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Tours entre Lumières et Révolution

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Béatrice Baumier

Deuxième partie. Les moyens du pouvoir municipal

Chapitre V. Une pénurie financière permanente

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 G. Saupin, Les villes en France à l’époque moderne, 2002.

1Les ressources de Tours, comme celles de la plupart des villes du royaume de l’époque moderne, se composent de revenus patrimoniaux, tirés de biens qui appartiennent en propre à la cité, et d’octrois autorisés par le roi, par nature précaires puisque le souverain peut revenir à tout moment sur leur concession1.

  • 2 Sur la situation financière de Tours au xviie siècle, voir C. Petitfrère, » Les embarras financier (...)
  • 3 Sur cette question, voir C. Petitfrère, « Les embarras financiers… », op. cit. La charge était dev (...)
  • 4 Outre la réunion aux finances du roi des 24 000 L jusque-là prélevées par la Ville, le roi retenai (...)
  • 5 B. Maillard, in B. Chevalier (dir.), Histoire de Tours, 1985. L’original est conservé aux AMT, CC (...)
  • 6 Selon ces critères, le budget tourangeau était un budget très modeste, s’élevant à quelques dizain (...)

2Durant les premières décennies du xviie siècle, Tours réussit tant bien que mal à équilibrer son budget2, dont les ressources – près de 24 000 L – proviennent essentiellement de différents octrois. La situation change au début du règne personnel de Louis XIV. Le roi, qui a de gros besoins d’argent, s’empare en deux temps de la totalité des droits perçus aux portes de Tours. En 1662, un arrêt du Conseil ordonne de transférer la moitié des octrois de la ville au bail général des aides ; l’autre moitié l’est à la ferme des aides par un arrêt de mars 1665. En contrepartie, le roi accorde aux édiles l’autorisation de lever de nouveaux droits sur les entrées de vin, 20 sols par pipe du cru de la province et 3 L par pipe de vin forain, des droits qui devraient rapporter 19 000 L. La spoliation est présentée comme un échange de bons procédés, puisqu’elle soulage la cité de plusieurs charges imposées par la monarchie – notamment la subsistance des gens de guerre3 contre un abonnement de 15 000 L par an. Mais le fardeau fiscal pesant sur les habitants s’alourdit, tandis que la part attribuée à la Ville est ramenée à de modestes proportions : les ressources qu’elle tirait des droits d’octroi, environ 24 000 L jusqu’en 1665, tombent à 16 000 L4 sans que ses patrimoniaux, qui rapportent environ 4 200 L, puissent combler le manque à gagner. La Ville connaît dès lors de graves difficultés financières que l’arrêt du Conseil du 2 juillet 16895 tente de résoudre. Le texte sonne comme l’aveu d’une banqueroute partielle puisqu’il valide et acquitte les dettes, évaluées à plus de 145170 L. Il impose par ailleurs un nouveau budget aux édiles. Il maintient les ressources de la ville au niveau fixé depuis 1665, mais réduit les charges financées par chacun des revenus : 2 693 L par les patrimoniaux, 13 986 L par les octrois et le reste, 5 321 L de dépenses extraordinaires, par les deux comptes selon leurs capacités6. Ce texte, destiné à remettre de l’ordre dans une situation financière particulièrement malmenée par les exigences royales, favorise l’accroissement du contrôle par l’État.

  • 7 L. Benoît de La Grandière, op. cit. Sur la situation financière de Tours au siècle des Lumières :F (...)

3Malgré cet arrêt – qui reste la charte financière de Tours jusqu’en 1787 –, la Ville connaît de nouveau de graves difficultés comptables au siècle des Lumières. Tel est en tout cas l’avis, à la fin des années 1770, du corps de ville, qui commence à prendre conscience de ses difficultés de trésorerie. Louis Benoît de La Grandière, maire de Tours de 1768 à 1771, affirme ainsi que « le Corps de ville a toujours été dans l’embaras pour acquitter ses dettes par raport aux charges toujours supérieures à ses revenus ; […] on étoit obligé, malgré la sagesse d’une administration économique, de recourir aux expédients [sic]7 ».

  • 8 Voir les travaux de B. Chevalier et de C. Petitfrère.
  • 9 Ce qui distingue encore Tours par rapport aux villes du Nord étudiées par Ph. Guignet (Le pouvoir(...)

4Nous avons voulu savoir si cette affirmation correspondait à la réalité et, dans l’affirmative, tenté d’en comprendre les raisons : les difficultés financières étaient-elles le fruit d’un déséquilibre croissant entre revenus et dépenses, ou bien le résultat d’exigences royales grandissantes ? La première difficulté fut d’accéder aux sources. Il n’existe pas de séries comptables continues à Tours pour le xviiie siècle, à l’inverse des richesses retrouvées pour la période médiévale et le Grand Siècle8. Dans le cas, probable, où les receveurs ont tenu des registres de comptabilité, il n’en reste rien, soit parce qu’ils ont été détruits, soit parce qu’ils n’ont jamais été confiés aux dépôts d’archives. Pour aborder la question des finances au siècle des Lumières, il a fallu tenter une patiente reconstitution des pièces comptables dispersées aux Archives municipales et départementales. Nous avons aussi eu recours à la quinzaine d’états dressés, entre 1765 et 1789, à la demande des ministres ou de l’intendant, ou élaborés de manière spontanée pour appuyer un dossier particulier. Les travaux préparatoires aux redditions des comptes patrimoniaux ou d’octrois nous ont également servi, même si nous n’avons vraisemblablement abouti qu’à des reconstitutions incomplètes. Quant aux autorisations de paiement, appelées « mandements », elles nous permettent en théorie de restituer les dépenses, mais leur éparpillement parmi d’autres décisions municipales rend difficile leur utilisation. Ces données ont été complétées par des pièces comptables conservées aux Archives départementales dans les papiers de l’intendance et dans ceux des différentes juridictions auxquelles la municipalité rendait des comptes : bureau des finances, bailliage et siège présidial et, à la fin des années 1780, Commission intermédiaire provinciale. La prudence est de rigueur pour l’interprétation de ces informations éparpillées, lacunaires et incertaines, tantôt exagérées par des édiles désireux de réclamer davantage de secours, tantôt minimisées pour ne pas avouer l’ampleur de la dette : un tel aveu aurait fait fuir les éventuels bailleurs de fonds et attiré l’attention du pouvoir royal, toujours tenté d’accroître son contrôle. Nous avons retrouvé, entre 1718 et 1789, des informations sur les octrois pour 55 années (55 pour les revenus, 43 pour les dépenses) et pour 37 années sur les patrimoniaux (37 pour les charges, 36 pour les revenus). Plusieurs périodes très lacunaires rendent malaisées les comparaisons sur le long terme : celles-ci ne sont possibles que pour 27 années, parmi lesquelles celles de 1745 à 1757 où un octroi supplémentaire a été accordé à la Ville. Elles seules offrent des informations continues réellement satisfaisantes9.

5Avant d’examiner la situation financière de Tours dans la seconde moitié du xviiie siècle – était-elle, comme le prétendaient les édiles, si difficile ? –, il a paru intéressant, en préalable à l’étude attendue des charges, des revenus et des ponctions fiscales de l’État, d’examiner la pratique comptable. Cette dernière permet de mieux comprendre le manque apparent de réactivité des édiles face aux problèmes financiers et le caractère aussi tardif que dérisoire de leur réponse, jusqu’à ce que la Révolution ne bouleverse la situation.

Les receveurs municipaux et le difficile exercice de la tenue des comptes

  • 10 L’office de receveur municipal appartenait jusqu’alors à deux officiers alternatifs qui, choisissa (...)
  • 11 Veau Delaunay était le père de Pierre François, député de la paroisse de Saint-Hilaire de 1757 à 1 (...)
  • 12 Notons que par ses deux mariages successifs, Dreux était entré dans la parentèle de Duvernet et Du (...)
  • 13 Cf. chap. ii.

6Au xviiie siècle, la fonction de receveur est tour à tour vénale et élective. À la vénalité, supprimée en 172510, succède une longue période au cours de laquelle les édiles peuvent choisir librement leurs receveurs. Ils attendent toutefois le 11 janvier 1729 pour désigner un nouveau titulaire, Louis Veau Delaunay, un « bourgeois » de Tours11. Le 20 juillet suivant, pour alléger une fonction écrasante, ils décident de dédoubler les comptes d’octrois et de patrimoniaux. Veau Delaunay reste responsable des premiers, tandis que Thomas Dubois est nommé receveur des seconds. Lorsque ce dernier décède en mai 1736, son gendre, Pierre Dreux, lui succède. En juin 1744, à la mort de Veau Delaunay, la caisse des octrois et celle des patrimoniaux sont à nouveau réunies et confiées toutes deux à Pierre Dreux12. En 1759, Antoine Rattier le remplace ; puis, en 1760, Antoine Jean Rattier est choisi. Quatre ans plus tard, L’Averdy change le mode de désignation du receveur : il sera désormais élu, pour trois ans, par le corps de ville augmenté des quatorze notables institués. En 1768, à l’occasion de la mise en place d’un nouvel octroi, la monarchie impose une autre fonction, celle de contrôleur des octrois, à côté de celle de receveur, mais Antoine Jean Rattier les assume toutes deux. À la suite de l’abolition par Terray de la réforme municipale, en 1771, ces deux charges deviennent vénales : elles sont acquises en 1773 et 1774 par deux particuliers. Elles seront rachetées en 1782 et 1783 par la Ville, qui retrouvera ainsi la libre désignation de ses receveurs13. De toute façon, le rétablissement de la vénalité ne bouleverse pas la gestion des finances urbaines, car les deux officiers en titre, étrangers à Tours, n’exercent jamais leur fonction : ils la délèguent à un commis unique, qui n’est autre que l’ancien receveur désigné en 1760, Antoine Jean Rattier. Enfin, la Révolution renoue avec le principe électif : le conseil général, seul habilité à décider de l’utilité de recourir aux services d’un receveur, est aussi le seul à pouvoir le choisir.

Les hommes et leurs fonctions

  • 14 AMT, BB 67, 30 mai 1759 et ADIL, C 27 : traité de 1759 entre le corps de ville et les créanciers d (...)
  • 15 Dans son départ précipité, Dreux abandonne tout : ses activités, sa réputation et sa famille, dont (...)

7À partir des années 1760, deux personnages marquent fortement la fonction de leur passage : Pierre Dreux et Antoine Jean Rattier. Une partie des difficultés financières de Tours dans les dernières décennies de l’Ancien Régime tient au comportement du premier. Depuis sa nomination en tant que receveur des patrimoniaux, en 1736, et des octrois, en 1744, cet administrateur des biens publics se montrait assidu et consciencieux, rendant chaque année des états détaillés de sa gestion, tout en continuant ses activités de marchand fabricant et en assurant la gestion des comptes de la fabrique de sa paroisse, Notre-Dame-de-l’Écrignole. Mais l’année 1755 marque une rupture dans sa vie personnelle et publique : à la fin du mois de juin, Dreux achète à Antoine Roze l’office de juge garde de la monnaie pour environ 10 000 L. Dès lors, son attitude change : il omet de rendre compte de sa gestion et se dérobe à chaque demande du corps de ville. Lassé de ces refus, ce dernier fait réaliser un bilan financier pour les années 1756-1758. Clos en mai 1759, le travail fait apparaître un débit de 28 163 L14. Désireuse de récupérer son argent mais aussi de préserver ses relations avec Dreux, la municipalité tente de trouver une solution à l’amiable avec son receveur, qui, après avoir obtenu un délai supplémentaire, promet de venir s’expliquer dans la séance du 14 août 1759 : il choisit ce jour-là pour partir à Paris15.

8Averti de ce voyage ressemblant fort à une fuite, le corps de ville le révoque aussitôt et nomme à sa place Antoine Rattier, trésorier de l’extraordinaire des guerres. Décédé quelques mois plus tard, le 12 novembre 1760, le nouveau receveur est remplacé le jour même par son jeune fils, Antoine Jean, âgé d’à peine vingt ans.

9Antoine Jean Rattier restera en fonction jusqu’en mars 1784, malgré les changements intervenus dans la procédure de désignation du receveur municipal. En janvier 1765, les notables le maintiennent dans sa charge (l’édit de 1764 leur permettait de choisir le gestionnaire des finances), pour assurer la transition avec les opérations électorales régulières. Celles-ci auront lieu, comme prévu, tous les trois ans, en juillet 1765, 1768 et 1771, le même jour que l’élection du maire, dont le mandat a une durée identique à celui du receveur. Ces rendez-vous électoraux ne changent rien puisque, au terme de chaque scrutin, Rattier est réélu sans qu’aucun autre nom ne soit avancé par les électeurs : la difficulté de gérer les caisses municipales et l’importance des compétences requises ont sans doute été des freins à d’éventuelles autres candidatures. En 1768, lors du doublement de la fonction de receveur par celle de contrôleur des octrois, Rattier prend, par commodité, celle-ci en charge, avec l’assentiment de tous.

  • 16 Cf. chap. ii. Le 4 août 1773, Jacques Louis Jean Desportes-Deslinières achète l’office de receveur (...)
  • 17 Il faut sans doute voir dans cette nomination une compensation offerte par le roi à un officier mu (...)

10L’édit de Terray, en rétablissant la vénalité des charges municipales, risquait de bouleverser davantage les habitudes. Deux particuliers, nous l’avons dit, achètent les offices de receveur et de contrôleur16. Or, peu de temps après, en novembre 1774, en même temps qu’il confirme maire, échevins et conseillers dans leurs charges que personne ne songeait à acquérir, le roi maintient Rattier dans sa fonction de receveur, tandis qu’il désigne François Victor Barbier pour exercer celle de contrôleur17. Il en résulta une confusion passagère, qui ne porta pas à conséquence : les deux officiers en titre n’exercèrent jamais leurs fonctions, laissant à leur commis unique, Rattier, le soin de gérer les fonds municipaux. Ils se contentèrent de toucher leurs gages, non sans subir au passage les critiques acerbes des officiers du corps de ville. Après de longues tractations, la Ville finit par racheter les offices les 30 avril 1782 et 21 juin 1783.

11Rattier reprend tout naturellement ses fonctions de receveur en titre… jus-qu’au début de l’année 1784. En février de cette année-là, il part de manière totalement inattendue pour la capitale, d’où il envoie sa démission le mois suivant. Les raisons de cette fuite sont multiples, autant dues à la situation financière compliquée de la Ville qu’à des « malheurs inopinés » personnels : en d’autres termes, la faillite de Rattier. Cet événement fâcheux prive la Ville d’un recours financier primordial pour elle, car lorsque la caisse municipale était vide, ou « en avance », c’est-à-dire en léger déficit, son receveur comblait le manque à gagner. Pour ce faire, il puisait dans ses fonds propres – on comprend, comme on va le voir, que la fortune personnelle du receveur ait été un critère important de son recrutement –, mais aussi et surtout dans des caisses parallèles dont il était le gestionnaire : celle du collège et, plus encore, celle de l’extraordinaire des guerres, dont il était le commis à Tours. Ces manœuvres comptables, qui paraissent aujourd’hui très singulières, permettaient à la Ville, à une époque où la circulation de l’argent liquide était difficile, de payer fournisseurs et créanciers à temps.

  • 18 ADIL, C 16, C 675 et AMT, BB 82, 13 août 1788.
  • 19 Les centres d’intérêts de Rattier étaient très variés. Capitaine de la compagnie de pompiers qu’il (...)

12Depuis quelques années déjà, Rattier faisait état du déficit constant de la caisse municipale et du poids grandissant des dettes urbaines pour expliquer aux débiteurs de la Ville ses retards de paiement : en juillet 1783, cette « avance » est estimée à 11 046 L ; elle est encore de 8 725 L en décembre. Toutefois, le receveur ne s’alarme pas outre mesure car, comme à son habitude, et avec l’assentiment des autorités, il puise dans les différentes caisses dont il est responsable pour payer les factures les plus urgentes : en ce début d’année 1784, il se retrouve ainsi redevable de plus de 50 000 L envers les trésoriers de l’extraordinaire des guerres. Par ailleurs, pour rembourser ces « emprunts » singuliers, Rattier espérait une rentrée d’argent imminente, provenant d’un investissement personnel original. Au début des années 1770, en effet, il avait investi avec succès les fonds de la caisse du collège dans un projet de plantation de peupliers. En 1775, fort de cet exemple, il décide d’investir ses fonds propres dans une entreprise semblable située à l’embouchure de la Cisse. Dans les varennes de la paroisse de Chouzy, entre Onzain et Blois, il acquiert ou loue plusieurs terrains sur une longueur d’une lieue. Outre les prés qu’il afferme, il fait planter 50 000 pieds de peupliers d’Italie, mais également des pieds d’osier dont il pense vendre les rameaux aux vanniers : cette dernière idée reçoit d’ailleurs des encouragements officiels parce qu’elle contribue à consolider les ouvrages de la levée. Les sols de la varenne, légers et régulièrement inondés, impropres aux cultures habituelles, étaient un terrain idéal pour la croissance de ces peupliers, dont les premiers devaient être abattus en 1785. Rattier envisageait de les vendre sous forme de bois blanc : une fois les frais défalqués, il devait lui rester un profit total de 400 000 L. Malheureusement, le 1er février 1784, les glaces charriées par la Loire emportent la levée, les arbres ainsi que tous les rêves d’enrichissement personnel de Rattier. Pour payer ses dettes, notamment à la caisse de l’extraordinaire des guerres, le receveur est contraint de vendre la plupart de ses biens, dont ses propriétés des bords de Loire18. Il devait encore 3 145 L à la Ville, mais celle-ci renonça à le poursuivre en « reconnaissance des services rendus durant sa gestion […] attendu les avances habituelles et considérables que Rattier n’a cessé de faire pour la compagnie ». C’était le moins qu’elle pouvait faire pour ce personnage entreprenant et dévoué19, qui avait été assez audacieux – ou intéressé ? – pour imaginer d’investir ses propres deniers dans un projet original dont une partie des bénéfices auraient sans nul doute été mis au service de la municipalité.

  • 20 Parfait Prudent Luce était un des commis à la recette des finances de la généralité de Tours et, c (...)

13Après quelques mois de recherches actives pour trouver le candidat idéal, le corps de ville finit par élire le 18 février 1785 un nouveau receveur, Parfait Prudent Luce20. Dans l’intervalle, on avait accepté les services du praticien Michel François Marchant-Lecompte, associé depuis quelque temps déjà au gestionnaire des ressources municipales pour lui permettre de faire face à ses multiples responsabilités.

  • 21 Julienne, agent de change, avait été préféré à d’autres personnalités, dont trois au moins – Chois (...)

14Au début de la Révolution, conformément à la loi du 14 décembre 1789, le conseil général se réunit. Le 11 février 1790, il débat de la nécessité de désigner un responsable des deniers communs, désormais désigné sous la dénomination de « trésorier » : les présents se prononcent à l’unanimité en faveur du maintien de Luce. Comme il remplit avec sérieux et dévouement sa tâche, il reste en place jusqu’au 7 mai 1792, date à laquelle il donne sa démission, invoquant, vraisemblablement par diplomatie, la lourdeur de sa tâche : outre la caisse municipale, il était en effet également responsable des profits des foires et du budget de l’hôpital général. Son remplaçant, Louis François Dominique Julienne-Duportail, est aussitôt élu : il prête serment le jour même et présente sa caution, avant de prendre possession, le surlendemain, de la caisse conservée chez son prédécesseur21.

  • 22 Tous les actes passés devant les notaires du corps de ville ont disparu.
  • 23 La caution présentée aux services du roi pour l’achat de leurs charges ne garantissait en rien les (...)

15Le choix des receveurs municipaux obéit à des critères jamais formulés mais dont l’observance semble primordiale : ils doivent non seulement présenter de sérieuses garanties personnelles, mais également être suffisamment bien connus ou bien entourés pour attirer d’éventuels bailleurs de fonds. En matière de garanties personnelles, rien de plus rassurant que de solides liens familiaux… La plupart des receveurs sont, de fait, liés à leurs prédécesseurs, aux échevins passés ou bien aux édiles en fonction : Dreux était le gendre de Joseph Duvernet et de Thomas Dubois, tandis qu’Antoine Jean Rattier avait succédé à son père. Quant à Luce, il était le gendre de l’officier municipal Victor Petit. Seuls Antoine Rattier père et Julienne font à cet égard figures d’hommes « neufs ».Tous doivent par ailleurs être à même de fournir les fonds nécessaires au fonctionnement de la caisse publique, et donc disposer d’une fortune personnelle ou familiale conséquente dans laquelle ils doivent pouvoir puiser à volonté. Dans le contrat signé le 18 février 1785 avec Luce, la Ville invite explicitement ce dernier à prendre dans ses deniers propres « chaque fois que besoin [et à faire] l’avance de ses deniers […] sans intérêt jusqu’à hauteur de 3 000 livres ». Une « bonne et suffisante caution » est exigée, que les nouveaux désignés ont tous présentée sans exception lors de leur prestation de serment entre les mains du maire. Le montant, qui n’est pas spécifié au milieu du siècle, est variable dans les décennies suivantes : fixé à 40 000 L en 1760, il est de 50 000 L en 1785 et de 30 000 L en 1792. Là encore, les liens familiaux jouent un rôle essentiel, puisque la caution est, la plupart du temps, garantie par des membres de la famille plus ou moins proche des receveurs : le 29 août 1759, Antoine Rattier père présente Marie Jean Boisseau, un parent de sa femme, juge et garde de la monnaie de Tours, accompagné de son épouse. Le 26 novembre 1760, son fils Antoine Jean présente sa caution, qu’il doit de nouveau montrer en 1765 aux députés des paroisses faisant office de notables. Les garants de Luce sont son épouse Marie Renée Petit, sa belle-sœur, Anne, et son beau-père, Victor. Quant à Julienne, c’est le 12 juin 1792 qu’il présente la confirmation de sa caution d’un montant de 30 000 L. Chacune de ces garanties est soigneusement vérifiée et enregistrée par le notaire de la Ville22. Dès lors, on comprend mieux les critiques formulées par les édiles après l’achat, en 1773 et 1774, des charges de receveur et contrôleur : ces garanties, exigées des receveurs nommés ou élus, étaient épargnées aux acquéreurs d’offices23. L’incapacité de ces derniers à témoigner de liens avec des réseaux financiers explique par ailleurs la ténacité de la municipalité à racheter ces offices.

16La plupart des receveurs ont un autre point commun : ils peuvent puiser dans des fonds extérieurs à la Ville, gérés soit au nom du roi, soit au nom de trésoriers divers, ou bien encore accordés par des cercles financiers plus lointains. Rattier père et fils étaient ainsi les commis tourangeaux des trésoriers de l’extraordinaire des guerres. De son côté, le jeune Rattier fut associé aux efforts de la monarchie lors de la levée du don gratuit entre 1759 et 1766 : il n’hésita pas à puiser dans ces différentes caisses secondaires les sommes nécessaires au paiement de certaines créances urbaines. Quant à Luce, choisi en 1785, il est l’un des commis de la recette des finances de la généralité.

17Malgré ces précautions, on a vu que deux receveurs municipaux ont fait faillite au xviiie siècle : Pierre Dreux en 1759 et Antoine Jean Rattier en 1784. Si pour ce dernier la municipalité renonce très vite à recouvrer son argent, tout autre a été le suivi de la première affaire. Désireuse de récupérer son dû, la Ville rejoint l’association de créanciers qui venait de se constituer. Elle se fait représenter par quelques-uns de ses membres et participe à la nomination d’un représentant collectif ou « syndic » : le fait que ce dernier soit toujours le délégué de l’hôtel de ville démontre tout l’intérêt que celui-ci porte à cette affaire. Une caisse commune est rapidement ouverte, destinée à recueillir l’argent provenant de la gestion et de la vente des biens officiellement abandonnés le 16 juillet 1761 par l’ancien receveur pour éteindre ses dettes. Confiée successivement aux notaires Jacques Mouys et René Thenon, cette cagnotte contient, dix ans après sa création, plus de 12 000 L, 20 012 L en 1779 et 14 534 L en septembre 1784. Cependant, les redistributions aux créanciers sont rares. Du fait de ses difficultés financières, le corps de ville obtient la permission de prélever certaines sommes, en acompte de ce qui lui est dû : par exemple, en 1764, 7 000 L lui sont accordées, 12 600 en 1772. Mais, près d’un quart de siècle après le départ de Dreux, l’affaire n’est toujours pas close : le 12 janvier 1788, touchée par l’un de ses créanciers « dans un etat de gêne et de détresse », la Ville s’engage fermement à « finir une affaire qui depuis longtemps reste à terminer ». Ayant obtenu l’aval du commissaire départi, elle établit, avec le procureur au bureau des finances, un « projet de distribution » des sommes déjà recueillies et, le 28 mai 1788, annonce aux différents créanciers qu’ils recevront prochainement un acompte sur ce qui leur est dû. Pour hâter le processus, elle accepte le 1er octobre de prélever ces sommes sur ses propres revenus d’octrois de l’année. La Révolution éclate avant que les différentes autorités aient pu clore définitivement le dossier.

  • 24 L’arrêt du Conseil de 1725, qui déterminait le rang et les fonctions des officiers municipaux, pré (...)

18Malgré l’importance de ses tâches, le receveur n’a, à aucun moment, bénéficié d’un rang équivalent à celui des officiers municipaux. Tous les textes relatifs à cette question s’accordent plus ou moins clairement sur ce point. L’édit de 1765 le présente comme membre de la municipalité avec le titre de « syndic receveur […] sans toutefois […] avoir voix délibérative dans les assemblées24 ». Par la suite, l’édit de Terray ne précise ni la place ni le rang du receveur, pas plus que ceux du contrôleur, dont la fonction a été créée en 1768. Les acquéreurs de ces offices, Desportes-Deslinières et Auger, profitent de ce silence pour contester le rang inférieur auquel on les confine. C’est en vain, car le corps de ville rejette la requête de ces officiers en titre et obtient même du duc de la Vrillière, le secrétaire d’État ayant la Touraine dans son département, une réponse allant dans son sens. Le silence des textes officiels explique que, quelques semaines après l’élection en 1785 du receveur Luce, une liste de ses « droits et prérogatives » ait été rédigée : il pouvait assister aux assemblées ordinaires et devait se rendre aux assemblées extraordinaires auxquelles le corps de ville le convoquait, mais il n’y avait pas voix délibérative et devait quitter la salle lorsque des questions autres que financières étaient abordées ; lorsqu’il serait invité à assister aux cérémonies publiques auxquelles la compagnie était convoquée, il devrait se tenir derrière le secrétaire greffier. Au début de la période révolutionnaire, le « règlement pour les assemblées du conseil général » de septembre 1790 ne précise pas le nouveau statut du receveur : il semble toutefois que son rang et ses fonctions n’aient pas connu de changement majeur par rapport à la période précédente.

  • 25 La présence de Rattier est la plus fréquente en 1766-1768 et 1771-1773, périodes d’intenses discus (...)

19Si le receveur est, de par son statut, un membre secondaire de la municipalité, le corps de ville ne l’en considère pas moins comme un élément clé de son fonctionnement. Pour preuve, elle le convoque régulièrement, et sa présence, variable selon les années, est avérée, d’après les registres de délibérations, à un tiers de l’ensemble des réunions de travail (32 %25).

20De même, le soin apporté à la désignation de ses receveurs montre tout l’intérêt de la Ville envers ces collaborateurs indispensables. Le responsable des deniers publics a, en effet, la lourde tâche de gérer la caisse municipale. Celle-ci est alimentée par les fonds tirés de la gestion des patrimoniaux et des octrois : concernant les premiers, il perçoit les rentes, gère les loyers des locataires et peut poursuivre les retardataires ; pour les octrois, il se contente de toucher les sommes versées, jusqu’en 1771 par le directeur des aides, puis, à partir de cette date, par le receveur de l’hôpital général, aux commis desquels les contribuables paient les taxes demandées aux portes de la cité. Lorsqu’il reçoit une facture – un « mémoire » – adressée par un fournisseur ou un artisan, il la présente aux officiers municipaux, qui l’examinent, la visent avant d’accorder un « mandement », c’est-à-dire une autorisation de payer. En réalité, le receveur n’est pas un simple exécutant des ordres municipaux : il dispose d’une relative autonomie, notamment lorsqu’il est contraint de trouver les fonds nécessaires pour équilibrer le budget de la Ville, soit en réalisant des manipulations comptables hasardeuses, soit en recourant à des emprunts auprès de familiers. Les édiles, en choisissant les receveurs, approuvent ces procédés et ne peuvent condamner des pratiques commodes pour tous.

21Le receveur ne dispose pas de bureau à l’hôtel de ville : il travaille chez lui et y conserve la caisse commune. La réforme de L’Averdy conforte cette habitude, qui ne semble pas propre à Tours, puisque l’édit de 1764 prévoit l’achat d’un coffre-fort déposé chez le receveur et fermant à trois clés : une confiée au responsable des deniers communs, une autre donnée à l’un des échevins et la troisième à l’un des notables. Les députés des paroisses, faisant fonction de premiers notables, achètent ce coffre-fort le 29 janvier 1765 et confient les clés à Rattier, à Thibault, échevin, et à Jean Cartier-Aubin dit l’aîné, député de la paroisse Notre-Dame-La-Riche. Nos sources restent muettes quant aux pratiques des années suivantes, mais il semble qu’aucun changement majeur n’ait été apporté, puisqu’en juin 1792, Luce se rend chez son successeur pour lui remettre les pièces de la comptabilité publique.

  • 26 L’édit de 1725 avait fixé à 1 sol pour livre perçue le montant des gages : cela équivalait à 700 L (...)

22En échange de ces responsabilités plutôt lourdes, le receveur municipal perçoit des émoluments modestes – au mieux 1 000 L par an –, dont le montant varie peu au cours du xviiie siècle26. En 1765, lorsque L’Averdy autorise les notables à fixer les émoluments du receveur, ceux de Tours maintiennent les gages à ce niveau, soit 400 L perçues sur les octrois et 1 sol pour livre sur les patrimoniaux. L’adjonction en 1768 de la fonction de contrôleur à celle de receveur ne bouleverse rien, car Rattier accepte la charge sans supplément. En revanche, la création par l’édit de Terray des offices vénaux, levés en 1773 et 1774, entraîne un surcoût pour la Ville, ce qui contribue à irriter davantage le corps de ville à l’égard des officiers en titre. En effet, les gages accordés à ces derniers sont fixés par le texte, pour le receveur, à 2 sols pour livre sur les octrois et 1 sol sur les patrimoniaux et, pour le contrôleur, respectivement à 16 et 8 deniers pour livre. Cela revient à multiplier quasiment par trois les gages versés aux gestionnaires des deniers publics. En 1779, les édiles évaluent à 1 500 L le montant versé à ces particuliers sur les seuls revenus d’octrois, auquel il faut ajouter la part prélevée sur les patrimoniaux mais aussi les 1 000 L de gages toujours accordés à Rattier, leur commis. Cette augmentation du coût de la gestion des deniers communs est l’un des motifs qui poussèrent les édiles à vouloir réunir ces offices. Après leur rachat, en 1783, Rattier, qui consent à cumuler les fonctions de receveur et de contrôleur, accepte également de maintenir ses gages à 1 000 L. La nomination de Luce ne change rien, à ceci près que son contrat précise désormais le montant de la rémunération pour chaque tâche : 600 L pour la gestion des octrois, 200 L pour celle des patrimoniaux et autant pour avoir accepté la fonction de contrôleur. Nos sources restent muettes pour la période révolutionnaire.

Une pratique comptable déconcertante

  • 27 Elle laisse perplexe même l’historien soucieux d’éviter les anachronismes : le maniement des finan (...)
  • 28 C. Petitfrère, « Les embarras… », op. cit.
  • 29 Contrairement à la belle série qui couvre les années 1579-1671 : AMT, CC 92 à CC 163.

23Au xviiie siècle, la pratique comptable paraît bien étrange à Tours27. Elle est peu rigoureuse, comme cela était d’ailleurs aussi le cas au siècle précédent28, mais, surtout, elle est difficile à suivre : si les receveurs ont tenu des « journaux », c’est-à-dire des comptes des entrées et sorties de la caisse municipale, ou bien ceux-ci n’ont pas été recopiés ou bien ils n’ont jamais été versés dans les dépôts d’archives. Nous n’avons aucun livre de comptabilité à notre disposition29 et les décisions d’ordre financier qui nous sont parvenues sont celles qui ont été inscrites dans les registres des délibérations, disséminées parmi les autres décisions. En ce domaine, la fin de l’Ancien Régime connut quelques velléités de changement : le 4 février 1784, il fut décidé d’inscrire les mandements sur un registre spécial, mais si un tel registre a jamais existé, sa trace a été perdue.

24Sans doute cette imprécision était-elle commode pour les autorités municipales et royales, puisqu’elle permettait aux receveurs de procéder à des maniements de fonds aussi surprenants que risqués. On l’a vu, le choix de ces auxiliaires était subordonné à leur capacité d’avancer quelques fonds, personnels au besoin, lorsque l’état de la caisse publique le nécessitait, au risque de se retrouver dans une position difficile. Nos sources indiquent ainsi des transferts de fonds inattendus. En avril 1766, Rattier, qui dispose de 80 000 L provenant de la caisse du don gratuit prélevé entre 1759 et 1766, propose à la Ville d’en garder 30 000 L pour payer ses créanciers les plus pressés. La manœuvre, osée, est vite légalisée puisque la municipalité obtient du roi l’autorisation de disposer de ce prêt exceptionnel, à rembourser sous trois ans. En mars 1784, le corps de ville apprend, lors de la démission de Rattier, que ce dernier avait » oublié » de reverser à la régie des aides la part habituellement payée sur les octrois, soit 9 000 L, et qu’il l’avait utilisée à d’autres fins. Ce manque de rigueur, cette confusion entre plusieurs comptabilités, y compris celle qui appartenait en propre au receveur, aboutissent à des manipulations financières hasardeuses et provoquent, à terme, des difficultés insurmontables pour tous.

  • 30 Les octrois alimentant le budget municipal n’étaient pas levés par la Ville. Jusqu’en 1771, ce son (...)
  • 31 Cette procédure avait sans doute été mise en place dès 1616. Après avoir vérifié les comptes, ces (...)

25Le corps de ville est indubitablement le complice de ces pratiques, puisqu’il vérifie, même si c’est de manière distante, les mouvements de fonds de son receveur. Des contrôles municipaux, au demeurant peu coercitifs, étaient en effet effectués au moins depuis le début du xviie siècle, soit pour répondre aux exigences du pouvoir royal, soit à l’initiative de l’échevinage. Il en existait de trois types : des états approximatifs présentés épisodiquement ; un bilan annuel proposé au corps de ville restreint ou élargi (aux députés des paroisses ou aux notables) ; et, enfin, des récapitulations plus soignées, transmises aux juridictions en charge de l’examen définitif. Depuis longtemps déjà, la municipalité exigeait de son receveur qu’il rende de temps à autre un bilan de ses comptes patrimoniaux. Elle imposait également au responsable de la levée des octrois30 qu’il en présente des états annuels. Elle confiait ensuite à plusieurs commissaires, choisis en son sein et parmi les notables ou les députés des paroisses, la vérification des pièces comptables et des justificatifs dans le but de présenter un rapide tableau à l’ensemble du corps de ville31. Si aucune erreur n’apparaissait, ce dernier en « consent[ait] l’arrêté », avant d’envoyer des extraits au commissaire départi et des bilans complets aux juridictions chargées des ultimes contrôles : bailliage et siège présidial, bureau des finances, et chambre des comptes. Reste à savoir si ces dernières vérifications, reposant sur une documentation qu’on soupçonne d’avoir été parfois arrangée, étaient régulières et quelle en était la vraie finalité : permettre au pouvoir royal d’évaluer les capacités financières de la cité pour mieux la ponctionner, ou bien prendre les mesures adéquates pour lui permettre d’améliorer sa situation, les deux motivations n’étant d’ailleurs pas exclusives ? Dans les faits, la chambre des comptes, ultime étape de ces examens, se contentait le plus souvent d’enregistrer les comptabilités publiques… et de toucher les honoraires correspondants.

  • 32 Ces vérifications ont été régulières et sérieuses au cours de la première moitié du siècle, davant (...)
  • 33 Les contrôles coûtaient effectivement fort cher : en 1772, la Ville doit encore 2 400 L à la chamb (...)
  • 34 AMT, BB 72, BB 73 et CC 13.

26Cette « belle » mécanique32 se grippe au temps de la réforme de L’Averdy. Pourtant, les édits de 1764-1765 modifiaient à peine l’ancienne pratique, que le ministre souhaitait simplement plus régulière et plus claire : il chargeait les notables nouvellement créés d’examiner tous les ans les comptes, avant de les soumettre au corps de ville. Une fois visés, celui-ci devait les transmettre au bailliage (patrimoniaux) ou à la chambre des comptes (octrois) pour qu’ils les arrêtent définitivement. Le receveur et le corps de ville se conformèrent à ces prescriptions… jusqu’au printemps de 1766. Mais, après cette date, les vérifications se font plus rares, pour deux raisons : le désintérêt progressif des notables tourangeaux pour leurs fonctions et la publication de nouveaux textes royaux qui contribuent à freiner considérablement les bonnes volontés. La déclaration du 29 juillet 1766, complétée par les lettres patentes du 13 février 1768, vient en effet jeter le trouble dans les esprits, et ce pendant une bonne décennie. L’affaire ne sera close qu’en 1775, au terme d’une active et abondante correspondance entre les différentes autorités, qui parviennent à fixer les règles à suivre. Le texte officiel de 1766 préconisait que le « compte des patrimoniaux et ceux des octrois devraient être rendus par un même cahier sous des chapitres distincts […] à la chambre des comptes ». La Ville remarque très vite une erreur de procédure administrative – « la déclaration du roi [n’a] pas été enregistrée au parlement » – qui la plonge dans le doute. En fait, ces hésitations masquent mal des rivalités entre différentes cours de justice, ainsi que des inquiétudes d’ordre financier – les vérifications de la chambre des comptes sont onéreuses, alors que celles des bailliages étaient gratuites33. À lire l’ensemble des courriers échangés avec plusieurs cités sur ce sujet très technique, deux camps s’opposent : celui des villes qui, comme Vendôme, Blois ou Amboise, veulent présenter directement au roi des remontrances, et celui des villes plus prudentes qui, comme Le Mans, préfèrent confier leur défense au parlement. Les Tourangeaux penchent pour le parti des modérés, préférant suivre la voie traditionnelle des contacts avec les hommes du roi, à Paris ou en province. On sollicite d’un intendant des finances des éclaircissements sur le tribunal auquel on doit s’adresser pour la reddition des comptes ; on consulte Du Cluzel, qui en réfère lui-même à Terray. Le contrôleur général loue la sagesse des Tourangeaux, à qui il conseille de garder leurs comptes « en dépôt après les avoir arrêtés dans la forme prescrite par […] l’édit d’août 1764 jusqu’à ce que Sa Majesté ait fait connaître ses intentions ». De fait, malgré ces incertitudes, les vérifications locales reprennent, plus ou moins régulièrement, sans être transmises aux autorités centrales. Le 5 juillet 1770, les notables vérifient les comptes patrimoniaux des années 1767-1769 et les comptes d’octrois d’octobre 1763 à septembre 1770. Ceux-ci, transmis à la chambre des comptes conformément à l’édit de 1764, sont arrêtés en avril 177334.

27Cette situation satisfait globalement tout le monde, malgré son caractère imprécis. Mais l’attitude du corps de ville change au début des années 1770. La première raison de cette évolution vient de ce qu’il sollicite du roi l’autorisation de lancer un nouvel emprunt. Or cette autorisation était subordonnée à l’examen précis, par le ministère, de la situation financière de la ville, un examen fondé notamment sur les vérifications effectuées par la chambre des comptes. En mars 1771, l’échevinage constate que ses comptes n’ont pas été arrêtés officiellement depuis longtemps, ce qui empêche le roi de se prononcer sur l’autorisation d’emprunt. L’édit de novembre 1771 n’ayant rien précisé sur la forme à donner aux redditions de compte, la Ville sollicite une fois de plus les autorités de l’État. Elle obtient finalement, en 1775, l’autorisation de se conformer « à l’ancien usage [antérieur à 1764] suivant lequel on assemblait les communes par députés de chaque paroisse de la ville ».

  • 35 Si le bailliage effectue gratuitement la vérification, le bureau des finances exige 43 L à chaque (...)
  • 36 Pour accélérer le processus, la Ville engage les services d’un procureur. Cf. chap. iv.

28Les contrôles, municipaux et royaux, redeviennent alors plus fréquents, la situation se stabilise et des habitudes nouvelles se prennent, respectées scrupuleusement par tous, même si la levée des offices de trésorier et de contrôleur municipaux contrarie un temps la régularité du processus. Les députés des paroisses sont de nouveau réunis le 4 août 1775 et reprennent la pratique abandonnée depuis dix ans : les vérifications sont effectuées par quatre officiers municipaux et quatre députés des paroisses. Les comptes patrimoniaux sont ensuite présentés au lieutenant général et au procureur du roi au bailliage, les comptes d’octrois au bureau des finances35. Les bilans sont transmis, avec les justificatifs, à la chambre des comptes, qui les arrête définitivement36. En 1784, la régularité de ces vérifications s’interrompt un temps en raison de la démission de Rattier. Les comptes des années 1782 à 1788 ne sont arrêtés que tardivement, avec bien des difficultés. Il a fallu au préalable que le receveur par intérim, Marchant-Lecompte, reconstitue, recopie, puis transmette au nouveau receveur l’ensemble des pièces retrouvées à l’hôtel de ville ou au domicile de son prédécesseur. Luce ne peut donc soumettre les comptes des années 1782-1786 à la chambre des comptes qu’en juillet 1787. Par la suite, les envois sont plus fréquents : la Ville envoie en juin 1789 ses comptes de 1787 et 1788. En fait, après la faillite de Rattier, les édiles ont soumis le nouveau receveur à une étroite surveillance. Ainsi, ils exigent de Luce qu’il présente tous les mercredis un « bref état de sa caisse » à deux officiers, André Jérôme Simon-Roze et Jacques Charles Pouget. Ils lui demandent également d’effectuer une visite mensuelle aux portes de la cité pour contrôler les journaux des recettes d’octrois tenus par les commis. La Révolution n’apporte pas de modification, puisque ces exigences sont rappelées à Julienne-Duportail en 1792 : il doit présenter tous les vendredis un rapide état des caisses qu’il gère, celles de la Ville et de l’hôpital général, et accepter les contrôles auxquels le corps de ville jugerait opportun de procéder.

29En dépit d’un rang officiel subalterne et de gages modestes, les receveurs ont donc tenu tant bien que mal la comptabilité municipale. Certes, leurs pratiques comptables, bien déconcertantes pour nous mais courantes alors, ont empêché les édiles de saisir la réalité de la situation financière de leur cité. Mais les contrôles ont existé, plus réguliers et plus sérieux une fois passée la période 1765-1775 – des années au cours desquelles le désintérêt des notables et l’incertitude provoquée par la déclaration de 1766 engendrent des retards, lesquels contribuent à figer une situation financière difficile qui aurait nécessité des réponses rapides. Ce renforcement des contrôles répond, pour une part, à la prise de conscience par les édiles de l’ampleur des difficultés financières de la Ville. Il correspond aussi à la volonté du roi d’améliorer sa connaissance des finances publiques locales. Mais dans quel but ? S’agit-il seulement de s’informer sur les capacités de la ville à répondre aux exigences fiscales de l’État ? Ou entre-t-il dans les vues du roi de la doter de moyens mieux adaptés à ses besoins ? L’Averdy avait sans doute ces deux idées en tête. C’est pourquoi il voulait associer les élites locales à son projet politique, afin d’obtenir leur assentiment à des réformes destinées à assainir les finances publiques. Mais il est difficile de blâmer les notables de Tours pour leur désengagement progressif lorsque l’on constate que la réforme, bien avant son abandon, n’avait apporté aucune amélioration aux finances urbaines. De fait, en dépit de contrôles accrus, ni L’Averdy ni ses successeurs ne dotèrent ou n’envisagèrent de doter la ville de moyens supplémentaires. Tours manqua finalement toujours d’argent. Promises par l’édit de 1765, les lettres patentes fixant les nouveaux montants des recettes et dépenses ne furent jamais rédigées et il faudra attendre 1787 pour que la Ville obtienne d’une nouvelle charte financière.

À l’origine des embarras

30Quels sont les revenus dont disposent les édiles dans la seconde moitié du xviiie siècle ? Leur nature et leur montant ont-ils radicalement changé par rapport à l’arrêt du Conseil de 1689, qui avait fixé, rappelons-le, à 4 200 L le montant des revenus patrimoniaux et 16 000 L celui des octrois ?

Les revenus patrimoniaux

  • 37 AMT, CC 84 à CC 88 et DD 10 à DD 19. Les baux, dont l’aspect est de mieux en mieux soigné, ont été (...)

31Les revenus patrimoniaux proviennent de rentes et de la location de plusieurs biens immobiliers, maisons, espaces ou bâtiments commerciaux. D’un rapport globalement médiocre, ces ressources ont cependant été, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, en augmentation constante et finalement suffisantes pour supporter des dépenses patrimoniales restées modestes. Mais, avant d’évaluer le produit de ces revenus, examinons leur nature37.

  • 38 Les contrats, signés en 1696 et entre 1724 et 1725, cumulaient un capital de 23 445 L. ADIL, C 331

32Les rentes sont, dans la seconde moitié du xviiie siècle, au nombre de treize : sept « rentes gages et intérêts » assignées sur les tailles de l’élection (circonscription) acquises entre 1696 et 172538 ; trois pesant sur des particuliers ; deux sur des maisons (14 et 47 L) ; et une sur un espace non bâti (5 L). Elles fournissent en moyenne 286 L : en 1766, elles rapportent 234 L ; en 1771, 218 L ; quelques années plus tard, leur produit se monte à 335 L. Cette augmentation est due au changement intervenu dans leur mode de perception. Les receveurs des tailles de l’élection, jusque-là chargés de verser à la Ville sa quote-part, payaient mal et souvent avec deux à trois années de retard. En 1776, la municipalité s’adresse directement au receveur général des tailles à Paris et, malgré la commission retenue par son avoué parisien (80 L), améliore le rendement de ces menues rentes.

  • 39 Plusieurs textes confirment cette cession, notamment les lettres patentes de 1591, qui évoquent pl (...)
  • 40 Remarquons que ces droits n’ont pas été préservés pour les espaces situés de part et d’autre de l’ (...)

33Toutefois, ces rentes ne représentent qu’une part infime, de l’ordre de 5 %, du revenu des patrimoniaux. La location des maisons, jardins et autres emplacements en rapporte la quasi-totalité : 95 % en 1778 et 1780. Quelques-uns de ces biens avaient été achetés par la Ville, mais la plupart lui avaient été cédés par la puissance royale. François Ier lui accorda, le premier, en 1530, la propriété des fortifications du xive siècle et des terrains avoisinants, pour protéger ces espaces nécessaires à la défense publique des emprises des particuliers39. Cent cinquante ans plus tard, les édiles souhaitent étendre ces droits aux terrains situés de part et d’autre des fortifications du Grand Siècle40. Cette attitude est sans doute à relier à la multiplication, dans les dernières décennies du xviiie siècle, des convoitises des particuliers – elles-mêmes dues à un certain renouveau du commerce. Les officiers municipaux doivent régulièrement rappeler aux particuliers, aux communautés, mais aussi à l’intendant les termes des actes royaux passés. Ainsi, en 1780, méconnaissant ce droit municipal, Du Cluzel autorise des particuliers à clore et même à lotir les terrains habituellement loués par la Ville, sans que celle-ci ait donné son accord. Le corps de ville s’empresse de faire parvenir à l’intendant la copie des textes qui fondent ses prérogatives, mais accepte le fait accompli : n’osant « faire opposition à un tribunal » contre les décisions de l’intendant, les édiles consentent au principe d’une indemnisation « qui sera une limite à d’autres tentatives futures ».

  • 41 Les écorcheries, « cabarets » et attaches de moulins sur la Loire, encore évoqués dans les baux de (...)

34Où se situent les patrimoniaux de Tours au xviiie siècle ? Vers 1750, les édiles louent une soixantaine de terrains – espaces vagues ou jardins – et trente-six bâtiments : trente maisons, deux fermes, deux poissonneries et deux autres locaux à usage commercial – des boutiques sises au rez-de-chaussée de la maison commune41.

35La plupart des espaces loués se situent bien évidemment de part et d’autre des ouvrages défensifs, remparts, portes et mails aménagés au xviie siècle. Ceux qui entourent les remparts nord, en bord de Loire, sont d’autant plus prisés qu’ils se situent à proximité des quais aménagés à la même époque : la plupart sont loués comme entrepôts à des marchands de bois ou de fer, à des entrepreneurs en bâtiment et à des voituriers par eau qui y abritent leurs bateaux. Les lieux les plus appréciés sont proches des portes des Tanneurs, de l’Écouerie, de Montfumier, de la Foire-le-Roi, de la Madeleine et des Oiseaux. Au sud, les terrains les plus recherchés sont les fossés bordant les nouveaux remparts du xviie siècle : comblés dès le début du xviiie siècle, ils ont permis l’aménagement de neuf hectares de jardins, six situés sous les murs du Grand Mail, trois sous le Petit Mail. Loués, ainsi que trois des huit bastions, à des agriculteurs, ils servent de pâturages ou de jardins consacrés à la culture de « navets et de légumes » ou de fleurs. Complantés de saules, d’acacias ou de sureaux, ces espaces s’ornent de vignes grimpant le long des murs et sont parcourus de fossés permettant le bon écoulement de l’eau, toujours proche de la surface. Pour limiter l’inconvénient de cet affleurement, les jardiniers sont tenus d’entretenir les plantations, de curer les fossés et de rehausser le niveau du sol en épandant de la terre ou des « boues » (c’est-à-dire des immondices) ramassées dans les rues. La Ville possède par ailleurs deux fermes situées à proximité des remparts sud : Chamboisseau, construite à l’intérieur du bastion Saint-Étienne, près du chemin conduisant au sanitas, et la Guillaumière, située à l’extérieur des murs, entre le bastion de Saint-Éloy et l’Hôpital général.

36Des trente maisons patrimoniales, six sont situées sur le vieux pont (certaines portent un nom sans doute lié à un épisode de leur histoire : la Bastille, le Grand Moulin et le Vert Galant) et vingt-quatre le long des murs, au nord, à proximité immédiate des portes des Tanneurs, de l’Écouerie et de la Foire-le-Roi, ou à l’est, près de la porte Saint-Louis. C’est à proximité de cette porte, près de la Madeleine, que se trouve l’une des rares maisons isolées louées par la Ville, L’Estrapade. Ces maisons sont pour la plupart dans un état pitoyable : elles sont décrites, dans les baux, comme « usées » ou « vétustes » et nécessitent de fréquentes et coûteuses réparations.

37Vers 1780, après les importants travaux consécutifs au tracé de la nouvelle route de Paris en Espagne, la situation des patrimoniaux a bien changé. Leur nombre a nettement diminué – trente-quatre jardins, au lieu d’une soixantaine, et vingt-et-une maisons au lieu de trente-six. Les corps de logis du vieux pont et quatre des maisons construites sur les quais nord ont disparu. La destruction de l’île Saint-Jacques (1766-1773) a entraîné celle des maisons qui s’y trouvaient, et la démolition partielle du vieux pont a contraint les locataires au départ. L’alignement des quais (1778-1780) impose l’abandon des espaces que les édiles y louaient, tandis que la démolition de la plupart des portes du mur d’enceinte (1783-1786) provoque la disparition de tout ou partie des maisons qui y étaient adossées. Subsistent quelques habitations à proximité de la Loire, reconstruites ou modernisées, ce qui permet aux édiles d’en augmenter les loyers. L’essentiel des jardins se concentrent désormais au sud, au pied des remparts du xviie siècle : cette partie de la ville, moins concernée par les activités commerciales et menacée par les inondations, n’attire encore guère que les jardiniers et autres cultivateurs.

38Le nombre et la nature des bâtiments commerciaux sont restés les mêmes qu’au milieu du siècle. La Ville possède toujours les deux boutiques du rez-de-chaussée de la maison commune. Elle les loue, dans les dernières années de l’Ancien Régime, à ses concierges, René Fouqueré puis Nicolas Lamarque, ce dernier exerçant parallèlement la profession de tailleur d’habits.

  • 42 C’est en 1508 que Louis XII consentit à l’installation de tueries et de poissonneries hors de la v (...)
  • 43 Les 4/7 sont fournis par les bâtiments, le reste par les droits. Outre la somme prévue dans le bai (...)
  • 44 Par habitude, le conseil général signa un nouveau bail en mars 1791, mais l’annula quelques jours (...)
  • 45 L’affaire, jugée au bailliage, opposait les fermiers de la poissonnerie, d’un côté, et un certain (...)

39Tours possède aussi deux poissonneries42. La grande poissonnerie, située en aval, est un vaste enclos, entouré de murs et percé de plusieurs portes, autour duquel s’organisent des appentis « formant boutiques ». Au centre d’une cour pavée s’élèvent « huit étaux [sic] à débiter le poisson », tandis que des « égouts » permettent l’écoulement des déchets dans la Loire. Deux cabinets situés aux deux extrémités de la cour complètent l’ensemble. La petite poissonnerie, celle de l’amont, est un espace semblable : les bâtiments s’organisent autour d’une cour pavée comprenant un puits. D’un côté, on trouve un grand appentis abritant un étal, et de l’autre, du « côté de la porte Foire-le-Roi », un grand bâtiment comprenant quatre « chambres à cheminée », un grenier, une cave voûtée et un petit cellier. Pour permettre au corps de ville de faire face aux frais engendrés par ces constructions, le roi l’avait autorisé à percevoir, sur les marchands et mareyeurs qui y vendraient leurs marchandises, des droits calculés proportionnellement aux ventes estimées sur chaque panier de poissons. Par souci de commodité, la Ville avait affermé ces bâtiments et ces droits depuis longtemps, tout en conservant le pouvoir d’y exercer la police : elle veillait au respect des règlements et fixait un tarif, dont le dernier remontait au 28 février 1759. L’adjudication de la grande poissonnerie rapporte, au milieu du xviiie siècle, environ 550 L par an43. Ce revenu, porté exceptionnellement à 700 L en 1775, ne cesse de diminuer par la suite : 540 L en 1780 et 450 L cinq ans plus tard. De son côté, le produit de l’adjudication de la petite poissonnerie augmente légèrement, passant de 160 à 200 L entre 1772 et 178244. La médiocrité des revenus de ces biens et la diminution de ceux de la ferme de la grande poissonnerie prouvent le désintérêt progressif des Tourangeaux, désintérêt confirmé par la difficulté du corps de ville à trouver des fermiers. Ainsi, la grande poissonnerie ne trouve pas preneur de Noël 1768 à mars 1769 et les adjudications doivent être reportées à plusieurs reprises : en 1775, il faut quatre réunions pour achever l’opération ; il en faut six en 1785. Cela s’explique vraisemblablement par la féroce concurrence des mareyeurs forains, contre lesquels les fermiers sollicitent à plusieurs reprises le soutien de la Ville45.

40Enfin, la municipalité possède deux bâtiments particuliers : le sanitas et l’arsenal. Érigé le long du chemin conduisant à Saint-Avertin, dans « la varenne de Saint-Étienne », le sanitas était un groupe de bâtiments construits à l’époque des grandes épidémies meurtrières pour servir de quarantaine aux personnes et aux marchandises soupçonnées d’être atteintes de maladies contagieuses. L’ensemble se compose, encore au xviiie siècle, de plusieurs bâtiments organisés autour de cours et d’environ deux arpents de terres labourables, parcourues de fossés et complantées de haies. Le sanitas est loué entre 68 et 99 L par an à des agriculteurs, qui se font d’autant plus rares qu’il paraît dégradé, faute d’entretien. En avril 1771, l’échevin Pierre Meusnier le décrit comme un ensemble « en ruine, sans croisées ni portes, ce qui reste des portes est en ruine, tous les carelages et planchers sont défoncés, une partie des poutres qui soutiennent les soliveaux sont cassées, partie des murs salpêtrés ». Il signale par ailleurs la présence, dans une chambre « enfermée sous cadenas », de « vieux bois de charpente » provenant d’un local qui avait contenu, dans les années 1720, des « soies venant de Marseille soupçonnée d’être pestiférée ». Ces bois, jugés sans valeur et sans danger, sont finalement vendus. Prête à se débarrasser à la première offre intéressante de ce bien dont l’état ne cesse de se détériorer, la Ville reçoit deux propositions. En 1771, l’intendant offre d’acquérir le domaine pour établir une pépinière royale. Les officiers municipaux acceptent et entament la démolition des « batiments superflus ». Mais l’intendant renonce finalement au projet parce qu’il « ne trouve pas le terrain convenable pour remplir l’objet qu’il s’était proposé ». En 1778, un certain Joubert, fabricant de toiles peintes d’Angers, entreprend d’y installer une manufacture. Les édiles n’ont pas le temps d’étudier la proposition que ce nouveau projet est abandonné lui aussi. Ils finissent par louer les terres à Silvain Lévêque, cultivateur de Saint-Étienne, pour 285 L par an et les bâtiments à la veuve Martin. Ils y conservent toutefois la jouissance d’un grenier et de deux chambres destinés à entreposer les matériaux nécessaires aux réparations des conduites d’eau de la ville.

  • 46 AMT, DD 17-18, EE 19. L. Benoît de La Grandière, op. cit.
  • 47 Le premier inventaire daterait, selon L. Benoît de La Grandière, de 1601. Plusieurs autres ont été (...)
  • 48 La pratique était assez ancienne : en 1748, Chedereau et Audebert avaient loué des boulets respect (...)

41L’arsenal était constitué de bâtiments situés sur le quai, le long des jardins de l’abbaye de Saint-Julien, à proximité de la petite poissonnerie et de la porte Foire-le-Roi46. Il avait été construit en 1590 sur une partie des jardins de Saint-Julien, avec l’accord des bénédictins, qui avaient obtenu en retour la construction d’un mur pour enclore leur jardin. Complété au cours des années, l’ensemble comprend, au milieu du xviiie siècle, deux magasins et une écurie, au-dessus desquels courent une cuisine, deux « chambres », dont « une à cheminée », deux cabinets et un grenier. Une allée pavée, située en deçà du mur de la ville et fermée par une porte, permet de sortir sur les quais. Une terrasse construite sur les remparts et un appentis complètent un ensemble d’aspect champêtre et clos de murs couverts de treilles. Cependant, le bâtiment principal est en piteux état : en août 1789, les commissaires envoyés par le Comité permanent pour inventorier le matériel de la défense commune qui y est entreposé grimpent avec peine à l’étage, tant l’escalier est « pourri ». La fonction première de l’arsenal était d’abriter les armes de la cité. Tel est encore son usage en 1764 : il renferme toujours les casques et les « arquebuses à crochet et à rouet avec boulets et autres attirails de guerre » que la Ville avait achetés en 1510 et qu’elle conservait « plus par curiosité que par besoin, la plupart de ces armes n’étant plus d’usage ni d’aucune utilité ». Il renferme également des « colliers de fer », des cuirasses, des vieux mousquets, des piques, des canons et leurs boulets, ainsi que d’autres matériaux que plusieurs inventaires énumèrent47. On y apprend que les boulets ont parfois été prêtés pour des usages inattendus : 500 ont été ainsi loués à des entrepreneurs de soie pour servir à « calandrer les étoffes48 ». Le bâtiment et son contenu sont placés sous la surveillance de locataires de confiance : entre 1765 et 1789, il s’agit du charpentier Jean Pimparé et de son épouse Louise Vazou, puis de Raffault à partir de 1789. Le garde s’engage à entretenir les canons et à les sortir pour les grandes occasions, cérémonies religieuses, passages d’une personnalité et, à partir de 1790, pour annoncer le début des opérations électorales. Jusqu’à la formation d’une compagnie de canonniers, en 1791, lui seul est autorisé à procéder au tirage des « boêtes et canons » de la ville. À l’été 1789 et au cours des années suivantes, les autorités locales s’inquiètent de la présence de ces armes à l’arsenal, un bâtiment qui peut être forcé à tout moment. Emmenés à l’hôtel de ville au début de la semaine agitée de juillet, les canons sont pourtant reconduits à l’arsenal le 24 juillet. Une nouvelle visite du bâtiment, effectuée le 11 août 1789 en vue d’inventorier les armes disponibles, calme en partie les inquiétudes du Comité permanent : le bâtiment ne contient que quelques piques et de vieux mousquets. Malgré tout, le Comité fait reconduire les canons à la maison commune, estimant qu’ils n’étaient « pas en sûreté à l’Arsenal ». Leur présence est encore attestée à l’hôtel de ville quelques mois plus tard, lorsque les autorités décident de les remettre en état et de les utiliser pour annoncer le début des opérations électorales.

  • 49 Il existe d’autres lieux d’agrément dénommés mails, moins prestigieux et moins bien entretenus : « (...)

42La Ville possède d’autres patrimoniaux : les espaces dits « publics », c’est-à-dire ceux qui, situés de part et d’autre des remparts, doivent être laissés libres de toute construction afin de faciliter la défense éventuelle de la cité. Parmi ces espaces, les mails sont les lieux les plus appréciés et les mieux entretenus. Deux mails avaient été aménagés sur les « boulevards » méridionaux, ces espaces vides situés au pied intérieur de l’enceinte du xviie siècle : le « petit mail », à l’est de la porte Saint-Étienne, et le « grand mail », débutant à l’ouest de la même porte pour se terminer au bastion Saint-Éloy. Dans ces allées, on se livrait à des jeux depuis longtemps déjà et le glacis militaire défensif était devenu progressivement une promenade appréciée. Pour la « récréation du public [et pour] se promener à l’ombre »,le petit mail avait été agrémenté d’ormeaux dès 1596, le grand mail complanté de saules en 1623. Un troisième mail avait été aménagé dans les années 1750 au nord-ouest de la ville, entre les paroisses de Notre-Dame-La-Riche et de Sainte-Anne. Ce nouveau lieu de promenade avait pris le nom du maire Nicolas Preuilly, qui avait décidé, en 1755, d’y planter des arbres49.

  • 50 Le 12 janvier 1769, la Ville adjuge pour deux années ce droit à un consortium de trois particulier (...)
  • 51 AMT, BB 72, 7 février 1770.
  • 52 AMT, BB 74, 15 juillet 1772 et BB 78, 31 mai 1780.
  • 53 L. Benoît de La Grandière, AMT, BB 71, 17 février 1768 et BB 74, 23 juin 1773.

43Ces mails sont, plus que les maisons patrimoniales, l’objet de soins constants et jaloux de la part des autorités municipales, non pour leur valeur pécuniaire (on a seulement concédé quelques espaces aux extrémités à des cordiers, dont le métier nécessite beaucoup de place), mais en raison de leur agrément. Les mails, qui servent aussi de protection contre les crues du Cher, sont très appréciés. Longs de 1 200 toises et bordés de murs et de quelques bastions, ils comportent quatre rangs d’arbres : leur allure fait l’admiration des voyageurs et des promeneurs. Ceux-ci peuvent trouver, pour se reposer, des bancs de « bois chesne » – la pierre est trop chère –, que la Ville avait fait poser sur toute leur longueur « pour la comodité publique ». Les édiles veillent avec un soin tout particulier à protéger ces bancs, notamment contre les vols, à faire réparer ceux qui sont « pourris de vétusté » ou bien à les remplacer. Les flâneurs peuvent également trouver des chaises près de la porte d’Espagne : la municipalité en a affermé la location à des particuliers et en destine les revenus à « l’entretien des bancs50 ». L’usage de ces lieux de promenade est soigneusement contrôlé. Le corps de ville édicte un certain nombre de règles pour éviter tout acte « qui peut nuire ou être une occasion de malpropreté51 ». Ainsi, il interdit tout entrepôt de matériaux : en 1769, Papion est contraint de faire enlever ceux qu’il a pris la liberté de faire déposer à l’entrée du grand mail, face à son hôtel particulier. Surtout, la Ville proscrit la circulation ou le passage de tout animal, à l’exception des bêtes destinées à la « convalescence des citoyens » et des deux vaches appartenant à l’hôpital des Enfants Trouvés, à condition que celles-ci soient bien surveillées et se contentent de brouter l’herbe des talus. Cette autorisation exceptionnelle est toutefois supprimée en 1780, car le corps de ville craint les « dangers qui peuvent en résulter surtout pour les personnes du sexe. Ces animaux intimident toujours et sont malpropres, les préposés chargés de les surveiller manquent toujours d’attention ». Toute bête surprise à paître est désormais conduite à la fourrière : en mai 1780, « deux bourriques et une vache […] sans gardien » sont emmenées52. Pour limiter l’accès à ces promenades, la Ville fait installer sur leur pourtour des bornes de pierre, au mail Preuilly, ou des barrières, tantôt de bois (au grand mail dès 1623), tantôt de fer. Elle fait aussi confectionner des clés qu’elle confie à un nombre limité de personnalités. Mais, à la fin du règne de Louis XV, ces clés sont devenues si nombreuses que des « personnes s’en trouvent munies sans droit d’où il arrive que ces barrières étant presque toujours ouvertes les voitures et chevaux passent journellement dans le mail et endommagent la promenade ». De nouvelles serrures sont donc posées, dont les clés sont distribuées à quelques « personnes jugées dans le cas de les avoir », comme les jardiniers, l’intendant ou l’archevêque53. Ces mails sont l’objet d’un entretien régulier : la Ville mandate tout spécialement l’un des siens pour y veiller. Elle le fait seconder, d’abord par le fermier du jeu du mail, puis par le locataire de la ferme de Chamboisseau. Le lieutenant du maire René François Barbet, qui accepte la tâche le 7 août 1771, fait consciencieusement et régulièrement des visites de terrain. Le 24 février 1779, il fait arracher et vendre des ormeaux morts dont les racines endommageaient des plantations voisines ; en mai 1780, il fait réparer les bancs et les barrières du lieu. Mais, malgré ces précautions, la Ville déplore encore des dégradations et constate que les habitants continuent à faire paître leurs bêtes ou à passer avec leurs charrettes. Le corps municipal du début de la Révolution, qui reprend à son compte l’idée de protéger le mail, se lasse de devoir répéter ces consignes et finit par engager un garde en 1792.

  • 54 Les registres de délibération mentionnent 235 ventes entre 1767 et 1789. Consciente de la valeur d (...)

44Les arbres de ces promenades sont l’objet de soins particulièrement attentifs. À la fin du xviiie siècle, il existe plus de 800 ormeaux dans la cité, tous marqués du sceau de la ville, de « la lettre M.V. et d’une croix » : 220 sur le mail Preuilly et 600 au total sur les deux mails du sud, où ils sont disposés en un double rideau séparant l’allée centrale des deux contre-allées latérales. Désireux de préserver la beauté du site, le corps de ville fait ramasser et vendre les arbres tombés ou les branches cassées par le vent, qui « deshonorent la promenade dans le mail54 ». Il exige des artisans venus arracher les arbres un comblement rapide des trous et une réparation systématique des bancs ou barrières qui auraient pu être endommagés lors de ces travaux d’abattage. De même, il fait planter de nouveaux arbres : le 10 mars 1773, 26 nouveaux ormeaux sont placés « dans les endroits où il en manque dans le grand mail ». Le corps de ville est par ailleurs tenu de faire tailler les arbres : en fait, il manqua toujours d’argent pour le faire faire régulièrement et n’intervint que lorsque des riverains se plaignaient. Le 8 janvier 1772, l’archevêque obtient l’élagage des ormeaux du petit mail qui, situés face à son palais et à son jardin, en « obstaclent la vue ». La Ville interdit à quiconque de toucher aux arbres : elle seule peut vendre le bois, sous forme de fagots ou comme bois d’œuvre. Tout individu convaincu de vol peut être sévèrement puni : en décembre 1772, Pierre Chesneau, qui « s’est permis de couper plusieurs branches des ormeaux du grand mail […] sans la permission », comparaît devant le tribunal des eaux et forêts : il est condamné à payer l’affichage d’ » étiquettes » réitérant l’interdiction de couper du bois sans autorisation de la Ville et à lui verser des dommages et intérêts.

45L’attachement des édiles pour leurs arbres est si fort qu’il leur est difficile de les abattre, même lorsqu’il s’agit de faciliter les travaux des ingénieurs. En 1775, ceux-ci exigent l’arrachage de 78 ormeaux situés près de la Madeleine : ils gênent les travaux destinés à relier les nouveaux quais au faubourg de Saint-Pierre-des-Corps extra-muros. En février 1778, les édiles acceptent, toujours à contrecœur, d’abattre les 220 ormeaux du mail Preuilly, plantés vingt-deux ans plus tôt. La suggestion vient de l’ingénieur Cadet de Limay, qui, travaillant à l’aménagement des quais, juge que ces arbres « ne sont plus alignés avec la nouvelle plantation faite le long de la Loire » ; il pense qu’on aurait avantage à les abattre pour dégager un espace propice à la confection d’un « chantier d’approvisionnement de bois […] ou des étendoirs pour les blanchisseuses chassées de Saint-Jacques ». La Ville, rendue à cet avis, est autorisée à vendre ces arbres. Bien qu’ils soient « de peu de valeur, de petite taille et [de] grosseur petite [parce qu’ils ont] été entretenus uniquement pour faire de l’ombrage et rendre la promenade agréable », la Ville en espère un bon prix. En fait, la vente est médiocre, bien inférieure à ce qu’on en espérait : les 610 L payées par l’entrepreneur Thomas Bouchet furent utilisées pour acquitter quelques créances urgentes.

  • 55 AMT, BB 81, 18 juillet 1787. La Ville reçoit aussi l’autorisation de conserver 30 000 L dues au ro (...)
  • 56 AMT, BB 81. L’interruption des sources comptables au moment de la Révolution empêche de connaître (...)

46Mais c’est à un sacrifice bien plus grand que la Ville est acculée en 1787. Depuis près de dix ans déjà, assaillie par ses créanciers, pressée par le pouvoir central de payer ses dettes et impatiente de réaliser de nouveaux projets, elle sollicite les autorités royales pour résoudre son éternel manque d’argent. D’Aine, le nouvel intendant, lui suggère alors de vendre la plupart de ses biens patrimoniaux : les maisons, le sanitas… et les arbres du mail méridional. L’idée n’est pas neuve : elle avait été évoquée en 1766 lors d’une réunion des notables, déjà confrontés à des difficultés de trésorerie, mais Choiseul s’y était opposé et L’Averdy avait finalement convenu qu’il ne « paraîtrait pas juste de faire le sacrifice d’une plantation aussi agréable ». En 1787, un arrêt du Conseil, en date du 15 janvier, autorise la Ville à disposer des ormeaux « formant l’ancien mail » et à « en employer le prix au rachapt des offices municipaux et autres objets d’utilité publique55 ». Le 19 décembre 1787, elle adjuge donc les 601 ormeaux, dont la vente avait été annoncée dans tout le royaume par le moyen d’affiches imprimées. Les clauses précisent que les arbres seront vendus en trois lots : 200 de la barrière Saint-Éloy à la rue Chanoineau, 202 depuis cette rue jusqu’à l’aplomb de la place du Chardonnet et 199 dudit point jusqu’à la barrière Saint-Étienne. Sont exclus de cette opération les ormeaux du « petit mail » plantés à l’est de cette barrière et les jeunes arbres plantés de part et d’autre de la porte d’Espagne. L’arrachage doit être achevé au plus tard le 15 avril 1789, les trous comblés au fur et à mesure et les arbres enlevés avant la Sainte-Madeleine de l’année 1790. Après trois séances tenues les 5 septembre, 12 et 19 décembre, le négociant François Faissolle et son gendre Jean René Denis Riffault des Estres, directeur du dépôt des poudres et salpêtres du Ripault, acquièrent, pour 26 063 L, l’ensemble mis à prix à 18 000 L56. La promenade méridionale, orgueil de la cité et objet d’admiration des voyageurs, vient de perdre son attrait pour longtemps : les édiles ne s’y trompent pas et font transporter, en février 1788, les bancs sur la terrasse de Saint-Julien. Arthur Young, de passage en Touraine peu avant cette opération, mal informé sur ses motivations, évoque ainsi ces arrachages :

  • 57 A. Young, Voyages en France, éd. 1976.

« [C]es promenades, que les habitants ont longtemps vantées, sont maintenant un objet de tristesse ; la municipalité a mis en vente les arbres et l’on m’a assuré qu’on les couperait l’hiver prochain. On ne s’étonnerait pas de voir un corps de ville anglais sacrifier une promenade pour les dames, afin de se procurer en abondances tortues, venaison et madère ; mais qu’une municipalité française montre si peu de galanterie, c’est inexcusable57. »

  • 58 Vallée dut « fouiller et bêcher » le mail sur 3 pieds de profondeur, arracher les racines, enlever (...)

47En fait, ainsi que le prévoyait le second volet de l’arrêt du Conseil, les édiles procèdent rapidement à la replantation des promenades, pour leur rendre leur allure. Le bêchage et le nettoyage des mails, adjugés le 24 décembre 1787 au maçon Jean Vallée, sont achevés en septembre de l’année suivante58. Le 15 juillet 1789, la municipalité autorise son receveur à « choisir dans les différentes pépinières des jardins de la ville environ 600 ormeaux les plus convenables pour la replantation du mail » et à les marquer. Mais les événements révolutionnaires ralentissent le travail, puisque le mail, de nouveau bêché en 1790 par les hommes des ateliers de charité, n’est replanté qu’à la fin de 1791 ou au début de 1792.

  • 59 Cf. infra.
  • 60 AMT, BB 78, 31 octobre 1782.

48En 1689, les revenus patrimoniaux avaient été fixés à 4 200 L. Mais lorsque le corps de ville fait le bilan de ces revenus, en 1765, il en évalue le rapport à 3 500 L et en explique la diminution par deux raisons principales, la suppression de la « billette59 » et la perte de plusieurs biens immobiliers : les maisons situées sur le vieux pont, fragilisées par la crue de 1755 ; la porte Saint-Étienne, démolie en 1757 ; les maisons adossées aux remparts en bordure de la Loire ; les terrains situés sur les quais ainsi que les jardins situés, à l’ouest, sur le nouveau tracé de la voie « Bel-Air ». En 1772, les édiles expliquent que ces revenus ne suffisent plus à l’entretien des patrimoniaux du fait de « l’augmentation successive des denrées, fournitures et main d’œuvres [sic] ». Dix ans plus tard, ils évaluent encore à 3 000 L la perte annuelle de ces revenus « par les démolitions de maisons et destruction de jardins […] du fait des ouvrages faits depuis peu en dedans et au pourtour de la ville60 ».

  • 61 La part des revenus patrimoniaux dans l’ensemble des ressources urbaines a également augmenté tout (...)

49Mais faut-il se fier aux lamentations de officiers municipaux ? Mal renseignés du fait d’une comptabilité approximative, les édiles énumèrent les pertes occasionnées par le remodelage de la cité, sans en évoquer les retombées positives, dans le but, vraisemblablement, d’obtenir des secours supplémentaires. Car, dans les faits, ces biens rapportent, au début des années 1780, une moyenne de 8 134 L par an61.

  • 62 Ces calculs ont été réalisés à partir des baux retrouvés en AMT, DD 17-19.
  • 63 Il en fut de même dans les campagnes (B. Maillard, Les campagnes de Touraine au xviiiesiècle, 1999 (...)
  • 64 Voir le plan général de la ville.

50De fait, les patrimoniaux connaissent à la fin de l’Ancien Régime une plus-value certaine. S’il est vrai que leur nombre a diminué, les revenus que la Ville en tire ne cessent paradoxalement d’augmenter depuis les années 1750. Sur la période, la moyenne des baux retrouvés pour les maisons fait plus que doubler, passant de 121 à 272 L ; celle des baux des jardins connaît une évolution semblable, passant de 65 à 107 L. Une étude plus précise, menée sur 23 propriétés patrimoniales bien localisées sur le territoire urbain et concernant les années 1760 et 1780, confirme la hausse des loyers, à l’exception de la grande poissonnerie déjà évoquée. Treize de ces biens connaissent une augmentation comprise entre 5 et 49 %, dix une hausse de 50 à 400 %. Le premier groupe se compose en majorité de jardins et autres espaces non bâtis (7 sur 13), le second essentiellement de maisons ou boutiques (6 sur 1062). Ces augmentations, qui s’intègrent dans un mouvement général de hausse des loyers à la fin de l’Ancien Régime63, sont également liées à la valorisation des patrimoniaux que la municipalité a pu conserver au terme des travaux d’urbanisme menés par les ingénieurs du roi. La plupart des biens dont le loyer a crû sont situés au nord, près des vieilles portes des Tanneurs, de l’Écouerie et de Montfumier, et à l’ouest, près d’un lieu communément appelé Genève64 ou encore près de la porte des Oiseaux, quartiers rendus plus attractifs par l’aménagement d’une voirie de qualité : à l’ouest, le nouveau chemin de « Bel-Air » reliant Saint-Éloy à la Loire ; au nord, les quais achevés entre 1781 et 1784 – des espaces d’autant plus convoités que les foires rétablies s’y installent alors. La proximité de ces voies nouvelles influe sur le prix des terrains : en 1782, le coût de la location d’une toise carrée est de 30 sols sur les nouveaux quais de l’est, alors qu’il n’est que de 25 sols pour les terrains occidentaux du port de Bretagne. Ainsi, les travaux d’urbanisme, financés en grande partie par les fonds royaux, ont permis à la Ville d’augmenter notablement le prix de ses loyers.

  • 65 Sur l’augmentation de la population de Tours : H. Mariani, Les Tourangeaux en 1790, 1993.

51Une autre raison explique l’augmentation de ces revenus : la hausse réelle de la demande locative provoquée par la pression démographique grandissante (elle-même due à un renouveau économique65 ?). Ces convoitises nouvelles s’expriment notamment lors des opérations d’adjudication que la Ville organise pour louer ses patrimoniaux. Au cours de ces séances, les candidats, toujours plus nombreux, font parfois montre d’une réelle obstination. Le 25 mai 1785, une maison située près de la porte des Tanneurs est mise à prix à 200 L : elle est finalement adjugée 460 L au terme d’un compétition entre 18 personnes !

  • 66 AMT, BB 79, 12 avril, 17 septembre 1783, BB 80, 28 août, 6 septembre 1784, DD 25. Quelques mois pl (...)

52Un exemple illustre la convoitise qu’excitent les espaces publics bordant la Loire, à proximité desquels s’installent désormais les foires franches trois fois par an. Il s’agit d’un long conflit qui, en 1783-1784, oppose la Ville et les bénédictins de Saint-Julien au sujet de la propriété d’une étroite bande de terre, située entre le mur de clôture de l’abbaye et la nouvelle terrasse, dite de Saint-Julien, élevée face à la Loire. Les bénédictins revendiquent la concession de ce terrain « pour y construire des écuries, des angards [sic] » et aussi pour leur procurer un débouché sur les quais, grâce à une porte charretière qu’on ouvrirait. L’abbaye disposait bien d’une autre porte, du côté du levant, mais elle était devenue inutilisable depuis que le corps de ville avait fait construire un nouvel enclos devant, enclos qu’il se proposait de couvrir afin d’y entreposer les boutiques en bois et autres matériaux nécessaires aux foires. Un modus vivendi paraît trouvé lorsque les édiles acceptent de remettre aux religieux une clé dudit enclos, ce qui leur permettrait d’accéder à leur porte charretière. Mais ce compromis fait long feu. Ce que veulent les bénédictins, c’est la propriété de toute la langue de terre. Le 28 août 1784, le corps de ville apprend avec stupeur qu’ils « ont fait, depuis quelques jours, détruire le mur de l’enclos de leur maison » et qu’ils se proposent de faire élever, en avant du terrain contesté, une nouvelle terrasse terminée par une grille de fer donnant sur la place publique. Cela leur offrirait, on s’en doute, une jolie vue sur le fleuve et les nouveaux quais. Les religieux se prétendent autorisés par une ordonnance de l’intendant. L’accaparement du terrain par des gens d’Église est d’autant moins admissible pour la Ville que cet espace, devenant bien de mainmorte, ne pourrait être récupéré par elle et serait donc perdu pour tout aménagement ultérieur. On était à la veille de saisir la justice, lorsque les bénédictins reculèrent in extremis : ils s’engagèrent à rendre à la Ville le terrain dont ils s’étaient indûment emparés et à reconstruire leur mur de clôture à son emplacement initial66.

  • 67 AMT, BB 70.

53Quoi qu’ils aient pu déclarer, les édiles ont eu finalement assez tôt l’intuition de la valorisation de leurs biens patrimoniaux. Lors d’une assemblée des notables tenue le 6 octobre 1766, ils évoquent la plus-value des « nouveaux emplacements qui se trouveront […] dans toute l’étendue des nouveaux quays qu’on dois [sic] former à l’occasion de la construction du nouveau pont » ; ces emplacements « deviendront un bien précieux à la ville, en ce qu’elle pourra y faire construire des magasins pour servir d’entrepot qu’on a lieu de présumer à l’occasion du changement de la grande route67 ». Leurs efforts pour améliorer la gestion des patrimoniaux témoignent de cette prise de conscience : plus grande attention portée aux dossiers, meilleur entretien exigé de la part des locataires et, surtout, changement des modalités d’attribution et tentative de cartographie.

  • 68 Ce nouvel expert était rétribué 96 L par an. Jean Bernard Abraham Jacquemin, né en 1756 de Jean Be (...)

54Le suivi des dossiers s’améliore peu à peu, grâce au recours à un « expert ». En 1752, la Ville engage l’architecte Pierre Barais, mais elle doit le remercier en 1765 pour des raisons d’économie. Quelques officiers municipaux acceptent alors de remplir cette tâche : Nicolas Gaudin jusqu’en 1767, Pierre Meusnier et Jean Hallouin de 1767 à 1774, Victor Petit à partir de 1777, puis Parfait Prudent Luce de 1787 à 1789. La profession de ces édiles rendait crédibles leurs avis, puisque Meusnier était architecte et ingénieur des turcies et levées, Hallouin, entrepreneur des ouvrages du roi, tandis que les notaires Gaudin et Petit étaient accoutumés à évaluer les immeubles et les travaux. Mais, devant la complexité et le poids du travail à accomplir – il faut visiter les terrains et les maisons, évaluer le montant des baux, estimer les réparations à effectuer, surveiller les travaux confiés aux ouvriers, dont il faut ensuite arrêter les mémoires de dépenses –, Pierre Barais est de nouveau engagé le 1er septembre 1779. Embarrassée que cet auxiliaire refuse toute forme de rétribution, la Ville lui associe, le 12 février 1783, Jean Bernard Abraham Jacquemin, géomètre professionnel68. Ces spécialistes conseillent les échevins mandatés pour suivre les dossiers de location. Notons que, par commodité, les termes des baux sont progressivement uniformisés. En effet, si la plupart étaient généralement établis pour 9 années, il n’était pas rare de trouver, au début des années 1750, des baux de 18, 21 ou 33 ans, dont les termes correspondaient à des fêtes religieuses : Notre-Dame de Mars (25 mars), Saint Jean-Baptiste (24 juin), Saint-Michel (29 septembre) ou Noël. En raison de l’augmentation de la demande locative, la durée de 9 années est définitivement adoptée en 1778, avec terme à Noël. Les loyers sont payables par demi-année, exceptionnellement par trimestre, et le receveur est autorisé à poursuivre les retardataires. Mais cela n’est pas toujours possible. Ainsi, rien ne put être fait à l’encontre de Jacques Biardeau, « parti secrètement » de sa maison, pourtant située « sous les salles de l’hôtel de ville ». D’ailleurs, le corps de ville sait faire preuve à l’occasion de mansuétude. À la suite d’inondations, les locataires obtiennent en 1768 et 1769 une remise partielle ou totale de leurs arriérés, tandis que les huit pauvres venus entre 1771 et 1784 exposer leur difficile situation obtiennent la résiliation de leur bail et l’extinction pure et simple de leurs dettes.

55Dans les baux, rédigés désormais de manière uniforme, les charges du locataire sont soigneusement précisées. Celui-ci doit accepter de partir en cas de « nécessité publique », sans pouvoir prétendre à une diminution de loyer. Il s’engage à entretenir avec soin le bien confié. Dans les jardins situés en contrebas des mails, les jardiniers doivent respecter les murailles, ne pas arracher les arbres ou les vignes, enlever les mauvaises herbes qui « nuisent à la promenade » et curer « les fossés d’écoulement des eaux qui bordent les jardins ». Dans les maisons, les locataires doivent effectuer les réparations locatives habituelles – repavage de la cour et remise en état des contrevents, râteaux et crèches des écuries – et, s’ils souhaitent en améliorer le confort, doivent préalablement s’assurer de l’assentiment de la Ville. Le nombre de demandes de permis de construire ou de réhabilitation paraît augmenter au cours des années 1780 : s’agit-il d’une simple illusion documentaire due à des mentions plus systématiques dans les registres de délibérations, ou est-ce le reflet d’une réelle multiplication des travaux destinés à améliorer les locations ? Parallèlement, la Ville porte une attention nettement plus grande aux travaux d’entretien de sa compétence. Elle envoie systématiquement l’officier municipal en charge de la gestion des baux auprès du locataire pour examiner la réparation à effectuer : un toit percé, une cheminée salpêtrée qui menace de tomber, une serrure de trappe de cave « ruinée de vétusté », une gouttière à remplacer… Au terme de la visite, l’édile peut commander les travaux nécessaires aux artisans habituels, sans toujours en référer à ses collègues.

56Pour tirer le meilleur profit des patrimoniaux, les officiers municipaux modifient par ailleurs leurs modalités d’attribution : au contrat bilatéral se substitue bientôt une adjudication au « plus offrant et dernier enchérisseur », ce qui contribue à la hausse des loyers. Jusqu’en 1764, les baux de location étaient toujours établis par les édiles responsables, qui, après visite du terrain, fixaient le montant du bail « pour le prix qu’ils estimeront convenable ». Le système de l’adjudication est inauguré lors de l’application de la réforme de L’Averdy. L’article 26 de cette réforme imposait ce principe pour les ventes d’un montant supérieur à 100 L. Après l’abandon de la réforme municipale, le corps de ville renoue un temps avec la pratique antérieure, mais il revient à la mise aux enchères au cours des années 1780, sans que cette pratique devienne pour autant systématique.

  • 69 Les informations contenues dans ce précieux document, aujourd’hui disparu, sont en partie lisibles (...)
  • 70 Le plan prévu devait comporter les édifices appartenant à la Ville situés le long des quais, depui (...)
  • 71 Le plan fut bien réalisé, puisqu’il fut examiné par le conseil général de la commune et que Fayot (...)

57L’attention portée à la gestion de ces patrimoniaux a également produit des essais de cartographie remarquables. Traditionnellement, avant toute signature de bail, l’officier ou l’expert responsable des baux se rendait sur place pour fixer les limites des terrains que l’on voulait louer. On se contentait alors de croquis à main levée. Très vite, cependant, les édiles commandèrent de véritables plans, dont le premier concerna les jardins méridionaux. Dû à l’architecte Barais, le plan divisait les 9 hectares en 59 espaces individualisés par un numéro reporté dans les baux : Martin Champeaux occupait ainsi deux jardins, totalisant 43 chaînées et portant les numéros 32 et 3369. Dans les années 1780, on envisage de lever une carte des maisons patrimoniales, notamment pour indiquer les constructions élevées à la suite de l’alignement des quais, mais elle ne voit pas le jour70. Il faut attendre la période révolutionnaire pour que la Ville dispose d’un plan de ce type, bien qu’il n’ait pas été établi à son usage exclusif : en octobre 1789, l’ingénieur de Montrocher commande à un certain Fayot un « plan géométral » indiquant toutes les maisons, toutes les cours et tous les jardins de la ville. La municipalité apporte son soutien à l’entreprise en priant les citoyens d’ouvrir leurs propriétés. Après quelque retard, le travail définitif, comportant 267 feuilles, est remis le 27 juillet 1791. Ce précieux travail a malheureusement disparu71.

58Au cours des premières années de la Révolution, l’administration des patrimoniaux est confiée à l’un des bureaux particuliers institués pour améliorer le travail municipal quotidien. Il semble que ce bureau n° 1 n’ait pas apporté de bouleversement majeur dans la gestion de ces biens, mais l’absence d’informations suffisantes ne permet pas d’être affirmatif.

  • 72 C. Petitfrère, « Les embarras financiers… », op. cit.

59L’arrêt du Conseil de 1689 fixait de manière autoritaire les dépenses qui devaient être financées par les revenus patrimoniaux et celles qui devaient l’être sur les revenus d’octroi. Les premières se montaient à 2 693 L. Les postes les plus lourds correspondaient aux frais d’urbanisme et aux charges imposées par le roi, avec respectivement 58,5 % et 18,7 % du total. Venaient ensuite les frais de fonctionnement de l’hôtel de ville (comprenant les cérémonies publiques, les présents et les frais de voyage), avec 15,6 % du total, et la dotation du collège (6,5 %). La place minime des rentes payées par l’hôtel de ville, avec 0,6 % du total, démontre l’efficacité de la liquidation des dettes organisée par l’arrêt du Conseil de 1689 : un siècle plus tôt, en 1597, leur poids représentait près de 43 % de l’ensemble des charges urbaines72.

  • 73 ADIL, C 329 et C 331. L’analyse ne tient pas compte des fluctuations de la valeur de la monnaie ju (...)

60La situation changea au cours de la première moitié du xviiie siècle. Le volume total des dépenses assignées sur les patrimoniaux doubla quasiment, soit par suite de l’augmentation des postes anciens, soit du fait de l’introduction de nouvelles charges. L’urbanisme restait le premier poste de dépense, absorbant 60 % du total, suivi des gages des magistrats et du personnel (23 %) ; venaient immédiatement après les charges imposées par le roi (12,8 %73).

  • 74 Il s’agissait de six rentes s’élevant à l’origine à 83 L. En 1787, ces rentes seront réduites à un (...)
  • 75 Cette tradition remontait à l’époque reculée où la ville offrait le vin et le pain aux seigneurs, (...)

61Grâce aux informations récoltées dans différents bilans établis par les officiers municipaux en 1765, 1778 et 1781, nous pouvons suivre grossièrement l’évolution des dépenses affectées aux revenus patrimoniaux dans les deux dernières décennies de l’Ancien Régime. Peu de postes de dépenses diminuent après 1765 : les rentes74 ; les frais de procès (300 L) ; et ceux relatifs à l’entretien des maisons, qui, fixés à 300 L en 1689, étaient passés à 676 L en 1781, après avoir connu un maximum de 1476 L en 1765. On a vu plus haut les raisons de cette évolution caractéristique des biens patrimoniaux vers 1770-1780. D’autres postes restent immuables : les gages et les frais de vêtements des auxiliaires municipaux (100 L) ainsi que du petit personnel d’encadrement de la milice bourgeoise (sergents de bande et tambours convoqués aux cérémonies, 100 L). À plusieurs reprises à la fin de l’Ancien Régime, le corps de ville demande aux ministres une revalorisation des gages de ses subalternes et une somme complémentaire pour renouveler leur garde-robe : il est vrai que les émoluments versés aux auxiliaires municipaux avaient déjà doublé depuis 1689, passant de 400 à 800 L. Seul le greffier parviendra, en 1781, à obtenir un doublement de ses gages (300 L au lieu de 150 L). Depuis 1689, les émoluments versés au procureur de la ville (8 L), au bâtonnier de Saint-Saturnin pour sonner tous les soirs la « retraite » à 21 heures (15 L) et ceux accordés au bâtonnier de Saint Martin (4 L) n’ont pas changé (ce dernier avait la tâche de préparer et nettoyer, dans la basilique, le « parquet [situé] dans la chapelle et destiné au corps de ville pour les sermons »). De même, le don d’argent (13 L 5 s.) fait aux cordeliers lors de la cérémonie « du lavement des pieds », en vertu d’une fondation créée sous Louis XIII, n’évolue pas. Inchangées aussi depuis 1689, les dépenses relatives au déjeuner offert lors de l’élection du maire (20 L) et celles consacrées aux présents offerts aux « personnes de qualité », c’est-à-dire aux personnalités de sang royal vivant en Touraine, aux personnalités de la grande noblesse et aux principaux commis de l’État75. Ce poste, après une multiplication par quatre entre 1689 et 1765, passant de 200 à 759 L, est resté stable par la suite. D’autres ont connu une augmentation certaine, mais variable, entre 1765 et les années 1780 : celui des cierges offerts aux personnalités lors de la Fête Dieu (32 L en 1689, 66 L en 1765 et 1778, mais 78 L en 1781) et les frais d’impression et de port de lettres (40 L en 1689 et 640 L en 1781). Plusieurs postes de dépenses ont été progressivement adjoints au budget des patrimoniaux, sans qu’aucune ressource supplémentaire ne soit accordée : ces nouveautés ont été diversement appréciées par les édiles. Ainsi, ces derniers ont régulièrement critiqué les différentes impositions pesant sur les patrimoniaux (plus de 232 L pour les deux vingtièmes et les « sols pour livre ») et les gages versés aux titulaires des offices de receveur et contrôleur (plus de 800 L). En revanche, ni les jetons de présence (de 900 à 1 300 L par an) ni les dépenses réalisées pour loger les militaires (1 200 L en 1781 contre 400 en 1765) n’ont été l’objet de telles critiques.

  • 76 AMT, CC 86.

62Au final, si les revenus patrimoniaux sont restés modestes, les différents travaux d’urbanisme menés par les ingénieurs royaux et l’amélioration de la gestion de ces biens avaient contribué à leur valorisation. L’augmentation de ces revenus était suffisante pour faire face à une croissance des dépenses assez limitée : en 1781, les édiles eux-mêmes conviennent que cette partie de leur budget était en « équilibre76 ». En allait-il de même pour les revenus d’octrois ?

Des revenus d’octrois instables et toujours insuffisants

  • 77 J. Maillard, Le pouvoir municipal…, op. cit., et Ph. Guignet, Le pouvoir dans la ville…, op. cit.
  • 78 Une pipe équivalait à 2 poinçons (environ 531,2 litres).
  • 79 Le texte du 7 septembre 1722 avait porté la taxe à 12 sols 6 deniers par poinçon de vin de Tourain (...)

63L’arrêt du Conseil de 1689 avait fixé à un peu plus de 16 000 L le montant des revenus d’octrois : concédés par le roi à la Ville, ils fournissaient, comme à Angers ou dans les villes du Nord, 70 à 75 % des ressources77. Ces impôts de consommation pesaient, à Tours, presque uniquement sur le vin (il fallut attendre les années 1745 et surtout 1771 pour voir les taxes sur le bois, le foin, la bière, le cidre et l’eau-de-vie apporter des recettes complémentaires). Accordés en 1665 en compensation de la spoliation royale des octrois antérieurs, ces droits avaient été fixés à 20 sols par pipe78 du cru de la province et à 3 L par pipe de vin forain, soit respectivement 10 sols et 1 L 10 sols par poinçon. Ils avaient été augmentés par deux fois dans les années 1720, de sorte qu’ils se montaient en 1765 à 13 sols 1 denier et 1 L 19 sols 2 deniers79.

  • 80 Cf. chap. viii.
  • 81 Un cotterêt est « un fagot de bois court et de moyenne grosseur, généralement fait avec du taillis (...)
  • 82 Les chiffres de ce second octroi forment les plus belles séries comptables de tout le siècle. ADIL (...)

64En fait, dans le premier tiers du xviiie siècle, ces octrois rapportaient un peu plus que ce qui avait été prévu par l’arrêt de 1689 : 16 350 L en moyenne pour les années 1719-1735. Au milieu du siècle, leur revenu fit un nouveau bond en avant. Dans les années 1743-1759, il atteignit une moyenne annuelle de 24 309 L. Cette augmentation était due à la concession d’un nouvel octroi par l’arrêt du Conseil du 21 août 1745, octroi motivé par les travaux d’aménagement de la route d’Espagne dans les varennes du sud de la ville, dont le roi voulait faire supporter le coût par les habitants de Tours80. Trudaine avait prévu de construire une levée, la « chaussée de Grammont », pour permettre à la nouvelle route de traverser cette zone régulièrement inondée par le Cher et la Loire. La nouvelle taxe portait sur le vin mais aussi sur le bois et le foin : 7 sols par poinçon de vin, 10 sols par cent de fagot, 6 sols par cent de « cotterêt81 », 5 sols par charroi de bois de chauffage et par « hottée » de bûches et cordes, 1 sol 6 deniers par quintal de foin. Accordé à l’origine pour 7 ans, le nouvel octroi sera prolongé de 5 ans par un arrêt de 1752. Rapportant en moyenne 13 238 L par an, il doubla les recettes de la Ville, qui put financer la chaussée prévue et utiliser le surplus pour rembourser ses dettes82.

  • 83 ADIL, C 331 ; AMT, BB 70, 13 août 1765 (bilan financier établi à la demande de L’Averdy) ; AMT, CC (...)
  • 84 Cette question sera abordée plus loin dans le développement relatif aux deux dernières décennies d (...)

65En 1759, l’arrêt de la perception du second octroi, qui précède de peu la fuite du receveur Dreux, inaugure une longue décennie de sérieuses difficultés financières, au cours de laquelle la Ville ne dispose plus que de quelque 12 000 L de revenus de cette nature83. Ce n’est qu’au début des années 1770 que les édiles pourront de nouveau compter sur un revenu correct de quelque 24 000 L par an, grâce à l’obtention d’un nouvel octroi en 176884. Pourtant, en dépit de cette amélioration des ressources d’octrois, certes médiocre, la situation financière de Tours resta catastrophique et les dettes ne cessèrent de gonfler dans des proportions démesurées. D’où venaient ces difficultés ? Leur origine est sans doute à rechercher dans le montant des charges que la Ville devait acquitter.

66L’arrêt de 1689 avait fixé le total des dépenses supportées par les revenus d’octrois à 13 986 L et, jusqu’en 1760, les ressources étaient parvenues tant bien que mal à compenser les dépenses « ordinaires et extraordinaires », mais la situation changea bientôt, et de manière considérable. À l’époque de la promulgation des édits de L’Averdy, l’échevinage évalue entre 6 000 et 8 000 L la somme manquant pour couvrir les charges. Celles-ci sont estimées à 25 504 L en 1765 ; elles atteindront jusqu’à 33 030 L en 1783 pour retomber à 25 273L l’année suivante.

67Comme pour les patrimoniaux, il nous a été possible, grâce aux informations tirées des bilans établis par les officiers municipaux en 1765, 1768 et 1781, de connaître les postes de dépenses financées à partir de 1689 par les revenus des octrois et de suivre leur évolution dans la deuxième moitié du xviiie siècle. Certaines charges sont restées immuables : le montant du contrat passé par la Ville et son fontainier (1 200 L), la dotation annuelle du collège (1 034 L 3 sols 4 deniers) et les « droits de flambeaux » du maire (400 L). Les frais d’entretien de l’hôtel du gouvernement, qui avaient fortement augmenté de 1689 à 1765, ont nettement diminué par la suite. Par contre, les dépenses relatives aux feux de joie ont presque doublé en moins d’un siècle, passant de 200 à 385 L, mais la somme en question reste minime. En fait, le principal responsable du déséquilibre du budget des octrois est le poste, prévu dès 1689, relatif à l’entretien du « pavé de la banlieue » ; nous y reviendrons.

  • 85 Au début du xviie siècle, la Ville louait par exemple le logement abbatial de Saint-Julien. En 160 (...)
  • 86 La Ville loua le bâtiment à plusieurs particuliers, tout en continuant à assurer son entretien. La (...)
  • 87 Avant 1758, la Ville louait la maison de l’archidiaconé de Saint-Martin, paroisse Saint-Venant. Dé (...)

68Plusieurs postes de dépenses avaient été progressivement ajoutés, chaque année plus lourds, sans que les autorités aient songé à doter la Ville des moyens conséquents : les « frais d’affiches et des publications », les intérêts d’emprunt (celui de 1772), les gages des titulaires des offices de receveur et de contrôleur, les frais de reddition des comptes à la chambre des comptes ; des impositions également (les vingtièmes), dont les édiles réclamèrent, à plusieurs reprises, la suppression. Citons enfin, parmi ces dépenses nouvelles, certaines qui révèlent un plus grand souci de la qualité de vie : l’entretien des pompes à incendie (entre 300 et 650 L) et celui de la « glacière du château » (300 L). D’autres raisons encore expliquent les causes du déséquilibre croissant. Les frais d’entretien de personnages ou de bâtiments liés à l’administration royale avaient été progressivement transférés sur les comptes municipaux. Depuis le xviie siècle, la municipalité devait supporter les frais de logement du gouverneur de la province. En 1630, elle avait acquis un hôtel particulier, situé près de Foire-le-Roi, pour mettre fin à la pratique fastidieuse et coûteuse qui consistait à louer chaque année un logement convenable et à le garnir de meubles et de vaisselle85. L’hôtel du gouvernement (appelé aussi hôtel de la Bourdaisière) accueillit les gouverneurs successifs avant que Choiseul, préférant loger à Chanteloup, ne permette à la Ville d’user du bâtiment à son gré86. Celle-ci entretenait par ailleurs l’hôtel abritant les services de l’intendance, qu’un arrêt du Conseil du 23 février 1758 l’avait autorisée à acheter : situé sur le tronçon occidental de la rue de la Scellerie, l’édifice lui avait finalement donné son nom87. En ce milieu de xviiie siècle, la municipalité devait aussi payer le logement et l’installation des ingénieurs royaux travaillant aux différents ouvrages. Enfin, par l’arrêt du Conseil du 29 mars 1775, elle fut chargée d’entretenir les nouveaux bâtiments publics érigés aux frais du roi sur les bords de la Loire : prisons, hôtel de ville et présidial. À Tours, la modernisation des services royaux, caractéristique des dernières années de l’Ancien Régime, a donc largement été assurée par la Ville elle-même.

  • 88 Ce pont, reliant Tours au Plessis, fut d’abord bâti en bois puis reconstruit en pierre entre 1554 (...)
  • 89 Ces « Ponts-Longs », aménagés pour franchir la zone souvent inondée située entre le coteau et les (...)
  • 90 Le toisé disparut en 1747 après avoir été communiqué à l’intendant Savalette de Magnanville. AMT, (...)
  • 91 Ce droit, dont le nom viendrait d’une « petite enseigne en forme de barillet, qu’on mettait aux li (...)

69Les dépenses nouvelles étaient surtout liées aux travaux d’urbanisme. Conduits par la Ville, ils étaient le plus souvent décidés par l’État. Ces travaux étaient tantôt modestes, destinés à compléter les gigantesques aménagements urbains menés alors, tantôt extrêmement lourds. Parmi les premiers, citons l’entretien du mail, de ses bastions « garantissant la ville contre le Cher qui n’a pas de levée » et de ses bancs et barrières ; l’entretien de la chaussée de Grammont ; l’ouverture de quelques rues et la démolition de « vieux portiques cintrés obstacles au passage » ; et, enfin, l’aménagement de places de marché. Parmi les seconds, le poste le plus important était sans conteste celui de l’entretien des ponts et voies des « banlieues » : il avait presque décuplé en moins d’un siècle – compte non tenu de la dévalorisation de la livre –, passant de 900 L en 1689 à 8 000 L en 1770-1780. Depuis le Moyen Âge, la Ville était en effet tenue d’entretenir plusieurs voies la reliant aux paroisses voisines : les chemins de Saint-Étienne à Saint-Avertin, de Saint-Éloy au village de Pont-Cher, de Sainte-Anne au Plessis et, enfin, la route menant de la porte nord à Saint-Cyr, depuis la « taverne aux bœufs » jusqu’à une distance de 314 toises au-delà du champ de foire de Saint-Barthélemy. À ces routes, il faut ajouter les multiples ponts érigés à partir du xve siècle, permettant d’enjamber les « boires » ou « ruaux » parcourant les varennes : le pont Sainte-Anne, entre le quartier de Notre-Dame-La-Riche et Villeperdue88 ; le pont Saint-Éloy reliant la ville à l’abbaye de Beaumont ; le Pont-Cher, complété par le « pont aux Oies » sur le « vieux Cher » au bas du coteau ; le pont Saint-Sauveur permettant d’enjamber le Cher sur la route de Chinon ; les « Ponts-Longs » de Saint-Avertin89 ; et enfin le pont de Port-Guyon, appelé également pont Saint Lazare. Désireuse de ne pas multiplier les dépenses d’entretien, la Ville procéda, le 4 mai 1607, au toisé de ces routes et l’arrêt de 1689 appuya sa volonté d’économiser en fixant le total de ce poste à 900 L90. Malgré la médiocrité de cette somme, la municipalité put faire face à la dépense et ce d’autant mieux que, bien souvent, elle omettait de faire les travaux nécessaires. Pour cet entretien, les autorités municipales avaient obtenu la levée d’un octroi, le « droit d’apetissement », portant sur les vins et breuvages vendus à pot et à assiette en ville et dans les faubourgs, et s’appliquant tant aux citadins qu’aux habitants des paroisses avoisinantes. Ces droits avaient été complétés en 1461 par la « billette91 », mais cet ensemble de taxes fut supprimé en 1756.

  • 92 AMT, BB 70, 13 août 1765.
  • 93 En revanche, le pont aux Oies ne fit l’objet d’aucun chantier d’envergure et l’on se contenta de r (...)

70La situation change au xviiie siècle : les frais, qui avaient déjà été portés à 2 000 L depuis 1689, gonflent brusquement à 8 000 L dans les années 1770 et à 11 000 L dix ans plus tard ! La raison de cette hausse importante est, là encore, à relier aux travaux entrepris dans les années 1740 pour moderniser les routes du royaume. À Tours, les aménagements consécutifs à la percée de la nouvelle route de Paris en Espagne sont complétés par la construction et la modernisation de voies secondaires « nécessaires pour la communication de cette ville avec les bourgs circonvoisins92 », pour des raisons d’approvisionnement notamment. Durant les décennies 1770 et 1780, les ingénieurs réparent et pavent les « avenues », reconstruisent les ponts en pierre ou les remplacent par des chaussées surélevées. En 1769 et 1770, ils remplacent les « Ponts-Longs » de Saint-Avertin par une levée ; en 1772, ils réparent le pont Saint-Éloy et celui de Saint-Sauveur93. Entre 1774 et 1777, ils substituent, à la demande de Du Cluzel, un ouvrage de pierre au vieux pont Sainte-Anne ; en 1783, ils construisent une nouvelle chaussée pour relier Tours à Pont-Cher au sud-ouest de la ville : cette voie prolongeait le boulevard de « Bel-Air » aménagé sur le tracé occidental des anciennes murailles.

  • 94 ADIL, C 27.
  • 95 Ces tronçons totalisaient 5 566 toises : 1 585 toises pour la route de Tours en Espagne, 1484 pour (...)

71Les édiles prennent peu à peu conscience de l’alourdissement de ce poste de dépense. Ils en viennent bientôt à critiquer le fait que l’entretien de la voirie de la banlieue, auquel la Ville contribuait modestement depuis le Moyen Âge, ait été transféré, en 1745, par « une simple lettre de M. de Trudaine […] sur le compte de la ville94 ». Depuis cette date, les ingénieurs du roi profitent de la perte du document de 1607, qui fixait les limites du territoire placé sous la responsabilité de la Ville, pour faire supporter à la municipalité l’entretien de voies nouvelles ou modernisées, totalisant environ 20 km et réparties en cinq tronçons d’une lieue chacun : la portion de la route de Paris en Espagne comprise entre les portes de Fer et la montée de Grammont ; la route de Tours à Chinon passant sur le « pont sur le Cher » ; la voie menant de Tours au Mans située entre le pont Neuf et l’avenue de Charentais ; la voie reliant Tours à Langennerie entre le faubourg Saint-Symphorien et la « Chassetière près du marais » ; et la partie de la route de Tours à Vendôme située entre la barrière de Saint-Symphorien et le « bois de Chatenais95 ».

  • 96 La première adjudication de l’ensemble des ouvrages d’entretien des banlieues a lieu le 30 avril 1 (...)
  • 97 En 1744, Étienne Cléret emporte le marché pour six ans. À la suite de son décès prématuré, une sec (...)
  • 98 ADIL, C 181.

72Le corps de ville apprécie d’autant moins la nouvelle charge qui lui est imposée qu’il ne contrôle aucune des modalités d’attribution des travaux engagés : il doit se contenter de payer les factures des artisans auxquels l’intendant adjuge les travaux d’entretien répertoriés par l’ingénieur en chef96. Ces modalités, mises en place à l’occasion de la confection de la chaussée de Grammont97, ne posaient alors guère de problème : le budget tourangeau était à l’époque suffisant pour financer la construction de cette chaussée, car la Ville avait obtenu le droit de lever, entre 1747 et 1759, un second octroi doublant les revenus qu’elle tirait de l’ancien. Mais la situation se dégrade vite après la fin du second octroi et le départ du receveur : celui-ci est remplacé par des hommes inexpérimentés, incapables d’aider le corps de ville à prendre la mesure de ses difficultés financières au moment où s’accroissent les charges d’entretien et de modernisation des « banlieues ». Jusqu’au début de la Révolution, date à laquelle l’Assemblée nationale soulagera la Ville en transférant ces dépenses aux autorités supérieures, l’échevinage tente de résister aux exigences des ingénieurs. Ceux-ci souhaitent que le corps de ville prenne en charge des routes qu’il n’avait pas à entretenir jusque-là : la voie menant de Saint-Étienne à Saint-Avertin, celle conduisant de Saint-Éloy à Pont-Cher ou encore la voie de Sainte-Anne au Plessis. Mais toutes les propositions faites par la Ville pour limiter ses dépenses en la matière devaient rester lettre morte, qu’il s’agisse de redéfinir les modalités d’attribution des travaux, de fixer « de vraies limites » à la « banlieue », de borner les dépenses à 6000 L annuelles ou bien de transférer ces dépenses sur la caisse des turcies et levées. Malgré le soutien de l’intendant (pour soulager le corps de ville, celui-ci fait effectuer quelques travaux par les ateliers de charité établis sur la route de Tours à Vendôme et accepte l’idée de fixer de nouvelles délimitations aux « banlieues »98), rien n’y fait et la dépense ne cesse d’enfler. Toutefois, l’idée d’une limitation de ces frais d’entretien fait son chemin et, finalement, est adoptée par l’arrêt du Conseil de 1787. La nouvelle charte financière fixe la dépense autorisée pour l’entretien de la banlieue et de l’hôtel du gouvernement à 5 200 L ; celle du palais, des prisons et du nouvel hôtel de ville à 1 000 L. Mais le texte passe sous silence le coût des quais neufs et des terrasses, qui reste « à pourvoir ». En 1788, sur une proposition faite deux ans plus tôt par l’intendant, la Ville se voit partiellement soulagée : l’entretien de la « banlieue » est confié aux ponts et chaussées en échange d’une participation municipale aux frais de 5 000 L par an. Mais c’est la décision, prise en 1790 par l’Assemblée nationale, de confier aux Départements et aux Districts l’entretien des grandes routes et l’administration de la voirie qui soulagera finalement la municipalité d’une charge extrêmement lourde.

73Au total, Tours disposait au xviiie siècle d’un budget patrimonial médiocre mais relativement équilibré. À l’inverse, les revenus d’octrois, très fluctuants, se situaient constamment à un niveau insuffisant. À peu près stable dans la première moitié du siècle, la caisse des octrois devint au tournant des années 1760 systématiquement déficitaire : les revenus ne suffirent plus à compenser les énormes augmentations de certaines dépenses. La fin d’un nouvel octroi, la fuite du receveur et son remplacement par des hommes inexpérimentés ne permirent pas aux édiles d’avoir une saine perception de la situation financière et de remédier de manière satisfaisante au déficit.

La fin de l’Ancien Régime : l’impossible maîtrise budgétaire

  • 99 Ph. Guignet, Le pouvoir dans la ville…, op. cit., p. 199.

74Au début des années 1760, une période de crise financière s’ouvre. Elle se poursuivra jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, et peut-être au-delà, l’absence de sources ne nous permettant pas de juger de l’état des caisses municipales au cours des premières années de la Révolution. Ces difficultés ont certes leur origine dans une série de facteurs indépendants de la volonté du corps de ville, nous l’avons vu, mais les édiles ont longtemps donné l’impression de ne rien entreprendre pour y remédier. Le jugement de Philippe Guignet sur les cités du Nord s’applique manifestement à la situation tourangelle : « La volonté politique du Magistrat a peu de place, on est tenté de reconnaître l’absence de toute stratégie fiscale, la gestion financière étant tant bien que mal une politique d’ajustement des recettes à des dépenses qu’on maîtrise peu ou mal99. »

75Ce sont en fait les initiatives de L’Averdy qui ont contribué à éveiller l’attention des officiers municipaux.

Une prise de conscience tardive

  • 100 AMT, BB 69, BB 70 et ADIL, C 30, C 676. Cf. chap. i.

76Si les problèmes financiers s’aggravent franchement à partir de 1759, il faut attendre 1765 pour que les édiles commencent à prendre conscience de l’insuffisance des ressources municipales, lorsqu’ils travaillent au bilan réclamé par L’Averdy. Quelques mois avant la mise en place de la réforme qui porte son nom, le contrôleur général décide de prendre la mesure des recettes, des dépenses et des dettes de toutes les villes du royaume. Une série de textes prient les officiers municipaux d’éclairer le ministre. Le plus important est la déclaration du 11 février 1764, par laquelle le ministre demande qu’on lui envoie rapidement un bilan aussi complet que possible. Dans la généralité de Tours, L’Averdy trouve en l’intendant Lescalopier un relais zélé de sa requête, et le corps de ville tourangeau établit un état de ses finances dès le 18 septembre 1764100. La municipalité découvre alors ses difficultés de trésorerie, du déséquilibre évident entre les revenus et les dépenses et, en conséquence, de l’augmentation incessante du montant des dettes de la ville. C’est en tout cas la conclusion à laquelle parvient le maire récemment élu, Louis Benoît de La Grandière, qui reprend ce bilan pour le présenter aux notables le 13 août 1765. De fait, outre le déficit laissé par le receveur Dreux, estimé à plus de 29 000 L, la Ville doit encore près de 24 000 L à différents fournisseurs et artisans, tandis que le receveur Rattier annonce une « avance », c’est-à-dire un manque, de plus de 16 923 L sur le compte de l’octroi de 1763.

  • 101 L’espoir mis par les édiles dans une vente rapide des biens de l’ancien receveur pour combler le d (...)
  • 102 Sur les « vimères », fréquents en Touraine au xviiie siècle, cf. B. Maillard, Les campagnes…, op. (...)

77Ce bilan permet aussi aux officiers de comprendre les raisons de cette déplorable situation : l’arrêt de la levée du second octroi, en 1759, la fuite du receveur Dreux101 peu de temps après, et son remplacement coup sur coup par deux hommes peu expérimentés. Surtout, après une période de relative abondance des récoltes de vin (abondance qui avait permis, on le verra, de satisfaire rapidement les exigences royales en matière de don gratuit), la ville subit les conséquences des mauvaises conditions climatiques du début des années 1760, du fait du « vimère survenu depuis trois ans sur tout le vignoble de la province102 ». Les édiles estiment à un quart la baisse des recettes du seul octroi subsistant, passées de 12 376 L en moyenne entre 1755 et 1765 à 9 000 L en 1770. Par ailleurs, le corps de ville constate que, dans le même temps, les dépenses n’ont cessé de gonfler.

  • 103 L’estimation était due au conseiller d’État Langlais, qui demanda davantage « de renseignements av (...)
  • 104 ADIL, C 331.
  • 105 AMT, BB 70, 5 février 1766.
  • 106 Cf. infra.

78Dès lors, les édiles, menés par un autre maire, Michel Banchereau, s’attachent à faire des propositions concrètes. Dans un premier temps, ils recourent aux habituelles demandes de secours extraordinaires auprès des ministres. Mais les initiatives de L’Averdy font naître d’autres espoirs, ceux d’une réforme en profondeur à l’issue d’un dialogue entre le gouvernement et les autorités locales. Les édiles sollicitent une révision de la charte financière de 1689 pour adapter les revenus aux dépenses, que le gouvernement finit par chiffrer à 40 000 L par an103. Parallèlement, le corps de ville réunit les notables à trois reprises, les 13 août 1765, 7 janvier 1766 et 23 décembre 1767, pour réfléchir aux moyens d’augmenter les ressources de la Ville. Malgré l’intérêt que les notables disent porter au bien public, leurs propositions sont sans originalité. Ainsi, dès la première assemblée, ils émettent l’idée d’un nouvel octroi « sur le vin, le bois de chauffage et sur le foin dont on attend 16 000 livres ». Les officiers municipaux s’y refusent, jugeant « qu’un nouvel impôt serait trop lourd et viendrait trop tard pour éteindre les dettes104 ». Ils préféreraient la mise en régie municipale de l’ensemble des droits de la Ville, jusqu’à présent levés par les commis des aides pour le compte d’une compagnie de traitants. Le contrôleur général refuse cette proposition. Au cours de la seconde assemblée, notables et officiers municipaux évoquent la vente de plusieurs biens patrimoniaux – les ormeaux du grand mail et le sanitas –, le rétablissement de l’octroi levé entre 1745 et 1757 ou bien encore la possibilité de faire un emprunt. On l’a vu, Choiseul n’approuve ni la coupe des arbres, qui « priverait la ville d’une promenade qui doit lui être aussi utile qu’agréable », ni la vente du sanitas105. Le contrôleur général se rend à cet avis : à titre de secours extraordinaire, pour éteindre les dettes les plus pressantes, évaluées alors à 36 376 L, il accepte que la Ville utilise les 30 000 L dont le receveur municipal disposait en caisse au titre du don gratuit106. Lors de la troisième et dernière assemblée, les notables reviennent à leur première proposition, un nouvel octroi. Pour étayer cette demande par des arguments solides, la Ville établit un bilan de sa situation, une entreprise difficile en l’absence de registres de compte. Du fait de la très mauvaise récolte de vin, elle dit craindre une baisse de moitié des revenus d’octrois pour 1768 (ceux-ci étaient évalués à 12 376 L par an, en moyenne, sur la période 1756-1766). Les dépenses, au contraire, ne cessent d’augmenter : elles sont évaluées à 53 262 L, « non compris le logement du Commissaire des Guerres, de l’Ingénieur, [l’]entretien de l’hôtel de l’intendance et [la] rente due aux Prêtres de l’Oratoire ».

79Au final, la méthode préconisée par L’Averdy, celle de la concertation entre le gouvernement et les instances locales, semble déboucher sur une impasse : elle nécessitait du temps, temps dont la municipalité tourangelle, confrontée à l’urgence et par ailleurs peu habituée à fonctionner ainsi, ne disposait pas.

  • 107 Du Cluzel propose une taxe, établie pour 30 ans, sur le vin et le bétail, payable par tous à l’exc (...)
  • 108 AMT, CC 13, CC 16 et ADIL, C 27, C 843.

80La situation financière s’aggrave tant qu’on doit finalement recourir à la classique et peu originale solution d’un nouvel octroi. En effet, le contrôleur général lui-même, qui déclarait quelques mois plus tôt vouloir « fixer un revenu suffisant [… pour …] soutenir la ville sur un pied convenable sans surcharger ses habitants de nouveaux emprunts ou d’impositions », finit par autoriser le corps de ville à « percevoir purement et simplement les octrois » demandés. L’autorisation est d’autant plus rapidement accordée que la Ville reçoit le soutien de l’intendant : Du Cluzel veut en effet accélérer les travaux d’aménagement de la rue nouvelle qu’il projette – dont il évalue le coût entre 700 000 L et 800 000 L – grâce à l’augmentation des revenus de la Ville. Toutefois, persuadé comme L’Averdy que le nouvel octroi sera vite insuffisant, il propose d’emblée d’en augmenter le montant. Mais les notables font immédiatement connaître leur opposition : ils sont effrayés par les prévisions de dépenses liées au projet d’urbanisme de l’intendant107 et craignent que l’augmentation proposée n’atteigne des proportions démesurées. Le corps de ville se contente finalement d’entamer la très longue et laborieuse procédure administrative nécessaire au prélèvement des nouveaux droits, que l’arrêt du Conseil du 20 août 1768 venait d’autoriser108.

  • 109 Cette restriction du nombre des exemptés provoque la colère de ceux qui étaient dispensés de payer (...)
  • 110 Une velte était une unité de capacité équivalant à 7,5 ou 8,5 pintes (9,7 à 11 litres).

81Le texte consentait à la levée, pour 30 ans à partir du 1er octobre 1771, d’un nouvel octroi pour « acquitter les dettes de la ville […] et satisfaire à plusieurs autres dépenses extraordinaires ». Surtout, le roi acceptait la mise en régie municipale de cette taxe, qui devait doubler les revenus d’octrois de Tours. S’ajoutant au « vieil octroi », ces droits, dont seuls les capucins et les récollets étaient exemptés109, étaient non seulement prélevés, comme précédemment, sur les entrées de vin, mais également sur de nouvelles denrées comme la bière, le cidre ou l’eau-de-vie. Le poinçon de vin du pays était taxé à 15 sols, le poinçon de vin étranger ou « forain » à 30 sols ; les droits étaient respectivement de 20, 10 et 4 sols par poinçon de bière, de cidre et velte110 d’eau-de-vie. Cela équivalait à une augmentation des octrois de 114 % sur le vin du pays, de 76 % sur le vin « forain ».

  • 111 Il n’y sera enregistré que le 29 mai 1776.
  • 112 C’est à l’occasion de l’enregistrement de ces lettres patentes au parlement et à la cour des aides (...)
  • 113 Ainsi, lorsque le parlement demanda un bilan certifié véritable des comptes municipaux, la municip (...)

82Les édiles mirent à profit les trois années qui les séparaient de la première levée, devant débuter le 1er octobre 1771, pour répondre aux exigences de la procédure administrative de validation de la décision royale : cette procédure s’avéra très longue, et surtout très compliquée pour des édiles qui eurent du mal à se retrouver dans le dédale de l’administration royale. Pour rendre l’arrêt effectif, ils devaient en effet en « lever une expédition » au greffe du Conseil, puis se faire expédier des lettres patentes dûment enregistrées au parlement et à la chambre des comptes de Paris111. Les lettres patentes furent rapidement obtenues du roi, dès le 14 septembre 1768, mais il fallut attendre près de deux ans pour qu’elles soient enregistrées au parlement (1770) et trois pour qu’elles le soient par le conseil supérieur de Blois (1771), qui succéda à la cour des aides dans ses fonctions après la réforme de Maupeou112. Ces démarches administratives demandèrent d’autant plus de temps que chaque juridiction exigeait de connaître la situation exacte des finances municipales113. À chaque étape, le corps de ville fit appel à ses relations parisiennes ou locales pour tenter d’accélérer l’affaire : Du Cluzel et Choiseul bien sûr, mais aussi Louis Benoît de La Grandière, qui, siégeant comme conseiller au conseil supérieur de Blois, a joué un grand rôle dans cette affaire.

  • 114 ADIL, C 844 et C 846.

83Le corps de ville était finalement prêt à percevoir ce nouvel octroi à partir du 1er octobre 1771, ainsi que l’arrêt du Conseil l’avait prévu, lorsqu’un obstacle inopiné vint troubler les autorités municipales. Désireuses de respecter des formes que personne ne demandait, elles avaient en effet décidé de faire enregistrer les lettres patentes par la juridiction de l’élection de Tours. Elles obtinrent sans difficulté cette formalité, mais le greffier de l’élection, Charles Paty Dumenie, se crut autorisé à réclamer 302 L de gages pour délivrer les titres, ce qui était en contradiction avec l’article 25 de l’édit d’août 1764, qui assurait la gratuité des enregistrements. L’affaire tourna vite à l’affrontement entre les officiers municipaux et ceux de l’élection. Le corps de ville multiplia les députations, porteuses alternativement de menaces et de propositions de conciliation. Finalement, ayant épuisé « toutes les voyes de politesse », la municipalité engagea des poursuites auprès du conseil supérieur de Blois, qui lui donna raison en ôtant à l’élection le droit de juger les contestations à naître concernant le nouvel octroi pour les confier au bailliage et siège présidial. Mais cette rocambolesque histoire traîna encore plus de deux ans ! Le greffier de l’élection fit en effet de la rétention de documents : il « omit » de rendre au corps de ville six actes officiels, parmi lesquels trois textes essentiels. L’affaire fut de nouveau portée devant le conseil supérieur de Blois, qui, en août 1774, donna une nouvelle fois raison au corps de ville114.

  • 115 À la fin du Grand Siècle, ces droits étaient levés par des particuliers qui traitaient avec le cor (...)
  • 116 Par le traité du 16 juin 1753, le directeur des aides, Camet de Chauvigny, accepte la charge contr (...)

84Heureusement, c’est bien avant le terme de cette passe d’armes que la levée du nouvel octroi avait pu débuter. La satisfaction des édiles était double, car, non seulement ils avaient obtenu la régie de ces nouveaux droits, mais ils étaient autorisés à procéder de même pour les octrois antérieurs. Cette décision allait dans le sens de leurs réclamations réitérées depuis quelques années déjà. En effet, en 1765, alors qu’ils cherchaient à comprendre les raisons de la difficile situation financière de la ville, les édiles avaient dénoncé les modalités de perception de ces droits. Depuis 1753115, leur recouvrement était confié par l’intendant au directeur des aides, au terme d’une adjudication : en échange d’une rémunération fixée à l’avance – 15 deniers par livre perçue, soit 6,25 % –, ce dernier faisait lever les octrois aux portes par ses commis, retenait la part du roi et celle de la Ferme générale, puis reversait sa quote-part à la Ville116. Ce mode de perception, particulièrement pesant pour Tours, puisque la Ferme retenait au passage une somme destinée à couvrir les frais de perception, faisait l’objet de critiques chaque année plus acerbes de la part des édiles. Ces derniers en étaient venus à penser que la perception des octrois par les commis des aides était en grande partie la cause de leur déficit constant.

  • 117 Pour convaincre l’intendant, les édiles n’hésitent pas à fausser les chiffres. Ainsi, ils gonflent (...)
  • 118 Elle a été érigée en 1757 à la suite de l’achèvement de la levée de Grammont et de la démolition d (...)
  • 119 AMT, CC 13.

85C’est donc avec satisfaction que la Ville obtient en 1771 la mise en régie municipale de ses octrois. Or, à la même époque, l’hôpital général, qui a obtenu l’autorisation de lever une imposition pour faire face à ses dépenses, s’occupe de placer pour son compte un receveur et un contrôleur aux huit portes d’entrée de la ville. Le corps de ville y voit l’occasion de faire lever ses octrois à meilleur compte et surtout de mieux pouvoir en contrôler la perception. Au terme de négociations au cours desquelles elle finit par convaincre l’intendant, qui avait d’abord affiché clairement sa préférence en faveur de la levée des octrois par le personnel des aides117, la Ville signe le 7 octobre 1771 un contrat de trente ans avec l’hôpital général. Celui-ci confie la levée à ses commis moyennant une rétribution de 9 deniers par livre perçue (soit un taux de 3,75 %) et quelques autres avantages : l’exemption des octrois sur le vin et autres boissons pour la consommation de l’hôpital, et un supplément pour couvrir ses frais, notamment de contrôle des registres. Les premiers commis prêtent serment le 29 avril 1772 devant le lieutenant général : leur tâche est d’inscrire le montant des sommes perçues sur des registres et de délivrer aux particuliers des quittances sur des feuilles imprimées. Pour ce faire, ils sont installés aux portes de la ville, dont ils surveillent les entrées et sorties : de douze au milieu du xviiie siècle, ces portes ne sont plus que huit à la veille de la Révolution (trois sont situées au nord de la Loire et cinq au sud). En limite du faubourg de Saint-Symphorien se situent deux barrières. La première est celle du Vieux Calvaire, à l’intersection de la rue du Calvaire et du chemin conduisant à Marmoutier (appelé également chemin de Saint-Barthélemy). La seconde, la barrière de la Croix-Quantin, située sur le côté occidental du faubourg, à la sortie du vieux pont, doit son nom à une ancienne porte de la ville dont les pilastres, vétustes et dangereux, sont démolis en novembre 1770. La troisième est sur le chemin de Paris. À la suite de la construction du nouveau pont, de nouvelles limites sont fixées en août 1788 qui repoussent la barrière de l’octroi un peu plus à « l’ouest de la grille fermant la grande route de Tours à Nantes ». Sur la rive sud, d’est en ouest, on trouve les barrières de la Clarté (ouverte en 1707 pour améliorer la circulation entre la ville et le faubourg de Saint-Pierre-des-Corps) ainsi que les portes d’Espagne (ou de Fer118), de Saint-Éloy et de Sainte-Anne (celle-ci est située entre la ville et le faubourg de La Riche extra-muros). Pour terminer, citons la barrière de la rue du Port, dont la localisation est malaisée, mais qui était vraisemblablement située à proximité du mail Preuilly, à la limite de La Riche. Comme le montrent les comptages réalisés à partir des feuilles hebdomadaires d’exercice de l’année 1773, les entrées nord, est et sud de la ville étaient sans conteste les plus empruntées119.

  • 120 AMT, BB 78.

86Irrité d’avoir été dépossédé de cette perception, le directeur des aides multiplie les critiques à l’encontre de la régie municipale. Il dénonce, parfois à juste titre, l’imprécision du travail des commis de l’hôpital, imprécision dont il a d’autant mieux connaissance que ses propres commis sont également présents aux portes pour lever les taxes de la Ferme générale. Mieux, il effectue en compagnie du contrôleur municipal, l’officier en titre Pierre Auger, des relevés sur les vins, boissons, denrées entrés en ville jusqu’en novembre 1774, et se dit en mesure de prouver les erreurs commises. De fréquentes querelles éclatent par ailleurs entre les commis des aides et ceux de la Charité. La présence de deux, voire trois personnes aux portes engendre parfois des confusions. En juin 1781, un particulier dénommé François Grangeard se présente à la barrière Saint-Barthélemy avec un poinçon de vin. Paumier, le contrôleur des aides auquel il verse la somme réclamée, lui assure qu’il est quitte et qu’à l’égard du commis de l’hôpital, il peut envoyer faire « f… ce B… là ». Averti par Legrand, le commis en question, qui a dressé un procès-verbal de l’incident, la Ville prie le directeur des aides de faire cesser ces atteintes à ses droits et d’empêcher les entrées indues de vin, « ce qui constitue une perte considérable pour la ville ». Soucieux d’apaisement, le directeur promet de tout mettre en œuvre pour régler ces problèmes120.

  • 121 En 1772, la rétribution du receveur est de 1 787 L et en 1773 de 9 012 L ; le supplément est de 50 (...)

87Malgré ces critiques émanant d’une personnalité hostile au nouveau système instauré, la gestion des droits paraît sérieuse. Chaque semaine, le receveur de l’hôpital relève à chaque porte les montants inscrits sur les registres, puis en vérifie les comptes qu’il présente à la Ville. Régulièrement, il verse au roi et à la municipalité les parts qui leur reviennent après avoir gardé le montant prévu dans le contrat, augmenté du supplément accordé pour couvrir les frais de levée121.

  • 122 AMT, CC 23. Ce changement dans les modalités de perception des octrois explique que la plupart des (...)

88Toutefois, la perception assurée par la Charité s’arrête en 1785 : l’arrêt du Conseil du 14 octobre, qui liquide les énormes dettes de Tours, confie à nouveau la gestion des octrois à la Régie générale122. Tous les ans, en janvier, celle-ci présente à l’échevinage un état, accompagné des registres et autres justificatifs, et reverse à la Ville sa quote-part, soit 32 000 L par an. Deux officiers municipaux en présentent un rapide bilan au cours d’une séance qui a généralement lieu en mars.

  • 123 Elles-mêmes conséquence des entraves à la circulation des marchandises, comme la barrière douanièr (...)
  • 124 Cf. chap. ix.

89Le nouvel octroi a-t-il répondu aux espoirs des édiles ? Si l’on en croit ces derniers, son rapport est décevant : on en attendait 16 000 L, ce qui aurait porté à 28 000 L le total des revenus d’octrois, mais on n’a perçu que 10 200 L en moyenne entre 1772 et 1780, tandis que l’ancien octroi tombe dans le même temps à 9 000 L. Les édiles évoquent, pour expliquer cette baisse importante, la chute du niveau des récoltes viticoles au cours de la décennie 1770 et la baisse catastrophique des prix du vin, deux phénomènes qui paraissent contradictoires. De fait, les vendanges sont médiocres en 1777 et 1778, puis le plus souvent abondantes de 1779 à 1786. Les difficultés d’exportation du vin123 entraînent une surproduction locale et, par contrecoup, une baisse des prix de vente, des revenus des vignerons et des rendements des octrois municipaux. Finalement, les officiers municipaux n’ont pas eu de chance : le nouvel octroi est prélevé à une époque où la production de vin devient médiocre puis, au contraire, rapidement pléthorique. Toutefois, la situation s’améliore vite, à la fin des années 1770 et au début des années 1780 : les revenus d’octrois passent d’un niveau oscillant autour de 22 000 L entre 1773 et 1776 à une moyenne de 31 117 L entre 1781 et 1785, dont 14 154 fournis par l’ancien octroi et 16 963 par le nouveau. Cette augmentation est due à deux facteurs : de meilleures conditions climatiques et des récoltes de vin plus rentables. On peut penser aussi que cette amélioration est le fruit des efforts des édiles en faveur du développement commercial de leur ville, grâce notamment à l’obtention de la suppression de la « douane d’Ingrandes » en 1785124.

90Néanmoins, malgré cette augmentation notable, les rentrées d’argent sont restées insuffisantes pour faire face aux dépenses et aux exigences royales. Celles-ci ont-elles été, comme au cours du Grand Siècle, pesantes pour les habitants et de nature à déséquilibrer le budget urbain ?

L’alourdissement des exigences royales

  • 125 C. Petitfrère, « Les embarras financiers… », op. cit.

91Au xviie siècle, « la responsabilité de l’état souvent déplorable des finances municipales tourangelles […] incombe certes moins à l’incurie du corps de ville ou de ses receveurs […] qu’aux exigences royales125 ». Et si au xviiie siècle la situation change, cela est causé « moins par un allégement des impositions [royales], que par la régularité nouvelle des prélèvements, notamment grâce à la capitation annuelle à partir de 1701 ». Toutefois, au siècle des Lumières, la Ville est encore confrontée à plusieurs reprises à des exigences royales aussi inopinées que pesantes, sous forme de « dons gratuits » ou d’augmentation des prélèvements déjà existants, les « sols pour livre ».

92Les « dons gratuits » demandés à divers corps et communautés sont un expédient fiscal courant sous l’Ancien Régime. Tours avait dû en payer plusieurs sous le règne de Louis XIV, notamment en septembre 1710. Au début de la guerre de Sept Ans, l’État sollicite des villes un nouveau don gratuit : l’édit d’août 1758 en fixe le montant à 6 millions de livres, dont le paiement doit s’étaler sur six ans. Dans les faits, il y a trois dons gratuits successifs entre 1759 et 1768. Le premier est en effet prorogé pour trois ans par la déclaration royale du 21 novembre 1763 ; le second est prolongé de six ans à compter du 1er janvier 1768 par l’édit de mars 1767. À l’origine, l’octroi doit être exigé de tous, à l’exception des hôpitaux pour les besoins de leur consommation. Le clergé obtient néanmoins d’être exempté, le 3 décembre 1758, pour les denrées tirées des bénéfices et les produits destinés à la consommation des communautés.

  • 126 ADIL, C 331 et surtout AMT, CC 17.

93Les sommes exigées de Tours126 vont durablement grever les finances publiques, malgré les rabais accordés. Le premier don gratuit, initialement de 360 000 L sur six ans, soit 60 000 L annuelles, est finalement ramené à 240 000 L, soit 40 000 L annuelles payables de 1759 à 1764. Le second don, qui devait rapporter 200 000 L, payable de 1765 à 1767, est ramené à 120 000 L par la déclaration de 1763. Au total, la Ville dut effectuer neuf versements annuels d’environ 40 000 L : les Tourangeaux durent aussi payer les 2 sols pour livre accordés aux édiles pour couvrir les frais d’une perception dont ils étaient libres de choisir les modalités. Par commodité, les Tourangeaux en confièrent la gestion au directeur des aides, Pierre Camet de Chauvigny, qui accepta la besogne pour une rétribution moindre que les 2 sols prévus : 15 deniers par livre levée du premier don gratuit, 16 ½ pour le second. Ce rabais permit d’économiser environ 13 850 L. Toutefois, la Ville conserva un droit de regard, puisqu’elle adjoignit au directeur des aides son propre receveur pour contrôler la perception. Ce dernier fut autorisé à garder 1 ½ denier pour livre levée afin de couvrir ses frais.

94La perception des deux premiers dons gratuits fut réalisée rapidement à Tours, « en sept ans et deux mois au lieu de neuf qui avaient été accordés ». Cela s’explique à la fois par la rentabilité de l’octroi, favorisée par des récoltes de vin abondantes, et par le fait que le tarif, élaboré le 3 janvier 1759, avait été établi en vue de procurer au roi des rentrées annuelles de 60 000 L, des exigences qui avaient finalement été diminuées d’un tiers. Les taxes étaient perçues sur l’ensemble des habitants de la ville, de ses faubourgs et de ses dépendances : pour un poinçon de vin « entrant ou façonné pour y être consommé », équivalant à 216 pintes, on acquittait une taxe de 1 L 7 sols 6 deniers ; 13 sols 9 deniers pour un poinçon de bière ou de cidre ; 6 sols 10 deniers pour un poinçon de poiré, 8 sols pour une velte d’eau-de-vie et 3 sols 4 deniers pour une velte de liqueur. Le foin et le bois, à ouvrer ou à brûler, devaient être taxés en fonction de la capacité présumée de la voiture : une voiture attelée à deux bœufs ou chevaux payait 7 sols 6 deniers ; une voiture tirée par quatre animaux, 15 sols, et celle tirée par six animaux, 1 L. Toutefois, par commodité, les autorités décidèrent de taxer uniformément chaque charrette à 10 sols. Quant à la boucherie, on acquittait 2 L par bœuf ou vache, 13 sols 4 deniers par veau, génisse ou porc, 5 sols par mouton, brebis ou chèvre et 2 deniers par livre de viande.

Graphique 13 – Revenus du don gratuit levé à Tours de 1759 à 1766 : répartition par type de denrées (en %).

Graphique 13 – Revenus du don gratuit levé à Tours de 1759 à 1766 : répartition par type de denrées (en %).
  • 127 D’autres renseignements relatifs à l’approvisionnement de la ville pourraient être tirés de l’étud (...)

95L’argent prélevé au cours de ces années provenait essentiellement du vin (52 % des revenus) et des bêtes à viande (32 %), toutes races confondues : les Tourangeaux consommaient surtout de la viande de veau ou de génisse, puis des ovins. Le porc était une viande sans doute moins goûtée : elle ne représente qu’un tout petit pourcentage de la viande consommée127.

  • 128 En dépit de l’arrêt du Conseil du 24 janvier 1764, qui interdit l’interruption de la perception al (...)
  • 129 La Ville remboursa difficilement : en août 1769, elle avait remboursé 12 223 L mais devait encore (...)

96La perception des deux premiers dons gratuits, commencée en janvier 1759, s’interrompit avec plusieurs mois d’avance le 26 mars 1766128. À cette date, ils avaient déjà rapporté 412 685 L au lieu des 402 728 L exigées. En échange de cet empressement à obéir aux exigences royales, le corps de ville, à court d’argent, se crut autorisé au début de 1766 à retenir, pour financer l’entretien des patrimoniaux, plus de 30 000 L sur les 120 000 L exigées au titre du second don gratuit. Le roi finit par accepter le procédé en concédant la somme retenue à titre de prêt129.

  • 130 Cela lui permit de payer une dette de 43 032 L due à deux entrepreneurs en bâtiments, Bouchet et C (...)

97Cette retenue inopinée explique sans doute que la gestion du troisième don gratuit ait échappé à la Ville. Établi par l’édit de mars 1767, il exigeait des Tourangeaux 240 000 L, à raison de 40 000 L par an sur six années à compter du 1er janvier 1768. La municipalité, qui avait fait preuve de bonne volonté en 1759, se lassa de ces lourds prélèvements réalisés au détriment de ses propres intérêts financiers et de sa popularité auprès des contribuables. Elle tenta vainement d’en obtenir l’exemption ou, à défaut, la modération du tarif de 1759. Toutes les requêtes furent repoussées et le nouveau don gratuit fut confié à « diférans regisseurs qui le firent percevoir dans le royaume par leurs commis ou préposés sur le tarif du 2 janvier 1759 ». Elle obtint toutefois le droit d’en contrôler la perception, comme cela se faisait précédemment. Cela lui permit, comme en 1766, de retenir une partie de ces fonds. Le 1er février 1775, elle autorisa Rattier à utiliser les 46 510 L dont il disposait en caisse pour payer des dettes urgentes130. Rien n’indique que la Ville ait rendu cet argent au roi.

98La municipalité était d’autant plus critique à l’égard de ces versements continus au profit du roi qu’elle voyait, dans le même temps, le poids de la fiscalité royale s’alourdir sur les habitants et que ses propres revenus étaient de moins en moins suffisants pour couvrir ses besoins. Les ministres avaient en effet trouvé commode, et sans doute moins dangereux, de dissimuler des prélèvements supplémentaires derrière une augmentation des taxes perçues aux portes des villes. La responsabilité royale en était moins apparente, au détriment des autorités locales. Une fois n’est pas coutume, celles-ci se répandirent vite en critiques, chaque année plus nombreuses, à l’égard de ces pratiques.

  • 131 AMT, CC 13 et CC 16.

99Ces hausses, appelées « sols pour livres », ont pourtant été progressives. La pratique n’était pas nouvelle. En 1705, une levée de 2 sols pour livre fut ajoutée à tous les « droits réunis » compris dans les fermes générales et particulières, mais également à tous les droits perçus au profit des villes, des provinces ou des communautés. Tour à tour doublés puis abolis en 1715, ces « sols pour livre » furent rétablis en 1718 et augmentés, notamment en 1725. Un 5e sol pour livre fut créé en 1760, un 6e en 1763. Terray en crée deux nouveaux en novembre 1771, avant que Joly de Fleury, par l’édit d’août 1781, ne porte à 10 sols pour livre le total de ces augmentations : ce dernier texte revenait à doubler les revenus des octrois, tant l’ancien accordé en 1665 que le nouveau autorisé en août 1768 et perçu depuis l’automne 1771131.

  • 132 AMT, CC 16 (2e partie). Ainsi, au lieu de monter à 1 sol 3 deniers pour un poinçon de vin du pays (...)

100L’augmentation des sols pour livre décidée en 1771 se heurta à une espèce de résistance passive du corps de ville, dont on peut se demander si elle était due à une mauvaise interprétation du texte de l’abbé Terray, ou si c’était une tentative subreptice mais intentionnelle pour épargner aux contribuables l’alourdissement de leurs charges. Toujours est-il que l’échevinage fit mine de considérer que cette augmentation ne concernait que les droits levés par le directeur des aides et non les octrois dont la Ville avait obtenu la régie. Cela lui valut la visite, par deux fois, d’un huissier envoyé par le directeur des aides, lequel était chargé de percevoir la recette de tous les sols pour livre, et des rappels à l’ordre du contrôleur général et de l’intendant. Vraisemblablement toujours dans l’optique de soulager leurs concitoyens, les édiles n’hésitèrent pas à falsifier le tarif affiché aux portes, en omettant d’y faire figurer certaines augmentations, notamment le sol pour livre établi en 1725132.

Tableau 10 – Évolution des droits perçus aux portes entre 1665 et 1789 : octrois municipaux et sols pour livre cumulés.

Tableau 10 – Évolution des droits perçus aux portes entre 1665 et 1789 : octrois municipaux et sols pour livre cumulés.
  • 133 Pour la forme, la Ville demande une dispense de ces droits, avant de céder en juillet 1773 : elle (...)

101Il faut plus d’une année à la Ferme générale pour remarquer cette différence de calcul favorable aux Tourangeaux, mais la Ville sera finalement obligée de rectifier le tarif133. L’augmentation instituée par Joly de Fleury en 1781 posa moins de difficultés d’application, quoique, là encore, la municipalité tenta de limiter l’alourdissement du prélèvement.

102Les prélèvements que le roi s’autorise sur les ressources urbaines se sont donc progressivement accrus. Ils ont engendré par contrecoup des critiques et des contestations, de la part des édiles comme du public, à l’égard notamment de la Ferme générale, qu’on rendit responsable de l’aggravation de la situation financière de la Ville.

  • 134 Colbert avait été le premier à regrouper les fermes des différentes taxes perçues par le roi – gab (...)

103Créée en 1726, la Ferme générale avait vu son importance grandir jusqu’en 1780, date à laquelle Necker la dépeça partiellement. C’est au début du règne de Louis XV que la monarchie prit l’habitude d’adjuger, tous les six ans, la levée des différents droits à un particulier, en général un proche du contrôleur général, cautionné par quarante (60 en 1756) fermiers généraux. Ces derniers, qui occupaient une place enviée, avaient mis sur pied une administration efficace, comptant près de 700 personnes dans ses bureaux parisiens et pouvant s’appuyer sur les services d’une trentaine de milliers d’employés à travers le royaume134.

  • 135 Ils utilisaient des quittances imprimées et timbrées. Leurs registres étaient cotés et paraphés pa (...)
  • 136 Le premier tourniquet est installé en octobre 1758 à la porte de Saint-Pierre-des-Corps. Le 2 octo (...)

104À Tours, la perception de tous les droits qui reviennent à l’État se fait à huit portes ou barrières. Nous les avons citées plus haut. Ouverts de 5 heures à 22 heures, ces lieux de passage sont surveillés par les commis des aides. Ceux-ci, logés dans des maisons proches ou abrités par des guérites lorsque aucun logement n’est disponible, perçoivent les taxes, dont ils inscrivent le montant sur des registres. Ils donnent quittance de ces paiements aux contribuables135, puis lèvent les barrières qui ferment les portes pour laisser passer les voitures et les piétons. À partir de 1758, le directeur des aides installe des tourniquets pour faciliter « la lutte contre les fraudes et faciliter la perception136 ». Il loge aussi quelques-uns de ses commis à proximité des portes, pour les ouvrir aux particuliers désireux d’entrer en ville tardivement. Mais les employés ne sont pas tous sérieux : certains se couchent après avoir fermé les portes et refusent d’ouvrir aux retardataires, prétextant que, « fatigués du travail du jour, ils ne [peuvent] encore veiller la nuit ».

  • 137 ADIL, C 80. Camet de Chauvigny portait les titres de secrétaire du roi et d’écuyer. Il mourut le 2 (...)

105Le démantèlement partiel de la Ferme générale en 1780 par Necker, qui lui enlève la perception des aides pour la confier à une administration d’État, la Régie générale des aides, ne change rien aux modalités de la perception à Tours. Les lettres patentes du 5 juillet maintiennent la structure administrative en place : le directeur des aides, Pierre Camet de Chauvigny, devient régisseur quelque temps, avant d’être remplacé par Henri Clavel (sous la direction de Quinquet) en 1780137, puis par un certain Jean Vincent René.

  • 138 En 1774, la municipalité soutient les paroisses de La Riche extra, Saint-Pierre-des-Corps, Sainte- (...)
  • 139 Le conflit débute en 1779 pour s’achever en 1784. Il renaîtra en 1788. La municipalité, qui ne peu (...)

106Avant comme après ce changement, c’est contre les percepteurs royaux qu’est dirigée la mauvaise humeur, de plus en plus grande, de la population et du corps de ville. La dégradation des relations entre la Ville, d’une part, et la Ferme ou la Régie des aides, d’autre part, peut être illustrée par maints exemples : le soutien des officiers municipaux aux paroisses limitrophes, sur lesquelles s’exerce la convoitise des commis des aides138 ; la curiosité des aides à l’égard des droits perçus par la Ville au titre de ses patrimoniaux (notamment dans les poissonneries) ; ou le souhait du régisseur des droits d’aides d’inspecter les quantités de vin récoltées à l’intérieur de la ville, tant dans les enclos que sur les treilles, jusqu’alors exemptés de toute taxe139.

  • 140 AMT, BB 77, 3 juillet 1778.

107Les relations entre les commis des aides, puis ceux de l’hôpital général à partir de 1771, et les habitants de la ville, déjà difficiles avant, s’aggravent encore après. Sans pouvoir parler d’une véritable campagne d’hostilités, les édiles, qui rendent les exigences de la Ferme en partie responsables de leurs déboires financiers, répercutent les rancœurs exprimées par le public, lassé de prélèvements dont il ne comprend pas toujours l’origine ni la destination. En tout cas, les registres de délibérations se font plus diserts sur ces problèmes, signe de l’intérêt qu’y porte désormais la municipalité. Certains incidents ont des répercussions particulières en raison de leur gravité ou de la qualité des personnages en cause. Voici quelques exemples pittoresques, relatés lors d’une assemblée extraordinaire tenue le 3 juillet 1778. Le premier concerne l’une des grandes personnalités tourangelles, Jean-Louis François Bouin de Noiré, seigneur de Chezelles, Savary et d’autres lieux. Ce grand officier, président et lieutenant général du bailliage et siège présidial de Tours, se plaint de l’attitude des commis auxquels il a eu affaire par deux fois. Alors qu’il rentrait à Tours à une heure tardive, en compagnie du procureur du roi au bailliage, il se vit refuser l’entrée à la barrière de Saint-Éloy par les commis, qui se répandirent en injures à l’égard de leurs domestiques. Le magistrat dut user de son autorité pour obtenir le passage. Au soir du 2 juillet 1778, le même magistrat, sa femme, Claude Madeleine Moisant – la propre nièce du maire –, et sa fille, rentrent vers les onze heures, dans leur voiture, de la maison de plaisance de l’intendant à Saint-Côme lorsqu’ils trouvèrent la barrière de Sainte-Anne fermée. Les commis s’étaient retirés dans leur maison, qui était « hors de portée de voix ». Le seigneur envoya l’un de ses domestiques, qui, passant par le tourniquet installé pour les piétons, alla trouver les commis et les trouva « couchés et endormis ».Tous refusèrent de se relever, prétextant que les barrières devaient être fermées à la tombée du jour et le rester en dehors des horaires établis. Lassé d’attendre, Bouin de Noiré vint en personne, mais comme un citoyen anonyme, exiger l’ouverture de la porte : un commis lui répliqua « par plusieurs mauvais propos » avant qu’un de ses collègues, résidant dans une maison voisine et éveillé par le bruit, ne finisse par lui ouvrir le passage. Le magistrat, outré de cette attitude, demande aux édiles « d’empescher la continuation de la négligence des commis : s’ils osent manquer […] aux premiers magistrats, les autres citoyens ne pouront [sic] plus exiger des commis qu’ils fassent leur service et seront exposés aux brusqueries, injures et mauvais propos ». Un autre esclandre s’était produit l’année précédente à l’occasion de l’escale faite à Tours par Monsieur, frère du roi, lors de son grand voyage à travers le royaume. Le jour de son départ, l’archevêque l’avait accompagné sur la route du Poitou jusqu’au château des Ormes, résidence du marquis Voyer d’Argenson. À son retour, dans la soirée, le prélat avait trouvé la porte d’Espagne fermée et « il ne parvint à se faire ouvrir qu’en faisant passer un de ses gens aux risques de se blesser, même de se tuer s’il fût tombé dans le fossé par dessus les chevaux de frise en fer qui sont aux costés de lad. porte140 ».

  • 141 Conscients de leur responsabilité, les édiles dépêchèrent le chirurgien Gravelat de l’Épine. Celui (...)

108Décidément, les plaintes se multiplient à l’encontre des commis des aides au cours de l’été 1778. Le 12 août, la femme Lance, épouse d’un ouvrier en soie du faubourg Saint-Éloy, vient se plaindre en séance du corps de ville « d’une blessure considérable faite à son fils âgé d’environ 14 ans occasionnée par l’imprudence ou la vivacité » de ces employés. Le 6 août précédent, cette femme s’était rendue avec ses enfants aux portes de Fer pour assister au départ du régiment d’Aubonne-Suisse pour Sainte-Maure. C’était alors un spectacle particulièrement prisé par la population. Pour éviter la grande chaleur de ces journées d’été, le régiment avait fixé son départ dans la soirée et, malgré l’heure tardive, les habitants s’étaient assemblés en masse : il y en avait là plus de 300, tant gens du peuple que des « personnes de considération », la plupart amassées hors des grilles, sur la chaussée de Grammont. Avant même que les derniers « bagages et chariots et l’arrière-garde » ne fussent passés, les commis entreprirent de fermer les portes, et ce, « malgré l’affluence du peuple qui voulait entrer ». La femme Lance fut séparée d’un de ses fils par la manœuvre. L’enfant, resté bloqué à l’extérieur de la ville, « insista pour rentrer et […] rejoindre sa mère ». Ce faisant, « il se presoit [sic] contre la porte dont il tenoit un des montants » et eut le pouce de la main gauche écrasé par la fermeture brutale des battants. L’échevin Victor Petit, qui témoigne devant ses collègues du fait qu’il était présent lui-même sur les lieux, affirme avoir entendu « un cri perçant » : s’étant approché pour porter secours, il ne put que suivre les commis transportant le garçon dans leur guérite. Ayant entrepris de sermonner les commis, l’édile fut en retour vertement tancé, avant que leur responsable, le reconnaissant, ne tentât de calmer les esprits en expliquant que l’accident était « un malheur qu’il n’avoit pu prévoir141 ».

  • 142 Idem.

109Au lendemain de ces plaintes réitérées, l’échevinage demande à Necker de bien vouloir édicter un règlement qui « prescrive au Directeur des aydes et à ses commis de faire leur service de mannière que la liberté des citoyens, leur vie même et leur santé ne soyent point compromises aux caprices ou fantaisies des préposés de la ferme ce qui dégénèreroit sans cela dans une sorte de tirannie [sic] ». Le corps de ville enjoint d’autre part au directeur des aides de respecter l’accord tacite passé en 1758 : placer à chacune des portes « des commis en nombre suffisant pour qu’il y en eut toujours un de garde […], établir à celles des portes qui n’ont pas de tourniquets pour faire passer les gens de pieds [sic] des cloches et sonnettes de force suffisante pour estre entendues desd. gardes ». À défaut, le corps de ville menace de faire ces travaux aux frais du directeur, « à moins qu’il ne préfère supprimer toutes lesd. barrières et faire veiller à la perception des droits en telle mannière qu’il aviseroit… [sic]142 ». L’intendant, qui n’a pas de pouvoir en la matière, se contente de faire observer les règlements et de réprimer les abus, tandis que le corps de ville prend la défense des contribuables, en critiquant de plus en plus des prélèvements qui, dans l’esprit du public, pourraient être assimilés à des taxes municipales.

110La municipalité prit tardivement la mesure de ses difficultés financières. Ce retard se répercuta sur les réponses à apporter : le nouvel octroi ne fut levé qu’en 1771, au terme d’une procédure administrative dévoreuse d’un temps qui manquait justement à la cité. À la même époque, le roi alourdit ses prélèvements en exigeant un don gratuit, prorogé par deux fois, et par des impositions dissimulées derrière les octrois municipaux. Aussi, après une période où la Ville fit montre d’une ardeur confinant à la naïveté, s’autorisa-t-elle à critiquer le poids de ces exigences. Rejoignant une accusation répandue parmi les contribuables, elle rejeta sur la Ferme générale la responsabilité de son déficit. En attendant une hypothétique réforme, qui ne vint finalement jamais, les édiles furent contraints de « bricoler » leur budget et d’adopter des solutions aussi ponctuelles qu’insatisfaisantes.

L’inévitable recours aux expédients

111Les solutions adoptées, bien tardivement, par les édiles ne peuvent compenser l’augmentation des dépenses. Le résultat ne se fait pas attendre : le montant des dettes de la Ville gonfle inéluctablement et prend des proportions démesurées. Les créanciers sont principalement, outre le receveur municipal lui-même, des artisans et bien évidemment les entrepreneurs chargés de l’entretien des banlieues, Thomas Bouchet en tête, qui évalue en juin 1771 à 24 000 L ce qui lui est dû. D’autres artisans travaillant pour le compte de la municipalité sont de même exposés à des difficultés de paiement : pour obtenir gain de cause, ils menacent de poursuivre la municipalité, ou bien en appellent à l’intendant. Mais le corps de ville ne peut que répéter ce que tous savent : il est dans l’incapacité de payer.

112Cette situation d’urgence explique que la Ville autorise régulièrement son receveur à puiser dans les fonds dont il dispose, quelle que soit leur provenance. Pour renflouer ses caisses, elle avait également misé sur un remboursement rapide de la dette de Pierre Dreux à son égard, soit quelque 30 000 L. On a vu combien ses espoirs ont été déçus. C’est pourquoi, alors que la levée du nouvel octroi tarde à se mettre en place, les officiers municipaux décident de solliciter l’autorisation de lever un emprunt, espérant liquider une fois pour toutes les dettes les plus urgentes.

  • 143 Ces promesses n’ont pas été entièrement tenues. Le 4 mai 1785, le corps de ville avoue en effet n’ (...)

113L’idée est avancée en mars 1771, dans une assemblée des notables. Le procureur du roi à l’hôtel de ville s’y oppose aussitôt, non sur le principe, mais sur la forme à respecter : la Ville doit commencer, sauf à voir sa demande rejetée, par faire établir aussi précisément que possible un bilan exact de sa situation, ce qui n’a pas été fait depuis 1767. L’intendant, qui n’est pas hostile à l’idée, demande lui aussi des précisions comptables. Pressé, le corps de ville fait aussitôt établir ce bilan : présenté le 17 juin suivant, il fait état d’une situation catastrophique avec 23 362 L d’arriérés (ce montant semble largement sous-estimé, car la chambre des comptes évaluera à 57 874 L le montant des dettes au terme de l’exercice 1771). Ayant satisfait à ces exigences, le corps de ville s’autorise à demander, en juin 1772, la permission d’emprunter : il estime dans un premier temps à 40 000 L la somme nécessaire pour apurer ses dettes « les plus urgentes ». Pour obtenir l’accord du contrôleur général, il prévoit d’hypothéquer tous les biens et revenus de la Ville. Il promet aussi d’envoyer régulièrement au parlement143 le relevé des intérêts versés aux créanciers grâce à cet argent et d’employer les restes éventuels au paiement du capital par tranches de 3 000 L. Les démarches administratives sont effectuées rapidement : dès octobre 1772, le corps de ville reçoit l’arrêt du Conseil promulgué un mois auparavant, le 6 septembre. Cette célérité est d’autant plus étonnante que la municipalité aurait dû, au préalable, obtenir l’assentiment des députés des paroisses. Mais, compte tenu de l’urgence, l’intendant avait accepté que l’on se passe de leur avis.

  • 144 AMT, BB 73, BB 74 et ADIL, C 332.
  • 145 François Moisant est par ailleurs le frère de Charles Pierre, écuyer, seigneur de Chaix, conseille (...)
  • 146 Louis Baudichon épouse le 9 janvier 1747, à Saint-Saturnin, Catherine Charlotte Roze, fille d’Anto (...)

114La Ville est donc autorisée à lever un emprunt de 40 000 L au « denier 20 sans retenue de vingtième ou autres impositions royales créées ou à créer ». Les intérêts de ce prêt, garanti par les biens et revenus de l’hôtel de ville, devaient être prélevés sur les octrois144. Maire et échevins craignaient que l’emprunt ait peu de succès. C’est donc avec soulagement qu’ils reçoivent des offres de prêteurs dès le 16 décembre 1772, avant même la réception et l’enregistrement des lettres patentes. Parmi ces bailleurs de fonds, on trouve deux congrégations : l’hôpital général pour 3 500 L et la visitation pour 10 000 L. Mais, après les premières offres, le mouvement se ralentit : au 27 mars 1776, 28 500 L seulement ont trouvé preneurs. Aussi, est-ce avec soulagement que Rattier reçoit 3 000 L de mademoiselle Marie Boulogne, qui lui avait fait une promesse orale quelques semaines plus tôt. Néanmoins, il faudra attendre le mois de décembre 1783 pour que la municipalité trouve son dernier bailleur de fonds, soit plus de dix ans après l’autorisation officielle. Était-ce le signe que la Ville avait perdu toute crédibilité ? Le fait que la plupart des prêteurs soient membres des familles échevinales ou proches d’elles semble l’indiquer. La famille Moisant fournit à elle seule près du tiers de la somme totale, soit 12 500 L : il s’agit de François Moisant, marchand et bourgeois de Tours145, et de sa sœur célibataire Jeanne Catherine, respectivement père et tante de l’échevin François Moisant-Quantin et de la femme du maire Banchereau. Plus tard, alors que la Ville peine à couvrir son emprunt, Françoise Madeleine Moisant, fille de François Moisant et sœur de l’échevin, consent à prêter 1 500 L. Membre de cette famille de soyeux connus et reconnus de Tours, le marchand fabricant Antoine Roze-Girollet a vraisemblablement été mis à contribution par son gendre, l’échevin Louis Baudichon-Roze146. Les autres prêteurs sont un certain Auger (le futur contrôleur des deniers publics ?) et mademoiselle Gatienne Marie Grignon, la propre sœur de Pierre René Grignon, curé de Saint-Clément et échevin.

115Chacune de ces rentrées d’argent est aussitôt affectée au paiement des créanciers les plus pressés, dans le cadre d’une pratique comptable au coup par coup. Le 31 juillet 1777, des 31 500 L prêtées, 23 025 L sont distribuées aux créanciers (dont 68 % au seul entrepreneur Thomas Bouchet). En 1775, immédiatement après la signature du contrat passé avec les religieuses de la visitation, les 10 000 L sont réparties entre les principaux débiteurs de la Ville : les entrepreneurs Bouchet et Coudreux, et le collège. En1776, les 3 000 L prêtées par mademoiselle Boulogne sont immédiatement versées à Bouchet, en acompte de ce qui lui est dû.

116Cette solution à court terme alourdit encore les charges annuelles. Le corps de ville en convient lui-même, en dépit de l’enthousiasme qui était le sien lorsqu’il avait appris qu’il était autorisé à emprunter : il estime qu’il ne s’agit là que « d’une ressource mineure » qui ne peut pas réussir à équilibrer les comptes. La Ville ne peut qu’assister, impuissante, à l’augmentation inéluctable de ses dettes. En 1785, celles-ci sont évaluées à 120 000 L et les édiles s’inquiètent de l’avenir :

  • 147 AMT, BB 80, 30 mai 1785.

« [L]es dettes s’augmentent dans une progression effroyante, […] la ville est exposée aux reproches les plus fondés de la part des créanciers qui n’ignorent pas qu’il se perçoit chaque jour des revenus, mais ignorent la cause de la cessation des payements, et se persuadent ainsy que c’est par le fait des officiers municipaux s’ils ne sont pas payés, […] le mal s’est acru au point que plusieurs des créanciers de la ville ont été obligés dans leur détresse d’emprunter à intérêt même de négocier à perte des mandements qui leur ont été donnés sur le receveur, […] tous menacent la ville de poursuittes [sic]147… »

  • 148 Cf. chap. viii.
  • 149 Cf. chap. viii.

117Parallèlement, la Ville recourt à des revenus de complément. Il en existe de deux types. D’une part, les impositions particulières levées pour réaliser des travaux extraordinaires, comme le transfert des cimetières et l’ » illumination » des rues : soumises à la surveillance de l’intendant, la municipalité ne peut théoriquement y prélever aucun fonds. Faisant suite à la déclaration royale du 10 mai 1776, qui ordonne de déplacer les cimetières hors des murs, la Ville travaille très vite, à la demande de l’archevêque, à leur transfert148. Ceux-ci sont finalement ouverts et bénis en 1780. Pour faire face à la dépense, l’arrêt du Conseil du 10 mars 1778 autorise les édiles à lever un impôt sur les propriétaires et les locataires d’un montant finalement porté à 32 659 L. Oppositions traditionnelles des privilégiés et difficultés techniques retardent les recouvrements, qui ne commencent qu’en 1783, obligeant le receveur à avancer les fonds nécessaires à la réalisation des travaux. Quant à l’ » illumination », projetée dès 1780, elle n’est effective que trois ans plus tard149. D’abord limitée, pour des raisons financières, à la rue Neuve – les 49 propriétaires des terrains et des maisons de cette voie supportent les premiers frais pour un coût de 1 979 L –, l’ » illumination » est ensuite étendue à d’autres parties de la cité. À cet effet, le corps de ville reçoit l’autorisation de lever un impôt spécifique, qui se montera à 13 626 L. Là encore, l’argent ne commence à rentrer qu’en 1787, parce que la taxe avait entraîné une campagne injurieuse à l’encontre des édiles de la part des deux chapitres principaux de Tours et aussi parce que les officiers municipaux avaient scrupule à « grever subitement les citoyens ».

  • 150 Cf. chap. vi.
  • 151 Cf. chap. viii.

118Il existe d’autre part deux caisses particulières (que nous appellerions « fonds spéciaux »), que le commissaire départi connaît, mais ne surveille pas de près : celle de la milice provinciale et celle des foires. La Ville puise à l’occasion dans ces ressources destinées à faire face à des dépenses de moindre importance. Elles sont confiées au receveur municipal, qui est parfois autorisé à y puiser pour régler quelques dettes urgentes. La première est alimentée par les taxes – 6 L par homme – que les jeunes hommes tirés au sort lors du recrutement de la milice provinciale peuvent verser pour se faire remplacer150. En 1776, Rattier est autorisé à prendre 13 409 L dans cette caisse. En 1780, le receveur y emprunte 5 894 L. La deuxième caisse est alimentée par les marchands désireux de louer un emplacement pour les foires franches. Cette caisse, toujours bénéficiaire151, servit parfois à régler quelques factures.

119Pressée par ses créanciers, désireuse malgré tout de mener à bien des projets importants pour l’amélioration de la qualité de vie des habitants, la Ville attendait de l’État une solution durable. Des discussions eurent lieu entre les édiles et l’intendant et aboutirent bientôt à la formulation de critiques inédites à l’encontre des exigences royales : la question des choix politiques était désormais posée par le corps de ville, qui balançait entre défense des contribuables et défense des intérêts royaux.

La tardive remise en ordre de 1785-1787

120Le débat est lancé le 17 juillet 1779, date à laquelle l’intendant est informé, une fois de plus, des déboires financiers de la municipalité, qui ne peut payer ce qu’elle doit à l’entrepreneur Thomas Bouchet. Afin d’entendre les deux parties et de trouver une solution, Du Cluzel organise une réunion de travail. C’est l’occasion pour la Ville de s’exprimer à nouveau sur les causes du malaise et sur les remèdes qu’elle suggère d’y apporter. Du Cluzel est partisan de la levée d’un nouvel octroi sous la forme d’une augmentation de la capitation. Tout en ménageant sa susceptibilité, les édiles récusent une à une ses propositions. Cette fois, leurs arguments sont réfléchis, chiffrés. Les officiers municipaux estiment qu’ » établir un nouvel octroi serait profitable à la régie du roi, au receveur et au contrôleur et grèverait les habitants sans soulager la ville ». Par ailleurs, ils rejettent l’idée de prélever l’octroi sous la forme d’une augmentation de capitation parce que l’assiette en est mauvaise. Ils demandent à faire participer les catégories exemptées, qui représentent « au moins la moitié […] de la ville » : le clergé, mais aussi

  • 152 ADIL, C 27.

« presque tous les gens riches à Tours, gentilshommes, officiers retirés, officiers en titre ou vétérans des cours et chancelleries, bailliage, bureau des finances, élection, monnaie, eaux et forêts, maréchaussée, autres juridictions, fermes, aides, gabelles, contrôle, traites, douanes, cuirs, papiers, cartes, poudres et salpêtres, postes, lotte-ries, ponts et chaussées, turcies et levées, contrôleur des guerres, juges et greffiers du point d’honneur152 ».

  • 153 AMT, BB 77 et ADIL, C 27. Ils avancent un total choc de « plus de 10 millions [de livres] de banqu (...)
  • 154 Cf. chap.ix.

121Pour appuyer son discours, le corps de ville n’hésite pas à développer la thèse de l’appauvrissement généralisé des habitants, qui vivraient, prétend-il, dans un « état misérable ». Afin d’étayer ses propos, il présente des chiffres, glanés dans différentes administrations ou juridictions. Au bureau des aides, il découvre des informations indiquant une diminution d’un sixième du nombre d’animaux de boucherie entrant en ville. À la juridiction consulaire, il trouve matière à prouver la hausse du nombre des faillites153. Il conclut à un dépérissement généralisé du commerce et de l’industrie en raison de la surcharge fiscale. Au final, la municipalité, désormais chantre de la défense de ses contribuables, déclare préférer renoncer à la gestion des octrois plutôt que d’avoir à se justifier de leurs augmentations répétées. Mais, en dépit des bonnes relations qui existent entre la Ville et le commissaire départi, la discussion tourne court. L’intendant était venu au secours de la cité par des moyens détournés : en 1775, il avait vendu au Dauphiné une machine pour 60 000 L qu’il avait achetée sept ans plus tôt à Vaucanson grâce à une subvention de l’État154, somme qu’il affecta aux grands travaux d’urbanisme ; l’année suivante, il établit un impôt de 50 000 L sur les villes et paroisses du ressort du présidial pour permettre la construction de prisons et d’autres bâtiments publics.

122Devant le silence du gouvernement et l’impuissance à peine dissimulée de l’intendant, le corps de ville radicalise son discours et politise ses arguments. Il critique l’intérêt des créations d’offices : ceux de receveur et de contrôleur ont été levés par « deux particuliers étrangers qui n’ont fourni qu’environ 16 000 livres [… et] jouissent […] d’un revenu de plus de 4 000 livres au préjudice d’une ville obérée » (il obtiendra leur rachat en 1783). Il dénonce les nouvelles charges imposées par le roi sans contrepartie financière : le logement du commissaire des guerres et de l’ingénieur en chef ; l’entretien des voies de la banlieue, des prisons, du palais et de l’hôtel de ville, mais aussi des nouveaux quais et rues. Il critique d’autres ponctions royales : les deux vingtièmes payés par la Ville sur les octrois et patrimoniaux, les dons gratuits, les 10 sols pour livre. Pour illustrer leurs propos, les échevins dressent des tableaux des prélèvements aux portes sur le vin, la boucherie et le bois de chauffage, auxquels s’ajoutent les taxes levées sur la vente au détail dans les débits de boisson et les rémunérations prélevées par les courtiers et jaugeurs.

  • 155 C. Petitfrère, « Les embarras… », op. cit.

123Surtout, le corps de ville en vient à dénoncer, avec une hardiesse nouvelle, la spoliation ordonnée par Louis XIV en 1662 et 1665, c’est-à-dire la réunion des anciens octrois à la ferme des aides et le prélèvement annuel de 3 000 L sur ceux nouvellement créés155. Il multiplie les démarches pour en être déchargé, définitivement ou au moins pendant trente ans. Les édiles font remarquer que la Ville a, depuis 118 ans, « payé 1 770 000 livres soit beaucoup plus que [ses] dettes » d’alors. Désireux de voir le roi renoncer à ce prélèvement, le corps de ville contacte en 1783 l’intendant Du Cluzel, qui, comme à l’accoutumée, consulte les ministres et le Conseil. Ce dernier argumente de manière maladroite, affirmant que ces prélèvements sont légitimés par le fait que la Ville doit ces sommes pour un capital qu’elle n’aurait jamais remboursé. N’hésitant pas à user d’un vocabulaire audacieux, le corps de ville dénonce cette « oppression », faisant remarquer que, depuis le temps, ce capital a été largement remboursé : il exige même de voir le « contrat » qui aurait été passé entre la Ville et Louis XIV.

  • 156 AMT, CC 16 (2e partie) et ADIL, C 27.

124Tout au long de ces années, le corps de ville perfectionne ses arguments. Ainsi, dans un mémoire adressé à Joly de Fleury, il compare le montant des prélèvements effectués sur les diverses denrées à Tours et dans des villes proches (Le Mans, Angers, Nantes, La Rochelle), et conclut : « A l’exception de la ville de Paris, il n’en est aucune autre proportion gardée qui paye des droits d’entrée aussy considérables », ce qui « retombe sur le peuple qui paye la majeure partie de cette charge156 ».

125Au cours de ces débats, de nouvelles idées surgissent – ou sont désormais mieux formulées –, révélant notamment une nouvelle conception de la gestion d’une ville. Confrontés directement aux problèmes des habitants, les édiles prennent la défense des contribuables, dont le pouvoir d’achat, grevé par les prélèvements royaux, est présenté comme insuffisant pour stimuler le commerce. Or les édiles sont justement en train de se pencher sur la question du développement commercial de leur ville…

126À force d’obstination, le corps de ville finit par obtenir une solution qui, sans être tout à fait conforme à ses souhaits, éclaircit la situation. En mai 1784, il n’hésite pas à poser au gouvernement un véritable ultimatum en annonçant qu’il suspendrait « tout paiement jusqu’à ce que Sa Majesté statue ». Tout en renvoyant les créanciers pressés au roi et à son représentant local, il accentue la pression en multipliant les courriers et suppliques à ses relations habituelles. Une double réflexion s’engage, à Tours avec l’intendant, et à Versailles avec Valdec de Lessard, maître des requêtes et administrateur des villes et municipalités. La disparition brutale de Du Cluzel interrompt quelque temps la recherche d’une solution, mais la réflexion reprend avec son successeur, Marius d’Aine, et le maire peut finalement se rendre à Paris pour obtenir une réponse définitive.

  • 157 AMT, BB 77 à BB 80. ADIL, C 27.

127Ces démarches trouveront leur terme en deux étapes : grâce à un arrêt du Conseil d’octobre 1785 qui prévoit un plan de liquidation des dettes de la ville, et à un autre, d’août 1787, qui fixe de nouvelles bornes aux charges et dépenses157.

128Pour mettre au point le texte de liquidation des dettes, Valdec de Lessard avait exigé un état précis de la situation. Un bilan provisoire, élaboré par une commission municipale, fait état en avril 1786 d’une dette totale de 123 949 L dont 42 000 dues au seul Bouchet. En juillet 1786, le groupe de travail fournit un second bilan, définitif celui-là : le montant des dettes y est évalué à 149 415 L. Mais, sans attendre ces documents, un premier arrêt du Conseil est rendu le 11 octobre 1785. Le texte ne procède pas à la liquidation définitive des dettes mais prévoit l’étalement des remboursements. Il autorise aussi la Ville à lever un supplément à la capitation. Il requiert de l’intendant l’établissement d’un budget prévisionnel : dans son ordonnance du 6 novembre, d’Aine fixe le remboursement annuel à 15 493 L pendant huit ans, exige de la Ville qu’elle confectionne un calendrier et l’autorise à lever, pour la même durée, 7 000 L par an sur les contribuables à la capitation. Pour réduire l’effet que produira une telle ponction la première année, l’intendant limite à 2 770 L le montant à prélever pour 1786. D’autre part, le budget municipal est désormais placé sous tutelle : la Ville perd la possibilité de lever ses octrois, dont la perception est confiée à la Régie générale. Celle-ci doit verser chaque année au corps de ville 32 000 L, prises sur les fonds de la capitation, dont 7433 L destinées au remboursement des dettes. Malgré l’hostilité qu’ils avaient manifestée en 1779 à cette solution, les officiers municipaux doivent l’accepter comme le « parti le plus prudent et le plus propre à calmer les esprits ».

129Un second arrêt du Conseil, en date du 12 août 1787, fixe les nouveaux montants des charges et dépenses à un total de 25 305 L 19 sols 10 deniers. Le montant des dépenses assignées sur les patrimoniaux est porté désormais à 4608 L 19 sols 8 deniers, soit 400 L de plus qu’en 1689. Les édiles auraient-ils réussi à faire comprendre au gouvernement la nécessité d’adapter leurs dépenses à leurs besoins réels en même temps qu’à leurs revenus ? Une lecture fine de la liste des postes de dépenses permet d’y voir un peu plus clair : certains ne connaissent pas de modification, d’autres disparaissent, tandis que d’autres encore augmentent.

  • 158 Lors de la répartition des impôts, les échevins usaient de critères approximatifs. De ce fait, il (...)
  • 159 Sur ce nouveau souci d’ordre philanthropique, cf. chap. vii et C. Duprat, Le temps des philanthrop (...)

130Les « non valeurs158 » méconnues en 1689, sont désormais prises en compte : 300 L leur sont réservées dans la rubrique « entretien des biens patrimoniaux ». Le montant des rentes (83 L), des gages au sonneur de la « retraite », de la location du banc à Saint-Martin et celui de la fondation accordée aux cordeliers restent inchangés, à des niveaux très modestes. Les frais d’impression, évalués à 40 L en 1689 et qui avaient grimpé à 300 L en 1765, sont ramenés à 150 L. En revanche, les dépenses pour l’achat des cierges offerts à la Fête Dieu sont légèrement revalorisées : fixées à 32 L en 1689, augmentées à 66 L en 1765, elles sont désormais de 78 L. Les frais des fêtes et cérémonies sont multipliés par vingt (20 L en 1689 et 400 en 1787). Peut-être cette somme était-elle aussi destinée à contribuer à l’achat des présents aux personnalités puisque le montant de ces dépenses-ci est ramené au niveau de 1689 (200 L), alors qu’il était de 759 L en 1765. D’autre part, les édiles ont réussi à obtenir l’officialisation du versement annuel de 24 L à l’hôpital des Enfants Trouvés. On peut y voir le signe de l’émergence d’un souci philanthropique, l’affirmation d’une certaine solidarité municipale envers les plus démunis159. De la même veine est la revalorisation importante des gages des subalternes : les quelque 2 000 L accordées doublent les émoluments versés depuis 1689 aux concierges, clercs et sergents de l’hôtel de ville. En contrepartie, la municipalité est tenue à quelques concessions, dont une diminution progressive du nombre de ses clercs à six hommes, par le non-remplacement de ceux qui décéderont ou quitteront la fonction. D’autres postes sont supprimés, la plupart au détriment des édiles eux-mêmes : les jetons de présence (1 200 L) et les frais engagés lors des séances de travail (400 L), qui, inconnus en 1689, avaient été progressivement introduits au cours du xviiie siècle. Les services du roi n’oublient en revanche pas les charges fiscales pesant sur les patrimoniaux (464 L au titre des vingtièmes).

  • 160 Une comparaison de la répartition des dépenses entre le nouveau budget tourangeau et celui d’Anger (...)
  • 161 En 1689, cette charge existait déjà ; sa dépense avait été fixée à 300 L.
  • 162 Au cours de cette même année 1787, la municipalité est sollicitée par l’Assemblée provinciale créé (...)

131Le texte de 1787 établit également de nouvelles limites aux dépenses d’octrois, désormais fixées à 20 697 L, soit environ 8 000 L de plus qu’en 1689. Parmi les postes de dépenses inchangés ou légèrement modifiés, citons la somme versée annuellement au roi depuis 1665 (3 000 L), qui a été maintenue malgré les réclamations du corps de ville, les frais d’approvisionnement des fontaines en eau (2 000 L contre 1 200 L en 1689), les frais d’affichage (80 L, sans modification) et la dotation annuelle du collège, inchangée (1 034 L 3 sols 4 deniers). Les dépenses liées aux fêtes sont légèrement réduites, passant de 385 L à 300 L : le budget des patrimoniaux devait compenser la différence. Surtout, ce texte confirme les changements importants survenus au cours des dernières décennies dans la ventilation des dépenses, certaines imposées par le roi, d’autres voulues par la municipalité elle-même160. L’intérêt de l’emprunt de 1772 figure désormais parmi les charges nouvelles, à raison de 2 000 L par an, ainsi que les frais de reddition des comptes (350 L). Parmi les charges imposées par le roi figurent celles relatives à l’urbanisme, qui se montent à un total de 10 569 L (51 % des dépenses assignées sur les octrois). Cela confirme le transfert sur le budget municipal de la plupart des travaux conçus par les ingénieurs du roi. Il est dit précisément que la Ville doit améliorer le pavage des rues, nettoyer les égouts, garnir la glacière161, entretenir les nouveaux bâtiments publics et les murs des nouveaux cimetières, et enfin loger les ingénieurs. En échange, les frais d’entretien de l’intendance lui sont retirés, et l’entretien des voies de la banlieue est limité à 5 200 L, ce qui absorbe tout de même 25 % du budget apporté par les octrois : seules la taille et la culture des arbres de la chaussée de Grammont lui sont enlevées. À la suite de l’arrêt du Conseil du 6 décembre 1786, qui « convertit la corvée en une prestation pécuniaire », d’Aine propose à la Ville le versement annuel d’une somme fixe de 5 000 L au service des ponts et chaussées, qui, dès lors, s’occuperait entièrement de l’entretien de la banlieue162. Après avoir à maintes reprises sollicité le roi, la municipalité finit par recevoir l’autorisation officielle au début de l’année 1789.

  • 163 Le texte de 1787 supprime les aumônes « extraordinaires ». Mais, lors du difficile hiver 1789, la (...)

132Certains nouveaux débours – ceux liés à des projets conçus par les édiles – ont sans doute été acceptés sans difficultés. Font partie de cet ensemble les frais liés à la lutte contre les incendies (560 L), aux secours aux noyés (69 L), les aumônes (95 L)163, la dotation de l’école gratuite de dessin de Rougeot (400 L) et la contribution à l’illumination de la rue Neuve (69 L). Le texte envisage aussi de confier à la Ville, mais sans en préciser le montant, les frais résultant de l’éclairage public, l’entretien des nouveaux quais et des terrasses, ainsi que toutes les dépenses engagées lors des séances de travail tenues pour la répartition des impôts et le logement des soldats. L’arrêt du Conseil de 1787 renforce par ailleurs le contrôle de l’intendant sur la comptabilité publique. Les édiles ne sont autorisés à payer sans son accord que les factures inférieures à 500 L. Ils sont par ailleurs tenus d’adresser, tous les ans en janvier, un état complet au contrôleur général.

  • 164 D’autre part, ce que ne dit pas ce texte de 1787, la Ville doit vendre certains patrimoniaux : c’e (...)

133La remise en ordre de sa situation financière permet à la Ville d’équilibrer à nouveau son budget : en 1787, les recettes sont supérieures de 30 000 L aux dépenses, en partie grâce à la création des foires. Mais les textes officiels sont peu flatteurs pour les édiles, rendus responsables d’une situation que les exigences royales avaient grandement contribué à déstabiliser, bien que le corps de ville eût à plusieurs reprises attiré l’attention du roi sur ses difficultés164.

Épilogue : la Révolution, rupture ou continuation ?

  • 165 La documentation relative à la période révolutionnaire se limite aux registres des délibérations m (...)

134Les événements révolutionnaires interrompirent le déroulement d’un processus dont on ne saura jamais s’il aurait pu aboutir165. Le fragile équilibre conçu en 1787, programmant un assainissement progressif des finances, vole en éclats dans les premières années de la Révolution. Les frais engagés au cours de l’hiver et de l’été 1789, l’installation de nouvelles autorités administratives intermédiaires entre l’État et la municipalité, et la mise en place dans le royaume d’un nouveau système financier modifient durablement la situation.

  • 166 Les seuls achats de blé ont coûté près de 126 000 L. Cf. chap. iii.

135Afin de soulager la misère et d’apaiser les tensions de l’hiver et du printemps 1789, les édiles achètent des grains et financent les ateliers de charité, dépensant sans compter. Pour payer les blés achetés en commun, une souscription générale est ouverte, à laquelle la Ville participe, tandis qu’elle reçoit l’aide financière de l’intendant pour supporter les frais des ateliers de charité. Le coût du maintien de l’ordre pendant l’été 1789 et celui des opérations électorales de l’hiver 1789-1790 pèsent par la suite sur le budget de la Ville166.

  • 167 Les comptes des années 1788-1790 sont envoyés au District le 23 décembre 1790. Si, en 1791, le cor (...)

136La loi de décembre 1789 confie aux notables composant le conseil général la gestion des deniers publics. Celui-ci doit désormais autoriser les grandes dépenses, réfléchir aux moyens de pourvoir la Ville de finances suffisantes, vérifier et arrêter les comptes du receveur, puis les transmettre à la chambre des comptes via les administrations du district et du département167. La surveillance régulière du receveur Luce est confiée à l’un des bureaux mis en place (le n° 2) : l’on a tout lieu de croire que les finances sont, à partir de 1791, gérées conjointement par ce bureau et le receveur.

137Confrontés aux mêmes difficultés de trésorerie que leurs prédécesseurs, les nouveaux élus reprennent en partie leurs discussions, sans omettre de participer aux débats généraux concernant la situation financière du royaume. Les années 1790-1792 sont des années de transition difficiles. En effet, certaines décisions de l’Assemblée nationale ont des répercussions majeures sur les revenus urbains. La Ville ne peut désormais plus compter sur ses octrois, supprimés en février 1791, ni sur les 8 000 L qu’elle recevait au titre du surplus de la capitation tel qu’il en avait été fixé par l’arrêt du Conseil du 14 octobre 1785. En contrepartie de ses pertes, 8 000 L doivent lui être versées au titre de la contribution patriotique levée en 1789. Mais le recouvrement de cet impôt exceptionnel est difficile et la Ville tarde à recevoir la part qui lui est due. En décembre 1790, elle contacte le receveur local des impositions royales : il fait état de ses difficultés pour recouvrer les contributions directes et ce n’est qu’en novembre 1791 qu’il peut lui remettre une petite partie (3 240 L) des 8 000 L attendues.

138À défaut de disposer de sources de revenus nouvelles, la Ville formule alors le souhait que l’Assemblée nationale l’exempte des charges les plus lourdes.

  • 168 À cette époque, le nouveau receveur, Julienne, établit une liste de toutes les sommes réglées par (...)

139N’obtenant pas de réponse, elle est contrainte de « bricoler » son budget. Ainsi, le 3 novembre 1790, elle sollicite la suppression du versement effectué au roi depuis 1665 : aucune réponse n’a malheureusement été retrouvée. Pour équilibrer son budget, la municipalité compte surtout sur la mise en vente des biens nationaux, dont 1/16 doit lui revenir. Le montant total des biens mis en vente étant estimé à 9,5 millions de livres, les officiers espèrent en tirer un bénéfice de 500 000 L à 600 000 L. En juillet 1791, assaillie par ses créanciers, la Ville, qui a pourtant mis sur pied une administration rapide et efficace pour le recensement et la vente de ces biens, n’a toujours rien reçu de la part qui lui revenait. Lassée d’attendre, elle délègue François Cartier-Roze à Paris pour tenter d’accélérer les ultimes opérations menées par le Comité d’aliénation et le receveur de l’extraordinaire : après avoir exigé un bilan financier, le Comité accorde un acompte de 20 000 L. La somme est aussitôt utilisée pour régler les dettes les plus urgentes. Un autre acompte est sollicité en avril 1792, alors que débutent les travaux de recensement des biens aliénés à la Ville. La même année, les autorités supérieures transfèrent à la Ville le produit des amendes perçues par le tribunal du district, quelques droits sur la vente de bois dans le département et maintiennent quelques rentes en sa faveur168.

140Pendant ce temps, les élus ne peuvent qu’assister, impuissants, à l’augmentation des dettes de la Ville, dont le montant est désormais soigneusement noté par Luce dans « un registre du déficit ». Comme sous l’Ancien régime, le receveur fait régulièrement part de ses difficultés de trésorerie : en mai 1791, il avoue un déficit de 12 000 L à 15 000 L. Et, comme précédemment, pour être payés, les créanciers doivent menacer la municipalité de poursuites, solliciter l’intervention des autorités administratives supérieures ou écrire aux ministres. À l’instar de leurs prédécesseurs, les édiles sont obligés de gérer leur budget au coup par coup et d’implorer l’aide du gouvernement : aux officiers municipaux demandant le transfert à l’État des dettes contractées lors des événements de 1789, les ministres répondent qu’il convient d’assigner à cet apurement une partie du 1/16 des biens nationaux. Comble de malchance pour la Ville : lorsqu’elle paie ses créanciers avec l’argent tant attendu, versé en assignats, ceux-ci refusent la monnaie nouvelle et la municipalité doit renvoyer ses débiteurs auprès des différents caissiers qui résident à Tours, dans l’espoir qu’ils échangeront ces billets contre de la monnaie métallique.

  • 169 La Ville devait rembourser ce prêt au fur et à mesure des rentrées d’argent dans la caisse patriot (...)

141Au cours de cette difficile période transitoire, la municipalité reçoit cependant quelques subsides de l’État. En février 1790, le Trésor public lui avance 6 000 L sur le don patriotique pour payer les ateliers de charité ; en décembre de la même année, la Constituante accorde au département d’Indre-et-Loire un prêt de 30 000 L au titre de secours aux victimes de la crue. Tours en réclame aussitôt une avance de 18 000 L pour rembourser son receveur. Craignant de ne pas obtenir satisfaction, la Ville utilise de manière à peine voilée le chantage, menaçant d’attiser les troubles en fermant tous les ateliers de charité : elle reçoit aussitôt 8 000 L169.

  • 170 Les pièces comptables de l’ancienne municipalité furent ensuite remises au greffe et archivées. En (...)
  • 171 Ces examens eurent lieu en mars-avril 1790 et le 30 octobre suivant.
  • 172 La procédure sera en fait régularisée dans les mois suivants. Après un examen en hâte de ces compt (...)

142Aucune solution d’ensemble n’est cependant trouvée. La Ville continue de gérer au jour le jour ses finances, dont nous ignorons par ailleurs presque tout. Si les chiffres manquent pour établir un bilan, sauf exception rarissime – en 1791, la Ville annonce une recette de 124 813 L pour une dépense de 126 660 L –, il semble que la gestion par le conseil général de la commune soit assez sérieuse. Les comptes sont régulièrement examinés, sans rupture avec les habitudes adoptées par les municipalités antérieures depuis une dizaine d’années. Les 9 avril et 14 juin 1790, l’ancien maire Étienne J. Ch. Benoît de La Grandière et les anciens échevins Grignon, Gaudin et Pouget se rendent à l’hôtel de ville justifier quelques dépenses et recettes des années passées170. Mais la mise en place, au cours des années suivantes, d’autorités administratives intermédiaires entre la municipalité et la chambre des comptes ralentit les opérations et alourdit le processus de reddition des comptes. Le contrôle est cependant aussi régulier qu’auparavant ; il est dirigé par le conseil général171, qui transmet ensuite les comptes à la chambre des comptes via le District et le Département. Ceux-ci procèdent alors à l’examen des pièces, en présence du receveur municipal et du corps de ville. Il en résulte un ralentissement de la procédure, ce qui est régulièrement critiqué : le 19 juillet 1792, la Ville s’inquiète que le Département n’ait pas encore visé les comptes déposés en décembre 1790. Or tout retard peut désormais coûter cher : ainsi, le 15 février 1792, la municipalité s’étonne que le District n’ait pas examiné des comptes transmis en novembre de l’année précédente et qui devaient être envoyés à l’Assemblée nationale avant le 1er mai afin que la Ville puisse bénéficier du 1/16 des biens nationaux. De peur de dépasser le délai, la municipalité récupéra ses papiers sans qu’ils aient été examinés et les envoya directement à Paris172.

143Dépenses exceptionnelles pour le maintien de la tranquillité publique et bouleversements administratifs ou fiscaux ont donc compliqué la situation financière au début de la période révolutionnaire. Toutefois, la faiblesse documentaire empêche de connaître avec précision la nature et l’évolution du budget urbain : a-t-il pu être équilibré ? a-t-il pu éponger les dettes antérieures ? Le doute est permis, mais nous ne sommes pas en mesure de conclure en connaissance de cause.

*

144Le jugement émis dans les années 1770 par le maire Louis Benoît de La Grandière, selon lequel « le Corps de ville a toujours été dans l’embaras pour acquitter ses dettes par raport aux charges toujours supérieures de ses revenus [sic] », correspondait donc bien à la réalité. Au niveau local, les officiers municipaux manquèrent de réactivité. Pourtant attentifs au recrutement des receveurs, ils ne le furent guère à la gestion comptable de ceux-ci, ce qui contribua à brouiller la perception qu’ils pouvaient avoir de la situation financière réelle de leur cité. Mais les responsabilités étaient partagées par toutes les autorités : le roi ou son représentant, les ministres et les édiles. Des contrôles fréquents de la comptabilité locale étaient effectués au plus haut niveau, mais sans réel effet. Les nombreux échanges de points de vue engagés par L’Averdy n’eurent pas plus de succès. Quelles étaient d’ailleurs les motivations réelles du roi : connaître avec exactitude les moyens de chaque ville pour en disposer plus à son aise, ou les doter de revenus adaptés à leurs besoins ?

145Le budget de la ville, fixé en 1689, n’avait pas été adapté aux nécessités du xviiie siècle, notamment aux frais d’urbanisme imposés par le roi et ses ingénieurs. Les revenus d’octrois, globalement suffisants dans la première moitié du siècle, avaient connu une baisse importante entre 1759 et 1780 avant d’augmenter significativement dans la dernière décennie de l’Ancien Régime. Cette valorisation ne permit cependant pas de faire face aux dépenses, pas plus que l’augmentation des revenus patrimoniaux, qui étaient tout juste restés suffisants pour couvrir les frais d’entretien des biens du même nom ; ils ne pouvaient compenser les lourds déséquilibres du bilan des octrois. Restait aux édiles le recours aux expédients habituels : emprunt et transferts hasardeux d’argent depuis des caisses parallèles.

146Une remise en ordre parut indispensable : exigée du pouvoir central par des édiles qui se faisaient de plus en plus pressants, elle fut enfin opérée en 1787 par un arrêt du Conseil, qui fixait à nouveau les charges et revenus des patrimoniaux et octrois. Le déclenchement des événements révolutionnaires arrêta le mouvement engagé et on ne saura jamais si la solution adoptée était la bonne. Quoi qu’il en soit, et en dépit de moyens financiers limités, les édiles purent seconder l’État. Surtout, ils réussirent à mener à bien des projets collectifs importants, aux retombées économiques majeures, du moins à court terme.

Notes

1 G. Saupin, Les villes en France à l’époque moderne, 2002.

2 Sur la situation financière de Tours au xviie siècle, voir C. Petitfrère, » Les embarras financiers d’un corps de ville : l’exemple de Tours au Grand Siècle », in Pourvoir les finances en province sous l’Ancien Régime, 2002.

3 Sur cette question, voir C. Petitfrère, « Les embarras financiers… », op. cit. La charge était devenue si lourde que la Ville ne payait plus rien depuis 1660. Cette situation explique en partie la spoliation par Louis XIV des octrois de Tours.

4 Outre la réunion aux finances du roi des 24 000 L jusque-là prélevées par la Ville, le roi retenait encore 3 000 L sur les nouveaux octrois.

5 B. Maillard, in B. Chevalier (dir.), Histoire de Tours, 1985. L’original est conservé aux AMT, CC 9.

6 Selon ces critères, le budget tourangeau était un budget très modeste, s’élevant à quelques dizaines de milliers de livres, alors que ceux de Douai ou de Valenciennes, deux villes de taille comparable, étaient évalués en centaines de milliers de livres. Toutefois, le volume des sommes brassées n’est pas en cause dans les problèmes d’argent de Tours, car le budget de cette ville se rapproche de celui d’Angers, une cité qui ne connaît pas de difficultés financières majeures à la même époque (Ph. Guignet, Le pouvoir dans la ville, 1990 ; J. Maillard, Le pouvoir municipal à Angers, 1984). Dans l’enquête lancée par L’Averdy en 1764, 55 villes, sur les 906 qui répondent, affirment disposer d’un budget annuel supérieur à 50 000 L et 409 avoir des ressources inférieures à 2 000 L (J. Félix, Administration, finances et politique au siècle des Lumières, 1999).

7 L. Benoît de La Grandière, op. cit. Sur la situation financière de Tours au siècle des Lumières :F. Dumas, « Les finances de la ville de Tours au xviiie siècle », MSAT, 1891.

8 Voir les travaux de B. Chevalier et de C. Petitfrère.

9 Ce qui distingue encore Tours par rapport aux villes du Nord étudiées par Ph. Guignet (Le pouvoir…, op. cit.).

10 L’office de receveur municipal appartenait jusqu’alors à deux officiers alternatifs qui, choisissant de ne pas gérer eux-mêmes les finances de la Ville, les confièrent au Tourangeau Joseph Duvernet. Ce dernier, avocat en parlement et directeur des affaires du roi à Tours, épousa Renée Françoise Pasqueron puis Marie Catherine Gitton. Par le mariage de l’une des filles issues de son premier mariage, il était le beau-père de Pierre Dreux.

11 Veau Delaunay était le père de Pierre François, député de la paroisse de Saint-Hilaire de 1757 à 1764, et le grand-père de Pierre Louis Athanase, élu municipal pendant la période révolutionnaire.

12 Notons que par ses deux mariages successifs, Dreux était entré dans la parentèle de Duvernet et Dubois, les receveurs municipaux antérieurs.

13 Cf. chap. ii.

14 AMT, BB 67, 30 mai 1759 et ADIL, C 27 : traité de 1759 entre le corps de ville et les créanciers de Dreux.

15 Dans son départ précipité, Dreux abandonne tout : ses activités, sa réputation et sa famille, dont sa jeune femme enceinte. Peu après la naissance d’une petite fille, madame Dreux se présenta le 12 septembre 1755 devant le bailliage pour préserver ce qui lui restait de biens propres. Elle sollicita la mise sous scellés de ses biens, à hauteur de 12 000 L – montant de sa dot –, pour éviter que la justice ne s’en saisisse au nom des créanciers de son époux.

16 Cf. chap. ii. Le 4 août 1773, Jacques Louis Jean Desportes-Deslinières achète l’office de receveur et, en novembre 1774, Pierre Auger Desplantes se rend acquéreur de la charge de contrôleur.

17 Il faut sans doute voir dans cette nomination une compensation offerte par le roi à un officier municipal élu en 1771 et exclu de la nouvelle municipalité installée en 1774.

18 ADIL, C 16, C 675 et AMT, BB 82, 13 août 1788.

19 Les centres d’intérêts de Rattier étaient très variés. Capitaine de la compagnie de pompiers qu’il a contribué à créer en 1767, il se tourne ensuite vers des activités manufacturières. Vers 1775, il affirme avoir trouvé un procédé pour tuer les vers qui abîmaient les soieries. À la même époque, il ouvre une fabrique de couvertures de laine destinée à faire travailler les pauvres. En 1783, il crée avec l’échevin Simon-Roze un établissement de tirage de soie, selon le procédé d’un certain Baumé, qu’il installe au bout du pont neuf près de la barrière Saint-Symphorien. Après son départ, il réside à Saint-Denis, près de Paris, où il a investi depuis quelques années déjà dans une entreprise « de blanchiment en écru des soies jaunes ». Plus tard, il reviendra sur les bords de la Loire et s’installera dans son manoir de Laleu, à Chouzy-sur-Cisse, acquis en septembre 1780. ADIL, C 16, C 108, C 306, C 849 ; AMT, HH 6 (1re partie).

20 Parfait Prudent Luce était un des commis à la recette des finances de la généralité de Tours et, comme tel, était habitué à manier (et à emprunter momentanément pour le compte de la Ville ?) de fortes sommes d’argent. Il était par ailleurs le gendre de l’échevin Victor Petit.

21 Julienne, agent de change, avait été préféré à d’autres personnalités, dont trois au moins – Choisnard, Crouzilleau et Avrouin – avaient de l’expérience en matière de gestion de fonds (ce qui confirme l’idée d’une certaine professionnalisation de la fonction de receveur municipal) et avaient été, à titres divers, associés aux travaux des municipalités de l’époque révolutionnaire. Pierre Alexandre Choisnard avait été receveur des contributions de 1791 et 1792 et était le gendre de René Pillet-Faucheux, un des officiers municipaux élus en 1792. Toussaint François Crouzilleau avait été membre du Comité permanent et officier de la Garde citoyenne. Plus tard, il fut associé aux travaux préparatoires à la vente des biens nationaux (mai 1790), puis à la contribution foncière (février 1791 et avril 1792). Charles Gilles Avrouin-Foulon, intendant et procureur fiscal de l’abbaye de Beaumont, avait été élu commis en chef du bureau des aliénations des biens nationaux (décembre 1790), puis nommé responsable de la caisse des billets de confiance (septembre 1791). Il était le gendre d’Étienne Auger-Cabarat, un ancien député de la paroisse Saint-Pierre-du-Boile.

22 Tous les actes passés devant les notaires du corps de ville ont disparu.

23 La caution présentée aux services du roi pour l’achat de leurs charges ne garantissait en rien les fonds de la Ville.

24 L’arrêt du Conseil de 1725, qui déterminait le rang et les fonctions des officiers municipaux, précisait que le receveur n’était pas membre à part entière du corps de ville.

25 La présence de Rattier est la plus fréquente en 1766-1768 et 1771-1773, périodes d’intenses discussions menées pour équilibrer le budget. Luce est davantage présent en 1787, année où est entamé le débat pour assainir la situation financière de la ville.

26 L’édit de 1725 avait fixé à 1 sol pour livre perçue le montant des gages : cela équivalait à 700 L sur les octrois et 300 L sur les patrimoniaux. Entre 1744 et 1765, les gages étaient tombés à 400 L pour la gestion des octrois.

27 Elle laisse perplexe même l’historien soucieux d’éviter les anachronismes : le maniement des finances à Angers apparaît moins aventureux. J. Maillard, Le pouvoir municipal…, op. cit.

28 C. Petitfrère, « Les embarras… », op. cit.

29 Contrairement à la belle série qui couvre les années 1579-1671 : AMT, CC 92 à CC 163.

30 Les octrois alimentant le budget municipal n’étaient pas levés par la Ville. Jusqu’en 1771, ce sont les commis des aides qui se chargent de percevoir, aux portes de la cité, toutes les taxes, tant pour le compte du roi que pour celui de la Ville. En 1771, le corps de ville obtient la liberté de faire gérer ses octrois par qui bon lui semble : il confie la régie de ses droits à l’hôpital général. Jusqu’en 1771, le directeur des aides, Camet de Chauvigny, se présentait donc chaque année entre août et octobre, c’est-à-dire au terme de l’année de perception (qui courait du 1er octobre au 30 septembre), pour faire examiner par les édiles les registres de ses commis et les justificatifs de l’année écoulée. À partir de 1771, les commis de l’hôpital général sont assujettis à la même contrainte. En 1781, on adopte une nouveauté technique qui montre un certain souci de rationalisation administrative, une pratique qu’on associe habituellement à la période révolutionnaire : l’année de perception est décalée pour couvrir la période du 1er janvier au 31 décembre.

31 Cette procédure avait sans doute été mise en place dès 1616. Après avoir vérifié les comptes, ces commissaires les présentaient au corps de ville, élargi à tous les députés des paroisses, qui les arrêtait et les envoyait au bureau des finances (octrois) ou au bailliage (patrimoniaux), puis de là à la chambre des comptes.

32 Ces vérifications ont été régulières et sérieuses au cours de la première moitié du siècle, davantage toutefois pour les octrois que pour les patrimoniaux. En effet, les comptes des patrimoniaux de 1736 à 1753 sont examinés tardivement, et en bloc, en avril 1754 par des magistrats du bailliage, dont l’avocat du roi, les officiers municipaux et les députés des paroisses. Par la suite, sans être régulières, les redditions sont plus nombreuses : en 1756, on examine les comptes de 1754-1755 ; en 1763, ceux des années 1756-1757.

33 Les contrôles coûtaient effectivement fort cher : en 1772, la Ville doit encore 2 400 L à la chambre des comptes pour ses vérifications.

34 AMT, BB 72, BB 73 et CC 13.

35 Si le bailliage effectue gratuitement la vérification, le bureau des finances exige 43 L à chaque fois.

36 Pour accélérer le processus, la Ville engage les services d’un procureur. Cf. chap. iv.

37 AMT, CC 84 à CC 88 et DD 10 à DD 19. Les baux, dont l’aspect est de mieux en mieux soigné, ont été rédigés et classés par les receveurs de l’époque, responsables de leur gestion au xviiie siècle. Au siècle précédent, tous ces biens faisaient l’objet d’un bail global confié à un fermier.

38 Les contrats, signés en 1696 et entre 1724 et 1725, cumulaient un capital de 23 445 L. ADIL, C 331.

39 Plusieurs textes confirment cette cession, notamment les lettres patentes de 1591, qui évoquent plus précisément les places, les quais et les fossés situés au bas du mail et « tous terrains qui sont vagues, ou qui le deviennent ». En 1606, un autre texte officiel confirme aux édiles le droit de louer et de lotir ces terrains « publics ». ADIL, C 329.

40 Remarquons que ces droits n’ont pas été préservés pour les espaces situés de part et d’autre de l’enceinte du xive siècle, qui avaient été lotis ou transformés en voie publique depuis longtemps.

41 Les écorcheries, « cabarets » et attaches de moulins sur la Loire, encore évoqués dans les baux des xvie et xviie siècles, n’apparaissent désormais plus. Voir l’annexe VIII.

42 C’est en 1508 que Louis XII consentit à l’installation de tueries et de poissonneries hors de la ville, pour éviter les épidémies. La première poissonnerie se situait au carroi des carmes, près de la porte des Tanneurs ; la seconde, près de la porte de Foire-le-Roi. Elles furent démolies en 1612 et 1634 et remplacées par des installations jugées moins incommodantes. L. Benoît De La Grandière, op. cit. AMT, DD 19, DD 20 et DD 22.

43 Les 4/7 sont fournis par les bâtiments, le reste par les droits. Outre la somme prévue dans le bail, les fermiers doivent offrir tous les ans un saumon et une carpe pour les soupers municipaux.

44 Par habitude, le conseil général signa un nouveau bail en mars 1791, mais l’annula quelques jours plus tard après avoir constaté que la suppression du droit de halage rendait invalide ce contrat. Une adjudication eut donc lieu, le 20 avril suivant, pour affermer individuellement les étals, à raison de 18 L chacun.

45 L’affaire, jugée au bailliage, opposait les fermiers de la poissonnerie, d’un côté, et un certain Moreau, associé à d’ » autres mareyeurs qui apportent en cette ville de la marée », de l’autre. AMT, BB 75, 4 juin 1774. Voir aussi BB 73, BB 74, DD 19, DD 20 et DD 22.

46 AMT, DD 17-18, EE 19. L. Benoît de La Grandière, op. cit.

47 Le premier inventaire daterait, selon L. Benoît de La Grandière, de 1601. Plusieurs autres ont été réalisés par la suite, en 1749, 1757, 1764 et 1789. Le plus complet date du 6 août 1764 : AMT, EE 19.

48 La pratique était assez ancienne : en 1748, Chedereau et Audebert avaient loué des boulets respectivement pour 5 et 1 L par an. Dans les années 1770, les entrepreneurs Audebert et Veyrat en louaient encore. La plupart furent récupérés en 1789.

49 Il existe d’autres lieux d’agrément dénommés mails, moins prestigieux et moins bien entretenus : « deux mails intérieurs, Chardonnet et Preuilly [actuelle place du Port-Bretagne], pleins de fossés dangereux et exhalaisons désagréables » et, enfin, la « chaussée [de Grammont] plantée de quatre rangs d’arbres sur 3/4 de lieues ». ADIL, C 331.

50 Le 12 janvier 1769, la Ville adjuge pour deux années ce droit à un consortium de trois particuliers contre 60 L. Le tarif fixé par la municipalité était d’un sol par chaise. L’affaire devait être lucrative car les adjudicataires durent faire face à une concurrence illégale en mai 1769 : le marguillier de Saint-Pierre-du-Chardonnet avait fait placer quantité de chaises sur le mail pour les louer. La Ville le contraignit de cesser cette activité et le soumit à une amende.

51 AMT, BB 72, 7 février 1770.

52 AMT, BB 74, 15 juillet 1772 et BB 78, 31 mai 1780.

53 L. Benoît de La Grandière, AMT, BB 71, 17 février 1768 et BB 74, 23 juin 1773.

54 Les registres de délibération mentionnent 235 ventes entre 1767 et 1789. Consciente de la valeur de ces biens, la Ville adopte progressivement le principe de l’adjudication pour augmenter ce type de recette, comme elle le fait à la même époque pour la location des maisons et jardins. Généralement, les acquéreurs sont des charrons et des entrepreneurs d’ouvrages auxquels « les arbres peuvent convenir pour leur état ».

55 AMT, BB 81, 18 juillet 1787. La Ville reçoit aussi l’autorisation de conserver 30 000 L dues au roi au titre du don gratuit. Cf. infra.

56 AMT, BB 81. L’interruption des sources comptables au moment de la Révolution empêche de connaître la destination de l’argent récolté : a-t-il contribué à diminuer le montant des dettes de la Ville ou servi à la réalisation de nouveaux projets ?

57 A. Young, Voyages en France, éd. 1976.

58 Vallée dut « fouiller et bêcher » le mail sur 3 pieds de profondeur, arracher les racines, enlever les pierres et niveler le terrain. L’adjudicataire fut par ailleurs autorisé à ensemencer le terrain avant que la Ville ne le replante : Vallée put ainsi récolter quelques « menus blés » à l’été 1789. ADIL, C 745.

59 Cf. infra.

60 AMT, BB 78, 31 octobre 1782.

61 La part des revenus patrimoniaux dans l’ensemble des ressources urbaines a également augmenté tout au long de la période moderne. Elle représentait 4 % de la recette totale en 1598-1599, 12,5 % en 1689, mais 25 % à la fin des années 1780.

62 Ces calculs ont été réalisés à partir des baux retrouvés en AMT, DD 17-19.

63 Il en fut de même dans les campagnes (B. Maillard, Les campagnes de Touraine au xviiie siècle, 1999) et pour le chapitre de Saint-Martin, qui sut tirer parti des mutations urbanistiques et de l’envolée des loyers qu’elles ont provoquée. Nous tenons ici à remercier Christophe Maillard pour cette information tirée de sa thèse, actuellement en cours de rédaction, consacrée au chapitre de Saint-Martin.

64 Voir le plan général de la ville.

65 Sur l’augmentation de la population de Tours : H. Mariani, Les Tourangeaux en 1790, 1993.

66 AMT, BB 79, 12 avril, 17 septembre 1783, BB 80, 28 août, 6 septembre 1784, DD 25. Quelques mois plus tôt, les frères Mayault, « commerçants en charbon de terre et de mer [sic] », avaient imaginé de construire des bâtiments pour les louer sur un espace nouvellement dégagé à l’est, situé entre la rue des Amandiers, la place Foire-le-Roi et « l’ancien mur de la ville ». Pour ce faire, ils avaient besoin de louer quelques espaces publics. Le 4 mai 1782, le corps de ville répondit par une fin de non-recevoir : la compagnie ne « pouvoit quant à présent faire aucune concession de terreins sittués sur les quays, au moyen de ce qu’ils ne soit point encore formé [sic] ». Mais la Ville dut céder aux frères Mayault quelques mois plus tard, en octobre 1782, parce qu’ils avaient su convaincre l’intendant de soutenir leur demande. AMT, BB 78.

67 AMT, BB 70.

68 Ce nouvel expert était rétribué 96 L par an. Jean Bernard Abraham Jacquemin, né en 1756 de Jean Bernard, commis aux ouvrages du roi puis géomètre de l’Église de Tours, et de Madeleine Moisant, était un architecte reconnu qui réalisa de nombreux hôtels particuliers et bâtiments publics, dont la façade du nouveau palais de justice. E. Giraudet, « Les artistes tourangeaux », op. cit. ; L. Viéva, « Une dynastie d’architectes tourangeaux… », op. cit.

69 Les informations contenues dans ce précieux document, aujourd’hui disparu, sont en partie lisibles sur le plan dit de Baudry datant de 1765. ADIL, C 296.

70 Le plan prévu devait comporter les édifices appartenant à la Ville situés le long des quais, depuis Sainte-Anne jusqu’à la porte de la Madeleine.

71 Le plan fut bien réalisé, puisqu’il fut examiné par le conseil général de la commune et que Fayot fut remercié et payé. AMT, 1D5, 4 et 16 août, 21 décembre 1791. On peut se demander si le plan conservé aux ADIL sous la cote V/1.1.5 n’est pas une carte générale (restée incomplète) de la cité élaborée à partir du travail de Fayot.

72 C. Petitfrère, « Les embarras financiers… », op. cit.

73 ADIL, C 329 et C 331. L’analyse ne tient pas compte des fluctuations de la valeur de la monnaie jusqu’à la stabilisation de la livre en 1726. Voir l’annexe VI pour connaître le détail des postes de dépenses fixés en 1689 et en 1787.

74 Il s’agissait de six rentes s’élevant à l’origine à 83 L. En 1787, ces rentes seront réduites à un total de 48 L.

75 Cette tradition remontait à l’époque reculée où la ville offrait le vin et le pain aux seigneurs, princes, princesses et maréchaux de France, et, lors de sa première entrée, à l’intendant ; elle présentait également des confitures sèches à sa dame. Cf. chap. VI.

76 AMT, CC 86.

77 J. Maillard, Le pouvoir municipal…, op. cit., et Ph. Guignet, Le pouvoir dans la ville…, op. cit.

78 Une pipe équivalait à 2 poinçons (environ 531,2 litres).

79 Le texte du 7 septembre 1722 avait porté la taxe à 12 sols 6 deniers par poinçon de vin de Touraine et à 1 L 17 sols 6 deniers par poinçon de vin « étranger ». Plus tard, l’édit de juin1725, confirmé par l’arrêt du Conseil du 11 janvier 1729, accorda à la Ville une augmentation devant lui permettre de racheter les offices de receveur et contrôleur. Les ecclésiastiques payaient la moitié de ces droits pour le vin de leurs bénéfices, à l’exception des carmes, cordeliers et augustins, totalement exemptés respectivement pour 50, 40 et 35 pipes. Quant aux « Jacobins, Feuillants, hôtel Dieu, hôtel de ville, les secrétaires du roi, leurs veuves et les vétérans », ils étaient exemptés pour « ce qui est nécessaire ».

80 Cf. chap. viii.

81 Un cotterêt est « un fagot de bois court et de moyenne grosseur, généralement fait avec du taillis ». M. Lachiver, Dictionnaire du monde rural, 1997.

82 Les chiffres de ce second octroi forment les plus belles séries comptables de tout le siècle. ADIL, C 27, C 28 et C 29.

83 ADIL, C 331 ; AMT, BB 70, 13 août 1765 (bilan financier établi à la demande de L’Averdy) ; AMT, CC 86.

84 Cette question sera abordée plus loin dans le développement relatif aux deux dernières décennies de l’Ancien Régime.

85 Au début du xviie siècle, la Ville louait par exemple le logement abbatial de Saint-Julien. En 1607, elle loua puis en 1630 acheta l’hôtel de la Bourdaisière pour 30 000 L de principal et 300 L de rente sous forme de vin.

86 La Ville loua le bâtiment à plusieurs particuliers, tout en continuant à assurer son entretien. La nomination du gouverneur d’Estaing ne bouleversa pas cette pratique, puisqu’il ne mit jamais les pieds en Touraine : le corps de ville put utiliser à loisir ce bâtiment, qu’il ouvrit un temps aux cours de dessins de Rougeot.

87 Avant 1758, la Ville louait la maison de l’archidiaconé de Saint-Martin, paroisse Saint-Venant. Désireux d’occuper le logement lui revenant, Benoît de la Prunarède pria, cette année-là, le commissaire départi de quitter les lieux : la décision fut alors prise d’acquérir trois hôtels particuliers, rue de la Scellerie, pour former le nouvel hôtel de l’Intendance. Le duc de Choiseul intervint pour dispenser la Ville d’une telle charge et l’hôtel fut finalement acquis par le roi : seul l’entretien restait au corps de ville, ainsi qu’une rente de 1 500 L à verser à l’oratoire. L. Boucheron, L’Hôtel de l’Intendance de Tours, 1928.

88 Ce pont, reliant Tours au Plessis, fut d’abord bâti en bois puis reconstruit en pierre entre 1554 et 1581.

89 Ces « Ponts-Longs », aménagés pour franchir la zone souvent inondée située entre le coteau et les rives du Cher, se composaient d’une levée alternant chaussées et arches maçonnées supportant des passerelles de bois. Leur fragilité nécessitait de fréquentes réparations. Ce n’est qu’en 1844 qu’un véritable pont sera aménagé pour relier Saint-Avertin à Tours d’une manière plus sûre. Sur ces ponts, cf. D. Boisseuil, Le pont sur la Loire à la fin du Moyen Âge, 1992 et BM Saumur, où les plans de ces ponts, établis par l’ingénieur Poictevin au tournant du xviie siècle, sont conservés.

90 Le toisé disparut en 1747 après avoir été communiqué à l’intendant Savalette de Magnanville. AMT, DD 4.

91 Ce droit, dont le nom viendrait d’une « petite enseigne en forme de barillet, qu’on mettait aux lieux où on devoit le passage », avait été institué en 1356 sous le titre de « Droits de péage ou de Barrage ». Levé sur plusieurs matières premières, il rapportait environ 900 L par an et servait à l’origine à l’entretien des fortifications. Devenue permanente, la taxe changea de destination en 1461 pour servir à l’entretien des voies, ponts et pavés des « banlieues ». Au xviiie siècle, elle ne pesait plus sur la denrée principale, le blé, et était payée par tous, à l’exception des habitants de la ville. Perçue aux portes de Saint-Étienne, Saint-Pierre des-Corps, Saint-Symphorien, Saint-Éloy et Sainte-Anne, elle était affermée à des particuliers pour une somme fixée par adjudication : le dernier bail, passé le 20 janvier 1740, se montait à la modique somme de 700 L par an. L. Benoît de La Grandière, op. cit.

92 AMT, BB 70, 13 août 1765.

93 En revanche, le pont aux Oies ne fit l’objet d’aucun chantier d’envergure et l’on se contenta de réparations de détail.

94 ADIL, C 27.

95 Ces tronçons totalisaient 5 566 toises : 1 585 toises pour la route de Tours en Espagne, 1484 pour la route de Tours à Vendôme, 1501 pour celle de Tours à Rouen et 996 pour celle menant au Mans. ADIL, C 27, mémoire de 1783.

96 La première adjudication de l’ensemble des ouvrages d’entretien des banlieues a lieu le 30 avril 1749 et est emportée par Thomas Bouchet père. Par la suite, c’est à ce dernier, puis à son fils, du même nom, que les contrats sont systématiquement confiés. La Ville paie les matériaux et les journées de travail des ouvriers au vu des mandements visés par l’ingénieur et par l’intendant, mais elle est toujours exclue de la vérification des travaux, visités par l’ingénieur seul. ADIL, C 331.

97 En 1744, Étienne Cléret emporte le marché pour six ans. À la suite de son décès prématuré, une seconde opération a lieu le 29 mai 1747, au terme de laquelle René Portier obtient le marché.

98 ADIL, C 181.

99 Ph. Guignet, Le pouvoir dans la ville…, op. cit., p. 199.

100 AMT, BB 69, BB 70 et ADIL, C 30, C 676. Cf. chap. i.

101 L’espoir mis par les édiles dans une vente rapide des biens de l’ancien receveur pour combler le déficit qu’il avait laissé fut déçu : l’argent récolté ne permit qu’un renflouage minime.

102 Sur les « vimères », fréquents en Touraine au xviiie siècle, cf. B. Maillard, Les campagnes…, op. cit., p. 46-50.

103 L’estimation était due au conseiller d’État Langlais, qui demanda davantage « de renseignements avant d’édicter des lettres patentes économiques [sic] », celles-là mêmes que L’Averdy avait promises et qui ne furent finalement jamais écrites. ADIL, C 331.

104 ADIL, C 331.

105 AMT, BB 70, 5 février 1766.

106 Cf. infra.

107 Du Cluzel propose une taxe, établie pour 30 ans, sur le vin et le bétail, payable par tous à l’exception des récollets, capucins et capucines. Mais, dans son courrier, il a la maladresse d’annoncer le coût de l’aménagement de la rue Neuve, ce qui provoque l’opposition immédiate des députés des paroisses.

108 AMT, CC 13, CC 16 et ADIL, C 27, C 843.

109 Cette restriction du nombre des exemptés provoque la colère de ceux qui étaient dispensés de payer les droits correspondant aux premiers octrois. Quelques officiers (de la monnaie, de l’élection et du bureau des finances) s’adressent à l’intendant et, se prévalant de l’exemption du vieil octroi, réclament celle des nouveaux droits. Le commissaire départi, par souci d’efficacité, renvoie systématiquement les dossiers aux édiles : ceux-ci maintiennent leur décision de ne privilégier personne et donnent eux-mêmes l’exemple à cette occasion. Cette fermeté est confirmée auprès des officiers de la maréchaussée, qui sollicitaient la même exonération. AMT, BB 76 et BB 80.

110 Une velte était une unité de capacité équivalant à 7,5 ou 8,5 pintes (9,7 à 11 litres).

111 Il n’y sera enregistré que le 29 mai 1776.

112 C’est à l’occasion de l’enregistrement de ces lettres patentes au parlement et à la cour des aides que le corps de ville de Tours contacta pour la première fois maître Basly, procureur au parlement, un officier qui restera le correspondant de la Ville auprès des administrations royales. Cf. chap. iv.

113 Ainsi, lorsque le parlement demanda un bilan certifié véritable des comptes municipaux, la municipalité, qui était en retard dans la reddition de ses comptes du fait de la déclaration de 1766, tenta de contourner la difficulté en envoyant un bilan provisoire. Peine perdue : le parlement exigea un mémoire cautionné par une assemblée de notables, ce qu’il obtint en août 1770. Si le parlement enregistra dès lors très vite les lettres patentes, le fastidieux parcours n’était pas fini, puisqu’il fallut encore obtenir l’enregistrement du texte par la cour des aides de Paris. Les démarches étaient sur le point d’aboutir lorsqu’on annonça la suppression prochaine de cette cour souveraine à la suite de la vaste réforme de Maupeou. Toutefois, le contretemps dura peu car, grâce à Louis Benoît de La Grandière, l’ancien maire de Tours, la Ville obtint que le conseil supérieur de Blois enregistre, dès le 22 août 1771, les lettres patentes.

114 ADIL, C 844 et C 846.

115 À la fin du Grand Siècle, ces droits étaient levés par des particuliers qui traitaient avec le corps de ville. De 1730 à 1753, la recette des octrois était faite en régie par le receveur municipal.

116 Par le traité du 16 juin 1753, le directeur des aides, Camet de Chauvigny, accepte la charge contre 15 deniers pour livre ce qui représente 22 000 L pour les deux octrois. L’adjudication des droits est renouvelée en janvier 1757.

117 Pour convaincre l’intendant, les édiles n’hésitent pas à fausser les chiffres. Ainsi, ils gonflent à 2 900 L la part retenue jusqu’alors par le directeur des aides pour lever les octrois de la ville. Cette part était en réalité moindre : en 1754, année de la meilleure rentrée d’argent du premier xviiie siècle (avec 34 782 L), elle ne monte qu’à 2 173 L. Au cas où les deux octrois procureraient plus de 30 000 L, ainsi que les édiles l’espéraient, la part des aides n’aurait été, de toute façon, que de 1 875 L.

118 Elle a été érigée en 1757 à la suite de l’achèvement de la levée de Grammont et de la démolition de la porte Saint-Étienne.

119 AMT, CC 13.

120 AMT, BB 78.

121 En 1772, la rétribution du receveur est de 1 787 L et en 1773 de 9 012 L ; le supplément est de 50 L.

122 AMT, CC 23. Ce changement dans les modalités de perception des octrois explique que la plupart des informations comptables retrouvées dans les Archives municipales s’interrompent en 1784. Sur l’arrêt du Conseil de 1785, cf. infra.

123 Elles-mêmes conséquence des entraves à la circulation des marchandises, comme la barrière douanière d’Ingrandes dont la Ville obtient la suppression en 1785. Sur les problèmes de la viticulture : B. Maillard, Les campagnes…, op. cit., p. 279-285.

124 Cf. chap. ix.

125 C. Petitfrère, « Les embarras financiers… », op. cit.

126 ADIL, C 331 et surtout AMT, CC 17.

127 D’autres renseignements relatifs à l’approvisionnement de la ville pourraient être tirés de l’étude systématique de la documentation consultée (AMT, CC 17). Ainsi, nous avons pu évaluer à 156 000 le nombre de poinçons de vin entrés à Tours en 85 mois (la ville comptait alors environ 21000 habitants), ce qui représente 1834 poinçons ou 487 171 litres par mois, près de 3 500 litres de bière mensuellement, 27 683 d’eau-de-vie et 9 296 de liqueurs, 103 bœufs, un millier de veaux, une centaine de porcs, 2 478 moutons, 142 charrettes de foin, 86 charrettes de bois à ouvrer et 1 160 de bois à brûler. Pour comparer avec le marché parisien à la même époque, cf. D. roche, Histoire des choses banales, 1997.

128 En dépit de l’arrêt du Conseil du 24 janvier 1764, qui interdit l’interruption de la perception alors même que la demande royale était satisfaite, la Ville suspendit la levée suivant le conseil de l’intendant.

129 La Ville remboursa difficilement : en août 1769, elle avait remboursé 12 223 L mais devait encore 20 951 L.

130 Cela lui permit de payer une dette de 43 032 L due à deux entrepreneurs en bâtiments, Bouchet et Coudreux. Elle versa également 1 575 L au receveur des tailles pour trois années d’arriérés, paya le logement du commissaire des guerres et de l’ingénieur en chef, et consacra le reste à rembourser les amendes infligées pour n’avoir pas apporté à temps son dû au régisseur des aides et avoir tardé à effectuer la reddition de ses comptes devant la chambre des comptes.

131 AMT, CC 13 et CC 16.

132 AMT, CC 16 (2e partie). Ainsi, au lieu de monter à 1 sol 3 deniers pour un poinçon de vin du pays et 3 sols 11 deniers pour le vin forain, le prélèvement était ramené à 1 sol 2 deniers et 3 sols 9 deniers. Ces différences ont été indiquées dans le tableau 10, sous les intitulés « calcul ville » et « calcul Ferme générale ».

133 Pour la forme, la Ville demande une dispense de ces droits, avant de céder en juillet 1773 : elle annonce aux contribuables la levée, à partir du 12 juillet, de ce sol pour livre manquant et fait imprimer un nouveau tarif les 1er septembre et 17 novembre 1773. Peu soucieux d’obéir rapidement, le corps de ville fait état, avec une mauvaise foi à peine camouflée, de difficultés techniques pour élaborer son tarif : comment exiger 8 sols pour livre sur des entrées inférieures à une livre ? comment prélever 8 sols par livre sur de très petites sommes perçues par la Ville au titre d’octrois ? La manœuvre ne réussit pas et la Ville doit finalement s’incliner.

134 Colbert avait été le premier à regrouper les fermes des différentes taxes perçues par le roi – gabelles, aides, entrées. Sur la Ferme au xviiie siècle : Y. Durand, Les fermiers généraux au xviiie siècle, 1971, et F. Clinquart, Les services extérieurs de la Ferme générale, 1995.

135 Ils utilisaient des quittances imprimées et timbrées. Leurs registres étaient cotés et paraphés par un subdélégué, tandis que ceux que tenaient les commis de l’hôpital général l’étaient par les officiers de la juridiction de l’élection.

136 Le premier tourniquet est installé en octobre 1758 à la porte de Saint-Pierre-des-Corps. Le 2 octobre 1790, un dispositif semblable est posé à la porte du Calvaire.

137 ADIL, C 80. Camet de Chauvigny portait les titres de secrétaire du roi et d’écuyer. Il mourut le 25 avril 1782 à l’âge de 82 ans et fut inhumé à Saint-Pierre-des-Corps. J.-X. Carré de Busserolle, Armorial de la Touraine, 1866 ; L. Boisnard, Dictionnaire des anciennes familles de Touraine, 1992. Membre d’une famille du Soissonais installée en Touraine au xviie siècle, Quinquet était écuyer, seigneur de la Bectière et de Rochepinard. Directeur des aides, de 1756 à 1781, à Angers puis à Tours, il rédigea un mémoire intitulé Sur les différents impôts qui se percevaient autrefois en Loire qu’il adressa à l’Académie des Sciences. Il mourut le 7 mars 1789. C. Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, 1878.

138 En 1774, la municipalité soutient les paroisses de La Riche extra, Saint-Pierre-des-Corps, Sainte-Radegonde et Saint-Symphorien extra contre les commis des aides, décidés à élargir le rayon de leurs activités. Elle étend notamment à ces paroisses les droits perçus au titre du don gratuit. Dans ce dossier, les villes de Blois, Chartres, Le Mans, Orléans, La Rochelle, Poitiers et Vendôme s’associent à Tours pour élaborer une contre-attaque collective. Finalement, Necker, contacté par l’intendant et par Choiseul, donne raison aux quatre paroisses limitrophes de Tours. AMT, BB 75 à BB 77 et ADIL, C 24.

139 Le conflit débute en 1779 pour s’achever en 1784. Il renaîtra en 1788. La municipalité, qui ne peut s’opposer à la décision royale qui donne raison aux aides, ne ménage pas ses critiques, craignant que les citadins n’arrachent les treilles de leur jardin. L’assignation en justice de quelques locataires de la Ville attise l’opposition des édiles, qui finissent par s’allier aux deux grands chapitres de Saint-Gatien et Saint-Martin.

140 AMT, BB 77, 3 juillet 1778.

141 Conscients de leur responsabilité, les édiles dépêchèrent le chirurgien Gravelat de l’Épine. Celui-ci, après des visites bi-quotidiennes au chevet de l’enfant, affirma ne pouvoir « dire quelle sera[it] la suite ». Le corps de ville demanda à Necker d’octroyer un dédommagement à la mère, jugée « estimable et pauvre ». AMT, BB 77, 12 août 1778.

142 Idem.

143 Ces promesses n’ont pas été entièrement tenues. Le 4 mai 1785, le corps de ville avoue en effet n’avoir pas rempli toutes les obligations prescrites, notamment celle de présenter au parlement les contrats des emprunts pour les faire homologuer.

144 AMT, BB 73, BB 74 et ADIL, C 332.

145 François Moisant est par ailleurs le frère de Charles Pierre, écuyer, seigneur de Chaix, conseiller du roi et avocat au bureau des finances de Tours, et le beau-frère de Michel Banchereau par son mariage avec Claude Banchereau. Fils de Justin, marchand, bourgeois, juge consul et échevin à la fin du xviie siècle, François Moisant épouse le 19 janvier 1722, à Saint-Pierre-le-Puellier, Catherine Girollet, fille de Noël, marchand bourgeois, et de Marguerite Pinon. Parmi leurs enfants, citons Antoine Noël, chanoine de Saint-Martin, et François Moisant-Quantin, négociant et échevin. Ce dernier épouse le 8 novembre 1734, à Saint-Pierre-du-Boile, Claude Banchereau, fille de Louis et de Madeleine Chaussé, sœur du maire.

146 Louis Baudichon épouse le 9 janvier 1747, à Saint-Saturnin, Catherine Charlotte Roze, fille d’Antoine et de Catherine Girollet. Il devient assesseur de l’hôtel de ville en juillet 1780 en remplacement de Moisant-Quantin et le reste jusqu’à son décès en novembre 1784.

147 AMT, BB 80, 30 mai 1785.

148 Cf. chap. viii.

149 Cf. chap. viii.

150 Cf. chap. vi.

151 Cf. chap. viii.

152 ADIL, C 27.

153 AMT, BB 77 et ADIL, C 27. Ils avancent un total choc de « plus de 10 millions [de livres] de banqueroutes [sic] ». Après avoir abondamment commenté la faillite de la maison Rohan à Paris et celle de Chaslon à Tours, ils évoquent la chute des créances et des rentes viagères.

154 Cf. chap.ix.

155 C. Petitfrère, « Les embarras… », op. cit.

156 AMT, CC 16 (2e partie) et ADIL, C 27.

157 AMT, BB 77 à BB 80. ADIL, C 27.

158 Lors de la répartition des impôts, les échevins usaient de critères approximatifs. De ce fait, il arrivait qu’un certain nombre de contribuables ne puissent pas payer leur quote-part, parce que leurs revenus avaient baissé par exemple. Ces sommes impayées, appelées « non valeurs », restaient à la charge commune : leur montant était reporté sur le rôle de l’année suivante, ou bien était acquitté par la Ville elle-même. Désireux de clarifier sa gestion financière, le corps de ville obtient, en 1787, que ces sommes soient désormais prises en compte dans le budget municipal.

159 Sur ce nouveau souci d’ordre philanthropique, cf. chap. vii et C. Duprat, Le temps des philanthropes, 1993.

160 Une comparaison de la répartition des dépenses entre le nouveau budget tourangeau et celui d’Angers est possible pour les années 1780 : cf. J. Maillard, Le pouvoir municipal…, op. cit., t. II, p. 28.

161 En 1689, cette charge existait déjà ; sa dépense avait été fixée à 300 L.

162 Au cours de cette même année 1787, la municipalité est sollicitée par l’Assemblée provinciale créée par l’édit de juin. Désireuse de faire le point sur la situation territoriale, démographique, économique et sociale de la province, celle-ci charge la Commission intermédiaire de Tours, émanation particulière de cette Assemblée provinciale, de recueillir les informations relatives à la navigation fluviale, aux défrichements, aux impositions, aux routes, etc. Les édiles de Tours s’empressent de répondre aux demandes de la nouvelle instance administrative, peut-être dans l’espoir de se voir déchargés d’une partie des 5 000 L imposées à la Ville pour l’entretien du pavé de la « banlieue ». De fait, la Commission intermédiaire provinciale accordera, le 3 avril 1790, une diminution de 5 700 L de ces frais. M. Bouloiseau et A. Buchoux, Les municipalités tourangelles, 1969 ; L. Boucheron, Les Assemblées provinciales de 1787 en Touraine, 1932.

163 Le texte de 1787 supprime les aumônes « extraordinaires ». Mais, lors du difficile hiver 1789, la Ville ne peut se satisfaire de la modique somme autorisée : elle s’en remet à un Bureau de bienfaisance pour récolter les fonds nécessaires à la lutte contre la pauvreté.

164 D’autre part, ce que ne dit pas ce texte de 1787, la Ville doit vendre certains patrimoniaux : c’est ainsi que furent sacrifiés les ormeaux des mails et le sanitas.

165 La documentation relative à la période révolutionnaire se limite aux registres des délibérations municipales (série 1D) : les conclusions d’ordre comptable y sont mêlées aux autres décisions.

166 Les seuls achats de blé ont coûté près de 126 000 L. Cf. chap. iii.

167 Les comptes des années 1788-1790 sont envoyés au District le 23 décembre 1790. Si, en 1791, le corps de ville transmet ses comptes de patrimoniaux et d’octrois séparément, les deux bilans sont présentés ensemble en 1792. La même année, la Ville procède au transfert de quelques postes de dépenses, comme celui des réverbères, passé sur les octrois.

168 À cette époque, le nouveau receveur, Julienne, établit une liste de toutes les sommes réglées par la Ville pour le compte du District ou du Département, sommes qu’il comptait bien récupérer. Cette initiative fut vivement encouragée par le conseil général.

169 La Ville devait rembourser ce prêt au fur et à mesure des rentrées d’argent dans la caisse patriotique, dont il était attendu 24 000 L.

170 Les pièces comptables de l’ancienne municipalité furent ensuite remises au greffe et archivées. En mars 1791, Audebert-Cartier présenta un état des comptes pour les années 1788-1790 ; en juillet 1791, Bourguin, celui des années 1786-1790.

171 Ces examens eurent lieu en mars-avril 1790 et le 30 octobre suivant.

172 La procédure sera en fait régularisée dans les mois suivants. Après un examen en hâte de ces comptes par le District, à la fin d’avril 1792, les officiers municipaux purent envoyer le tout au commissaire liquidateur, le 19 mai, via les députés d’Indre-et-Loire.

Table des illustrations

Titre Graphique 13 – Revenus du don gratuit levé à Tours de 1759 à 1766 : répartition par type de denrées (en %).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/5854/img-1.png
Fichier image/png, 37k
Titre Tableau 10 – Évolution des droits perçus aux portes entre 1665 et 1789 : octrois municipaux et sols pour livre cumulés.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/5854/img-2.png
Fichier image/png, 9,1k

© Presses universitaires de Rennes, 2007

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