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Tours entre Lumières et Révolution

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Béatrice Baumier

Troisième partie. La gestion urbaine : de la résignation à l’action

Chapitre IX. L’investissement municipal dans les domaines économique et culturel

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Géographique :

France

Texte intégral

1Au milieu du xviiie siècle, Tours a la réputation d’une ville languissante, tant dans le domaine économique que dans celui de la vie de l’esprit. Or, dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, alors que les « idées nouvelles » se répandent en Europe, bouleversant bien des comportements, la France connaît un grand élan commercial. Le corps de ville de la cité ligérienne montre lui aussi des signes incontestables d’intérêt pour la vie économique et culturelle, essentielle au bien-être de la population, et prend des initiatives qui tranchent avec l’atonie du passé.

Le renouveau économique : frémissements et réalisations

  • 1 F. Bayard et Ph. Guignet, L’économie française aux xvie, xviie et xviiiesiècles, 1991.
  • 2 Sur la prospérité et les manifestations éclatantes du bonheur de vivre en France à la fin de l’Anc (...)

2L’essor impétueux du xviiie siècle1 est rendu possible par un retour durable à la paix, une amélioration du climat et une stabilisation de la monnaie. Accroissement démographique et hausse des prix et des revenus sont les meilleurs indices de cet essor, qui engendre à son tour optimisme et quête du bonheur. Toute une série de positions idéologiques et politiques nouvelles sous-tendent par ailleurs ces bouleversements sans précédent2. Contrairement à ce qu’on croit souvent, les années 1780 sont belles à Tours aussi, marquées par des initiatives variées et nombreuses, porteuses d’aspiration au progrès et au développement. Ceci suscite quelques questions. Quelle relation les édiles ont-ils entretenu avec la question économique ? Ont-ils provoqué, accompagné ou subi l’évolution économique du temps ? Et quel a été l’effet de la Révolution sur cette dynamique nouvelle ?

Une vie économique encore figée vers 1760-1770

  • 3 B. Maillard, Les campagnes…, op. cit.
  • 4 ADIL, C 336.
  • 5 L’hôtel des monnaies a été étudié principalement du point de vue architectural : M. Cartier, « His (...)

3Il est impossible de proposer un bilan complet de la situation économique de Tours à l’époque moderne : à l’inverse des campagnes3, l’économie de la cité n’a pas donné lieu à une étude globale. Pourtant, la documentation existe, variée et importante ; citons notamment le volumineux rapport dû à l’ingénieur de Voglie et intitulé Tableau de la généralité de Tours depuis 1762 jusques et compris 1766, qui donne des informations précieuses, appuyées sur tout un appareil statistique moderne4. Cet auteur énumère les atouts, et ils sont nombreux, de la cité : celle-ci se situe au centre d’une région particulièrement riche en produits agricoles divers ; elle est située au confluent de deux cours d’eau navigables, au moins partiellement, dont le débouché naturel est Nantes, la grande porte atlantique ; elle est au centre d’un vaste ensemble de plaines où la circulation terrestre est facile, et bénéficie de la modernisation de la grande route royale qui mène de Paris en Espagne via Bordeaux, un autre grand port en plein essor. Ajoutons qu’elle dispose de quelques institutions liées au commerce : un hôtel des monnaies jusqu’en 1772 et, surtout, une juridiction consulaire5.

4Pourtant, encore au milieu du siècle, Tours n’est ni un grand port ni un grand centre marchand. La ville elle-même est faiblement industrialisée et souffre de l’atonie manufacturière de son plat-pays. Plus étonnant, elle n’a pas de halles, les échanges s’effectuant sur différentes places. À la fin des années 1780, le corps de ville prend conscience de la médiocrité des infrastructures du commerce des grains et entreprend d’y porter remède. Reprenant une requête formulée en août 1784 par les habitants du « quartier haut » – c’est-à-dire de l’est –, qui demandent l’établissement d’un marché dans cette partie de la ville, l’échevinage décide d’y construire une halle. Soutenu par l’intendant, le projet échoue pourtant. Il est repris en juillet 1788 lorsqu’il est question de démolir l’arsenal : édiles, archevêque et commissaire départi envisagent la construction d’une halle dans le prolongement de la terrasse Saint-Julien, qu’on financerait par une partie des fonds provenant de la vente du mail et du sanitas. Mais l’arsenal n’est pas démoli et la halle sera finalement aménagée quelques années plus tard, en 1791, dans l’église Saint-Clément, acquise par la Ville au titre des biens nationaux.

5Avant les années 1780, la municipalité s’intéresse paradoxalement assez peu au fleuve et aux avantages qu’elle pourrait en tirer. La ville est pauvrement dotée en matière d’infrastructures portuaires : la place Foire-le-Roi et le port de l’Écouerie ont été progressivement délaissés au profit des ports des faubourgs de Saint-Pierre-des-Corps, Notre-Dame-La-Riche et Saint-Symphorien. Mais il ne s’agit encore que de vagues aménagements : le grand port espéré ne sera créé qu’au début du xixe siècle, à l’embouchure du canal creusé à l’est de la ville pour relier la Loire au Cher. De même, Tours ne possède pas de quais dignes de ce nom avant que les ingénieurs du roi ne les aménagent, à partir des années 1770, sur des fonds d’État : ils ne seront achevés qu’au siècle suivant.

  • 6 À son origine, au milieu du xive siècle, cette association regroupait des marchands, des mariniers (...)

6La Communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire et fleuves descendant en icelle6, cette fédération, créée au Moyen Âge, de 22 villes intéressées par le commerce et la navigation sur la Loire et ses affluents, est en déclin. Les marchands tourangeaux qui en font encore partie sont régulièrement réunis par la municipalité pour nommer un des deux procureurs généraux (Orléans désigne le second) qui, avec les greffiers et des mandataires spéciaux, traitent les affaires courantes. Ils désignent aussi deux délégués chargés d’assister aux assises organisées tous les deux ou trois ans à Orléans – résidence du siège – dans le but d’améliorer le transport par eau : le 2 juillet 1765, ils remplacent Pierre Thoisnier, décédé, par Toussaint Bodineau et reconduisent Louis Delopitau dans ses fonctions, pour cinq ans ; en juin 1770, ils nomment Louis Jacques Poitevin-Viollet et Cartault l’aîné. Mais, dans les faits, l’association, encore puissante à la fin du xviie siècle, a perdu de sa superbe. Louis XIV a transféré l’essentiel de son autorité aux ingénieurs royaux, l’a réduite à un rôle consultatif, s’est emparé de son « droit de boîte » pour alimenter ses revenus (1678) et a confié le balisage des voies d’eau aux ingénieurs des turcies et levées (1689). L’association est finalement supprimée en décembre 1772, dans l’indifférence générale. À la fin des années 1780 toutefois, la question de la navigation fluviale attire de nouveau l’attention des juges consuls, des négociants, des chefs de manufactures, des voituriers par eau et des édiles de Tours. Ceux-ci, désireux d’ouvrir la ville sur le fleuve, font abattre les remparts nord et installent les foires sur les nouveaux quais. Ce regain d’intérêt pour la Loire touche les citoyens « éclairés », qui, ayant remarqué que les différents aménagements réalisés (nouvelles levées et suppression des îles) ont rejeté insensiblement le courant du fleuve vers le Nord, pensent intéressant de construire un duit pour ramener l’eau vers la ville. Marchands et édiles sollicitent pour ce faire l’intervention de la puissance royale, mais la Révolution éclate avant que le roi ait pu répondre.

  • 7 B. Maillard, Les campagnes…, op. cit. et « Les élites urbaines et l’industrialisation rurale en To (...)
  • 8 Cf. infra.
  • 9 On travaillait aussi la faïence à Saint-Christophe, et le cristal à Vaujours. ADIL, C 336. Notons (...)

7Un pareil renouveau d’intérêt gagne-t-il le secteur manufacturier ? Au milieu du xviiie siècle, les activités industrielles sont modestes en Touraine, en tout cas bien moins développées qu’en Anjou ou dans le Maine. Elles concernent essentiellement le secteur textile. À Tours, on assiste à quelques tentatives pour lancer de nouvelles activités hors du domaine de la soie, quasi exclusif jusque-là. En 1768, une fabrique d’étoffes « façon d’Angleterre » est ouverte par un Irlandais, Robert Balse. Dix ans plus tard, l’Angevin Joubert installe une manufacture de toiles peintes dans une partie des bâtiments du sanitas que la Ville lui loue pour 300 L par an. Mais le travail du textile ne dépasse guère les limites de la ville et ne profite pas des avantages produits par l’édit de septembre 1762, qui, légalisant les ateliers ruraux hors de tout régime corporatif, autorisait la dispersion des activités dans les campagnes7. Toutefois, la production de draps paraît s’être développée dans les dernières années de l’Ancien Régime. Deux indices tendent à prouver ce dynamisme : d’une part, les volumes importants de marchandises de ce type exportées à l’occasion des foires8, tant pour le marché local qu’à destination de Nantes et du commerce atlantique ; d’autre part, le témoignage de l’ingénieur De Voglie, qui écrit dans son rapport que « les draperies […] se fabriquent dans une multitude de petits bourgs et villes voisines » de Tours et cite la fabrication des petits draps à Loches, Beaulieu, Montrichard, Écueillé, Château-Renault, Saint-Christophe et Neuvy9. L’histoire de la proto-industrialisation en Touraine reste cependant à faire.

  • 10 Sur la manufacture de soie, en l’absence d’étude d’ensemble, voir C. Chevalier, « La décadence de (...)
  • 11 Les tanneries étaient peu nombreuses à Tours. Les marchands de cette branche se contentaient de ra (...)

8À Tours même, le travail de la soie reste quasiment l’unique activité industrielle10, même si l’on y trouve des ateliers de serges et droguets, quelques étamineries et un atelier de poterie installé à Saint-Pierre-des-Corps11. Créée en octobre 1470 par la volonté de Louis XI, la manufacture de soie, après son apogée au xvie siècle, connaît une régression certaine au cours du Grand Siècle, pour des raisons encore mal élucidées : selon l’historiographie classique, elle décline à la suite du transfert de la Cour dans la capitale, de la guerre de Hollande et du départ des protestants après la révocation de l’édit de Nantes. Toutefois, au milieu du xviiie siècle, on confectionne encore à Tours toutes sortes d’étoffes de soie, velours, pannes, pluches, damas pour meubles, ras de Sicile, gros de Tours, unis blancs ou de couleurs. En 1766, de Voglie répertorie vingt sortes d’étoffes, la plupart vendues dans différentes provinces du royaume – essentiellement à Paris –, mais également exportées en Allemagne, en Prusse et en Hollande.

  • 12 Cf. chap. IV.
  • 13 Parmi ces soyeux, en 1778, 52 affirmaient faire battre 913 métiers et occuper 741 foyers, ce qui r (...)

9L’industrie de la soierie est animée par deux groupes rivaux : une manufacture « rassemblée », qui porte le nom de manufacture royale depuis 1760, et une « manufacture dispersée » dans la ville et ses environs immédiats. La première, confiée en 1748 à Soulas, puis en 1760 à son gendre Pierre Antoine Claude Papion-Soulas, emploie une centaine d’ouvriers. La seconde est éparpillée entre les mains de 150 soyeux environ, placés à des degrés divers sur l’échelle sociale urbaine : à la base, les maîtres ouvriers en soie, qui travaillent à domicile ; à un niveau intermédiaire, des marchands fabricants qui donnent à façon des ouvrages qu’ils récoltent et revendent ; et, au plus haut niveau, des négociants12. À la fin de l’Ancien Régime, les plus puissants de ces derniers, conscients de la force économique qu’ils représentent, n’hésitent pas à revendiquer leur intégration au corps de ville à l’occasion de la mise en place de la réforme de L’Averdy : « Ils n’auroient pas du etre rangés dans la classe des artisans tant par la distinction de leur manufacture qui forme le principal nerf du commerce de cette ville [que] parce que ils ne travaillent point par leurs mains, et occupent seulement une quantité considerable des habitans à leurs ouvrages13. »

  • 14 AMT, BB 77, 5 janvier 1780.
  • 15 ADIL, C 336.

10Selon les édiles, cette branche d’activité serait en « décadence absolue » à la fin du siècle des Lumières14. Pourtant, si elle souffre de la concurrence lyonnaise, des difficultés d’approvisionnement en soie crue et de la modestie des structures commerciales ou financières des soyeux, plusieurs indices montrent sa vigueur persistante. En 1766, elle regroupe 1700 « métiers battants » qui fabriquent 10 000 pièces d’étoffes par an. Elle emploie 12 000 ouvriers que dirigent 150 « chefs de famille », sans compter ceux des ateliers des passementiers et des teinturiers15. Par ailleurs, les efforts fournis par les édiles et les marchands fabricants au cours des années 1780 attestent du vrai dynamisme de cette activité, avant que la crise de 1787-1788 ne freine brutalement son élan, comme nous le verrons.

  • 16 Sur les ambitions économiques de Du Cluzel : ADIL, C 105-106 et C 397 ; F. Dumas, La généralité de (...)

11L’activité marchande, globalement médiocre à Tours avant les décennies 1750-1770, bénéficie bientôt de l’intérêt grandissant de la monarchie pour les questions économiques et du ralliement de nombre de ses représentants locaux aux thèses libérales, défendues notamment par le courant physiocrate. Deux intendants successifs particulièrement actifs, Lescalopier (1756-1766) et Du Cluzel (1766-1783), savent sensibiliser le corps de ville à ces questions. Ils ne cessent de récolter des informations sur l’état des différents secteurs de l’activité marchande et les répercutent auprès des autorités centrales. Au passage, ils réveillent de vieilles structures endormies : ils demandent au corps des inspecteurs des manufactures de surveiller l’application des règlements et d’en assurer la mise en œuvre, comme c’était la tradition, mais aussi d’informer les ministres et leurs représentants locaux. L’un d’entre eux, Michel Huet de Vaudour, joue un rôle primordial auprès de Du Cluzel16. Surtout, les intendants contribuent à la réalisation concrète de nouveaux projets, parfois fort ambitieux, au service desquels ils savent mobiliser le corps de ville. Ce dernier devient alors leur relais efficace auprès des autorités directement concernées – juridiction consulaire ou communauté des marchands fabricants.

  • 17 AN, H1-1506 et ADIL, C 358. C. Chevalier, « Tableau séculaire de la Société d’Agriculture de Tours (...)

12C’est ainsi que le commissaire départi contribue à la création dans la généralité de Tours de Sociétés d’agriculture, chargées de « favoriser les progrès de l’agriculture, faire des expériences et découvertes utiles, instruire le public, exciter le zèle et l’émulation des cultivateurs dans toutes les productions propres à augmenter la fertilité et l’aisance des trois provinces17 ». Connues d’abord sous le nom de Bureaux d’agriculture, ces sociétés sont instituées par l’arrêt du Conseil du 24 février 1761. Les trois villes principales de la généralité, Tours, Angers et Le Mans, accueillent chacune un bureau. Leurs membres ont voix délibérative dans le bureau, tenu de s’assembler une fois par semaine. Les Tourangeaux se réunissent le jeudi après-midi à l’hôtel de l’intendance, sous la présidence du commissaire départi. Chaque bureau compte vingt membres, dont un secrétaire perpétuel nommé par le roi – celui du bureau de Tours est l’officier municipal Jean-Baptiste Verger-Douineau – et un directeur qui change tous les ans, élu à la pluralité des voix.

  • 18 AMT, BB 73, HH 4 (1re partie).
  • 19 Idem.

13À la fin des années 1760, Du Cluzel participe à un projet ambitieux lancé par Choiseul. À la requête de ce ministre, le gouvernement envisage en effet d’installer, près d’Amboise, un « moulin a tirer la soie à organsin », selon la technique mise au point par Jacques de Vaucanson. Chargé de la conduite du projet, Du Cluzel signe le 24 juillet 1768 un protocole d’accord avec ce dernier et prie la communauté des marchands fabricants de Tours de le seconder. Il demande à celle-ci, entre autres, de trouver les terrains adéquats et de désigner « un sujet solvable intelligent » qui soit également agréable au corps de ville. Si la communauté s’acquitte rapidement de sa seconde mission en désignant François Cartier-Roze, elle ne peut, malgré les 215 000 L obtenues du gouvernement et les pressions répétées de l’intendant, satisfaire à la première demande et abandonne le projet sous prétexte que « les ruisseaux et cours d’eau n’ont ni la chute ni le volume nécessaires ». La machine est finalement revendue à la province du Dauphiné pour 60 000 L ; la somme sera employée à la construction du nouveau pont, de la rue Neuve et des façades des maisons qui la bordent18. L’échec du projet de Vaucanson démontre le manque de capacité financière et technique, et l’étroitesse de vue des principaux acteurs de la manufacture de soie tourangelle. Pourtant, cette initiative contribue à susciter l’intérêt pour la modernisation des techniques de fabrication. En dépit d’échecs répétés, les efforts des représentants du roi portent peu à peu leurs fruits. Douze ans après cet épisode significatif, le 30 septembre 1780, la même communauté des marchands fabricants réceptionne avec curiosité, en compagnie de deux édiles, « un métier et une machine méchanique » que le gouvernement a expédiés à l’intendant. Cette machine, mise au point par un négociant de Lyon, Delasalle, se compose d’un « mettier à la grande tirre » destiné à accélérer la réplique des dessins d’étoffes brochées. Sont joints à l’envoi une « machine à foret », une « lingottière » et un « cadre à planche ». Le tout est déposé dans les locaux de la communauté, afin que tous les maîtres intéressés puissent examiner ces objets19.

14Fréquemment en contact avec les représentants de l’autorité royale en Touraine, la municipalité se laisse rapidement convaincre qu’elle peut, et doit, aider au développement économique de la ville. Elle relaie les thèses libérales auprès des marchands et des autorités locales susceptibles d’être intéressées, telle la juridiction consulaire. Cette prise de conscience est favorisée par le développement spectaculaire du grand commerce atlantique. Désireux de profiter de l’essor du trafic nantais, dont ils remarquent les retombées, les édiles vont se battre pour obtenir le rétablissement des foires et l’abolition de la douane d’Ingrandes à l’entrée de la Bretagne – deux réformes qui constituent un grand pas vers l’instauration du libéralisme économique dans la région.

Un tournant majeur : le rétablissement des foires (1782)

15Le rétablissement des foires marque le début d’une décennie consacrée au développement économique de Tours, sous la conduite d’édiles désormais conscients de la nécessité d’en réunir les conditions.

  • 20 Au xviiie siècle, il existait encore 26 de ces grandes foires dans le royaume, telles celles de Be (...)
  • 21 AMT, BB 77, 15 décembre 1779.

16Dans le passé, Tours avait bénéficié de foires à rayonnement sinon international, du moins interrégional20 : en 1545, François Ier avait autorisé la ville à tenir deux foires franches annuelles. Installées place Foire-le-Roi, elles s’ouvraient les 8 mars et 15 septembre pour une durée de quinze jours chacune. Confirmées par les rois suivants, ces foires au succès grandissant furent pourtant suspendues au début du xviie siècle. En septembre 1607, la municipalité annula le rendez-vous commercial pour des raisons de santé publique, invoquant « les malheurs de la peste qui se sont renouvellés21 ». Dès lors, ces foires furent « perdues sans avoir été supprimées », c’est-à-dire que l’habitude se perdit de les organiser.

  • 22 Sur l’installation et la suppression des premières foires : L. Benoît de La Grandière, op. cit. En (...)
  • 23 L’essentiel de la documentation est consultable aux AMT (HH 7) et aux ADIL (C 144). Voir aussi A. (...)

17La volonté de les rétablir resurgit cent cinquante ans plus tard22. Il faut cependant quelques décennies avant que toutes les réticences, notamment celles des marchands tourangeaux, ne soient surmontées23.

  • 24 F. Dumas, La généralité de Tours…, op. cit. et ADIL, C 397 et C 144 : mémoire (inachevé) écrit sou (...)
  • 25 C. Petitfrère, » Les officiers dans le corps de ville de Tours aux xviie et xviiie siècles », 1998 (...)

18Une première proposition est faite en 1755 par l’intendant, Savalette de Magnanville, mais elle est abandonnée en raison de l’hostilité des marchands et des fabricants locaux, qui craignent la concurrence extérieure. En 1771, une seconde tentative, municipale celle-ci, échoue pareillement. Désireux d’imiter les initiatives prises par différentes villes du royaume et forts de l’encouragement donné par le roi aux activités économiques, les édiles n’avaient pourtant pas ménagé leurs efforts pour faire aboutir le projet ; il aurait eu, selon eux, l’avantage « de procurer au commerce l’activité dont il a besoin, parce qu’il est de notoriété que les foires qui sont établies dans les différentes villes du royaume procurent des débouchés des marchandises […]24 ». Cet intérêt nouveau des officiers municipaux pour les foires, et plus largement l’économie, trouve sans doute son origine dans ce qu’on a appelé « l’invasion marchande » du corps de ville25.

  • 26 Cf. supra.

19L’idée resurgit en 1779, à l’initiative cette fois de marchands fabricants. Invité à se prononcer sur la question, le corps de ville rouvre le dossier, compulse ses archives, consulte la municipalité lyonnaise et, surtout, entame un débat avec les milieux de la manufacture et du commerce de la ville. Réunis le 21 décembre 1779, les principaux marchands – dont la liste atteste de la diversité du milieu économique urbain – se divisent sur la question : il y a les enthousiastes (soyeux, drapiers et négociants en cuir) et les récalcitrants (les « marchands détailleurs [sic] »). Les soyeux espèrent bénéficier, comme leurs homologues lyonnais, d’un allégement des droits (qui sont considérables, 22 sols par livre poids) payés sur les marchandises destinées à l’étranger ou aux provinces « réputées étrangères ». Les drapiers se déclarent moins intéressés : les droits frappant leur production étant relativement faibles (à peine 1 %), la franchise est pour eux « un médiocre avantage ». Bien que peu concernés par le rétablissement des foires, les négociants en cuir apportent leur soutien au projet ; il permettrait, selon eux, de fixer en ville et de faire prospérer « ce commerce qui se fait présentement en grande partie par les achats que les commerçants vont faire dans les villes et bourgs circonvoisins26 ». Les marchands détaillants forment le plus gros des récalcitrants. La vente à l’étalage, au moment des foires, leur serait préjudiciable « en ce que le citoyen des villes et bourgs circonvoisins se pourvoieroit de préférence aux marchands forains qui vendent communément à plus bas prix parce qu’ils ont des marchandises de moindre qualité ». Il leur est répondu que ces inconvénients seront avantageusement compensés pour eux : « ayant la concurrence de l’étalage avec les marchands forains », ils auront l’occasion d’exporter davantage ; profitant du faible coût de location des échoppes, ils pourront baisser leurs prix et augmenter leurs ventes ; enfin, il leur sera toujours possible d’attirer le public grâce à leurs articles, connus pour être de meilleure qualité… Insensibles à ces arguments, les détaillants restent sur une position qui ne changera plus.

  • 27 AMT, BB 77, 15 et 21 décembre 1779, 5 janvier 1780 et ADIL, C 397 et C 398 pour le soutien de Du C (...)

20De son côté, le corps de ville se dit convaincu du bien-fondé du projet de ranimer les foires, « seul moyen de rendre à cette ville l’activité dont elle a besoin […] d’où il pourroit résulter un commerce fort lucratif tant avec les royaumes étrangers qu’avec nos colonnies et le continant de l’Amérique [sic] ». Assuré du soutien d’une bonne partie du monde marchand et des plus hautes personnalités tourangelles27, il œuvre à leur rétablissement, ce qu’il obtient très vite, dès 1782.

  • 28 Intéressés par le projet, Necker et l’intendant du commerce de Cotte avaient chargé Du Cluzel de f (...)

21La rapidité de ce succès est due à l’intérêt que suscite ce projet auprès de l’intendant et du gouvernement, vite convaincus par le travail de lobbying collectif conduit principalement par le maire, Étienne J. Ch. Benoît de La Grandière28.

  • 29 Il faisait ainsi sans doute allusion au renvoi de Necker en mai 1781. Après avoir attendu en vain (...)

22Ce dernier y démontre son habileté, efficacement soutenu par le gouverneur, l’archevêque et l’intendant, bons connaisseurs des rouages administratifs et des circuits politiques de la monarchie. Familier de ces personnages, le maire suit leur conseil de se rendre à la Cour pour rencontrer et tenter de convaincre les principaux responsables. Mandaté par ses collègues du corps de ville, Benoît de La Grandière se rend à Versailles, une première fois de janvier à l’automne 1781, et une seconde fois de novembre 1781 à janvier 1782. Au cours de ce dernier séjour, il est accompagné de l’échevin A. J. Simon-Roze. Dans l’importante correspondance qu’il entretient avec le corps de ville, le premier magistrat fait état des aléas de l’entreprise. Il y fait surtout part de ses doutes et de ses craintes, se demandant parfois s’il doit « continuer ses démarches ou les abandonner pour les reprendre dans un temps plus favorable29 ». Mal assuré du succès de ses sollicitations, il recommande à ses collègues « le plus profond secret jusqu’à l’événement ». Il bénéficie pourtant du soutien indéfectible de l’ensemble du corps de ville et des hautes personnalités tourangelles, dont la présence à la Cour contribue à le rassurer. Si les ministres sont vite convaincus, il n’en est pas de même de la Ferme générale, dont les rentrées d’argent diminueraient du fait de l’instauration d’une franchise : elle reste longtemps insensible aux longs et nombreux mémoires argumentés, parsemés d’exemples récoltés auprès de villes modèles, par lesquels la municipalité s’efforce de démontrer les avantages qu’apporterait le rétablissement de ces foires pour tous, y compris pour les fermiers généraux.

  • 30 Pendant les deux jours précédant l’ouverture et les deux jours suivant la fermeture, il était auss (...)

23Finalement, les lettres patentes de janvier 1782 autorisent la Ville à organiser deux foires annuelles, ouvertes les 25 avril et 10 août pendant quinze jours chacune30. Le point le plus important pour le corps de ville est que le souverain lui confie la responsabilité pleine et entière de ces rendez-vous, ainsi que l’administration de la police, y compris économique. Enthousiastes, les édiles s’organisent aussitôt en vue d’ouvrir leur première foire le 25 avril suivant : ils publient des annonces dans les périodiques du royaume et examinent les projets d’organisation matérielle.

  • 31 AMT, BB 78, HH 8 (2e partie) et ADIL, C 397.

24Pourtant, deux oppositions empêchent la tenue du premier rendez-vous : celle du lieutenant général de police et celle de la Ferme générale31. Ulcéré d’avoir été dépossédé de la police des foires, le lieutenant général utilise une erreur de procédure administrative pour empêcher la tenue des foires tourangelles. En effet, « par déférence pour les premiers magistrats civils de la ville », les édiles avaient demandé au bailliage et siège présidial d’enregistrer le nouveau texte, ce à quoi personne ne les obligeait. Le lieutenant général de police y voit un moyen de bloquer l’initiative municipale et refuse de procéder à cet enregistrement. Plutôt que de se lancer dans une démarche juridique longue auprès du parlement pour contrer l’opposition du bailliage, les officiers municipaux passent outre, « considérant que tout retard serait préjudiciable », et sollicitent la juridiction de l’élection. Celle-ci ne fait aucune difficulté pour enregistrer les lettres patentes, gratuitement de surcroît.

25Bien plus grave est la réticence de la Ferme générale, qui, ne pouvant s’opposer ouvertement à une décision royale, multiplie les vexations pour limiter la portée des foires de Tours. Dans toutes les foires, la Ferme doit installer un bureau (composé d’un receveur et de trois commis) chargé de sceller par des plombs les ballots devant « sortir en franchise », d’enregistrer les déclarations et de donner des certificats de sortie. À Tours, les Fermiers prennent prétexte du non-respect des formes administratives – ils n’ont pas reçu les lettres patentes du contrôle général – pour empêcher la tenue de la foire d’avril. Malgré les suppliques des édiles faisant valoir que la foire avait été largement annoncée et que « les fabricants avaient pris des engagements pour faire parvenir des étoffes en franchise », les Fermiers restent inflexibles et annoncent qu’ils n’ouvriront leur bureau de marque qu’au mois d’août. Le corps de ville et le directeur des aides, Camet de Chauvigny, doivent conjuguer leurs efforts et recourir aux soldats pour repousser les colporteurs et les marchands de bétail des environs : n’étant pas au courant de l’annonce de l’annulation de la foire, ceux-ci commencent à affluer en ville. De son côté, la Ferme est décidée à pousser plus avant son avantage et multiplie les arguties : elle annonce ainsi qu’elle interprètera de façon restrictive l’exemption accordée aux » étoffes »à l’article 3deslettrespatentes, en excluant de la franchise tous les ouvrages de passementerie et de bonneterie. La contre-attaque des édiles et des négociants restera vaine.

  • 32 AMT, BB 78, 29 mai 1782 et BB 79, 27 juillet 1782.

26Si la Ferme générale ouvre bien son « bureau de douane » en août, ses exigences provoquent un nouveau débat avec le corps de ville : elle demande en effet que les frais de plombs et de cordages soient supportés par les négociants et que la Ville fournisse à ses commis non seulement un local adéquat, mais aussi un logement et 200 L à chacun. Les édiles refusent de satisfaire aux demandes des Fermiers, faisant remarquer qu’au lieu d’engager des commis supplémentaires comme ils l’envisageaient, il suffirait d’utiliser la compétence de ceux de Tours, en leur donnant une gratification en sus le temps des foires. Finalement, le corps de ville nomme deux de ses propres membres afin de « recevoir les déclarations de touttes les marchandises qui vendües en foire doivent jouir de la franchise, délivrer des certificats desd. déclarations et les signer », un travail technique habituellement dévolu à la Ferme32.

27La première foire s’ouvre finalement le 10 août 1782 : son organisation est aussi efficace que soignée. Désireux d’assurer le succès de l’événement pour lequel ils ont tant bataillé, les édiles en font une très large promotion, par des annonces imprimées et généreusement diffusées auprès des « différentes personnes qui à Paris doivent en avoir connaissance ». On en envoie aussi aux « principales villes et bourgs du royaume surtout de provinces réputées étrangères » comme Troyes, La Rochelle, Tarbes, Toulouse, Montargis. Les paroisses de la généralité sont également informées, ainsi que la population et les « corps ecclésiastiques et civils » de Tours, les juges consuls en tête.

  • 33 Les places Saint-Étienne, d’Aumont, de la Victoire et les quais depuis Sainte-Anne jusqu’à la Made (...)
  • 34 En 1782, les quais n’étaient pas terminés, mais la destruction de l’île Saint-Jacques avait permis (...)
  • 35 AMT, BB 79, 29 juillet 1782.

28Le printemps et le début de l’été de l’année 1782 sont consacrés à l’organisation matérielle et à l’examen des mesures de sécurité devant assurer le succès d’un rendez-vous qui concerne autant l’agriculture que l’industrie. Après la visite des terrains disponibles33, les officiers municipaux choisissent le « débouché de la route d’Espagne […] sur les quais, à raison du voisinage de la rivière[,] de la facilité des abords, des besoins du commerce, de l’étendue du terrain et de la beauté de la situation34 ». Cet espace est également jugé satisfaisant parce qu’il est vaste et extensible : du côté oriental, on pense qu’il sera facile d’ériger des entrepôts provisoires, près de la Foire-le-Roi et du vieux château, pour le « commerce des draps, cuirs, soyeries écrues et autres marchandises principales qui auront besoin d’être serrées en magasin » ; à l’autre extrémité, la place Preuilly peut accueillir le « commerce du bétail […] sans incommoder la sureté des citoyens ». La Loire permet l’acheminement des marchandises, « surtout celles de gros volumes […] tels que draps, cuirs, épiceries […] et surtout les vins », tout en assurant la sécurité contre le risque d’incendie : la proximité de l’eau et « l’éloignement de tout bâtiment garantiroit de la propagation ». Les édiles font débarrasser le mail Preuilly des matériaux qui y ont été entreposés et, à l’aide de palissades confectionnées à partir « d’ancienne charpente, piquets et perches » récupérés çà et là, le divisent en trois parties : une première est réservée aux moutons, une autre aux chevaux et la troisième aux « bêtes à cornes ». Un quatrième enclos est aménagé plus loin, à proximité de la porte des Oiseaux, pour les cochons : pour examiner la face inférieure de la langue de ces animaux et vérifier qu’ils ne sont pas ladres, la Ville engage deux « langayeurs », les « chaircutiers » Armand Lespagneul et Martin Brault. Les édiles imposent un parcours aux bestiaux « pour éviter les accidents » : en venant « par le pont neuf, et par la grille de fer, […] au lieu de traverser les quays, ils seront conduits aud. mail Preuilly par la rue Chaude, les fossés du Chardonnet, la place d’Aumont et le faux bourg St-Éloy35 ».

29Afin de promouvoir les produits régionaux, les édiles installent une « chambre où puisse [sic] se vendre les soyes de Touraine, les chanvres, les laines et les cuirs » dans le local attenant à la caserne de la maréchaussée, récemment terminée, au coin de la nouvelle rue Royale et de la Grande Rue. Les soieries, vins, laines, cuirs, le chanvre et le lin y sont entreposés ; on les place sous la surveillance d’un ancien fabricant, Jean Lepron, « aussi connaisseur dans la partie des soyes que dans la partie des cuirs ». Sa mission consiste, après avoir installé les « comptoirs, armoires, poids, fléaux et balances » et les registres nécessaires, à

  • 36 AMT, BB 78, 24 juillet 1782.

« recevoir en compte et poids les marchandises en différents genres qui luy seront apportées, […] les inscrire par ordre de datte sur les registres qu’il tiendra, […] en donner récépicé [sic] et numéros aux propriétaires, […] vendre les marchandises pour leur compte, à la meilleure condition possible au cas où on luy en donneroit liberté, ou […] rendre compte aux dits propriétaires des offres qui luy seroient faites36 ».

  • 37 AMT, EE 19.

30Sur la place Royale, la municipalité fait installer des échoppes. L’ingénieur de Montrocher en dessine le plan, uniforme : chacune fait approximativement 15 m2. La Ville adjuge pour 10 290 L la construction des 60 premières boutiques à une association composée de Chalmel, Luce et Lameule : ceux-ci les font fabriquer et assembler par un menuisier de Blois. Toutefois, la livraison tarde : deux boutiques seulement sont en place le 25 juillet et les officiers sont prêts à en faire élever à la hâte, lorsqu’ils apprennent avec soulagement l’arrivée des échoppes attendues. Celles-ci sont montées en urgence à quelques jours de l’ouverture des foires. Malgré l’impatience, on n’oublie pas l’esthétique : les boutiques sont peintes « d’une colonnade et décorées d’un ordre d’architecture », le tout complété par des dessins « en façon d’arbres, et pots à fleurs au dessus37 ». Les marchands intéressés par la location d’une boutique sont tenus de s’adresser au secrétaire greffier de la Ville : contre 30 L de location, celui-ci leur remet la clé correspondant au local retenu. À quelques jours de l’ouverture de la foire, l’enclos est soigneusement nettoyé et séparé du reste de la ville par des « barrières à coulisses » placées à l’entrée des quais pour interdire l’accès aux voitures et aux chevaux. Des chaises sont disposées pour le repos des marchands et des promeneurs. Pour la sécurité de tous, il est prévu d’éclairer le site par « deux rangs de lumière » et de le faire parcourir quotidiennement par les forces de police – milice bourgeoise et militaires – soumises à l’autorité municipale. Afin de prévenir tout risque d’incendie, les pompiers sont invités à disposer leur matériel au pied de l’hôtel de ville et à monter la garde.

31L’inauguration de la première foire a lieu en grande pompe le 10 août 1782. Dès quatre heures du matin, la municipalité s’assemble à l’hôtel de ville, revêtue de ses habits de cérémonie, puis se rend sur la place Royale en grand cortège, au son des tambours et des fifres. À cinq heures précises, trois coups de canon annoncent le début de la foire. Après avoir assisté à l’ouverture solennelle par le maire de la première boutique, « joignant le pont côté ouest », les édiles parcourent l’ensemble du champ de foire « en présence d’une multitude considérable de peuple », signifiant aux marchands qu’ils peuvent ouvrir leurs boutiques, « vendre et étaler ». Pour terminer, le cortège retourne à l’hôtel de ville dresser le procès-verbal de l’ouverture. Cette première foire ne connaît aucune difficulté majeure et se termine le 25 août. Dans les courriers qu’ils envoient pour remercier chaleureusement les principales personnalités de leur soutien, les édiles expriment leur satisfaction.

32Désormais, une partie importante de la vie économique de la ville va tourner autour de ces deux rendez-vous annuels. Leur succès ne cesse de grandir et la municipalité en améliore chaque année l’organisation. Toutefois, si la Ville tient à conserver l’entière responsabilité pour tout ce qui touche à l’organisation matérielle de ses foires, elle abandonne très vite l’autorité que lui avaient confiée les lettres patentes de janvier 1782 en matière de règlement des conflits. Deux raisons à cela : l’opposition répétée du lieutenant de police et la crainte du coût élevé de jugements portés en appel au parlement ou à la cour des aides. À la requête de la Ville, l’arrêt du Conseil du 25 juillet 1786 confie à l’intendant toutes « les contestations nées et à naître » pendant les foires. Sans doute l’échevinage voulait-il consacrer l’essentiel de ses efforts à les développer.

33De fait, le succès de ces rendez-vous marchands grandit d’année en année, comme en témoignent la création d’une troisième foire annuelle, la variété des produits exposés, la multiplication des attractions destinées à plaire au public, le nombre croissant des marchands et le bilan financier favorable.

  • 38 L’arrêt avançait par ailleurs au 1er août la foire débutant habituellement le 10. L’opposition con (...)
  • 39 Une fois encore, la Ferme générale fit des difficultés : le receveur des traites prétendit ne pas (...)

34En 1785, à l’occasion du renouvellement de la franchise, le corps de ville, soutenu par l’intendant, obtient une troisième foire. L’arrêt du Conseil du 14 décembre l’autorise pour six ans à partir de 178638 : organisée sur trois jours au « lendemain [de la fête] des rois », cette foire concerne « toutes les marchandises apprêtées et manufacturées quelque [sic] soit leur origine pourvu qu’elles ne soient pas prohibées ». Faute d’avoir effectué différentes démarches administratives durant l’automne 1785, la Ville doit réserver le premier rendez-vous (organisé dès janvier 1786) aux marchands de la cité et aux seules étoffes manufacturées à Tours et Amboise. Au cours des années suivantes, cette foire d’hiver accueille toutes les marchandises dûment « revêtues de leurs plombs39 ». Celle de 1787 se tient du 8 au 10 janvier ; celle de 1789, du 7 au 9 janvier.

  • 40 ADIL, V/12.3.7. Cf. annexe XII.

35Le nombre grandissant des marchandises exportées et l’origine géographique diverse des marchands venus vendre à Tours attestent aussi du succès de ces foires. Le magnifique Plan de la foire de Tours au mois d’août 178340 indique 262 emplacements numérotés répartis sur les quais, le long des deux terrasses de Saint-Julien et des Carmélites. Des commerçants de toute espèce s’y côtoient. Ceux d’étoffes de soie, de draps, de toiles ou de mouchoirs représentent l’essentiel (45 %), suivis par les bijoutiers (17 %) et les marchands d’accessoires vestimentaires (15 %). On trouve aussi des marchands d’ustensiles (6 %) et de décoration intérieure (3 %). On note enfin la présence de bouquinistes, d’opticiens, de luthiers, de marchands de « joujoux d’enfants », d’estampes, ainsi que celle de parfumeurs et de confiseurs : ces catégories représentent un total de 10 %.

  • 41 AMT, HH 13. Voir en annexe XIII la carte des villes d’origine des marchands venus vendre à Tours.

36Au total, 9 036 déclarations de marchandises ont été retrouvées pour les années 1782-178941. Elles témoignent de la présence de marchands tourangeaux mais aussi de négociants venus d’autres provinces. Parmi les premiers, on trouve les grands noms de la soierie, comme Papion, Abraham-Roze, Cartier, Faissolle ou Mayault. On trouve également de nombreux marchands de laine, dont la diversité des marchandises expédiées prouve le dynamisme de leurs activités. Quant aux marchands dits forains, ils proviennent de 57 villes différentes, la plupart du quart nord-ouest du royaume : les plus nombreux proviennent de cités proches plus ou moins grandes – Orléans, Saumur, Le Mans, Blois, Château-Renault, Amboise, Chinon, Baugé, Château-du-Loir et La Flèche ; d’autres viennent de l’Île-de-France (Paris, Étampes, Melun) ou bien (mais ils sont peu nombreux) de Metz, Reims et La Rochelle. Malgré les courriers envoyés à Troyes, Tarbes et Toulouse, aucun marchand de ces villes ne fait le déplacement : les foires de Tours ne peuvent prétendre à un rayonnement national. Pourtant, la municipalité ne ménage pas ses efforts : tous les ans, elle fait publier des annonces dans les almanachs du royaume, adresse des avis aux campagnes voisines et envoie des affiches imprimées. Le rayon de diffusion de ces annonces s’élargit d’année en année, ce qui confirme le succès relatif de ces foires : l’axe ligérien, prolongé vers Paris, se trouve privilégié ; toutefois, on ne laisse pas d’être étonné de l’absence de Nantes et de la rareté des marchands d’Angers.

37Ces déclarations de marchandises confirment les informations fournies par le plan de 1783 : près de 90 % des échanges concernent les étoffes, les vêtements et les rubans.

Graphique 17 – Répartition par grandes catégories des marchandises vendues en franchise lors des foires de Tours tenues de 1782 à 1789.

Graphique 17 – Répartition par grandes catégories des marchandises vendues en franchise lors des foires de Tours tenues de 1782 à 1789.
  • 42 À l’inverse, le coton était peu représenté.
  • 43 Ces négociants en laine sont bien installés à Tours : ils figurent en grand nombre parmi les 91 de (...)

38On constate sans surprise que les étoffes de soie représentent une part importante des ventes (32 %). Toutefois, plus de la moitié des échanges (54 %) sont relatifs aux lainages, vendus sous plusieurs dénominations (étoffes, draps, étamines, couvertures42…). Ainsi que le mentionnait déjà de Voglie dans son Tableau de la généralité, rédigé en 1766, il existe en Touraine une active manufacture dispersée de la laine, sans doute installée au nord de la Loire43.

Graphique 18 – Évolution du nombre de déclarations de marchandises faites lors des trois foires annuelles tenues à Tours aux mois de janvier, avril et août de 1782 à 1790.

Graphique 18 – Évolution du nombre de déclarations de marchandises faites lors des trois foires annuelles tenues à Tours aux mois de janvier, avril et août de 1782 à 1790.

39L’augmentation du nombre des déclarations annuelles est une autre indication du succès des foires tourangelles. Pourtant, cette croissance n’a pas été linéaire. Après trois années de relative stagnation (entre 480 et 550 par an), le nombre des déclarations augmente à partir de 1785 (700 à 800), et surtout à partir de 1787 avec plus d’un millier chaque année (1 200 en 1787, 1 500 en 1788). La foire d’août 1789, préparée au cours du printemps confirme cette évolution ; ce rendez-vous n’eut finalement pas lieu car le Comité permanent l’annula pour des raisons de sécurité. Il est difficile de connaître l’évolution ultérieure : les informations existent pour la seule année 1790. On enregistre alors un léger tassement avec 1376 déclarations. Enfin, notons que, des trois rendez-vous, celui d’août est toujours le plus couru : 58,8 % du total des déclarations contre 25,5 % pour la foire d’avril et 15,7 % pour celle de janvier (mais cette dernière n’a lieu qu’à partir de 1786).

  • 44 Le limonadier Joseph Delaunay ouvre le premier un café provisoire à l’entrée du pont pour offrir a (...)
  • 45 Le tourneur Charles Douestault obtient, contre 36 L, un bail de trois ans pour placer des chaises (...)

40Les édiles cherchent à rendre les foires plus agréables en encourageant la venue d’attractions et en améliorant le confort offert aux dames et aux enfants pendant que les messieurs discutent affaires. Les activités ludiques se multiplient d’année en année, destinées aux négociants comme aux badauds. La municipalité permet l’aménagement de deux cafés de part et d’autre de l’entrée du nouveau pont44, un « cercle de chaises pour les dames » entourant une estrade réservée à la musique45.

  • 46 ADIL, 2B477.

41Les édiles autorisent également différents spectacles aux extrémités du champ de foire et au pied de l’hôtel de ville : des marionnettes, des figures de cire, des jeux de bagues, des « curiosités de mécanique » ou d’optique, des animaux étranges, des géants ou géantes… En août 1788, pendant que le mécanicien Pierre Bridet présente sa mécanique de la « passion de Notre Seigneur », Paul Colman installe son manège et Louis Garnier, directeur d’une « académie des singes », montre ses animaux46.

  • 47 AMT, HH 8 (2e partie). Courriers datés respectivement d’août 1783, août 1784 et août 1789. Le prem (...)

42L’attribution des échoppes est une affaire bien rodée désormais. La Ville fait noter sur un registre spécial les réservations envoyées par les marchands. En voici quelques exemples47 :

« Ge pran la liberte de vous adrece la presante é vous prier davoir la bonte de me garde la boutique que ge ocupe à la foire derniere qui est le numero soisante seze si toute foi selui qui la ocupe avant moy ne vien point [sic]. »
« Le vif intérêt que vous prenés aux marchands qui se proposent de s’établir dans votre foire en qualité de marchand de bijouterie me fait prendre la respectueuse liberté de vous prier de me faire construire une loge de 12 à 15 pieds dont je payeray tout les frais nécessaire à cette construction [signé] Oppenheimer et compagnie [sic]. »
« Je vous prie d’enregistré et choisire une echope fermante, bien close et d’un emplacement avantageux. C’est pour mon frère que vous connoises comme ancien titulaire, et qui probablement la fera continuer, il demeure presentement à Paris, Palais Royal et ce sera ma femme et mon fils qui feront cette foire […] c’est pour l’assortiment de parfumerie et boutons acié et autres d’Angleterre. J’ai l’honneur d’etre parfaitement, monsieur, votre obéissant serviteur, [signé] Foucault. En post-scriptum, vous me donnerez s’il vous plaît le numéro et l’emplacement du cotté de l’hôtel de ville [sic]. »

  • 48 La Ville estime à 9 000 L le produit de ces locations (150 boutiques louées 30 L pièce), dont il f (...)
  • 49 Les nouvelles échoppes parviennent progressivement, mais trop lentement au goût des édiles : seule (...)

43Le succès est tel que le champ de foire s’avère bientôt trop exigu. On autorise donc les marchands qui n’auraient pas réussi à réserver une boutique à s’installer sur des « bancs, planches » disposés par le concierge municipal hors du champ de foire. Très vite cependant, pour faire face à l’afflux des demandes, la municipalité décide de faire construire de nouvelles boutiques pour compléter les 60 premières : le produit des locations le lui permet aisément48. Elle dispose de 150 boutiques en avril 1783 et de 180 en août 1783, sans compter les 60 autres échoppes provisoires qu’on ajoute à la hâte ; pour toutes, le corps de ville traite avec Jacques Guillon, un maître menuisier de Blois qui offre le prix le plus avantageux. Les boutiques, construites sur le modèle imaginé par de Montrocher en 1782, sont complétées chacune par « une galerie de toile [enduite de suif et de goudron] pour prévenir marchands et acheteurs des injures de l’air49 ». Cette galerie repose sur des poteaux placés en avant de l’échoppe. Les boutiques sont l’objet de toute l’attention des édiles, qui craignent les vols et l’usure du temps. Après les avoir laissées en place toute l’année 1782, sous la surveillance de deux soldats invalides, les officiers municipaux décident de les remiser dans des « magasins comodes et vastes » pour leur épargner les intempéries. Les planches sont réparties en plusieurs endroits, dans le nouvel hôtel de ville, dans des « magasins » loués aux cordeliers, à l’arsenal et dans « la remise d’une maison » patrimoniale située sur les quais, tandis que les supports des réverbères, les barrières et autres matériaux volumineux sont entreposés sur la terrasse de Saint-Julien, le long des murs de clôture de l’abbaye. Mais on décide dès 1785, pour éviter une manipulation excessive, de les laisser en place entre avril et août, et de les ranger durant l’hiver, saison par ailleurs consacrée aux réparations. Faute d’avoir trouvé les magasins adéquats, la solution provisoire perdure : une partie des terrasses de Saint-Julien est enclose pour entreposer tout le matériel.

  • 50 Les sommes perçues depuis le rétablissement des foires s’élèvent à un total de 55 812 L et les dép (...)

44La Ville examine régulièrement les comptes des foires, gérées conjointement par le receveur municipal et l’échevin A. J. Simon-Roze. De 1782 à 1791, la location des échoppes et des espaces lui rapporte en moyenne annuelle 4 626 L par an, alors que les dépenses, importantes au début, se montent à une moyenne de 4 326 L. Une fois passée la période des investissements, le solde comptable de l’entreprise s’avère globalement positif50.

Graphique 19 – Comptes des foires (1782-1791).

Graphique 19 – Comptes des foires (1782-1791).

45Un problème trouble toutefois la sérénité municipale : l’opposition des intérêts conjugués des « marchands détailleurs » autochtones et du lieutenant de police.

46Les marchands détaillants, on l’a vu, avaient dès le début exprimé leur opposition au rétablissement des foires. N’ayant pas réussi à l’empêcher, ils multiplient les démarches vexatoires à l’égard des marchands forains, s’insurgeant par exemple contre la priorité donnée aux étrangers pour réserver les boutiques. Ils se heurtent aux édiles et à l’intendant : pour promouvoir les rendez-vous commerciaux de la ville, ceux-ci sont favorables à l’idée d’accorder certaines facilités aux forains.

  • 51 AMT, BB 79, BB 80.
  • 52 Les détaillants avaient, dans cette affaire, le soutien d’un certain nombre de grands marchands, p (...)

47Le 20 août 1782, pendant la première foire, les marchands forains sollicitent du corps de ville l’autorisation de vendre « pendant les deux jours de remballage », en se réclamant à la fois des lettres patentes de janvier rétablissant les foires à Tours et de la pratique généralement suivie dans les foires du royaume. Le maire se déplace aussitôt chez l’intendant pour relayer leur demande et Du Cluzel leur donne satisfaction. Pourtant, le 18 août 1784, une délégation de forains se présente à l’hôtel commun en se plaignant « que plusieurs personnes répandent dans la ville et dans la foire, qu’il ne leur sera pas permis de vendre, demain et après demains jours du ramballage [sic], ce qui les inquiète tous… » La municipalité les rassure en réitérant l’autorisation donnée deux ans plus tôt51. Mais les marchands détaillants de Tours ne se tiennent pas pour battus. Ils portent la question au contrôleur général Calonne : leur mémoire, accompagné d’une pétition signée par 150 personnes, use tour à tour d’arguments techniques et de sous-entendus diffamatoires. Selon eux, les marchands forains, « qui ne paient aucune charge en ville, sont des gens sans aveu ni feu ny lieu […] souvent sont des réceleurs, des faillis et souvent des banqueroutiers frauduleux qui ne tendent qu’à tromper ceux a qui ils vendent comme ceux de qui ils acheptent, quelque fois pire ». Et de citer en exemple l’assassinat qui a eu lieu dans « une ferme de M. de Malesherbes par un colporteur et onze complices52 ».

  • 53 AMT, BB 79 et 80. En août 1784, Calonne avait demandé au lieutenant de police et au corps de ville (...)

48Les « marchands en détail » de Tours obtiennent en partie gain de cause, puis-qu’en avril 1785, sur leurs plaintes, un arrêt du Conseil défend aux forains de vendre pendant les deux jours de « déballage », c’est-à-dire ceux qui précèdent l’ouverture de la foire. Mais il n’est pas question des jours de « remballage ». Le nouvel intendant, Marius d’Aine, transmet cet arrêt au corps de ville, qui prend une ordonnance en conséquence le 23 avril. L’affaire dégénère aussitôt en un nouvel affrontement entre la Ville et le lieutenant de police. Car, le jour où la première se plie à l’ordre royal qui interdit la vente durant le « déballage » (c’est-à-dire l’avant-veille de l’ouverture de la foire de printemps), Valentin Loiseau fait placarder sa propre ordonnance. Il l’avait signée le 14 avril, mais en avait retardé la publication pour ne pas laisser au corps de ville le temps de la contester en justice avant l’ouverture de la foire – c’est du moins l’avis des édiles. Or, cette ordonnance « fait deffenses à tous marchands forains, colporteurs et autres, d’exposer en vente leurs marchandises dans aucuns endroits de la ville, à peine de saisie, confiscation, amende de 100 L et même de prison, à moins qu’ils n’en ayent obtenu la permission de M. le lieutenant de police, excepté néanmoins le tems des foires franches, pendant la tenue desquelles ils pouront exposer et vendre leurs marchandises dans l’endroit où elles [les foires] se tiennent et non ailleurs [souligné dans le texte] ». Le corps de ville proteste vigoureusement contre ce qu’il estime être un abus de pouvoir caractérisé du lieutenant de police, les lettres patentes rétablissant les foires ayant conféré à la seule municipalité le droit de décider des lieux de vente. Il soutient le droit des forains de vendre par toute la ville, là où ils ont trouvé de la place pour déposer leurs marchandises – bureau des marchands, auberges ou maisons particulières. Les empêcher de vendre librement, « ce seroit les ruiner et les éloigner pour toujours et par conséquent anéantir les foires… » En conséquence, l’échevinage engage les forains à l’avertir immédiatement si leur vente est troublée par les commissaires de police, et plus encore en cas de saisie de leurs marchandises ou même d’emprisonnement53.

49La démarche des « marchands détailleurs » de Tours échoue cette fois encore, mais ils font une nouvelle tentative, en septembre 1787, en adressant une requête à l’intendant du commerce Tolozan. Celle-ci demande de supprimer « l’étalage » des foires, c’est-à-dire d’interdire aux forains la vente durant les deux jours qui les précèdent et les deux jours qui les suivent. La requête, communiquée à l’intendant de la généralité, est transmise au corps de ville, qui prie d’Aine de rappeler aux détaillants locaux qu’ils ont déjà été déboutés de leur prétention en 1784. Cela n’empêche pas Pradeau, le lieutenant de police qui a succédé à Loiseau, de multiplier les vexations à l’encontre des forains : en avril et août 1788, il fait confisquer les marchandises de forains et prévient qu’il ne les rendra qu’en échange du paiement d’une amende de 30 L. La Révolution éclatera avant que le litige ne soit tranché.

50Malgré l’opposition persistante des marchands détaillants (ceux-ci iront plus loin en participant à la campagne de dénigrement orchestrée par les principaux chapitres à l’occasion du transfert des cimetières et de l’éclairage de la ville), alliés au lieutenant de police, les édiles ont su développer ces foires et leur assurer un succès certain. Le rétablissement de ces rendez-vous commerciaux marque un tournant majeur dans la vie tourangelle de la fin de l’Ancien Régime : sous l’impulsion donnée par les administrateurs royaux et les représentants du roi dans la généralité, les édiles, convaincus des avantages du libéralisme en matière de commerce, ont mis en place et soutenu sans faille un de ses outils majeurs. Les entrepreneurs et autres négociants s’en sont montrés les partisans les plus enthousiastes, les « marchands détailleurs » les adversaires les plus farouches. Il reste que Tours a sans conteste renoué, dans les années 1780, avec une vie économique dynamique ; sans l’impulsion donnée par les édiles en ce domaine, le mouvement n’aurait pas été aussi rapide.

Tours : une grande place commerciale en gestation

  • 54 Huit directeurs ou administrateurs, délégués par les corps de métiers, participent à l’élection de (...)
  • 55 Depuis l’arrêt du Conseil du 21 août 1684, les consuls pouvaient juger en première instance des li (...)
  • 56 Cf. chap. I.
  • 57 Les séances de la juridiction se tenaient à l’origine dans une salle de l’hôtel de ville. À partir (...)

51D’autres signes d’un renouveau commercial se manifestent, parmi lesquels le réveil de la juridiction consulaire. Depuis 1565, Tours abrite cette instance spécifique au monde économique, créée deux ans après son équivalent parisien, lequel sert de référence. Cette structure corporative, constituée de marchands élus par leurs pairs54, a deux fonctions. Elle sert, d’une part, de tribunal de commerce (trois juges permanents et douze suppléants y officient) et, d’autre part, elle suit l’évolution de la législation économique. Pour des raisons pratiques, c’est un bureau composé d’un grand juge, de deux consuls élus pour un an et d’un procureur syndic, secondés par un greffier, qui se charge de ce suivi. Les relations entre la juridiction consulaire et le corps de ville n’ont pas toujours été faciles. Outre qu’il existe entre eux des rivalités de compétences55, l’application de la réforme de L’Averdy est une occasion de fâcheries : en 1765, lors de la mise en place de la réforme, la juridiction ne reçoit pas de convocation pour élire un député ; elle obtient finalement du ministre en 1768 l’autorisation de participer aux élections suivantes56. Pourtant, des liens de personnes existent entre les deux corps. À l’époque considérée, près d’une vingtaine de juges consuls deviennent officiers municipaux et 48 ont été députés de paroisses. Le plus en vue est Michel Banchereau, ancien juge consul devenu maire, ami personnel de Du Cluzel ; ce personnage atypique dans le paysage politique tourangeau d’alors contribue largement à réveiller l’intérêt municipal pour la chose économique. Vestige du passé économique florissant de la ville, la juridiction consulaire avait connu son apogée au xviie siècle ; elle retrouve son dynamisme dans la seconde moitié du xviiie siècle, vraisemblablement en liaison avec le renouveau économique de la cité. Cette puissance retrouvée est manifestée par la construction, en 1757, d’un magnifique hôtel particulier rue du Collège57.

52Après le succès des foires franches, d’autres nouveautés, comme l’obtention de la franchise des vins circulant sur la Loire ou la consultation des marchands tourangeaux par les services de l’État, au même titre que leurs collègues de cités commerçantes reconnues, font penser que Tours était en passe de devenir une importante place de commerce à la fin de l’Ancien Régime.

  • 58 L’ouverture fut rendue effective par l’arrêt du Conseil du 29 juin 1783.
  • 59 Cf. supra. AMT, BB 78 et HH 4 (1re partie).
  • 60 AMT, BB 78.

53En avril 1783, la Ville apprend ainsi que le gouvernement a l’intention d’ouvrir prochainement le commerce des États-Unis d’Amérique à la France « par l’établissement de deux paquebots reliant port Louis et New York58 ». Désireuse de profiter pleinement de cette opportunité, Tours, comme ses consœurs des bords de Loire, sollicite la franchise des droits prélevés depuis 1664 au profit du roi et de Monsieur. Cette barrière douanière intérieure – la traite établie à Ingrandes en Anjou, aux limites des cinq grosses fermes – entrave l’exportation des vins vers Nantes et la Bretagne. Après les démarches habituelles (rédaction de nombreux mémoires, voyages du maire à la Cour et contacts avec les personnalités de la province), la Ville obtient le 11 novembre 1785 la « franchise pour les vins et l’exemption de tous les droits de passage qui se payent sur la Loire à l’entrée de la Bretagne ». Pour illustrer cette rapide victoire, on commande la célèbre Vue panoramique de Tours à Demachy59. Désormais, la circulation est libre pour les vins du royaume exportés vers les « colonies et dans l’étranger ». Dans cette affaire, les autorités royales se sont très vite rangées à l’avis des édiles, soutenus au plus haut par Vergennes et même par Monsieur, jusqu’alors réticent, car ce dernier pense désormais que les « droits de l’apanage ne pourront qu’augmenter considérablement par une plus grande circulation ». À Tours, les « députés du commerce en gros » viennent remercier le corps de ville, le maire surtout, pour ce qu’ils « ont fait pour les négociants de la ville et province60 ».

  • 61 Boyetel, conseiller d’État, et un certain Dupont furent nommés par l’arrêt du Conseil du 29 mars 1 (...)
  • 62 Audebert et Pelgé, négociants en cuirs, Jacques Faissolle, Allaire et Roch Parfait Marchandeau, pr (...)

54À la même époque, l’intérêt du gouvernement pour l’économie se manifeste entre autres par des enquêtes qu’il réalise auprès des principales grandes villes. Dans le cadre d’un rapport commandé en mars 1785 sur « l’état de la balance du commerce61 », les négociants des grandes villes sont consultés, dont ceux de Tours. Alexandre Viot-Chapelot et Gouin obtiennent du corps de ville la permission de réunir, dans une des salles municipales, les « négociants les plus intelligents de chaque branche de commerce ». Le but est de répondre aux enquêteurs, qui réclament des détails précis « sur le commerce de la ville et de la province, sur les entraves qui peuvent s’opposer au progrès de l’industrie et surtout les moyens de procurer au commerce les accroissements dont il est susceptible ». Le négoce en gros est représenté par Viollet, les draps par Alexandre Viot-Chapelot et Gouin, les soieries par Jean Joseph Simon du Petit Bois et Antoine Letort-Baudichon, la passementerie par André René Mayault et François Magaud, le commerce en gros des laines par Lefebvre-Mitouflet et les frères Jeuffrain et le « commerce de commission » par les frères Valete62. Un mémoire est rédigé, intitulé Éclaircissement sur le commerce de la ville de Tours et de la province de Touraine sur les obstacles que le commerce éprouve et sur les encouragements qu’il est important de luy accorder. Il est signé le 27 août par le corps de ville et les négociants consultés, et envoyé aux responsables de l’enquête, ainsi qu’à l’intendant.

  • 63 AMT, BB 78 et BB 79, 24 et 31 juillet 1782.

55Toujours en cette décennie 1780, trois autres questions sont l’occasion, pour les édiles et les marchands, de prendre conscience de l’insuffisance des structures commerciales de la ville, mais aussi de défendre la liberté de commerce contre les rigidités imposées par certaines décisions royales. Depuis l’arrêt du Conseil du 9 août 1781, les marchands sont censés faire transporter leurs marchandises circulant sur la Loire par un service des messageries royales. Or, un tel service n’existe pas à Tours. Désireux de se plier à la loi mais aussi de tranquilliser les marchands, les édiles mènent l’enquête : ils apprennent que l’entreprise a bien été affermée en décembre 1781 à un certain Loré et confiée à un dénommé Gilles. Une maison a même été récemment construite sur les quais près de l’auberge des Trois Barbeaux pour assurer ce service. Malgré tout, l’entreprise ne fonctionne pas : il n’y a aucun matériel, ni grue de chargement, ni balance romaine. On interroge les voisins, qui témoignent qu’aucun bateau n’a encore servi et que le seul dont la compagnie disposait jusque-là vient d’être vendu. Le ministre Joly de Fleury accorde finalement la liberté aux marchands d’utiliser indistinctement tous les bateaux qui naviguent sur la Loire : l’arrêt du Conseil du 14 septembre 1782 révoque celui d’août 178163.

56Moins de deux ans plus tard, la défense de la liberté du commerce réunit une nouvelle fois le monde de la marchandise et le corps de ville. S’appuyant de façon abusive, selon les négociants tourangeaux, sur un arrêt du Conseil du 20 décembre 1783, la ferme des messageries royales sous-loue à un certain Jean-Baptiste Fanuel le droit d’entrepôt exclusif des marchandises transitant par Tours et destinées à être transportées dans toute l’étendue du royaume comme à l’étranger. Les négociants redoutent que cela ne porte atteinte à leur droit de choisir librement leurs transporteurs, soit par marché direct avec les voituriers, soit par l’intermédiaire des commissionnaires courtiers. Une pétition, signée en mars 1784, de 91 marchands et négociants proteste contre cette entreprise auprès de l’échevinage. Cette démarche révèle une prise de conscience de l’insuffisance des structures commerciales de la ville. En effet, les signataires tirent argument de l’absence de chambre de commerce à Tours pour réclamer le droit de députer quatre d’entre eux à une séance du corps municipal afin d’arrêter en commun le texte des représentations à adresser au roi et à son conseil, ce qui est effectivement fait le 20 mars. Aucune suite à cette affaire n’apparaît dans les registres de délibérations ; il est vraisemblable que les pétitionnaires, soutenus par le corps de ville, obtinrent satisfaction.

  • 64 Les négociants regrettaient que les receveurs des aides et des gabelles n’accordent pas ces facili (...)
  • 65 AMT, BB 81, 20 décembre 1786.

57Quelques années plus tard, entrepreneurs et négociants viennent se plaindre à la Ville de l’absence de structures financières. De fait, comme les autres villes de province, la cité ne possède pas de banque : seule Paris dispose de tels établissements, dominés au xviiie siècle par les Suisses. Or, si le grand commerce peut se passer de banque pour son financement, il en a besoin pour « assurer la régulation des paiements en évitant le déplacement de numéraire ». Pour pallier cette absence, les négociants tourangeaux avaient pris l’habitude d’utiliser la caisse des domaines de la généralité. Celle-ci était, en 1786, installée à Tours et dirigée par le sieur Bellan. Ce dernier acceptait volontiers « de prendre le papier des négociants de la ville sous leur simple reconnaissance et promesse de payer après l’échéance et avis de paiement fait à Paris64 ». Or, les négociants apprennent avec inquiétude le départ de cette caisse pour Angers, où le directeur doit s’installer le 1er janvier 1787, terme initial du nouveau bail de la régie des domaines. Ils sollicitent « les bons offices et l’intervention du corps de ville auprès du ministre des finances et M. l’intendant de cette généralité » pour obtenir le maintien àTours de ce directeur des domaines et de la caisse qu’il a pour mission de gérer. L’échevinage leur donne volontiers son appui, arguant que « l’accroissement que prend insensiblement le commerce dans la ville et la province et l’établissement d’une nouvelle branche de commerce et de manufacture [évoque-t-on ici l’industrie de la laine, dont on exporte un volume important lors des foires ?], l’émulation qui s’augmente exige [sic] plus que jamais qu’il reste des fonds dans la ville ». On prie donc le ministre de revenir sur sa décision et on en profite pour lui demander de donner instruction aux autres responsables de caisses royales installées à Tours – les receveurs des aides, des gabelles, les receveurs généraux des finances – d’accepter les « papiers » des négociants tourangeaux : cette faveur, qui a été accordée à la place de Bordeaux, faciliterait l’acquisition des liquidités nécessaires au commerce65. La réponse, parvenue sans nul doute à Tours, ne nous est pas connue.

58À l’instar du reste du royaume, Tours profite donc de l’enrichissement économique caractéristique de la fin de l’Ancien Régime. Mais, comme lui, elle est confrontée aux crises conjoncturelles qui se précipitent pendant le règne de Louis XVI : difficultés de la viticulture, marasme manufacturier accru par le traité franco-anglais de 1786, hausse brutale des prix céréaliers en 1788-1789. Une de leurs conséquences est l’augmentation du nombre des indigents. De ces crises survenant au terme d’une phase séculaire de croissance, c’est celle de 1787 qui touche Tours le plus durement, obligeant les édiles, soucieux du maintien de l’ordre, à envisager une réponse d’un genre nouveau.

  • 66 AMT, BB 81, 1er août 1788.
  • 67 Cf. chap. VII.

59La rigueur de l’hiver 1786-1787 a provoqué un effondrement de la production de soie grège, « tant dans la province, que dans le surplus du royaume et chez l’étranger ». Le corps de ville craint que cette pénurie de matière première ne contraigne les « chefs et entrepreneurs de manufactures, à diminuer de plus de moitié le nombre des ouvriers qu’ils employent maintenant, d’où il résultera un défaut absolu de travail, pour plusieurs milliers de citoyens tant de la ville que de la campagne ». Il prend l’initiative, au cœur de l’été 1787, alors que va s’ouvrir la foire franche, de contacter l’archevêque et l’intendant afin de se « concerter avec eux [sur] les moyens les plus propres pour venir promptement et efficacement au secours d’une fabrique qui fait la principale branche du commerce de cette ville ». Il pense à proposer des « travaux de charité aux environs de la ville » aux « plus vigoureux des ouvriers des deux sexes », mais aussi, de manière plus originale, à l’ouverture d’ateliers de fabrication de toiles, bas, bonnets et autres, en chanvre, laine et coton66. À l’automne 1787, on évalue à 5 000 le nombre de pauvres, démunis habituels ou ouvriers tombés dans l’indigence67.

  • 68 AMT, BB 81, 22 août 1787.
  • 69 AMT, HH 5.

60Conscients des risques politiques d’une telle situation, les édiles, par ailleurs à la recherche de solutions nouvelles, tentent d’associer à leurs efforts les marchands fabricants. Ces derniers, réunis au bureau de leur communauté en présence d’Huet de Vaudour, inspecteur des manufactures, proposent purement et simplement de réduire le nombre des métiers en activité et de dédommager les ouvriers ainsi lésés – les maîtres à hauteur de 100 L, les « seconds métiers » à hauteur de 50 L. Ces offres sont jugées trop brutales et trop insuffisantes par le corps de ville, qui fait une série de propositions assez surprenantes par leur nouveauté. Il demande à la communauté des marchands fabricants de s’assembler sans délai et lui fixe par avance son ordre du jour. Il s’agira d’abord d’établir l’état nominatif des ouvriers susceptibles de manquer de travail, avec le nombre de personnes dont chacune de leurs familles est composée, et d’arrêter le rôle de la contribution qu’offrira chaque membre de la communauté pour le soulagement des chômeurs. En second lieu, la communauté est invitée à présenter, par écrit, ses propositions pour procurer le plus rapidement du travail aux ouvriers. À ce sujet, le corps de ville fait une suggestion proprement révolutionnaire, puisqu’il ne s’agirait ni plus ni moins que d’instaurer une sorte d’indemnité de chômage. Les édiles invitent en effet les marchands fabricants à réfléchir à la question suivante : ne serait-il pas plus juste, pour prévenir l’émigration des chômeurs, de décider que chaque fabricant sera tenu « de payer une somme à ceux des ouvriers qu’il cessera d’employer jusqu’à ce qu’il leur soit fourni de l’ouvrage et de déterminer la somme qui leur sera payé [sic] chaque jour68 » ? La communauté des marchands répugne à satisfaire la curiosité municipale et surtout se soucie peu d’avoir à indemniser les chômeurs. Une première réunion, prévue le 25 août, est repoussée faute de présents. Deux jours plus tard, une quinzaine de marchands fabricants se présentent, conduits par leur garde juré, Joseph Cartier-Douineau. Mais, après avoir écouté les propositions du corps de ville, ils se séparent sans prendre de décision, promettant seulement de réunir de nouveau leur communauté : rien n’indique que cette réunion ait eu lieu. Finalement, aucune solution inédite n’est trouvée et le corps de ville ne peut que recourir à l’habituel secours apporté aux pauvres lors des crises économiques : la charité. Le Bureau de bienfaisance ouvert au cours de l’automne 1787 y pourvoit69.

61La municipalité a donc largement contribué au développement économique de la ville au long des années 1780. L’impulsion qu’elle a donnée a été essentielle : à la veille de la Révolution, Tours apparaît comme une place commerciale en gestation, du moins aux yeux de la monarchie. Reste à savoir si l’entreprise privée aurait été capable de prendre le relais des initiatives municipales. La Révolution, en consacrant les principes du libéralisme économique, aurait pu répondre aux attentes de l’époque, mais les événements politiques et les inquiétudes qu’ils suscitèrent ne laissèrent guère aux nouvelles instances municipales le loisir de poursuivre l’œuvre entreprise par l’ancien corps de ville.

Un certain désengagement des municipalités de l’époque révolutionnaire

62Les officiers municipaux des premières années de la Révolution montrent moins d’intérêt que leurs prédécesseurs pour les réalités économiques. Les débats relatifs à ce domaine sont plus rares, sans doute parce que les problèmes politiques prennent le pas sur toute autre considération. L’heure n’est plus aux grands projets mais aux préoccupations quotidiennes : approvisionnement en grains et apaisement des esprits.

  • 70 Il était composé de juges spéciaux élus par l’assemblée des négociants, banquiers, manufacturiers, (...)
  • 71 La demande de Billault aîné, qui sollicitait l’installation d’une imprimerie, fut ainsi transmise (...)

63Tours voit sa fonction de centre commercial confirmée : elle accueille le nouveau tribunal de commerce élu en 179170. Mais le temps des initiatives est désormais révolu et, dans le domaine économique comme dans les autres secteurs de son administration, la municipalité se comporte en subordonnée docile des autorités supérieures, se contentant bien souvent de leur faire suivre les dossiers71.

64En conformité avec les lois d’Allarde et Le Chapelier (juin 1791), qui poursuivent la mise en œuvre du programme économique et social des Lumières en supprimant les communautés de métiers, le corps de ville doit étudier les comptes de celles-ci et établir un inventaire de leurs biens. La communauté des fabricants est liquidée le 3 août 1791 ; celles des cabaretiers, des cafetiers, des charpentiers et des bouchers, le 27 juin 1792. Après avoir informé les communautés une à une (d’après une liste établie en 1777 à l’occasion de la réforme de Turgot), les édiles récupèrent les brevets de maîtrise que les maîtres de métiers leur présentent en vue d’être indemnisés. Mais le travail prend du temps : commencé en mai 1791, il n’est clos qu’à l’été 1792.

  • 72 AMT, BB83, 24 avril 1789.

65Après la liquidation de l’Ancien Régime économique, une autre tâche occupe les nouvelles municipalités : la survie des foires, pour lesquelles le corps de ville d’Ancien Régime s’était tant dépensé. De fait, elles sont organisées régulièrement, à l’exception de celle d’août 1789. La dernière foire de l’Ancien Régime se tient en avril, malgré les intempéries de l’hiver et la rupture du pont qui en gênent le déroulement. La priorité ayant été donnée à l’acheminement des denrées de première nécessité, les marchands forains venus du nord peinent à traverser la Loire, et certains sont encore bloqués à Saint-Symphorien la veille de l’ouverture de la foire : « Le volume considérable de la rivière et le vent impétueux qui a soufflé depuis hier au soir ont empêché le passage des bacs, batteaux et charrières [sic]72. » Le corps de ville maintient cependant l’ouverture de la foire au 25 avril, tout en réservant leurs places aux retardataires.

  • 73 Soutenus par l’intendant et le ministre Lambert, les forains, qui venaient de se voir refuser une (...)

66Le 26 juillet, du fait de la confusion qui règne encore en ville à la suite des troubles du début de l’été, le Comité permanent prend la décision d’annuler la foire du 10 août et tous les spectacles qui devaient lui être associés : il fait démonter et remiser à l’arsenal les boutiques laissées en place depuis avril. Bien que l’annulation de la foire eût été annoncée par un avis paru dans la Gazette de France et par des courriers envoyés aux marchands forains, certains avaient déjà gagné la ville. Devant la pression de ces marchands – dont l’insistance est une preuve supplémentaire du succès des foires tourangelles –, le Comité autorise les forains déjà sur place ou ceux qui pourraient arriver à vendre leurs marchandises dans des lieux « publics », telle la rue Montfumier, mais aussi « dans les magasins, auberges et chambres qu’ils pouront se procurer », pendant le temps prévu pour la foire, mais « sans étalage ». Mais bientôt, cédant à l’insistance des forains qui ont malgré tout gagné la ville, il les autorise à vendre partout à condition qu’ils le fassent sans utiliser les étalages. Néanmoins, il refuse d’accéder à leur demande de repousser la foire à une période de moindre tension73, car il craint trop les difficultés d’approvisionnement pour envisager sereinement un afflux d’étrangers.

67Au cours des années suivantes, les municipalités maintiennent les foires et les organisent comme à l’accoutumée, malgré quelques inquiétudes liées au ravitaillement, en avril 1790 par exemple. Elles affichent le règlement habituel, annoncent les foires par des avis passés dans les journaux et par des courriers, et embauchent deux « langayeurs ». Elles ordonnent aux forces de sécurité, essentiellement les gardes citoyens, de patrouiller régulièrement et augmentent la fréquence de leurs rondes en fonction des inquiétudes du moment : en avril 1791 et en août 1792, les patrouilles sont doublées et complétées par deux sentinelles et des canonniers postés jour et nuit dans les allées du champ de foire. Conformément au plan de travail conçu par les officiers d’Ancien Régime, le champ de foire est sablé en mars, les échoppes sont montées dans la foulée, maintenues sur place entre avril et août, et démontées au terme de la foire d’août. Comme précédemment, le corps de ville fait l’ouverture officielle des foires, accompagné d’une dizaine de gardes citoyens armés, de soldats et de gendarmes : le cortège attend le coup de canon qui annonce l’ouverture de la vente, puis parcourt les allées.

  • 74 AMT, 1D22, 31 mars 1790.
  • 75 Cf. chap. VI.

68Les foires paraissent jouir de la même renommée que par le passé, puisque, faute de place, on est obligé de mettre des bancs et des tables à la disposition des « petits forains […] dans l’enceinte du côté de Foire-le-Roi et [des] Trois Barbeaux74 ». Mais, à l’inverse des foires de la période précédente, la municipalité assure désormais seule la police, dont elle a récupéré le complet exercice75. Elle fait ainsi vérifier les poids et mesures par les huissiers, les commissaires de police et un édile « conformément aux règlements ». Il lui revient également d’autoriser ou non les spectacles, et de sanctionner les marchands en infraction, rares au demeurant, ainsi que de trancher les litiges qui peuvent survenir entre eux. À ce titre, les édiles sont confrontés à l’opposition, toujours active, des marchands de Tours envers les forains : les Tourangeaux obtiennent de l’Assemblée nationale, en août 1790, de disposer du même nombre d’échoppes que ces derniers et pour un prix de location identique.

  • 76 Au cours de ces années révolutionnaires, jusqu’en l’an VII, les foires commençaient chaque année l (...)

69Les foires sont annulées en juillet 1793, sur avis du Conseil de guerre, qui, craignant les menaces que font peser les Vendéens sur la ville, exige qu’on laisse les quais libres de toute entrave. Par la suite, ces rendez-vous commerciaux seront de nouveau organisés, mais de manière épisodique, ce qui leur fera perdre beaucoup de leur intérêt. Il faudra attendre l’arrêté du 27 ventôse an V (17 mars 1797), signé par le Directoire à la demande des négociants de la ville, pour qu’ils retrouvent une certaine régularité76.

70Globalement, l’œuvre municipale en matière économique est mince durant les premières années de la Révolution. Sans doute l’inscription dans la législation nationale des thèses du courant libéral rend-elle moins nécessaire l’intervention des édiles dans ce domaine. Mais, surtout, le développement industriel et commercial de la cité passe au second plan de leurs préoccupations, tant en raison de l’urgence des problèmes d’approvisionnement et de maintien de l’ordre que de la quantité énorme de travail demandée aux officiers municipaux pour mettre en place les nouvelles structures administratives civiles et religieuses.

Une vie culturelle plus dynamique

  • 77 Par un brevet promulgué à Nantes en janvier 1594, Henri IV avait promis la création d’une Académie (...)
  • 78 B. Maillard, « Notables habitants et instruction populaire », in Église, éducation, Lumières… Hist (...)
  • 79 Toutefois, au temps de Choiseul, un des salons les plus brillants de province se tenait chez lui, (...)

71La vie culturelle sous l’Ancien Régime paraît relativement atone à Tours. La ville ne possède que de médiocres institutions d’enseignement : elle n’a pas d’université77, le collège tenu par les jésuites jusqu’à leur expulsion du royaume n’est pas très réputé et les moyens d’instruction populaire y sont rares78. Elle n’abrite aucune académie, et la seule société savante, la Société d’agriculture créée en 1761, n’intéresse guère le corps municipal. Les élites intellectuelles, qui pourraient entretenir une brillante vie de l’esprit par le biais de salons, manquent79.

  • 80 La franc-maçonnerie était apparue de bonne heure en Touraine : J. Fénéant, Franc-maçonnerie et soc (...)
  • 81 D. Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1978 ; R. Dar (...)
  • 82 G. Feyel, « La presse provinciale française dans la seconde moitié du xviiie siècle : géographie d (...)

72Pourtant, il serait injuste de faire un tableau misérabiliste de la situation. Les Lumières se diffusent en Touraine comme ailleurs, et l’esprit nouveau suscite quelques initiatives : on achète des journaux ou l’Encyclopédie ; on crée des loges maçonniques80 ; on ouvre des cabinets d’histoire naturelle ; on rencontre des membres de la société royale de médecine ou des sciences, des correspondants de Voltaire81. Comme dans 46 autres villes, on crée, en 1768, les Affiches, annonces et avis divers : ce journal local hebdomadaire publie des avis de services mais aussi des publicités. Tours se place dans le peloton de tête, parmi les dix villes où ces Affiches connaissent un vrai succès82.

  • 83 Journal de Madame Cradock. Voyage en France (1783-1786), éd. 1986. Pierre Antoine Claude Papion ét (...)
  • 84 Cf. chap. VIII.
  • 85 En 1781, on y représenta les Fausses confidences de Marivaux, suivies des Bourgeoises de qualité o (...)

73Là encore, les années 1770-1780 marquent une rupture : la vie culturelle semble alors s’animer. Madame Cradock, après une visite de la magnifique demeure de Papion, propriétaire de la manufacture rassemblée de soieries, note dans son journal avoir admiré dans le jardin de cet hôtel les statues de grands philosophes, preuve d’un intérêt pour les choses de l’esprit conjugué à des moyens financiers importants83. Dans le mémoire rédigé pour s’opposer à l’illumination de la ville84, le chapitre de Saint-Martin évoque, pour les dénigrer, ces « deux à trois cent personnes allant au théâtre85 », les « soirées des citoyens opulents », ou encore « le train de quelques étrangers qui […] introduisent un luxe ruineux ».

  • 86 Cet intérêt nouveau pour les questions médicales apparaît aussi dans les Affiches. Au xviiie siècl (...)

74Si certains édiles manifestent à titre individuel de l’intérêt pour ces initiatives, la municipalité contribue aussi, en tant que corps, au renouveau culturel de la cité. Elle s’investit davantage que par le passé dans ce domaine, parfois spontanément, d’autres fois sous l’impulsion des autorités supérieures. Elle soutient notamment certains projets intéressants qui concernent l’enseignement technique ou médical86.

Les institutions d’enseignement : petites écoles et collège royal

  • 87 B. Maillard, « Notables habitants et instruction populaire en ville au xviiie siècle », op. cit.

75Toutes les professions liées à l’enseignement sont traditionnellement soumises à la municipalité : celle-ci délègue un représentant dans les différentes institutions scolaires, autorise l’installation des maîtres particuliers et donne son avis lorsqu’il est question de créer de nouvelles écoles. Comme l’ensemble de l’opinion éclairée, qui s’intéresse à la question scolaire à partir des années 1760, la Ville n’apporte qu’un soutien très modéré aux initiatives destinées à l’instruction populaire et consacre l’essentiel de ses efforts à l’organisation du collège, destiné aux fils de l’élite locale87.

  • 88 Ibid.

76La ville est pauvrement dotée en établissements scolaires. Trois écoles de charité semblent fonctionner de manière satisfaisante : une est située dans la paroisse de Saint-Saturnin ; une autre à Saint-Pierre-du-Boile ; et la dernière, dans le faubourg Saint-Symphorien, activement soutenue par le curé de la paroisse. Ces établissements vivent d’ » aumônes libres » : la première, bien dotée, bénéficie d’une fondation de 200 L de revenus annuels ; la deuxième perçoit une rente de 150 L de Marmoutier ; la troisième reçoit un versement annuel de 150 L, payé par Étienne J. Ch. Benoît de La Grandière sur ses fonds personnels88. D’après certains témoignages, trois autres écoles de charité auraient existé.

  • 89 AMT, CC 20 et BB 9.
  • 90 AMT, BB 74 et BB 82.

77Le corps de ville est chargé de surveiller les maîtres indépendants – « maîtres en écriture », « maîtres en armes » ou « maîtres de pension » – qui assurent des cours particuliers. Il existe par ailleurs des « maîtres de danse » : ils sont neuf selon la capitation des corporations de 1777 et quarante-deux selon le dénombrement effectué par la Ville en 178189. Les édiles connaissent bien ces enseignants indépendants : ils procèdent systématiquement à leur installation, après examen des certificats professionnels et étude des justificatifs de « bonne vie et mœurs », et les envoient prêter serment devant le lieutenant de police. Lorsqu’un maître d’armes veut s’installer, il doit satisfaire à une autre exigence : « Faire l’assaut ordinaire pour qu’on puisse juger de sa capacité. » Effectué dans une des salles municipales, l’exercice a généralement lieu « en présence d’un très grand nombre de citoyens et gens exerçant la profession des armes » : le postulant est confronté à plusieurs personnes du métier, des soldats qu’on convoque pour l’occasion. Les candidats semblent être eux-mêmes d’anciens militaires : le 29 juillet 1772, la Ville admet François Thibault, ancien sergent au régiment d’Auvergne, et, le 26 novembre 1788, Jean-Baptiste Brisset, ancien sergent au régiment de Bourbon Infanterie90.

  • 91 AMT, B73, 20 février 1777.

78Le corps de ville reconnaît volontiers l’insuffisance de l’instruction populaire et la fréquence irrégulière d’affectation des moyens, mais il ne fait rien pour y remédier : il manque d’argent et, surtout, est peu désireux de voir se développer un enseignement destiné au peuple, quoi qu’il en dise. En février 1771, il s’inquiète ainsi de la multiplication des cours assurés par ces maîtres indépendants, concurrents de ceux proposés par le collège : il se dit informé « qu’il y a en cette ville un très grand nombre de maîtres de pensions [sic] qui enseignent les principes de la latinité ce qui fait que le collège est peu nombreux ». Selon les édiles, « cette éducation particulière ne peut être utile et avantageuse qu’autant que les maîtres borneroient cette éducation à l’enseignement de la lecture et de l’écriture même dans les principes de la latinité ». Soucieux de limiter le développement d’un tel enseignement, ils décident de suivre l’exemple de la Ville d’Étampes. Le 27 août précédent, celle-ci a en effet obtenu gain de cause, auprès du parlement de Paris, contre un certain Bourge, un maître de pension qui s’était autorisé à « enseigner la jeunesse jusqu’au point de les faire passer chés luy successivement par les différentes classe au préjudice du collège étably dans laditte ville [sic] ». L’échevinage tourangeau invite le procureur du roi au bailliage à agir auprès du parlement de Paris afin d’obliger les maîtres indépendants à faire entrer en classe de cinquième du collège les jeunes gens qu’ils auront initiés aux rudiments91. On ne connaît pas la suite donnée à cette requête.

  • 92 Une bulle du pape Benoît XIII, promulguée à Rome le 7 février 1724, approuva la fondation de la co (...)

79On ne s’étonnera donc pas du peu d’enthousiasme des édiles pour la recommandation de l’archevêque, à l’automne 1784, appelant « les Frères de l’Union Chrétienne92 » à ouvrir entre cinq et dix écoles gratuites « pour l’instruction des enfants mâles et par préférence ceux des pauvres ». Il est pourtant difficile au corps de ville de s’opposer ouvertement à un projet soutenu par le parlement de Paris et l’archevêque, projet qu’approuvent aussi les députés des paroisses, réunis le 29 décembre 1784. Ceux-ci reconnaissent que

  • 93 AMT, BB 80.

« rien n’est plus important au bien de l’Etat, à celui des villes et en particulier à celui d’une ville de commerce, que de procurer aux enfants du peuple dès le bas âge des principes de religion qui préservent leurs mœurs, et des connaissances qui les mettent à portée de remplir avec plus de facilité et d’utilité les différentes professions auxquelles ils sont appelés, que l’ignorance est toujours un mal et les connaissances un bien réel, encore que quelque fois on puisse en abuser93 ».

80En février 1785, le roi accorde des lettres patentes qui autorisent l’établissement de cinq écoles et permettent de récolter les fonds nécessaires à leur installation. Alors que le présidial fait connaître son hostilité, le corps de ville donne son accord. On réunit une seconde fois les députés des paroisses le 26 juillet 1786 : ils acceptent que les maîtres soient choisis parmi les frères de l’Union chrétienne et proposent pour leur établissement les terrains appartenant aux minimes de Saint-Grégoire, à l’est de l’église et du couvent, avantageusement situés « au centre de la ville dans une rue peu exposée au passage de voitures ». Ils ne formulent pas d’opinion originale quant à la qualité de l’enseignement proposé (dont ils désirent par ailleurs que le suivi soit confié à la Ville), mais restent particulièrement vigilants sur la question financière : ils refusent que la Ville supporte seule un coût estimé à 130 000 L. S’ils donnent finalement leur accord, du bout des lèvres, c’est parce que l’archevêque les a assurés qu’il ferait appel à la générosité de « citoyens estimables qui veulent bien faire les frais de cet établissement ».De fait, en juillet 1786,il annonce avoir reçu 80 000 L de la part de « familles bienfaitrices » désireuses de garder l’anonymat, sans toutefois pouvoir garantir qu’il obtiendra les 50 000 L manquantes. Les écoles finissent par ouvrir, mais bien tardivement en comparaison d’autres villes du royaume : Tours est une des dernières villes du Grand Ouest à les avoir accueillies. C’est que, répétons-le, l’éducation des enfants du peuple était jugée moins importante par le corps de ville et l’ensemble des députés des paroisses que celle prodiguée par le collège, destinée aux enfants des classes moyennes et supérieures.

  • 94 Acquis pour 20 000 L du marquis de Noirmoutier, les bâtiments, situés sur deux étages, avaient été (...)

81Créé en 1557, le collège royal fut géré par la Ville jusqu’en 1635, puis confié aux jésuites. Installé depuis 1634 dans l’hôtel Beaune-Semblancay94, l’établissement, qui dispensait des cours de grammaire, rhétorique, logique, physique et théologie, avait bonne réputation. L’arrêt du parlement de Paris du 6 août 1761, qui interdit aux jésuites d’enseigner dans les villes du ressort de cette cour, bouleverse la vie du collège. À partir de 1762, l’établissement est de nouveau géré par la Ville, conjointement avec l’archevêque, mais l’enseignement est confié à des prêtres séculiers et à des laïcs célibataires. La municipalité nomme huit nouveaux professeurs – quatre prêtres, deux laïcs et deux clercs tonsurés – et les installe le 1er avril 1763. Un nouveau règlement, adopté le 5 février 1763, institue un bureau d’administration composé de représentants du clergé et du corps de ville, d’officiers de justice, de notables locaux et du principal du collège. Réuni au moins deux fois par mois, ce bureau choisit les professeurs (hormis celui de théologie, domaine réservé à l’archevêque) et les domestiques, établit le règlement intérieur, fixe les horaires quotidiens et le calendrier annuel, veille à la discipline, et gère les fonds et les gages.

  • 95 AMT, BB 77, 15 janvier, 6 et 8 mars 1779.

82L’institution réorganisée, qui se choisit un écusson et une appellation latine, Collegium Regium Turonense, fonctionne ainsi jusqu’en 1779, date à laquelle une évidence s’impose : « La confiance des citoyens se refroidit de jour à jour et […] le nombre des écoliers diminue sensiblement, […] les citoyens aisés, pour procurer une bonne institution [sic] à leurs enfants, les envoyent dans les collèges circonvoisins […]. » Pendant toute l’année, les autorités examinent les causes du déclin : absence de pensionnat, bâtiments vétustes et reconstruction inenvisageable car trop coûteuse. Surtout, les professeurs choisis en 1762 se sont révélés peu capables : « Le collège confié à des ecclésiastiques séculliers et à des laïcs qui ne vivent point en corps et sous une même discipline ne peut […] remplir les vues qu’on s’est proposé de donner à la jeunesse […]. » L’archevêque, après avoir rendu l’hommage obligé aux « administrateurs intègres et éclairés […] secondés par des instituteurs dignes de l’estime et de la confiance publique », déplore le « vuide [sic] que les jésuites ont laissé ». Le collège de Tours est resté dans un état de langueur alors que d’autres ont prospéré. Cela semble « confirmer l’opinion assé générallement reçue que des instituteurs qui ne sont pas subordonnés au régime des universités ou des congrégations séculières ou régullières ne peuvent pas quelques éclairés qu’ils soient, satisfaire à tout ce que le public exige […] [sic]95 ».

  • 96 Il s’agit de Bourguin, professeur de philosophie, Duroncé, professeur de seconde, Nivet, régent de (...)

83Toutes les autorités de tutelle du collège tombent finalement d’accord pour le confier à la congrégation de l’oratoire, qui a l’avantage, disent-elles, de réunir « le zèle, les talents et les lumières » nécessaires. Surtout, l’idée est solidement soutenue par l’archevêque. Ce dernier rapporte l’expérience de son frère, évêque d’Arras, qui a confié aux oratoriens « les collèges d’Arras et de Béthune » et les a vus prospérer « depuis bien au delà de ses espérances ». L’assemblée des députés des paroisses du 8 mars entérine le projet et profite de l’occasion pour proposer une modernisation de l’établissement : on ouvrirait un pensionnat pour 200 élèves et on construirait des bâtiments neufs. Le projet suscite quelques objections et une opposition. Les premières émanent du président Rolland, commissaire à la Cour pour les collèges dans le ressort du parlement de Paris, qui impute l’échec du collège tourangeau à l’incompétence du principal et des professeurs : il pense qu’il suffirait de les « remplacer par des personnes recrutées à Paris ou dans d’autres universités ». Il estime que l’idée de confier le collège aux oratoriens est une erreur : la congrégation a trop d’établissements à sa charge pour placer partout des professeurs de talent. Il donne donc un avis défavorable à la municipalité, qu’il laisse cependant libre de choisir, ajoutant que confier l’éducation aux seuls religieux détournera à terme les laïcs de ce domaine essentiel. De leur côté, huit professeurs96 s’opposent au projet par voie de justice car ils craignent pour leur avenir ; ils retirent finalement leur plainte contre une indemnité substantielle de 4 600 L, répartie au prorata du nombre de leurs années d’enseignement.

  • 97 Les comptes du bureau d’administration du collège municipal sont arrêtés le 26 février 1780, mais (...)

84En avril 1779, de longues tractations sont menées au palais archiépiscopal avec la congrégation de l’oratoire, où celle-ci expose une à une les conditions préalables à son accord. Les réticences des oratoriens sont autant liées à la perte d’audience du collège qu’à l’état de délabrement de ses locaux. Finalement, la congrégation accepte le contrat le 26 mai, à la condition expresse que la Ville s’engage à reconstruire les bâtiments. L’oratoire entre officiellement en possession de l’établissement le 5 octobre et procède à un état des lieux le 6 novembre pour classer et inventorier les archives, les biens, les revenus et les vases sacrés. Puis il accueille les premiers professeurs et responsables désignés par la congrégation mère : le père Leclerc, ancien supérieur du collège de Niort, arrive le 16 novembre pour diriger l’institution97. Si la police et la discipline appartiennent à la congrégation, les méthodes d’enseignement sont calquées sur celles de l’université de Paris, à laquelle le collège est affilié, tandis que les horaires, les dates des vacances et les distributions de récompenses reviennent conjointement à l’archevêque, au lieutenant du bailliage, au supérieur de l’établissement scolaire et au maire. Ces derniers réorganisent la vie scolaire par un règlement adopté quelques semaines plus tard.

85L’établissement, désormais administré par les oratoriens, rouvre très vite ses portes. Les élèves entrent en classe le 5 décembre 1779 ; le 6, une messe est dite dans l’église du collège, en présence de l’archevêque et du corps de ville, qui assistent ensuite à « une composition générale » réalisée par les élèves.

  • 98 Cf. infra.

86Le nouveau collège connaît un succès relatif. Ardemment espéré, le pensionnat accueille 12 élèves en 1779, 16 en 1780, 32 en 1781, 38 en 1782. Mais, après cette date, le nombre chute à cause des problèmes de locaux98 : 21 en 1783, 16 en 1784 et aucun en 1785.

87De son côté, la municipalité, dûment surveillée par Du Cluzel, examine les possibilités de reconstruire ou de moderniser le collège, ainsi qu’elle l’avait promis à l’oratoire. Une visite des locaux l’ayant dissuadée d’entreprendre la restauration des bâtiments anciens, elle décide d’acquérir un terrain pour en ériger de nouveaux. De fait, le collège est à l’étroit sur un petit espace d’à peine 60 chaînées et ses bâtiments sont mal agencés : l’entrée est constituée d’une « cour très peu étendue » et le collège est installé dans « différents corps de logis originairement destinés à des maisons bourgeoises et réunis successivement au fur et à mesure du besoin […] ; partie des bâtiments [donnent] sur la grande rue d’où ils ne tirent qu’un jour médiocre, les autres sur la rue nouvellement percée ». Les jonctions entre les bâtiments sont « vicieuses et peu comodes et majeure partie privée du jour nécessaire [sic] », ce qui gêne « l’inspection généralle de la part du supérieur ou autre préposé à la conduitte de cette maison [sic] ». En outre, l’espace manque pour ouvrir une classe de mathématiques et une « préfecture » (c’est-à-dire un local destiné à un surveillant des élèves). Surtout, l’état déplorable de l’ensemble le rend dangereux : les caves voûtées situées sous la première cour sont en partie « pourries par les filtrations » ; les celliers du grand bâtiment et le réfectoire sont salpêtrés, malsains et sans jour ; les latrines situées dans cette partie du bâtiment le rendent inhabitable ; les poutres des étages sont pourries, cassées ou étayées ; les cheminées du bâtiment principal « sont hors d’état de servir » ; et le corps de logis donnant sur la Grande Rue, en partie démoli, est à reconstruire. La charpente de la glacière, située à l’entrée de l’église, menace de tomber, les toitures sont à refaire et le bâtiment des classes est « ruiné, étayé de touttes parts ». De même, tous les planchers, carrelages, portes, vitrages, cloisons sont à changer. La dépense totale des réparations et reconstructions est évaluée à 160 000 L.

88Après avoir visité plusieurs terrains, la Ville arrête son choix, en accord avec les oratoriens, sur des jardins appartenant au chapitre de Saint-Martin, entre le mail, la place du Chardonnet, la rue Chanoineau, la place d’Aumont et les murs de l’ancien cimetière de Saint-Pierre-du-Chardonnet. Ces espaces, libres de toute construction, ont l’avantage d’être vastes, situés au centre de la ville et faciles d’accès, permettant les entrées et sorties des élèves par une voie secondaire peu fréquentée. Mais le chapitre martinien refuse de céder son bien, sous des prétextes assez futiles – la congrégation des oratoriens n’a pas encore signé de contrat et le sol aurait « beaucoup de défauts cachés ». Malgré les réponses polies des édiles, le chapitre maintient son refus et fait une contre-proposition : « L’emplacement de la maison du sieur Coudreux et autres domaines que nous possédons dans la même île [sic]. » La municipalité la rejette et repousse parallèlement la proposition du gouverneur et de l’intendant consistant à occuper le château : ces locaux sont trop éloignés du centre de la ville et trop vétustes, ce qui nécessiterait des réparations onéreuses. Par ailleurs, ces lieux sont situés à proximité du dépôt de mendicité, qui susciterait la « répugnance des citoyens pour cet emplacement ».

  • 99 Le premier était situé « entre différentes maisons ouvrant sur la rue du Chardonnet, entre la rue (...)

89À l’automne 1779, le projet étant toujours au point mort, une commission de travail est créée sous la pression de Du Cluzel et Choiseul ; elle est constituée de représentants du corps de ville, du supérieur Leclerc et de l’ingénieur Cadet de Limay. Une semaine plus tard, elle rend un premier rapport, qui, confirmant la position municipale, rejette le choix du château et l’idée de moderniser le vieux collège. La commission visite par ailleurs deux terrains, qui ont l’inconvénient majeur d’appartenir également au chapitre de Saint-Martin99. Mais, contre toute attente, ce dernier accepte en juillet 1780 de discuter. Si le prix de location proposé par la ville (450 L par an) est rapidement agréé, la négociation achoppe sur deux rentes d’un total de 2 600 L dont les chanoines demandent à être déchargés. Malgré le refus du corps de ville, soutenu par les autorités supérieures, le chapitre persiste dans ses exigences, que la municipalité estime déraisonnables.

90Tout ce temps passé en discussions est préjudiciable à la vie du collège : espérant obtenir une décision rapide, l’oratoire a interrompu tous les travaux d’entretien. L’état de l’ensemble s’en ressent. Ainsi, du côté de la rue Choiseul, trois pans de bâtiments démolis lors des travaux d’alignement de la nouvelle rue menacent de tomber sur les passants et dégagent une humidité et une odeur insupportables, néfastes, dit-on, pour la santé des élèves. Ailleurs, la situation n’est guère meilleure : les locaux donnant au nord, sur la Grande Rue, doivent être détruits à la suite de l’effondrement d’une partie d’entre eux dans la nuit du 5 au 6 septembre 1788.

91La Ville fait en vain pression sur le gouvernement pour obtenir son appui contre les prétentions du chapitre, mais aucune décision n’est finalement prise, sans doute du fait de la disparition à peu de temps d’intervalle de Du Cluzel et de Choiseul ; le projet est donc abandonné par le corps de ville. Il sera repris dix ans plus tard pour aboutir à la création du lycée en 1797. La Ville n’a donc pas obtenu sous l’Ancien Régime le grand pensionnat dont elle rêvait.

92Malgré ses difficultés d’ordre matériel, le collège réorganisé en 1779 a pendant quelque temps bonne réputation. Cela est dû à la qualité d’un enseignement adapté aux besoins du moment, mais aussi au soutien apporté par la Ville, qui tient à encourager ses activités en assistant aux exercices de contrôles réguliers des élèves.

  • 100 Les trois exercices furent dédiés aux officiels – le premier à Choiseul, le second à Du Cluzel et (...)
  • 101 Choiseul en 1780, Du Cluzel en 1781, le maire en 1782, l’archevêque en 1783, d’Aine en 1784…
  • 102 Le 13 février 1784, le professeur de la classe de seconde et ses écoliers offrirent au corps de vi (...)

93Considérant « que l’ardeur au travail et la propension naturelle à la bonne conduite » sont « stimulées par l’appât des récompenses », la municipalité accepte de présider aux louanges publiques décernées aux meilleurs, et de prendre une part active à différents exercices organisés par la congrégation pour stimuler les élèves. Cette attitude rompt avec celle observée durant la période précédente : en septembre 1776, la Ville avait refusé d’assister au « discours […] prononcé par M. le professeur de rhétorique et ensuite à la distribution des prix », estimant qu’il s’agissait d’une « nouveauté dont elle ne se remet[tait] point d’exemple ». En fait, le changement d’attitude du corps de ville est la conséquence de directives officielles données par les lettres patentes de 1779, qui souhaitaient que l’on mette en valeur la qualité de l’enseignement prodigué et les progrès réalisés. La Ville assiste désormais à deux cérémonies annuelles : en septembre, la remise des prix qui marque la fin de l’année scolaire et, au printemps, un exercice littéraire offert par les écoliers de rhétorique. Le 4 septembre 1780, les édiles assistent en habits à la distribution des premières récompenses offertes aux meilleurs élèves, qui ont composé aux « différents exercices ». Cette année-là, la cérémonie se déroule en présence de 2 000 personnalités, rassemblées, sous des tentes disposées dans la cour du collège, autour du duc et de la duchesse de Choiseul, de l’intendant et de son épouse, des officiers du présidial, de la municipalité… : ce chiffre est avancé, sans doute avec quelque exagération, par les édiles eux-mêmes100. Désormais, tous les ans, à la fin du mois d’août ou au début du mois de septembre, la municipalité marque de sa venue la fin des études. Le jour dit, elle se rend en cortège à la messe organisée pour l’occasion, puis au collège ; s’étant présentée à la porte, elle est conduite par deux prêtres « dans les places réservées », à gauche face au présidial. Après le discours de bienvenue du principal, les prix sont remis successivement par les chefs des différents corps présents101. Au printemps, toujours soucieuse d’encourager « le progrès des études et exciter l’émulation de la jeunesse », la Ville assiste tout aussi officiellement, aux côtés du bailliage, aux exercices littéraires offerts par les élèves102 ou aux « dédicaces » prononcées à l’occasion de circonstances exceptionnelles : une oraison funèbre en avril 1781 pour Marie-Thérèse d’Autriche, un discours pour la naissance du Dauphin en juin 1782.

  • 103 En récompense, la municipalité accorda aux collégiens un jour de congé hebdomadaire, fixé au mercr (...)

94Durant les premières années de la Révolution, la Ville continue à s’intéresser à l’établissement, qui reste aux mains de l’oratoire : elle y fait ouvrir un cours de mathématiques en novembre 1790 et, surtout, elle assiste aux différentes cérémonies organisées par le collège. En juillet 1789, le Comité permanent préside à la remise de quatre médailles, complétées, « vu les circonstances » du moment, par le portrait royal. De son côté, l’administration du collège, désormais dirigée par le supérieur Raichon, tient à conserver ses bonnes relations avec la municipalité : le 12 février 1790, les élèves, conduits par Ysabeau, prononcent un discours pour complimenter le nouveau corps de ville, au sein duquel siègent d’ailleurs trois professeurs : Ysabeau lui-même, Bourguin et Maréchal103. Le 26 mars suivant, laVille assiste au discours « d’usage » prononcé par Maréchal, professeur de rhétorique, et, le 1er octobre, à la traditionnelle distribution des prix de fin d’année. Elle participe aux mêmes cérémonies le 15 avril 1791, en présence de l’évêque et des juges, et le 2 septembre. L’année suivante, l’importance du travail empêche le corps de se rendre au complet aux cérémonies, auxquelles assistent cependant quelques officiers.

95Tout au long de ces années, le soutien municipal va également à une autre catégorie d’enseignants, œuvrant ceux-là dans le domaine médical.

La création d’enseignements spécialisés dans le domaine médical

  • 104 Théoriquement, les docteurs ne pouvaient pratiquer que dans le ressort de l’université dont ils ét (...)

96Traditionnellement garant de la bonne police de la cité, le corps de ville est tenu d’enregistrer le brevet des nouveaux médecins désirant s’installer. Cette obligation ne sert pas seulement à contrôler une profession potentiellement dangereuse : elle permet aussi à la personne ainsi enregistrée d’être exemptée de toutes les charges publiques, « de quelque nature quelles [sic] puissent être même de logement de gens de guerre104 ».

97La municipalité procède de même avec les chirurgiens, dont elle surveille étroitement la communauté. Lorsqu’il est question de remplacer le doyen de la corporation des chirurgiens, qui porte le titre honorifique de « lieutenant de monsieur le premier chirurgien du roi », les édiles communiquent au roi le nom des trois candidats préférés. Après la démission de François Victor Barbier le 26 février 1789, la municipalité transmet les noms de François Victor Joseph Barbier, fils du sortant (et petit-fils du précédent doyen), maître en chirurgie depuis 1770, de Nobileau et de Deslandes, maîtres en chirurgie depuis 25 à 30 ans. Sans surprise, c’est le premier qui est désigné : ce chirurgien, par ailleurs responsable du dépôt de mendicité du Plessis depuis septembre 1787 et fils d’un ancien assesseur, était à n’en pas douter le favori de la Ville.

98L’attention qu’elle accorde à cette corporation et à ses initiatives est un bon indicateur de l’intérêt croissant que la Ville porte à la santé publique. Elle rejoint en cela les préoccupations du gouvernement et de l’intendant en matière de bienfaisance et d’assistance, qui prennent de l’ampleur dans les décennies 1770-1780.

99L’ » école publique de chirurgie » est la première institution qu’on peut qualifier d’enseignement supérieur à être soutenue par la municipalité. Autorisée par les lettres patentes du 5 juillet 1766, elle ouvre ses portes en novembre suivant, en présence d’un grand nombre d’élèves. Désignés par le roi, les premiers professeurs et démonstrateurs, Brossillon, Nobileau, Oyau des Ormeaux, Gravelat de l’Épine et Bobière, sont chargés de dispenser des leçons respectivement dans cinq domaines : l’anatomie, les principes, l’ostéologie, les opérations et les accouchements. L’école, qui prend rapidement le nom de Collège de chirurgie, s’installe dans une partie du couvent des cordeliers, où la cohabitation devient toutefois vite problématique :

  • 105 ADIL, H 650, lettre du frère Charrier, gardien du couvent, à Barbier (22 janvier 1770). Voir aussi (...)

« Votre collège ne [peut] subsister plus longtemps chez nous[, écrit le gardien des cordeliers,] tant à cause de l’infection des cadavres dont l’odeur est insoutenable qu’à cause de la trop grande sujétion où nous réduit de jour et de nuit le transport de ces mêmes cadavres ; à ces raisons j’en ajoute une troisième, c’est que MM vos élèves dégradent nos cloîtres et jardins, et que très souvent nous sommes exposés à leur propos ; voilà, monsieur, ce qui m’oblige à vous prier de vous procurer au plutôt [sic] un autre azile […]105. »

  • 106 En l’an VI, l’amphithéâtre fut transféré dans l’ancien couvent de la Visitation et le collège démé (...)

100Outre son classique rôle de surveillance, le corps de ville aide cette école à se développer. Il intervient auprès de Choiseul pour que les chirurgiens soient autorisés à occuper un terrain à proximité du château et, surtout, qu’ils obtiennent l’argent nécessaire à la construction de deux « chambres basses et un cabinet pour leurs opérations, la tenue de leurs assemblées et pour resserrer les instruments propres à leurs opérations ». Cependant, aucun projet n’aboutit : en 1790 et 1791, le collège de chirurgie demande encore aux autorités départementales l’autorisation de continuer à louer les salles des cordeliers pour 200 L par an106.

101Surtout, ainsi qu’elle le fera plus tard pour le collège, la municipalité accepte de parrainer les cérémonies destinées à récompenser les meilleurs élèves. En septembre 1771, le maire remet une médaille frappée aux armes de la Ville à ceux qui se sont distingués lors de l’examen final. L’année suivante, le 31 mai, les édiles assistent au discours prononcé par le professeur d’Aligny. Entre la municipalité et les chirurgiens, les relations restent bonnes tout au long de la période : en août 1786, Gravelat de l’Épine présente et dédicace à la Ville son « traité d’ostéologie […] comme une preuve de son zèle et un hommage rendu au corps municipal zélé pour toutes les parties du bien public ». Plus tard, en 1789, la Ville inscrira, on le verra, les exercices des jeunes chirurgiens au nombre des prix d’émulation créés par le gouverneur.

  • 107 Les lettres patentes de février 1692, établies sur le modèle de ce qui existe à Paris depuis le xv (...)

102Cela n’empêche pas le corps de ville de soutenir, avec l’intendant, une initiative concurrente d’un cours prodigué au collège de chirurgie : la formation des sages-femmes. La pratique de ce métier, progressivement réglementée par la monarchie, soucieuse de contrôler une profession qui n’était pas soumise au régime corporatif, reste encore au xviiie siècle peu satisfaisante. Au cours de ce siècle, le désir de soulager les femmes en couches se développe au fur et à mesure que grandit la conscience du scandale de l’effroyable mortalité des jeunes mères et de leur progéniture. Le collège de chirurgie de Tours proposait bien des leçons, mais les cours assurés par Bobière étaient trop théoriques pour les matrones intéressées. L’initiative plus pragmatique d’Angélique Le Boursier-Ducoudray répond mieux aux attentes107.

103Formée à l’hôtel-Dieu de Paris, cette maîtresse sage-femme avait mis au point une méthode novatrice d’apprentissage de l’art d’accoucher : s’aidant de mannequins de bois et de chiffon, elle faisait des démonstrations concrètes. Elle avait reçu en 1767 un brevet royal l’autorisant à former des élèves dans tout le royaume, assorti d’une pension de 8 000 L. Dès lors, en compagnie de son gendre et assistant Couttanceau, de sa fille et de trois domestiques, elle sillonna les routes de plusieurs intendances où des administrateurs éclairés l’invitèrent. Du Cluzel, qui multiplie les efforts en matière sanitaire depuis quelques années, l’accueille dans sa généralité en 1777. À sa suite, la municipalité de Tours se dit vite convaincue de la nécessité de soutenir « un secours attendu depuis longtemps et si désiré » ; elle impose cette pionnière, tant aux anciennes matrones qu’aux professeurs du collège de chirurgie, qui l’accusent d’être une « intrigante incapable ».

104Chargés de l’organisation matérielle des cours, les édiles fournissent le logement et des subsides à cette dame, laquelle multiplie les exigences : elle veut une résidence située au centre de la ville, proche de la salle de cours et comportant un mobilier confortable, ainsi que de la vaisselle en quantité suffisante. Secondés par les curés et les principaux seigneurs de la région, les officiers municipaux se chargent de faire connaître très largement ces cours : ils annoncent que toutes les femmes intéressées seront logées par la Ville, qu’elles toucheront 12 L pour les cours et que les « diplômées » bénéficieront de l’exemption de la corvée, ainsi que leur mari, pendant tout le temps où elles exerceront.

  • 108 Femme d’affaires avisée, madame Ducoudray vendit au total quatre « machines » de son invention à l (...)

105Après avoir enseigné au Mans puis à Angers, madame Ducoudray donne deux séries de cours dans la salle du collège de chirurgie de Tours : du 15 novembre 1778 au 15 janvier 1779 devant 70 élèves volontaires, et du 1er au 15 février devant six « chirurgiens démonstrateurs » venus de Loches, Amboise, Loudun, Chinon et Richelieu. Au terme de ces leçons, des sages-femmes sont reçues officiellement à leur examen, lors d’une cérémonie en présence de l’intendant et de deux « médecins-conseillers ». Chacune reçoit un exemplaire du livre de leur professeur, Abrégé de l’art des accouchements, paru en 1773. Avant de quitter la ville, le 24 février 1779, madame Ducoudray rend visite au maire pour remercier la municipalité de sa générosité : les édiles ont acheté quelques-unes des « machines » proposées108 et lui ont offert une bourse de 60 jetons d’argent frappés aux armes de la Ville. Au total, la dépense acquittée par les édiles fut de 5 815 L.

106Avant de quitter la ville, madame Ducoudray met en place une organisation destinée à prolonger son enseignement. Dans les trois principales villes de la généralité, un chirurgien démonstrateur doit instruire « tous les ans [à partir du 1er mars et par des cours répartis sur six mois] un certain nombre d’élèves et femmes pour le service des paroisses de l’arrondissement ». ÀTours, le chirurgien Louis Michel Moreau est désigné le 18 février 1779 et est placé, ainsi que ses deux autres confrères, sous la surveillance d’un « inspecteur général des cours d’accouchement de la généralité de Tours » : en juillet, c’est le jeune maître-chirurgien d’Angers Michel Chevreul, ancien élève à Paris de Baudelocque, qui est nommé à ce poste. Contrairement à ce qui s’est passé à Angers, l’expérience tourne vite court à Tours : le nombre d’élèves reçues diminue rapidement, ce qui entraîne en 1786 la suppression des cours. En inscrivant en 1789 des démonstrations d’obstétrique au nombre des prix d’émulation créés par le gouverneur, la Ville tente de réactiver ces leçons, que beaucoup jugeaient utiles.

107Partageant les nouvelles convictions de leur époque, les édiles ont participé au renouveau de la médecine, même si les résultats de leurs efforts sont restés modestes. Là encore, Du Cluzel a trouvé en la municipalité un relais efficace des idées nouvelles.

Un succès majeur : l’école de dessin de Charles Antoine Rougeot

  • 109 Fils d’un maître tapissier, né à Paris en 1740, Rougeot s’installa à Tours vers 1760 chez son oncl (...)
  • 110 On connaît cinq tableaux majeurs de lui et plusieurs dessins. On reconnaît dans certains l’influen (...)
  • 111 Le soutien fut d’autant plus fort que, à la même époque, plusieurs villes, dont Poitiers, Le Mans (...)

108Née d’une initiative personnelle soutenue dès le départ par le corps de ville, l’école de Charles Antoine Rougeot connaît un succès quasi immédiat, important et durable. Archiviste de Saint-Gatien109, « excellent dessinateur » et peintre110, Rougeot devient vite maître de dessin, donnant « quelques cours aux enfants de la ville ». Cela lui inspire l’idée d’ouvrir, à ses frais, une école où il enseignerait le dessin d’art, mais aussi et surtout le dessin technique aux artisans, afin d’améliorer la qualité des productions de soies brochées. Assuré du soutien de l’intendant, il présente son projet aux officiers municipaux le 4 janvier 1778 : les cours auraient lieu trois fois par semaine, de 19h à 21h, et s’adresseraient à 40 élèves durant les beaux jours (du 1er avril au 30 septembre) et à 20 seulement en hiver (du 1er octobre au 31 mars), saison où l’on ne peut fournir la lumière et la chaleur à un trop grand nombre d’étudiants ; les élèves, choisis « parmi ceux qui se seront les plus distingués », suivraient des cours de technique du dessin « d’après la bosse ou antique ». Ce projet reçoit aussitôt le soutien de la Ville, qui reconnaît volontiers les avantages d’un tel établissement : espérant que cette institution révélera des « talents naturels » et occupera « utilement de jeunes citoyens souvent livrés à l’oisiveté », elle autorise la diffusion de « prospectus » d’information111.

109L’école est tout de suite un succès. Dès son ouverture, au printemps 1779, elle accueille, trois fois par semaine et aux heures prévues, près de 40 élèves, des artisans de « tout état ». Les salles de cours, aménagées dans deux chambres de la maison personnelle de Rougeot, près de la cathédrale, sont équipées, aux frais du maître, de tables, de pupitres et surtout d’un « portefeuille de modèles ». Le petit établissement des débuts se développe rapidement, soutenu par la Ville et Du Cluzel, dont le propre fils suit les cours.

  • 112 Les citations sont extraites du brevet de confirmation de l’école, signé le 12 avril 1781 par le c (...)
  • 113 Cette affiliation permit à Rougeot de recevoir des modèles de dessins pour ses élèves. Le sceau re (...)

110En janvier 1781, c’est la consécration : par l’entremise de l’intendant, Necker accorde à Rougeot une gratification de 100 pistoles et une pension annuelle de 500 L. Surtout, le 12 avril, l’établissement est érigé en « école académique de peinture, sculpture, architecture et arts à l’effet d’y enseigner lesdits arts sous la direction et l’inspection, quant à la police et l’économie intérieure, des officiers du corps municipal de la ville de Tours, et quant à la partie de l’art, sous celle de l’Académie royale de peinture et sculpture de Paris ». La monarchie reconnaît ainsi que l’école ayant attiré des provinces voisines nombre de sujets « pour participer à ses instructions », elle ne peut que convenir à une ville telle que celle de Tours, « tant à cause de son opulence qu’à cause de ses manufactures au gout desquelles cette école gratuite peut contribuer112 ». L’établissement affilié à l’académie de Paris, choisit une devise, un sceau et rédige un règlement113. Sa gestion est confiée à la Ville, chargée d’y faire respecter le règlement envoyé par le directeur des bâtiments du roi : elle valide le choix des professeurs, fixe la date d’ouverture officielle, indique les salles, et précise les heures de cours et le nombre des élèves.

  • 114 Faute de place, l’école quittera ces lieux en 1792 et s’installera dans un local fourni par le Dép (...)

111L’école nouvelle ouvre très vite ses portes au public. La présentation officielle a lieu le 21 novembre 1781 à l’hôtel de ville, en présence des professeurs et des élèves. On inaugure ensuite les nouvelles salles de cours : en attendant que la Ville aménage un local, l’école s’installe provisoirement au couvent des augustins. Deux ans plus tard, le 22 juin 1783, l’école et son matériel sont transférés dans le vieil hôtel de ville. Le 26 janvier 1786 enfin, avec le soutien de Marius d’Aine, Rougeot transporte son école dans le nouveau bâtiment municipal. Il devra la déplacer à nouveau à l’hôtel du gouvernement au début de la Révolution114.

  • 115 Au total, en semaine, trois leçons hebdomadaires étaient données, entre 17h30 et 20 h. Les cours d (...)

112L’école dispense quatre cours différents : le dessin ; la « fleur et [le] dessin des étoffes » fabriquées à Tours ; l’écriture et l’arithmétique ; l’architecture et la sculpture. Les horaires du début sont maintenus, mais on y ajoute des cours les dimanches et fêtes pour « le Dessin, le genre de Figure, Ornement, Fleur et Architecture115 ». L’école accueille également des « personnes déjà instruites », qui peuvent y trouver « une Collection de Dessins, Gravures et Bosses, utiles aux différents Arts et Métiers ». Peu de temps après, ces cours sont complétés par des leçons d’architecture et de géométrie pratique, assurées par Antoine Jean Pinguet, géographe des Ponts et Chaussées de la généralité résidant à Tours.

  • 116 Pour apaiser les craintes du maire, Rougeot précisait que Gautier et Pinguet, « qui travaillent au (...)

113Tous les professeurs sont choisis par Rougeot et confirmés par la municipalité. Pour les cours d’écriture et d’arithmétique, le corps de ville désigne Buron parmi quatre candidats. Si Rougeot n’a pas de mal à recruter les maîtres de dessin, il a plus de difficulté à faire engager un professeur d’architecture et de sculpture : un certain Gabriel Lefevre, appareilleur sur le nouveau pont, est embauché provisoirement pour enseigner la géométrie et la coupe de la pierre. Le maire émet des critiques à l’égard de ce recrutement, par crainte du tort que cette concurrence porte à l’enseignement de mathématiques prodigué au collège : on hésite donc à faire inscrire le nom du professeur dans l’Almanach de Touraine. Face à cette attitude qui risque « de rebuter […] des citoiens zélés qui offrent leur service pour le seul point d’honeur [sic] », Rougeot prend la défense du professeur et de la matière enseignée, nécessaire, dit-il, à « l’architecture & couppe [sic] de pierre », pour lesquelles « la géométrie […] est la base116 ». Le directeur obtient finalement gain de cause.

Professeurs de dessin :
– Charles Antoine Rougeot (à partir du 21 novembre 1781), professeur de « fleur et de dessin d’étoffes » ;
– Barrault1 (à partir du 21 novembre 1781), pour la « fleur et dessin des étoffes », assisté d’un adjoint-surveillant des classes :
– Jean-François Villerois, dessinateur (du 21 novembre 1781 au 12 mars 1782) ;
– Pasquin, brodeur et dessinateur (à partir du 13 mars 1782)2.
Professeur d’écriture et d’arithmétique :
– Michel François Buron, maître en écriture ou écrivain, correspondant du Bureau académique de Paris (à partir du 5 mai 1784).
Professeur d’architecture et de sculpture :
– Gabriel Lefevre, entrepreneur et appareilleur au pont neuf de Tours (à partir du 21 novembre 1781).
Professeurs d’architecture et de géométrie pratique :
– Antoine Jean Pinguet, géographe des Ponts et Chaussées de la généralité (du 21 novembre 1781 au 10 décembre 1783) ;
– Jacques Louis Marie Gautier, architecte et expert à Tours (à partir du 11 décembre 1783).
1. Barrault épousa la fille d’un soyeux, Françoise Simon dit Richebourg.
2. E. Giraudet, « Les artistes… », op. cit.

114Tableau 16 – Professeurs de l’école de dessin de Charles Antoine Rougeot.

  • 117 P. Leveel, « Recueil des dessins de Thomas Pringot – 1781 », BSAT, t. XXXVII. Cf. le cahier des il (...)

115L’établissement accueille bientôt 60 puis 80 élèves réguliers, mais également des « amateurs ». Le règlement de l’école prévoit en effet la création d’une « classe d’amateurs ». Ceux-ci doivent s’acquitter de 12 L par an ; l’argent ainsi récolté doit servir à « donner aux élèves des récompenses, des modèles, des livres et des instruments & autres moyens d’avancer » et contribuer à l’entretien de l’école. Cette classe est ouverte dès 1782 : les personnalités de la province et « différents Corps et Citoyens distingués » sont informés qu’ils peuvent s’inscrire sur une liste et verser leur contribution à l’échevin A. J. Simon-Roze, désigné pour administrer ces fonds. Rougeot reçoit rapidement l’appui des grands personnages de la Touraine : Choiseul et son épouse, puis, plus tard, le comte d’Estaing et le duc de Penthièvre (le nouveau maître de Chanteloup) ; l’archevêque ; Du Cluzel,son épouse et son fils ; Voyer d’Argenson ; le prince de Rohan ; le duc de Luynes. Le chapitre cathédral, celui de Saint-Martin, l’abbaye de Marmoutier, la manufacture, les orfèvres mais encore « plusieurs personnes de cette ville », parmi lesquelles l’orfèvre et peintre Michel Dutens et le dessinateur Thomas Pringot117 le soutiennent également.

116Dès le début, la municipalité contribue au fonctionnement de l’école en lui versant une pension annuelle (96 L, puis 300 L à partir de 1786). Mais la dotation est insuffisante pour supporter des charges estimées à plus de 450 L par an, sans compter les gages – 250 à 300 L annuelles – que Rougeot voudrait accorder aux professeurs, qui dispensaient leurs cours à titre gracieux. Le directeur se plaint des moyens insuffisants de son école ; après la mort de Choiseul et de Du Cluzel, malgré les soins « d’une dame » dont on ne connaît pas le nom et différents amateurs et protecteurs, l’établissement connaît des difficultés financières. En août 1784, Rougeot obtient finalement du nouvel intendant 800 L par an.

  • 118 Les distributions, qui avaient d’abord eu lieu le vendredi ou le samedi, sont rapidement déplacées (...)

117Durant toutes ces années, à défaut d’argent en quantité suffisante, l’école peut compter sur le soutien sans faille du corps de ville. Celui-ci accepte dès le début de présider, avec l’intendant, à la distribution des prix. Invitée le 30 juillet 1779 à visiter la nouvelle école et à remettre un prix à trois élèves, la municipalité se dit impressionnée par les résultats des élèves. Elle répond favorablement aux vœux formulés par Rougeot d’accorder « des médailles ou jettons aux armes de la ville ou autres récompenses a ceux qui se sont distingués », afin d’encourager les jeunes gens dans leurs progrès. Elle accepte aussi de secourir un maître de dessin « chargé d’enfants » dont le zèle, le talent et l’abnégation sont connus de tous (Rougeot lui-même ?). Les premières récompenses sont accordées en 1779 et cette distribution est attestée jusqu’en 1791. Très vite, la date en est fixée au premier dimanche suivant la Saint-Louis118. La cérémonie se tient dans un premier temps à l’hôtel de l’intendance, où le commissaire départi procède à la remise des prix en présence de deux délégués municipaux. Après le décès de Du Cluzel, elle s’effectue à l’hôtel de ville : la municipalité, revêtue de ses plus beaux atours, accueille les élèves, les « amateurs », le public, mais également l’intendant et son épouse, puis remet les prix. Leur nombre est de trois initialement : sont couronnés le plus beau dessin de figure, le meilleur dessin d’ornement et l’ » œuvre » d’architecture la plus aboutie. À partir de 1784, un quatrième prix, celui de la « première classe », est attribué à l’élève qui, parmi les lauréats des années précédentes, aura fait les plus grands progrès. Les récompenses consistent en une médaille d’argent gravée du portrait du couple royal. Le gagnant du prix de la « première classe », réservé aux lauréats des années précédentes, reçoit une « grande médaille ». Dans un premier temps, Rougeot désigne les élèves à récompenser. Par la suite, l’organisation se complique : les ouvrages sont déposés à l’hôtel de ville et examinés par des jurés « artistes et amateurs » contactés par la Ville. Le nombre des candidats ne cesse d’augmenter au fil des années – 49 en 1783, 78 en 1784 et 94 en 1788 –, témoignant du succès de ces prix.

118L’école de Rougeot survit un temps aux troubles de la Révolution. De manière fort habile, le directeur de l’école se met rapidement sous la protection du Comité permanent, puis de la nouvelle municipalité. Ainsi, alors que la Ville est en proie à de graves difficultés d’approvisionnement, le Comité procède le 6 septembre 1789 à la distribution des prix, comme l’avaient fait les officiers municipaux précédents. La cérémonie, placée sous la présidence d’honneur de l’ancien échevin A. J. Simon-Roze, récompense quatre élèves. L’année suivante, la municipalité élue en février 1790 accorde son soutien à l’établissement et lui verse 400 L, une somme reconduite en 1791. L’école passe ensuite sous l’autorité du Département, auprès duquel la municipalité intervient pour qu’il paye les professeurs en place et qu’il en nomme de nouveaux en cas de besoin. La distribution des prix a lieu normalement les 19 août 1790 et 23 août 1791. La première de ces deux cérémonies est organisée conjointement par la Ville et le Département dans les locaux de l’école (l’hôtel du gouvernement) où les jurés habituels – l’orfèvre Dutens, l’inspecteur des manufactures Huet de Vaudour, l’entrepreneur Bouchet-Legrand, les ingénieurs de Montrocher, Denis et Marie, les peintres Legrand, Groullier et Raverot, les dessinateurs Pringot et Jeuffrain fils, le receveur Luce, les architectes Pierre Barais et Cherou et un certain Mutel – sont invités à examiner les œuvres. Dix-sept prix sont remis ce jour-là. L’année suivante, le Département organise seul la cérémonie, le corps de ville se contentant d’apporter son aide matérielle. Après examen des dessins, dans une salle de l’école, les membres des administrations départementales se rassemblent à Saint-Saturnin et distribuent neuf médailles aux gagnants des premiers prix – trois en or, une grande en argent et cinq de moindre grandeur dans ce même métal. Une seconde distribution a lieu, pour les « seconds prix » ; elle est assurée par l’évêque, les juges de paix, le président du bureau de conciliation, les ingénieurs de Montrocher et Marie, le supérieur du collège, mais aussi Aubry, amateur et secrétaire de l’école, et l’orfèvre Dutens.

  • 119 Rougeot se rapprocha davantage des autorités supérieures : il devint archiviste du District, se vi (...)
  • 120 Au décès de Rougeot, en 1797, Raverot le remplace à la direction de l’école de dessin, désormais r (...)

119À partir de 1791, les liens qui unissent la Ville à l’école se distendent119, sans que son directeur ne se fasse complètement oublier de la municipalité : il lui fait ainsi parvenir un dessin de la Bastille, le discours d’un élève et un tableau de sa main ; celui-ci représente le pont neuf brisé et la passerelle de bateaux construite par Despictières en août 1790 pour le remplacer. Plus tard, il choisit six de ses élèves pour participer, en compagnie de six élèves du collège, à la plantation de l’arbre de la liberté. Supprimée en 1793, l’école est recréée deux ans plus tard et rattachée à l’école centrale du département ; Rougeot y enseigne encore le dessin. C’est à cette époque que le professeur entreprend, avec son gendre Jean-Jacques Raverot, de recueillir les sculptures et tableaux provenant de châteaux vendus ou désertés, posant ainsi les premiers jalons du musée des Beaux-Arts de la ville120.

120La création de l’école de dessin répondait avant tout au désir de stimuler les progrès des « arts mécaniques » dans la cité des bords de Loire. C’est dans un semblable dessein que le dernier gouverneur de Touraine imagina et subventionna les « prix d’émulation », entreprise à laquelle il invita la Ville à collaborer.

Un encouragement au progrès technique : les prix d’émulation du gouverneur

  • 121 Sur la critique de la monarchie à la fin de l’Ancien Régime, outre l’ouvrage majeur de D. Roche, L (...)

121À une époque où se multiplient les critiques à l’encontre de la monarchie et du despotisme ministériel, la Ville est associée à une entreprise destinée à rapprocher le souverain de ses sujets : les prix d’émulation du gouverneur. Car c’est bien de promotion du régime royal qu’il s’agit lorsque d’Estaing instaure ses prix121. Bien évidemment soutenu par l’intendant, le gouverneur en adresse, en décembre 1785, un projet détaillé au corps de ville. Dès le titre de ce mémoire – Distribution de quelques petits prix, destinés à entretenir l’émulation entre les ouvriers en soie et dans l’école de dessin établie à Tours –, d’Estaing indique ses objectifs : encourager le travail et le mérite en général, stimuler l’émulation entre les ouvriers en soie et les élèves de l’école de dessin. Le gouverneur souhaite ainsi « persuader […] que le public a les yeux ouverts sur ce qu’ils font ; que les gens en place s’y intéressent véritablement […] ». L’entreprise vise surtout à vivifier « le pacte d’attachement mutuel » des sujets et du souverain, comme l’explicite le comte à la fin de son mémoire :

  • 122 AMT, GG 26 (2e partie), document signé par d’Estaing à Paris le 1er décembre 1785. Le gouverneur c (...)

« La reconnaissance est la plus persuasive, comme la plus douce manière d’invitter à la bienfaisance. De simples vive le Roy ont souvent eu plus de force que les meilleurs discours académiques. Il n’est point de souvrain qui en se voyant aplaudir par son peuple […] ne sente le désir intérieur de le rendre encore plus également heureux. Les époques des prix ne seront que celle de quelsque battements de mains ; ce n’est qu’un vive le Roy, mais il en produira d’autres, et il ne peut trop y en avoir [sic]122. »

  • 123 Tout comédien ou entrepreneur de spectacles désireux de se produire dans la ville devait verser un (...)
  • 124 Cf. chap. IV.
  • 125 C’était la fête du maire Étienne Jacques Christophe Benoît de La Grandière et du duc de Choiseul ( (...)

122Dans les treize articles de son projet, d’Estaing précise les modalités d’organisation de ces prix. Pour les financer, il accorde au maire la gestion de revenus jusque-là dévolus au gouverneur – le privilège des spectacles123, la location des logements de l’hôtel du gouvernement et les droits versés par les nouveaux membres de la compagnie du gouvernement124 – et les complète par 1 200 L tirées de ses deniers. Il veut que quatre prix annuels soient instaurés, trois « pour les ouvriers [en général] ou pour les ouvriers en soie » et le quatrième pour les élèves de l’école de dessin. Les concours sont ouverts aux deux sexes : les femmes « sont exclues de tant de moyens de gagner leur vie que quand même elles n’excelleroient pas ou que la branche d’industrie dont elles s’occupent ne seroit pas une des plus importantes du métier dont il s’agit, elles n’en méritent pas moins des encouragements ». S’il revient au maire de fixer les dates de ces distributions, le gouverneur oriente sa décision en proposant qu’elles aient lieu soit pendant les foires, soit à des dates anniversaires d’événements de la vie des souverains ou de bienfaits accordés par le roi à la cité : le 25 avril (foire de printemps), le 16 mai (mariage royal), le 11 juin (couronnement), le 10 août (foire d’été et jour de la Saint-Étienne125), le 23 août (anniversaire du roi), le 2 novembre (anniversaire de la reine) et le 11 novembre (liberté de commerce des vins de Loire).

  • 126 Dans un premier temps, la boulangerie avait été pressentie : elle fut finalement écartée au profit (...)

123En janvier 1787, le projet définitif est adopté par son initiateur, qui exige de conserver l’anonymat : les 600 affiches annonçant la remise prochaine des prix « d’émulation » sont donc présentées au nom « des chefs de la province de Touraine ». Les distributions, finalement fixées aux 16 mai et 23 août, deux dates en rapport avec le roi donc, concernent un total de sept prix : trois accordés aux meilleures productions de la manufacture de soie (une récompense pour le tissage de la gaze, une pour le plus beau satin noir et une pour la meilleure teinture de soie noire), un pour l’école gratuite de dessin, un pour le meilleur élevage de chevaux, un pour l’apiculture – l’ « éducation des mouches à miel » – et un pour les « arts mécaniques », représentés par la menuiserie126. Les ouvrages à présenter sont soigneusement précisés. Les ouvriers en soie peuvent concourir dans trois catégories : dans la première, il leur faut confectionner deux « belles pièces de gaze de soie blanchie par les procédés du sieur Rattier » (l’ex-receveur de la Ville), l’une unie et l’autre éventuellement brochée « du dessin du choix de l’ouvrier » ; pour la deuxième et la troisième catégories, il faut réaliser respectivement 40 aunes de satin noir et teindre la soie du plus beau noir, « sans la brûler ni la surcharger de drogues caustiques ou mordantes ». Les élèves de l’école de dessin doivent produire, au choix, « la meilleure académie d’après la bosse » (c’est-à-dire le meilleur dessin exprimant le relief d’un objet) ou le meilleur dessin « d’ornement ou d’architecture ». Dans la catégorie élevage, seront récompensés les propriétaires des deux plus beaux poulains ou plus belles juments élevés dans le duché de Touraine et présentés à la foire d’août. Le sixième prix est accordé au propriétaire d’au moins vingt ruches ayant apporté « la plus grande quantité de miel et de cire » à la foire d’avril. Pour le septième, les menuisiers doivent confectionner une armoire et un bureau à cylindre, « en noyer, sans dressoirs ni tiroirs, à pied de biche », dans des proportions laissées à l’appréciation des candidats, mais « élégants, solides, propres, pas nécessairement ornés ».

124Les candidats sont invités à s’inscrire au greffe de l’hôtel de ville. Ouvriers en soie et menuisiers seront visités régulièrement par les délégués des édiles « pour qu’il n’y ait pas de fraude ou substitution d’ouvriers ». Le concours de dessin sera réalisé dans l’école académique de Rougeot, sous les yeux du directeur et des professeurs, « d’après modèles choisis par eux » pour la catégorie dessin, et sans modèle pour celle d’architecture. Les éleveurs de chevaux et les apiculteurs fourniront une attestation de leur curé et de quatre notables habitants, confirmée par les juges ou notaires du lieu ; le certificat devra selon le cas comporter une description des chevaux et leur origine, ou certifier la quantité de miel apportée à la foire. Dans le mois qui précède la distribution des prix, des jurés contactés par la Ville examineront les pièces ou les animaux présentés. Parmi la quarantaine de noms de jurés qui nous sont parvenus, outre le receveur municipal, seize appartiennent au monde économique, huit font partie de la catégorie des ingénieurs, architectes et entrepreneurs des Ponts et Chaussées ou des turcies et levées, sept sont peintres ou dessinateurs, trois sont inspecteurs royaux de manufactures ou de haras, deux apothicaires, un est magistrat.

  • 127 En 1789, la liste des chants choisis marqua la volonté de la Ville d’intégrer la cérémonie dans le (...)
  • 128 Pour la boulangerie – une catégorie finalement écartée –, la devise suivante avait été choisie : i (...)

125La première distribution des prix a lieu le 23 août 1787, selon des modalités qui varieront peu par la suite. La cérémonie se tient dans la grande salle de l’hôtel de ville, après une messe dite chez les carmes127, en présence des autorités et d’une foule nombreuse venue applaudir des efforts « qui contribuent d’une manière aussi efficace au développement des talents et au progrès des arts ». Après son discours, le maire, en tant que « représentant des chefs de la province », remet les prix, consistant chacun en un procès-verbal signé du corps de ville, 300 L et une estampe « richement encadrée sous verre » représentant un médaillon du roi. Cette gravure avait été soigneusement élaborée par les édiles : elle portait en haut le mot Émulation, « en exergue autour » une phrase à la gloire du souverain – Père de ses sujets, il en est le modèle – et, en bas, une devise qui variait selon la catégorie récompensée128 :

  • soierie : Il polit du satin les tissus ondoyants et Sa gaze à la blancheur réunit la finesse ;
  • teinturerie : Son art donne aux couleurs l’éclat et la durée ;
  • école de dessin : Des arts imitateurs le dessin fut le père ;
  • élevage de chevaux : Pour Bellone, il nourrit des coursiers dignes d’elle ;
  • apiculture : À l’abeille économe, il ravit ses trésors ;
  • menuiserie : Le bois prit dans ses mains des formes élégantes.
  • 129 Exceptionnellement, un 8e prix avait été prévu à la foire d’août 1788 : le négociant qui « aura[it (...)

126En 1788, les deux distributions ont lieu aux dates prévues, les 16 mai et 23 août. Le corps de ville a modifié entre-temps, avec l’autorisation du gouverneur, les catégories admises au concours129 : l’élevage de chevaux, l’école gratuite de dessin et l’apiculture sont maintenus, mais la soierie et la menuiserie sont écartées au profit de la serrurerie, de la filature de coton, de la confection de toiles ou mouchoirs en coton et de la production de limes en acier de la manufacture d’Amboise. Charles Roy-Auger, de Tours, et Jean Bel, de Chernusson, l’emportent respectivement dans les catégories serrurerie et apiculture. Les lauréats de la filature de coton, en majorité des femmes, se partagent le prix de 300 L. Pour le tissage du coton, ce sont quatre hommes qui se répartissent les 300 L de récompense. Dans la catégorie des dessins, le ferblantier Prosper Rouiller, habitué des concours de l’école de Rougeot, où il a été élève, remporte le prix, tandis que les 300 L offertes aux artisans ayant réalisé les meilleurs ouvrages d’acier sont réparties entre trois gagnants. Enfin, dans la catégorie de l’élevage des chevaux, le prix est reporté, faute pour les présents d’avoir répondu aux conditions requises.

  • 130 La Ville avait ouvert son « trésor » pour que les intéressés puissent composer avec le maximum de (...)

127En 1789, le gouverneur, qui cherche à s’adapter à la situation politique, ouvre le concours à de nouveaux défis et offre des récompenses inédites, dont la gravure du portrait de Necker. Il veut aussi consacrer l’auteur du meilleur mémoire concernant la convocation et la tenue des États généraux130. La date fixée pour l’attribution de ce prix était le 15 janvier ; on ne sait pas s’il fut remis. Plus tard, le corps de ville permet aux apiculteurs de participer au concours de mai et l’ouvre aux personnes « qui se seront le plus rendues utiles au public » dans la province tout au long de l’année écoulée, aux meilleurs chirurgiens et aux maîtres indépendants d’écriture et d’arithmétique. Dans la première catégorie, François Marchand, apiculteur d’Ambillou, est récompensé. Madame Abraham-Roze, « dévouée spécialement au service des pauvres de la ville et de la campagne », et Charles Camé, un clerc municipal qui a sauvé une dizaine de personnes de la noyade au risque de perdre lui-même la vie, sont primés. Le concours des chirurgiens n’a aucun succès. En revanche, onze candidats participent au concours d’écriture et d’arithmétique dont l’exercice est organisé le 27 avril 1789 : il leur faut reproduire « quatre pièces » d’après des modèles venus de Paris ou réaliser une composition de mathématiques. Les copies, envoyées au bureau d’écriture de l’Académie de Paris, en reviennent accompagnées d’un commentaire sans complaisance : « Il serait à souhaiter que la main fut moins gênée, la plume à traits mieux taillée, mieux tenue et mieux conduite […] qu’il y eut plus de mouvement de doigts […] les majeures et les capitales sont informes et portent l’empreinte de la plus grande faiblesse. » Pour permettre aux élèves de progresser, la Ville reporte finalement la distribution des prix de cette catégorie à août. Il est aussi prévu de récompenser à cette date trois des sages-femmes qui avaient suivi les cours du chirurgien Moreau. Le Comité permanent annule le concours d’écriture et d’arithmétique en raison des troubles de l’été, mais il tient à récompenser les sages-femmes : la cérémonie a lieu le 6 septembre, « en présence d’un concours considérable de citoyens ».

  • 131 On voulait récompenser les sages-femmes issues des campagnes qui auraient assisté aux cours de Mor (...)

128L’année suivante, d’Estaing maintient ces distributions, mais selon un schéma quelque peu modifié. Le 20 août 1790, le concours est ouvert aux chirurgiens, aux élèves en écriture, à ceux de l’école de dessin et aux sages-femmes131. L’exercice destiné aux chirurgiens, qui eut lieu au collège de chirurgie les 14, 16 et 20 août, confronta les praticiens de la ville et ceux de la campagne. Les prix offerts ce jour-là (300 L sous la forme de quatre assignats, des médailles de cuivre et d’argent, les portraits de Louis XVI, de Necker et de La Fayette), de même que les autorités qui les remettent – le Département, le District et le conseil général de la municipalité – ne sont pas les mêmes que les années précédentes. Le Département, qui avait décidé de distribuer lui-aussi des médailles du « mérite civique » aux citoyens les « plus patriotes », profite de la cérémonie pour remettre les récompenses annoncées. C’est un échec, car deux citoyens seulement se sont inscrits, alors que le Département voulait offrir quatorze prix.

129En 1791, les prix du gouverneur disparaissent avec leur initiateur, mais la Ville en conserve l’idée et prie le Département de prendre le relais. On ignore si des récompenses furent effectivement distribuées par la suite.

*

130Le soutien apporté à l’enseignement par la Ville fut très variable : peu actif, voire inexistant, en matière d’instruction des milieux populaires, il fut très critique à l’égard des maîtres indépendants, qui concurrençaient le collège, vers lequel tendaient l’essentiel des efforts du corps de ville. Malgré le manque d’argent, l’énergie déployée par la municipalité pour soutenir le seul établissement d’enseignement public de Tours parvint à revaloriser son image, mais la Ville, qui rêvait d’un grand pensionnat, dut encore patienter avant de l’obtenir. L’action des édiles fut plus efficace en ce qui concerne les initiatives créées ou encouragées par les autorités supérieures – le collège de chirurgie, l’école itinérante de madame Ducoudray, l’école technique de Rougeot et les prix du gouverneur –, dont les motivations rejoignaient leurs propres préoccupations économiques et sociales. Rompant avec l’attitude du passé, la municipalité décida de contribuer activement au développement économique de la ville. L’événement majeur fut la réactivation des foires en 1782. La détermination des édiles, qui durent faire face à des oppositions parfois féroces de la Ferme générale et des marchands détaillants de la cité, ainsi que leurs méthodes modernes permirent à l’économie locale de participer au mouvement général d’enrichissement, au réveil de la façade atlantique en particulier. À la veille de la Révolution, Tours était une grande place commerciale en gestation, bien loin de sa réputation de « belle endormie ». En ce domaine comme dans bien d’autres, la décennie 1780 marqua décidément un tournant majeur.

Notes

1 F. Bayard et Ph. Guignet, L’économie française aux xvie, xviie et xviiie siècles, 1991.

2 Sur la prospérité et les manifestations éclatantes du bonheur de vivre en France à la fin de l’Ancien Régime : C. Petitfrère, Le scandale du « Mariage de Figaro »…, op. cit.

3 B. Maillard, Les campagnes…, op. cit.

4 ADIL, C 336.

5 L’hôtel des monnaies a été étudié principalement du point de vue architectural : M. Cartier, « Histoire de l’Hôtel des monnaies de Tours », 1847 ; A. Clairand, « L’Hôtel des monnaies de Tours (1679-1772) », in Tours – Études numismatiques, 1997. Il resterait à examiner ses activités jusqu’à sa suppression en 1772. La juridiction consulaire a été étudiée par H. Faye, « La juridiction consulaire à Tours… », MSAT, 1904, et P. Cozette, « La juridiction consulaire de Tours », BSAT, 1966.

6 À son origine, au milieu du xive siècle, cette association regroupait des marchands, des mariniers et des charpentiers en bateaux. Ils étaient chargés de surveiller l’entretien des voies navigables, de veiller à l’état des ponts et des levées, d’aménager des ports et assurer la police du fleuve contre les contrebandiers de sel par exemple. Ne percevant pas de subside royal, cette fédération fonctionnait, depuis 1477, avec l’argent provenant d’une taxe (le « droit de boîte ») perçue sur les marchandises transportées. P. Mantelier, Histoire de la communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire et fleuves descendant en icelle, 1987, et Les mariniers de Touraine – Histoire et généalogie, 1992. Sur sa suppression : ADIL, C 155.

7 B. Maillard, Les campagnes…, op. cit. et « Les élites urbaines et l’industrialisation rurale en Touraine au xviiie siècle », 2003.

8 Cf. infra.

9 On travaillait aussi la faïence à Saint-Christophe, et le cristal à Vaujours. ADIL, C 336. Notons aussi la création de deux importantes manufactures métallurgiques : l’aciérie d’Amboise, issue, en 1781, de la réunion de trois entreprises fondées dans les années 1770 ; et la tréfilerie du Ripault à Monts, dont l’existence fut brève, de 1770 à 1786. B. Maillard, « Les élites urbaines et l’industrialisation rurale en Touraine au xviiie siècle », op. cit.

10 Sur la manufacture de soie, en l’absence d’étude d’ensemble, voir C. Chevalier, « La décadence de la manufacture des soieries à Tours », BSAT, t. V ; C. Chevalier, « Liste des procureurs et gardes jurés de la corporation des maîtres fabricants en soie », MSAT, t. I ; l.-A. Bosseboeuf, « Histoire de la fabrique de soieries de Tours », MSAT, t XLI ; L. Boucheron, La fabrique de soieries de Tours au xviiie et xixe siècles, 1930 ; G. le Guelaff, Étude sur les corporations de la soie de la ville de Tours, et leurs cahiers de doléances pour les États Généraux de 1789, 1973 ; A. Coudouin, La soierie de Tours aux xvie-xviie siècles (1580-1702), 1988 ; N. Gendraud, La Fabrique de soieries tourangelles au siècle des Lumières, 1988 ; Ch. Desaguiller, Les marchands en soie tourangeaux dans la seconde moitié du xviiie siècle, 1993.

11 Les tanneries étaient peu nombreuses à Tours. Les marchands de cette branche se contentaient de rassembler les productions de Loches, Beaulieu et Amboise pour les exporter. L’atelier de poterie de Saint-Pierre-des-Corps était modeste en regard de ce que produisait la région de Saint-Christophe. Ajoutons l’existence d’un atelier de filature de fil de fer, tenu par Chicoisne et Moulin : installée sur l’Indre près de Montbazon, cette entreprise, qui employait 200 ouvriers, travaillait le fer provenant du Berry et l’exportait ; la guerre et le décès de Chicoisne ruinèrent l’établissement, qui ferma en 1779.

12 Cf. chap. IV.

13 Parmi ces soyeux, en 1778, 52 affirmaient faire battre 913 métiers et occuper 741 foyers, ce qui représentait plus de 3 000 personnes. AMT, HH 5. Ces maîtres formulèrent des critiques parfois cruelles à l’égard de Papion, lui reprochant de ne pas respecter les prescriptions officielles ou les règles communes du travail et, surtout, de ne pas participer aux charges de la corporation. Sur l’affaire de la noblesse de Papion, cf. chap. IV.

14 AMT, BB 77, 5 janvier 1780.

15 ADIL, C 336.

16 Sur les ambitions économiques de Du Cluzel : ADIL, C 105-106 et C 397 ; F. Dumas, La généralité de Tours…, op. cit.

17 AN, H1-1506 et ADIL, C 358. C. Chevalier, « Tableau séculaire de la Société d’Agriculture de Tours (1761-1861) », 1860 ; A. Chauvigné, « Notice historique sur la Société d’Agriculture, sciences, arts et belles lettres du département d’Indre-et-Loire depuis sa fondation » ; B. Maillard, Les campagnes…, op. cit. La Société des Belles-Lettres créée à la fin de la décennie 1790 prendra le relais ; Veau Delaunay en sera l’un des représentants les plus actifs. Ch. de Sourdeval, « Notice sur la société d’agriculture, des sciences, arts et belles lettres du département d’Indre-et-Loire », 1844.

18 AMT, BB 73, HH 4 (1re partie).

19 Idem.

20 Au xviiie siècle, il existait encore 26 de ces grandes foires dans le royaume, telles celles de Beaucaire et de Saint-Denis. Leur avenir paraissait menacé par le développement des villes comme centres commerciaux permanents. G. Saupin, Les villes en France…, op. cit.

21 AMT, BB 77, 15 décembre 1779.

22 Sur l’installation et la suppression des premières foires : L. Benoît de La Grandière, op. cit. En 1611, le corps de ville aurait réclamé la réouverture des foires. N’ayant pas obtenu de réponse, il n’insista pas, ce que les officiers municipaux du siècle des Lumières jugent sévèrement : la disparition de ces rendez-vous commerciaux a été causée par « des circonstances impérieuses et ensuite par la négligence de la municipalité ». AMT, HH 8 (2e partie).

23 L’essentiel de la documentation est consultable aux AMT (HH 7) et aux ADIL (C 144). Voir aussi A. Chauvigné, « Origine, importance et durée des anciennes foires de Tours », BSAT, t. VI, et H. Hennion, Les foires de Tours depuis leurs origines jusqu’à nos jours, 1922.

24 F. Dumas, La généralité de Tours…, op. cit. et ADIL, C 397 et C 144 : mémoire (inachevé) écrit sous les ordres de l’intendant Savalette de Magnanville, intitulé Établissement des foires dans la ville de Tours. AMT, BB 73.

25 C. Petitfrère, » Les officiers dans le corps de ville de Tours aux xviie et xviiie siècles », 1998, et H. Ferrand, op. cit. La démarche des Tourangeaux s’intègre dans un mouvement beaucoup plus large, puisque, vers la même époque, plusieurs villes et bourgs de la généralité demandent également des foires, comme Le Mans (1760), Angers (1776), Mirebeau (1776), etc. ADIL, C 397.

26 Cf. supra.

27 AMT, BB 77, 15 et 21 décembre 1779, 5 janvier 1780 et ADIL, C 397 et C 398 pour le soutien de Du Cluzel.

28 Intéressés par le projet, Necker et l’intendant du commerce de Cotte avaient chargé Du Cluzel de faire établir un dossier par le corps de ville. L’intendant, très favorable au projet, tint à conseiller les édiles de son mieux et obtint le soutien de Choiseul. Dans les bureaux ministériels, des voix s’élevèrent contre le projet, comme celle de Tolozan : d’origine lyonnaise, cet intendant du commerce fit pression sur le bureau du commerce pour empêcher une entreprise qu’il jugeait préjudiciable aux intérêts de sa ville natale.

29 Il faisait ainsi sans doute allusion au renvoi de Necker en mai 1781. Après avoir attendu en vain la discussion du dossier, il revint en Touraine. Mais lorsque Joly de Fleury l’avertit que la question devait être prochainement étudiée, il retourna aussitôt à la Cour pour attendre la décision finale. AMT, BB 78.

30 Pendant les deux jours précédant l’ouverture et les deux jours suivant la fermeture, il était aussi permis aux marchands de vendre dans les rues. AMT, CC 86.

31 AMT, BB 78, HH 8 (2e partie) et ADIL, C 397.

32 AMT, BB 78, 29 mai 1782 et BB 79, 27 juillet 1782.

33 Les places Saint-Étienne, d’Aumont, de la Victoire et les quais depuis Sainte-Anne jusqu’à la Madeleine furent successivement visités. Les édiles repoussèrent l’idée du chapitre Saint-Gatien d’installer les foires « dans la ville haute », c’est-à-dire à l’est, à proximité de la cathédrale. L’organisation de ces foires fut essentiellement municipale (AMT, série BB, EE 19, HH 7 [comptes] et HH 8 [2e partie] [déclarations]), hormis le contrôle des poids et mesures, soumis à la surveillance du lieutenant général de police, et les autorisations données aux attractions (ADIL, 2B).

34 En 1782, les quais n’étaient pas terminés, mais la destruction de l’île Saint-Jacques avait permis d’élargir les voies situées en bord de Loire.

35 AMT, BB 79, 29 juillet 1782.

36 AMT, BB 78, 24 juillet 1782.

37 AMT, EE 19.

38 L’arrêt avançait par ailleurs au 1er août la foire débutant habituellement le 10. L’opposition conjuguée des négociants, de la municipalité et des ministres fit annuler cette décision.

39 Une fois encore, la Ferme générale fit des difficultés : le receveur des traites prétendit ne pas avoir été informé de la décision officielle par la voie habituelle. Le corps de ville s’affola d’autant plus qu’il ne fut averti de cette difficulté que six jours avant l’ouverture de la foire ; le subdélégué régla finalement le différend en intervenant auprès de la Ferme.

40 ADIL, V/12.3.7. Cf. annexe XII.

41 AMT, HH 13. Voir en annexe XIII la carte des villes d’origine des marchands venus vendre à Tours.

42 À l’inverse, le coton était peu représenté.

43 Ces négociants en laine sont bien installés à Tours : ils figurent en grand nombre parmi les 91 des plus importants marchands de la cité venus réclamer l’abrogation de l’arrêt du Conseil du 20 décembre 1783, qui réglementait l’entreposage des marchandises. AMT, BB 79.

44 Le limonadier Joseph Delaunay ouvre le premier un café provisoire à l’entrée du pont pour offrir aux participants rafraîchissements et nourriture. Un deuxième, tenu par Raffault, est ouvert en face peu après ; la municipalité exigera qu’il soit peint en jaune. Cf. annexe XII.

45 Le tourneur Charles Douestault obtient, contre 36 L, un bail de trois ans pour placer des chaises sur les terrasses et sur le champ de foire. Il loue ces chaises 1 sol pièce « par matinée ou soirée ». En 1786, le bail lui est renouvelé pour six ans. Au fil des années, le succès des foires croît tellement que d’autres particuliers proposent d’assurer la plupart des services jusque-là dispensés par la Ville. La municipalité prolonge bien de quatre ans la fonction des charcutiers, Armand Lespagneul et Martin Brault, mais elle refuse d’affermer le travail relatif aux échoppes, qu’il faut monter, démonter, entretenir et ranger : il lui est plus avantageux de s’en occuper elle-même.

46 ADIL, 2B477.

47 AMT, HH 8 (2e partie). Courriers datés respectivement d’août 1783, août 1784 et août 1789. Le premier a été envoyé du Mans, les deux autres de Paris.

48 La Ville estime à 9 000 L le produit de ces locations (150 boutiques louées 30 L pièce), dont il faut retrancher 3 000 L pour l’entretien, le montage, le démontage et la peinture.

49 Les nouvelles échoppes parviennent progressivement, mais trop lentement au goût des édiles : seule la moitié est vraiment disponible pour la foire d’avril 1783. Les trente dernières seront montées et peintes le 6 août.

50 Les sommes perçues depuis le rétablissement des foires s’élèvent à un total de 55 812 L et les dépenses à 53 587 L. AMT, HH 7 et HH 8. Malgré l’instauration d’une troisième foire, tenue en janvier à partir de 1786, Simon-Roze ne présente son bilan comptable que deux fois par an, après les foires d’avril et d’août. Les comptes dits d’avril incluent les foires de janvier.

51 AMT, BB 79, BB 80.

52 Les détaillants avaient, dans cette affaire, le soutien d’un certain nombre de grands marchands, puisque, parmi les signataires de la pétition, 20 étaient juges consuls et 80 négociants ou anciens gardes des marchands en gros. Les édiles répliquèrent par un mémoire défendant les foires, rétablies « avec le plus grand succès et à la satisfaction générale du commerce de la ville et des villes voisines ». Ils prétendirent qu’il y avait, parmi les signataires de la pétition, des particuliers qui n’avaient accordé « leur signature que par faiblesse ou par complaisance ». ADIL, C 398 et AMT, HH 8 (2e partie).

53 AMT, BB 79 et 80. En août 1784, Calonne avait demandé au lieutenant de police et au corps de ville de lui envoyer leurs arguments respectifs sous deux mois, afin de trouver une solution, autorisant entre-temps le corps de ville à affecter un lieu aux marchands forains. Le décès de Du Cluzel contribua à ralentir la résolution de ce conflit : d’Aine refusa dans un premier temps d’accorder satisfaction aux forains, avant de céder aux sollicitations conjointes de ces marchands et de la Ville. AMT, BB 80 et 81.

54 Huit directeurs ou administrateurs, délégués par les corps de métiers, participent à l’élection des consuls.

55 Depuis l’arrêt du Conseil du 21 août 1684, les consuls pouvaient juger en première instance des litiges entre ouvriers des manufactures ou entre les ouvriers et les marchands : ils empiétaient ainsi sur la juridiction de la Ville. L’édit de novembre 1706 leur accorda la police des statuts des arts et métiers et celle des règlements des manufactures, tout en confiant la connaissance des différends commerciaux aux officiers municipaux.

56 Cf. chap. I.

57 Les séances de la juridiction se tenaient à l’origine dans une salle de l’hôtel de ville. À partir de 1662, les consuls louèrent une maison modeste, face au collège. Ils l’achetèrent peu de temps après et y firent construire un hôtel neuf, dont les plans furent dessinés par un neveu de Mansart. La première pierre fut posée le 9 juillet 1757, ainsi que l’indique une plaque commémorative, retrouvée en 1879 à l’occasion de travaux et aujourd’hui exposée sous le porche. Le bâtiment, terminé deux ans plus tard, se composait d’un tribunal, d’une halle et d’un bureau d’aunage et mesurage. En 1776, lors de la suppression des jurandes, l’État envisagea de racheter l’ensemble, mais un arrêt du Conseil de 1778 en laissa la propriété au consulat. En 1793, le Département le consacra au commerce, malgré une déclaration au titre de bien national. Depuis le 22 décembre 1802, l’édifice abrite les services de la Chambre de commerce. H. Faye, La juridiction consulaire…, op. cit.

58 L’ouverture fut rendue effective par l’arrêt du Conseil du 29 juin 1783.

59 Cf. supra. AMT, BB 78 et HH 4 (1re partie).

60 AMT, BB 78.

61 Boyetel, conseiller d’État, et un certain Dupont furent nommés par l’arrêt du Conseil du 29 mars 1785 pour présenter cet état. AMT, BB 80, 16 et 21 juillet 1785 ; AMT, HH 6, 2e partie.

62 Audebert et Pelgé, négociants en cuirs, Jacques Faissolle, Allaire et Roch Parfait Marchandeau, pressentis pour participer aux discussions, déclinèrent l’offre. AMT, BB 80.

63 AMT, BB 78 et BB 79, 24 et 31 juillet 1782.

64 Les négociants regrettaient que les receveurs des aides et des gabelles n’accordent pas ces facilités. AMT, BB 81.

65 AMT, BB 81, 20 décembre 1786.

66 AMT, BB 81, 1er août 1788.

67 Cf. chap. VII.

68 AMT, BB 81, 22 août 1787.

69 AMT, HH 5.

70 Il était composé de juges spéciaux élus par l’assemblée des négociants, banquiers, manufacturiers, capitaines de navires et marchands parmi les commerçants de plus de trente ans, établis dans la ville depuis au moins cinq ans.

71 La demande de Billault aîné, qui sollicitait l’installation d’une imprimerie, fut ainsi transmise au garde des sceaux. AMT, 1D22, 9 juin 1790. De même, un entrepreneur qui envisageait d’ouvrir une manufacture de papier peint dans un ancien couvent fut renvoyé au District. On accorda, sur ordre du Département, une « subvention » à un jeune entrepreneur endetté.

72 AMT, BB83, 24 avril 1789.

73 Soutenus par l’intendant et le ministre Lambert, les forains, qui venaient de se voir refuser une indemnisation, avaient imaginé cette solution pour limiter leurs pertes. AMT, 1D1, 7 août 1789.

74 AMT, 1D22, 31 mars 1790.

75 Cf. chap. VI.

76 Au cours de ces années révolutionnaires, jusqu’en l’an VII, les foires commençaient chaque année les 21 floréal et 21 thermidor (10 mai et 10 août). À partir de l’an VIII, les foires débutèrent les 11 mai et 11 août. En 1806, l’empereur rétablit officiellement les deux foires au 10 mai et au 10 août. Jusqu’en 1815, elles continuèrent de se tenir sur l’ancienne place Royale et les terrasses attenantes. Confirmées de nouveau à cette date, elles furent dès lors installées et sur la place Royale, et sur le champ de Mars, dans 150 boutiques permanentes construites en pierres et ardoises. Les Tourangeaux, qui les trouvaient gênantes « pour la vue », obtinrent leur démolition en 1831. H. Hennion, op. cit.

77 Par un brevet promulgué à Nantes en janvier 1594, Henri IV avait promis la création d’une Académie d’exercices à Tours (longtemps confondue avec une université), mais un problème de terrain jamais réglé empêcha la réalisation du projet. Rien ne laisse penser que la Ville ait essayé, une fois oubliée la promesse faite par Henri IV, d’obtenir une université.

78 B. Maillard, « Notables habitants et instruction populaire », in Église, éducation, Lumières… Histoires culturelles de la France (1500-1830), 1999 (article repris dans l’ouvrage intitulé Vivre en Touraine au xviiie siècle, op. cit.).

79 Toutefois, au temps de Choiseul, un des salons les plus brillants de province se tenait chez lui, à Chanteloup, près de Tours ; il comptait parmi ses hôtes attitrés madame Du Deffant, l’abbé Jean Jacques Barthélémy et l’intendant Du Cluzel.

80 La franc-maçonnerie était apparue de bonne heure en Touraine : J. Fénéant, Franc-maçonnerie et sociétés secrètes en Val de Loire, Loiret, Loir-et-Cher, indre-et-Loire…, 1986.

81 D. Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1978 ; R. Darnton, L’aventure de l’Encyclopédie (1775-1800). Un best-seller au siècle des Lumières, 1992.

82 G. Feyel, « La presse provinciale française dans la seconde moitié du xviiie siècle : géographie d’une nouvelle fonction urbaine », in J. Hoock, B. Lepetit, La ville et l’innovation en Europe, 1987. Selon D. Roche, ce succès démontre que la cité appartenait désormais à la catégorie des villes négociantes, plus favorables à l’épanouissement de feuilles diffusant des informations utiles à l’économie qu’à la perpétuation des académies, celles-ci restant l’apanage des villes parlementaires. D. Roche « Négoce et culture dans la France du xviiie siècle », RHMC, 1978.

83 Journal de Madame Cradock. Voyage en France (1783-1786), éd. 1986. Pierre Antoine Claude Papion était également connu pour ses ouvrages, dont un roman, Histoire du prince Bazile, et un livre de mathématiques, Solution des trois fameux problèmes de géométrie, 1787.

84 Cf. chap. VIII.

85 En 1781, on y représenta les Fausses confidences de Marivaux, suivies des Bourgeoises de qualité ou la Fête du Village de Dancourt. En juillet, les Affiches annoncèrent un certain nombre de pièces, jouées par des comédiens français et italiens dirigés par Hébert, futur rédacteur du Père Duchesne. Le comédien J. La Rive vint aussi jouer, avec succès, le rôle du « Général Français » dans La Veuve du Malabar de Le Mierre. En 1789, on produisit Henri IV ou la bataille d’ivry, d’un certain Rosoi.

86 Cet intérêt nouveau pour les questions médicales apparaît aussi dans les Affiches. Au xviiie siècle, Tours comptait quelques médecins de renommée. Au début du xixe siècle, elle accueillit une école de médecine ; celle-ci, héritière d’une longue tradition, fut vite reconnue. B. Maillard, « La Topographie médicale de Pierre-François Linacier, médecin des Lumières » ; B. Maillard, « Une expertise médicale en 1785 [P.-F. Linacier] », in Vivre en Touraine…, op. cit. ; J. Moline, Histoire de l’École de médecine de Tours, 1998.

87 B. Maillard, « Notables habitants et instruction populaire en ville au xviiie siècle », op. cit.

88 Ibid.

89 AMT, CC 20 et BB 9.

90 AMT, BB 74 et BB 82.

91 AMT, B73, 20 février 1777.

92 Une bulle du pape Benoît XIII, promulguée à Rome le 7 février 1724, approuva la fondation de la communauté des Frères de l’Union chrétienne par Jean-Baptiste de La Salle. Celle-ci obtint en mars 1777 les lettres patentes autorisant l’établissement d’écoles dans le ressort du parlement de Paris. À Tours, un premier projet, sans suite, avait été élaboré en 1776.

93 AMT, BB 80.

94 Acquis pour 20 000 L du marquis de Noirmoutier, les bâtiments, situés sur deux étages, avaient été remaniés au fil des années et complétés par une église (1665-1678), érigée au sud-est de l’ensemble pour un peu plus de 47 000 L. Sur l’histoire de l’établissement : AMT, BB 77-78 (réorganisation de 1779 et participation de la Ville à la vie du collège), BB 82 et DD 25 (recherches de terrains pour reconstruire le bâtiment), ADIL, D 2 à D 16 (gestion du collège), C 226 et H 528 (plans de l’établissement). S. Serreau, Le collège royal de Tours aux xviie et xviiie siècles, 1974.

95 AMT, BB 77, 15 janvier, 6 et 8 mars 1779.

96 Il s’agit de Bourguin, professeur de philosophie, Duroncé, professeur de seconde, Nivet, régent de troisième, Cathodeau, régent de quatrième, Fay, régent de cinquième, Caillault, principal, Keransquer, professeur de philosophie, et Chabert, sous-principal.

97 Les comptes du bureau d’administration du collège municipal sont arrêtés le 26 février 1780, mais une erreur de procédure retarde momentanément la dissolution de ce bureau.

98 Cf. infra.

99 Le premier était situé « entre différentes maisons ouvrant sur la rue du Chardonnet, entre la rue des Vicaires au nord, le mail au sud, la rue Du Cluzel à l’est, face à la manufacture de damas » ; le second était un peu plus au nord, entre la rue Chaude au nord, la rue Du Cluzel à l’est et la rue des Vicaires au sud.

100 Les trois exercices furent dédiés aux officiels – le premier à Choiseul, le second à Du Cluzel et le troisième au corps de ville – en remerciement de leurs soutien et protection.

101 Choiseul en 1780, Du Cluzel en 1781, le maire en 1782, l’archevêque en 1783, d’Aine en 1784…

102 Le 13 février 1784, le professeur de la classe de seconde et ses écoliers offrirent au corps de ville la « dédicace d’un exercice public ». Cette année-là ainsi que la suivante, le corps de ville assista à la harangue prononcée en son honneur par le régent de seconde, le père Barthélémy.

103 En récompense, la municipalité accorda aux collégiens un jour de congé hebdomadaire, fixé au mercredi.

104 Théoriquement, les docteurs ne pouvaient pratiquer que dans le ressort de l’université dont ils étaient issus. Seuls les docteurs de Paris et Montpellier avaient le droit d’exercer dans tout le royaume. D’Aligny fit enregistrer son brevet en septembre 1777, les médecins Jean-Baptiste Duchêne Duperron et François Joseph Gatien Nobileau en août 1779.

105 ADIL, H 650, lettre du frère Charrier, gardien du couvent, à Barbier (22 janvier 1770). Voir aussi AMT, EE 14 (1re partie) (programme des cours de 1785). ADIL, C 404 (soutien de l’intendant), H 528 (plan des cordeliers, où était installée l’école de chirurgie). L. Dubreuil-Chambardel, « Les ancêtres de Bretonneau », MSAT, t. XL. C. Hoguin, Médecins et chirurgiens à Tours dans la seconde moitié du xviiie siècle, 1999.

106 En l’an VI, l’amphithéâtre fut transféré dans l’ancien couvent de la Visitation et le collège déménagé dans l’ancien tribunal de l’officialité. ADIL, L 579.

107 Les lettres patentes de février 1692, établies sur le modèle de ce qui existe à Paris depuis le xvie siècle, posent les premiers jalons du contrôle des femmes accoucheuses : on exige d’elles certaines capacités. Le texte est mis en application par le bailliage de Tours le 27 mars 1699. Deux ans plus tard, les statuts de la communauté des chirurgiens sont remaniés pour inclure de nouvelles dispositions, parmi lesquelles certaines concernent les sages-femmes. F. Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou, op. cit. ; M. Laget, Naissances – L’accouchement avant l’âge de la clinique, 1982 ; J.-P. Goubert, Atlas de la Révolution française, t.VII. L. Dubreuil-Chambardel, » L’enseignement dessages-femmesenTouraine », MSAT, t. XLVIII ; B. Maillard, « Mise en place d’une politique d’aide sociale en faveur des ruraux », in Vivre en Touraine, op. cit.

108 Femme d’affaires avisée, madame Ducoudray vendit au total quatre « machines » de son invention à la Ville, une pour 400 L, les deux autres « au tiers de leur prix habituel ». Le quatrième « fantôme de luxe », doublé de soie et valant 500 L, était destiné à rester à l’hôtel de ville.

109 Fils d’un maître tapissier, né à Paris en 1740, Rougeot s’installa à Tours vers 1760 chez son oncle maternel Roussel, archiviste de Saint-Gatien, avec lequel il travailla avant de lui succéder en 1776. En 1790, il devint archiviste du District. Ch.-L. de Grandmaison, « Documents inédits pour servir à l’histoire des arts en Touraine », MSAT, t. XX.

110 On connaît cinq tableaux majeurs de lui et plusieurs dessins. On reconnaît dans certains l’influence de paysagistes, entre autres J.-P. Houël, rencontré à Chanteloup en 1769, et P.-H. Valenciennes, qui séjourna chez Choiseul en 1773. Dessins xve-xxe siècles – La collection du musée de Tours, Tours, musée des Beaux-Arts, 2001.

111 Le soutien fut d’autant plus fort que, à la même époque, plusieurs villes, dont Poitiers, Le Mans et Nantes, avaient déjà leur propre école de dessin. De 1740 à 1789, la France s’était couverte de 47 écoles de dessin, aux fonctions multiples et aux publics variés. Dictionnaire de l’Ancien Régime, op. cit.

112 Les citations sont extraites du brevet de confirmation de l’école, signé le 12 avril 1781 par le comte d’Angivilliers, directeur des bâtiments du roi, et de la lettre d’accompagnement que le comte adressa à Du Cluzel.

113 Cette affiliation permit à Rougeot de recevoir des modèles de dessins pour ses élèves. Le sceau représentait une tour entourée de trois fleurs de lys sur champ azur, avec « École académique de Tours » pour légende. L’essentiel de la documentation est consultable aux AMT, GG 26 (2e partie), HH 6 (1re partie) et ADIL, C 348. M. Wiener, Die Entwicklung der École gratuite de Dessin und die Gründung des Musée der Beaux-Arts von Tours unter Charles-Antoine Rougeot, 2001.

114 Faute de place, l’école quittera ces lieux en 1792 et s’installera dans un local fourni par le Département, à une adresse qui ne nous est pas connue.

115 Au total, en semaine, trois leçons hebdomadaires étaient données, entre 17h30 et 20 h. Les cours des dimanches et jours fériés avaient lieu en hiver de 8 h à 10 h, en été de 7 h à 10 h.

116 Pour apaiser les craintes du maire, Rougeot précisait que Gautier et Pinguet, « qui travaillent au bureau de M de Montrocher », enseigneraient l’architecture. Gautier était également architecte auprès du bailliage et arpenteur à la maîtrise des eaux et forêts.

117 P. Leveel, « Recueil des dessins de Thomas Pringot – 1781 », BSAT, t. XXXVII. Cf. le cahier des illustrations.

118 Les distributions, qui avaient d’abord eu lieu le vendredi ou le samedi, sont rapidement déplacées au dimanche, jour plus propice à la présence « des ouvriers et artistes ».

119 Rougeot se rapprocha davantage des autorités supérieures : il devint archiviste du District, se vit confier l’organisation de différentes fêtes et décora le Temple de la Raison de Tours. ADIL, série L (L 1585-1587 ; L 90 ; L 702).

120 Au décès de Rougeot, en 1797, Raverot le remplace à la direction de l’école de dessin, désormais rattachée à l’école centrale. Ch.-L. de Grandmaison, Origines du musée de Tours. Provenance des tableaux, 1897 ; B. Lossky, « La naissance du Musée de Tours à l’époque révolutionnaire », BSAT, t. XLII.

121 Sur la critique de la monarchie à la fin de l’Ancien Régime, outre l’ouvrage majeur de D. Roche, Le siècle des Lumières en province, op. cit., voir C. Petitfrère, Le scandale du « Mariage de Figaro »…, op. cit. et R. Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, 1990. La documentation relative aux prix du gouverneur à Tours est conservée en AMT, série BB, 1D et surtout GG 26 (2e partie) et HH 6 (1re partie). Sur l’engouement de l’époque pour les concours : D. roche, Le siècle des Lumières en province…, op. cit. ; G. Feyel, « Ville de province et presse d’information locale en France dans la seconde moitié du xviiie siècle », in Ch. Delporte (dir.), Médias et villes, 1999.

122 AMT, GG 26 (2e partie), document signé par d’Estaing à Paris le 1er décembre 1785. Le gouverneur confie la réalisation de son projet au corps de ville et plus particulièrement au maire, pour lequel il a la plus haute estime.

123 Tout comédien ou entrepreneur de spectacles désireux de se produire dans la ville devait verser une petite somme au gouverneur. C’est cette caisse, dénommée « privilège des spectacles », que d’Estaing transfère au maire de Tours en 1785.

124 Cf. chap. IV.

125 C’était la fête du maire Étienne Jacques Christophe Benoît de La Grandière et du duc de Choiseul (prénommé « Étienne François »), ce dernier étant présenté ici comme le « fondateur de l’école de dessin ».

126 Dans un premier temps, la boulangerie avait été pressentie : elle fut finalement écartée au profit de la menuiserie.

127 En 1789, la liste des chants choisis marqua la volonté de la Ville d’intégrer la cérémonie dans le culte royal : le cantique Domine Salvum Fac Regem précéda une oraison prononcée en l’honneur du roi.

128 Pour la boulangerie – une catégorie finalement écartée –, la devise suivante avait été choisie : il épure, il accroit les bienfaits de Cérès. P. Leveel, « Un curieux ornement pour l’hôtel de ville de Tours en 1787 », BSAT, t. xxxix.

129 Exceptionnellement, un 8e prix avait été prévu à la foire d’août 1788 : le négociant qui « aura[it] prouvé avoir exporté la plus grande quantité de vins de Touraine par le port de Nantes » devait recevoir une médaille d’or, 600 L et une gravure du roi. Rien ne permet de savoir si ce prix a été remis.

130 La Ville avait ouvert son « trésor » pour que les intéressés puissent composer avec le maximum de documents précis possible.

131 On voulait récompenser les sages-femmes issues des campagnes qui auraient assisté aux cours de Moreau. De son côté, le gouverneur envisagea également de récompenser la Garde citoyenne, dont il était le « généralissime » : on ne sait pas si ce projet aboutit.

Table des illustrations

Titre Graphique 17 – Répartition par grandes catégories des marchandises vendues en franchise lors des foires de Tours tenues de 1782 à 1789.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/5859/img-1.png
Fichier image/png, 8,5k
Titre Graphique 18 – Évolution du nombre de déclarations de marchandises faites lors des trois foires annuelles tenues à Tours aux mois de janvier, avril et août de 1782 à 1790.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/5859/img-2.png
Fichier image/png, 13k
Titre Graphique 19 – Comptes des foires (1782-1791).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/5859/img-3.png
Fichier image/png, 5,3k

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