1 Anstey (R.), The Atlantic Slave Trade and British Abolition, 1760-1810, Londres, MacMillan, 1975.

2 « Vous êtes des Hommes […], respectez l’humanité. Tout ce qui est humain doit retenir vos sentiments […]. Si vous êtes plus puissants que vos voisins, cela doit-il vous autoriser à les priver de leurs droits ? Vous êtes des Britanniques […]. Vous aimez la liberté. Est-il possible d’être britannique et de ne pas aimer la liberté ? Est-il possible d’aimer la liberté et de ne pas vouloir en même temps toujours qu’elle étende sa douce influence ? Avez-vous vu les vices et la destruction de Tyr et de Sidon ? Si des causes semblables produisent des effets semblables, où en sommes-nous ? Si le maître souverain de tous regarde les pleurs du prisonnier, écoute la voix du captif, les lamentations de la misère humaine […]. Si leur sang crie vers le ciel et réclame vengeance sur cette nation et si leur sang nous est demandé ! Oh ! Angleterre, Angleterre, les mots cherchent à décrire les horreurs de ta condamnation. Finalement, vous êtes chrétiens, et comme tels vous ne pouvez sans crainte justifier la traite » (cité par Quenum A., Les Églises chrétiennes et la traite atlantique du xv^e au xix^e siècle, Paris, Karthala, 1993, p. 210-211).

3 Deveau (J.-M.), Le commerce rochelais face à la Révolution. Correspondance de Jean-Baptiste Nairac 1789-1790, La Rochelle, Rumeur des Âges, 1989.

4 Le premier décollage de la traite française, au xviii^e siècle, s’effectue après 1712, se poursuivant jusqu’en 1755. Si l’on déflaque les années 1745-1747, la moyenne annuelle de cette période est de 33,5 départs. La seconde phase (1763-1778) est plus régulière et atteint un niveau moyen plus élevé (50,8 expéditions). La dernière (1783-1792) est celle d’un spectaculaire essor : 1 009 expéditions en dix ans, soit une moyenne de 100,9 par an.

5 Debien (G.), Les colons de Saint-Domingue et la Révolution. Essai sur le club Massiac, Paris, Armand Colin, 1953.

6 Archives départementales de Loire-Atlantique (désormais A.D.L.A.), 6 JJ27.

7 Il s’agissait en fait d’effrayer les lecteurs, de pousser ainsi à une prise de conscience et aux changements jugés nécessaires par les réformateurs du système colonial. Une révolte massive allait à l’encontre des principes mis en avant par les abolitionnistes. Et, malgré les nouvelles venant de Saint-Domingue, Brissot lui-même fut tout d’abord incrédule (Trouillot M.R., « From Planters Journals to Academia : the Haitian Revolution as Unthinkable History », Journal of Caribbean History, 1991, 1-2, p. 81-99).

8 Le 15 mai 1791, l’Assemblée accordait une demi-mesure, l’égalité civique aux mulâtres nés de parents libres. C’était encore trop pour les colons. Leur mobilisation conduisit à ce que Paris se dessaisisse de l’affaire. Et le premier juin liberté était laissée aux assemblées coloniales, afin de délibérer sur la question de l’état des « personnes non libres ». Quant à la question de la traite, posée également devant l’Assemblée, le 8 mars 1790, elle fut éludée. Il fallut attendre le 27 juillet 1793 pour que les primes destinées à la stimuler soient supprimées.

9 C’est en 1802 que Sylvain Golbéry publie ses Fragments d’un voyage en Afrique. Ils contiennent des observations effectuées à la fin des années 1780. L’essentiel des notes originales, écrit Seymour Drescher, relève d’un moment où les images positives de l’Afrique noire étaient à la mode. D’autres passages décrivant les Noirs comme des sauvages ont été probablement ajoutés avant la publication, écrit-il, dans l’atmosphère de négrophobie causée par la révolte de Saint-Domingue (Drescher S., « The Ending of the Slave Trade and the Evolution of European Scientific Racism », Social Science History, 1990, p. 415-450).

10 Bégot (D.), « À l’origine de l’imaginaire de violence à Saint-Domingue : insurrection servile et iconographie », Martin (M.-L.) et Yacou (A.) (éd.), Mourir pour les Antilles, Paris, Éditions Caribéennes, 1991, p. 95-133. Voir aussi, dans le même ouvrage, Cabanis (A.) et Martin (M. L.), « L’indépendance d’Haïti devant l’opinion publique française sous le Consulat et l’Empire : ignorance et malentendus », (p. 221-237).

11 Sur ces questions, voir notre L’argent de la traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle, Paris, Aubier, 1996, chap. iv, ainsi que Les négoces maritimes français xvii^e-xx^e siècle, Paris, Belin, 1997, chap. iv et v.

12 Bénot (Y.), La Révolution française et la fin des colonies, Paris, Maspero, 1987.

13 Pour un aperçu des débats relatifs à cette question encore très controversée, voir notre « Révoltes et révolutions : le prisme de l’esclavage colonial », Poussou (P.) (dir.), Le bouleversement de l’ordre du monde. Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques à la fin du xviii^e siècle, Paris, Sedes, 2004, p. 253-294.

14 Archives départementales de Loire-Atlantique (ADLA) C 626.

15 Adresse de la Société des Amis des Noirs à l’Assemblée Nationale, à toutes les Villes de Commerce, à toutes les Manufactures, aux Colonies, à toutes les Sociétés des Amis de la Constitution. Adresse dans laquelle on approfondit les relations politiques et commerciales entre la Métropole et les Colonies, etc. Rédigée par E. Clavière, Membre de cette Société, 2^nd éd., revue et corrigée, Paris, Desenne et Bureau du Patriote Français, 10 juillet 1791, in-8°, XXVIII, 318 p. (reproduit dans La Révolution française et l’abolition de l’esclavage. Textes et documents, Paris, EDHIS, 1968, t. IX).

16 « Nous n’en fûmes jamais coupables », dit-il, car « jamais nous n’avons regardé les droits de l’homme comme contraires à la conservation momentanée de l’esclavage, tant qu’elle a pour motif l’intérêt des opprimés ». Ce qu’il faut, c’est préparer « avec sagesse l’entière abolition » d’un « régime de fer » contraire à la prospérité des colonies. « La conservation des vertus sociales, la politique de la liberté et l’intérêt de l’humanité » demandent d’œuvrer dans ce sens (p. 29).

17 Les italiques sont de Clavière (p. 151).

18 Clavière, en cela, reprend une thématique chère à l’abbé Raynal pour qui les « Créoles », en fait les propriétaires nés dans les îles, quelle que soit la couleur de leur peau, seraient les plus indiqués pour éclairer la métropole sur les vrais besoins des colonies (une fois qu’ils seraient passés en métropole afin de parfaire une éducation tronquée par les vices inhérents au système esclavagiste).

19 C’est en octobre 1789 que fut débattue la question du décret dit du marc d’argent instituant un suffrage censitaire. Lors des débats, Cazalès s’était ainsi exprimé : « Le négociant est citoyen du monde entier et peut transporter sa propriété partout où il trouve la paix et le bonheur. Le propriétaire est attaché à la glèbe, il ne peut vivre que là, il doit donc posséder tous les moyens de soutenir, de défendre et de rendre heureuse son existence. » Conclusion : il faut, outre un certain revenu, favoriser ceux disposant d’une propriété foncière (cité par Chaussinand-Nogaret G., Histoire des élites en France, du xvi^e au xx^e siècle, Paris, Tallandier, 1991, p. 272). Des arguments de même nature furent formulés à l’occasion de la redéfinition du suffrage censitaire, sous le Directoire.

20 Noirs, « basanés et blancs sont égaux au regard de Dieu » (p. 40) ; les esclaves noirs sont des hommes (p. 42). « Nous croyons bien que tous les hommes naissent libres et égaux en droits, quelle que soit la couleur de leur peau, quel que soit le pays où le sort les fasse naître. Nous croyons bien que nul homme ne peut aliéner sa liberté, que nul homme ne peut, sous quelque prétexte que ce soit, ravir la liberté de son semblable » (p. 108-109). Sur l’opposition entre un commerce intérieur producteur de richesses « réelles » et un commerce extérieur favorisant l’accumulation de richesses « relatives », voir l’entrée « commerce » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

21 « Et sous quel prétexte voudrait-on que l’Assemblée nationale se dépouillât de la plénitude du pouvoir législatif sur les colonies ; qu’elle renonçât surtout, à statuer de sa pleine science et autorité sur l’état des personnes ? Sous le prétexte de la localité… Certes, voilà une merveilleuse raison ! Les localités serviront à mesurer le degré de liberté pour certaines classes d’hommes ! » (p. 13). Elle est « absurde, elle est barbare, cette raison tirée des localités, c’est un criminel subterfuge de l’intérêt particulier » (p. 14).

22 Signe de son efficacité, l’accusation est utilisée par les deux camps. Dès la première note de l’introduction à son texte, Clavière indique qu’il « est nécessaire de raconter un fait qui prouvera combien les colons ont été adroits pour saisir et inventer tous les moyens de décrier la société des amis des noirs. On sait que le côté droit, ou aristocratique, de l’assemblée nationale, a été appelé côté des noirs ; sans doute à cause de la robe noire portée par M.M. du ci-devant haut clergé. Plusieurs habitants des colonies, ne devinant pas, à 1 500 lieues, la cause de cette dénomination, ont confondu la société des amis des noirs avec le parti des noirs de l’assemblée nationale ; c’est-à-dire avec les aristocrates ; et de là, à ce qu’on nous a assuré, est venue la haine de beaucoup de personnes contre cette société. Cette erreur a été très habilement saisie et entretenue par quelques députés colons » (p. V).

23 Les colons « exerceraient (ainsi) une aristocratie concentrée, dont l’Assemblée nationale serait toujours entraînée à sanctionner les décrets » (p. 4). Ils veulent « faire la loi à l’Assemblée nationale » et obtenir, pour les colonies, « des prérogatives constitutionnelles qui (leur) tiendraient lieu d’une indépendance absolue, en attendant des événements plus propres à les dégager de tout lien » (p. 6-7). Ou encore : « À qui appartiennent les colonies ? S’agit-il d’une nation étrangère, qui, libre de se donner des maîtres, s’offre à la France sous certaines conditions ? » (p. 10).

24 Sur les étapes de la traite illégale nantaise et sur le milieu négrier de cette ville, voir notre Nantes au temps de la traite des Noirs, Paris, Hachette, 1998 (Hachette, Pluriel, 2007), chap. 5.

25 Daget (S.), La France et l’abolition de la traite des Noirs de 1814 à 1831. Introduction à l’étude de la répression de la traite au xix^e siècle (thèse, Paris, 1969), Archives et Documents, Paris, Institut d’ethnologie, 1982.

26 Du fait de la disparition de l’exclusif, des expéditions négrières peuvent désormais plus facilement être préparées à partir des Antilles et du Sénégal.

27 Daget (S.), Répertoire des expéditions négrières françaises à la traite illégale, 1814-1850, Nantes, CRHMA, université de Nantes, 1988 ; La répression de la traite des Noirs au xix^e siècle. L’action des croisières françaises sur les côtes occidentales de l’Afrique, 1817-1850, Paris, Karthala, 1997.

28 L’âme d’un marin « aime à s’élever au niveau des périls qu’il a tant de fois affrontés et à grandir avec les périls qu’il prévoit encore. Viennent les Anglais et les tempêtes, me disais-je, je porte et je sens en moi assez de force et de résolution pour leur faire face et leur tenir tête. Avec un vaillant capitaine, un bon navire et l’Océan devant nous, qu’avons-nous à redouter de plus cruel que les épreuves dont nous venons de triompher ? Et en effet, tous les marins dès qu’ils ont le pied en mer et qu’ils ont perdu la vue énervante des côtes, se croient rentrés dans un asile privilégié et dans le sein d’un sanctuaire inviolable ». Et encore : « La traite est proscrite, me dis-je, moi ; tant mieux, c’est le moment de la tenter, et au plaisir d’entreprendre un commerce périlleux, je joindrai le bonheur d’enfreindre la loi proclamée si solennellement par toutes les Puissances ! » (Corbière E., Le négrier, présenté par François Roudaut, Paris, Klincksieck, 1990, p. 181, 277). Sur Corbière, voir Guivarc’h (M.), « Le Négrier d’Édouard Corbière, ou comment un romancier en vient à défendre la traite », Pétré-Grenouilleau (O.) et Nicolas (B.) (dir.), Lorient, la Bretagne et la traite xvii^e-xix^e siècles, Cahier du Musée de la Compagnie des Indes, 9/10, Port-Louis, 2006, p. 124-135.

29 Voir Le Garrec (E.), Le débat sur l’abolition de la traite des Noirs en France (1814-1831). Un reflet de l’évolution politique, économique et culturelle de la France, maîtrise d’histoire contemporaine, université de Lorient, 2003.

30 La force de cette combinaison s’explique par l’existence d’un lobby souhaitant reconstituer un semblant d’empire colonial (essor des relations avec la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion ; vœux relatifs à l’essor du Sénégal et de la Guyane). Il est composé d’armateurs (ainsi Admiral et Dufort, de La Rochelle), mais aussi du baron Portal. Bordelais, ancien armateur et président de la Chambre de commerce de sa ville, Portal devient directeur supérieur des colonies au début du règne de Louis XVIII, avant de recevoir le portefeuille de la marine, en 1818. Le tout est soutenu par des militaires, très écoutés dans les Chambres, attachés au retour du système colonial pour des raisons stratégiques.

31 Moniteur universel, 22 février 1831, p. 363, colonne C. Mentionné par Le Garrec (E.), op. cit., p. 170-171.

32 C’est ainsi, ajoute t-il, « que par l’assistance mutuelle des colonies et de la marine, notre commerce extérieur pourra s’étendre dans l’intérêt même de notre industrie et de notre agriculture » (Moniteur universel, 29 juin 1821, p. 955 ; Le Garrec E., p. 175). Ce qui me semble important est ici de constater l’inversion des préoccupations, par rapport à l’époque révolutionnaire.

33 Kielstra (P. M.), a montré que les diplomates britanniques étaient parfaitement conscients de cette situation et qu’ils ont parfois essayé d’agir afin que leurs confrères français ne soient pas trop mis en porte-à-faux, en matière d’abolitionnisme, vis-à-vis de leur opinion publique (The Politics of Slave Trade Suppression in Britain and France, 1814-1848. Diplomacy, Morality and Economics, Londres, MacMillan, 2000) : « The two governments […] danced a complicated step : Paris conceding the necessary minimum ; London pressing her to keep earlier promises and perhaps give more or, only in later years, retreating in extremis ; both privately exchanging information to use to appease the other’s population, while taking care not to embarrass their counterparts » (p. 1).

34 Si l’extrait ci-dessous est un petit morceau de bravoure, l’idée est alors très répandue. Voici, à titre d’exemple, ce que l’on pouvait lire, en 1816, dans les Annales de la Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure (p. 2-12) : « L’Angleterre est parvenue à détruire notre commerce en s’emparant de nos colonies, en protégeant l’insurrection de Saint-Domingue, en nous interdisant la traite des Noirs, sous le vain prétexte d’une humanité particulière qui n’est qu’un masque puisque dans l’Inde elle exerce un despotisme bien plus cruel que l’esclavage des nègres […]. L’Angleterre […] depuis longtemps, médite la ruine entière de la France […]. Elle a détruit la permission de continuer la traite pendant cinq ans, à partir de 1814, alors qu’elle l’accorde à l’Espagne et au Portugal. La raison de cette politique est facile à découvrir. Le commerce de l’Espagne ne lui fait pas ombrage, et elle prête la main à l’indépendance de ses colonies. Quant au Portugal, elle le regarde comme son tributaire, et c’est la France qu’elle veut détruire. »

35 Fitz-James, Annales maritimes et coloniales, 2^nd part., t. 1, 1827, p. 614-615.

36 On notera que c’est cette même idée, auréolée de vertus « civilisatrices » qui s’affirme également, au xix^e siècle, en matière de représentations de liens entre la France et l’Afrique noire et qui, à l’époque de la III^e République, semble avoir joué un rôle au moins tout aussi important (sinon bien plus) que les questions purement économiques en matière de politique coloniale ; Pétré-Grenouilleau (O.) (dir.), From Slave Trade to Empire. Europe and the Colonisation of Black Africa 1780s-1880s, Londres, Routledge, 2004, notamment p. 157-184.

37 « La traite est très souvent qualifiée d’atteinte à l’humanité. L’expression revient trente-deux fois dans les discours de 1827 », écrit E. Le Garrec. Elle « désigne à la fois le genre humain dans son ensemble et l’humanité qui réside en chacun, en tant que chacun est membre de cette humanité […]. Une fraternité au sens chrétien […] ou au sens laïc du terme, héritage de la Révolution » (Le débat sur l’abolition…, op. cit., p. 148 ; termes italiques soulignés par moi). Parmi les facteurs facilitant le lien entre l’idée de progrès et le christianisme figure l’assimilation entre civilisation européenne et chrétienté.

38 Notamment le double jeu de l’Angleterre, qui défend ses intérêts, en même temps que la morale.

39 De Gères, Annales maritimes et coloniales, 2^nd part., t. 1, 1827, p. 743-752.

40 « […] de siècle en siècle, les princes de cette même famille (surent conduire la nation française) à la pratique de tous les sentiments élevés et de toutes les vertus généreuses », Molé, ministre de la Marine et des Colonies, Moniteur universel, 12 mars 1818, p. 319, col. B (Le Garrec L., op. cit., p. 44).

41 Nulle raison donc, à propos des abolitionnistes, comme le rappellent justement A. Cabanis et M. Martin, d’opposer le primat des grands principes à la prise en compte des réalités économiques (« La question économique et l’abolition de l’esclavage dans le discours révolutionnaire, 1791-1794 », Martin M. et Yacou A., De la Révolution française aux révolutions créoles et nègres, Paris, Éditions caribéennes, 1989, p. 69-81). À la différence des historiens d’aujourd’hui, soucieux de percevoir ce qui pouvait être le plus déterminant parmi les motifs poussant à l’abolition, les contemporains ne différenciaient pas forcément principes moraux et utilitarisme. « L’économie morale » avait, à leurs yeux, toute sa signification. C’est parfaitement évident dans le texte de Clavière étudié plus haut.