Un manque originel d’études urbaines ?

1« Il faudrait peut-être que la sensibilité des Français soit plus orientée sur les problèmes urbains. La France est un pays en majorité urbain depuis bientôt 15 ans, et ce domaine de la géographie des opinions politiques dans les villes est un terrain presque vierge, qu’il y aurait intérêt à défricher1. » Cette opinion traduit largement la longue tradition monographique rurale, qui conduisit longtemps à marginaliser la géographie politique urbaine. Cette tradition fut d’ailleurs souvent davantage liée à une contrainte technique que psychologique, et le passage de la géographie électorale à la sociologie électorale, dans les années 1950, va renverser la tendance. Les analyses deviendront plus parisiennes et moins provinciales… Il est plus aisé de sonder des citadins, proches de chez soi et spatialement regroupés. Néanmoins, et la tendance s’accélère ces dernières années, les monographies urbaines, de géographie ou d’histoire électorale, se sont multipliées. La marginalisation de la société rurale y est évidemment pour beaucoup. Si l’on se cantonne à la France de l’Ouest, quasiment toutes les agglomérations ont fait l’objet d’au moins une étude électorale spécifique, dont quelques-unes ont fait figure de modèle : Rappetti2. À ces études, il est aussi possible d’ajouter les analyses précises des Géopolitiques des régions françaises (86) qui consacrent toutes une large part aux espaces urbains.

2Mais toutes ces études, malgré leur nombre, demeurent conjoncturelles et rarement géographiques. Les spatialisations politiques urbaines connues sont rares, et le sont généralement de manière trop approximative, car elles descendent peu au-dessous du niveau communal. On ne peut donc pas parler de véritable géographie électorale urbaine. L’explication de cette absence est simple : il n’existe absolument aucune correspondance entre les espaces d’agrégation des données sociales (îlots et quartiers INSEE) et les bureaux de vote qui sont définis aléatoirement et variables d’une élection à l’autre. Toute comparaison directe est donc rendue impossible. Les solutions existent pourtant et sont multiples : recalculer une table d’adressage permettant d’établir la structure sociale rue par rue, et donc de reconstituer manuellement la structure sociale des bureaux de vote (un tel travail titanesque ne fut réalisé qu’une fois en France, à Nantes [Rapetti3]) ; interpoler les résultats par bureaux et données de recensement par isolignes, tels que Bon et Cheylan4 le proposent pour Toulouse et Marseille ; ventiler les données de recensement dans les données électorales (directement ou par carroyage), cette solution étant désormais facilitée par les outils usuels des SIG. Le programme et site Cartelec (www.cartelec.net) apparaît ainsi comme l’expérience la plus poussée à ce jour en ce domaine.

Les villes, zone d’ombre du tableau politique de Siegfried ?

3Siegfried consacra dans son Tableau une large part à la description des villes et de leurs quartiers (à l’exception notable du Havre, dont il explique l’absence dans son Tableau par sa trop grande proximité politique avec la ville dont son père fut maire), mais son analyse y apparaît pourtant souvent moins précise, moins convaincante qu’ailleurs, et plus conjoncturelle, puisqu’elle résistera rarement à l’épreuve du temps.

4Quelques citations tirées des analyses siegfriediennes sur les grandes villes de l’ouest illustrent ses difficultés à saisir les comportements urbains, et les limites de sa méthode en ville. À Rennes, Siegfried se trouve face à un comportement « indéfinissable » : « De la naît un milieu politique complexe, confus, sans caractéristique vraiment dominante ». Caen, analysé en quelques pages, apparaît tout aussi banale, et la complexité esquissée s’apparente en réalité une l’absence de spécificité :

« l’esprit politique caennais est un mélange singulier de républicanisme sincère, de conservatisme étroit et d’inconsciente démagogie […] en dehors de fièvres éruptives et du reste passagères Caen est une ville républicaine comme une autre, nettement hostile à l’esprit du passé ».

5Pour Rouen, à l’inverse, Siegfried insiste sur « l’esprit des lieux ». Ses impressions, peu étayées par des faits, s’imposent pourtant à l’explication par les classes sociales et les rapports de domination et de dépendance économique, qui sont pourtant au centre du système explicatif « rural » de Siegfried :

« il subsiste un esprit rouennais, assez fort pour imprimer une psychologie commune aux diverses classes sociales de la ville […] malgré tout, la modération, je dirai presque la résignation normande, si respectueuse de ce qui est, n’a pas perdu son empire […] Rouen ne peut être ni révolutionnaire, ni réactionnaire ».

6Enfin, Brest est de loin la ville la plus longuement étudiée par Siegfried, qui lui consacre 14 pages dans son Tableau, contre moins d’une dizaine pour les autres villes. À travers l’analyse de la ville portuaire bretonne, on peut imaginer que, par analogie peut-être inconsciente, c’est un portrait déguisé de la ville du Havre qui est développé. Ainsi, l’analyse porte au fond moins sur les comportements électoraux (à l’exception de la coupure entre Brest « la rouge » et le Léon catholique), que sur la vision, très personnelle, de Siegfried face aux enjeux économiques, portuaires en particulier, et plus généralement mondialisés. Comme nulle part ailleurs dans son Tableau, il développe ici les convictions qui composeront son credo idéologique dans ses écrits postérieurs :

« la vraie ligne de séparation est entre la partie urbaine des commune suburbaines et leur partie rurale […] tout ce qui ouvrier à Brest est socialiste mais rien de ce qui est rural ne subit l’action révolutionnaire […] la masse penche plutôt accentuer encore les tendances profondes et instinctives de sa nature : individualisme jaloux, antipathie foncière pour toute espèce de hiérarchie. De là l’impression pénible d’une incorrigible fantaisie, et à vrai dire d’irrémédiable déséquilibre politique […] que nous voilà loin, chez ces celtes, de l’esprit organisateur et constructif que les anglo-saxons et les flamands conservent jusque dans leurs évolutions politiques les plus avancées. »

7Au final, entre portraits où ne ressortent aucune spécificité (Caen, Rennes), dérives sentimentales (Rouen) ou idéologiques (Brest) les analyse urbaines de Siegfried témoignent de la difficulté originelle à saisir la complexité des comportements politiques citadins.

Les liens socio-politiques dans l’Ouest urbain 1958-1988

8Longtemps, l’idée que l’opposition ville-campagne prend une dimension particulière dans l’Ouest a été soutenue : « L’opposition fondamentale, c’est celle des ruraux aux citadins. C’est à elle que les circonstances ont donné le plus de vigueur, c’est elle qui a eu les plus lourdes conséquences5. » Elle oppose depuis la révolution la « civilisation du bocage » aux citadins, assimilés aux patriotes. Cette cristallisation des antagonismes villes-campagnes est relevée par plusieurs spécialistes de l’Ouest. On la retrouve entre les lignes dans chaque profession de foi de candidats : les présidents des conseils généraux et régionaux sont généralement des sénateurs ruraux, et non des grands maires ; les luttes d’influence sont classiques, et parfois critiques pour un département, entre le conseil général et le président de l’intercommunalité d’une agglomération. L’élection municipale de 77 sera le symbole du « tempérament » de gauche des villes de l’Ouest : le PS prend les villes de Nantes, Rennes, Angers, La Roche sur Yon, Alençon, Brest, Cherbourg, Saint-Malo, Louviers et conserve celles acquises en 73, Saint-Brieuc et Laval. Le PC prend Le Mans, Evreux. Parmi les villes importantes, la droite ne parvient à conserver que les préfectures bretonnes de Quimper et Vannes, et les villes normandes de Rouen et Caen. Bien entendu, cette vague originelle sera suivie d’autres, notamment récentes, à droite (2014) comme à gauche (2008), mais on peut néanmoins considérer l’élection municipale de 1977 comme le premier virage politique important de l’ouest urbain depuis Siegfried.

9Pour affiner cette évolution entre 1958 et 1988, nous avons réalisé une analyse multivariée sur l’ensemble des villes de l’Ouest, à partir de données socio-économiques et politiques (figure 1).

10Chaque ville étudiée ici sera donc représentée par son canton urbain qui englobe la commune mère de cette ville (chaque canton utilisé étant le plus souvent l’agrégation de plusieurs cantons INSEE). Ce canton ne regroupe donc que la commune centre des agglomérations, et non pas les communes satellites : seuls les centres-villes tertiaires des agglomérations de Rouen, Caen, Nantes, par exemple, sont pris en compte, et non pas leurs banlieues ouvrières, qui sont ici écartées. Le choix des villes étudiées est calqué sur le choix de D. Pumain, c’est-à-dire les unités urbaines de plus de 20 000 habitants : « le seuil de 20 000 habitants est proche de la dimension qui correspondrait aujourd’hui à la limite inférieure d’une définition conceptuelle de la ville ». Sur les 228 villes sélectionnées par Pumain, 35 concernent l’ouest. Enfin, se référer au découpage de Pumain permettait de reprendre les multiples variables qu’elle utilise et d’en inclure certaines à l’étude : site, croissance, structures familiales, formation, salaire, finances sociales, prix du terrain, fréquentation des cinémas, insécurité, intérêt touristique, développement périurbain, emploi dans des grands ou petits établissements…

11La plupart des monographies urbaines soulignent que les liens sociopolitiques sont toujours plus marqués en ville qu’en région rurale. Si le rôle des traditions locales est éventuellement admis en milieu rural, cette hypothèse est réputée moins forte en milieu urbain. C’est la vérification de cette seconde hypothèse qui nous intéresse ici : existe-t-il une régionalisation des comportements urbains ? Nous développerons dans les chapitres qui suivent deux pistes explicatives, emblématiques des systèmes explicatifs de l’évolution de l’ouest sans la V^e République : le cléricalisme et la classe socio-professionnelle.

Figure 1 : ACP urbaine socio-politique

12Le cléricalisme devrait en théorie perdre tout son intérêt explicatif en ville où le nombre de messes, devient marginal6. Les corrélations avec la structure politique sont pourtant particulièrement nettes. La gauche, et surtout le PC, s’oppose aux villes cléricales (-0.6). La situation à droite est plus nouvelle car si la droite traditionnelle est très corrélée avec le cléricalisme urbain (+0.6), la droite gaulliste ne l’est plus du tout (-0.1). Cette différenciation entre les deux droites n’apparaissait pourtant jamais au niveau de l’ensemble des cantons de l’Ouest. En fait, les villes de l’Ouest intérieur catholique ont presque toujours possédé des maires modérés, centristes (les « règnes » des R. Marcellin, H. Fréville, M. Ligot en sont la preuve), les leaders gaullistes devant se contenter de dominer des villes de rang inférieur, et lorsqu’ils s’imposent dans une ville d’importance, leur mandat n’est pas renouvelé (A. Chauty à Nantes en 83). Ce sont ces mêmes villes modérées qui refusèrent la tutelle gaulliste en 68, qui se donnèrent des maires socialistes 10 ans plus tard. Le même électorat urbain ayant glissé de la droite centriste vers le socialisme « rose clair », il est naturel que désormais les oppositions municipales de ces mairies PS soient le plus souvent gaullistes. Il y a là un incontestable climat politique urbain particulier, composé d’une démocratie chrétienne, jadis MRP, par la suite socialisante, se reposant sur des électeurs appartenant aux classes moyennes, déracinés de leur milieu rural : ils conservent les valeurs morales de leur famille et leur enfance, mais possèdent désormais des intérêts inverses liés à leur nouveau statut économique pour lequel la religion n’est d’aucun secours. Ils composent alors les bataillons de la CFDT. On pourrait même pousser l’hypothèse jusqu’à affirmer que, au cours des années soixante-dix, contrairement au reste de la France, l’Ouest urbain intérieur « a le cœur à droite, mais le porte-monnaie à gauche »… Ouest de gauche vote à droite : ils élisent alors un maire socialiste, puisque proche de leur intérêt social, mais un député de droite, puisqu’il sera chargé de garantir le maintien dans l’hémicycle des valeurs morales de la France, de la famille, de l’école libre… Le cas est différent en Normandie, où, plus encore que les campagnes environnantes, les villes sont athées, qu’elles soient ouvrières ou tertiaires, et il faut donc aller chercher ailleurs le critère explicatif.

13L’explication économique fonctionne elle aussi, puisque, par exemple, le taux d’ouvriers est largement corrélé avec le PC, le PS, le total gauche, l’abstention (0.78 entre PC et taux d’ouvrier, 0.58 entre vote PS et taux d’ouvrier). Ces corrélations sont exactement l’inverse de celles bâties sur le taux d’employés, et qui décrivent les villes avant tout tertiaires (-0.4 entre vote PC et taux d’employés, -0.22 entre vote PS et taux d’employés). Mais les exceptions sont très nombreuses en Pays de la Loire (Cholet, Fougères possèdent les structures les plus ouvrières de l’Ouest intérieur, mais également les votes les plus à droite…). La corrélation semble plus évidente en Normandie où les villes sont à gauche quand elles sont ouvrières, et surtout, et c’est là la différence profonde avec l’Ouest intérieur, les villes peuvent se maintenir fermement à droite lorsque leur structure économique, de ville tertiaire, commerçante ou bourgeoise, le leur permet : Rouen, Vernon, Caen… Ainsi, ce vote athée d’intérêt économique se dirige le plus souvent vers la droite gaulliste : Vernon, Louviers, Caen, et même Rouen, qui fut un temps gaulliste, et où J. Lecanuet ne fut pleinement accepté dans son rôle de maire que lorsqu’il se sépara de son étiquette MRP pour ouvrir sa liste au RPR. De même, l’opposition municipale des villes de gauche ouvrière est, elle aussi, le plus souvent RPR (Evreux, Le Havre…). À l’inverse de l’Ouest intérieur, les leaders de la droite traditionnelle se contentent le plus souvent d’un poste de sénateur et d’une mairie rurale de quelques centaines d’habitants. Seules exceptions à cette explication économique, les petites villes rurales de Lisieux et Flers, qui plutôt ouvrières, votent plutôt à droite (mais elles sont toutes les deux passées au PS en 89…). Une différence d’attitude urbaine Est/Ouest est donc discernable. À l’Est, les villes cristallisent les oppositions gauche/droite qui restent plus marquées que dans les campagnes avoisinantes ; et même si des listes d’union de droite et de gauche s’affrontent souvent, il est encore fréquent d’y retrouver le duel laïc PC-RPR. À l’inverse, à l’Ouest, l’atmosphère politique urbaine est plus modérée que dans les bocages alentours, où la question politique scinde les populations en deux. Ces urbains de l’Ouest, exemples types de la troisième France de Le Bras et Todd, oscillent entre la droite et la gauche, et passent du centre démocrate à la gauche chrétienne en jouant même parfois l’alternance.

14L’évolution de la population ouvrière met néanmoins en valeur un processus d’homogénéisation des comportements encore plus rapide dans l’Ouest urbain que dans l’Ouest entier. Il existe un rattrapage social (essor de la population ouvrière) partout où la droite traditionnelle est présente, et à l’inverse un tassement de cette population dans les villes de gauche. Mais parallèlement, il existe un net rattrapage politique que montre la forte corrélation entre l’évolution ouvrière et l’évolution de la gauche (-0.58 entre le vote PC et l’évolution du taux d’ouvrier ; -0.4 pour le vote PS, + 0.6 pour la droite), qui rend les taux moyens de chaque courant, bâtis ici sur la moyenne des résultats de la V^e République, parfois obsolètes au début des années 1990.

Typologie urbaine de 1958 à 1988

15Le faible nombre de villes retenues (35) et la forte spatialisation des types de comportements urbains permettent une typologie originale. L’ACP construite sur 50 variables socio-politiques permet de dégager les deux axes politiques et économiques déjà repérés précédemment : l’axe 1, politique, oppose la gauche (surtout ouvrière) à la droite (surtout catholique) ; l’axe 2, corrélé avant tout avec des variables sociales oppose villes tertiaires et dynamiques à celles bâties sur une mono activité en déclin. L’organisation des villes selon ces deux axes a permis de distinguer 7 classes qui s’isolent assez clairement :

1. Villes dont le vote très à droite s’explique principalement par la structure catholique : Cholet, Vannes, La Roche sur Yon, Dinan, Saint Lo. Elles sont toutes de petite taille et appartiennent toutes à l’Ouest intérieur (hormis Sant Lo qui bénéficie du cléricalisme de la Manche). Elles sont, malgré tout, parfois tenues par un maire PS (Saint Lo, La Roche).

2. Villes dont le vote très à gauche s’explique principalement par la structure ouvrière : Le Havre, Dieppe, Elbeuf. Ce type est strictement haut-normand et se situe aux antipodes de la classe précédente. Ces villes, dont deux sur trois, sont encore tenues par le PC, renvoient également à des forts taux de chômage, d’insécurité… Même ces villes passeront par la suite à droite, parfois durablement (Le Havre).

3. Villes de droite, à mono activité rurale en déclin : Fougères, Flers, Alençon, Lisieux, Saumur. Petites unités urbaines, spatialement déjà à l’écart de l’Ouest intérieur (caractéristique des petites villes bas-normandes, 3 sur 5). Les activités rurales traditionnelles (textile et confection) y ont formé une population majoritairement ouvrière, notamment féminine, mais au comportement contrôlé par des entreprises longtemps restées paternalistes. L’effondrement économique et le chômage firent exploser ces sociétés traditionnelles qui se sont alors tournées avec, plus ou moins, de bonheur, vers les PME de la décentralisation : Moulinex pour les villes bas-normandes en est l’exemple parfait. Ces villes, jadis de droite, semblent promises à la conquête socialiste (seule Saumur n’a pas encore connu de mairie PS), puis aux alternances.

4. Villes de gauche, à mono activité industrielle : Eu, Fécamp, Louviers, Vernon. On retrouve ici encore une forte spatialisation de ce type, dont les villes sont toutes haut-normandes. Il s’agit de villes qui furent longtemps à gauche, par une mono activité textile ou portuaire, et à population très ouvrière, par le littoral ou l’axe séquanien. Les difficultés industrielles que rencontrèrent ces villes provoquèrent l’effet inverse du type précédent : ces villes traditionnelles de gauche se donnèrent toutes un maire de droite dès 77 (et par la suite, souvent, de nombreuses alternances politiques, de droite à gauche puis de gauche à droite). Leur reconversion actuelle est fort variable, mais surtout active pour Vernon, qui bénéficie de la proximité parisienne, et pour Louviers, qui bénéficie de la proximité de la ville nouvelle du Val de Reuil.

5. Villes de droite, de structure tertiaire et dynamique : Rennes, Saint Brieuc, Morlaix, Quimper, Brest. Ici encore, la régionalisation de cette classe est remarquable : on y retrouve des villes bretonnes, principalement de la côte nord. Ces villes s’individualisent néanmoins plus par leur « modernisme » sur l’axe 2 que par leur vote à droite, qui demeure souvent proche de la moyenne (notamment pour Saint Brieuc et Brest). Le profil des mairies reste donc très centriste : Morlaix et Saint Brieuc se donnèrent dans les années 60 des maires PSU, Rennes connut la passation tranquille de pouvoir entre H. Fréville (CDS) et E. Hervé (PS), d’autres, comme Brest, privilégient une alternance plus houleuse, alors que même Quimper, la plus à droite de toutes, passa au PS en 89. Le fort vote pour l’écologisme est également l’une des caractéristiques unifiant ces différentes villes.

6. Villes de gauche, de structure tertiaire et dynamique : Nantes, Lorient, Concarneau, Saint Nazaire. On retrouve ici toutes les villes de la côte atlantique. Le vote à gauche de ces villes les distingue du type précédent, même si l’amplitude de vote est grande, de très à gauche (Saint Nazaire) à assez peu (Nantes). Ces villes obtiennent un fort taux de « modernisme », malgré une structure portuaire souvent très ouvrière. D’autres indices ont donc joué : prix du terrain élevé, faible insécurité, assez faible chômage et les populations les plus ouvrières sont souvent cloisonnées dans des villes satellites, ainsi laissées aux mains du PC : Lanester pour Lorient, Montoir de Bretagne à Saint-Nazaire… Les communistes ainsi exclus, on retrouve alors ici le type le plus proche du socialisme, Saint Nazaire, Lorient, Concarneau étant trois fiefs du PS parmi les plus anciens et les plus rayonnants de l’Ouest (hormis le Grand Quevilly), berceaux locaux de quelques grands leaders : A. Briand, F. Blancho, C. Evin, L. Le Pensec… Le cas de Nantes, plus instable politiquement, partagé entre ses fonctions industrielles liées à la basse Loire et celles de capitale bourgeoise d’une des régions les plus conservatrices de France, se situe un peu à part dans cette classe.

7. Villes à structure sociale et politique indifférente : Caen, Rouen, Le Mans, Angers, Cherbourg et Evreux, Saint-Malo, Les Sables, Laval. Il s’agit là d’un groupe important de villes situées indifféremment au point d’intersection des deux axes. Néanmoins, il serait presque possible de scinder ce groupe en deux. Les cinq premières villes citées semblent, à la fois, plus « modernes et tertiaires », et moins à droite : elles sont toutes très proches du centre de l’axe gauche-droite. Elles sont toutes des villes de taille importante, dont l’agglomération dépasse les 100 000 habitants. Un tel rang induit logiquement des fonctions multiples : on retrouve ici les capitales régionales et historiques, influençant et influencées par leur région, dont le profil politique est indéfinissable, et où l’étiquette du maire sera souvent floue et emportera moins que le prestige qu’il pourra apporter à cette ville, par son seul nom.

16Les quatre autres villes de ce type sont à la fois moins modernes et plus à droite : elles doivent toutes leur développement qui reste réduit, soit à des conditions administratives (Laval et Evreux sont devenues préfectures), soit à un site touristique (Saint-Malo, Les Sables). Il en résulte donc une « mono activité tertiaire » induisant donc un vote plutôt à droite, par intérêt économique, et dont la situation régionale définit les finesses : plus à gauche par sa situation haut-normande, Evreux conserve un maire PC jusqu’en 2001 ; par sa situation occidentale, les Sables maintiennent une mairie de droite ; au cœur de l’Ouest intérieur, Laval est la première à être tombée aux mains de la gauche chrétienne ; « ni breton, ni français, malouin suis », la mairie de Saint-Malo, par respect pour sa devise, est disputée, à grand renfort de démissions et de dissidences, entre notables locaux centristes.

17Aussi succincte et globale que soit cette analyse, des effets régionaux semblent également influer sur les comportements urbains, ces effets régionaux étant globalement assimilables à ceux détectables au niveau des cantons des 14 départements. Ce lien entre la ville et sa région ne semble donc pas un mythe : « on a du reste remarqué à plusieurs reprises au cours de ce travail, que l’orientation politique caennaise était à mi-chemin entre celle du département du Calvados et celle de la France ». Il reste néanmoins à définir quel est le sens de ces influences : est-ce une simple concordance entre la ville et sa périphérie rurale (que l’on a peut-être trop souvent tendance à opposer), logique puisque les mêmes conditions historiques, les mêmes structures culturelles (cléricalisme…) touchent pour une même région, ses villes et ses campagnes ? Est-ce le tempérament de la région qui influe sur celui de la ville, notamment par l’intermédiaire de l’exode rural (influence des migrants léonards sur la mutation politique de ce qui fut « Brest la Rouge ») et des hommes politiques urbains, qui doivent adapter leur discours à leur région, s’ils ne veulent pas transformer leur ville en camp retranché ? Ou n’est-ce pas au contraire la ville qui influe sur sa région ? « Lorsque l’on prend séparément chaque région, on s’aperçoit que sa géographie politique est généralement ordonnée à partir de “centres” qui sont souvent des villes. Dinan semble rayonner sur l’Est du département, Saint Brieuc sur le centre, Lannion sur le Nord-Ouest et Guingamp sur la moitié septentrionale du Sud-Ouest. Ce constat nous a conduit à chercher l’explication du phénomène du côté du rôle des villes7. » La ville, par rapport à sa région, possède le monopole politique, culturel, financier, médiatique (par l’influence capitale des journaux locaux et régionaux), elle est, par définition, le lieu de rencontres et d’échanges, son maire cumule généralement les mandats et si l’on vote en fonction de son influence personnelle, il est logique que cette influence décroisse progressivement quand on s’éloigne du lieu dont il est l’élu, où il réside, vit et milite.