1 Nous qualifierons ici de discours abolitionniste tout argumentaire exprimé dans les Chambres des députés et des pairs en faveur de l’abolition de la traite des Noirs ou en défense des projets de loi d’abolition de la traite, en 1818, 1821, 1827 et 1831.

2 Voir Chevalier ( L.), Classes laborieuses et classes dangereuses, Paris, Hachette, 1984, 729 p. (1^re édition Librairie générale française, 1978) ; Foucault (M.), Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, 360 p. et Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961, 683 p.

3 Cet article est fondé sur l’analyse exhaustive des débats parlementaires relatifs aux colonies et à l’abolition de la traite des Noirs entre 1814 et 1831. La comparaison avec les classes laborieuses de métropole a été effectuée à partir de la littérature secondaire, particulièrement étoffée en la matière. Voir notamment Duprat (C.), Usage et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social, à Paris, au cours du xix^e siècle, Paris, Comité d’Histoire de la Sécurité sociale, 1997, 1 393 p.

4 Dans le débat sur la seconde loi d’abolition de la traite des Noirs (1827), les orateurs condamnent implicitement les rigueurs de l’esclavage chaque fois qu’ils suggèrent qu’il devrait être plus doux. C’est le cas des pairs Laîné, Dubouchage, De Broglie, des députés Martignac, Hyde de Neuville, Gaillard de Kerbertin, Martin du Nord, du ministre Chabrol de Crousol.

5 En fait, les travaux de H. S. Klein ont montré que l’incapacité des populations esclaves à se maintenir était due à la traite, responsable d’un fort déséquilibre entre les sexes, et donc d’un déficit des naissances. L’arrêt de la traite permettait de retrouver une croissance naturelle : « Once the trade ended and the ratio of Africans to native-born slaves declined, the population stopped declining and positive growth rates were experienced » (Klein H.-S., The Atlantic Slave Trade, Cambridge University Press, 1999, p. 167-168). Les contemporains envisageaient le problème différemment. Le solde naturel négatif était pour les abolitionnistes le résultat de mauvais traitements et, pour les adversaires de l’abolition, la conséquence de caractères propres à la population servile. L’estimation de la dépopulation annuelle oscille entre 5 % et 6 % selon les parlementaires. Voir le débat sur le projet de loi d’abolition de la traite des Noirs de 1827 dans les Annales maritimes et coloniales, II^e partie, t. 1, 1827, p. 549-773.

6 Laîné : « Ainsi l’effet de la loi sera d’adoucir l’esclavage, de multiplier les bras par un régime plus doux » (Annales maritimes et coloniales, II^e partie, t. 1, 1827, p. 624) ; Dubouchage : « […] de rectifier les idées de nos colons et d’arrêter par de sages règlements une dépopulation qui porterait rapidement le coup de mort à nos colonies » (Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 598) ; Hyde de Neuville : « Mais portons, Messieurs, nos regards sur d’autres parties de l’Amérique, et nous verrons que moins l’esclavage est dur et sévère, plus la population noire se soutient » (Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 734-735) ; Martignac : « […] favoriser surtout la reproduction des races noires en augmentant leur bien-être » (Ann. Mar. Col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 682).

7 Chevalier (L.), p. 549-557.

8 Ibid., p. 560-563.

9 Balzac, La fille aux yeux d’or, 1834, cité par Chevalier (L.), p. 636.

10 Boulle (P.-H.), « La construction du concept de race dans la France d’Ancien Régime », Outre-Mers, 2^e semestre 2002, p. 155-175.

11 Chevalier (L.), p. 673-674.

12 Sue (E.), Les Mystères de Paris, 1842-1843, cité par Chevalier (L.), p. 86.

13 Le Courrier français, 15 septembre 1842, cité par Chevalier (L.), p. 650.

14 Buret, De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, livre III, chap. 10, p. 625, édition de Bruxelles (terme en italique souligné par nous) ; cité par Duprat (C.), p. 1228. Eugène Buret fut le premier à employer le terme « barbare » pour désigner les classes miséreuses dans le Journal des Débats en 1830. Il fut distingué par l’Académie des sciences morales en 1839 pour le mémoire qui servit de base à son livre publié en 1840 (De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France). Cet ouvrage novateur est très largement inspiré par la démarche et les matériaux des philanthropes. Cependant C. Duprat qualifie ses conclusions de « révolutionnaire(s) » (p. 1226). Buret dénonce en effet l’aveuglement des philanthropes à propos des causes des maux de la classe ouvrière. Il affirme que la déchéance morale des ouvriers est un symptôme résultant des conditions économiques et politiques, et non l’inverse.

15 Buret, cité par Chevalier (L.), p. 594-595.

16 Buret, cité par Duprat (C.), p. 693.

17 Devaux, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 696. Il ne critique d’ailleurs pas seulement la traite mais aussi l’esclavage.

18 Martignac, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 681. Nous soulignons.

19 Si l’esclave est comparé au prisonnier privé de liberté, il est toutefois notable que Buret n’associe pas les colons aux maîtres d’apprentissage, mais plutôt les négriers. Il est vrai que dans le langage courant contemporain, on assimile esclavagiste à négrier, et non pas à colon dans le sens de propriétaire d’esclaves.

20 Buret, cité par Duprat (C.), p. 693. Le travail de l’esclave comme celui de l’ouvrier de manufacture ont des points communs, notamment dans la division des tâches, la discipline, la productivité. Voir à ce sujet les comparaisons effectuées en Angleterre entre le travail industriel et celui de la plantation dans Drescher (S.), The Mighty Experiment. Free labor versus slavery in British emancipation, New York, Oxford University Press, 2002, 307 p.

21 Vaublanc, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 685.

22 Se reporter à notre essai de recension des ouvrages et textes imprimés publiés en France sur la question des colonies, de la traite et de l’esclavage entre 1814 et 1848 (à paraître).

23 Barbé-Marbois (dans son discours reproduit dans le Moniteur Universel, séance du 23 janvier 1827, p. 106, col. A), Vaublanc (Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 687), et Martignac (Ann. Mar. Col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 753). Les autres sont les pairs Dubouchage, Fitz-James, Kergorlay, les députés de Gères, Hyde de Neuville, Reveillère, et le ministre Chabrol de Crousol.

24 « Ce que je viens de dire de l’esclavage, peut-on le dire de bonne foi de la traite ? Peut-on le dire de l’acte qui consiste à enlever de vive force, à séparer de leur sol natal, de leurs proches, de leurs familles, des hommes, des hommes sauvages, violents, brutaux, si l’on veut, mais enfin des hommes, des créatures de Dieu comme nous, pour les réduire à la condition de bêtes de somme ? », souligné par nous (De Broglie, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 653). Notons que la transformation des hommes en brutes est également déplorée à propos des ouvriers par Buret : « Mais si vous le ravalez par ses fonctions et la grossièreté de ses besoins à la condition de la brute, il protestera par l’ivrognerie, par le suicide moral, contre l’existence animale qu’on lui aura faite. », souligné par nous (Buret, De la misère des classes laborieuses…)

25 Le Journal des Débats, 8 décembre 1831.

26 Rapport de police du 21 octobre 1828, Chevalier (L.), p. 439.

27 Chevalier (L.), p. 121.

28 Il suffit à Victor Hugo, dans les Misérables de mentionner les noms de quelque criminel célèbre, ou de certains endroits comme la place de Grève, pour susciter la peur, chez ses lecteurs (Chevalier L., p. 203-204).

29 « Maintenez la traite, Messieurs, tolérez-là seulement, souffrez qu’elle existe ostensiblement ou par fraude, et soyez certains que la population noire de nos colonies continuera de se renouveler de dix en dix ans, toujours composée de nègres indomptables à toute civilisation, et constamment prête à la révolte et au massacre », De Broglie, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 654-655.

30 Buret, cité par Chevalier (L.), p. 595.

31 L’ampleur du projet de transformation varie selon les parlementaires. Certains souhaitent uniquement une pacification sociale et comportementale, d’autres vont jusqu’à demander la représentativité politique dans les colonies, voire l’affranchissement des esclaves, pour une normalisation juridique. Ainsi, la métropole sert-elle de modèle, mais tous les abolitionnistes ne souhaitent pas forcément faire des colonies l’image exacte de la métropole.

32 Devaux, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 694-695-696.

33 Chevalier (L.) p. 606.

34 Notons que la femme, comme vecteur de transmission des valeurs religieuse et de l’éducation, est absente du discours abolitionniste sous la Restauration. L’esclave y apparaît comme une figure type, asexuée et sans âge.

35 Voir Gisler (A.), p. 58-61.

36 En 1827, le pair De Broglie, les députés Devaux, Hyde de Neuville, Martignac, les ministres Chabrol de Crousol, et d’Argout en 1831, proposent ce remède.

37 Voir Duprat (C.), 3^e partie, notamment le chapitre « La Famille », p. 581-765.

38 Dupart (C.), p. 602-603.

39 Ibid., p. 605. Des abolitionnistes pensaient également que les Noirs avaient naturellement une fécondité élevée, pouvant être inquiétante si elle n’était pas contenue dans le cadre de l’esclavage. En 1827, le pair Barbé-Marbois indique que les affranchissements ne posent pas de problème dans les États du Nord des États-Unis, car les esclaves y sont en nombre limité et le climat n’est pas favorable à leur reproduction. En revanche, dans les États méridionaux, le nombre des esclaves est redoutable puisqu’il approche celui des Blancs et que « le climat favorise l’accroissement de la population ». Influencés par la théorie ancienne des climats (la chaleur étant censée avoir une influence sur le relâchement des mœurs et par conséquent la natalité), ces propos renvoient à la peur d’un envahissement démographique, d’un dépassement de la « civilisation blanche » par la « nature ». On notera des points communs entre comportement démographique exubérant et luxuriance végétale (discours de Barbé-Marbois retranscrit dans le Moniteur Universel, 23 janvier 1827, p. 106, col. B).

40 Dupont-White, Société de la Morale chrétienne. Assemblée Générale du 22 avril 1830, p. 23-24, cité par Duprat (C.), p. 739.

41 Voir à ce sujet Weissbach (L.S.), Child Labor Reform in Nineteenth Century France. Assuring the Future Harvest, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1989, 268 p. (not. p. 85-88).

42 Voir Oudin-Bastide ( C.), Travail, capitalisme et société esclavagiste. Guadeloupe, Martinique (xvii^e-xix^e siècles), Paris, La Découverte, 2005, not. « Moraliser les nègres », p. 317-336.

43 Devaux, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 694-695-696.

44 Chabrol de Crousol, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 727.

45 Martin du Nord, Moniteur Universel du 4 avril 1831, p. 236, col. A.

46 Chabrol de Crousol, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 725.

47 Chez les Doctrinaires et les libéraux, le mérite individuel autorise l’exercice de fonctions : le vote et le gouvernement. L’égalité civile ne revient pas à l’égalité des qualités, et le mérite de certains individus rend légitime leur place dominante dans la société. L’égalité civile elle, constitue l’ouverture nécessaire à l’accès des méritants à la fonction leur revenant du fait de leurs qualités (Rosanvallon (P.), Le moment Guizot, « La nouvelle aristocratie », p. 107-120. Voir également p. 116 l’incarnation de ce principe dans la Société de la Morale chrétienne).

48 De Broglie, Ann. mar. col., II^e partie, t. 1, 1827, p. 632-633. Je souligne.

49 Le débat sur l’abolition de la traite des Noirs est légèrement antérieur, en France, à l’irruption de la question sociale, mais plusieurs siècles de discours antérieurs sur le pauvre ne peuvent être oubliés, et nombre d’abolitionnistes membres de la Société de la Morale chrétienne ont, sous la Restauration, milité en parallèle pour l’extinction de la pauvreté.

50 Sur la multiplicité des activités, les différents comités et les membres qui les composaient, se référer à Duprat (C.), p. 516-544 et à Jennings (L. C.), French Anti-Slavery, Cambridge University Press, 2001, p. 8-15

51 À propos de l’importance de l’idée de régénération dans la Révolution française, voir l’article « Régénération » de Ozouf (M.), Dictionnaire critique de la Révolution Française, Paris, Flammarion, 1988, p. 821-830. En ce qui concerne la place de ce concept dans les projets de colonisation en Afrique, on se reportera à Manchuelle (F.), « The Regeneration of Africa. An Important and Ambiguous Concept in 18^th and 19^th Century French Thinking about Africa », Cahiers d’Études Africaines, 1996, p. 559-588.