiments qui rapprochent les deux hommes sont bien plus profonds que ceux qui déterminent habituellement une sociabilité savante. Ils abordent dans leur correspondance des questions relevant de la vie privée. Christiane Douyère-Demeulenaere révèle qu'à l'aube de ses quarante ans, Antoine d'Abbadie envisage de se marier, « mais il est hésitant, peu sûr de lui99 » et timide. Il s'en ouvre à sa sœur mais également à son ancien condisciple, Frédéric Petit. Celui-ci joue parfois les entremetteurs. Il écrit à l'astronome basque le 28 décembre 1850 que « la jeune personne » dont il lui a précédemment parlé « habite à la campagne » et qu'il attend « sa réponse pour savoir ce qu'il y aurait à faire afin de [lui] ménager une entrevue sans embarras des deux parts et aucune ombre d'engagement100 ».

49L'amitié entre Frédéric Petit et Antoine d'Abbadie, nouée au cours des années d'étude, dépasse le strict cadre des relations scientifiques et s'inscrit dans une relation à la fois intense et intime. Le premier directeur de l'observatoire de Toulouse à avoir été formé dans le creuset scolaire napoléonien y a construit une grande partie de son réseau savant.

50Si au xviii^e siècle un astronome cherchait à gagner l'amitié de son correspondant en échangeant avec lui des travaux et des observations, désormais les sympathies et les relations se forgent aussi au cours des années d'apprentissage, avant d'être activées pendant la carrière scientifique. Ces analyses rejoignent l'étude menée par Alan Montefiore sur les universités britanniques qui met en lumière l'importance « des cadres de vie et des structures d'enseignement propices aux réseaux d'amitié, tant entre étudiants qu'entre étudiants et professeurs101 ».

51Les bouleversements de la Révolution et de l'Empire n'ont pas simplement modifié la nature des liens entre les savants, ils ont également initié de nouveaux rapports entre les astronomes et la politique.

Les astronomes et le pouvoir

52La Révolution et l'Empire constituent des événements majeurs dans les rapports qui peuvent exister entre le monde savant et le monde politique. Au siècle des Lumières le pouvoir ne s'est jamais désintéressé de l'observatoire toulousain, l'extension et la ramification des autorités administratives n'ont jamais été aussi fortes qu'après le début du xix^e siècle. Les nouvelles forces politiques annexent l'établissement astronomique, l'intègrent à leur vaste entreprise de réorganisation générale et l'assujettissent à leur volonté.

53Au-delà de la professionnalisation de l'activité scientifique, la plus grande proximité avec le pouvoir dessine un cadre inédit de relations entre les savants et les instances politiques. Soumis aux aléas d'une vie publique versatile, les astronomes subissent la loi des changements de majorité. Le Conseil municipal de la cité garonnaise qui, dans la première partie du xix^e siècle, gère la plupart du temps l'observatoire entretient des rapports souvent tendus avec les directeurs qui se succèdent. Seule source de financement, la ville tente de concilier ses impératifs budgétaires et son désir de conserver l'établissement scientifique. Frédéric Petit qui se plaint fréquemment de l'incurie du système communal, s'immerge dans les affaires publiques en accédant au Conseil.

Vicissitudes politiques

54Le tumulte révolutionnaire a permis la libération de nouvelles énergies politiques et la manifestation de pulsions violentes qui surprennent la communauté astronomique de la cité garonnaise. Le renversement des valeurs de l'Ancien Régime et le fracas de la contestation affectent les observateurs toulousains.

55Le statut social privilégié d'Antoine Darquier le menace directement. L'astronome traverse cette période entre effroi et épouvante. Dès le 21 novembre 1798, il assiste en spectateur terrifié aux « mouvements tumultueux qu'excite la licence effrénée qu'on qualifie du beau nom de liberté102 ». Il s'inquiète en 1791 du silence de son ami et correspondant Flaugergues. Les « événements inattendus [qui] arrivent si promptement » laissent craindre le plus grand « danger » pour « les gens auxquels on est attaché » écrit l'observateur de la cité garonnaise. Lui-même redoute les déchaînements mortifères dont les échos lui parviennent. Il relate ainsi un « événement funeste », survenu le 17 mars 1791, qui l'a terrifié bien qu'il n'y soit « pas compromis : une Rixe de Légion à Légion a occasionné la mort de trois personnes qui se sont fusillées réciproquement, cela a jetté l'alarme dans la ville et le calme n'est pas encore bien Rétabli ». Darquier désespère de pouvoir travailler sereinement. « Il faut convenir, confie-t-il à Flaugergues, que nous vivons dans un temps bien malheureux et qui n'est guère propre aux progrès des sciences qui voudroient du repos103. » Malgré son prudent effacement l'astronome toulousain est inquiété lorsque le Comité Révolutionnaire de la ville intercepte une missive envoyée à son ancien élève, Méchain, alors en Espagne pour la mesure du méridien. Dans cette lettre où « il était question de chiffres, de signaux, de feux à allumer sur les montagnes [...] on crut avoir saisi une conspiration flagrante ». Un ami d'Antoine Darquier persuade finalement les « membres du Comité que ce travail était utile à la république104 ». Martyn Lyons souligne qu'« à Toulouse, la Révolution poursuivit des objectifs limités, ses partisans restèrent prudents et discrets ». Les habitants de la cité garonnaise « adoptèrent la rhétorique colorée et violente de la Révolution, mais les excès de la Terreur et de la Contre-Révolution ne se produisirent pas dans la ville105 ». Cette modération n'empêche pas la suppression des symboles de l'Ancien Régime et la destitution des offices. Antoine Darquier est privé « de ses emplois106 » et on lui retire « une partie de sa fortune personnelle107 ». Déchu par le nouvel ordre politique, Darquier se montre sarcastique à son endroit. En septembre 1789, il explique à Delambre qu'il lui écrit « de [s]a métairie [...] car il n'est plus permis de dire sa terre108 ». Représentant d'une noblesse dont la fortune s'appuie principalement sur les revenus fonciers, l'observateur toulousain est particulièrement choqué par cette substitution des termes imposée par la Révolution. Lorsqu'il rend compte des recherches effectuées en 1790, Darquier indique qu'elles ont été faites « au Château de Pellepoix, situé dans [s]a ci-devant terre de Beaumont de Lézat », avant d'ajouter un brin perfide que « ceci est écrit depuis la suppression des seigneuries109 ». L'astronome de la cité garonnaise reste, jusqu'à sa mort en 1802, hostile aux changements en cours et ressent une aversion profonde pour la Révolution. Lorsque Jérôme Lalande lui demande, « au nom de Comité d'instruction publique, la suite de ses observations pour les faire imprimer aux frais du Gouvernement, il ne consentit à les livrer que sous la condition expresse qu'elles conserveraient la date du calendrier grégorien, aimant mieux les brûler que si elles portaient la marque du calendrier républicain sans-culottisé110 ». Imperméable au renversement des valeurs et à l'irruption d'un espace politique plus large, Antoine Darquier reste dubitatif quand il apprend que Flaugergues s'occupe de la Garde Nationale à Viviers111

J'admire que vous ayés pu mené de front deux choses aussi disparates (j'ay pensé dire exercice) que l'astronome et le syndicat d'un district. Je vous félicite. Il y a pariés que je ne me serais pas senti le même courage112.

56Finalement l'astronome adopte une attitude discrète et se retire fréquemment dans sa propriété de Pellepoix, à quelque distance de Toulouse. Il y observe notamment l'« Éclipse de la Lune113 » du 23 octobre 1790 et fait, dans ce nouvel espace savant, les relevés classiques des lieux de la lune et des planètes, de septembre 1791 à novembre 1797114.

57Les élèves de Darquier lui restent fidèles. Hadancourt dirige même seul l'observatoire de son mentor lorsque celui-ci s'absente115. Rivet, qui observe encore avec Darquier, est lui aussi « révolté [...] du spectacle que lui offraient, dans la ville, les excès d'une révolution qu'il improuvait116 ». Après la disparition de son protecteur Riquet en 1791, Jacques Vidal s'exile un temps à Bonrepos avant de fonder son propre observatoire dans sa ville natale de Mirepoix. Il cherche à s'éloigner « du tourbillon politique en s'occupant sans cesse de l'astronomie117 ».

58La communauté des observateurs toulousains du siècle des Lumières est donc très en retrait quant aux événements révolutionnaires. Sans être totalement indifférents aux mouvements qui s'organisent, les astronomes garonnais optent tous pour une réprobation silencieuse, qui contraste avec les déchaînements parisiens118. Cependant, avant même le Directoire, les observateurs toulousains sont impliqués dans la réorganisation générale des structures sociales et administratives. Vidal, en 1794, puis Hadancourt en 1796 accèdent à la direction de l'observatoire de Toulouse119. Darquier est, quant à lui, sollicité le 4 mars 1795 par le « Citoyen Gratian agent national », avec le Marquis de Chalvet et Jérôme Hadancourt, pour examiner « les divers instruments astronomiques tels que télescopes catadioptriques, lunettes achromatiques, pendules à compensateur120 », saisis dans le département. Les astronomes appelés en tant que « Gens de l'Art121 » doivent déterminer si ces outils scientifiques peuvent être utiles « pour l'Instruction Publique122 ».

59Nicole et Jean Dhombres soulignent qu'à partir du Directoire, les savants parisiens épousèrent le changement de régime123. Michel Serres décrit la Capitale au tournant du xix^e siècle comme un espace politique totalement investi par « la science positive124 ». Le régime napoléonien favorise les rapprochements entre l'activité savante et le pouvoir : Gaspard Monge accède au Sénat et Pierre Simon Laplace en prend la présidence125. À Toulouse l'attrait pour le gouvernement impérial est assez sensible dans la correspondance de Jacques Vidal. Ce dernier rend hommage « à la vaste capacité du héros que l'acclamation publique élève à la dignité impériale126 ». Il célèbre également l'union entre le pouvoir et les savants en louant l'action du ministre de l'Intérieur et chimiste Chaptal. Il souligne que pendant son exercice, il ordonna des sommes importantes pour l'amélioration de l'établissement de la cité garonnaise127.

60La génération d'observateurs qui émerge à la fin du xviii^e siècle dans le sillage de Garipuy et de Darquier, s'adapte au nouvel ordre politique et intègre même parfois l'administration qui se met en place. Le préfet du département confie à Rivet les « premiers travaux du cadastre qui furent faits dans le pays128 ». Le conseil municipal de la cité garonnaise fait appel à lui dès 1801 pour « un plan sur une fort grande échelle, [...] pour assoire des projets d'alignement129 ». Jean-Baptiste Mercadier qui avait, au siècle précédent, fourni les tables du nonagésime pour l'observatoire académique, participe très activement à l'entreprise d'unification des mesures portée par la Révolution130. Il rédige en 1805 des « Tableaux des anciennes mesures du département de l'Ariège, comparées à celles du nouveau système métrique131 » qui lui valent les félicitations du ministre de l'Intérieur Nicolas François de Neufchâteau. Le dernier élève d'Antoine Darquier, le jeune Duc-La-Chapelle, rédige un ouvrage sur le même thème. Dans l'introduction de sa Métrologie française ou traité du système métrique décimal à l'usage du département du Lot, l'astronome montalbanais s'enthousiasme pour ce projet de portée universelle dans lequel il voit « un gage pour l'ordre social132 ».

61Les astronomes du siècle des Lumières qui ont pratiqué leur science sous l'égide de Darquier et Garipuy, s'inscrivent non seulement dans le dispositif administratif napoléonien, mais ils mettent également leurs compétences au service du nouveau régime.

62L'observatoire est, en outre, totalement assujetti aux autorités qu'elles soient locales ou nationales. Dans ces liens de dépendances organiques, les savants toulousains subissent les aléas d'une vie politiques chaotique : ils peuvent être tour à tour sanctionnés ou portés par les changements de majorité. Marqué-Victor en 1822 est expressément choisi en raison de ses opinions libérales133. L'astronome est même l'instrument d'une lutte souterraine entre les autorités parisiennes et les forces municipales réactionnaires. En 1825, la ville toujours aux mains des ultraroyalistes134, nomme Alphonse Desplas, fidèle à la dynastie des Bourbons135, à la direction de l'observatoire. Son impéritie et son comportement insoumis sont mis en avant lors de son renvoi136. Mais cette révocation coïncide également avec la révolution de juillet 1830. Georges Fournier souligne que la cité garonnaise s'enflamme pour le nouveau régime et arbore le drapeau tricolore. Les ultras sont chassés des administrations par « une épuration massive137 ».

63La création de la chaire d'astronomie pour Frédéric Petit en 1850 illustre cette très forte intrication du pouvoir politique et de l'activité scientifique. Fidèle à Arago son maître, il adopte ses opinions républicaines. L'astronome parisien s'est très tôt lancé dans les affaires publiques. Il est député des Pyrénées Orientales en 1831 et se place tout de suite « dans les rangs les plus avancés de l'opposition138 ». Françoise Le Guet Tully souligne que l'ancrage à gauche d'Arago « remonte à sa toute jeunesse : il fut en effet en 1803 le premier élève de l'École polytechnique à ne pas prêter serment à Bonaparte, alors Consul à vie139 ». Dans la cité garonnaise, le mouvement républicain se structure dans les années 1830 autour des clubs et des sociétés secrètes. Frédéric Brissonnet note que c'est à partir de 1837, « sous l'impulsion du nouveau journal toulousain l'Émancipation140 », que les organisations de gauche émergent véritablement et constituent une force d'opposition à la Monarchie de Juillet alors en place. François Arago s'implique très directement dans cette agitation naissante au sein de la cité garonnaise. Il s'y rend en juillet 1846 et reçoit « les honneurs d'une foule nombreuse de militants141 ». Le commissaire de police Boissonneau constate que « de 10 à 11 heures du soir des jeunes de la ville donnèrent une sérénade [.]. On joua la Marseillaise et on chanta Guerre aux Anglais. La cour de l'hôtel fut constamment pleine142 ». Frédéric Petit ne manque pas de soutenir l'action politique de son mentor et lors de cette visite triomphale, rassemble chez lui plusieurs membres du parti républicain. L'administration préfectorale garde en mémoire cette provocation contre le pouvoir en place. En effet, dans la même période, le directeur de l'observatoire de Toulouse ne cesse de réclamer qu'on lui ouvre une chaire d'astronomie à la faculté des sciences en lieu et place du simple cours qu'il y dispense. Le 3 avril 1847, le préfet de la Haute-Garonne écrit au ministre pour lui signaler qu'il ne serait pas opportun de confier à Frédéric Petit le poste universitaire convoité. La position prise par l'astronome « à la fois comme ami et correspondant, à la fois scientifique et politique de M. Arago, est de nature à ne pas concilier la bienveillance du gouvernement », écrit le chef de l'administration départementale. Ce dernier narre par le menu l'épisode de juillet 1846 au cours duquel il estime que l'observateur de la cité garonnaise « a commis une grande imprudence [...] qui a pu faire apprécier la nature de ses relations avec M. Arago. Ayant reçu chez lui ce savant, lors de son dernier passage à Toulouse, M. Petit s'empresse de réunir à sa table, pour l'accueillir, non pas des hommes de sciences, mais bien au contraire, les chefs les plus prononcés et les plus ignorants du parti démocratique, en tête desquels figurait l'avocat Gax. Ces messieurs avaient organisé pour la circonstance, un mouvement d'étudiants que M. Gax était là pour diriger et pour conduire. Le scandale de cette démonstration factieuse fut évidemment préparé et partagé par MM. Petit lui-même ». Le préfet conclut que cet acte d'insoumission doit faire renoncer le ministre à ouvrir une chaire d'astronomie à Toulouse qui devrait être confié à un membre du mouvement républicain, « dont toutes les démarches sont excitées par l'esprit et les calculs d'une opposition violente et systématique143 ».

64Frédéric Petit n'attend pas très longtemps avant que le parti qu'il soutient renverse la Monarchie de Juillet, lors de la révolution de 1848 et l'instauration de la II^e République144. À cette occasion François Arago devient ministre de la Guerre et de la Marine145. Le nouveau gouvernement est évidemment favorable aux ambitions universitaires du directeur de l'observatoire de Toulouse. Ce dernier rencontre le ministre de l'Instruction Publique pendant l'année 1850 et « l'accueil affectueux » qu'il reçoit « l'avait préparé à la décision bienveillante146 » qui lui attribue la chaire d'astronomie de la faculté.

65Les événements politiques déterminent, depuis la Révolution, les carrières scientifiques. Les opinions des savants sont en outre attentivement surveillées par les pouvoirs en place. En 1869, le recteur Rollier se félicite de la neutralité adoptée par Pierre-Adolphe Daguin qui dirige alors l'établissement astronomique de la cité garonnaise. Il indique au ministre de l'Instruction Publique que « ce Professeur jouit d'une très grande considération dans tous les partis, précisément parce qu'il n'appartient à aucun d'eux et que sa vie est consacrée tout entière aux devoirs de professeur et à ses recherches personnelles147 ». Cette apparente indifférence aux engagements partisans se brise lors de la chute du Second Empire. Une commission municipale se met, dès l'annonce du départ de Napoléon III, « à travailler avec zèle à l'épuration du personnel ». Les concierges des différentes institutions de la ville n'échappent pas à ce que Jules Brunhes appelle « une révolution complémentaire dans les loges ». Un représentant des forces de l'ordre présente à Daguin « le patriote de confiance dont on voulait le gratifier » pour l'observatoire et qui devait remplacer l'ancien portier soupçonné de bonapartisme. Le physicien tente de s'expliquer avec l'administration communale en indiquant que, directeur de l'établissement astronomique, il comptait bien « y être le maître du service intérieur ». Il ajoute « que l'ancien concierge était son seul aide et était devenu un auxiliaire utile, dont il n'avait qu'à se louer, qu'il tenait par conséquent à conserver148 ». Mais la commission municipale s'obstine et révoque le portier. Pierre-Adolphe Daguin envoie sa démission et se retire le 1^er novembre 1870, protestant ainsi contre les abus d'une vengeance politique.

66Matrices des relations étroites qu'entretiennent la science et le pouvoir, la Révolution et l'Empire arriment le parcours des astronomes toulousains aux aléas des renversements d'opinion. Les observateurs ne peuvent s'abstraire des débats publics en particulier lorsqu'ils touchent à la vie de leur établissement.

Les observateurs et la vie municipale, entre tensions et engagement

67Le décret impérial du 27 juillet 1808 donne à la ville la jouissance « en toute propriété149 » de l'observatoire de Toulouse et laisse au pouvoir central la possibilité de nommer le directeur. Le décret ministériel du 17 février 1814 maintient ces dispositions et stipule dans son article 3 que le traitement de l'astronome « & les autres dépenses de l'Établissement seront en totalité à la charge de la ville & compris dans son budget150 ». Enfin, la loi de décentralisation de 1837 laisse la cité garonnaise libre de choisir le directeur de son institution scientifique. Les différents observateurs qui se succèdent à Toulouse de la fin du Premier Empire à l'avènement de la III^e République sont donc très dépendants du pouvoir municipal. Surtout, ils sont confrontés, pour le maintien de leur activité, aux affres de la gestion des affaires publiques et aux multiples contraintes administratives contre lesquelles ils bataillent.

68La question des subsides est évidemment une préoccupation majeure des astronomes de la cité garonnaise. La ville est l'unique source de financement de l'établissement astronomique. C'est elle qui rétribue les directeurs et alloue une somme pour l'entretien des instruments. Outre les demandes des savants pour obtenir de nouveaux outils techniques ou des aides pour les seconder comme nous l'avons précédemment évoqué, les requêtes financières portent également sur les ouvrages à acheter afin de compléter la bibliothèque.

69Jean Vauthier écrit au maire le 23 juin 1833 pour lui soumettre une liste de livres qui lui seraient « absolument nécessaires », et notamment la « connaissance des temps [de] 1834 et 1835 », les « œuvres de Delun sur la météorologie » et les deux volumes du « cométographe de Pingré151 ».

70Certaines doléances qui ont trait au confort de l'observateur sont plus inattendues et suscitent la surprise de l'administration. Alphonse Desplas exige en 1827 un concierge pour l'institution qu'il dirige. La commission municipale rétorque au directeur que ses prédécesseurs « n'en ont jamais joui » et qu'un portier « ne lui est pas plus nécessaire qu'à eux152 ».

71Le plus souvent cependant, les sollicitations des astronomes toulousains dans la première partie du xix^e siècle, portent sur des réparations à faire dans le bâtiment qu'ils occupent. Le 12 juin 1826, Alphonse Desplas fait remarquer au maire que le défaut d'entretien menace la survie de l'observatoire. Ce dernier est « dans un délabrement affligeant ». Les infiltrations d'eau de pluie minent la structure de l'édifice. L'astronome explique que « les grands dégâts occasionnés par les gouttières et la chute du toit tournant nécessitant des réparations générales, il est important d'établir un nouveau toit qui offre plus de résistance aux ouragans et un plus grand abri à l'édifice ». Desplas souligne les inconvénients qui pourraient survenir si sa requête n'aboutit pas : « chaque jour de retard augmente les dépenses à faire et si l'on les néglige encore, l'on aura bientôt à se reprocher la ruine entière du bâtiment153 ». Trois ans plus tard, le même astronome tempête contre l'inertie du Conseil municipal qui semble n'avoir pas pris la mesure de ses inquiétudes. Le 12 septembre 1829, Desplas informe le maire que l'absence de réparations est responsable de l'effondrement d'une partie du mur qui ceint l'observatoire. « Il a entraîné le tuyau de fer blanc qui conduit les eaux de pluie » explique l'astronome. Il ajoute que « la réparation de ces dégâts est très urgente : le voisin [lui] a fait adresser ses plaintes à ce sujet154 ».

72Le successeur de Desplas, Jean Vauthier, est victime des mêmes désagréments et prévient le maire en 1832 « que la Rotonde qui constitue l'observatoire155 » réclame de très urgentes réparations.

73Avant de s'installer dans le nouvel établissement astronomique à Jolimont, Frédéric Petit loge et travaille dans la maison de Garipuy. Comme ses prédécesseurs, il adresse à la mairie de nombreuses missives sur le mauvais état chronique de ce bâtiment. L'astronome incite le Conseil à « prendre le plus tôt possible les mesures nécessaires156 » pour arrêter les dégradations.

74Les observateurs toulousains de la première partie du xix^e siècle ne cessent de réclamer des moyens à la ville qui a la charge de l'établissement savant. Face à ces demandes répétées de subsides ou de réparations, l'attitude des autorités municipales oscille entre l'austérité budgétaire et la satisfaction de contribuer au rayonnement de la cité.

75La demande de Pierre d'Aubuisson en décembre 1820 d'un « crédit annuel de 1 000 francs et de 600 francs pour achat ou réparation d'instruments » est rejetée sans ménagement par le Conseil. Le maire suggère à l'astronome de ne faire parvenir que les requêtes concernant « un besoin indispensable157 ». Les ressources financières de la ville sont limitées et il n'est pas toujours possible d'accéder aux demandes que les observateurs font parvenir. Le premier magistrat de la cité garonnaise informe Alphonse Desplas en juin 1827, au sujet des « réparations nécessaires à l'observatoire », qu'il ne peut faire « que celles prévues et pour lesquelles il est accordé un fonds au budget ». L'édile manifeste toutefois « le regret de ne pouvoir obtempérer à toutes [ses] réclamations sur ce point158 ».

76Lorsque le Conseil municipal parvient à concilier ses impératifs financiers et les souhaits des astronomes, il ne manque pas de rappeler combien ces efforts lui coûtent.

77Dans la séance du 1^er décembre 1827, l'assemblée communale étudie l'opportunité de « revêtir le comble » de l'observatoire « en plomb laminé d'une ligne d'épaisseur, au lieu de zinc qui le recouvrait et dont l'expérience a démontré le peu de solidité ». Finalement le Conseil accède à cette demande du directeur Alphonse Desplas et indique qu'en « s'imposant ce nouveau sacrifice, la ville se met à l'abri pour l'avenir des réparations toujours onéreuses159 ».

78L'abnégation de la ville concernant son observatoire est une thématique récurrente des membres de la municipalité.

79En 1838, alors que Frédéric Petit demande à pouvoir utiliser une partie du jardin de la maison de Garipuy pour ses observations climatiques, les édiles récapitulent l'ensemble de leurs actions en faveur du bâtiment savant et relèvent avec orgueil que lorsque « les circonstances lui en ont fourni l'occasion », le Conseil « a montré le désir qu'il éprouvait de mettre l'observatoire dans un état convenable pour qu'il put rendre à la science astronomique et météorologique les services qui lui sont propres ». Surtout, admet l'assemblée communale, « les sacrifices imposés au trésor municipal, dans cet objet, ont eu de bons résultats160 ».

80L'argumentaire des conseillers municipaux met régulièrement en parallèle les subsides avancés et les travaux effectués. C'est ici l'image et la réputation de la ville qui sont en jeu. John Burney a rappelé combien la cité garonnaise se targue, au xix^e siècle, de poursuivre une histoire savante sur laquelle repose sa notoriété161. Dans sa séance du 15 décembre 1856, le Conseil dégage un important crédit pour la parution du volume d'Annales de Petit et profite de l'occasion pour se dire « jaloux [...] de continuer les traditions qui ont mérité et qui assurent désormais à la ville de Toulouse la reconnaissance du monde savant162 ». Cinq ans auparavant, les édiles insistaient, de la même manière, pour que l'observatoire dont ils avaient la charge soit « digne d'une cité protectrice des sciences, des arts, du commerce et de l'industrie163 ».

81Face à l'abondant flux de demandes des astronomes qui ne cessent de solliciter des subsides à la municipalité, celle-ci répond le plus souvent positivement en soulignant le sacrifice auquel elle s'astreint et en tentant de renforcer la renommée savante de la cité garonnaise.

82Les discussions qui s'instaurent autour des sollicitations des observateurs mettent à jour un ensemble de règles et un langage, propres à l'administration communale et dont les directeurs de l'établissement savant doivent apprendre les rudiments pour être compris. Il convient tout d'abord de ne pas négliger la forme de la requête. Le maire ne peut donner suite, en 1832, aux demandes de Jean Vauthier concernant l'achat de plusieurs instruments. Le premier magistrat rappelle à l'astronome qu'il doit « au préalable », faire parvenir au Conseil « les devis de ces objets164 ». Une fois la somme remise à l'observateur, celui-ci n'en dispose pas à sa guise. Il doit impérativement respecter les procédures administratives. Le 31 mars 1835, l'assemblée communale s'inquiète des démarches prématurément entreprises par Jean Vauthier avec l'argent qui lui a été confié. Le maire, Théodore Rolland, explique « qu'il a été alloué au Budget [...] pour l'Observatoire 522 francs pour divers travaux ». Il ajoute que, « trompé par les apparences de ce crédit qu'il croyait d'ors et déjà réalisable, le Directeur a cru pouvoir faire quelques commandes, lesquelles ont été exécutées ». Les édiles s'émeuvent de « l'initiative prise par le Directeur de l'observatoire sur sa disposition des fonds réservés par le Conseil ». Ils notent qu'il s'agirait là d'« une entreprise grave si le directeur n'avait pour excuse sa bonne foi165 ». Dans sa délibération le Conseil invite le premier magistrat « à rappeler au directeur l'illégalité des dépenses faites, afin de prévenir le renouvellement d'un pareil abus166 ». Les astronomes ne doivent pas seulement se familiariser avec les pratiques administratives, ils sont également contraints de se conformer au registre lexical des édiles et à leurs définitions des termes employés dans les intitulés des crédits. À la fin de l'année 1829, Alphonse Desplas rédige le compte prévisionnel de ses achats sous la rubrique « instruments » du budget de la cité. Il émet notamment le souhait d'acheter « des registres, des Ephémérides et annuaires ». Le maire, Armand Perpessac, s'insurge contre cette interprétation trop libre du mot instrument. Il rappelle au directeur les « Règles de la spécialité rigoureusement prescrite en matière de dépenses communales ». L'édile insiste auprès du Préfet pour que celui-ci soutienne son argumentaire : « Je ne saurais voir dans le texte du crédit Entretien des instruments l'intention de la part du Conseil Municipal d'autoriser des acquisitions totalement étrangères à ces instruments. » Armand Perpessac persiste à penser que « Mr. le Directeur de l'observatoire s'est écarté des règles prescrites par les Instructions167 » et qu'il est indispensable de retirer les différents articles de la liste fournie par Desplas pour ses futures dépenses. L'astronome quant à lui, ne cache pas son incompréhension devant la décision du maire. Il écrit à Perpessac le 24 décembre 1829 pour lui faire remarquer « que dans un Observatoire, les registres destinés aux observations sont des instruments indispensables ainsi que les annuaires, les Ephémérides et les Connaissances des temps de chaque année ». Alphonse Desplas se veut conciliant et quelques semaines plus tard, il prend acte des règles administratives sans toutefois renoncer à dispenser quelques remarques acides, signes de sa contrariété :

Puisque les annuaires, les connaissances des temps et les registres astronomiques, qui dans tous les Observatoires de l'univers sont nommés instruments d'observations et de calculs ne peuvent conserver cette dénomination dans votre comptabilité, je vais les porter sur un compte séparé en double, pour être payés sur le crédit ouvert au budget de la ville pour dépenses imprévues168.

83Les directeurs qui se succèdent à la tête de l'observatoire toulousain se montrent régulièrement agacés par ces règles administratives et ne cessent de maudire les lourdeurs de l'organisation municipale. Afin de les contourner, Marqué-Victor s'adresse en 1822 « à l'Académie, dont il était un membre si utile, et lui demande d'employer son intercession auprès des autorités locales afin d'obtenir des réparations dont l'urgence était manifeste, et dont l'ajournement, outre qu'il compromettrait l'existence de l'édifice, ajournait tout usage à faire de cet établissement scientifique169 ». Le départ de Théodore Despeyrous, en 1866, n'est pas sans rapport avec les divers tracas administratifs qu'un directeur d'observatoire doit quotidiennement affronter. Le recteur Roustan confie à son ministre de tutelle que ce mathématicien « n'ayant peut-être pas [.] toute la ténacité de caractère nécessaire dans un poste où il faut sans cesse obtenir de la ville, à force d'insistance les moyens de remplir convenablement toutes les obligations de la charge imposée, M. Despeyrous [...] a peut-être agi prudemment en se retirant170 ». Frédéric Petit, qui impulse la construction du nouvel observatoire sur les hauteurs de Jolimont, s'est lui heurté à d'innombrables complications tout au long de sa carrière à Toulouse. Il n'a toutefois jamais remis en cause la bonne volonté des édiles dans l'érection d'un bâtiment astronomique. Dans une note de sa présentation des observations météorologiques faites devant l'Académie des sciences de la cité garonnaise en 1847, alors que les travaux viennent de s'achever, il rend hommage au Conseil municipal et assure « que la ville de Toulouse est de toutes les villes de France, peut-être même de toutes les villes d'Europe, celle qui, toutes proportions gardées, seconde avec le plus de zèle et d'empressement les travaux de l'intelligence171 ». Même si l'exaltation que peut susciter l'achèvement de l'observatoire confère à l'éloge un caractère obséquieux et flagorneur, Frédéric Petit ne s'en est jamais pris aux intentions des édiles. Il remarque en 1855 qu'il a toujours trouvé chez les conseillers municipaux « un concours des plus sympathiques et un accueil des plus affectueux172 » dans ses démarches. En revanche, il n'a pas de mots assez durs pour décrire les tourments administratifs qui l'ont détourné de son travail d'observateur.

Quelle triste existence que celle d'un pauvre astronome, obligé d'écrire lettre sur lettre, de faire démarche sur démarche, et condamné pourtant neuf fois sur dix, malgré tant d'efforts, à ne pas même obtenir qu'on lui remette en état les trappes méridiennes quand elles ne veulent plus marcher ; qu'on arrête les infiltrations pluviales qui dégradent les terrasses ou qui pourrissent les planchers ; qu'on ne laisse pas les soubassements se détruire sous l'action des eaux souterraines ; qu'on prenne les dispositions nécessaires pour lui permettre d'aller d'une salle d'observation à l'autre, sans l'exposer, la nuit à se rompre le cou, à travers les mécanismes des terrasses ; qu'on lui pave [...] les salles-basses de l'Observatoire, afin d'arrêter, dans leur propagation, les nichées de rats, qui font dans le sol humide de ces malheureuses salles de véritables clapiers, où il est impossible de les prendre, et d'où ils s'élancent ensuite par bandes, pour aller dévorer, pendant la nuit, jusqu'au mastic des ciels-ouverts173 !

84Frédéric Petit regrette que « faute d'une organisation convenable destinée à compléter son œuvre et à ménager les moments de l'homme de science chargé de la diriger », la ville de Toulouse ait laissé « l'Observatoire languir et sécher174 ». À la fin de sa vie, l'astronome s'emporte contre les inextricables difficultés administratives qu'il a dû surmonter et qui ont épuisé ses forces. « Malgré les tentations, je sens qu'il est temps, avoue Petit en 1863, [...] que je renonce enfin à ces luttes de tous les jours, dans lesquelles j'ai dû vivre pendant plus de vingt ans pour parvenir à fonder mon œuvre175. »

85Cette animosité de l'ancien élève d'Arago à l'endroit de l'organisation municipale, ne l'empêche pas de s'engager dans les affaires publiques en se faisant élire à l'assemblée communale en 1855176, puis en 1863.

86Le Second Empire cherche à légitimer son pouvoir en instaurant pour les élections des députés, conseillers généraux et municipaux, le suffrage universel, malgré les résistances de membres plus conservateurs du régime177. Le maire reste désigné par l'Empereur, ce qui lui permet de rester maître de l'assise communale178. Sudhir Hazareesingh et Vincent Wright remarquent que « la mobilisation du parti républicain dans les années 1860 » est « significative179 ». L'élection de Frédéric Petit, affilié comme son maître Arago au mouvement républicain de gauche est une prémisse à la reconquête des bastions perdus par ce parti avec l'avènement du Second Empire. À Toulouse, « la percée républicaine est nette », puisqu'en 1865, « 33 des 36 conseillers municipaux appartiennent à l'opposition180 ». Il s'agit surtout pour Frédéric Petit, en occupant l'espace démocratique local, de renforcer sa position dans l'élite toulousaine et d'affirmer son appartenance à la bourgeoisie dirigeante. Le recteur de l'Académie de Toulouse, Rocher, défend « la loyauté » de l'astronome et assure que « la chaleur communicative d'un cœur ardent pour le bien [...] lui a assigné une excellente place parmi ses collègues au Conseil Municipal dans lequel il exerce une grande influence181 ».

87Frédéric Petit participe activement aux affaires publiques et s'investit totalement dans la gestion de la cité. Le 1^er juin 1863, il explique à d'Abbadie qu'au moment de recevoir sa lettre il s'apprêtait à « présider un des bureaux d'élection comme conseiller municipal182 ». Le directeur de l'observatoire prend part aux travaux quotidiens des édiles et rend de nombreux rapports dans les diverses commissions désignées. Les aménagements urbains et la voirie occupent une grande partie de son temps. En mai 1857, il examine le « projet de redressement d'une partie du chemin vicinal du pont Louis Napoléon à Periolle183 ». Un an plus tard, Petit doit estimer des terrains « cédés pour l'élargissement des chemins vicinaux184 ». Le 14 novembre 1862, il doit fournir un compte rendu sur l'opportunité d'établir « un trottoir au devant des constructions élevées par le bureau de bienfaisance dans la rue Saint-Jérôme185 ». L'astronome surveille également les recettes fiscales de la ville et doit statuer en décembre 1858 sur « l'établissement de divers bureaux de recette d'octroi186 ». À la même période, Petit appartient à la commission chargée d'examiner « la perception des droits de stationnement des voitures de place187 ». Le directeur de l'observatoire se prononce également sur les dépenses à ordonner : le 16 juin 1860, il étudie le « cahier des charges concernant l'entretien des galeries du Musée188 ». Sudhir Hazareesingh et Vincent Wright soutiennent que le Second Empire a, pour les communes, une action centralisatrice à peine contrariée par de timides avancées vers plus d'autonomie locale après 1860. Les attributions de la ville « sont définies dans un sens restrictif par le pouvoir central189 ». Celui-ci souhaite à la fois contrôler le pays par la base et assurer dans le même temps, la plus grande « efficacité des institutions administratives190 ». Au sein de l'assemblée municipale de Toulouse, les marges de manœuvre dont disposent les conseillers, parmi lesquels figure Frédéric Petit, sont fort étroites et l'action des édiles se cantonne à une gestion strictement encadrée des affaires publiques.

88La seule originalité des mandats de l'astronome réside dans sa participation systématique aux commissions chargées d'examiner un problème du ressort de ses compétences. Le maire, Antoine Policarpe, lui fait parvenir le 9 septembre 1857, « un dossier relatif à des réparations à faire aux paratonnerres des établissements municipaux191 ». En 1860, il doit se prononcer sur la mise en place « d'horloges électriques à Toulouse192 ».

89L'observatoire fait partie des institutions gérées par la commune, mais son directeur semble n'avoir pas profité de sa position de conseiller pour favoriser ses propres intérêts. Le colonel Lespinasse qui, dans la séance du 10 janvier 1866 rend hommage à la mémoire de l'astronome défunt dans l'enceinte de l'assemblée communale au Capitole, rappelle que le savant avait renoncé lors de sa nomination à la faculté des sciences, à son traitement de professeur pour que la somme soit investie dans les réparations et les aménagements de l'établissement astronomique. Et, « quoique membre du Conseil Municipal, alors que l'observatoire était entièrement terminé, il n'a jamais voulu demander qu'on rétablisse le traitement primitif et qui avait été accordé au directeur de l'observatoire », souligne Lespinasse, qui voit dans ce comportement exemplaire la preuve du « désintéressement193 » du savant. Peut-être influencé par son maître François Arago dont la vie politique a été particulièrement riche, Frédéric Petit a tenté, lui aussi, de mener une carrière dans la gestion des affaires publiques. Si l'on en croit son thuriféraire Nicolas Joly, professeur de zoologie à la faculté des sciences de Toulouse, l'astronome n'en tirait aucune satisfaction particulière. S'adressant au directeur de l'observatoire défunt, Joly écrit : « Non assurément personne [...] ne vous fera un crime d'avoir préféré aux cruels mécomptes de la vie politique, la satisfaction que vous causait la contemplation des merveilles du firmament194. »

90L'amertume semble avoir dominé les sentiments de Frédéric Petit dans ses rapports avec la ville. On ne doit toutefois pas ignorer qu'à l'image de François Garipuy, qui fut Capitoul au xviii^e siècle, l'accès à l'édilité de l'ancien élève d'Arago illustre cette appartenance permanente des astronomes à l'élite urbaine qui les rapproche des lieux de pouvoir locaux, les incite à prendre part aux affaires municipales et à s'insérer dans « un champ d'action et de sociabilité collective195 ».

91Les liens qui s'ébauchent, dans la première partie du xix^e siècle, entre les directeurs de l'observatoire et le Capitole sont marqués par de fortes dissensions. La ville, seule ressource de l'établissement astronomique, est harcelée par les différents observateurs qui, de leur côté, doivent s'adapter aux codes administratifs et aux modes de gestion réglementés de la cité. Ces tensions parfois violentes, n'empêchent pas l'accès de Frédéric Petit au Conseil municipal. Cette participation d'un astronome aux affaires de la ville témoigne du statut élitaire des directeurs de l'observatoire de Toulouse.

Ouverture et transmissions

92Aux mains de la puissance publique, l'établissement astronomique n'est plus, comme au siècle précédent, une propriété personnelle dont les astronomes peuvent disposer à leur guise. Ils doivent au contraire lutter pour protéger leur espace d'observation et réaffirment sans cesse leur désir d'isolement et de solitude. Dans le même temps, l'instauration d'un cours public d'astronomie ouvre le lieu de science à la population toulousaine. Poussés par la municipalité, les directeurs de l'observatoire toulousain qui se succèdent de la Révolution à la chute du Second Empire, proposent aux habitants de s'initier à la science des astres. Ils tentent également, en rédigeant articles et ouvrages, de façonner pour l'opinion publique, une représentation particulière de leur discipline scientifique.

Un observatoire thébaïde ?

93À partir de la Révolution française, l'observatoire de la cité garonnaise n'appartient plus à l'astronome qui le dirige. Il y travaille et il y demeure, mais c'est l'État, puis la ville à partir de 1808, qui dispose du bâtiment. Cette nouvelle disposition contrarie fortement les directeurs occupant jusqu'en 1838 la maison de Garipuy. Ils doivent en effet se plier au désir des autorités de concilier le maintien d'un lieu de science et les impératifs économiques. L'arrêté de nomination de Jérôme Hadancourt en 1798 met à sa disposition « l'Entière maison et [le] jardin [...] pour lui tenir lieu de traitement196 », à charge pour lui de trouver un locataire pour partager l'édifice et bénéficier de son loyer. Il s'agit alors de procurer au savant « un mince dédommagement des dépenses qu'il est obligé de faire pour pouvoir faire ses travaux astronomiques197 ». L'ancien élève de Darquier propose donc « au Sieur Dubernard, avocat, la partie de maison qui n'était point nécessaire à l'Observatoire198 ».

94Vidal dirige l'établissement à partir de 1800. Deux ans plus tard la loi du 1^er mai 1802 maintient les observatoires sans pourvoir au traitement de l'astronome199. Le Conseil municipal de Toulouse prend cette rémunération à sa charge, mais dispose désormais de la maison de Garipuy et des sommes que lui verse le locataire. Le maire assure en 1805 que la ville, pour rémunérer le directeur et « faire les réparations convenables, [...] a dû continuer d'affermer la partie qui n'est pas nécessaire à l'observateur200 ». Jacques Vidal conteste fermement cette disposition et n'accepte pas de devoir partager son lieu de travail. Il avoue éprouver « des tracasseries [...] de la part d'un locataire turbulent ». L'astronome s'avoue perturbé dans la pratique de son activité et soutient que pour faire « de bonnes observations [...] il est essentiel que l'observateur soit absolument maître dans la totalité de la maison, sans quoi il dépendra de tout locataire d'y faire soit du bruit, soit tout autre chose qui peut interrompre l'observateur dans ses fonctions, et qui a été reconnu par une fâcheuse expérience201 ». Afin d'apaiser les tensions, le maire de Toulouse Philippe Picot de Lapeyrouse, dépêche l'architecte de la ville « à l'effet de constater quelles sont dans ce moment les portions de la maison et dépendances occupées par l'Observatoire, et pour le logement du Professeur d'Astronomie ». Il s'agit d'évaluer plus précisément les aménagements qui pourraient être entrepris pour améliorer la tranquillité du directeur. Vidal qui reçoit l'architecte s'emporte violemment et déclare « qu'il n'avait aucune désignation à [lui] faire202 ».

95Le ton monte entre l'astronome et l'avocat qui s'invectivent sans ménagement. Vidal croit savoir que Dubernard a écrit à la préfecture pour faire valoir ses droits et s'il ignore les termes exacts de la missive, il craint que « [s]on locataire perturbateur » n'ait « dict[é] les réponses » aux autorités. Il accuse l'avocat d'user « des moyens que lui fournit sa profession » et insinue que ce serviteur de la justice manquerait de loyauté, n'hésitant pas « à substituer des faussetés à la vérité ». L'observateur toulousain écrit à Delambre en 1806 pour lui faire part des multiples intrigues que fomente Dubernard et du discours fallacieux qu'il tient à l'administration. Vidal accuse son locataire d'exercer une insoutenable « tirannie, d'autant plus intolérable qu'il est parvenu jusqu'ici à la déguiser aux yeux des autorités à force de tromperies et en abusant du peu d'obstacle qu'a pu lui opposer un observateur uniquement occupé à sa besogne et totalement étranger à l'intrigue203 ». Dubernard de son côté s'offusque de ce que la ville ne réponde pas positivement à ses attentes et prête une attention trop grande à l'astronome.

M. Vidal est, dit-on un savant ?, écrit-il au maire Philippe Picot de Lapeyrouse en octobre 1806. S'il en est ainsi, félicitons-nous de le posséder dans cette commune [...]. Mais est-ce la commune qui doit être forcée de Récompenser par des nouvelles libéralités, tout ce qu'il aurait de mérite ?

96Subtilement l'avocat rappelle à la municipalité que le loyer qu'il verse fait partie de ses recettes et que céder au chantage de Vidal c'est « dépouill[er] la commune de ses droits204 ». L'affaire s'envenime et Vidal mobilise son réseau personnel pour atteindre les sphères ministérielles. Il écrit à Delambre en mai 1806, persuadé « que le Ministre ne refusera pas à [ses] puissantes sollicitations la délivrance de l'observatoire ». L'astronome toulousain implique son homologue parisien et l'implore : « Consommé, je vous prie, l'œuvre que vous avez si bien commencé205. » Le ministre de l'Intérieur, dont dépend encore en 1806 le directeur de l'établissement astronomique de la cité garonnaise, tranche sans équivoque en faveur du savant206.

97La municipalité prise entre les injonctions du ministre et ses propres intérêts économiques semble tergiverser ce qui irrite Jacques Vidal au plus haut point. Ce dernier, excédé par cette situation ainsi que par l'obligation qui lui est faite d'enseigner, démissionne le 6 janvier 1808207. Ses successeurs dans la maison de Garipuy sont eux aussi contraints de céder une part du logement. Les relations avec les différents locataires restent tendues.

98Alphonse Desplas s'oppose, pendant sa direction, à « M. Cavalié », puis au chevalier de Moly Saint Laurent. Le premier réclame « l'appartement du premier de la maison de l'Observatoire », avec « la grande cuisine au rez-de-chaussée » ainsi que « la jouissance du jardin et de la terrasse » qu'il juge « parfaitement inutiles au directeur de l'Observatoire208 ». Desplas proteste auprès du maire Guillaume de Montbel, et réclame « la jouissance de l'entier bâtiment209 ». Mais le Conseil municipal reste inflexible et, tout en soulignant que cette concession « nuirait aux intérêts de la ville210 », réaffirme qu'il ne devait être accordé au directeur « que la partie précédemment occupée par ses prédécesseurs211 ».

99Cavalié cède finalement la place au chevalier de Moly Saint-Laurent qui entretient très vite des relations exécrables avec Desplas. Il s'adresse au premier magistrat de la cité garonnaise, Joseph Viguerie, le 17 février 1831 pour lui faire « observer qu'il [lui] était impossible de pouvoir continuer de co-habiter avec le directeur actuel de l'Observatoire ». Moly Saint Laurent rapporte les propos discourtois que l'astronome tiendrait à son endroit. Desplas aurait refusé « de signer l'état des instruments qui lui ont été confiés », car « depuis qu'on a placé dans la maison de l'observatoire, un quidam ! ! !, il ne peut en être Responsable !, ce qui dans la véritable acception du sens de cette phrase veut dire un voleur ! ! » précise le locataire courroucé. Celui-ci considère qu'il s'agit d'une sorte « de couronnement à l'infinité de tracasseries » qu'il a pu éprouver. Malgré ces menaces de quitter la maison de Garipuy pour trouver « un logement convenable212 », Moly Saint-Laurent conserve son bail et en 1832 il renouvelle ses plaintes contre Desplas dont il souligne sans ménagement que sa suspension de traitement est due à « des causes que tout le monde connaît213 ». L'astronome est relevé de ses fonctions avant que ce locataire ne quitte le bâtiment. Mais ses liens avec les directeurs de l'observatoire sont décidément très orageux puisque Jean Vauthier conteste, en février 1833, les libertés prises par Moly Saint-Laurent avec les termes du bail qu'il a signé. Le savant s'en réfère au texte qui stipule que ce locataire dispose d'« une chambre au 3^e étage dont la position est précisée avec soin » puisqu'il s'agit d'une pièce « donnant sur la rue ». Mais « Mr. de Moly réclame une chambre autre que celle qui lui revient214 ». Le directeur de l'observatoire insiste pour que la division de l'espace dans la maison soit strictement respectée. L'architecte Urbain Vitry cherche à réduire le différend mais reste interdit devant l'atmosphère délétère qui règne dans le bâtiment astronomique. « Il est à regretter qu'une espèce de lutte se soit établie entre Mr. de Moly et M. Vauthier215. »

100Les astronomes ne conçoivent leur activité que dans un isolement total. Aucune autre présence ne doit perturber leur pratique au sein de l'édifice. Contraints d'accepter, pour des raisons économiques, un partage de la maison de François Garipuy, les directeurs de l'observatoire du premier tiers du xix^e siècle défendent pied à pied leur solitude et bataillent contre l'intrusion, au cœur de leur lieu de science, de locataires totalement étrangers à leur travail. Les astronomes tentent d'imposer l'idée que le monument qu'ils occupent et dans lequel ils font leurs recherches, doit être sanctuarisé.

101Cette réflexion est d'autant plus insistante que l'établissement astronomique est parfois menacé par des actes violents et rageurs qui s'expriment à l'extérieur. La singularité du bâtiment ou la méconnaissance des activités qui s'y déroulent, font parfois naître une sourde hostilité dans la population toulousaine.

102En 1828, le directeur Alphonse Desplas s'adresse au maire de la cité garonnaise Joseph Viguerie pour le prévenir :

Dans la nuit [du 26 février], on est parvenu à briser les vitres de [s]on cabinet avec des pierres. Le bras vigoureux qui les a lancées de la promenade Saint-Michel ne peut être celui d'un enfant. Il est affligeant de penser que des hommes puissent trouver du plaisir à satisfaire une méchanceté qui pouvait [lui] coûter la vie et briser des instruments d'un très grand prix216.

103Lorsqu'il ne suscite pas une acrimonie furieuse, l'observatoire est parfois un objet de fascination et de curiosité. La cohorte de visiteurs qui frappent à la porte pour découvrir l'intérieur de ce monument inhabituel perturbe le travail des astronomes.

104Pierre d'Aubuisson note dans son registre, à la date du 26 septembre 1811 que « plusieurs personnes sont venues à l'observatoire, de manière qu ['il a] perdu quelques instants217 » dans ses recherches. Le même astronome reçoit un bien étrange personnage le 25 mars 1811. Il s'agit d'un « voyageur » venu « visiter l'observatoire ». D'Aubuisson précise qu'« il avait la croix d'honneur [et] de très bonnes manières ». Il l'a aidé « à transporter une lunette sur une terrasse pour voir les satellites de Jupiter », avant d'aller « à Ballara pour y prendre les eaux ». Interloqué, le directeur de l'institution savante écrit qu'« il n'a pas voulu [lui] dire son nom218 ». La décoration, l'affabilité et la distinction du visiteur anonyme ont suffi pour lui ouvrir les portes de l'établissement et lui permettre de manipuler les instruments.

105Les circonstances militaires et les batailles napoléoniennes conduisent parfois à de curieuses rencontres.

106En 1814, la campagne de France contraint Napoléon à lutter sur plusieurs fronts, son Empire est envahi par une coalition européenne qui déferle « dans les vallées de la Seine et de la Marne », mais également « dans les bassins de l'Adour et de la Garonne219 ». Alors que le régime impérial agonise sous les coups de boutoir d'une armée prussienne déterminée, le sud du pays est le théâtre d'un affrontement violent entre le Maréchal Soult et Lord Arthur Wellesly, duc de Wellington. L'ultime assaut se déroule à Toulouse et s'achève par une déroute des troupes françaises, le 14 avril 1814. Au sein des forces britanniques, le général Brisbane dirige la troisième division220. Féru d'astronomie, il se rend à l'observatoire que dirige Pierre d'Aubuisson. Ils examinent ensemble le soleil le 17 avril221, puis le 25 l'officier anglais indique à l'observateur de la cité garonnaise comment « mettre bien d'aplomb222 » les différentes pendules. En pleine tourmente militaire l'établissement astronomique accueille un chef de l'armée britannique pour qu'il pratique sa science de prédilection.

107Le statut social élevé des visiteurs est la clef d'accès à l'observatoire. Frédéric Petit explique au maire de Toulouse en 1846 comment, devant l'afflux de curieux, il choisit ceux qui peuvent pénétrer à l'intérieur. L'astronome écrit au premier magistrat de la cité garonnaise :

Le public favorisé dans ses excursions par un temps magnifique [...] se porte en masse vers le monument, bourdonne et crie jusqu'à empêcher d'entendre les pendules, [...] frappe à tout instant pour demander qu'on lui permette d'entrer ou pour demander à voir le directeur de l'observatoire, et de mon côté je ne puis en aucune manière me soustraire aux visites et aux sollicitations de personnes connues pour la plupart bien posées à Toulouse, [...] par lesquelles je serais forcément aperçu soit sur les terrasses, soit dans les cabinets d'observation si je fesais dire que je suis absent.

108L'observateur fait appel à l'édile afin d'« empêcher le public de trop approcher du monument, ce qui lui permettra d'éluder sans doute en premier lieu beaucoup de demandes, et d'ouvrir aux personnes qu'il ne serait pas possible d'éliminer une entrée sur les terrasses, sans qu'elles aient à passer dans les cabinets223 ».

109Membre de l'élite urbain de Toulouse, le directeur ne peut déroger aux règles minimales de sociabilité et se doit d'accueillir, malgré son désir de solitude, les personnalités incontournables de la cité.

110Assaillis de toute part, les astronomes ont tous tenté de se claquemurer dans leur espace d'observation. La conception et les aménagements du nouvel établissement sur le coteau des Redoutes révèlent cette obsession de l'isolement et du retranchement. François Arago écrit au maire en septembre 1839, alors que le Conseil municipal cherche un terrain propice à la construction et insiste sur l'indispensable « éloignement » du futur observatoire qui, « loin d'être un inconvénient serait, à [s]es yeux un avantage : l'observatoire n'aurait plus alors à redouter les visites quotidiennes de ces nuées de désœuvrés qui abondent dans toutes les villes populeuses et deviennent la désolation de quiconque sait faire un bon usage de son temps. Un observatoire ne doit pas être assimilé à un musée, à une galerie de Tableaux : l'astronome entouré du public, ne peut se livrer à aucune observation utile224 ». L'établissement astronomique est ici désigné comme un espace strictement privé, que l'on soustrait à la proximité des foules. Pour Arago, la science ne peut être mêlée aux autres activités d'une ville.

111Cet éloignement ne suffit pas à Frédéric Petit qui insiste pour matérialiser la séparation entre la ville et le lieu de science, afin de rendre visible ce qu'il pense être une insupportable proximité. L'élève d'Arago écrit au maire en 1848, peu de temps après que l'observatoire a été achevé, pour lui suggérer de clôturer l'ensemble des bâtiments. Il justifie l'importance d'une telle construction en insistant sur le « recueillement et [le] silence que réclament les observations astronomiques, très souvent troublées par des enfants ou la curiosité des promeneurs225 ». Finalement le Conseil municipal reconnaît, dans sa séance du 14 juillet 1851, « qu'un lieu d'étude et de recueillement nécessaire à l'observation doit être isolé, inaccessible au public [et] qu'il y a lieu de clore les terrains dépendants de cet établissement, par un mur de ceinture226 ».

112On assiste non seulement à un repliement progressif de l'observatoire, mais également à une véritable neutralisation de l'environnement immédiat du bâtiment. Il ne suffit pas à Frédéric Petit d'éloigner la foule, il impose des contraintes urbaines très restrictives aux environs de l'établissement qu'il dirige.

113Dès 1843, l'astronome s'insurge contre « la construction d'un pigeonnier » érigé aux abords, et s'émeut « de voir [...] s'élever des constructions qui auraient obstrué la vue du ciel227 ». La principale préoccupation de Petit concerne l'usage de l'instrument méridien, qui ne pourrait supporter le moindre écran. Il faut donc « que la ville devienne propriétaire de toute la crête du mamelon sur lequel est bâti l'observatoire, écrit-il au premier magistrat de Toulouse en avril 1846, surtout dans les directions Sud et Nord des lignes méridiennes ou au moins dans l'une de ces deux directions, sans cela un simple rideau de peupliers, placé sur les propriétés voisines suffirait pour empêcher de reconnaître à l'aide de mires éloignées, les déviations accidentelles qui surviennent à tout instant dans la position des instruments méridiens228 ». Le problème est d'autant plus inquiétant pour l'astronome qu'à Toulouse, dans la première partie du xix^e siècle, la population augmente et, note Jean Fourcassié, « la ville est à l'étroit dans sa ceinture de boulevards229 », qu'elle ne tarde pas à dépasser. Petit est parfaitement conscient de ce mouvement d'expansion urbaine. Il soutient qu'« en présence de l'impulsion qui entraîne la ville vers le coteau des Redoutes, il est hors de doute qu'avant peu des constructions et des plantations de toute espèce entoureront complètement l'observatoire ». La spéculation foncière est inévitable et le prix des terrains de plus en plus élevé, de sorte que les « nouvelles acquisitions » deviennent « à peu près impossibles autour de cet établissement230 ». L'observateur martèle qu'il craint par-dessus tout les « entreprises invisibles que pourraient tenter les particuliers231 » dans les environs de son lieu de travail. Son successeur, Pierre-Adolphe Daguin, adopte la même ligne de défense et mobilise les édiles en 1868. Ceux-ci reconnaissent bien volontiers que la perspective de voir s'élever à quelques mètres de l'observatoire « des cafés et des guinguettes » serait « un voisinage gênant pour le Directeur232 » et une négligence contre-productive pour la ville. Les conseillers décident en 1870 que la construction de bâtiments près de l'espace d'observation rendrait « en quelque sorte inutile une assez grande partie des sacrifices que la ville s'impose dans un but scientifique233 ».

114Bien que sensible aux arguments des directeurs qui se succèdent à la tête du nouvel établissement, la municipalité réagit avec lenteur face aux menaces qui épouvantent les astronomes. En 1847, les édiles s'adressent au roi Louis-Philippe, qui promulgue une ordonnance déclarant « d'utilité publique le dégagement des lignes méridiennes de l'Observatoire de la ville de Toulouse234 ». Mais en 1859, l'ingénieur de la ville reconnaît que « les suites qu'aurait du prendre cette affaire furent entravées par les événements politiques de 1848235 ». Les propriétaires des terrains concernés refusent les propositions d'achat de la ville. Le tribunal civil de première instance saisi en 1861, se « prononce pour [...] l'Expropriation de tous les biens Immeubles désignés [...] par Mr. Le Procureur Impérial [.] et nécessaires pour le dégagement des lignes méridiennes236 ». Cette première neutralisation des alentours de l'observatoire ne suffit pas et, en 1868, le maire Jean Filhol est autorisé par le Conseil à poursuivre les achats de parcelles237. La chute du Second Empire interrompt cette dernière opération. L'environnement de l'observatoire est donc remodelé pour permettre aux activités scientifiques de s'y dérouler sans être gênées. Les abords du bâtiment deviennent un territoire neutralisé et les habitants sont repoussés bien au-delà du mur d'enceinte. Les astronomes tentent donc, par tous les moyens, de protéger leur isolement. Ils bataillent d'abord pour disposer seuls de la maison de Garipuy, puis pour maintenir vierges les abords du nouvel établissement à Jolimont. Michel Callon affirme que « l'histoire de l'astronomie [...] est celle de la recherche d'un confinement extrême ». Le sociologue ajoute que cet arrachement de l'espace scientifique « n'est nulle part plus spectaculaire que dans l'astronomie238 ». Malgré cet ample mouvement de repliement qui permet l'émergence de la figure de l'astronomie anachorète dans son observatoire thébaïde, l'espace savant n'est pas resté totalement hermétique. Il convient donc d'examiner dans quelle circonstance le public, et pas seulement les visiteurs de renom, pouvait pénétrer à l'intérieur de l'établissement.

Un accès encadré : le cours d'astronomie

115La fonction de directeur de l'observatoire de Toulouse impose, dès la Révolution, l'exercice d'un enseignement de la science des astres. Au sein de l'Institut Paganel, de l'École Centrale puis de l'École Spéciale des Sciences239, les astronomes de la cité garonnaise sont tenus de dispenser leur savoir. Cette transmission des connaissances se fait dans le cadre très délimité de structures pédagogiques inédites. Vidal et Hadancourt qui sont à la tête de l'établissement savant toulousain sous la Révolution et l'Empire, n'acceptent pas cette nouvelle dimension de leur activité et refusent systématiquement d'ouvrir un cours.

116Dans la polémique qui l'oppose aux membres du bureau de l'École Spéciale entre 1805 et 1807, Jacques Vidal refuse notamment de se déplacer dans les locaux de l'établissement scolaire, trop éloigné de la maison de Garipuy qu'il occupe240. L'ancien protégé de Riquet de Bonrepos insiste pour que ses leçons se passent à l'observatoire, arguant du fait que c'est au cœur de son espace de travail qu'il pouvait le mieux conjuguer, pour ses élèves, propos théoriques et démonstrations pratiques. Il accepte en janvier 1805, de donner à quelques étudiants de l'École Spéciale des Sciences, « des notions de l'application de la théorie à la pratique241 » astronomique en les accueillant dans son lieu de science.

117Vidal s'oppose avec une telle obstination à l'institution scolaire, qu'aucun cours d'astronomie ne sera finalement ouvert. Ses successeurs en revanche, malgré le flou qui entoure pendant la Restauration le statut d'enseignant du directeur de l'observatoire, dispensent sans rechigner des leçons pour expliquer la science des astres. Ils mettent en œuvre le désir formulé par Vidal de pouvoir former leurs élèves au sein même de l'établissement qu'ils dirigent.

118Jusqu'à l'arrivée de Frédéric Petit en 1838, les astronomes de la cité garonnaise permettent l'entrée, dans l'observatoire, d'étudiants venus compléter leurs connaissances ou préparer un concours. Le cours qu'Alphonse Desplas présente à partir de 1825, lui permet de repérer les élèves les plus brillants qui pourront briguer l'admission aux grandes écoles. Il remarque en février 1828, « l'heureuse disposition de certains candidats à l'école polytechnique242 ». Jean Vauthier qui enseigne au Collège Royal propose aux élèves du secondaire des leçons présentant « l'ensemble des principes de l'astronomie, réunis dans une cosmographie générale243 ».

119C'est donc, sous la Restauration, un public studieux qui, le temps d'un cours, pénètre dans l'observatoire de la cité garonnaise. Dès lors, ce dernier n'est plus un espace strictement privé et uniquement réservé au directeur. L'ouverture de ce lieu de recherche à un auditoire scolaire nécessite certains aménagements mobiliers. En mars 1822, Alphonse Desplas réclame « huit banquettes à trois places l'une » pour les disposer dans « la salle d'octogone de l'observatoire244 » où il accueille ses étudiants. Quelques années plus tard, Jean Vauthier signale au maire de Toulouse qu'il souhaite « louer une cinquantaine de chaises », car la place manque dans l'édifice astronomique. Il précise qu'il serait « fâché d'être dans la nécessité de laisser debout [...] la plus grande partie de [s]es auditeurs245 ».

120Vauthier ne se contente pas de faire partager ses connaissances à ses élèves. Il assure également « un cours gratuit d'astronomie » qui se tient dans « le Bâtiment de L'observatoire246 ». Impulsées par la municipalité, ces leçons sont délivrées une fois par semaine après avoir été annoncées par affichage247 et voie de presse248. Ce type de cours public a été initié à Paris par François Arago. Bernadette Bensaude-Vincent note que l'observateur de la Capitale « crée un genre de diffusion scientifique qui servira de références à tous les successeurs249 ». Son élève Frédéric Petit s'inspire de cet exemple et poursuit, lorsqu'il arrive à Toulouse en 1838, l'enseignement public de Jean Vauthier250. L'ardeur de l'astronome, soucieux d'imiter son maître, rejoint le souhait des édiles de favoriser des cours publics déjà très suivis dans le cabinet de physique de la ville251. Toutefois, le nouveau directeur modifie totalement l'accès à l'observatoire. Ses leçons destinées aux seuls étudiants sont présentées à la faculté, alors que le cours initié par la Mairie se déroule dans le monument astronomique.

121Frédéric Petit instaure en outre une délimitation beaucoup plus stricte que Vauthier entre son espace privé et l'espace ouvert à son auditoire. L'observateur souhaite redonner à l'adjectif « public » un sens restreint, en adéquation avec les leçons qu'il donne. Alors qu'il occupe encore la maison de Garipuy, l'astronome indique au maire en 1838 qu'il ne fera pas son cours dans son « appartement, comme son prédécesseur afin de lui conserver autant que possible son caractère de cours public252 ». Petit explique qu'il choisit « pour cet usage le salon du rez-de-chaussée [.] qui [.] présente l'avantage de tenir les étrangers éloignés de l'observatoire253 ». La remarque du directeur de l'établissement astronomique semble indiquer que le public et les élèves de Vauthier circulaient sinon librement, du moins avec facilité, dans les différentes pièces de l'espace savant. Désormais les auditeurs du cours municipal sont rassemblés dans un seul endroit et ne peuvent se mouvoir dans le reste de la demeure. Sur les affiches qui annoncent les conférences, Frédéric Petit indique très clairement en 1842 que son enseignement sera dispensé « dans une des salles254 » de l'observatoire. La construction d'un nouveau bâtiment pérennise cette séparation entre le lieu de vie et de recherche de l'astronome, et la salle ouverte au public. Le grand vestibule est « la pièce la plus importante du monument » et surtout « celle dans laquelle se fera le cours d'astronomie255 ».

122Les visiteurs qui se pressent pour suivre les leçons de Frédéric Petit dans la maison de Garipuy puis sur le coteau des Redoutes, n'ont rien à voir avec le public estudiantin qui se préparait au concours ou s'initiait à la cosmologie avant 1838.

123Adolphe Gatien-Arnoult qui brosse le tableau des conférences hebdomadaires de l'ancien élève d'Arago, signale que « bourgeoisie du monde et bourgeoisie de l'esprit256 » s'y rejoignaient harmonieusement. Petit s'écarte assez nettement de son maître qui proposait une « astronomie populaire257 » et annonce très clairement sur les affiches qu'il s'adresse dans ses cours « aux gens du monde258 ». La présence de nombreuses femmes dans l'auditoire surprend le chroniqueur du Journal de Toulouse politique et littéraire qui remarque lors de l'ouverture des conférences astronomiques le 21 janvier 1844, que « plusieurs dames assistaient à cette première leçon259 ». Le recteur Blanchet a compté « une trentaine de dames260 » tout au long de l'année 1851. C'est la fraction élitaire de la société toulousaine qui, après 1838, pénètre à l'intérieur de l'observatoire pour y suivre un délassement culturel et mondain. Frédéric Petit et la municipalité mettent tout en œuvre pour recevoir, dans ce lieu de science, la bourgeoisie de la cité garonnaise. Ils organisent dans les moindres détails la venue du public. Le maire de la cité garonnaise François Sans demande au directeur de l'établissement scientifique de fixer des « jours et heures [...] convenables261 » pour son cours. La maison de Garipuy que Petit occupe de 1838 à 1846 ne présente pas les meilleures conditions d'accueil. L'astronome s'inquiète en 1844 que la seule « salle convenable » soit « humide ». Il pense que ses leçons se prolongeront « sans doute plus que l'hiver262 » et exige l'installation d'« un poêle en fayence » repéré au Capitole. Il est « assez vieux mais [...] serait suffisant pour chauffer une ou deux fois par semaine la salle où [il] fer[a] [s]on cours263 ». L'observatoire est vétuste et le Conseil municipal craint que le public de la haute société toulousaine ne soit rebuté par la détérioration des locaux. Le général Cassagne propose, dans la séance du 14 février 1839, d'aménager « une salle convenable pour recevoir les nombreux auditeurs qui affluent aux Leçons du jeune directeur264 ». Le nouveau bâtiment astronomique sur le coteau des Redoutes n'est pas exempt d'inconvénients, et ses environs restent mal aménagés pour la venue de l'assistance. Le 19 mai 1847, Frédéric Petit alerte le premier magistrat de la cité garonnaise :

Je solliciterai [...] l'envoi de quelques tombereaux de gravier au bas des perrons de l'observatoire, afin que les auditeurs de mon cours d'astronomie ne soient plus exposés, à la moindre averse, à laisser leurs chaussures dans la boue, comme cela est arrivé à plusieurs dames dont la voiture n'avait pu arriver lors de ma première leçon265.

124Les observateurs et les édiles toulousains soignent particulièrement le public bourgeois du cours d'astronomie et n'hésitent pas dans l'établissement nouvellement érigé à Jolimont à prévoir un décor approprié qui rappelle à l'auditoire mondain ses sorties au théâtre. Le Conseil municipal estime indispensable en 1843, de confectionner « les ornements que réclame le vestibule qui forme comme la partie la plus importante du monument et qui doit servir au besoin d'amphithéâtre pour les leçons266 ». Le plan dressé la même année indique une volonté très nette de créer une atmosphère propice à la réception du savoir astronomique. Marie-Laure de Capella remarque que « les noms de grands astronomes ceints d'une couronne de laurier forment [.] une série de médaillons séparés par des palmes267 » sur la baie en arc plein cintre : Galilée, Newton, et Euler devaient participer à la mise en scène du cours. Ce décorum n'a finalement pas été retenu, mais le vestibule n'en demeure pas moins un espace monumental, véritable écrin pour une dramaturgie savante.

125L'observatoire de Toulouse dans la première partie du xix^e siècle n'est donc pas un espace totalement replié sur lui-même à l'intérieur duquel le bruit du monde ne pénétrerait jamais. Si les astronomes protègent leur lieu de travail et tentent de s'isoler, ils essaient également de canaliser la curiosité dont ils sont l'objet. L'assistance qui vient à des horaires précis, suivre les leçons du directeur est donc triée, choisie. Élèves et étudiants sont les premiers à franchir l'enceinte de l'observatoire. Avec Vauthier, puis surtout Petit, l'établissement astronomique élargit son auditoire qui se limite cependant à la bourgeoisie de la cité. Le disciple d'Arago impose, davantage que ses prédécesseurs, une délimitation spatiale très stricte, interdisant des déambulations dans l'observatoire. Il circonscrit le lieu de son enseignement public à une seule salle spécialement aménagée pour le public mondain. Ce cours d'astronomie suivi par la haute société toulousaine, témoigne de la volonté affirmée des différents astronomes de la première moitié du xix^e siècle de transmettre leur savoir, de communiquer leurs connaissances et de faire partager leur goût pour la science. Ils utilisent pour cela tous les moyens à leur disposition, de la leçon magistrale aux articles de presse.

Leçons et articles : les vecteurs d'une connaissance vulgarisée

126La plupart des directeurs de l'observatoire de Toulouse ont recours à la presse, ou aux cours publics, pour donner à un auditoire plus large que leurs seuls collègues savants, un aperçu des sciences dont ils s'occupent. Les articles dans les quotidiens permettent d'initier les lecteurs à l'astronomie ou à la météorologie. Les publics visés sont différents selon le medium employé.

127La leçon prononcée à l'observatoire par Petit est, comme nous l'avons vu, destinée aux « gens du monde ». L'astronome précise explicitement qu'il souhaite s'adresser à un « auditoire élégant268 ». Cette démarche s'inscrit certes dans le mouvement initié par François Arago, mais elle s'en écarte toutefois nettement quant à l'assistance attendue. L'astronome parisien, véritable apôtre de la science populaire269, pénétré des idéaux républicains, souhaite exposer les derniers développements de sa discipline « sans recourir à d'autres connaissances que celles que l'on peut acquérir à l'aide d'une lecture attentive de quelques pages270 ». Il se montre particulièrement « soucieux de diffuser le savoir dans un large public » et s'investit activement dans « l'Association polytechnique, une institution populaire pour ouvriers271 ». Bernadette Bensaude-Vincent a mis en lumière dans un récent ouvrage, la bataille que mène Arago au sein de l'Académie des sciences pour y tenir, par les Comptes rendus, « le public au courant272 ». Sa position et sa stratégie personnelle s'inscrivent dans un contexte parisien où l'enjeu n'est rien moins que la domination du champ scientifique. L'astronome de la Capitale doit donc défendre âprement ses points de vue et mettre en adéquation ses convictions politiques et son œuvre vulgarisatrice. À Toulouse, la volonté d'ouvrir un cours public, calquée sur celle d'Arago, se conforme aux intérêts de Frédéric Petit. Celui-ci est, par son statut de directeur de l'observatoire et de professeur à la faculté des sciences, membre de la bourgeoisie locale. De la même manière que son engagement dans le Conseil municipal affermit sa position et renforce ses réseaux, l'exercice des leçons données à la haute société toulousaine lui permet à la fois de marquer son appartenance à l'élite de la cité garonnaise et de s'y inscrire avec originalité.

128Malgré cette différence fondamentale dans la sociologie de l'auditoire, les objectifs didactiques de Frédéric Petit restent assez proches de ceux de son maître. L'abstraction calculatoire est ainsi bannie des exposés du directeur de l'observatoire de Toulouse. Il fait préciser sur les affiches annonçant son cours de 1838 qu'il présentera une leçon « détaillée et sans calcul des connaissances astronomiques actuelles273 ». Dépouillé des obstacles mathématiques, le cours ne doit pas « fatiguer274 » l'assistance. Le chroniqueur du Journal politique et littéraire qui a suivi le cours inaugural de Frédéric Petit pour l'année 1844 relève que les notions relatives à « la vision, [.] la structure de l'œil, et [.] la transmission des rayons lumineux à travers les verres lenticulaires », qui ont été développées à cette occasion, n'ont « pas fatigué un instant l'attention de l'auditoire ». Le journaliste évoque des personnes « satisfaites d'elles-mêmes, car elles avaient compris tout ce qui avait été dit ». L'éditorialiste du plus important quotidien toulousain du xix^e siècle voit dans cet effort pédagogique de Frédéric Petit une inflexion remarquable de l'attitude des savants. Il assure que lorsque « la science quitte les hauteurs spéculatives pour diriger vers l'utilité générale le fruit de ses observations, tout le monde est avide d'acquérir des connaissances scientifiques », toutefois, « bien peu [...] ont assez de persévérance pour se livrer à des études rigoureuses ». C'est aux hommes de sciences de faire un effort pour traduire leur savoir : « puisque les gens du monde ne peuvent s'élever jusqu'à la science, c'est à la science à devenir moins sévère, à modifier sa langue, à se montrer accessible à tous ». Le chroniqueur décrit alors la nouvelle figure du savant qui doit intégrer à sa pratique l'indispensable dimension vulgarisatrice. En effet, écrit-il toujours au lendemain de la leçon de Frédéric Petit le 21 janvier 1844, les scientifiques « qui veulent être réellement utiles, ont une double tâche à accomplir, ils doivent d'abord étudier sérieusement pour eux et pour la science, et puis traduire leurs travaux de manière à les rendre compréhensibles et profitables pour les autres ». En résumé, le journaliste toulousain célèbre l'entreprise vulgarisatrice du directeur de l'observatoire qui « apprécie parfaitement l'esprit général de [l']époque sous ce rapport ».

129Tout est donc affaire de hiérarchie entre l'astronome et les béotiens fortunés de Toulouse : au sommet se trouvent les sphères éthérées d'un savoir pur, et en bas une élite avide de connaissance. Le savant, dans un mouvement dialectique, doit créer un espace intermédiaire de dialogue et forger lui-même un langage vulgarisateur.

130L'énoncé des discours, la fluidité de la parole, la spécificité de l'exercice oral, participent activement à ce travail de traduction entrepris par Frédéric Petit. Le chroniqueur enthousiaste du Journal politique et littéraire de la Haute-Garonne souligne que l'astronome se distingue « par une clarté et une simplicité d'expression qui mettent les difficultés de l'ordre le plus élevé à la portée des personnes les plus étrangères au langage scientifique275 ». Les autorités universitaires se félicitent de ces facilités oratoires de Petit et soulignent avec admiration en 1851 que « 300 personnes au moins remplissent un espace trop petit », attirés « par l'attrait que le professeur sait donner aux détails même les plus ingrats276 ». Mais l'observateur toulousain ne se contente pas d'user de ses talents d'orateur et de son véritable rapport de séduction avec le public, il déploie tout son charisme pour capter l'attention. Frédéric Petit explique que sa méthode didactique tend à créer « entre les Auditeurs et le Directeur de l'Observatoire, ces émanations sympathiques auxquelles, d'ordinaire, le Professeur doit presque tout le mérite qu'il peut avoir277 ». Adolphe Gatien-Arnoult s'incline devant le talent de l'astronome qui tenait les membres de l'assistance « des heures entières suspendus à ses lèvres, lui ne se lassant pas de leur parler, ni eux de l'écouter ». Même lorsque le discours s'enflammait, le biographe reconnaît que l'attention restait soutenue car la netteté des propos semblait « s'augmenter encore de la vivacité du débit278 ». Théodore Despeyrous n'a pas réussi à poursuivre le cours public qui se tenait à l'observatoire. Le recteur Roustan remarque avec dépit en 1866 qu'il manque aux leçons du nouveau directeur « le charme de la parole et [.] cette grande lucidité qui fait le succès de cette sorte d'enseignement279 ». L'ancien élève d'Arago a, lui, su mettre en scène ses propos et se transformer en véritable acteur capable de fasciner son public et de susciter des réactions d'enthousiasme. Le décor dans lequel se déroulent les leçons souligne davantage encore, comme nous l'avons vu, les effets théâtraux du verbe savant. Adolphe Gatien-Arnoult compare l'atmosphère des cours de Frédéric Petit à celle des divertissements boulevardiers :

C'est que tout concourait merveilleusement à parer d'attraits ces soirées scientifiques, auprès desquelles pâlissaient et s'effaçaient bien des soirées mondaines. Après une brûlante journée, péniblement supportée dans l'intérieur de la ville, entre quatre murs bien fermés et interceptant l'air pour ne pas laisser pénétrer le feu avec lui, on se faisait d'abord une fête d'aller en pleine campagne sur la hauteur, respirer l'air frais et pur du soir. La route en s'élevant progressivement du milieu des beautés de la nature terrestre vers les splendeurs du ciel, préparait ensuite l'âme à ce qu'on allait entendre280.

131Le spectacle terminé, l'astronome-acteur recueille les « suffrages de la foule281 » et suscite « de nombreux applaudissements » qui lui témoignent « du plaisir qu'on avait éprouvé en l'écoutant282 ». Frédéric Petit a donc inventé un genre à Toulouse, en créant une dramaturgie savante, en mettant en scène des connaissances vulgarisées, il tente de donner chair au spectacle de la science et de rivaliser avec les sorties mondaines habituellement appréciées par le public bourgeois qu'il accueille à l'observatoire. Alain Corbin note à ce propos qu'au xix^e siècle dans la cité garonnaise, les théâtres accueillent davantage les étudiants de la faculté que la haute société283. L'historien met en évidence la « disparition de l'élite de connaisseurs qui communiquait ses goûts à un public cultivé284 ». On peut suggérer que les leçons d'astronomie, uniquement réservées à l'élite urbaine, concurrencent pour cette classe sociale, les spectacles dramatiques dont l'auditoire est plus divers et plus indiscipliné.

132Au-delà même de l'effet de mode que peut susciter le divertissement astronomique, les cours de Petit modifient nettement l'image du savant, qui désormais répand ses connaissances dans la haute société toulousaine, en transformant son langage. Cette nouvelle dimension de l'activité scientifique satisfait pleinement les autorités universitaires qui célèbrent sa capacité « à descendre pour être compris, sans s'écarter pourtant du fond de la science285 ».

133L'ancien élève d'Arago a, comme son maître, mis par écrit ses cours et les a publiés dans deux volumes intitulés Traité d'astronomie pour les gens du monde286. L'astronome toulousain avoue avoir « été conduit peu à peu donner plus de développements » qu'il n'avait « d'abord projeté de le faire ». Son ouvrage peut donc « répondre en même temps, soit aux désirs des gens du monde, soit aux exigences des Programmes officiels pour le Baccalauréat, pour les Écoles Spéciales et pour la Licence ès Sciences mathématiques287 ». Afin d'intégrer au texte les inévitables « détails [...] abstraits », sans rompre le cours fluide d'un divertissement savant, l'astronome les a placés « dans des Notes complémentaires288 », instaurant ainsi une lecture différentielle.

134Plus acerbe, Gatien-Arnoult voit, dans l'édition de ces leçons d'astronomie, un moyen pour le directeur de l'observatoire de la cité garonnaise de laisser une œuvre à la postérité. Le nécrologue assure que « la parole, qui est la forme de la pensée, a besoin elle-même de prendre la forme d'un corps pour vivre ; il faut qu'elle se fasse lettre et livre, sans quoi toute la réputation qu'elle a pu valoir à l'orateur est mise en viager ou ne lui survit que ce qu'en vivent les échos ». Persuadé que Petit « répugnait à cette seconde mort », Gatien-Arnoult jure que le savant de la cité garonnaise a exigé l'impression de ses leçons pour « en faire un monument qui vivrait autant que l'Observatoire même, et qui redirait dans l'avenir ce qu'il avait dit autrefois dans le passé289 ».

135Le cours public d'astronomie, dont Frédéric Petit instaure la forme la plus remarquée à Toulouse au xix^e siècle, n'est pas le seul moyen qu'emploient les observateurs pour transmettre leurs connaissances au plus grand nombre. Les journaux d'information générale constituent des vecteurs puissants pour distiller une culture astronomique dans la cité garonnaise. Bernadette Bensaude-Vincent remarque qu'à cette époque la science « s'installe dans les colonnes de l'actualité » et « prend part à l'événement290 ».

136L'importance du lectorat reste toutefois difficile à évaluer pour Toulouse. Jean Fourcassié note que le Journal politique et littéraire de la Haute-Garonne, qui « soutient avec une conviction égale les régimes qui se succèdent » et dans lequel publient Vidal, Desplas et Petit, « est certainement le plus répandu » des organes de presse. L'historien assure qu'« il représente les idées de la bourgeoisie aisée, opposée à tout excès de droite ou de gauche291 ». La Gazette du Languedoc, à laquelle Petit fait parvenir quelques articles, est, elle, légitimiste292. Le public est donc plus nombreux que celui des leçons professées à l'observatoire, mais il ne s'écarte pas dans sa composition sociologique de son caractère élitaire.

137Les observateurs toulousains qui mobilisent la presse pour faire part de leurs travaux, ne limitent pas leurs propos à l'astronomie. Ils diffusent également des informations sur une pratique savante qui entre à l'observatoire au xix^e siècle : la météorologie.

138En 1805, Jacques Vidal répond favorablement à la demande de « Monsieur Duparc, rédacteur du Journal de la Haute-Garonne » de « communiquer [s]es observations météorologiques293 ». Frédéric Petit fournit ponctuellement des indications climatiques au plus important des quotidiens toulousains294, mais il ne livre jamais les séries d'observations régulières ordonnées en tableaux. Toutefois, la science des astres reste le sujet dominant des articles soumis aux lecteurs des journaux de la cité garonnaise par les savants placés à la tête de l'observatoire.

139Alphonse Desplas décrit pour chaque mois de l'année 1827, les « phénomènes et observations295 ». Dans ces feuilles relativement brèves, l'astronome incite les lecteurs à la pratique en signalant en janvier qu'« il y a des individus que la nature a favorisés d'une vue assez sensible pour voir, sans instruments, les satellites de Jupiter, ce phénomène est extrêmement rare, mais avec le secours d'une faible lunette, tout le monde peut les apercevoir ». Le directeur de l'observatoire semble donc vouloir sensibiliser les lecteurs à l'observation, mais les indications qu'il livre sur le mouvement de Jupiter, rétrogradant « sur un arc de 9° 53296 » de février à mars 1827, indiquent clairement qu'il s'adresse à des amateurs d'astronomie disposant déjà de solides notions en la matière. Jean Vauthier ne peut se résoudre à rédiger pour les journaux des notices ambiguës dont on ne sait si elles sont destinées aux béotiens ou aux observateurs chevronnés. Il s'emporte devant l'Académie des sciences de Toulouse en 1823, en répondant « aux personnes qui se sont étonnées de ce qu'[il] n'avai[t] rien écrit dans les feuilles publiques sur l'Éclipse » de Soleil qui vient d'avoir lieu.

Si j'ai gardé ce silence, assure-t-il, c'est que je me suis toujours aperçu que ces articles de journaux avaient le défaut d'être trop courts pour les personnes qui n'ont aucune idée d'astronomie, et c'est le grand nombre, et n'apprenaient rien ou presque rien à celles qui ont étudié cette science297.

140Frédéric Petit emprunte, lui, la forme plus littéraire des « feuilletons scientifiques298 », en rédigeant en 1840 et 1841, de nombreuses « lettres sur l'astronomie », à l'intention des lecteurs du Journal politique et littéraire. Dans ces longues missives il brosse un tableau général de l'histoire de la science des astres de l'Antiquité jusqu'au milieu du xix^e siècle. Ces récits chronologiques sont l'occasion pour l'ancien élève d'Arago de réitérer sa volonté, de donner chair à ses propos, comme il le fait dans ses cours publics. Petit précise qu'il s'est efforcé « d'éviter des développements trop arides299 ».

141Les astronomes toulousains usent encore d'une tribune très particulière pour dispenser leurs connaissances. De Vidal à Petit, ils transmettent leurs travaux météorologiques au Journal des propriétaires ruraux pour les départements du Midi, devenu par la suite le Journal d'agriculture pratique et d'économie rurale le Midi de la France. Ce périodique spécialisé, édité par la Société d'Agriculture de Toulouse, se présente comme « une feuille [...] exclusivement consacrée à l'économie rurale300 », dans son premier volume de 1805. Les rédacteurs soulignent en 1841 « l'utilité reconnue et incontestable des observations météorologiques dans l'intérêt de l'agriculture301 », sans toutefois la préciser explicitement. Cependant, l'objectif des concepteurs de la revue n'est pas de disserter sur les causes des changements climatiques. Ils demandent aux contributeurs « moins de théories que de pratiques, plus d'expériences, de calculs, de résultats, que d'hypothèses ; point de phrases, mais des faits302 ». Les tableaux dressés par les directeurs de l'observatoire de Toulouse répondent en tout point à ces exigences. La Société d'Agriculture de Toulouse les publie donc, presque sans interruption de 1805 à 1871. Quelques notices publiées par d'Aubuisson, Marqué-Victor et Petit, complètent ce sobre corpus. Le premier présente en 1813 un bref exposé concernant l'astronomie. Il précise en préambule de l'article qu'il s'en tient à une sobre présentation de la science des astres : « Il faut bien se garder d'ériger nos cultivateurs en astronomes, mais il ne serait pas inutile d'éclairer quelque fois leur astronomie303 », écrit d'Aubuisson. Marqué-Victor défend lui, un usage répandu des instruments météorologiques dans le monde agricole « et reste persuadé qu'un cultivateur intelligent devrait être muni d'un bon baromètre, d'un thermomètre, avoir à sa portée une girouette, et observer chaque jour l'accord de ces divers instruments avec les phénomènes atmosphériques304 ». Petit quant à lui, dans l'unique article qu'il donne au Journal d'agriculture, essaie de repérer les régularités du climat toulousain305.

142Ces quelques notices ne doivent pas masquer que l'essentiel des contributions des directeurs de l'observatoire de Toulouse se limite le plus souvent à la communication de tableaux météorologiques généraux, sans qu'aucun d'entre eux n'en précise l'usage ni l'intérêt pour les agriculteurs.

143Les observateurs de la cité garonnaise de la première partie du xix^e siècle occupent donc, pour transmettre leurs connaissances à d'autres auditeurs et lecteurs que les seuls membres de la communauté astronomique, un spectre large d'espaces d'expression. Ils diversifient également leurs publics en fonction des supports éditoriaux qu'ils emploient. On peut repérer dans cette constellation de textes très divers certains traits persistants qui dessinent les contours d'un savoir vulgarisé que l'on teinte différemment selon l'auditoire visé.

144Daniel Raichvarg et Jean Jacques notent qu'au xix^e siècle la vulgarisation tend à mettre en avant « les résultats du Progrès scientifique306 » et cherche à « montrer les possibilités d'applications de la science307 ». Frédéric Petit qui, de tous les astronomes toulousains, fournit le plus important volume de textes adressés au grand public, n'échappe pas à cette thématique. Dans une de ses premières Lettre sur l'astronomie adressée au Journal politique et littéraire de Toulouse en mars 1840, le directeur de l'observatoire soutient que les connaissances scientifiques deviennent peu à peu « plus certaines et plus positives308 ». L'idée d'un progrès constant et d'une complexification croissante s'accompagne également d'une plus grande utilité de la science des astres à d'autres domaines. Petit assure en rédigeant son Traité d'astronomie pour les gens du monde que « les applications aux besoins matériels de la vie » sont nombreuses, notamment en ce qui concerne « les procédés employés dans la navigation ». Il ajoute : « si nous avons en Europe les utiles produits d'outre-mer, c'est parce que les Astronomes font sur l'Océan, ce que d'autres Ingénieurs font sur la Terre : ils tracent les chemins aux navigateurs309 ».

145La peinture historique des développements de l'astronomie constitue une autre thématique dont Yves Jeanneret assure qu'elle renforce « le dessin d'un espace scientifique disciplinaire ». L'historiographie de la science des astres est partout présente de manière « directe dans des chapitres spécifiques ou indirects au fil des jugements formulés en passant : récits furtifs ou spectaculaires de la pensée scientifique, de la découverte, de l'institution du vrai310 ». Alphonse Desplas et Frédéric Petit ont fréquemment recours à l'histoire de l'astronomie dans leur entreprise de vulgarisation. Les leçons prononcées à l'observatoire par l'ancien élève d'Arago sont construites autour d'une « exposition détaillée [...] des phénomènes astronomiques » s'appuyant sur « l'histoire de leur découverte et celle des principaux astronomes qui y ont contribué311 ». Le feuilleton que Petit fait paraître pendant deux ans dans le Journal de Toulouse est conçu comme une immense fresque chronologique, des origines antiques de la science des astres au xix^e siècle. L'astronome inscrit son travail dans une tradition historiographique déjà foisonnante. Il souhaite ainsi donner « un peu plus de développements que n'en ont donnés Lalande et ace dans leurs excellents précis312 ». En revanche il se démarque totalement de Bailly313 en rejetant sa conception d'« un système arrêté d'avance314 ». L'histoire présentée par Deplas et Petit au public toulousain est une histoire axiologique, examinée en surplomb et jugée a posteriori. Les astronomes proposent une sélection des noms qui méritent d'être retenus. Ainsi « après Alhazen », observateur arabe travaillant en Espagne au xi^e siècle, Petit affirme qu'« on ne trouve plus parmi les Arabes que des astronomes méritant à peine d'être mentionnés315 ». Relégués dans les orbes de l'oubli, certains personnages sont jugés sans importance ou victimes des mentalités de leur temps. Ulugh Beigh, prince arabe du xv^e siècle, et Rodolphe, empereur germanique du xiii^e siècle, tous les deux auteurs de tables astronomiques mais imprégnés « d'une croyance trop aveugle à l'astrologie » restent, pour l'observateur toulousain, enfermés dans « la demi science qui caractérise leur époque316 ». Le récit historique mené par Petit consiste à chercher dans les époques antérieures des notions qu'il estime pertinentes, exactes, vérifiées. Après avoir décrit à grands traits les « connaissances des Grecs trois siècles avant l'ère vulgaire », dans le domaine de l'astronomie, le directeur de l'observatoire résume d'une phrase les développements de la science hellène : « quelques notions exactes mêlées de beaucoup d'erreurs317 ». Petit repère et souligne, dans l'épaisseur de la trame historique, le fil d'une connaissance positive, enchevêtré à d'inextricables confusions. L'apparition d'hommes providentiels et de génies est une thématique également très prégnante dans les différents textes des observateurs de la cité garonnaise. Alphonse Desplas, dans un article du 30 août 1827, honore « la mémoire des grands hommes qui ont contribué à faire atteindre cette science sublime à son haut degré de perfection318 ». Petit célèbre quant à lui, « l'apparition de Copernic », et reconnaît la « puissance de son génie319 ». Galilée est lui aussi présenté comme un personnage hors norme qui se distingue par « son génie320 ». Kepler est également dépeint comme un savant exceptionnel, détenteur d'un « génie familier321 ». D'une manière assez classique, les scansions de Frédéric Petit se conforment aux canons de l'exercice, tels qu'Yves Jeanneret les a décrits dans son étude sur les ouvrages d'astronomie de 1845 à 1938. L'histoire de la science des astres « repose de façon presque systématique sur deux hypothèses majeures : 1- la rupture instituée par Copernic. 2- La filiation Copernic — Kepler - Newton322 ». Le directeur de l'observatoire de la cité garonnaise reproduit fidèlement ce schéma dans ses Lettres sur l'astronomie. Le savant polonais du xv^e siècle est un « réformateur hardi » qui « osa attaquer un trône entouré, depuis quatorze siècles, des hommages de l'univers entier et qui [...] parvint à ensevelir sous ses ruines le système de Ptolémée ». Seul un « un esprit séditieux », fut capable, selon Petit, de briser une tradition savante millénaire. L'époque moderne devient une période faste pour l'astronomie : « Copernic, Kepler et Newton, ces trois noms caractérisent en effet les belles époques de la révolution323 » savante qui s'opère alors. Cependant, avant que l'auteur des Principia ne vienne parachever une œuvre déjà largement ébauchée, Descartes fournit à l'astronomie et aux sciences en général l'outil conceptuel indispensable pour comprendre l'univers. Frédéric Petit assure que le philosophe français « établit [...] pour souveraines juges la raison et l'évidence et il bannit toutes les croyances bizarres fondées sur l'autorité des anciens ». L'auteur du Discours de la méthode met ainsi « l'homme en état de chercher plus sûrement les lois des phénomènes que la nature lui présente à chaque instant324 ». Pour l'astronome toulousain, René Descartes mérite d'être consacré car il a contribué « à familiariser les esprits avec le vrai système du monde325 » ; il a en quelque sorte permis aux savants d'utiliser la raison comme principe directeur dans leurs recherches et ainsi de ne plus sombrer dans les errements sinueux des superstitions antiques. Isaac Newton est le dernier acteur remarquable de cette progression dialectique. Il rassemble « les matériaux » qui « étaient prêts », pour « expliquer, par des causes mécaniques, les mouvements de l'univers ». En ordonnant les connaissances accumulées et en les organisant avec la raison, Newton bâtit une « une immense construction », une cathédrale intellectuelle accueillant ses « immortelles découvertes326 ». La stratégie didactique de Petit vise à mettre en exergue une élaboration positive graduelle des savoirs astronomiques. Cette démarche recoupe l'idée d'un dévoilement de la nature qui se traduit dans le texte par un usage fréquent du registre lexical de la lumière et de l'ombre. L'ancien élève d'Arago présente Tycho Brahé comme un homme tiraillé entre ses croyances astrologiques et ses découvertes astronomiques. « S'il tient aux ténèbres qui l'avaient précédé, il tint aussi à la lumière qui le suivit327 » écrit Petit dans le Journal de Toulouse en décembre 1840. L'observateur toulousain utilise le même vocabulaire pour expliquer les réticences et les crispations à l'endroit de la théorie copernicienne : « La lumière s'était montrée tout à coup trop éclatante, elle avait ébloui sans éclairer ; il fallait que le temps habituât les yeux à en recevoir l'impression328. » Pierre Hadot a mis en évidence la permanence, dans la tradition philosophique, de cette idée d'un « dévoilement des secrets de la nature329 ». Il note que cette métaphore « est restée vivante à travers les méandres de l'histoire de la science de la nature, aussi bien lors de la révolution mécaniste que lors de l'expansion du romantisme330 ».

146Les articles imprimés dans les quotidiens de la cité garonnaise sont rédigés dans l'esprit de séduire le lectorat bourgeois. Desplas et Petit insèrent dans leurs explications des éléments de ce qui reste la référence majeure de la haute société : la poésie. Le premier disserte longuement sur un texte attribué à Clotilde de Surville, félibre du xv^e siècle, dont il doute de l'authenticité en raison d'une référence au septième satellite de Jupiter découvert au xviii^e siècle par Herschel331. Frédéric Petit s'empare des Géorgiques de Virgile et recherche dans ses vers les éléments d'une connaissance astronomique. « Le poète est exact dans toutes ses citations, il possède parfaitement la science de son temps332 », conclut l'astronome toulousain. Dans sa dernière chronique historique, l'ancien élève d'Arago passe en revue les grands noms de la littérature du xix^e siècle : il cite Chateaubriand, Victor Hugo, Alfred de Musset et George Sand. Petit souligne combien la science des astres est source d'inspiration et s'insère dans la culture commune. Elle n'est pas simplement « une science destinée [...] à fournir des enseignements pratiques », mais un espace de liberté pour l'imaginaire qui y puise un « langage sublime », forgé dans les « signes cabalistiques » et les « triangles mystérieux » des étoiles. « Ainsi, écrit l'observateur de la cité garonnaise, tandis que l'astronome veille pour demander au Ciel ses secrets les plus utiles, le poète veille aussi pour lui demander ses inspirations, et ses consolations les plus fécondes ». Les sciences et les lettres sont les « deux termes les plus éloignés de l'intelligence humaine » qui se rencontrent « au ciel »333. Tout en tentant de séduire un public lettré et fin connaisseur de la littérature, Frédéric Petit présente une cartographie des activités intellectuelles dont l'imagination et la pratique savante constituent les deux pôles extrêmes. L'introduction de la poésie dans les propos vulgarisés, permet à l'astronome toulousain de distinguer radicalement science et littérature, en opposant ces deux domaines, dont le ciel est le seul point commun.

147La démystification des phénomènes astronomiques constitue une thématique fréquemment développée par les observateurs de la cité garonnaise du xix^e siècle, lorsqu'ils s'adressent au grand public. Ils apaisent les craintes et les peurs que la soudaineté et la violence des événements célestes suscitent. Frédéric Petit reconnaît que les éclipses de Soleil « ont quelque chose de singulièrement imposant et de lugubre à la fois334 ». Il admet qu'elles peuvent causer « de vives terreurs335 » qu'il convient de dissiper. En 1833, Jean Vauthier regrette que l'éclipse n'ait « offert à beaucoup de gens qu'un sujet de terreur336 ».

148Les astronomes toulousains élaborent, pour les agriculteurs qui lisent le Journal des propriétaires ruraux, une science débarrassée de croyances et de superstitions. Pierre d'Aubuisson dans l'article qu'il consacre à l'astronomie en 1810, assure que « presque tous les cultivateurs consultent les phases de la Lune pour semer, couper les bois, tailler les arbres, préparer la fécondation et la reproduction des animaux [.]. On est presque tenté de ne réfuter de pareilles erreurs que par un éclat de rire » écrit sans ménagement le directeur. Il affirme pouvoir « recueillir [...] des témoignages d'un grand poids contre les influences lunaires337 ». Frédéric Petit assure, dans son Traité d'astronomie pour les gens du monde, qu'il n'y a « rien [...] de certain relativement à l'action météorologique de la Lune ». Cependant l'ancien élève d'Arago se montre moins catégorique que d'Aubuisson et profite de l'occasion pour donner un aperçu de la méthode scientifique. Il faudra, explique-t-il, « de longues séries d'observations [.] avant qu'on puisse avoir là-dessus quelques données un peu solides338 ». À la bourgeoisie lettrée, on expose les détails d'une pratique fondée sur l'accumulation d'informations et aux agriculteurs que l'on suppose imperméables à la nuance et victimes de leurs préjugés, on assène un argument d'autorité. Les astronomes façonnent donc le savoir qu'ils transmettent en fonction de l'auditoire visé, mais ils façonnent également ce public, selon ce qu'ils savent ou croient savoir de sa culture et de sa sensibilité.

149Le travail de vulgarisation entrepris par les directeurs de l'observatoire de Toulouse, dans la première partie du xix^e siècle, occupe plusieurs espaces d'expression et cherche à capter l'attention d'auditoires différents. Le savoir dispensé au grand public n'a donc rien de monolithique. Il reconnaît au contraire, dans ses formes différenciées, la variété des lecteurs et des spectateurs et s'élabore comme un discours polymorphe et multidimensionnel.