Chapitre VI. Présence seigneuriale et relations sociales : un bon « voisinage »1 ?
p. 257-298
Texte intégral
Lorsque Madame taché [seigneuresse de Kamouraska] sortait de l’église à l’issue des offices, les habitants prêts à partir arrêtaient tout à coup leurs chevaux et une longue suite de voitures réglaient leur marche sur la sienne, la suivaient jusqu’à ce qu’elle débouchât dans l’avenue qui conduit au manoir seigneurial. Et quoi qu’elle eut ensuite le dos tourné à ceux qui poursuivaient leur route ils n’en ôtaient pas moins leurs chapeaux en passant devant l’avenue…
(Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, 1866, p. 533.)
Introduction
1La présence seigneuriale dans les seigneuries laurentiennes, phénomène dont l’apogée est atteinte au milieu du xixe siècle, entraîne un rapport d’altérité au sein de ces communautés rurales. En dépit de l’adaptation coloniale du système seigneurial, celui-ci est dans ses fondements mêmes, basé sur l’inégalité sociale, sur la supériorité d’un homme, le seigneur, sur d’autres, les censitaires. Aussi, cette distinction de la famille seigneuriale résidante devrait être perceptible dans les rapports sociaux qui se tissent dans ces localités marquées par ce « voisinage » particulier. La spécificité de plusieurs des familles seigneuriales résidantes, se distinguant par des origines modestes, leur rôle pionnier dans la localité et l’apparente intégration, voire l’assimilation à leur environnement socioéconomique, semble toutefois fort éloignée des luttes de classes chères à l’historiographie marxiste.
2Choisir de s’établir dans une seigneurie déjà organisée et peuplée, comme le firent Pierre-Paul Margane de Lavaltrie et son épouse Marie-Angélique Lacorne de Chapt, après 1765, ou y faire, au contraire, œuvre de pionniers locaux, tels Jean Rioux et Catherine Leblond à Trois-Pistoles, en 1697, contribue incontestablement à asseoir différemment la relation seigneurs/censitaires dans la seigneurie. Cependant, puisque la durée séculaire de l’analyse le permet, il importe de ne pas négliger l’œuvre du temps sur l’évolution de ces rapports. Même dans les seigneuries, telle Trois-Pistoles, où la famille seigneuriale apparaît isolée géographiquement et apparentée à une large frange de la population locale, le temps vient renforcer l’ascendant de la branche seigneuriale de la famille. L’accroissement de la population (et des droits seigneuriaux) ou l’amélioration des voies de communication contribuent à assurer une position sociale dominante à la famille seigneuriale. De plus, au-delà de l’origine sociale, noble ou roturière, de la localisation de la seigneurie et du moment de l’installation sur place, la figure du seigneur reste d’abord influencée par son caractère, sa personnalité, l’éducation reçue, ou encore sa longévité ou le rôle joué par sa veuve le cas échéant. L’amalgame de ces considérations, dont certaines sont impossibles à approfondir, influence l’attitude seigneuriale face à la population locale.
3Étudier les rapports de sociabilité entre la famille seigneuriale résidante et la population censitaire (paysanne ou non) conduit généralement à une prise de position sur l’attitude de la première. Si l’historiographie québécoise a longtemps privilégié la voie des relations harmonieuses et des seigneurs-colonisateurs, celle-ci a fait place, depuis plusieurs décennies, à une vision faisant, au contraire, du seigneur une figure oppressive et conflictuelle2. Ce manichéisme caractéristique de l’historiographie seigneuriale au Québec incite à la prudence lorsque vient le temps de prendre position pour l’une ou l’autre de ces visions. Certes, l’image du bon seigneur défricheur de nos premiers historiens a sans doute « perverti notre vision du passé », comme l’écrivait Louise Dechêne en 19713. Cependant, la tendance inverse, notamment par l’étude des seigneuries ecclésiastiques, a peut-être poussé le balancier vers une autre extrémité. En nous intéressant aux rapports sociaux dans les seigneuries habitées par la famille seigneuriale, l’occasion nous est offerte de jeter un nouveau regard sur les relations seigneurs/censitaires dans la vallée du Saint-Laurent. Au moment d’entreprendre une réflexion sur cette question, il nous semble primordial d’être sensible, non seulement à la relation possiblement conflictuelle, mais également à l’aspect relationnel plus « amical », voire festif de la présence seigneuriale4, ce dernier étant souvent beaucoup plus difficile à détecter dans les sources.
4Cette dernière section, qui nous plonge au cœur des relations sociales dans le monde rural et seigneurial de la vallée du Saint-Laurent, oscille donc entre deux pôles tributaires de la présence seigneuriale. Dans le présent chapitre, nous envisagerons cette sociabilité dans l’optique d’une présence seigneuriale « amicale », par les manifestations témoignant des bons rapports entre la famille du seigneur et la population de la seigneurie. Puis, dans un dernier chapitre, nous nous intéresserons aux relations conflictuelles entre ces deux parties. Cette division bipartite, attribuable aux sources disponibles, ne vise pas à reproduire la dualité de l’historiographie québécoise de la seigneurie, mais plutôt à envisager l’ensemble des possibilités et à en tirer des conclusions tenant compte de la diversité de rapports à laquelle pouvait conduire la présence de la famille seigneuriale dans le monde rural.
Une présence seigneuriale « amicale » ?
« – Va te gréer5 Romain, puisque M. Philippe te fait l’honneur te t’emmener avec lui. »
5Dans ses Mémoires, publiées en 1866, Philippe Aubert de Gaspé, raconte que « les habitants de Saint-Jean Port-Joly, disaient toujours Monsieur ou Madame, tout court, en parlant du seigneur et de la seigneuresse. Moi, j’étais M. Philippe ; et les anciens canadiens m’appellent encore ainsi6 ». Au moment d’écrire ces lignes, le vieux seigneur de Saint-Jean Port-Joly a presque 80 ans ; il est évident qu’en ces lendemains d’abolition du régime seigneurial, il souhaite idéaliser ce mode de vie des « anciens canadiens ». Sous un flagrant paternalisme, Aubert de Gaspé aime à se souvenir des relations harmonieuses qu’il entretint avec les censitaires de sa seigneurie plutôt que des conflits qu’il put avoir avec eux. Lorsqu’il évoque les autres seigneurs de son temps, ce sont également des relations marquées par une déférence toute naturelle qu’il dépeint, comme cette anecdote où il raconte la consternation et la honte des habitants de Kamouraska alors que le fils d’un habitant des lieux, sous l’emprise de l’alcool, se permit de doubler la voiture de la seigneuresse7. Cette considération et ce respect dévolus à la famille seigneuriale pouvaient parfois mener à des relations encore bien plus amicales si l’on en croit toujours le mémorialiste Aubert de Gaspé qui se souvient du père Chouinard, un vieux paysan qui lui fit passer « des moments si agréables » et auquel il consacre un chapitre entier de ses Mémoires :
« Ceux qui ont connu le père Romain Chouinard humble et paisible cultivateur, passant sur le chemin de la vie sans y imprimer la trace de ses pas, seront surpris que je m’occupe d’un individu en apparence si insignifiant. Mais pourquoi ne rendrais-je pas hommage à la vertu, si je l’ai découverte sous cette rude enveloppe. Je l’ai connu dès ma plus tendre enfance : lui, son frère, notre voisin, et un nommé Castonguay de la côte Deschênes, étant les faucheurs les plus redoutables de la paroisse de Saint-Jean Port-Joli, mon père les retenait une année d’avance pour la fenaison. […] Ce fut surtout lorsque je me retirai à la campagne, à l’âge de trente-sept ans, qu’il devint pour moi un compagnon de pêche et de chasse précieux pendant mes excursions à ce beau lac [Trois-Saumons]8. »
6Ces souvenirs d’un vieillard, dernier seigneur de sa lignée, anoblie au xviie siècle, s’ils embellissent sans doute les relations seigneurs/censitaires, ouvrent néanmoins la voie à un questionnement sur la nature « amicale » de la présence seigneuriale dans la vallée du Saint-Laurent. Aubert de Gaspé précise bien que ce fut surtout lorsqu’il prit résidence à la campagne, soit lorsqu’il quitta Québec pour sa seigneurie de Saint-Jean Port-Joli, qu’il tissa des liens avec le père Chouinard. Cette amitié, si on peut recourir à ce terme, fut donc consécutive à sa présence dans la seigneurie. Nous avons cherché à détecter ces relations cordiales entre les familles seigneuriales résidantes et la population locale.
7À première vue, les bonnes relations apparaissent plus difficiles à découvrir que les mauvaises, ces dernières, surtout lorsqu’elles donnent lieu à des poursuites judiciaires, laissant davantage de traces dans les archives. Différents moments de la vie d’autrefois pouvaient toutefois donner lieu à des rencontres « privilégiées » entre la famille seigneuriale et la population locale : baptêmes, mariages, fêtes communautaires… De plus, dans la vie quotidienne de la communauté, principalement par le biais de la vie paroissiale, la famille seigneuriale était amenée à côtoyer les habitants de la seigneurie où elle résidait, rencontres dont les honneurs qui entouraient le seigneur et sa famille, sont parfois témoins.
8En dehors de toutes les relations qui, à l’instar de la camaraderie de chasse et pêche du seigneur de Saint-Jean Port-Joli, ne peuvent être connues faute de documentation, des traces d’une sociabilité davantage institutionnalisée permettent d’accéder à une partie des rapports « amicaux » ou cordiaux des seigneurs résidants. En premier lieu, les principales étapes de la vie, marquées par des cérémonies dictées par l’appartenance à l’Église catholique romaine, font connaître certaines relations de la famille seigneuriale. En effet, baptême, mariage et sépulture sont des événements de la vie familiale auxquels des proches sont conviés, parents, mais aussi amis. En observant les individus que la famille seigneuriale invite à partager ces moments de réjouissance et de peines, il est possible de savoir s’il s’agit d’une sociabilité intra-seigneuriale ou au contraire exclusivement élitiste ou nobiliaire dans certains cas. La question de la parenté spirituelle, révélée par les actes de baptêmes, notamment, permet de connaître, d’une part la fréquence à laquelle les membres de la famille seigneuriale sont choisis comme parrains et marraines dans la seigneurie où ils résident et, d’autre part, les individus que choisissent les couples seigneuriaux comme parrains et marraines de leurs propres enfants, entraînant une relation de compérage et de commérage qui, à l’époque moderne, représente un rapport privilégié dont on peut difficilement aujourd’hui réaliser toute la portée.
9Également, nous observerons à travers différents témoignages prélevés dans les archives, paroissiales principalement, les actions seigneuriales en faveur de la communauté et, en contrepartie, les marques de l’honorabilité conférées au seigneur et à sa famille et qui peuvent attester d’une reconnaissance à leur égard, surtout lorsqu’il s’agit de seigneurs-fondateurs.
La parenté spirituelle : une sociabilité privilégiée
10Le baptême engendre une parenté spirituelle entre le parrain et l’enfant, mais également une relation de compérage entre les parents du baptisé et le parrain : « Avec ses règles propres l’interdit du tutoiement, l’interdit sexuel –, il crée une amitié qui peut aller de la simple solidarité entre patrons et clients à toutes les nuances de l’affection9. » Un seul exemple, parmi les compères étudiés, a permis de noter la transgression de l’interdit sexuel relatif à la « commère10 ». L’interdiction pour le père d’un baptisé d’épouser la marraine de son enfant relèverait en partie, à l’instar de la représentation de la « fée marraine » des contes traditionnels11, d’un rôle de surveillance des fonctions parentales. Si la marraine épouse le père, devenant la marâtre, cette fonction n’est plus remplie. Or, lorsqu’il prend femme pour la quatrième fois, en 1719, Louis Couillard II épouse, en la personne de Louise Nolin12, la marraine de son fils Joseph13, transgressant l’interdit sexuel que l’Église catholique n’abolira qu’en 198314. L’acte de mariage fait cependant expressément mention de la dispense « d’affinité spirituelle qui avait été contractée entre eux, pour avoir porté sur les saints fonds du baptême plusieurs de leurs enfants15 ».
Marraines et parrains seigneuriaux
11Dans un premier temps, nous nous sommes intéressé à la place occupée par les membres de la famille seigneuriale, au sens étroit du seigneur et de ses enfants, à titre de parrains et marraines des enfants nés dans la communauté à laquelle ils appartiennent. Cet aspect est d’autant révélateur que, contrairement au mariage régi plus étroitement par les règles de l’homogamie, le « compérage extensif permet de nouer des alliances entre groupes socialement différents16 ». D’un point de vue anthropologique, Agnès Fine évoque le clientélisme accompagnant parfois les relations de compérage, notamment dans certaines régions italiennes où « les petites gens sollicitent le parrainage d’un notable dans l’espoir que celui-ci les aidera à trouver un emploi, à obtenir des allocations ou des autorisations diverses [tandis que de] leur côté, les notables sont flattés d’être sollicités17 ».
12Dans les seigneuries de la vallée du Saint-Laurent, le choix par les habitants du lieu d’un membre de la famille seigneuriale pour parrainer un enfant, similaire à la relation de clientélisme évoquée par Agnès Fine, atteste d’une reconnaissance mutuelle. Si le seigneur y voit un honneur dû à son statut distinctif, le censitaire peut également y trouver une source de fierté, surtout si le seigneur s’y prête rarement. Quoi qu’il en soit, cette situation engendre une relation nouvelle entre les deux familles (sans néanmoins être une assurance d’amitié ultérieure) et suppose l’absence de ressentiment envers la famille seigneuriale18.
Observations générales
13Nous avons pu repérer 354 actes de baptêmes faisant intervenir un membre de la famille seigneuriale résidante à titre de parrain ou marraine. Connaître le nombre de parrainages seigneuriaux n’a de sens que si l’on connaît le nombre de baptêmes célébrés annuellement dans la paroisse. Le tableau 6.1 fait état des parrainages seigneuriaux dans les dix paroisses, en proportion du nombre total de baptêmes célébrés au cours des années sélectionnées.
Tableau 6.1. – parrainages « seigneuriaux ».

Source : Registres paroissiaux, années sélectionnées.
14L’analyse a porté sur 21443 actes de baptême au sein des dix paroisses. Dans l’ensemble, les 354 baptêmes représentent 1,7 % des enfants baptisés dans les seigneuries au cours des années étudiées. Des différences importantes peuvent être constatées d’une seigneurie à une autre. Trois familles seigneuriales sont nettement en tête, agissant fréquemment comme parrains des enfants nés dans la seigneurie. Ce sont les familles Hamelin à Grondines (12,8 %), Lefebvre à la Baie-Saint-Antoine (8,7 %) et Crevier de Saint-François-du-Lac (4,9 %). Ces familles, roturières, se départissent néanmoins de la propriété seigneuriale les premières (entre 1772 et 1812), à une période où la population connaît une croissance importante et où les autres familles seigneuriales voient leur rôle de parents spirituels décliner considérablement. De plus, à l’intérieur de ces seigneuries, les liens de compérages créés par le baptême sont souvent difficilement assimilables à une relation de clientélisme, tenant plutôt de rapports plus égalitaires. D’ailleurs, dans la majorité de ces actes de baptêmes, le célébrant ne fait pas mention de la dignité seigneuriale du parrain19. Ceci semble nuancer la première impression donnée par ces chiffres qui font apparaître ces trois familles seigneuriales loin devant les autres en ce domaine, allant plutôt dans le sens d’une famille seigneuriale liée à la collectivité rurale. Toutefois, dans le cas de la famille Crevier, à Saint-François-du-Lac, on perçoit une nette tendance à l’affirmation du statut seigneurial, au fil des parrainages qui s’échelonnent entre 1714 et 1796. Par exemple, lorsque le seigneur Joseph-Augustin Crevier agit comme parrain de Joseph-Augustin Harel, en 1716, on ne fait pas mention spécifique de son titre20. À la fin du siècle, lorsque le seigneur sera parrain, le célébrant insistera systématiquement sur son statut de seigneur de Saint-François21.
15À Lavaltrie, communauté où la famille seigneuriale s’installe de manière définitive seulement au lendemain de la Conquête, on s’aperçoit, non sans intérêt, que le seigneur et les siens ne sont pratiquement jamais parrains et marraines dans la paroisse. Seuls deux enfants, sur les 1418 baptêmes observés, auront pour parrain un membre de la famille seigneuriale22. Entre les seigneurs de Lavaltrie et les habitants des lieux, une réelle distance semble exister, témoignant sans doute de l’incontestable statut distinctif de cette famille noble et de sa venue récente dans une seigneurie déjà développée, au contraire des autres seigneuries auxquelles nous nous intéressons. En effet, chez les autres familles nobles, à Beauport, Boucherville et à la Rivière-du-Sud, sans être fréquents, les parrainages d’enfants d’habitants par les membres de la famille seigneuriale concernent approximativement 2 % des baptêmes observés.
Figure 6.1. – Distribution des parrainages seigneuriaux par période de 25 ans.

16La figure 6.1 permet de constater que les parrainages seigneuriaux deviennent beaucoup moins fréquents à compter de la seconde moitié du xviiie siècle. Malgré l’avènement de nouvelles familles seigneuriales résidantes qui rejoignent l’analyse à cette période (Lavaltrie, Saint-Hyacinthe), le recours à des parrains et marraines issus de la famille du seigneur apparaît de plus en plus rare. Dans certaines seigneuries, comme à Beauport, cette pratique, sans être fréquente, touche plusieurs familles pendant quelques décennies, mais disparaît presque complètement après 1760. Ailleurs, à la Rivière-du-Sud ou à Boucherville notamment, si on continue à voir la famille seigneuriale parrainer des enfants encore au xixe siècle, la pratique n’en apparaît pas moins rarissime avec, dans les meilleures années, un ou deux enfants dotés d’un parrain ou d’une marraine seigneuriale, dans des paroisses qui comptent alors plus d’une centaine d’enfants baptisés annuellement. Trois-Pistoles connaît, à cet égard, la situation inverse puisque, tout au long du xviiie siècle, la seigneurie, peu peuplée, ne permet guère à la famille Rioux d’agir comme parents spirituels, sauf pour les membres de leur propre famille. Toutefois, à compter de la fin du siècle, et surtout dans la première moitié du xixe siècle, les membres de la famille seigneuriale créent plus fréquemment des liens de compérages avec les habitants de la communauté. En 1824, six baptêmes de la paroisse Notre-Dame-des-Neiges de Trois-Pistoles impliquent un membre de la famille seigneuriale. Encore faut-il souligner qu’en cette même année, le nombre d’enfants baptisés s’élève à 123, la paroisse ayant connu une croissance importante depuis quelques décennies23. De plus, l’apparentement de la famille seigneuriale à de nombreuses familles de la communauté incite à relativiser ce qui pourrait apparaître comme une manifestation du renforcement d’un statut privilégié.
Figure 6.2. – Parrains et marraines issus de la famille seigneuriale.

17En dernier lieu, avant d’observer les familles qui créent des liens de compérage avec le clan seigneurial local, faisons le point sur l’identité de ces parrains : seigneur ou seigneuresse en personne, enfants du seigneur… La figure 6.2 permet de constater que les « autres membres » de la famille seigneuriale, fils, filles, frères ou sœurs du seigneur, comptent le plus grand nombre de filleuls nés dans la seigneurie, regroupant 61 % des cas (266). On retrouve parfois de très jeunes enfants, fils ou filles du seigneur résidant, surtout au sein de deux familles nobles, témoignant du prestige lié au fait d’être parrainé par un membre de la famille seigneuriale, même s’il s’agit d’un enfant. Les enfants de Pierre Boucher I et de Jeanne Crevier, premiers seigneurs sédentaires de Boucherville, sont choisis comme parrains et marraines des habitants de la seigneurie. En 1675, Jeanne Boucher n’a que cinq ans lorsqu’elle devient marraine d’Ignace Bourgery, en compagnie de son frère aîné Ignace (16 ans)24. Quelques années plus tard, Geneviève Boucher, âgée de neuf ans, est marraine de Geneviève Picard, fille d’un domestique de la famille Boucher25. Lorsque le seigneur est lui-même enfant, comme à la Rivière-du-Sud après le décès de Jean-Baptiste Couillard I, le choix de l’enfant-seigneur comme parrain peut constituer un lien de solidarité qui pourra s’avérer utile en temps opportun. Ainsi, voit-on le jeune seigneur Jean-Baptiste Couillard II, avant même d’avoir eu cinq ans, devenir parrain, en 176426, puis à nouveau en 1766, âgé de sept ans27. Il le sera fréquemment au cours des années suivantes.
18Assez souvent également, une fille célibataire de la famille seigneuriale agitcomme marraine dans la communauté. À Boucherville, la seule fille de Pierre Boucher et Jeanne Crevier restée célibataire, Louise, sera, tout au long de sa vie, régulièrement marraine28. Situation similaire à Grondines, lorsque la fille cadette du seigneur Louis Hamelin, célibataire, devenue la sœur du nouveau seigneur, est choisie comme marraine, entre autres en 1744, à l’âge de 37 ans29.
19Lorsqu’un membre du couple seigneurial est parrain ou marraine en personne, on comprend que le prestige est encore plus considérable pour l’heureuse famille, d’autant plus que le prénom du seigneur ou de la seigneuresse est généralement transmis à l’enfant. Considérant que « l’adoption de l’homonymie entre parrain et filleul exprime l’idée du partage d’une même identité30 », la portée de cette tradition autorise peut-être certains habitants à croire réellement en leur distinction lorsqu’ils ont le seigneur pour parrain. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, la seigneuresse Geneviève Allies, lorsqu’elle est marraine de petites filles, transmet presque systématiquement son prénom à ses filleules31. Cette transmission du prénom se produit parfois en dehors du lien parrain-filleul. Dans cette même seigneurie, au commencement du xixe siècle, les petits Gaspard, filleuls du seigneur Antoine-Gaspard Couillard, côtoyaient les autres enfants porteurs du même prénom sans toutefois avoir pour parrain le seigneur, mais témoignant sans doute d’une imitation qui attestait de l’influence seigneuriale. Au total, pour les années étudiées, 107 baptêmes ont pour parrain le seigneur, regroupant 25 % des parrainages, tandis que la seigneuresse est marraine à 63 occasions, totalisant 14 % des cas répertoriés.
20Il est difficile de tenter de justifier la présence tantôt du seigneur en personne, tantôt de l’un de ses enfants ou de son épouse. La qualité de la famille « parrainée » ne semble pas influencer de manière importante le choix du parrain seigneurial. L’influence du contexte dans lequel survient la « demande » de parrainage doit jouer un rôle non négligeable, telle l’absence d’un membre de la famille à ce moment. De plus, des liens sociaux et affectifs dont nous ne pouvons avoir idée peuvent parfois expliquer le choix d’un individu plutôt qu’un autre.
21Notons que l’addition de ces trois groupes (seigneur, seigneuresse et autres membres de la famille) donne un total de 436 individus, puisque lors de 82 baptêmes, ce sont deux membres de la famille seigneuriale qui agissent à titre de parrain et marraine. Dans ces cas précis, lorsque notamment le seigneur et son épouse sont simultanément parrain et marraine, il semble que la famille seigneuriale ait voulu manifester plus concrètement sa reconnaissance envers une famille ou un individu. Tel semble être le cas à Saint-François-du-Lac, en 1775, lorsque le sieur Crevier et son épouse la « Dame de St-François » acceptent d’être parrain et marraine de la fille du notaire Antoine Robin32. Hormis ces 82 cas, la figure seigneuriale est accompagnée d’un individu qui ne lui est pas apparenté, le plus souvent un membre de la famille du baptisé, ou parfois un autre notable de la communauté. S’il est fréquent de voir un seigneur parrain avec une « habitante » de sa seigneurie, certains couples ont tout de même suscité notre curiosité. À Beauport, au cours des années qui précédèrent les menaces maternelles à l’encontre du seigneur Antoine Juchereau I à l’égard de ses relations avec la « fille du jumeau Parent33 », on voit à deux reprises le seigneur être parrain au sein de la famille Parent en compagnie d’une marraine qui semble bien être la fameuse Louise Parent tant honnie par la seigneuresse34.
Des familles privilégiées ?
22Si le choix d’un membre de la famille seigneuriale comme parrain ne constitue pas une pratique fréquente dans les seigneuries rurales de la vallée du Saint-Laurent, la connaissance de ces familles « privilégiées » s’avère d’autant plus éclairante. Elle permet de comprendre à l’intérieur de quels réseaux de sociabilité la famille seigneuriale accepte de se voir intégrée et surtout quel type de familles propose ce rôle au clan du seigneur.
23Avant d’aborder les réalités individuelles, nous avons tenté de répartir ces familles selon l’appartenance sociale du père. D’abord, ont été regroupés sous l’appellation « paysannerie », non seulement ceux qui travaillent la terre, mais aussi tous ceux pour lesquels l’acte de baptême ne donne aucune indication de profession ou de fonction au père de l’enfant. L’absence de mention autorise à penser qu’il s’agissait alors d’individus modestes, sans doute liés au monde agricole, dont ils tirent au moins une partie de leur subsistance. Ont aussi été inclus à cette catégorie les hommes de métier, ainsi que les journaliers. S’ils ne travaillent pas la terre, ces individus sont davantage liés à la masse paysanne qu’à la notabilité. Ils ont en commun de ne pas appartenir à une catégorie socioprofessionnelle privilégiée35 et de constituer le cœur de la population locale. En second lieu, viennent les notables locaux. Ensuite, il y avait lieu d’identifier séparément les couples apparentés à la famille seigneuriale, puisque dans ces cas, le choix du parrain ou de la marraine s’explique par l’exercice de la parenté et non par le statut seigneurial, quoi que celui-ci puisse également influencer, surtout lorsque les individus sont issus de branches collatérales de la famille seigneuriale, parfois parents éloignés. Enfin, la dernière catégorie est constituée des « groupes inférieurs », selon la hiérarchie de l’époque : domestiques, esclaves et Amérindiens.
Figure 6.3. – Répartition des familles « parrainées » par le clan seigneurial.

24On constate, à la figure 6.3, que ce sont les familles paysannes qui comptent la plus forte proportion des parrainages seigneuriaux. Certes, celles-ci représentent aussi la nette majorité de la population des seigneuries. Ces relations de compérage attestent bien d’un certain clientélisme, mais aussi, comme cela a été évoqué, d’une évidente ressemblance entre quelques familles seigneuriales et leurs censitaires, étayant l’hypothèse de l’assimilation au monde paysan, ou de l’incapacité à s’en distinguer. En acceptant d’être parrain ou marraine d’un enfant né d’un de leurs censitaires, les membres de la famille seigneuriale ont conscience de l’honneur qu’ils accordent. À l’inverse, la famille paysanne qui voit l’un des siens parrainé par la famille seigneuriale locale pourra ainsi espérer se mettre dans les bonnes grâces de celle-ci ou, à tout le moins, peut-on supposer qu’il ne s’agit pas d’une famille qui éprouvait de l’aversion pour le seigneur et les siens. L’étude de ces relations ne permet pas vraiment d’établir une hiérarchie préférentielle. Au cours des décennies du xviie et xviiie siècle, dans les localités observées, les familles paysannes en question comptent parfois parmi les plus anciennes de la seigneurie, occupant vraisemblablement une place prépondérante dans le groupe paysan. Toutefois, on retrouve également d’autres familles, plus récemment installées, ne bénéficiant sans doute pas du même statut.
25L’exemple de Beauport permet de voir l’absence de familles réellement « privilégiées ». Entre 1674, date de l’ouverture des registres paroissiaux, et 1826, date du dernier parrainage seigneurial observé, on compte 48 enfants dotés d’un parrain seigneurial, dont une nette majorité de souche paysanne (42). Ces 42 enfants de censitaires se répartissent à l’intérieur de 31 familles (patronymes) et seules sept familles comptent plus d’un enfant parrainé par le groupe seigneurial. Sans être généralisée et toucher l’ensemble des familles de la seigneurie, cette pratique n’est cependant pas réservée à une « élite paysanne ». On compte, par exemple, des individus résidant dans le bourg du Fargy, noyau de la seigneurie, mais également dans les rangs développés ultérieurement. Parmi les familles qui comptent plusieurs filleuls parrainés par le seigneur, on retrouve en tête les Parent (4 enfants) et les Marcoux (3 enfants), familles anciennement établies et dont des membres rejoindront la notabilité locale, mais aussi les Bruneau (3 enfants), habitants du rang Saint-Joseph. La diminution du nombre d’enfants parrainés par la famille seigneuriale au cours de la seconde moitié du xviiie siècle est particulièrement flagrante à Beauport. Dans cette seigneurie, après 175436, on ne verra plus aucun parrainage seigneurial avant 182637. Alors, la famille seigneuriale prend ses distances avec la communauté locale et adopte une attitude de repli sur sa position sociale distinctive, malgré le fait qu’elle continue à résider sur place. Une famille seigneuriale au cœur de la communauté, mais apparemment socialement à l’écart.
26Puis, viennent les parents et alliés de la famille seigneuriale, qui comptent pour 23 % des parrainages. Il n’est pas pertinent, dans le cadre de cette analyse, de nous y intéresser spécifiquement. De leur côté, les notables locaux semblent recourir assez peu à la famille seigneuriale au moment de faire baptiser leurs enfants, à peine 10 %. Là où nous aurions pu voir une sociabilité entre élites locales, un tel lien de compérage seigneurs/notables apparaît l’exception plutôt que la règle.
27Toutefois, plusieurs parrainages considérés comme internes à la famille élargie impliquent à l’occasion un notable intégré par alliance à cette même famille. Ceux-ci ont été considérés comme des parents, ce qui peut atténuer l’apparence de liens renforcés avec la notabilité locale. À titre d’exemple, le seigneur de Trois-Pistoles Éloi Rioux est parrain de Marie-Emma Fournier, en 1845, celle-ci est la fille du notaire Pierre Fournier, mais aussi de sa propre sœur Angélique Rioux38. De la même manière, à la Rivière-du-Sud, dans la première moitié du xviiie siècle, Marie-Simone Couillard est marraine de Marie-Françoise Côté, fille du capitaine de milice Louis Côté ; cependant ce dernier est d’abord le beau-frère de la marraine pour avoir épousé sa sœur Élisabeth Couillard39. Sans connaître ces ramifications familiales qui influencent le choix du parrain et de la marraine, on conclurait hâtivement à des liens de compérage entre notables locaux. Ceux-ci existent, ils se sont scellés par mariages et se confirment bien entendu au moment des baptêmes ; mais ils ne témoignent pas de liens nouveaux imputables à la relation de compérage.
28Les familles de notables qui ne sont pas liées à la famille seigneuriale par des alliances antérieures et qui le deviennent au moment du baptême d’un de leurs enfants sont relativement peu nombreuses. On les retrouve surtout à Boucherville, à Saint-Hyacinthe ou à Saint-Thomas (Rivière-du-Sud), seigneuries dotées d’une notabilité assez dense et surtout, de familles seigneuriales éminentes. Dans ces seigneuries, marchands, capitaines de milice ou gentilshommes locaux font parfois du seigneur ou de sa famille le parrain de leur nouveau-né. En 1795, la seigneuresse de Boucherville, Madeleine de Saint-Blain, est choisie comme marraine de la dernière née dans la famille du capitaine de milice Pierre Guermieu. Le parrain n’est autre que le curé de Boucherville, l’abbé Conefroy, attestant doublement du statut privilégié de cette famille cautionnée aux yeux de communauté, à la fois par le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel de la localité40. Autre illustration, à Saint-Hyacinthe, en 1824, lorsque la seigneuresse Rosalie Papineau devient marraine de Marie-Rosalie Raimond, dont le père, Michel Raimond, compte parmi la bourgeoisie marchande de la paroisse41.
29Nous avons retenu parmi les principaux notables locaux, les meuniers qui entretiennent un rapport particulier à la famille seigneuriale et qui, de ce fait, et par la position socioéconomique que cela représente, se distinguent de la population paysanne. On assiste en effet à un certain nombre de parrainages d’enfants du meunier seigneurial par la famille qui l’emploie. Au début du xixe siècle, les Couillard de la Rivière-du-Sud sont, à deux reprises, choisis pour parrainer un enfant né du maître meunier Pierre Parent et de son épouse Marguerite Lefrançois. En mai 1804, Marie-Angélique Chaussegros de Léry, veuve du seigneur et « Dame de cette paroisse » est marraine de Pierre-Célestin Parent ; le parrain est un marchand de Saint-Thomas42. Puis, deux ans plus tard, en juin 1806, c’est au tour du jeune seigneur de dix-sept ans, Antoine-Gaspard Couillard, de parrainer une enfant du meunier, une petite fille prénommée Marguerite-Emmélie. On choisit alors pour marraine une jeune fille de l’âge du parrain, fille du docteur Oliva, exerçant la médecine à Saint-Thomas43. Une telle reconnaissance sociale de la part de la famille seigneuriale au cours d’une période aussi brève pourrait laisser croire que le premier enfant n’a pas survécu et que la famille du meunier souhaita rétablir le lien de compérage brisé. Cela reste à l’état d’hypothèse. Dans le cas contraire, le nouveau parrainage seigneurial ne peut qu’avoir renforcé le lien préexistant et confirmé la concorde entre les deux familles. Les Couillard ne sont pas les seuls à devenir parrains des enfants de leur meunier, cela se produit aussi à Saint-Hyacinthe. Cette fois, le seigneur Jean Dessaules ainsi que la seigneuresse Rosalie Papineau ont pour filleul Jean-Casimir Turcot, fils du meunier Jean Turcot44. Le choix des prénoms atteste de l’intervention du couple seigneurial. Si l’enfant reçoit comme premier prénom Jean, comme son père, son second prénom, Casimir, sera donné, l’année suivante, par le seigneur et sa femme à leur troisième enfant, Georges-Casimir Dessaules45. En faisant de leur propre fils du même âge l’homonyme de leur filleul, Jean Dessaules et Rosalie Papineau posent un geste illustrant possiblement la qualité de cette relation de compérage, malgré l’écart social qui les distingue du meunier. Reste à savoir ce qu’il advint de ces rapports et de ceux que pourront développer le fils du seigneur et le fils du meunier. Si Casimir Dessaules mourut centenaire, nous n’avons pas suivi le destin de Casimir Turcot.
30À Lavaltrie, la famille seigneuriale ne parraine pas davantage les enfants des notables que ceux des paysans. Également, à Beauport, la famille Giffard/Juchereau ne crée pas plus de liens de compérage avec les notables locaux qu’elle n’a contracté d’alliances matrimoniales au sein de ce groupe46. En dehors des parrainages d’enfants « paysans » que nous avons évoqués, les seigneurs de Beauport ne semblent pas rechercher ou accepter de nouveaux liens à l’élite locale ; on ne constate que très rarement le parrainage d’un enfant d’une famille appartenant à cette catégorie sociale47. Puis, au sein des familles seigneuriales plus modestes, la situation est encore plus rare. À Grondines et à la Baie-Saint-Antoine, aucun enfant parrainé par la famille seigneuriale n’appartient à la notabilité locale. Un seul à L’Isle-Verte et à Trois-Pistoles, deux à Saint-François-du-Lac. Dans ces seigneuries, nous l’avons vu, les liens de compérages se tissent essentiellement avec la paysannerie locale dans la logique de rapports quasi-égalitaires.
Seigneurs et missionnaires ?
31La dernière catégorie d’individus parrainés par les membres de la famille seigneuriale résidante est celle des strates inférieures de la société. Toutefois, être parrain d’un esclave ou d’un Amérindien constitue un geste apostolique, une contribution à la conversion et à l’effort évangélisateur de l’Église catholique contre l’ » hérésie » protestante et le paganisme des « Sauvages » de l’Amérique du Nord. En ce sens, s’ils ne témoignent certainement pas de relations sociales égalitaires, ces parrainages constituent un apport à la compréhension du rôle que s’attribuait le seigneur résidant dans la communauté en ce qui concerne ces groupes marginaux, en plus de mettre en lumière la question de l’esclavage.
32À quelques reprises, on rencontre dans les registres des paroisses seigneuriales des enfants amérindiens parrainés par la famille seigneuriale. Ceux-si sont assez peu présents dans la plupart des seigneuries étudiées ; ils n’appartiennent pas aux communautés locales, ils n’en sont pas des censitaires, sauf exception, on les voit, de passage, dans une paroisse. Lorsqu’ils sont christianisés, ils en profitent alors pour faire baptiser les enfants nés pendant leurs mouvements saisonniers. Il nous a d’abord paru étonnant de ne pas trouver de baptêmes d’Amérindiens dans la seigneurie de Saint-François-du-Lac où il y avait une « colonie de Sauvages Abénaquis ». Cela peut s’expliquer en partie parce que nous n’avons pas dépouillé les registres de chaque année, mais surtout parce qu’il y avait des registres distincts pour Odanak. Ailleurs, surtout dans les seigneuries situées sur la rive sud du Saint-Laurent, on retrouve des Malécites ainsi que des Micmacs, notamment dans l’arrière-pays des seigneuries du Bas-Saint-Laurent. Ces témoignages d’une présence amérindienne dans les registres paroissiaux, épisodiques et saisonniers, rappellent la rareté du métissage dans la vallée du Saint-Laurent, exception faite des voyageurs des Pays-d’en-Haut qui fondèrent un « foyer » avec une Amérindienne et rentrèrent par la suite dans les seigneuries canadiennes48. Tel fut le cas de l’interprète et voyageur Maurice Ménard, originaire de Boucherville, qui se marie àMichilimackinac avec Madeleine Couq, une Amérindienne. Établis à Boucherville, ils y font baptiser une fille, Suzanne, en 1706. Celle-ci eut pour marraine Louise Boucher, fille célibataire du seigneur et le sieur de Sabrevois, gendre du seigneur et beau-frère de la marraine49.
33Plus fréquemment, ce sont des couples dont les deux conjoints sont Amérindiens qui apparaissent dans les registres. Parmi eux, nous avons, pour les années étudiées, repéré quatre Amérindiens parrainés par les seigneurs résidants. En février 1716, à Saint-Thomas, seigneurie de la Rivière-du-Sud, un Amérindien, fils de Louis et Marie-Dorothée (sans patronyme) a pour parrain le seigneur Louis Couillard et pour marraine Élisabeth Couillard Desprez, sa nièce50. En décembre 1725, à Sainte-Famille de Boucherville, le curé Saladin baptise Marguerite-Thérèse Chapenai dont les parents, François Chapenai et Catherine Ouambres, sont désignés comme « Sauvages ». Le parrain est le fils aîné du seigneur, le futur Pierre Boucher III, déjà âgé de 36 ans ; la marraine, qui transmet son prénom, est Charlotte-Thérèse Hertel, épouse du sieur Boucher de Niverville et tante du parrain51. Le parrainage d’enfants amérindiens par la famille seigneuriale n’est pas une spécificité du Régime français. Encore au xixe siècle, à Trois-Pistoles, la situation se produit deux années de suite. En août 1804, des parents d’origine malécite font baptiser Marie-Angélique Bernard qui a pour parrain le futur seigneur Joseph Rioux (le nom de la marraine est illisible)52. L’année suivante, au mois de mai, c’est un couple appartenant à la nation Micmac qui trouve à Trois-Pistoles un parrain seigneurial en la personne d’Étienne Rioux, « écuyer, seigneur » ; la marraine est, elle aussi, une « sauvagesse53 ».
34Pour connaître précisément l’ampleur de ces parrainages d’Amérindiens par la famille seigneuriale, il faudrait répertorier tous les baptêmes de cette catégorie afin de voir s’il s’agit de cas exceptionnels. Quoi qu’il en soit, si peu fréquents soient-ils, ces filleuls amérindiens témoignent d’une mission évangélisatrice dont se sentent peut-être investis les seigneurs. Il est également possible que ceux-ci désirent tout simplement maintenir de bonnes relations avec ces « habitants » passagers de leur seigneurie, sans y être censitaires54. Cela semble encore plus évident lorsque parrains et marraines sont tous deux issus de la famille seigneuriale. Puisque nous avons évoqué précédemment la rareté des couples parrain/marraine seigneuriaux, le choix de parrainer ensemble ces individus, à première vue de peu d’importance dans la société d’alors, renforce le rôle qu’ils s’attribuent dans la conversion des autochtones qui fréquentent leur seigneurie.
35Le prosélytisme des seigneurs résidants se manifeste également par le parrainage de nouveaux convertis, parfois prisonniers de guerre capturés dans les colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre. C’est dans la seigneurie de Boucherville que nous observons cet apostolat tout particulier. En 1704, trois individus, sans doute capturés au cours des raids effectués en territoires anglais, sont baptisés par le curé de Boucherville, à quelques mois d’intervalle. On apprend, par les registres de Sainte-Famille, que Pierre-Augustin Littlefield est âgé de dix ans et qu’il est né à Wells en Nouvelle-Angleterre. Il est dit actuellement résidant chez Rodolphe de la Saudrays, rennais d’origine, curé de la paroisse. Ce jeune garçon des colonies anglaises eut pour parrains de conversion Pierre Boucher I en personne et sa bru Charlotte Denys, épouse de Pierre Boucher II55. Un mois plus tard, c’est au tour de Marie Storer de recevoir le sacrement du baptême. On ignore son âge et son lieu d’origine, mais le prêtre mentionne qu’elle a été baptisée par un ministre d’York. Deux autres membres de la famille Boucher la prirent pour filleule : Jean-Baptiste Boucher de Niverville (fils de Pierre I) et Claire-Françoise Charet (épouse de Jean Boucher de Montbrun)56. La dernière catéchumène fut Sarah Élisabeth Radalt dont on ignore également l’âge. En avril suivant, à l’église de Boucherville, en présence d’un prêtre du Séminaire de Montréal, « elle fait abjuration de l’hérésie », sous le regard bienveillant de son parrain René Boucher de la Perrière et de sa marraine Louise Boucher, deux autres enfants de Pierre Boucher I et Jeanne Crevier57. Ce sont donc six membres de la famille seigneuriale qui s’impliquent personnellement dans la conversion de ces singuliers baptisés, affirmant l’importance accordée à la mission évangélisatrice dans le fief familial dont son fondateur avait voulu faire une « communauté pieuse et laborieuse58 ». Plusieurs années plus tard, en 1735, les mêmes René et Louise Boucher, frère et sœur, seront encore une fois parrain et marraine d’un nouveau converti, Joseph Abraham, soldat originaire de Bordeaux, abjurant la foi calviniste en l’église de Boucherville59.
36En observant la situation des esclaves, eux aussi baptisés, on constate le même phénomène par lequel la famille seigneuriale apparaît investie d’une mission de prosélytisme. S’agissant d’esclaves, la situation peut sembler paradoxale, maintenant des enfants de Dieu dans une condition servile par laquelle on peut les vendre. Par le baptême, l’Église reconnaît les esclaves qui, par ailleurs, ne sont pas considérés comme des êtres humains. La présence d’esclaves dans la vallée du Saint-Laurent, tant sous le Régime français que sous le Régime britannique est maintenant bien attestée, notamment grâce aux travaux de Marcel Trudel qui a levé le voile sur une question que l’historiographie avait longtemps minimisée60. En Nouvelle-France, les esclaves sont le plus souvent issus de nations amérindiennes du Centre et de l’Ouest du continent, ennemies des alliés autochtones traditionnels des Français, capturés puis vendus dans les postes de l’Ouest. On prit l’habitude de les désigner sous l’appellation générique de « Panis », du nom de l’une de ces ethnies, parfois aussi « Renards », autre nation amérindienne à avoir fourni son lot d’esclaves. Les esclaves noirs ne sont pas pour autant absents de la colonie61, mais nous n’en avons pas observé parmi ceux parrainés par les familles seigneuriales résidantes.
37Les seigneurs de Boucherville se distinguent à nouveau et sont, avec les Couillard, l’une des deux familles seigneuriales à parrainer des esclaves dont nous avons trace. On ne sait malheureusement pas toujours à qui appartient l’esclave baptisé. Si le célébrant prend soin de noter au registre, en 1764, que l’esclave panis nommé Germain appartient au marchand Pierre Marcoux, cela n’est pas systématique. Néanmoins, en inscrivant cette mention, le curé Maisonbasse de Saint-Thomas permet d’apprendre que cet esclave, parrainé par la seigneuresse Geneviève Allies et son fils Jean-Baptiste Couillard II, seigneur de la Rivière-du-Sud, appartient à celui qui sera, longtemps après, le quatrième mari de la seigneuresse62. On ne sait pas non plus s’il s’agit d’un enfant ou d’un adulte que son propriétaire a voulu voir devenir chrétien. Le curé de Boucherville est encore davantage avare de renseignements lorsque, à deux reprises, en 1706, il procède à des baptêmes d’esclaves panis dont on ignore le nom des maîtres. Au mois de mars de cette année, le seigneur Pierre Boucher I et sa fille aînée Marie, épouse du sieur de Varennes, sont parrain et marraine de Pierre Laurent dit Léveillé63. Puis, le premier novembre suivant, Marie-Anne Voisin, aussi fille d’esclave, a pour parrain Jean Boucher de Montbrun et Louise Boucher, frère et sœur que nous avons rencontrés lors d’autres baptêmes de ce type64. On sait que la seconde baptisée était la fille d’un esclave « domestique » de Pierre Boucher65. Peut-être en était-il de même pour l’autre, ce qui ne peut être affirmé avec certitude. Ce sont alors des enfants qui sont baptisés puisqu’on mentionne les parents et plus spécifiquement le père que l’on identifie comme « Panis », tandis que les mères sont des Canadiennes ayant épousé des esclaves, prenant conséquemment le statut d’esclave de leur époux66.
38L’absence de tels parrainages d’esclaves dans les autres seigneuries, nonobstant le dépouillement partiel des registres, ne signifie pas qu’en dehors de Boucherville ou de la Rivière-du-Sud, il n’y eut pas d’esclaves chez les familles seigneuriales résidantes. D’autres sources ont permis, par ailleurs, de savoir que les Juchereau Duchesnay, à Beauport possédaient également des esclaves à la fin du xviiie siècle. Ceux-ci constituent même un sujet de discorde entre le seigneur Antoine Juchereau II et sa seconde épouse qui, dans le cadre d’une procédure en séparation, accuse son mari de laisser leurs esclaves la harceler constamment :
« Dans la propre maison de son dit mari, la dite Dame s’est vue réduite à la discrétion de ses propres esclaves, nommés François nègre de Nation, et Marie Elizabeth Mondina dit Olivier, Canadienne, femme du dit Nègre ; qui pour obtenir une liberté dont ils jouissent effectivement dans la maison de leur maître depuis quelque temps, et qui leur a été promise par leur maître à condition qu’ils feraient et diraient tout ce que leur dit maître, mari de la dite Dame Catherine Dupré leur prescrirait, sans rien craindre des conséquences ni dans ce monde ni en l’autre, leur dit maître s’en chargeant ; Promesse dont la dite Dame a éprouvé cruellement les effets, par les indignités, les outrages et la conduite indécente que les dits esclaves ont tenu à son égard et même en présence de son dit mari, qui ne pouvait avoir que des raisons bien fortes et bien imposantes pour les souffrir67… »
39L’attachement du seigneur de Beauport à l’un d’entre eux, en particulier, semble manifeste à la lecture de son testament qui prévoit spécifiquement que son « nègre » François pourra choisir librement68 celui de ses cinq enfants avec lequel il souhaitera demeurer, ce dernier se trouvant dans l’obligation de l’accueillir et de le traiter avec considération69.
40Il va sans dire que le fait de parrainer l’enfant d’un habitant ou même un Amérindien de passage, voire un esclave, ne peut être considéré comme une preuve de l’intégration de la famille seigneuriale à la communauté. Au contraire, pourrait-on conclure à un flagrant paternalisme, tributaire de la position dominante de cette famille au sein de la collectivité. Sans parler d’amitié, il semble néanmoins que certaines relations particulières entre des membres de la famille du seigneur et certains notables aient pu mener à des rapports de compérage, visant à « étendre les liens parentaux au-delà du cercle de la famille », comme le précise Agnès Fine70. Aussi, il n’est pas impossible que certaines familles paysannes, parmi celles qui furent pionnières de la seigneurie notamment, aient entretenu de bons rapports avec leurs seigneurs et que ces relations les aient incité à requérir ceux-ci pour être parrain ou marraine de leur progéniture. Quoi qu’il en soit, lorsque ces liens de compérage sont présents, on peut imaginer des relations plutôt cordiales entre seigneurs et censitaires.
41On ne saurait clore cette section sans évoquer certaines familles seigneuriales dont le prestige local, s’affaiblissant au profit de notables locaux, se voient aussi concurrencées en matière d’honneur de compérage. L’exemple de la famille Côté, à L’Isle-Verte, est particulièrement révélateur. Nous avons abordé, au chapitre précédent, le parcours de Louis Bertrand qui, originaire de la région de Québec, s’installe comme marchand dans la paroisse de L’Isle-Verte, au commencement du xixe siècle, où il finit par occuper la quasi-totalité des fonctions publiques locales, en plus d’acquérir la seigneurie elle-même, juste avant l’abolition du régime seigneurial71. Son prestige au sein de la collectivité se manifeste également par le biais de parrainages. À compter de son installation au village, on le retrouve fréquemment parrain, malgré qu’il ne soit apparenté à personne et ce davantage que la famille Côté, dont la présence à L’Isle-Verte remonte à plus d’un siècle. Homme d’affaires prospère et employeur potentiel, le sieur Bertrand constitue apparemment pour les habitants de L’Isle-Verte une relation bien plus intéressante. Cette corrélation entre l’accaparement du pouvoir local et le prestige qui lui est tributaire, dont atteste cette situation, rend bien compte de l’incapacité de la famille Côté, pionnière et enracinée sur place mais analphabète, à se maintenir socialement.
Parrainer les enfants du seigneur
42En parcourant les actes de baptêmes pour repérer les parrains et marraines issus des familles seigneuriales résidantes, nous avons pu entrevoir une facette de la sociabilité locale perceptible grâce aux réseaux de compérage. Ceux-ci peuvent également être révélateurs observés du côté des baptêmes des propres enfants du seigneur et de la seigneuresse. Si le choix du seigneur ou de sa famille pour parrainer un fils ou une fille d’habitant peut témoigner d’une relation de clientélisme tout autant que d’une relation sociale cordiale, l’observation de la situation inverse permet de vérifier au sein de quels milieux la famille seigneuriale puise les parents spirituels de ses enfants.
43La grande majorité des enfants parrainés par un membre de la famille seigneuriale est constituée de filles et de fils d’habitants. Il serait cependant fort surprenant de constater, en ce qui concerne les enfants du seigneur, une réciprocité en matière de parenté spirituelle. Qu’un seigneur parraine ses censitaires est une situation socialement acceptable, témoignant de l’égard porté à sa famille ; que le même seigneur choisisse pour sa progéniture un parrain paysan relève de la situation inverse. Néanmoins, compte tenu de la spécificité sociale du groupe des seigneurs résidants, ce type de relation de compérage n’est pas à exclure. Entre le choix de parrains issus de la seigneurie (notables ou paysans) et de parrains provenant de l’élite coloniale ou locale, voire de la noblesse, la sociabilité dont témoignent les parrainages d’enfants seigneuriaux constitue une autre manière de détecter la nature des relations sociales de la famille seigneuriale résidante.
44Nous connaissons les dates de baptêmes de 268 enfants de seigneurs nés dans la seigneurie. Ce sont soixante enfants de plus que le nombre étudié pour l’analyse des alliances matrimoniales (chapitre iii). Évidemment, le baptême, célébré dans un délai très court après la naissance72, constituait la première étape de la vie chrétienne et parmi ces 268 baptisés, plusieurs mourront avant d’atteindre l’âge adulte. Ceci ne fait cependant aucune différence pour notre propos, puisque tous eurent un parrain et une marraine.
Tableau 6.2. – Répartition des parrains et marraines d’enfants des seigneurs résidants.

45Le tableau 6.2 présente la répartition des parrains et marraines des enfants de chacune des familles seigneuriales résidantes, selon l’appartenance sociale et géographique des familles. Le total de 521 tient compte des parrains et marraines, puisque chaque baptême met en scène deux individus à part la famille du baptisé. Ces chiffres tiennent également compte des huit actes considérés comme « partiels », soit parce que le prêtre avait omis de mentionner les noms du parrain ou de la marraine, soit parce qu’il nous a été impossible de lire ces noms en raison du mauvais état de conservation des documents73.
46Le recours à un membre de la famille, qui se généralise à l’époque moderne, est une réalité incontestable au sein des familles seigneuriales résidantes, tant nobles que roturières. En moyenne, 56,4 % des enfants baptisés reçoivent pour parrain et marraine un oncle, une tante, souvent aussi les grands-parents, voire un cousin, un frère ou une sœur pour les cadets de familles. La seule famille dont moins de 50 % des enfants sont parrainés par un parent est celle des seigneurs de Beauport (seulement 33 %). La parenté, chez les nobles comme chez les roturiers, occupe une place prépondérante au moment de désigner les parents spirituels.
47Les notables locaux, d’abord, sont à nouveau très peu présents, regroupant à peine plus de 5 % des parrains et marraines. Ils sont souvent complètement absents parmi les familles roturières, exception faite des seigneurs de Saint-Hyacinthe et de Saint-François-du-Lac et, là encore, il s’agit d’un très petit nombre en chiffres absolus. Il faut à nouveau mentionner que certains sont tout de même présents puisqu’ils sont intégrés à la famille seigneuriale par voie de mariage. Ainsi, les enfants du notaire Fournier, à Trois-Pistoles, sont à plusieurs reprises parrains et marraines de ceux du seigneur Éloi Rioux, au xixe siècle, parrainant alors leurs cousins et cousines74. Parmi les notables locaux choisis comme parrains, le curé revient à plusieurs reprises. En 1781, l’abbé Dufrost, curé de Boucherville, est parrain de Charles-Marie Boucher fils de René-Amable Boucher de Boucherville75. Le filleul, peut-être sous l’influence de son parrain, se fera lui-même prêtre ; il sera ordonné en 180576. En 1824, à Saint-Thomas, le curé Beaubien, qui dirige la paroisse depuis 1819 et y restera jusqu’en 1863, devient le parrain de William-Henri Couillard, fils d’Antoine-Gaspard et de Flore Wilson77. Les familles roturières choisissent aussi parfois le curé comme parrain de leurs enfants. Le futur seigneur Louis-Antoine Dessaules, pourtant reconnu pour ses positions anticléricales, eut pour parrain Antoine Girouard, curé de Saint-Hyacinthe de 1805 à sa mort en 183278. Ce sont parfois aussi les notaires qui servent de parrains pour la famille du seigneur, comme François Dumoulin « notaire public », parrain de Louis-Germanique Crevier de Saint-François79. Cependant, dans l’ensemble, c’est la faiblesse de ces rapports de compérage qui prime, se manifestant particulièrement dans la quasi-absence de marraines appartenant à ce groupe.
48Deux tendances se dessinent, faisant à nouveau apparaître, avec diverses réalités familiales, une coupure entre familles nobles et roturières. Les premières choisissent rarement des parrains issus de la notabilité locale, optant pour des individus plus illustres, appartenant à l’élite coloniale, urbaine ou rurale, souvent noble elle aussi. Par contre, les familles roturières, qui ne développent pas non plus fréquemment des liens de compérages parmi les notables locaux, puisent communément les parrains et marraines de leurs enfants au sein des petites gens, principalement des habitants de la seigneurie. Cette apparente dichotomie ne doit pas cacher certains particularismes familiaux. Ainsi, à la Rivière-du-Sud, la famille Couillard fait appel à des parrains de l’élite coloniale deux fois moins fréquemment qu’aux modestes habitants de la localité. À l’opposé, les seigneurs de Saint-François-du-Lac, de la Baie-Saint-Antoine et de Saint-Hyacinthe ont eux aussi recours à des familles appartenant à l’élite laurentienne pour parrainer certains de leurs enfants. D’ailleurs, les seigneurs de Saint-Hyacinthe se rapprochent fortement, par leurs comportements et leur réussite socioéconomique, des familles nobles, comme il nous a été donné de le constater à plusieurs reprises, comme quoi au xixe siècle, la réussite économique est devenue un critère de reconnaissance sociale plus important que la naissance. Pour les deux autres familles seigneuriales, les parrains de l’élite coloniale ne sont pas, généralement, aussi prestigieux que ceux que l’on retrouve dans les familles nobles. Ces nuances sont importantes car s’il est vrai que la frontière entre familles nobles et roturières apparaît indéniable du point de vue des rapports sociaux entretenus, il n’y a pas non plus de barrières immuables. Dans la longue durée, les conditions sociales sont évidemment mouvantes et certaines familles, comme les Crevier de Saint-François, apparentés aux Boucher et aux Delorme, peuvent se situer à mi-chemin entre les deux extrémités que nous évoquons, bien que ceux-ci finissent par se départir de leur seigneurie en 1812 et paraissent difficilement maintenir un statut social différencié par la suite.
49Le choix de parrains illustres ou, à l’opposé, très modestes, ne ment pas sur l’appartenance sociale de la famille seigneuriale. Dès les origines de la seigneurie de Beauport, ses seigneurs bénéficient d’un prestige qui leur permet de doter 63 % de leurs enfants de parrains et de marraines appartenant à l’élite de la colonie. Les seigneurs de Beauport, Giffard, puis Juchereau, indissociables de l’histoire du peuplement colonisateur de la vallée du Saint-Laurent, en dépit d’une réussite partielle dans leur propre fief, furent d’abord des roturiers. Robert Giffard, maître chirurgien, n’est anobli qu’à la fin de sa vie, en 165880. Son gendre Nicolas Juchereau, fondateur de la branche des Juchereau Duchesnay, ne sera anobli qu’après sa contribution à la défense de Québec au moment de l’attaque anglaise de 169081. Cependant, malgré des origines sociales humbles, ces familles se sont distinguées par leur présence pionnière dans la vallée du Saint-Laurent. Robert Giffard s’est installé sur ses terres de Beauport dès 1634, devenant le tout premier seigneur résidant de la colonie. Or, cette situation, confortée par l’anoblissement, fit des seigneurs de Beauport l’une des plus prestigieuses familles de la noblesse coloniale. Nous avons vu que cela s’est manifesté par les mariages contractés par les membres de cette famille, mais les relations de compérage en témoignent tout aussi bien.
50Les quatre derniers enfants de Robert Giffard et de Marie Renouard naissent en Nouvelle-France et leurs parrains comptent parmi les personnages illustres de cette période. Françoise Giffard est baptisée dès l’arrivée de ses parents à Québec, peut-être est-elle née au cours de la traversée. Son parrain n’est nul autre que Samuel de Champlain, fondateur de Québec, qui décédera un an plus tard. Sa marraine est Guillemette Hébert, fille de Louis Hébert et épouse de Guillaume Couillard, les tout premiers notables de la « ville82 ». Ainsi, Robert Giffard, qui n’en était pas à sa première venue à Québec et qui avait obtenu concession de sa seigneurie en janvier à Paris, jouit déjà d’un grand prestige lorsqu’il descend du navire qui le conduit en Nouvelle-France. En 1636, c’est le premier gouverneur en titre de la Nouvelle-France, récemment arrivé, Charles Huault de Montmagny, chevalier de Malte, qui est parrain d’une autre fille, Marie, avec comme marraine Marie Favery, épouse du sieur de Repentigny83. Une troisième fille, Louise, a pour parrain Olivier Letardif, commis général de la Compagnie des Cent-Associés84, et pour marraine l’épouse du parrain, Louise Couillard85. Enfin, en 1645, le dernier né de la famille Giffard et futur seigneur, Joseph, a l’insigne honneur d’avoir pour parrain un autre gouverneur de la Nouvelle-France, Louis d’Ailleboust et son épouse, Barbe de Boulogne, pour marraine86. La tradition de parrains prestigieux se perpétuera chez les seigneurs de Beauport après que la seigneurie eut passé entre les mains de la famille Juchereau, Joseph Giffard n’ayant pas eu d’enfants. Sans entrer dans l’énumération, citons seulement au passage François Viennay-Pachot87, François-Madeleine Ruette d’Auteuil88 ou encore Gabriel-Elzéar Taschereau. Ce dernier, à l’instar de quelques autres parrains observés, qui n’a pu être présent à la cérémonie, est représenté par quelqu’un d’autre, ici Antoine-Narcisse Juchereau, frère de l’enfant89. Cela semble confirmer la volonté de choisir un individu de prestige, son rôle de parent spirituel apparaissant alors occultée au profit de sa notabilité. À ces parrains de prestige, nous pourrions ajouter d’autres grands notables qui sont présents à certains baptêmes, sans pourtant agir comme parrain.
51Sans atteindre un taux aussi élevé de parrains issus de l’élite coloniale, les Boucher de Boucherville, qui comptent un plus grand nombre de parrains de leur propre famille, souvent tout aussi illustres, ont fréquemment pour parrains et marraines d’éminents personnages de l’élite (31 %), montréalaise principalement, en raison de la situation géographique de Boucherville. Parmi ceux-ci, Jeanne Mance, fondatrice de l’Hôtel-Dieu de Montréal90, François-Marie Perrot, gouverneur de Montréal91 ou René-Ovide Hertel de Rouville, grand voyer du district de Montréal92. Cependant, contrairement aux seigneurs de Beauport pour lesquels nous n’avons repéré aucun parrain d’origine modeste, les Boucher confient parfois ce rôle à des habitants de Boucherville, attitude pour le moins étonnante de la part d’une famille aussi prestigieuse. Tel est le cas en 1673 lorsque Marie Martin, « femme de Christophe Febrier » est marraine de Jacques Boucher. La seigneuresse Jeanne Crevier a mis au monde des jumeaux, ce qui explique peut-être ce choix, d’autant plus que l’autre jumeau a pour parrain le sieur de Repentigny et pour marraine la fille du marchand montréalais Jacques Leber, lui-même parrain de Jacques93. La surprise causée par la naissance de deux enfants nécessita peut-être de trouver rapidement une marraine… Et que dire du baptême, célébré à Montréal, en 1731, du fils de Pierre Boucher III et Marguerite Raimbault, dont le bedeau Simon Mongino et la sage-femme Louise Fortier furent parrain et marraine94 ?
52La situation est fort différente chez les familles seigneuriales de L’Isle-Verte, Trois-Pistoles ou Grondines, par exemple, alors que les parrains et marraines illustres cèdent la place aux habitants de la seigneurie. Disons d’ailleurs que les rares parrains que nous avons classés comme étant de l’élite coloniale sont, dans ces cas-ci, limités aux familles seigneuriales « voisines ». Nicolas Rivard et Madeleine Gauthier, habitants de Grondines, sont en 1765, parents spirituels de Augustin-Ferdinand Hamelin95 ; Hilaire et Mérence Ouellet parrainent, en 1836, le dernier-né dans la famille du seigneur Barthélemy Côté96 ; Éloi Lavoie et Flavie Roydit Voisine sont choisis pour parrainer Marie-Élise Rioux97. Ces couples ont en commun de n’avoir aucune autre « qualité » que celle d’habitant.
53En dehors du cercle étroit de la famille, qui regroupe une large partie des parrains seigneuriaux comme des parrains des membres de la famille seigneuriale, il s’est avéré que les rapports sociaux établis dans le contexte du compérage furent rarement l’occasion d’amitiés seigneurs/censitaires. Certes, la famille seigneuriale, eu égard à sa position sociale privilégiée, est occasionnellement appelée à parrainer des habitants de la seigneurie, pratique qui s’estompe cependant dès la fin du xviiie siècle. Par ailleurs, la situation inverse est pratiquement absente, du moins chez les familles qui ont réussi à atteindre un mode de vie véritablement seigneurial. Pour d’autres, le fait de parrainer des enfants de censitaires, comme le fait de choisir ceux-ci pour parrainer leurs enfants, illustre davantage une incapacité à quitter le milieu originel de la famille, en dépit d’un statut seigneurial, parfois précaire d’ailleurs. Dans un cas comme dans l’autre, malgré l’esprit paternaliste qui dut prévaloir chez les familles seigneuriales nobles au moment de parrainer un enfant, ces rapports témoignent en faveur de rapports positifs plutôt que pour la situation inverse. Un autre moment de sociabilité nous permet de poursuivre cette analyse des relations sociales « amicales ». Du baptême, notre regard se porte sur le mariage.
Le temps des noces : amitiés festives
54En détaillant la liste des personnes présentes, les contrats de mariage offrent un portrait incomparable de la sociabilité des individus et de leurs réseaux de parenté et d’amitié. Moment privilégié qui marquait l’engagement d’un couple nouveau que le mariage venait officialiser, le contrat de mariage constituait, dans l’ancienne société, un moment de célébration. L’événement n’était pas de l’ordre du privé, comme il peut l’être de nos jours, au contraire on y conviait des invités, comme en témoignent les actes rédigés à cette occasion. Dans la France d’Ancien Régime, les personnes présentes au contrat de mariage sont souvent différentes selon qu’il s’agit d’un contrat passé à la ville ou à la campagne. Les contrats de mariages villageois se caractérisent plus souvent par la présence de la parenté, alors qu’à la ville, on retrouve plus souvent voisins et amis98. Nous verrons ce que révèlent les contrats de mariage, à propos des réseaux de sociabilité, dans le contexte particulier des familles seigneuriales résidantes.
55Nous avons pu utiliser 101 contrats de mariages passés par les membres des dix familles seigneuriales résidantes, soit 49 % des unions contractées (sur les 208 mariages)99. Certains contrats (15) n’ont pu être retrouvés, ce qui porte au minimum à 116 (56 %) le nombre de contrats passés. Plusieurs travaux ont montré l’aspect fort démocratique du contrat de mariage dans la vallée du Saint-Laurent préindustrielle. Dans sa thèse portant sur les mariages à Neuville, Geneviève Postolec a constaté que près de 70 % des couples mariés avaient passé un contrat de mariage100. De son côté, Louis Lavallée, pour la seigneurie de La Prairie, a répertorié 507 contrats sur les 558 mariages contractés dans les trois paroisses de la seigneurie entre 1647 et 1759, soit une imposante proportion de 90,9 %. Cependant, il a constaté un écart entre le xviiie siècle, où on observe une concordance presque parfaite entre les actes civils et religieux (95,4 %), et le xviie siècle où seulement 41,7 % des habitants de cette seigneurie passèrent un contrat de mariage101. L’étude des Filles du roi menée par Yves Landry a permis de révéler aussi une forte propension à passer un contrat de mariage puisque 739 des 955 Filles du roi, soit 77,4 %, eurent recours au service d’un tabellion au moment de leur mariage102. Nous avions obtenu un résultat assez semblable à ces statistiques en étudiant les filles et fils de roturiers devenus seigneurs sous le Régime français, soit une proportion de contrats de mariage s’élevant à 67,6 %103. La répartition des contrats de mariage disponibles parmi les différentes familles du groupe étudié, entre le xviie et le xixe siècle104, permet toutefois d’observer la situation, d’autant plus que l’objectif ici n’est pas d’offrir une analyse sérielle, mais plutôt de comprendre des réalités familiales.
56Les contrats de mariage des enfants de seigneurs résidants ne sont pas nécessairement rédigés dans la seigneurie familiale. Puisque les conjoints sont souvent originaires d’une seigneurie voisine, voire d’une paroisse ou d’une ville plus éloignée, c’est parfois dans ces endroits que le contrat était signé. De plus, la disponibilité et le lieu d’exercice du notaire constituaient un impératif non sans impact sur l’endroit où l’on signait le contrat. Parmi les contrats analysés, 51, soit la moitié, ne sont pas signés dans la seigneurie où réside la famille. Le plus souvent (37/51), il s’agit de fils de seigneur qui prennent épouse hors de leur localité d’origine, mais pas exclusivement. Les autres alliances sont contractées dans la seigneurie de la famille, souvent dans la maison ou manoir seigneurial, parfois dans celle du conjoint, ou encore dans l’étude du notaire. Ce premier élément influencera déjà la composition des invités à cet événement. En effet, lorsque la signature du contrat de mariage (et il en est de même pour le mariage en soi) se déroule dans une autre localité, surtout s’il s’agit d’un endroit assez éloigné, la famille et les amis issus de la paroisse du conjoint « étranger » risquent d’être présents en moins grand nombre. Par exemple, en 1820, Zacharie Côté, né du second mariage du seigneurde L’Isle-Verte, épouse Anne-Élisabeth Lavoie à Rimouski. Le notaire indique à l’acte la présence de sept parents et amis de la future épouse, mais un seul pour le futur époux, son ami Louis-Hector Ross105. Pas un membre de sa famille, encore moins un notable de sa paroisse d’origine. Par ailleurs, lorsque le contrat est passé en ville, les deux parties bénéficient fréquemment de la présence d’invités prestigieux, témoignant alors de l’estime dans laquelle on les tient.
Des amitiés révélatrices d’un statut
57Le nombre de personnes présentes à la signature d’un contrat, s’il constitue de toute évidence un indice de l’importance des familles, ne peut à lui seul permettre de tirer de conclusions éclairées. Le notaire distingue presque systématiquement les personnes présentes selon qu’il s’agit de parents et amis de la future épouse ou du futur époux. De rares contrats omettent cette précision ou encore affirment que ce sont des « amis communs des deux parties ». Le nombre de parents et amis est variable selon la taille de la famille, le rang dans la fratrie de l’un et l’autre conjoint, leurs âges respectifs, le statut de célibataire ou de veuf des époux ou encore le stade de développement de la localité (densément peuplé ou non). Ainsi, les futurs époux n’ont parfois qu’un seul témoin, tandis que d’autres en ont plusieurs dizaines106. Enfin, bien que nous imaginons que la classification par le notaire entre amis de l’époux et amis de l’épouse puisse parfois laisser place à interprétation (il existe certainement des cas où les personnes présentes sont amis des deux familles), nous avons porté une attention plus spécifique à ceux qui sont désignés comme amis de la famille seigneuriale.
58Tout comme les parrains et marraines sont largement puisés au sein de la famille, celle-ci constitue la première strate des invités au moment de la signature d’un contrat de mariage. Quel que soit le statut social des parties en présence, la famille est habituellement bien représentée. Évidemment, des amis (des époux ou de leurs parents) sont présents ; ce sont ces derniers que nous avons surtout cherché à connaître. L’honorabilité plus ou moins grande d’une famille est généralement révélée par la présence d’amis ou de connaissances, dévoilant son milieu socioéconomique et socioprofessionnel.
59À dix jours de Noël, en 1734, les familles Rioux et Lepage sont réunies « en la maison seigneuriale des Trois-Pistoles107 » pour la signature du contrat de mariage de Catherine Rioux, fille du seigneur Nicolas Rioux, avec Paul Lepage de la Mollais, fils du défunt seigneur René Lepage de Rimouski, lui-même co-seigneur. La famille Lepage s’est déplacée pour l’événement. La veuve du seigneur de Rimouski, Marie-Madeleine Gagnon est présente, ainsi que ses fils Pierre, le seigneur en titre, René et Nicolas, sa fille Marie-Anne et sa petite-fille Reine. Du côté des Rioux, sont présents bien entendu le seigneur et son épouse, parents de la future mariée, Vincent et Pierre Rioux, ses oncles, ainsi que Nicolas, Louise et Marie-Madeleine Rioux, ses frère et sœurs. Un seul individu n’appartient pas à la famille, François Boucher, résidant de Trois-Pistoles. C’est le frère Ambroise Rouillard108, récollet missionnaire de passage dans la région, qui rédige l’acte qui sera déposé par l’époux au greffe du notaire Boisseau, à Québec, en octobre de l’année suivante. Pour vingt-huit des contrats observés, la famille, parfois élargie, est seule présente au moment de la signature du contrat. Il s’agit souvent des unions à l’intérieur des familles seigneuriales plus modestes et parfois isolées, comme dans le cas que nous venons d’évoquer, mais pas exclusivement. Même les familles nobles n’ont, à certaines occasions, aucun invité hors du cercle étroit de la parenté, quoi que celle-ci fût elle-même fort honorable. Cependant, ce ne sont pas ces contrats qui offrent, pour les familles nobles, les meilleures illustrations des réseaux de sociabilité.
60Aux frères, sœurs, cousins, oncles ou tantes s’ajoutent parfois quelques amis issus de la communauté, sans être pour autant considérés comme des notables locaux. À la Baie-Saint-Antoine, en 1734, alors que les familles Lefebvre et Provancher sont réunies pour la signature du contrat de mariage de Marie-Madeleine et Simon, dans la maison du sieur Lefebvre, on remarque la présence, outre les membres des deux familles, de Joseph Caya et Gabriel Robidas. Ces derniers sont des habitants de la seigneurie. On ne sait si leurs épouses sont aussi présentes, mais le notaire n’a pas pris soin de l’indiquer109. Un siècle plus tard, à L’Isle-Verte, Geneviève Côté qui s’apprête à épouser Théodore Marquis, n’est entourée, en dehors de sa famille, que d’une amie, Marcelline Côté, dont la parenté est sans doute très lointaine puisqu’on n’en fait pas mention110. Situation similaire pour son frère Jean-Baptiste Côté V, en 1846, dont l’ » ami » Paschal Côté est le seul présent, en dehors de ses proches parents, à la signature de son contrat de mariage avec Adèle McClure. Force est de constater que pour les familles seigneuriales roturières résidantes, lorsque le contrat de mariage ne donne pas lieu à la venue d’invités prestigieux, il n’est pas non plus l’occasion de réjouissances avec les habitants des lieux, la famille occupant toute la place. Il ne faut pas sous-estimer la possibilité que les notaires ne se soient pas donné la peine de faire mention de certains invités, surtout si ceux-ci ne savaient pas signer et n’avaient pas le loisir de revendiquer un rôle actif dans cet événement. Néanmoins, la capacité à signer ne constituait pas une condition sine qua non pour être mentionné à l’acte en tant que personne présente. En comparant les individus mentionnés à ceux ayant signé au bas des documents notariés, on s’aperçoit que très souvent, c’est une minorité des témoins qui apposent leur nom aux contrats de mariage. Les invités sont généralement, en ce qui concerne l’alphabétisation, à l’image de la famille seigneuriale qui les a conviés111. À Trois-Pistoles, L’Isle-Verte ou Grondines, par exemple, rares sont les parents et amis dont il est fait mention qui signent ; à l’opposé, les invités des seigneurs de Beauport et de Boucherville savent toujours signer, rivalisant par la finesse de leurs paraphes.
61Le niveau suivant est celui des invités qui appartiennent à la notabilité locale ou régionale. Il est vrai que l’élite locale partage parfois ce moment de célébration avec la famille du seigneur. Cette notabilité se confond souvent avec la famille elle-même, comme Charles Fafard de Joinville, capitaine de milice à l’île Dupas, dont on décline la fonction, mais qui est aussi l’oncle de la future épouse, Marie-Angélique Crevier, à Saint-François-du-Lac, en 1750112. Les rapports entre la famille seigneuriale et les notables locaux non apparentés sont quand même attestés par les contrats de mariage. Le curé occupe une place privilégiée à titre d’invité de la famille seigneuriale. Nobles comme roturiers comptent occasionnellement le prêtre parmi eux. L’abbé Prosper Gagnon, l’un des premiers prêtres résidant de Trois-Pistoles, est présent au manoir seigneurial, en 1814, lorsque Rosalie Rioux, fille aînée du seigneur Joseph Rioux, signe son contrat de mariage avec son cousin Célestin Rioux, cautionnant ainsi cette union consanguine qu’il célébrera sous peu avec l’assentiment de l’évêque113. De même, à la Rivière-du-Sud, lorsque les contrats de mariage de la famille Couillard y sont passés, le curé est souvent présent, tel l’abbé François Richard (1716, 1719, 1721)114ou l’abbé Jacques Le Sieur (1729)115. La famille seigneuriale de Boucherville invite également fréquemment le curé de la paroisse, tandis que de son côté, au contraire, les seigneurs de Beauport ne comptèrent le curé qu’une seule fois parmi leurs invités, c’était en 1750 en la personne de l’abbé Louis Chardon116. Les Juchereau Duchesnay ne se mélangent d’ailleurs à peu près jamais à la population de leur seigneurie lors d’événements familiaux, les contrats de mariage confirment ce que nous avaient appris les baptêmes à ce sujet. L’attitude de la seigneuresse Marie-Catherine Peuvret qui craignait de voir son fils Antoine épouser la fille d’un habitant et ces divers indicateurs des relations sociales de la famille seigneuriale beauportoise démontrent qu’une frontière socioculturelle bien réelle existait entre celle-ci et la population locale, notables ou paysans. C’est vers la ville de Québec, toute proche, et ses élites, que se tournait la vie sociale des seigneurs de Beauport. Néanmoins, il arrivait que la famille seigneuriale accepte de s’afficher avec certains des habitants, pris individuellement. L’exemple du jeune Louis Lamothe, domestique de Marie-Catherine Peuvret et plus tard meunier de la seigneurie, qui passa son contrat de mariage au manoir seigneurial, en présence de toute la famille Juchereau, démontre bien que la seigneuresse l’avait pris sous son aile et qu’elle dut porter à cet orphelin une certaine affection. Sans parler d’amitié, on doit nécessairement y voir un rapport harmonieux qui diffère des images que nous renvoient les procédures judiciaires par lesquelles on ne peut que connaître les rapports conflictuels de la veuve Duchesnay117.
62Les Boucher de Boucherville entretiennent avec les notables de la ville de Montréal une relation semblable à celle des Juchereau à l’élite de Québec. Cependant, la famille Boucher développe à l’occasion des liens avec les habitants et les notables locaux dont attestent des alliances matrimoniales, des baptêmes d’enfants et la présence de notables aux contrats des membres de la famille. Le jour où est signé le contrat de mariage de Claire-Françoise Boucher et de Jean-Baptiste Pommereau, en 1736, parmi les nombreux invités présents, signalons, comme « amis » de la famille Boucher : le maître apothicaire Claude Saint-Holier, le curé de Longueuil d’Ysambert, le notaire Tailhandier et deux marchands du bourg de Boucherville, François Gareau et Pierre Bergeron118. De telles situations se produisent aussi dans les seigneuries de la Rivière-du-Sud, de Saint-Françoisdu-Lac ou encore de Saint-Hyacinthe, liant certains notables locaux à la famille seigneuriale.
63À nouveau, les seigneuries de Trois-Pistoles et de L’Isle-Verte apparaissent un peu en retrait. Au xixe siècle, alors qu’une notabilité locale s’est petit à petit mise en place, les familles Rioux et Côté ne semblent pas développer avec elle de relations particulières. On ne rencontre pas les principaux notables de ces localités dans les contrats de mariage des membres de la famille seigneuriale, sauf exceptionnellement et, alors, le notaire souligne qu’il s’agit d’amis de l’autre partie en présence. En 1834, lorsque le notaire Pierre Fournier épouse la sœur cadette du seigneur Éloi Rioux, on note la présence, en tant que parents et amis du futur époux, de Félix Têtu et Philippe Renouf, principaux marchands de Trois-Pistoles119. Par contre, ceux-ci ne sont jamais mentionnés dans les autres contrats de mariage de la famille, pas même dans celui du seigneur Éloi qui se mariera plusieurs années plus tard. Est-ce le signe de relations tendues, d’une simple indifférence entre principaux notables d’une petite communauté ? Dans la seigneurie voisine, les seigneurs Côté ne semblent pas non plus inviter le principal notable des lieux, Louis Bertrand, à célébrer avec eux. Celui-ci a pourtant acquis par un bail, dès 1819, la jouissance des droits seigneuriaux… Parmi les huit contrats de mariages des membres de la famille Côté qui eurent lieu après la venue du sieur Bertrand à L’Isle-Verte, un seul en fait mention. Il s’agit de l’union entre Marie-Rosalie Côté et le menuisier Jean-Baptiste Richard, dont le marchand et officier de milice Louis Bertrand est présenté comme un ami, non pas celui de la famille seigneuriale, mais celui de l’époux, un menuisier de la localité. De tels indices laissent supposer que l’accaparement des charges honorifiques et économiques locales, puis de la seigneurie même, par le sieur Bertrand, fut vécu douloureusement par les Côté120.
64Les familles seigneuriales environnantes comptent souvent parmi les invités révélés par les contrats de mariage. À cet égard, exception faite des seigneurs de Beauport, entourés de toutes parts de seigneuries appartenant au clergé, toutes les familles semblent avoir développé des rapports de voisinage avec les seigneurs des fiefs limitrophes. Les relations, se manifestant par un échange de conjoints, entre les familles seigneuriales de Trois-Pistoles, L’Isle-Verte et Rimouski, ont déjà été abordées. Encore faut-il, dans ce cas précis, prendre garde d’en déduire trop hâtivement la recherche de rapports sociaux homogamiques puisque, pendant quelques décennies, ce sont aussi pratiquement les plus proches voisins. Ailleurs, les Crevier de Saint-François fréquentent les seigneurs de Champlain ; ceux de Grondines leurs voisins Chavigny de la Chevrotière à l’est et Lanaudière de La Pérade à l’ouest ; les Boucher et les Hertel de Chambly s’affichent ensemble, alors que les Couillard sont liés avec les modestes seigneurs Bélanger à L’Islet, Vincelotte de Cap-Saint-Ignace et bien sûr leurs cousins Couillard de Beaumont. Entre ces diverses familles seigneuriales, fréquemment apparentées par les ramifications d’alliances multiples et dont les hommes ont souvent en commun une carrière d’officier dans les troupes de la Marine, la sociabilité se manifeste à nouveau au moment des contrats de mariage.
65Finalement, pour quelques-unes des familles seigneuriales résidantes, la sociabilité se développe bien au-delà de la communauté locale ou de la région immédiate. Tournées vers la ville et l’élite coloniale, les familles seigneuriales de Beauport et Boucherville le sont incontestablement. Quant aux Couillard de la Rivière-du-Sud, leur situation est moins tranchée et les contrats de mariage nous présentent des niveaux de sociabilité bien différents selon qu’il s’agisse d’un conjoint issu d’une petite famille seigneuriale locale, voire du monde paysan, ou encore d’une illustre famille de la noblesse coloniale telle que les Chaussegros de Léry. Le jour où Jean-Baptiste Couillard II et Marie-Angélique Chaussegros de Léry contractent mariage, ils sont effectivement bien entourés. Nous sommes en juillet 1784, à la haute ville de Québec, en l’hôtel particulier de Gaspard Chaussegros de Léry. Si le gouverneur Frédérick Haldimand et l’évêque Olier ont signé l’acte dans leur résidence respective, presque toutes les grandes familles de la colonie se sont déplacées, tant l’ancienne élite nobiliaire française (Saint-Ours, Juchereau, Longueuil…) que la nouvelle élite marchande et administrative britannique (Adam Mabane, Thomas Dunn, William Grant…)121. On est bien loin alors des invités au contrat de mariage de son oncle Jacques Couillard qui, alors qu’il épousait la fille d’un lieutenant de milice de la Rivière-du-Sud, avait dû se contenter de sa propre famille et, comme représentant le plus illustre, d’un capitaine de navire et bourgeois de Québec122…
66À Beauport et à Boucherville, on compte habituellement la présence du gouverneur ou de l’intendant lors des contrats de mariage, parfois les deux. Au moment de signer son contrat de mariage avec Michelle-Thérèse Nau, en 1663, le fils cadet de Robert Giffard, Joseph, avait à ses côtés le nouveau gouverneur, Augustin Safray de Mézy et l’évêque François de Laval pour ne citer qu’eux. Quelque trente ans plus tard, Lambert Boucher, fils du seigneur de Boucherville, signe son contrat de mariage avec Marguerite Blazon de Vauvril en présence du comte de Frontenac, gouverneur de la Nouvelle-France, de l’intendant Bochart de Champigny et de nombreux autres prestigieux « amis communs des deux parties123 ». Au milieu du siècle suivant, apparemment satisfaite du « choix » de son fils, la seigneuresse Marie-Catherine Peuvret reçoit au manoir de Beauport une pléiade d’invités qu’elle n’aurait sans doute pas regroupés si son fils s’était « entêté » à épouser la fille du jumeau Parent… En effet, on compte, entre autres, le gouverneur Charles de Beauharnois, le procureur général François-Madeleine Ruette d’Auteuil, l’ingénieur du roi Gaspard Chaussegros de Léry et le gouverneur des Trois-Rivières, Pierre Rigaud de Vaudreuil124.
67Bref, si certains notables locaux, tel le curé, le capitaine de milice ou des marchands ruraux, sont assez souvent invités à assister à la signature des contrats de mariage des enfants des seigneurs résidants, ceux-ci ne constituent pas pour autant les convives les plus fréquents. De leur côté, les habitants plus modestes des seigneuries sont très rarement partie prenante à ces manifestations de sociabilité. Les familles seigneuriales les plus humbles se contentent fréquemment de la parenté, tandis que celles qui ont réussi à se hisser au sein de la notabilité coloniale en font la démonstration en conviant d’illustres invités.
Les traces d’une seigneurie festive
68Les contrats de mariage, tout en présentant clairement les attitudes différenciées des familles seigneuriales nobles ou roturières en regard de la population locale, n’apportent que de minces indices en ce qui concerne de véritables relations cordiales avec les habitants. D’autres manifestations festives, intégrant davantage la communauté, pourraient permettre de constater des moments de sociabilité privilégiés entre la famille seigneuriale et les censitaires. Malheureusement, bien que l’on connaisse l’existence de ces fêtes, rares sont les sources qui en témoignent, sauf lorsque la fête tourne mal… Sur cette seigneurie festive (réjouissances populaires entourant par exemple la plantation du mai, la Saint-Jean-Baptiste, les fêtes patronales ou qui sait peut-être même les jours de corvées ou la Saint-Martin d’hiver, moment du paiement des cens et rentes seigneuriales) les sources nous éclairent rarement.
69Le hasard des documents permet néanmoins occasionnellement d’entrevoir des rapports harmonieux qui évoquent davantage les Mémoires d’Aubert de Gaspé que les conflits connus grâce aux archives judiciaires. Ainsi, la lecture d’une procédure en séparation de biens et de corps, entre le seigneur Antoine Juchereau et sa seconde épouse, Catherine Dupré, en 1795125, révèle des indices affirmant la bonne entente entre le seigneur de Beauport et ses censitaires. Dans sa déclaration, Catherine Dupré évoque la fête qui se déroule le 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge, patronne de la paroisse. La seigneuresse mentionne ces festivités puisqu’elle accuse son mari de l’avoir maltraitée à cette occasion, alors qu’elle se trouvait enceinte de six mois. Elle ajoute, pour bien appuyer son malheur, que ce « même jour était pour les habitants de cette paroisse un jour de joie et de plaisir » pendant lequel le seigneur se serait conduit, en public, avec le plus grand raffinement. On saisit donc, à travers un discours destiné à tout autre chose que de raconter des réjouissances, que la famille seigneuriale prend part à cette fête dont le déroulement demeure mystérieux. Plus loin, dans la même déclaration, elle raconte avoir été contrainte de se réfugier dans la demeure de censitaires voisins du domaine seigneurial,
« […] qui par le plus grand bonheur se trouva être celle d’un honnête homme et ancien tenancier de son dit mari avec les ancêtres desquels le père126 de son mari était intime et familier ; dont les enfants avaient été élevés avec son dit mari lui même ; dont la brüe avait demeuré cinq ans chez son dit mari et dont toute la famille était jusqu’à ce moment regardée par son dit mari sur un pied respectable et dont enfin il avait reçu et recevait des services sans rémunération dans des cas de maladie127 ».
70Ces deux extraits de la procédure de séparation du couple seigneurial, en 1795, permettent de déceler des témoignages de rapports cordiaux entre la famille seigneuriale résidante et les habitants. Sans conclure à des relations amicales de ces seules affirmations, il n’en demeure pas moins que la piste d’une sociabilité harmonieuse doit être plus sérieusement étudiée, notamment par l’intermédiaire des sources littéraires évoquant les festivités populaires dans le monde rural canadien. La plantation du mai, par exemple, constitue une reconnaissance de l’autorité du seigneur et n’est pas une obligation formelle, mais bien une occasion de réjouissances dans la collectivité. La haine pour un seigneur aurait-elle été conciliable avec une telle cérémonie ?
Le dernier hommage : la sociabilité funéraire
71Le tout dernier témoignage des amitiés seigneuriales est celui, posthume, des personnes signant l’acte de sépulture, donc présentes aux funérailles. Nous avons cependant constaté que les signatures à l’acte de sépulture ne sont pas aussi riches en enseignement. La situation est bien différente des baptêmes et mariages qui constituent des moments de fête, de célébration. Au moment de porter en terre un seigneur ou un membre de sa famille, la célébration peut laisser place à la manifestation d’un deuil collectif, mais nous ne pouvons en connaître l’ampleur en l’absence de témoignages sur le nombre de personnes venues se recueillir. S’il arrive que le prêtre fasse mention des principaux notables venus témoigner leur sympathie à la famille éplorée, il porte un jugement sur la qualité des individus présents et ne fera vraisemblablement pas mention de modestes habitants du lieu. Aussi, le prêtre risque d’être silencieux à propos de la présence des notables de la communauté lorsque d’importantes figures politiques, par exemple, se sont déplacées pour rendre un dernier hommage au défunt. En témoigne cet extrait de l’acte de sépulture du seigneur de Beauport Antoine-Louis Juchereau Duchesnay, le 22 février 1825 :
« A été inhumé dans l’église de cette paroisse en partie sous le banc seigneurial le corps de l’honorable Antoine Louis Juchereau Duchesnay seigneur de Beauport et autres lieux, membre du conseil législatif et exécutif de cette province, lieutenant colonel commandant la division de la milice du dit Beauport, commissaire de transport à Québec époux légitime de dame Louise Fleury de la Gorgendière décédé le dix-sept du courant sur les dix heures du matin dans son manoir seigneurial de Beauport, âgé de cinquante huit ans. Furent présents les honorables juges John Richardson, Louis René Chaussegros de Léry, H. W. Ryland, le juge Caldwell, William B. Coltman, Olivier Fleury de la Gorgendière, Charles Taschereau, Édouard Juchereau de St-Denis, Charles Etienne Chaussegros de Léry, Charles Joseph de Léry fils, William de Léry, Charles Frémont, Louis Montizambert, le major Winnett, Jean Thomas Taschereau, le lieutenant colonel Vassal de Monviel écuyer, messire Pierre Grenier, curé du dit lieu et plusieurs autres parents et amis128. »
72À l’exception du curé Grenier et du sieur Montizambert, aucun de ces individus ne réside à Beauport. Il y a cependant fort à parier que l’église du lieu était remplie d’habitants et de notables locaux.
73Avant de quitter les rapports harmonieux pour le monde des conflits, un dernier élément nous a paru révélateur de l’aspect bénéfique de la présence seigneuriale, à savoir son apport tangible à l’édification de la communauté.
Des seigneurs bienfaiteurs ?
74Le rôle de « bienfaiteur » du seigneur résidant est à mettre en étroite relation avec celui de colonisateur, de pionnier de la localité. En abordant cette question, il est risqué de basculer du côté de l’ancienne vision d’un seigneur bienveillant à l’égard de ses censitaires, agissant en bon père de famille. Telle n’est pas notre intention. Néanmoins, puisque la présence seigneuriale, dans presque toutes les seigneuries étudiées, est antérieure ou simultanée au peuplement, s’ils n’ont pas nécessairement tenu eux-mêmes la charrue, comme se plaisaient à le dire les historiens d’antan, ils jouèrent un rôle réel et parfois personnel dans la mise en place de la communauté. Sans voir en eux ni des pauvres défricheurs ni des philanthropes accomplis, il y a tout de même lieu de porter un regard sur leurs actions de « fondateurs ».
75Avec l’image du seigneur laboureur, celle du bon seigneur qui vient en aide aux pauvres colons fait partie de ces « images d’Épinal » de l’historiographie du régime seigneurial au Québec. Si certains seigneurs purent effectivement venir en aide à leurs censitaires, ne perdons pas de vue qu’au même moment, ils pouvaient très bien entreprendre des poursuites judiciaires envers d’autres pour les arrérages de cens et rentes. Ce paradoxe accompagne la lecture des Mémoires de Philippe Aubert de Gaspé lorsqu’il écrit ces lignes :
« Madame Dessaules, sœur de l’honorable Louis-Joseph Papineau […] dame si généreuse et si respectable sous tous rapports. C’est une couronne de vertu ajoutée à tant d’autres que cette femme si distinguée a emportée au ciel, où elle a reçu la récompense de toutes les œuvres de bienfaisance et de charité qui ont illustré son129 nom. »
76Cette charité qui distinguait, selon ses contemporains, la seigneuresse de Saint-Hyacinthe se heurte aux propos de la première intéressée qui reconnaît que « les deux tiers des censitaires […] ne veulent point payer en arrière sur les intérêts échus [nécessitant] des procès à soutenir […] contre les censitaires qui refusent de payer130 ». Or, plutôt que de rechercher de tels témoignages, trop faciles à contredire, nous avons cherché des indicateurs d’actions concrètes.
L’action des seigneurs fondateurs
77Il y a d’abord lieu de dire que, peu importe l’attitude favorable du seigneur envers ses premiers censitaires, ces « bonnes actions » conduisent à moyen terme, à l’établissement d’une population, condition essentielle pour espérer tirer revenus et prestige de la seigneurie. Les premières étapes du développement seigneurial constituent des investissements, dont l’érection du moulin à farine n’est pas le moindre, qui seront éventuellement rentables. Mais, dans la phase d’implantation, le seigneur peut difficilement escompter des profits. Cette situation explique l’absentéisme largement répandu parmi les seigneurs laurentiens et les plaintes nombreuses envers les seigneurs négligents. Or, ceux qui choisirent de prendre résidence sur leurs fiefs eurent l’occasion d’entrer en contact directement avec les défricheurs des lieux. À cette époque, on peut difficilement voir en eux des entrepreneurs. Si Robert Giffard a longtemps été présenté comme l’ » entrepreneur seigneurial » par excellence, on sait maintenant qu’il n’a pas connu un grand succès dans sa propre seigneurie131. Ailleurs, où la famille seigneuriale résidante s’avère, dans un premier temps, incapable d’attirer des colons, la situation est encore plus flagrante. Boucherville et Saint-Hyacinthe font presque figure d’exception. Dans le cas de Boucherville, on sait que le premier seigneur souhaitait établir une seigneurie modèle dans le cadre d’une communauté pieuse et laborieuse132. Il semble avoir réussi si l’on en croit les témoignages de ses contemporains : « Il y a celle [la famille] de Bouché qui mérite assurément de la distinction […] la seigneurie est une des plus belles de ce pays133 », écrit le gouverneur Denonville en septembre 1686, environ vingt ans après que Pierre Boucher et sa famille eussent pris résidence dans leur fief de Boucherville. Quant aux seigneurs de Saint-Hyacinthe, ils prirent possession de ce vaste domaine à la toute fin du Régime français, à un moment où la marche du peuplement a rejoint cette zone agricole des plus fertiles, favorisant la mise en place accélérée d’une population considérable.
78La construction du « manoir » était sans doute la première préoccupation de la famille seigneuriale qui souhaitait s’installer sur ses terres. Dès 1634, alors qu’il prend possession de sa seigneurie, Robert Giffard fait ériger par Zacharie Cloutier et Jean Guyon, les deux maîtres de métiers originaires de Mortagne, venus avec lui, un manoir près de la rivière Beauport, à l’extrémité occidentale de son fief. Pour les premiers habitants des seigneuries où vivait la famille seigneuriale, le manoir a dû servir de premier toit, comme pour Cloutier et Guyon, jusqu’à ce qu’ils érigent leur propre maison et y fassent venir femmes et enfants134. Une telle cohabitation n’est pas une garantie de rapports amicaux, en témoignent les conflits qui opposèrent Giffard à Cloutier et Guyon et qui seront abordés plus loin. Qui plus est, ces premiers habitants sont parfois des engagés du seigneur qui, logiquement et conformément au contrat entre les deux parties, offre un logis.
79Le manoir constitue souvent le premier lieu de culte dans la seigneurie, avant la construction d’une chapelle et bien avant l’érection d’une paroisse. Les prêtres missionnaires qui parcourent les territoires laurentiens colonisés célèbrent les offices religieux dans la maison du seigneur, ce qui signifie que les habitants de la localité y viennent et y côtoient le maître des lieux et sa famille. On peut imaginer, malgré une reconnaissance du statut distinctif du seigneur, des rapports assez souples en comparaison de la rigoureuse hiérarchie d’Ancien Régime, plus encore lorsqu’il s’agit d’une famille seigneuriale roturière. Par ailleurs, nous croyons que contrairement à la situation française où les « nouveaux seigneurs » de modeste condition étaient souvent mal acceptés par les communautés rurales anciennes, le fait que les seigneurs roturiers laurentiens aient été à l’origine de nouvelles localités peut avoir inversé la perception des habitants à leur égard135. Dans ces manoirs transformés en lieux de culte pour les besoins de la population, les premiers mariages sont aussi célébrés. Plusieurs mariages des décennies 1630 à 1650, inscrits aux registres de Notre-Dame de Québec, alors la seule paroisse de la colonie, mentionnent que la célébration eut lieu au manoir seigneurial de Beauport. Toussaint Giroux, tisserand, originaire de Réveillon, hameau près de Mortagne, dans le Perche, épouse au manoir de Beauport, en 1654, Marie Godard ; le seigneur leur sert de témoin136. Les époux avaient tous deux servi comme engagés chez le sieur Giffard où ils habitent encore au jour de leurs noces ; d’ailleurs leurs trois premiers enfants naissent au manoir seigneurial137. À la même époque, un autre censitaire de Beauport, Pierre Marcoux, et Marthe de Rainville, issue d’une autre famille pionnière de la seigneurie, célèbrent eux aussi leur mariage chez le seigneur Giffard138.
80Nonobstant cette fonction religieuse primitive du manoir, la construction d’une chapelle constitue également une priorité dans le territoire seigneurial. À ce titre, la famille seigneuriale, pérennisant une tradition ancienne, donnait le terrain à la fabrique pour l’érection de l’église, déterminant ainsi l’emplacement du futur noyau villageois :
« Celui qui avait fondé, bâti ou doté une église ou une chapelle avait droit de patronage, il présentait ou nommait le curé ou le chapelain qui serait ensuite institué par l’évêque. Les prééminences donnaient au seigneur la possibilité d’intervenir dans la vie de la paroisse. D’autre part, des seigneurs disposaient d’une chapelle castrale139… »
81Jean Gallet insiste sur le maintien de cette coutume médiévale dans la France moderne. En Nouvelle-France, les seigneurs fondateurs d’églises ne détenaient aucun droit sur la désignation du clergé local. Par ailleurs, leur contribution à la fondation de la paroisse n’était pas sans leur donner certains privilèges honorifiques. Non contents d’être inhumés sous le banc seigneurial, privilège usuel du seigneur, ceux qui avaient « fondé » l’église paroissiale, en donnant le terrain, pouvaient être ensevelis sous le chœur, partie la plus prestigieuse dans la hiérarchie des emplacements d’inhumation sous l’église. Il ne semble cependant pas que cette pratique ait été généralisée puisque même Pierre Boucher, premier seigneur de Boucherville et son épouse, Jeanne Crevier, fondateurs de la première église Sainte-Famille, furent inhumés sous le banc seigneurial et non sous le chœur, privilège qui semble réservé aux ecclésiastiques140. D’autres reconnaissances symboliques du rôle de la famille seigneuriale dans le développement physique de la paroisse se manifestaient occasionnellement. À titre d’exemple de ces reconnaissances, à l’été 1784, la nouvelle cloche de l’église de Saint-Hyacinthe est baptisée. Elle reçoit pour noms « Marie Anne Hyacinthe Françoise » et a pour marraine « Dame Marie Anne Deschenaux Crevier, veuve Delorme, seigneuresse de cette paroisse141 ».
82Le rôle de la famille seigneuriale dans la vie religieuse locale ne se limite pas à la construction d’une première église. L’accroissement de la population nécessite assez rapidement un nouveau temple, voire un troisième, un quatrième… et les seigneurs sont à nouveau sollicités. À Saint-François-du-Lac, après l’arrivée du premier curé résidant, Jean-Baptiste Dugast (1714-1761), il est décidé de rebâtir l’église, à laquelle on veut adjoindre un presbytère, un cimetière, une cour et un jardin pour le curé. Le seigneur Joseph Crevier I et son épouse, Marie-Angélique Le Boulanger offrent de donner le terrain nécessaire à la fabrique « pourvu qu’elle s’engageât à leur faire dire à ses frais une messe basse tous les ans, le lendemain de la St-Martin, pour obtenir de Dieu une bonne mort et, après leur décès, pour le repos de leurs âmes, et cela tant que l’église subsisterait sur ce même terrain142 ». Le seigneur Crevier meurt avant que le projet ne se concrétise, mais sa veuve tient parole et procède à la cession du terrain devant le notaire Normandin, en 1717143. Plus tard au xviiie siècle, Jean-Baptiste Côté III, seigneur de L’Isle-Verte, procède aussi à une donation de terrain à la fabrique de la localité fondée par son aïeul. Le document est clair quant à la continuité dans laquelle s’inscrit ce geste en ce qui concerne la perception du rôle seigneurial envers la communauté :
« Le sieur Jean Baptiste Côté seigneur de la seigneurie de l’Îsle Verte et dépendances lequel pour seconder les pieuses intentions de feû Jean Côté son ayeul et de feu Jean Baptiste Côté son père en leur vivant seigneur de la ditte seigneurie, et lesquels avaient eu dessein et volonté de faire une donnation à la chapelle ou église de leur seigneurie, mais la donation n’ayant pas eu l’effet qu’ils s’étaient proposés […] à ce aujourd’hui volontairement reconnû et confessé avoir donné irrévocablement à toujours par donation […] à l’église ou chapelle de la paroisse et seigneurie de l’Isle Verte trois arpents de terre de front size et située vers le milieu de la paroisse144… »
83En échange, le seigneur obtient généralement la promesse de messes perpétuelles, comme cela fut le cas à L’Isle-Verte où la donation est conditionnelle à ce que « le marguillier en charge [fasse] dire à perpétuité une basse messe de requiem pour le repos de l’âme des défunts seigneurs Côté de l’Isle Verte et pour leurs familles, tous les ans en la ditte église aux frais de la fabrique et dont la mention doit être faitte dans le martyrologue145 ».
84Ces contributions seigneuriales à l’essor de la vie paroissiale locale semblent intrinsèquement liées au rôle du seigneur, bien qu’elles ne constituent nullement une obligation. La reconstruction de l’église paroissiale et le choix de l’emplacement ont parfois donné lieu à des oppositions mémorables, comme à Trois-Pistoles au xixe siècle, véritable guerre des clochers dont nous reparlerons. À ces contributions seigneuriales, s’ajoute la commune, concédée aux habitants pour y faire paître le bétail146.
85Le rôle des seigneurs « fondateurs » est souvent pérennisé dans la collectivité par l’octroi de son nom, soit par la dédicace de la paroisse, pour laquelle on opte pour le saint patron du seigneur, ou encore par une désignation laïque de la localité ou d’une de ses parties, souvent reprises au moment où naîtront les municipalités, au xixe siècle, laissant l’empreinte des premiers seigneurs dans la toponymie québécoise actuelle. Dans l’interprétation de ces témoignages, une certaine prudence s’impose puisque ce sont souvent les seigneurs eux-mêmes qui nomment les lieux, marquant l’espace de leur empreinte. Qui plus est, cela ne constitue pas une spécificité des seigneuries où habite le seigneur, mais il nous semble que l’apport seigneurial à la toponymie dut être plus significatif et « légitime » aux yeux des censitaires qui voyaient vivre la famille seigneuriale sur ses terres.
86Boucherville, Saint-Hyacinthe et Lavaltrie évoquent directement le nom de leur fondateur respectif, par son patronyme ou son prénom. La seigneurie de la Baie-Saint-Antoine deviendra rapidement connue « vulgairement » comme la Baie-du-Febvre, en l’honneur des seigneurs Lefebvre. À Beauport, le seigneur Robert Giffard, en fondant le bourg du Fargy, faisait preuve d’une plus grande originalité en inversant les syllabes de son patronyme. Dans la même seigneurie, les rangs successifs, Saint-Joseph, Saint-Michel, Sainte-Thérèse, Saint-Ignace et Sainte-Marie rappelaient le prénom du seigneur Joseph Giffard, à l’initiative duquel les profondeurs de la seigneurie furent mises en valeur, celui de son épouse Michelle-Thérèse Nau, ainsi que du troisième couple seigneurial Ignace Juchereau et Marie-Catherine Peuvret. Par contre, plus rares sont les paroisses dédiées au saint patron du seigneur fondateur. Seule la paroisse de Saint-Jean-Baptiste de L’Isle-Verte honore la mémoire des nombreux Jean-Baptiste Côté, seigneurs des lieux, notamment le premier, étonnant paradoxe compte tenu du fait qu’il s’agit de la famille, peut-être la plus modeste du groupe observé. Cette absence de dédicaces paroissiales par les seigneurs tient sans doute en partie aux conséquences, dans la vallée du Saint-Laurent, de la Contre-Réforme catholique et de la place privilégiée accordée aux cultes de la Sainte Famille (Boucherville) et de la Vierge plus particulièrement. On honore la Nativité de Notre-Dame à Beauport, Notre-Dame-des-Neiges à Trois-Pistoles (à l’origine Notre-Dame-des-Anges) et Notre-Dame-du-Rosaire à Saint-Hyacinthe147. Les cultes voués aux innombrables saints, parfois très locaux de la France, ne furent pas transplantés dans la colonie, au contraire des principaux saints valorisés par le clergé post-tridentin, dont Saint-Antoine, Saint-François, Saint-Charles ou Saint-Thomas, comme en témoignent les paroisses seigneuriales étudiées. Le cas de Saint-Hyacinthe est particulier puisque la paroisse est dédiée à Notre-Dame, mais que la seigneurie et, indirectement la paroisse, fut désignée comme Saint-Hyacinthe, en l’honneur du premier seigneur.
87L’action des seigneurs fondateurs permet de réfléchir au cadre social seigneurial d’un point de vue positif. Il va sans dire que toutes les actions seigneuriales œuvrant à l’édification de la communauté visaient, à plus ou moins long terme, la rentabilité de la seigneurie. Toutefois, la famille seigneuriale résidante put, malgré le passage du temps et l’affirmation de son statut distinctif, continuer à jouer un rôle bénéfique dans la communauté, exerçant parfois une fonction socioculturelle non négligeable au profit des habitants. Si ce rôle seigneurial est malheureusement le plus souvent imperceptible en regard des sources, le précieux témoignage de Lady Simcoe, l’épouse du premier gouverneur du Haut-Canada, qui traversa les seigneuries laurentiennes, de Québec à Kingston, en 1791, permet de connaître le rôle d’intermédiaire culturel que pouvait revêtir la famille seigneuriale résidante dans une communauté essentiellement analphabète148. Elle passa une nuit au manoir seigneurial de Grondines, décrivant ainsi ce qu’elle vit à son arrivée dans cette paroisse :
« [Aux Grondines] nous arretâmes pour dîner et coucher à la maison de Mme Hamelin149, la seigneuresse de ce village, que nous vîmes, […] assise dans le cimetière, au milieu d’un grand rassemblement de paysans, lisant et commentant une circulaire distribuée par un commerçant de Québec, candidat pour représenter ce comté à la prochaine élection150. »
88Cette drôle de réunion n’est sans doute pas le fruit de l’imagination de cette visiteuse britannique, bien que l’on puisse douter du fait qu’elle eut lieu « dans le cimetière ». Elle témoigne de la persistance d’une sociabilité apparemment harmonieuse et utilitaire dans les seigneuries marquées par la présence de la première famille. Cet épisode où la seigneuresse Hamelin agit comme intermédiaire culturel, lève également le voile sur le lien à la ville que pouvait représenter un seigneur résidant à l’intérieur du monde rural. Les témoignages manquent cependant, la plupart du temps, pour en prendre conscience, tout comme en ce qui a trait au caractère véritablement festif de la seigneurie ou de la paroisse, se manifestant par différentes célébrations profanes ou religieuses.
Conclusion
89L’étude des parrainages, des contrats de mariage, ainsi que l’observation des seigneurs fondateurs permet d’insister sur l’aspect « amical » ou utilitaire de la présence seigneuriale à l’intérieur du monde rural laurentien. L’analyse des alliances matrimoniales, telle que nous l’avons présentée au chapitre iii, peut également porter fruit dans la recherche de la compréhension des rapports « harmonieux » entre famille seigneuriale et communauté locale. À chacun de ces niveaux, nous avons insisté sur la diversité entre nobles et roturiers, mais aussi sur l’absence de frontières sociales fixes et sur le caractère évolutif de ces relations entre le xviie et le xixe siècle, en tenant compte des contextes familiaux spécifiques. Les nuances que nous émettons, faisant apparaître des familles seigneuriales adoptant des comportements différenciés, ne constituent pas une remise en cause de la résidence seigneuriale comme angle d’observation du monde seigneurial né sur les rives du Saint-Laurent. Cela témoigne, au contraire, de la nécessité de percevoir cette diversité parmi ce groupe « privilégié » et oblige à relativiser la vision d’un régime seigneurial exclusivement oppressif et contraignant, telle que l’historiographie récente nous l’a dépeint au cours de sa lutte contre la vision plus ancienne du seigneur-colonisateur.
90Traitant des communautés rurales anglaises au xviie siècle, Peter Laslett écrivait : « On ne pouvait considérer comme le chef, ou le père symbolique de la société villageoise, un seigneur absent, ou mineur, ou briguant des charges publiques à l’échelle de la province ou du royaume, perpétuellement préoccupé par des affaires plus importantes151. » Or, les seigneurs résidants de la vallée du Saint-Laurent, et particulièrement ceux qui avaient fondé la seigneurie en s’y installant et en y laissant leur nom, ont dû représenter, jusqu’à un certain point, ce « père symbolique ». Évidemment, les anciens censitaires ne sont plus là pour nous faire part de leurs sentiments à l’égard du seigneur et n’ont à peu près jamais laissé de témoignages à cet effet. Quoi qu’il en soit, lorsque les seigneurs résidaient, que le banc seigneurial était chaque semaine occupé par ses propriétaires, et non un banc vide dans lequel la famille seigneuriale venait s’asseoir quelques fois l’an et en dessous duquel reposaient de vagues étrangers ; lorsque le manoir était le lieu de vie d’une famille et non seulement l’endroit où il fallait acquitter les redevances ; alors, le seigneur et les siens devaient être bien réels aux yeux de la collectivité. Philippe Aubert de Gaspé, sous son flagrant paternalisme, évoquait cette possible « amitié » entre un seigneur et un censitaire, à condition bien entendu que le premier fut résidant de son fief. De telles relations ne furent certainement pas généralisées, ni même peut-être fréquentes, mais les constats du présent chapitre invitent néanmoins à nuancer la trop facile vision d’une seigneurie nécessairement conflictuelle. Les preuves de conflits sont plus faciles à établir, ce qui ne signifie pas qu’il faille pour autant renoncer à détecter des traces de relations harmonieuses.
91De là à dire que la présence de la famille seigneuriale et son rôle dans la fondation de la communauté suffisaient à légitimer le poids fiscal et hiérarchique de la seigneurie, c’est un pas que nous ne franchirons pas. En effet, à compter du moment où la famille seigneuriale est confrontée à des habitants, des conflits surgissent, pas systématiquement, pas toujours à grande échelle, mais des conflits existent, tant à propos des privilèges économiques du seigneur, que de ses privilèges honorifiques.
Notes de bas de page
1 Cette question a été l'objet d'un article : Benoît Grenier, « "Gentilshommes campagnards de la nouvelle France", xviie-xixe siècle : une autre seigneurie laurentienne ? », French Colonial History, vol. 7 (2006), p. 21-43.
2 Voir le bilan historiographique en introduction.
3 Louise Dechêne, « L'évolution du régime seigneurial au Canada. Le cas de Montréal aux xviie et xviiie siècles », Recherches sociographiques, 1971, vol. 12, n° 2, p. 183.
4 Cette question, en France comme au Québec, demeure peu étudiée. Mentionnons, pour la France, l'article de Nicole Pellegrin, « Lecture anthropologique de quelques droits seigneuriaux "ridicules" », La terre à l'époque moderne, colloque de 1982, Paris, Association des historiens modernistes des Universités, 1983, p. 99-123. Pour le Québec, Allan Greer aborde dans ses travaux certaines manifestations de la liesse populaire à l'époque des rébellions de 1837-1838 sans toutefois lier cette festivité spécifiquement à la seigneurie.
5 Se gréer signifie se préparer, se vêtir.
6 Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, Ottawa, Desbarats, 1866, p. 406.
7 Ibid., p. 533.
8 Ibid., p. 485.
9 Agnès Fine, Parrains et marraines. La parenté spirituelle en Europe, Paris, Fayard, 1994, p. 125.
10 Ibid., p. 168.
11 Dans Peau d'âne, comme dans Cendrillon, la marraine permet à sa filleule de se sortir d'une situation familiale problématique : « Dans les deux contes, la marraine, placée à bonne distance, assume le rôle de parents défaillants ; elle s'interpose et permet ainsi à sa filleule de devenir une jeune fille, de sortir de la maison, de se marier et d'être heureuse » (ibid., p. 60).
12 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de mariage de Louis Couillard et Louise Nolin (31 janvier 1719).
13 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Joseph Couillard (17 septembre 1701).
14 Code de droit canon de 1983, cité dans Agnès Fine, Parrains, marraines..., op. cit., p. 18.
15 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Joseph Couillard (17 septembre 1701).
16 Agnès Fine, Parrains et marraines, op. cit., p. 131.
17 Ibid., p. 132-133.
18 Afin d'étudier cette question, nous avons eu recours aux registres paroissiaux des dix paroisses seigneuriales étudiées. Lorsque certaines seigneuries ont donné, au fil du temps, naissance à plus d'une paroisse, nous avons limité notre investigation à la paroisse-mère. Nous avons sélectionné, dans un souci de faisabilité compte tenu de la longue durée et du nombre de paroisses, pour chacune, trois années par décennie (les années se terminant par 4, 5 et 6) et ce pendant toute la période où la famille seigneuriale est résidante. Ce dépouillement partiel des actes de baptêmes, s'il ne permet pas de connaître la totalité des parrainages seigneuriaux, constitue néanmoins une approche méthodologique appropriée pour aborder cette question. S'il est possible que certaines des années non étudiées aient vu un grand nombre de parrainages seigneuriaux, il nous semble néanmoins que les années choisies aléatoirement devraient offrir un portrait représentatif.
19 Qu'il nous fut possible de repérer uniquement en raison de notre connaissance des membres de la famille du seigneur.
20 PRDH, Saint-François-du-Lac, 11 septembre 1716, baptême de Joseph-Augustin Harel.
21 Par exemple ANQQ, registre paroissial de Saint-François-du-Lac, baptême de Pierre-Joseph Bazin (15 novembre 1785).
22 L'un d'eux est d'ailleurs issu de la famille seigneuriale. Un seul enfant de cultivateur est parrainé, en 1806, par la seigneuresse Suzanne-Antoinette Margane de Lavaltrie : ANQQ, registre paroissial de Saint-Antoine de Lavaltrie, baptême de Marie-Amandine Lafontaine (6 novembre 1806).
23 En 1816, il n'y avait eu que 46 enfants baptisés.
24 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême d'Ignace Bourgery (6 octobre 1675).
25 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Geneviève Picard (9 mars 1686). Le recensement de 1681 révèle que le père, Pierre Picard, était domestique chez les Boucher. Peut-être ne l'est-il plus en 1686, mais ce lien est sans doute à l'origine de ce « marrainage » seigneurial.
26 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême d'un esclave panis nommé Germain (21 avril 1764). Le statut d'esclave du baptisé peut expliquer que l'on passe outre le fait que le parrain n'ait pas encore « l'âge de raison ».
27 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Marie-Geneviève Côté (5 septembre 1766).
28 Encore en 1735, alors qu'elle est âgée de 65 ans, elle agit comme marraine : ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Joseph Abraham (adulte huguenot converti) (17 juillet 1735).
29 ANQQ, registre paroissial de Saint-Charles-des-Roches de Grondines, acte de baptême de Marie-Madeleine Trottier (13 février 1744).
30 Agnès Fine, Parrains, marraines..., op. cit., p. 80.
31 Par exemple ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, baptêmes de Marie-Geneviève Sénécal (26 septembre 1765) et Marie-Geneviève Hamelin (19 octobre 1775).
32 ANQQ, registre paroissial de Saint-François-du-Lac (27 octobre 1775).
33 Supra, chapitre ii et iii.
34 ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport, actes de baptêmes de Louise-Geneviève Parent (27 mars 1734) et Marie-Josèphe Parent (11 novembre 1736).
35 Dans le sens de la définition de notabilité retenue au chapitre v.
36 Cette année-là, le fils cadet du seigneur, Eustache-Marie Juchereau Duchesnay est le parrain de Eustache-Joseph Isembert : ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport (9 septembre 1754). Aucun parrainage seigneurial en 1755 et en 1756.
37 ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport, acte de baptême de Sophie-Caroline Chassé, parrain Antoine-Louis Juchereau, marraine Sophie Guérout (seigneur et seigneuresse) (16 août 1826). Ce baptême apparaît d'ailleurs exceptionnel, ce sera le dernier constaté pour les années observées.
38 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame-des-Neiges de Trois-Pistoles, acte de baptême de Marie-Emma Fournier (27 juillet 1845).
39 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Marie-Francoise Côté (16 février 1725).
40 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Marie-Charlotte Guermieu (24 octobre 1795).
41 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Saint-Hyacinthe, acte de baptême de Marie-Rosalie Raimond (24 avril 1824).
42 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Pierre-Célestin Parent (29 mai 1804).
43 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Marguerite-Emmélie Parent (11 juin 1806).
44 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Saint-Hyacinthe, acte de baptême de Jean-Casimir Turcot (19 juillet 1826).
45 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Saint-Hyacinthe, acte de baptême de Georges-Casimir Dessaules (30 septembre 1827).
46 Supra, chapitre iii.
47 En 1674, le seigneur Joseph Giffard est parrain d'Anne-Thérèse Vachon, fille du notaire seigneurial Paul Vachon : ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport (23 juillet 1674). Autre parrainage en 1744, alors que le seigneur Antoine Juchereau I agit comme parrain lors du baptême d'Angélique Margane, dont les parents, Louis Margane de Lavaltrie et Marie-Anne Couillard, demeurent à Beauport. La marraine est Louise Nolin, seigneuresse de la Rivière-du-Sud, à titre de grand-mère maternelle de l'enfant : ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême d'Angélique Margane de Lavaltrie (27 août 1744).
48 La plupart de ces unions avaient plutôt l'effet inverse, c'est-à-dire la « sédentarisation » de l'homme dans le milieu de sa conjointe amérindienne, phénomène aux sources des nations Métis du Centre et de l'Ouest canadien et américain actuel.
49 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Suzanne Ménard (21 juillet 1706).
50 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Louis (Sauvage) (9 février 1716).
51 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Marguerite-Thérèse Chapenai (21 décembre 1725).
52 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame-des-Neiges de Trois-Pistoles, acte de baptême de Marie-Angélique Bernard (26 août 1804).
53 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame-des-Neiges de Trois-Pistoles, acte de baptême de Thérèse Montagnier, fille de Michel Montagnier et Marie-Anne Millier « sauvages mikmacs » (17 mai 1805).
54 Il arrive cependant que des Amérindiens obtiennent une censive, c'est notamment le cas à quelques reprises sous la gouverne de la seigneuresse de Beauport Marie-Catherine Peuvret qui concède des terres à des « Hurons de Lorette » dans la partie qu'elle détient dans la seigneurie de Gaudarville près de Québec. Par exemple ANQQ, greffe de Noël Duprac, concessions à Vincent, Huron de Lorette (21 octobre 1733) et à Antoine, Huron de Lorette (6 octobre 1737).
55 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Pierre-Augustin Littlefield (27 janvier 1704).
56 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Marie Storer (25 février 1704).
57 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Sarah Elisabeth Radalt (27 avril 1704).
58 Pierre Boucher, « Raisons qui m'engagent à habiter ma seigneurie que j'ay nommée Boucherville », document publié dans RAPQ, vol. II (1921-1922), p. 58.
59 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Joseph Abraham (17 juillet 1735).
60 Marcel Trudel (avec la collaboration de Micheline D'Allaire), Deux siècles d'esclavage au Québec, Montréal, Hurtubise HMH, 2004, 406 p. ; Mythes et réalités dans l'histoire du Québec, Montréal, Hurtubise HMH, 2001, p. 175-192.
61 Dès la décennie 1630, on retrouve la trace d'un premier esclave noir en Nouvelle-France alors qu'à Québec, Guillaume Couillard reçoit en cadeau des Anglais, en 1632, une jeune esclave noir. Marcel Trudel précise néanmoins que c'est principalement au cours du dernier quart du xviie siècle que l'esclavage semble s'installer dans la colonie. Voir Marcel Trudel, Mythes et réalités..., op. cit., p. 178.
62 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de Germain, esclave Panis (21 avril 1764).
63 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Pierre Laurent dit Léveillé (11 mars 1706).
64 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Marie-Anne Voisin dit Galibois (1er novembre 1706).
65 Marcel Trudel, Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires, Montréal, Hurtubise HMH, 1960, p. 11 ssq.
66 Marie-Angélique Demers a épousé l'esclave panis Laurent Léveillé en 1705 et Marie-Anne Martin a pris pour époux Pierre Voisin dit Jolibois (le sobriquet attestant de ses origines « sylvestres ») en 1703 à Boucherville. Voir René Jetté, DGFQ, p. 731 et 1131.
67 ANQQ, Cour du banc du roi, TL15, n° 3977 Duchesnay c. Duchesnay (2 juin 1795), f 6.
68 Le seigneur Juchereau n'accorde pas pour autant l'affranchissement à son esclave.
69 ANQQ, Fonds Juchereau Duchesnay, ZQ 139, testament d'Antoine Juchereau Duchesnay (24 décembre 1802).
70 Agnès Fine, Parrains, marraines..., op. cit., p. 128.
71 Supra, chapitre v.
72 Dans les seigneuries étudiées, lorsque la famille seigneuriale fait office de pionnière locale, il y a généralement une période initiale pendant laquelle les enfants ne peuvent être baptisés dès la naissance, devant attendre la venue d'un missionnaire. Le délai entre la naissance et le baptême n'est pas toujours connu puisque les missionnaires n'indiquent pas nécessairement l'âge de l'enfant ou la date de sa naissance. En certains lieux plus isolés où la présence d'un prêtre résidant n'arrive que tardivement, comme à Trois-Pistoles, ce phénomène peut se maintenir parfois pendant plusieurs décennies. Par exemple, le fils aîné du seigneur Etienne Rioux II et de Rosalie Côté, Joseph, naît le 19 mars 1795, mais il ne sera baptisé que le 10 juillet suivant.
73 Ceci ne représente que 15 parrains ou marraines sur un total de 536 (2,8 %).
74 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame-des-Neiges de Trois-Pistoles, baptêmes : Marie-Hélène Rioux (26 décembre 1853), parrain Elzéar Fournier ; Marie-Euphémie-Sédulie Rioux (23 septembre 1856), marraine Euphémie Fournier ; Marie-Flavie-Léopoldine Rioux (25 août 1859), marraine Flavie Fournier ; Joseph-Magloire Rioux (13 mars 1861), parrain Pierre-Achille Fournier.
75 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Charles-Marie Boucher (29 décembre 1781).
76 Charles-Marie Boucher de Boucherville (1781-1823) est ordonné prêtre le 6 janvier 1805. J.-B.-A. Allaire, Dictionnaire biographique du clergé canadien français. Les Anciens, Montréal, Imprimerie de l'École catholique des sourds-muets, 1910, p. 69.
77 ANQQ, registre paroissial de Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-la-Caille, acte de baptême de William-Henri Couillard (10 novembre 1824).
78 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Saint-Hyacinthe, acte de baptême de Louis-Antoine Dessaules (31 janvier 1818).
79 ANQQ, registre paroissial de Saint-François-du-Lac, acte de baptême de Louis-Germanique Saint-François (12 janvier 1805).
80 Honorius Prévost, « Robert Giffard de Moncel », DBCI, p. 338-340.
81 Bernard Weilbrenner, « Nicolas Juchereau de Saint-Denis », DBC I, p. 413-414.
82 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Québec (12 juin 1634) ; Benoît Grenier, « Guillemette Hébert et Guillaume Couillard : Un couple fondateur », Cap aux diamants, hors série, Québec de génération en génération (été 2005), p. 4-9.
83 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Québec (11 novembre 1636).
84 Marcel Trudel, « Olivier Letardif », DBC I, p. 483-484.
85 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Québec (30 mars 1639).
86 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Québec (28 août 1645).
87 ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport, acte de baptême de Ignace-François Juchereau (3 septembre 1688).
88 ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport, acte de baptême de Ignace-Alexandre-Thérèse Juchereau (7 juin 1696).
89 ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport, acte de baptême de Henri-Elzéar Juchereau Duchesnay (21 juillet 1809).
90 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Montréal, acte de baptême de René Boucher (18 juin 1668). Marie-Claire Daveluy, « Jeanne Mance », DBCI, p. 494-498.
91 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de Louise Boucher (8 avril 1671).
92 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, acte de baptême de René-Ovide Boucher de Boucherville (4 août 1772).
93 ANQQ, registre paroissial de Sainte-Famille de Boucherville, actes de baptêmes de Jean-Baptiste et Jacques Boucher (10 décembre 1670).
94 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Montréal, acte de baptême de Pierre Boucherville (31 juillet 1731).
95 ANQQ, registre paroissial de Saint-Charles-des-Roches de Grondines, acte de baptême de Augustin-Ferdinand Hamelin (30 novembre 1765).
96 ANQQ, registre paroissial de Saint-Jean-Baptiste de L'Isle-Verte, acte de baptême de Félix-Narcisse Côté (1er janvier 1836).
97 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame-des-Neiges de Trois-Pistoles, acte de baptême de Marie-Élise Rioux (16 juillet 1864).
98 Jean-Pierre Gutton, La sociabilité villageoise dans la France d'Ancien Régime, Paris, Hachette, 1979, p. 55.
99 Supra, chapitre iii.
100 Geneviève Postolec, Mariage et patrimoine à Neuville, de 1669 à 1782, thèse de doctorat (histoire), université Laval, Québec, 1995, p. 51.
101 Louis Lavallée, La Prairie en Nouvelle-France, 1647-1760. Étude d'histoire sociale, Montréal/Kingston, McGill/Queen's University Press, 1993, p. 143.
102 Yves Landry, Orphelines en France, pionnières au Canada. Les Filles du roi au xviie siècle, Ottawa, Leméac, 1992, p. 149.
103 Benoît Grenier, Devenir seigneur en Nouvelle-France : propriété seigneuriale et mobilité sociale dans le gouvernement de Québec sous le Régime français, mémoire de maîtrise (histoire), université Laval, 2000, p. 81.
104 Ils s'échelonnent sur une période allant de 1663 à 1891.
105 ANQQ, greffe Joseph Ouellet, contrat de mariage entre Zacharie Côté et Anne-Élisabeth Lavoie (11 janvier 1820).
106 Plus de 70 personnes signent le contrat de mariage d'Antoine Juchereau Duchesnay I avec Marie-Françoise Chartier de Lotbinière, en avril 1737 à Beauport (contrat passé au manoir seigneurial). ANQQ, greffe Jean de Latour (13 avril 1737).
107 ANQQ, greffe Nicolas Boisseau, contrat de mariage de Paul Lepage et Catherine Rioux (15 décembre 1734, déposé au greffe à Québec le 30 octobre 1735).
108 Il s'agit du père Rouillard qui mourut noyé lors d'un retour de Trois-Pistoles, vers 1768 et qui donna naissance à la légende du gobelet d'argent : Michel Paquin, « Ambroise Rouillard », DBC III, p. 618.
109 ANQQ, greffe Pierre Petit, contrat de mariage de Marie-Madeleine Lefebvre et Simon Provancher (9 octobre 1734).
110 ANQQ, greffe Jean-Étienne Fraser, contrat de mariage de Geneviève (Génofe) Côté et Théodore Marquis (13 octobre 1840).
111 Voir l'analyse de l'alphabétisation, supra chapitre ii.
112 ANQQ, greffe Elie-François-Pierre Rigaud, contrat de mariage de Marie-Angélique Crevier et Jacques Babie Duperron (4 février 1750).
113 ANQQ, greffe Augustin Dionne, contrat de mariage de Rosalie Rioux et Célestin Rioux (25 octobre 1814).
114 ANQQ, greffe Abel Michon, contrat de mariage d'Elisabeth Couillard et Louis Côté (27 avril 1716) ; Louis Couillard II et Louis Nolin (30 janvier 1719) ; Louis Couillard III et Marthe Côté (17 novembre 1721).
115 ANQQ, greffe Abel Michon, contrat de mariage de Jean-Baptiste-Charles Couillard et Geneviève Langlois (19 juin 1729).
116 ANQQ, greffe Christophe-Hilarion Dulaurent, contrat de mariage de Madeleine-Louise Juchereau Duchesnay et Michel d'Irumberry de Salaberry (29 juillet 1750).
117 ANQQ, greffe Noël Duprac, engagement de Louis Lamothe comme meunier par Marie-Catherine Peuvret (3 mai 1734) et contrat de mariage entre Marie-Ursule [Charlotte] Allard et Louis Lamothe (14 octobre 1727) ; Benoît Grenier, Marie-Catherine Peuvret (1667-1739). Veuve et seigneuresse en Nouvelle-France, Sillery, Septentrion, 2005, p. 132-135 et 165.
118 ANQQ, greffe Antoine Châlons dit Loiseau, contrat de mariage de Claire-Françoise Boucher de Boucherville et Jean-Baptiste Pommereau (7 mars 1736).
119 ANQQ, greffe Joseph Ouellet, contrat de mariage de Pierre Fournier et Marie-Angélique-Desanges Rioux (14 juillet 1834).
120 ANQQ, greffe Joseph Ouellet, contrat de mariage de Marie-Rosalie Côté et Jean-Baptiste Richard (2 octobre 1819).
121 ANQQ, greffe Jean-Antoine Panet, contrat de mariage de Jean-Baptiste Couillard et Marie-Angélique Chaussegros de Léry (13 juillet 1784).
122 ANQQ, greffe Pierre-François Jousselot, contrat de mariage de Jacques Couillard et Françoise Bernier (17 février 1753).
123 ANQQ, greffe Louis Chambalon, contrat de mariage de Lambert Boucher et Marie-Marguerite Blazon de Vauvril (12 août 1693).
124 ANQQ, greffe Jean de Latour, contrat de mariage d'Antoine Juchereau Duchesnay I et Marie-Françoise Chartier de Lotbinière (13 avril 1737).
125 ANQQ, Cour du banc du roi, TL15, dossier n° 3977 : Requête de Catherine Dupré en séparation de corps et de biens (2 juin 1795).
126 Antoine Juchereau Duchesnay I (1704-1772).
127 ANQQ, Cour du banc du roi, TL15, dossier n° 3977.
128 ANQQ, registre paroissial de La Nativité-de-Notre-Dame de Beauport, acte de sépulture de Antoine-Louis Juchereau Duchesnay (22 février 1825).
129 Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, op. cit., p. 299.
130 Lettre de Rosalie Papineau à Amédée Papineau (son neveu), 26 février 1840. Citée dans Rosalie Papineau (Dessaules), Correspondance 1805-1854, texte établi, présenté et annoté par Georges Aubin et Renée Blanchet, Montréal, Varia, 2001, p. 210.
131 Alain Rainville, Ambitions et illusions d'un entrepreneur seigneurial en Nouvelle-France : Robert Giffard, 16341653, mémoire de maîtrise (histoire), université Laval, 2000, 186 f.
132 Pierre Boucher, « Raisons qui m'engagent... », loc. cit. ; Raymond Douville, « Pierre Boucher », DBCII, p. 90.
133 ANC, C11A, vol. 8 (Archives des colonies, France), correspondance générale : Gouverneur Denonville au ministre de la Marine (10 septembre 1686), f° 145.
134 Greffe Roussel (notaire à Mortagne), acte de concession (14 mars 1634), acte reproduit dans Alfred Cambray, Robert Giffard premier seigneur de Beauport et les origines de la Nouvelle-France, Cap-de-la-Madeleine, s. éd., 1932, chapitres i et ii (p. 1-40) ; voir aussi Marcel Trudel, Les débuts du régime seigneurial..., op. cit.
135 Jean Gallet, Seigneurs et paysans en France, 1600-1793, Rennes, Ouest-France, 1999, p. 198 ; Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789, Paris, Seuil, 2002, p. 199.
136 René Jetté, DGFQ, p. 502-503 (mariés le 29 septembre 1654).
137 Michel Langlois, Les ancêtres beauportois, s. éd., Sillery, 1984, p. 106.
138 René Jetté, DGFQ, p. 767 (mariés le 8 janvier 1662).
139 Jean Gallet, Seigneurs et paysans..., op. cit., p. 148-149.
140 Gilles Sénécal, Inhumations sous l'église de Boucherville, Boucherville, SHIPB, 2001, 76 p.
141 ANQQ, registre paroissial de Notre-Dame de Saint-Hyacinthe, baptême d'une cloche (16 août 1784).
142 Thomas-Marie Charland (o.p.), Histoire de St-François du Lac, Ottawa, Collège dominicain, 1942, p. 177.
143 ANQQ, greffe Daniel Normandin, don d'un terrain à la fabrique par Marie-Angélique Le Boulanger (5 septembre 1717).
144 ANQQ, greffe de Martial Saindon, donation à l'église paroissiale de L'Isle-Verte par le seigneur du lieu (8 août 1778).
145 Ibid.
146 Nous verrons, au chapitre vii, que celle-ci peut cependant constituer une source de discorde dans la seigneurie.
147 Marie-Aimée Cliche, Les pratiques de dévotion en Nouvelle-France. Comportements populaires et encadrement ecclésial dans le gouvernement de Québec, Sainte-Foy, PUL, 1988, p. 33.
148 On pourrait également parler d'« agents d'influence », pour reprendre l'expression d'Alain Croix, utilisée aussi par Christian Kermoal, « Les notables ruraux dans la France du xviiie siècle : une clé de la sociabilité », René Levasseur (dir.), De la sociabilité. Spécificités et mutations. Actes du colloque de Trois-Rivières, Montréal, 1990, p. 39 ; Christian Kermoal, Les notables du Trégor..., op. cit., p. 15-16.
149 Il s'agit de la seigneuresse Marguerite Roy, veuve d'Augustin Hamelin.
150 Bertrand Dufebvre, Cinq femmes et nous, Québec, Bélisle, 1950, p. 141.
151 Peter Laslett, Un monde que nous avons perdu. Les structures sociales pré-industrielles, Paris, Flammarion, 1969, p. 78.
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