1Les topoï employés par les astronomes toulousains du xviii^e siècle et disséminés dans leurs nombreux écrits, révèlent un désir puissant de se conformer aux normes de la cité savante. Ils parsèment leurs textes de références discrètes aux valeurs de l'économie morale de la science. Les observateurs garonnais cultivent l'exigence de la précision autant que l'impératif du doute. Garipuy, Darquier, Bonrepos et leurs élèves soulignent sans cesse leur capacité d'auto-contrainte, d'abnégation et d'ascétisme. Ils font assaut de modestie et d'humilité dans la présentation de leurs observations. La discipline personnelle, la retenue dans les gestes et la mesure dans les controverses forment un réseau de valeurs auxquelles les astronomes toulousains font systématiquement référence. Les multiples topoï ainsi déployés composent la trame d'un discours sous-jacent, visant à obtenir la reconnaissance des pairs.

2Les observateurs garonnais souhaitent ardemment intégrer la communauté savante et s'astreignent donc à respecter les règles éthiques qui la structurent. Lorraine Daston soutient qu'il existe une séparation très nette entre l'économie morale de la science et l'espace social dans lequel évoluent ses membres. L'historienne assure que, « swimming against the stream of contextual studies of science, moral economies reassert rather than dissolve, the boundaries that separate the mentalities and sensibilities of scientists from those of ambient society352 ».

3Les astronomes toulousains qui ont, au siècle des Lumières, érigé un observatoire au-dessus de leur demeure, appartiennent tous à l'élite locale. L'aristocratie garonnaise s'est resserrée au xviii^e siècle, autour de quelques valeurs : le goût du beau et la sensibilité aristocratique, la franc-maçonnerie et la pratique savante. L'Académie des sciences de Toulouse constitue un pôle majeur dans la vie culturelle de la cité. La haute société est interdite à tous ceux qui, indépendamment de l'importance de leurs moyens financiers, ne partagent pas ce fonds commun de valeurs. Dans cette perspective, l'investissement de Garipuy, Darquier et Bonrepos dans la science des astres, peut être interprété comme la volonté d'être reconnu par l'élite toulousaine et de s'y distinguer353. Les astronomes s'efforcent donc, dans leurs écrits, de montrer leur appartenance à la haute société garonnaise. La civilité élitaire toulousaine et la civilité scientifique ne s'opposent pas pour les observateurs garonnais du xviii^e siècle. Les termes de « frontière » ou de « séparation », nous semblent peu adaptés pour comprendre la manière dont les astronomes parviennent à s'inscrire à la fois dans la cité savante et dans la cité garonnaise. En effet, le goût pour la science fait partie intégrante des valeurs sociales qui caractérisent l'élite toulousaine. Les observateurs puisent donc dans les deux systèmes de valeurs et forgent ainsi un double discours.

4Les topoï nous ont permis de mieux discerner le double désir de reconnaissance des observateurs garonnais. Le déploiement de ces tactiques rhétoriques et la volonté persistante de se signaler ou de se distinguer caractérisent la figure du savant aristocrate à Toulouse au siècle des Lumières.

5Le régime de savoirs ici à l'œuvre, se fonde sur les logiques individuelles et les stratégies personnelles. Au cœur de l'élite toulousaine, les astronomes doivent être capables d'intégrer l'Académie des sciences, de construire un observatoire et de rassembler un arsenal technique conséquent en nouant des liens avec les constructeurs. Il est indispensable qu'ils saisissent à la fois les normes sociales de la haute société locale et les règles tacites de la cité savante. Les observateurs garonnais créent eux-mêmes leurs réseaux d'échanges. Ils leur appartient enfin, de faire circuler leurs travaux et d'occuper tous les espaces éditoriaux disponibles.

6Les logiques collectives ne sont pas totalement absentes. La Compagnie savante toulousaine constitue ainsi un point d'appui important pour les astronomes du xviii^e siècle, en particulier lors de la fondation d'un observatoire au sommet d'une tour des remparts de la ville. Toutefois, Garipuy, Darquier et Bonrepos s'empressent, vers 1750, d'ériger dans leurs maisons, des espaces savants personnels. La municipalité et les États du Languedoc fournissent également des subsides pour enrichir ou maintenir des lieux de science. Cependant, ces deux structures n'offrent qu'une aide ponctuelle et ne cherchent pas vraiment à organiser la pratique scientifique.

7À Toulouse, au xviii^e siècle, le régime de savoirs repose largement sur la capacité des acteurs à se forger une identité savante. Les astronomes incarnent leurs observatoires et ce sont les réseaux qu'ils déploient et les valeurs qu'ils font circuler qui donnent chairs aux espaces de recherche.