Les ermites des forêts du Maine entre Bretagne et Normandie
p. 215-240
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Texte intégral
« Il y avait alors, aux confins du Maine et de la Bretagne, de vastes solitudes, telle une seconde Égypte, où fleurissait une multitude d’ermites, hommes saints renommés pour l’excellence de leur religion, et qui vivaient dans des cellules dispersées... »
1écrit, vers 1140, Geoffroy le Gros dans sa Vie de saint Bernard de Tiron1. Cette grande étendue forestière s’étend alors de façon presque continue des lisières de la Beauce au bassin de Rennes et de la campagne d’Alençon à la Touraine.
2C’était encore, au début du xxe siècle, selon le professeur René Musset, une
« véritable marche forestière, presque continue au Moyen Âge et subsistant encore en grande partie : au-dessus de la plaine d’Alençon, la forêt d’Écouves, couvrant les crêtes de grès armoricain, interrompt les communications. Plus au sud, l’âpre pays que la Sarthe entaille, entre Saint-Céneri et Fresnay, reste parsemé de bois : à l’ouest, c’est la vaste forêt de Pail, aussi haute, aussi impénétrable que la forêt d’Écouves ; à l’est les bois de Vaux, d’Assé, de Saint-Léonard-des-Bois, jadis beaucoup plus étendus et sans doute à peu près continus ; puis venait une grande zone boisée, couvrant d’un manteau presque ininterrompu les croupes des Coëvrons et le canton accidenté de la Charnie ; enfin au-delà de l’Erve, la grande forêt de Bouère, aujourd’hui à peu près entièrement défrichée2 ».
3Cette très vieille frontière historique, séparant le Maine de la Bretagne était une région à peu près vide d’habitants. Elle est restée jusqu’à l’époque féodale à l’abri des invasions, des guerres et des raids vikings. L’abbé Angot3 et Gustave de Lestang4 affirment que les seules incursions avérées des pirates du Nord eurent lieu dans le Haut-Maine, où des abbayes, à défaut de villes, furent probablement pillées. Quant aux troupes bretonnes ce sont plus au sud les riches contrées de l’Anjou qui les attiraient davantage et qui servaient de lieu de confrontation avec les armées royales. Le Craonnais, dans le sud de la Mayenne, fut ainsi quelque temps breton, sous le règne de Nominoé. Et c’est en assiégeant Château-Gontier, possession du comte d’Anjou, Geoffroy le Barbu, que le duc de Bretagne, Conan II, adversaire de Guillaume le Conquérant, trouva la mort en 1066.
4Du côté de la Bretagne, la principale forêt est celle de Fougères, aujourd’hui considérablement réduite, mais qui s’étendait aux xie et xiie siècles jusqu’à Savigny au nord et Saint-Mars-sur-la-Futaie au nord-est. Elle se prolongeait au sud par celles de La Guerche et de Craon5.
5Les limites entre Normandie et Bas-Maine sont occupées par le Passais. Cette région frontalière et forestière a été âprement disputée entre les ducs normands et les comtes du Maine. Les redoutables seigneurs de Bellême en prirent le contrôle au début du xie siècle. Guillaume le Conquérant l’annexa politiquement à la Normandie, tandis qu’au plan religieux le doyenné de Passais continua de dépendre du diocèse du Mans. Le Passais n’était alors qu’une vaste forêt dont le premier centre de défrichement au début du xie siècle prit le nom et devint le chef-lieu (aujourd’hui Passais-la-Conception), avant de s’effacer, dans le second quart du siècle, devant le château et la ville de Domfront, créations de Guillaume de Bellême.
6Cette frontière méridionale de la Normandie, formée de croupes granitiques et schisteuses qui s’allongent d’est en ouest, d’Alençon à Mortain, est couverte à l’orient par la forêt d’Andaine, à l’occident par celles de la Lande Pourrie et de Mortain. Toutefois du nord au sud les passages sont facilités par la vallée de la Varenne qui relie Domfront à Mayenne et par celle de la Cance qui franchit la barre rocheuse de Mortain.
7Des régions ligériennes, trois voies donnent accès au Bas-Maine : les vallées de la Mayenne et de l’Erve entre les forêts de Charnie et de Bouère, et celle de la Vègre entre les Coëvrons et la Charnie. Dans cette dernière zone de passage, se glissa la voie romaine reliant Jublains au Mans et un peuplement ancien se fixa autour de Sillé-le-Guillaume et d’Évron.
8Dans cette vaste zone de confins forestiers, les châteaux, les bourgs et les villages sont encore peu nombreux à la charnière des xie et xiie siècles et l’antique cité gallo-romaine de Jublains, ruinée par les invasions du ve siècle, n’est plus alors qu’une bourgade où nul évêque ne vint jamais s’établir. Le xie siècle amorce naturellement tout à la fois les défrichements, la reconquête démographique et l’urbanisation, mais lentement. La ville de Mortain a commencé à se développer dans la seconde moitié du xie siècle sous la direction de Robert, demi-frère du Conquérant. Mayenne, à la même époque, se constitue autour de la puissante forteresse édifiée par son vicomte, Geoffroy, forteresse dont Guillaume le Bâtard s’empare en 1063 lors de l’annexion du Maine à la Normandie. Fougères, dont l’importance est attestée dès le haut Moyen Âge, se développe sous l’impulsion de Raoul de Fougères, le protecteur de Vital de Savigny et de Bernard de Tiron. Il y a dès 1055 ou 1060 un donjon du duc de Normandie sur la frontière, à Ambrières, et déjà probablement l’amorce d’un village. Il en est de même vers 1120 à Ernée et Vilaines-la-Juhel, fondations de Juhel de Mayenne. « La conquête du sol et le peuplement se poursuivront jusqu’au xvie siècle par la destruction persévérante des forêts6. » Cette région de marches est cependant encore très isolée. Il ne subsiste plus alors que des tronçons des anciennes voies romaines7, réduites à des chemins locaux. Les vallées de la Mayenne et de ses affluents sont les voies d’accès les plus commodes pour relier cette région aux pays voisins.
9Au plan religieux ce territoire est partagé entre les évêchés de Dol et d’Avranches au nord, l’évêché de Rennes à l’ouest à partir de la forêt de Fougères, et enfin à l’est celui du Mans dont dépendent le Passais et le Bas-Maine. Mais toute cette région frontalière, peu accessible et assez impénétrable, est restée longtemps à l’écart de la christianisation.
10C’est au vie siècle que ces immenses forêts attirent leur première génération d’ermites-missionnaires. Les sources essentielles sont les vitae qui racontent leur existence et leur apostolat. Mais rédigées tardivement (ixe siècle) et pour la plupart dans le scriptorium de l’abbaye de Micy, ou Saint-Mesmin d’Orléans, elles sont fort sujettes à caution. À en croire ces récits hagiographiques, plusieurs de ces ermites viennent d’Aquitaine : Alvée (ou Auvieu), Bômer, Brice, Ernier et Fraimbault. Ils ont subi l’influence du cœnobium de Lérins fondé par saint Honorat en 375 et seraient entrés à la grande abbaye mérovingienne de Micy près d’Orléans, fondée par saint Mesmin sous le règne de Clovis. Puis, cédant aux sollicitations de l’évêque du Mans, saint Innocent8, ils se sont établis dans les forêts du Passais. Alvée et Ernier fondent en commun un monastère mérovingien à Céaucé. Fraimbault s’installe dans un ermitage, au lieu-dit Saint-Fraimbault-de-Lassay, où il serait mort vers 570. Mais cinq communes du Passais et du Bas-Maine portent son vocable et se disputent son patronage. Bômer choisit une retraite dans la forêt d’Andaine avant de fonder un monastère à Saint-Bômer-les-Forges, au nord de Domfront. Brice enfin aurait été à la fois ermite et prédicateur et serait mort à la fin du vie siècle, près de Domfront où une commune porte son nom. Mais Brice est également le patron de cinq autres paroisses du diocèse de Séez.
11D’autres ermites comme saint Front et saint Ortaire ont aussi choisi le Passais à la même époque. Le premier est un personnage mal connu, aux origines incertaines9. Pour les uns c’est l’évêque de Périgueux, missionnaire temporaire à Saint-Front-de-Collières (à la lisière de la ville de Domfront) ; pour les autres un religieux de la région de Trèves, moine de Micy puis ermite dans le Passais où il serait mort vers le milieu du vie siècle. Quant au second, Ortaire, il serait né vers 482 dans le diocèse de Coutances, devint abbé de Landelles, près de Vire, puis se fit un temps ermite dans la forêt d’Andaine, à Saint-Michel-des-Andaines, (près de la Ferté-Macé), avant de revenir terminer sa vie dans son monastère, vers la fin du vie siècle.
12À ce premier groupe d’ermites des forêts du Passais, il faut encore ajouter, pour ce vie siècle ceux qui ont choisi plus à l’est les grands massifs forestiers d’Écouves et de Pail : saint Calais qui fonde un ermitage dans la forêt de Multonne, près de Couptrain, à Saint-Calais-du-Désert ; saint Céneri (ou Cénéré ou Célerin) et saint Léonard qui s’établissent sur la Sarthe, dans la forêt de Pail (à Saint-Céneri-le-Gérei et à Saint-Léonard-des-Bois, à la limite des départements de l’Orne et de la Sarthe). Saint Léonard est originaire de la région de Tongres et serait passé par l’abbaye de Micy avant son expérience érémitique. Son succès attire des disciples nombreux qui le rejoignent dans son ermitage et il finit par fonder l’abbaye de Vandœuvre, dédiée à saint Pierre. C’est dans cette abbaye qu’il meurt en 570.
13Les grandes forêts du Perche semblent avoir été moins attractives. On y recense saint Laumer (ou Lômer) qui serait venu lui aussi de l’abbaye de Micy pour s’établir dans la forêt de Longny, au Pas-Saint-Lhômer, (à l’est de Mortagne). Le nom du village garde seul le souvenir de son ermitage.
14Ces ermites forestiers sont généralement des hommes. Cependant il y eut aussi, à l’imitation de Marie-Madeleine, des femmes. Ainsi a-t-on conservé le nom d’une riche aristocrate du Languedoc, Céronne, qui à la fin du ve siècle renonça à sa famille et à ses biens pour s’établir dans les forêts du Perche ornais, près de Mortagne, où elle mourut vers 490.
15Pour quelles raisons le vie siècle est-il la période privilégiée de ces fondations érémitiques ? Cela tient à deux séries de facteurs : en premier lieu le développement et la diffusion des idées des « Pères du désert », Antoine, Paul de Thèbes, Pakhôme, par saint Athanase, évêque d’Alexandrie réfugié en Occident au milieu du ive siècle. Saint Martin est en Gaule le plus célèbre de leurs imitateurs et la Vita Martini, rédigée par Sulpice Sévère en 396, offre un modèle auquel se conformeront les ermites au cours des siècles ultérieurs. L’érémitisme trouve après la mort de saint Martin un centre de formation avec le monastère de Lérins, fondé en 375 par saint Honorat, et des concepts et justifications dans les écrits de Cassien, Eucher puis Salvien10. Le second facteur favorable à l’érémitisme est d’ordre politique : la période 480-560 dans lequel il s’inscrit est une période de paix, jusqu’au deuxième partage du royaume franc en 561 entre les quatre fils de Clotaire, la rivalité entre les reines Brunehaut et Frédégonde et le morcellement du pays11.
16On assiste après cette date à l’effacement temporaire de l’érémitisme au cours des viie, viiie et ixe siècles. Au viie siècle en effet, le monachisme reprend le dessus grâce à l’expansion de l’ordre irlandais de saint Colomban et à la constitution de celui de saint Benoît. Son essor se poursuit à la période carolingienne des viiie et ixe siècles, avec l’appui du pouvoir politique et des évêques tandis que saint Chrodegang, évêque de Metz, organise selon sa règle, à partir de 754, les collégiales de chanoines. C’est alors que sont fondées les abbayes d’Évron dans le diocèse du Mans au début du viie siècle12, puis un siècle plus tard celles de Notre-Dame-du-Bois par saint Évroul13 dans le diocèse de Séez, de Chalons14 et de Saint-Jean-sur-Mayenne15 dans celui du Mans ; enfin au début du ixe siècle, dans le même diocèse, le monastère d’Entrammes16. À cette époque l’histoire ne recense plus de fondations érémitiques dans notre région à l’exception de celle de saint Siméon. Né vers la fin du viiie siècle, cet ermite s’est retiré dans une solitude à Vaucé, près de Domfront, où il meurt aux alentours de 850.
17Ces ermites des forêts occidentales auraient, pour une bonne part d’entre eux, groupé des disciples autour de leurs ermitages et fondé des abbayes : celles de Céaucé (saints Ernier et Alvée), de Bômer-les-Forges (s. Bômer), de Vandœuvre (s. Léonard), de Corbion (s. Lômer). Le professeur Lucien Musset, dans ses études sur le monachisme pré-normand, s’est montré assez sceptique sur la réalité de ces fondations.
18On doit d’abord, écrit-il, évoquer les
« ermites du Passais dont les noms sont bien connus — ce sont les saints Ernier, Auvieu, Fraimbault et Bômer —, mais dont la carrière a été obscurcie par des faux qui ont voulu les rattacher à l’abbaye de Saint-Mesmin de Micy en Orléanais, et dont il n’est pas sûr qu’aucun ait vraiment fondé un monastère stable. Ensuite vient saint Évroul, bayeusain, fondateur dans la forêt d’Uticum (qui a laissé son nom au Pays d’Ouche) d’une abbaye promise à des destinées célèbres. La carrière même d’Évroul reste extrêmement obscure ; on ne sait même pas si elle se place à la fin du vie siècle ou, comme c’est plus probable, au début du viiie ! Après un effacement passager — conséquence, une fois n’est pas coutume, non des raids scandinaves, mais des guerres du xe siècle — l’abbaye devait être restaurée peu après le milieu du xie siècle. C’est encore dans le même sillon que se place sans doute (hors de Normandie mais toujours dans le diocèse de Sées) la création de Corbion, aujourd’hui Moutiers-au-Perche, par saint Laumer ; à l’époque des invasions scandinaves, les moines se transportèrent à Blois et ne revinrent pas17 ».
19C’est en effet en 873 que les moines de Corbion s’enfuient avec les reliques de leur fondateur et se réfugient sur la Loire où ils fondent l’abbaye de Saint-Laumer.
20Qu’est-il resté, passées les invasions scandinaves, de ces ermitages ou de ces établissements monastiques ? Les abbayes d’Évron et de Saint-Évroul sont les seules à n’avoir subi qu’une éclipse temporaire. L’abbaye de Corbion ressuscita au xiie siècle sous la forme du prieuré des Moutiers-au-Perche, possession de l’abbaye Saint-Laumer de Blois. Celle de Vandœuvre est aussi à l’origine de la fondation par Robert de Juillé à la fin du xie siècle d’un prieuré à Saint-Léonard-des-Bois, rattaché par son fondateur à l’abbaye Saint-Vincent du Mans18. Les reliques du saint avaient auparavant suscité la convoitise de Guillaume Ier Talvas, qui les fit transporter dans son château de Bellême et fonda pour les conserver une chapelle Saint-Léonard, desservie par une collégiale de chanoines. À l’emplacement des monastères supposés de Céaucé (Alvée et Ernier) et de Bômer-les-Forges, et des ermitages de saint Céneri, de saint Brice et de saint Siméon, des églises paroissiales s’élevèrent à nouveau au xiie siècle dont des abbayes voisines recueilleront parfois le patronage : ainsi l’abbaye de Lonlay à Saint-Bômer-les-Forges et à Saint-Brice, l’abbaye de Savigny à Céaucé et l’abbaye de Saint-Évroult à Saint-Céneri-le-Gérei. Dans le diocèse du Mans, les abbayes disparues de Saint-Jean de Mayenne et de Chalons ne survécurent au xiie siècle que sous la forme d’églises données à l’abbaye d’Évron.
21L’évangélisation de ces régions marginales doit beaucoup à cette première vague d’anachorètes. Ils sont devenus ultérieurement des saints populaires, et les reliques de certains d’entre eux se sont vu attribuer des pouvoirs thaumaturgiques. On invoque ainsi par exemple saint Léonard pour les maladies de l’oreille et les troubles de l’ouïe : pour en guérir il faut gratter la mousse recouvrant son tombeau et l’avaler comme remède. Saint Céneri (ou Célerin) possède un double pouvoir car il guérit « le Mal Saint-Célerin » c’est-à-dire les croûtes de lait ou impétigo du cuir chevelu des nourrissons, mais aussi les « coliques de Saint-Céneri ». Et c’est la poussière recueillie sur la pierre qui lui servait de lit que l’on administre aux petits malades. La pierre assurerait aussi la fécondité aux jeunes mariées qui s’y étendent19.
22Saint guérisseur lui aussi, Guillaume Firmat inaugure, au temps de Guillaume le Conquérant, la deuxième génération de nos ermites forestiers. Les historiens du xixe siècle l’ont considéré comme le fondateur du mouvement érémitique auquel ont appartenu Robert d’Arbrissel, Vital de Mortain, Bernard de Tiron, Guillaume de la Futaie et beaucoup d’autres anachorètes moins célèbres. Son hagiographie, toutefois, n’a été écrite que soixante-dix ans après sa mort, probablement par Étienne de Fougères, grand chantre de la collégiale de Mortain puis évêque de Rennes20. Les chanoines de Mortain qui conservaient la dépouille de l’ermite, voulaient alors obtenir la canonisation de celui-ci et tirer parti d’une dévotion populaire. Fut-il le premier au xie siècle à fonder un ermitage dans les forêts des confins normanno-bretons ? L’Histoire n’a pas retenu le nom d’autres ermites, ce qui n’implique pas nécessairement leur inexistence.
23Firmat, né à Tours, a d’abord choisi la carrière ecclésiastique et est devenu chanoine de la cathédrale.
« Quelque temps après, écrit son hagiographe, il dut servir dans la milice séculière et il en remplit les fonctions sans manquer à ses devoirs de chanoine. Il devint alors un habile médecin et Dieu, qui se réservait ce prêtre pour en faire un vase d’élection, lui accorda tant de science et d’habileté dans son art qu’il guérit une infinité de malades qui s’en retournèrent chez eux après avoir recouvré leur santé première. C’est ainsi qu’il se trouva doué de trois grandes perfections, c’est-à-dire de la connaissance des belles-lettres, de la guerre et de la médecine. Avec ses talents il amassa de grandes richesses, et le démon lui inspira alors quelque peu d’avarice. »
24Pour son salut, Firmat, abandonne aux pauvres l’argent gagné, se retire d’abord dans un premier ermitage, près de Tours, où les trop nombreuses visites l’importunent. Il déménage dans la forêt de Concise, fait un pèlerinage à Jérusalem, est élu à son retour évêque d’une cité grecque, charge qu’il décline aussitôt avant de s’enfuir. La Vita ajoute :
« La Providence divine dirigeant les pas du saint homme, il parvint jusqu’en Bretagne et séjourna quelque temps dans le pays de Vitré. Dans la paroisse de Dourdain, il entrouvrit un peu la terre avec son bâton et y répandit de l’eau du Jourdain qu’il avait apportée avec lui, puis, invoquant le nom du Christ, une fontaine d’eau limpide jaillit de cet endroit ; en mémoire de ce miracle les habitants du village lui ont donné le nom de saint Firmat. La renommée de ce prodige lui ayant attiré les honneurs de la population il prit la fuite et s’installa en solitaire en un lieu appelé Fontaine-Géhard, puis ensuite à Savigny. Mais il n’y passa que peu de temps et vint alors à Mantilly. Et là il trouva la retraite qui lui convenait tout à fait et comme elle lui plaisait, il y vécut pendant plusieurs années21. »
25C’est à Mantilly, à 3 kilomètres à l’ouest de Passais-la-Conception, que Firmat termine sa vie dans les années 1080. À en croire son hagiographe, il aurait été le fondateur des deux centres érémitiques célèbres de Savigny, occupé plus tard par Vital, et de Fontaine-Géhard, résidence de Bernard de Tiron. L’abbé Angot et le chanoine Pigeon n’ont pas discuté cette affirmation22. Mais l’hagiographe écrit vers 1156, longtemps après les faits et alors que le souvenir de l’ermite n’a laissé que des traces ténues. Il a donc très bien pu localiser ses retraites dans les endroits rendus précisément célèbres par ses successeurs23.
26Le comte Robert de Mortain, demi-frère de Guillaume le Conquérant, fait inhumer Firmat dans la collégiale Saint-Évroul. Et l’ermite, qui n’avait plus exercé ses talents de médecin au fond des forêts du Passais, opère des miracles qui attestent sa sainteté :
« Sa protection fut salutaire à ceux qui vinrent le prier sur son tombeau. L’ouïe fut rendue aux sourds, la vue aux aveugles, l’agilité aux boiteux, la guérison aux possédés du démon, la santé aux infirmes, la purification aux lépreux. Plusieurs, par le secours de Dieu, furent délivrés de leur prison et de leurs chaînes. »
27L’hagiographe ne manque pas d’évoquer plus précisément quelques miracles post mortem accomplis par le saint : il délivre d’un calcul un riche vieillard de Barneville, « qui n’avait osé confier à aucun médecin ses membres usés par les années » ; et « d’une arête de poisson qui, restée dans sa gorge, le faisait cruellement souffrir » un « bon père de famille » de Caen. Il guérit aussi un diacre de Bayeux qui, atteint depuis dix-sept ans d’une maladie de langueur, « avait en vain dépensé sa fortune en consultant des médecins qui ne s’entendaient guère entre eux sur son état ». Ces guérisons miraculeuses font partie de toute vie de saint. Mais elles ont aussi le mérite de nous apprendre que l’on opérait au xie siècle la vessie ou la vésicule biliaire de la maladie de la pierre, aux grands risques et périls du patient. On voit aussi que le scepticisme des malades sur les capacités des médecins ne laissait en dernier recours que la prière et les voyages au tombeau des saints guérisseurs.
28Derrière Firmat, l’on voit apparaître bientôt dans ces solitudes forestières les « princes et maîtres des ermites », comme dit la Vita de Bernard de Tiron24.
29Vital de Mortain abandonne sa collégiale de Mortain, en 1095 ou au début 1096, pour gagner les forêts du Passais. Il y dispose en fait de plusieurs ermitages25 : à Dompierre26, à la lisière méridionale de la forêt du Passais et à proximité de son pays de Mortain, puis à Savigny, un peu plus à l’ouest, où il est établi en 1108. Son groupement érémitique se situe dans le triangle Fougères-Savigny-Passais-la-Conception. Vital, selon son rouleau mortuaire, y aurait passé dix-sept années, période entrecoupée cependant de tournées de prédication, et marquée aussi par l’établissement d’un monastère féminin à Mortain en 1105. En 1113, il fonde pour ses disciples l’abbaye de Savigny, dans la forêt donnée par Raoul de Fougères.
30Robert d’Arbrissel lui aussi part au désert au printemps de 109 527. Fils de prêtre et successeur de son père dans la cure d’Arbrissel, il a déjà une longue carrière derrière lui au service de l’évêque de Rennes, Sylvestre de la Guerche. Il s’établit d’abord dans la forêt de Craon, à la limite de l’Anjou et de la Bretagne. Mais, écrit Baudri de Dol dans sa Vita Beati Roberti, « il s’efforçait pendant la journée de semer la parole divine et la nuit se retirait au désert pour prier Dieu28 ». Sa prédication ayant donc groupé autour de lui une troupe de disciples, il fonde pour eux une communauté de chanoines réguliers de Saint-Augustin à la Roë. En février 1096, à Angers, le pape Urbain II lui confie une mission de prédicateur apostolique, et il parcourt alors la Haute-Bretagne, le Maine et l’Anjou, bientôt flanqué de disciples des deux sexes. L’évêque de Rennes, Marbode, l’ayant mis en garde contre les tentations d’une pareille cohabitation dans des retraites forestières, il fixe en 1101 sa troupe à Fontevraud, « dans un lieu inculte et âpre, plein d’épines et de buissons29 ».
31Bernard d’Abbeville ou de Tiron, né dans le Ponthieu vers 1050, est d’abord entré à l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers, avant de devenir un temps prieur de Saint-Savin-sur-Gartempe. Comme le lui autorise la règle de saint Benoît, il a fait une première retraite érémitique dans les années 1090 auprès de Pierre de l’Étoile, fondateur de l’abbaye de Fontgombault, au diocèse de Poitiers. Élu en mai 1100 abbé de Saint-Cyprien, contre les droits de Cluny sur son abbaye, il est quelques mois plus tard, à Rome, démis de sa charge abbatiale par Pascal II. Le pape cependant lui confie la fonction de missionnaire itinérant de la réforme grégorienne. Bernard choisit alors, comme Robert d’Arbrissel, de concilier le désert de l’anachorèse et les tournées de prédication. Pierre de l’Étoile le conduit (ou le recommande) à Vital, qui est alors le magister des ermites du Bas-Maine et dirige toute une nébuleuse érémitique.
« Pierre, après avoir recommandé Bernard, repart donc pour l’Aquitaine. Le seigneur Vital convoque alors en un lieu, comme pour un concile, tous les anachorètes et prend la parole pour leur annoncer le souhait de Guillaume (prénom que s’est donné Bernard de Tiron pour passer inaperçu). Les ermites mis ainsi au courant des aspirations de cet homme, y consentent par fraternelle sollicitude ; et tous d’applaudir et d’offrir à l’envi leurs cellules. Cependant la passion charitable pousse Vital à trancher ce sympathique différend. Il décide, avec l’accord du synode, que Bernard parcourra les forêts, visitera toutes les cabanes des frères puis choisira d’habiter celle qui lui plaira le mieux. Ce dernier, se pliant à la décision de l’assemblée, part donc voir toutes les habitations, précédé de la troupe des anachorètes. Et, s’enfonçant au plus profond des solitudes, il parvient aux dernières limites et y trouve la demeure d’un frère nommé Pierre. Celui-ci n’avait su cultiver les champs, ni travailler les jardins, mais chaque jour il pourvoyait sa table de plats grâce aux fruits des arbres et à son art de tourner le bois. Il s’était construit avec des branchages une maison assez spacieuse contre les murs de l’église Saint-Médard. La violence des vents en avait ruiné la majeure partie. Mais pour que la rage des bourrasques n’eût raison du reste, il avait renforcé ce qui subsistait par un assemblage assez solide, fixant avec des liens d’osier la cabane aux basses branches des chênes30... »
32Ce passage est évidemment intéressant à plus d’un titre. Il révèle l’attraction qu’ont exercée ces forêts des confins sur la foule des candidats à la solitude, l’autorité de Vital sur cette nébuleuse d’ermitages et les pratiques d’admission dans ce milieu singulier. Le premier ermitage de Bernard de Tiron est celui de Saint-Médard ou Saint-Mars-sur-la-Futaie, dans la forêt de Glaine. Il y reste le temps d’apprendre la vie érémitique auprès du frère Pierre, puis s’établit plus au sud à Fontaine-Géhard dans la forêt de Mayenne où il devient à son tour le magister d’une petite troupe de disciples.
33Toutefois au cours de ces années 1101-1106, Bernard alterne les périodes de recueillement au fond des forêts du Maine avec ses tournées de prédication dans les diocèses voisins, où il s’en prend sans ménagement aux prêtres mariés et concubinaires. Et il expérimente, avec deux compagnons, l’anachorèse absolue dans l’archipel des îles Chausey, d’où le chassent des pirates bretons. Revenu sur le continent, Bernard s’installe cum paucis discipulis à Chênedet, dans la forêt de Fougères. Cette installation contrarie le projet d’un parc à gibier et le comte Raoul de Fougères prie la petite communauté de s’installer plus au nord, dans la forêt de Savigny où s’est établi Vital. La cohabitation de deux troupes d’ermites s’avérant difficile, Bernard part vers l’est et finit par se fixer dans la lointaine terre de Tiron où il fonde une communauté monastique nouvelle31.
34Le dernier personnage de cette quadrature de principes et magistri eremitarum, cité par la Vita Bernardi mais aussi d’autres textes plus tardifs32 est Raoul de la Futaie. Moine bénédictin de Saint-Jouin-de-Marnes en Poitou, il a été l’un des compagnons de Robert d’Arbrissel. Il a pu s’établir à la fin du xie siècle à Saint-Mars-sur-la-Futaie, dans la forêt de Glaine (à moins qu’il y soit né) et il y était peut-être encore quand Bernard, en 1101, choisit de vivre dans la cabane de l’ermite Pierre. Mais faute d’une Vita qui lui aurait été consacrée, on sait peu de choses de lui. À l’imitation des trois autres, il conclut sa période érémitique par l’établissement d’une communauté à l’endroit appelé Le Nid-de-Merle, à la lisière de la forêt de Rennes. L’établissement fut érigé après 1117 en monastère double d’hommes et de femmes et prit le nom de Saint-Sulpice-la-Forêt. Il fut placé sous la direction d’une abbesse, à l’imitation de Fontevraud33.
35L’Abbé Angot, au début du xxe siècle, a esquissé un premier recensement des ermitages et relevé l’importance de Fontaine-Géhard, en forêt de Mayenne. Cet ermitage de Bernard de Tiron est devenu entre 1106 et 1125 le centre d’une nébuleuse de fondations érémitiques dans le Bas-Maine : Montguyon, Lincé, Hémenard, La Sagesse ou Mesnil-Imbert, La Trinité de Pail, Saint-Martin de Sezain, Le Bois-Robert, Mégirard, La Haie-d’In-grande, L’Aumônerie-du-Pommier et, en forêt d’Andaine, Saint-Grégoire-de-l’Etang et Le Doigt-Parfond34. Le chanoine Louis Raison a poursuivi en 1948 le recensement de tous les ermitages connus, dans la période charnière de la fin du xie et du début du xiie siècle35. Dom Jean Becquet a étendu, en 1962, l’étude à tout l’érémitisme clérical et laïc de l’Ouest de la France36. On a donc une géographie approximative de l’érémitisme de cette zone de confins.
36L’ermite Aubert s’est établi avant 1100 à l’Habit, dans la forêt de Glaine au voisinage de Saint-Mars-sur-la-Futaie37. Un autre solitaire, Barthélémy, s’est installé près de Chailland, au sud de la forêt de Mayenne, dans un autre lieu-dit l’Habit38. Dans la forêt de la Guerche, Bouchamps abrite l’ermitage du bienheureux Jouin. Un ancien moine de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes (près de Soissons), Rainaud, après avoir suivi Robert d’Arbrissel dans la forêt de Craon, s’est retiré dans les bois de Mélinais, au sud de La Flèche, et y élève un oratoire39. Alleaume a choisi la forêt de Charnie où des disciples des deux sexes le rejoignent et l’obligent à fonder vers 1109, à la manière de Robert d’Arbrissel, l’abbaye double d’Étival40. Dans la forêt de Bouère (près de Sablé), des ermites fondent le prieuré de Mariette et dans celle des Coëvrons, celui de la Trinité. Il y a des solitaires à Courbefosse (canton de Landivy). Les forêts des confins bretons attirent aussi les solitaires : à Saint-Sulpice-la-Forêt, à la Bouëxière, à Dourdain, à Liffré, à Beauchêne, à Sévailles, à Chênedet (fréquenté pendant quelques mois par Bernard de Tiron), au Chêne-Sarant. Au Tronchet (au sud de Plerguer), dans la forêt du Mesnil, l’ermite Gontier fonde, au début du xiie siècle, un ermitage qui donnera naissance ultérieurement à une abbaye de l’ordre de Tiron41. On relève encore l’ermitage de Saint-Ursin à Lignières-la-Doucelle, dans la forêt de Monaye42 et celui de Saint-Étienne-des-Ermites, près de Laval43. Dans le cartulaire de l’abbaye de Savigny, Jaap van Moolenbroek a aussi relevé la présence d’ermites qui furent sans doute associés à Vital et dont les ermitages, avec les terres ou bois attenants, seront donnés dans les années 1116-1130 à l’abbaye de Savigny : Réginald près de Désertines (au nord de Gorron), à la limite occidentale du Passais44 ; Albert et Guillaume Fitz-Angot (ce dernier ancien chanoine de Mortain), au Val-Rainbaut, près de Landivy45 ; Guillaume et Pierre à Courbefosse dans la paroisse de Fougerolles46.
37Nous devons aux informateurs de Geoffroy le Gros (l’hagiographe de Bernard de Tiron) quelques utiles précisions sur ce milieu original, vivant en marge de la société et de l’Église sans en être séparé. Dans ces forêts de Bretagne ou du Maine, les petits groupes que dirigent Vital ou Bernard obéissent à un magister eremitarum dont l’autorité doit être proche de celle d’un abbé (ainsi apparaissent Vital à Dompierre et Bernard à Chênedet). Chacun des ermites cependant conserve son autonomie, vivant seul ou avec un compagnon dont il est le senior et qu’il initie à la vie et aux coutumes du désert. Des réunions périodiques, sortes de synodes, règlent les affaires importantes, telle l’admission d’un postulant, ou prennent des sanctions. On peut supposer que les ermites prêtres disent régulièrement l’office (par exemple dans les ruines de la chapelle Saint-Médard où Bernard partage la cabane de Pierre), confessent, instruisent de petits groupes de disciples et les encouragent dans la dure existence matérielle et spirituelle de l’anachorèse.
38Mais dès que l’ermitage voit affluer un grand nombre de compagnons le magister n’a plus qu’une alternative : soit organiser pour eux une autre forme de vie communautaire, soit s’enfuir et se chercher une autre retraite.
39Cet érémitisme de groupe peut sembler paradoxal, car l’ermite recherche avant tout la solitude. Quelles peuvent en être les raisons ?
40L’isolement comporte en fait de nombreux risques : acédie ou dégoût nihiliste et suicidaire47 ; syneisactisme, c’est-à-dire soumission à ces épreuves excessives et à ces tentations redoutables qu’évoque Cassien dans sa 15e conférence48 et que Marbode reproche à Robert d’Arbrissel ; orgueil et présomption (vana gloria) contre lesquels l’évêque Yves de Chartres met en garde Rainaud l’ermite49 ; oisiveté qui introduit paresse et vices ; ou à l’inverse excès de mortifications qui met en péril l’équilibre physique ou psychique de l’ascète ; instabilité et vagabondage des gyrovagues50 et des sarabaïtes51, faux ermites que Cassien dénonçait déjà au début du ve siècle, que saint Benoît condamne sans ambages dans sa Règle, et dont Yves de Chartres entend protéger Geoffroy l’anachorète52 et les moines de Coulombs53.
41Ainsi les règles de survie au fond des forêts, les dangers de la solitude, les tentations du démon, prises très au sérieux, ont fait adoucir le redoutable retranchement du monde que s’étaient imposés Antoine ou Paul de Thèbes en leur Thébaïde. La Regula Solitariorum écrite à la fin du ixe siècle par Grimlaïc54 encourage les anachorètes à former des petites communautés de deux ou trois personnes.
42Saint Luc, bien avant Grimlaïc, avait justifié ce compagnonnage par la recommandation du Christ : « le Seigneur désigna encore soixante-dix autres disciples, et il les envoya deux à deux devant lui dans toutes les villes et dans tous les lieux où lui-même devait aller » (Luc, 10, 1-2). Robert d’Arbrissel prend le précepte à la lettre et part pour la forêt de Craon accompagné d’un compagnon, un autre prêtre, qui participe à son errance55.
43Guillaume Firmat déjà partage sa solitude avec d’autres : d’abord près de Tours, à Sept-Frères, avec sa mère âgée, au cours d’une première expérience érémitique ; puis à Mantilly avec un serviteur du nom d’Aubert qui l’accompagne dans ses aventures. À la fin de sa vie il est assisté de plusieurs ministri (serviteurs), et à sa mort il dit adieu à ses frères56. La Vita d’Étienne de Fougères toutefois attribue peut-être là encore à Firmat, comme elle l’a fait pour la géographie de ses ermitages, des détails empruntés aux hagiographies de ses successeurs, Robert d’Arbrissel ou Bernard de Tiron.
44Cet Aubert qui servit longuement Firmat est peut-être le même que celui qui s’est établi avant 1100 à l’Habit, dans la forêt de Glaine au voisinage de Saint-Mars-sur-la-Futaie. Peut-être est-ce encore ce vieil ermite que mentionne la Vita de Bernard de Tiron. Bernard vient de quitter avec deux compagnons les forêts trop peuplées du Bas-Maine pour les îles Chausey, afin d’y vivre l’expérience d’une véritable solitude.
« Parmi les ermites qui l’avaient accueilli (à Saint-Mars-sur-la-Futaie), il y en avait deux qui habitaient ensemble en bonne intelligence au milieu des bois. L’un, Aubert, déjà fort âgé toujours dans le jeûne et la prière ; l’autre Adelin, le plus jeune, plein d’obéissance et de mansuétude, et d’une si exquise et douce affabilité que tous ceux qui le fréquentaient le trouvaient digne d’affection. Aubert en outre, par le privilège de son grand âge, avait la prééminence du maître et l’autre lui obéissait comme son disciple et accomplissait ses ordres. Mais voilà que pris du désir de se former à l’école de l’homme de Dieu Bernard, ce dernier abandonnant son maître, se mit en chemin pour l’île. Et le vieux, privé de la présence quotidienne de son élève préféré, tomba dans un tel abîme de tentation, dans une tristesse si excessive et si déraisonnable, qu’il se serait pendu si la vigilance active de quelques frères, qui avaient percé ses intentions, ne l’avait détourné de ce péril mortel. »
45Mais à Chausey Bernard a la révélation — ou prend conscience — du désespoir du vieil Aubert et décourage le jeune Adelin, qui transi de froid, repart pour le Maine chercher de quoi s’habiller plus chaudement.
« Il rejoignit donc Aubert, le vit rongé de chagrin, prostré, surveillé par des gardiens pour l’empêcher de se passer la corde au cou et mettre fin à ses jours. Il compatit alors à son tourment, s’efforça de calmer sa douleur, se jeta à ses pieds en implorant son pardon et promit solennellement de ne plus jamais le quitter. Et il se soumit à la menace d’excommunication des chefs des ermites en cas de récidive. Et retenu par cette résolution, il ne put reprendre son chemin57... »
46Même si l’on a dans cet épisode le témoignage d’un désespoir sentimental, la cohabitation d’ermites du même sexe, sous le patronage d’un senior ou d’un maître, ne soulève pas de problème moral. Il n’en est pas de même quand Robert d’Arbrissel parcourt les forêts occidentales accompagné de disciples des deux sexes. L’évêque de Rennes, Marbode, s’en émeut et fait part à l’intéressé des risques encourus par cette mulierum cohabitatio :
« Tu as dit apprécier d’autant plus la cohabitation avec les femmes, sexe avec lequel tu as péché jadis, qu’il te faut expier cette faute passée en relevant le même défi par une nouvelle attitude. Celles-ci en effet passent la nuit, à ce qu’elles prétendent, étendues sur une couche commune, mêlées au troupeau de tes disciples, afin que toi, allongé entre eux, tu puisses fixer à l’un et l’autre sexe les lois du sommeil et des veilles.
Plusieurs personnes critiquent ce point précis de ta conversion, pas seulement des clercs mais aussi des laïcs, car ce compagnonnage bafoue manifestement les lois divines et humaines. Le péché originel a été causé par la femme, et c’est à cause de lui que nous mourrons tous. Aussi, pour se garder du péché, il ne faut pas se donner l’occasion de le commettre. Car, comme le dit l’Écriture : "qui défie le danger finit toujours par l’attirer sur soi (Eccl. III, 17)58". »
47Pour Jacques Dalarun, Robert d’Arbrissel se conforme ici à la tradition ascétique et à la lutte victorieuse contre les tentations de la chair qu’ont menée Antoine, Pafnuce, Benoît, et à leur suite Firmat et Giraud de Salles. Il s’impose la présence des femmes pour triompher de l’épreuve du feu et prouver qu’il a enfin dompté son corps : une « ordalie de la chair, l’affrontement, le corps à corps59 ».
48Pour faire cesser le scandale toutefois, il établit ses disciples à Fontevraud. Alleaume et Raoul de la Futaie, confrontés au même problème, ont choisi la même solution, la fondation d’abbayes doubles à Étival et à Saint-Sulpice-la-Forêt. Quant à Vital, dont la troupe érémitique devait aussi comporter des femmes, il fonde pour elles en 1105 le monastère de Mortain.
49L’érémitisme de groupe n’a donc rien de surprenant. Mais on se tromperait encore en imaginant ce milieu érémitique coupé du monde et vivant dans une solitude totale, malgré la mauvaise réputation des forêts.
50On peut en effet se perdre dans leurs sombres solitudes :
51Vital, écrit Étienne de Fougères
« devait un jour quitter l’endroit où il se trouvait pour aller dans un autre. Il se mit donc en route et s’enfonça dans la forêt. Mais s’étant écarté de son vrai chemin, il erra au hasard pendant trois jours avec ses compagnons à travers des sentiers perdus et sans prendre de nourriture. Le quatrième jour, ils trouvèrent enfin une issue et arrivèrent dans un village où Vital, sans s’occuper de la faim, se mit immédiatement à prêcher60 ».
52Les forêts sont aussi par définition des repaires de brigands et de hors-la-loi. Évoquant la fondation de Tiron, au cœur des grandes forêts du Perche, Orderic Vital écrit :
« C’est ainsi qu’aux lieux où peu auparavant des voleurs avaient coutume de se cacher dans un horrible bois d’où ils se jetaient inopinément sur les voyageurs imprudents pour les tuer, il s’éleva en peu de temps, avec l’aide de Dieu, un illustre monastère61. »
53Dans la Vita de Guillaume Firmat, le gardien de la forêt, Arthur de Champeaux, se fait détrousser tandis qu’il vient, à pied et sans armes, rendre visite à l’ermite dans sa retraite du Passais. Pour avoir moins chaud, il a mis sa tunique sur son épaule, au bout d’un bâton. « Un voleur, se glissant silencieusement au travers du bois, lui enleva son vêtement et s’enfuit avec précipitation62. » Croyant à quelque ruse du démon, Arthur de Champeaux continue son chemin et s’installe à bavarder avec l’ermite : « la journée était déjà bien avancée lorsque le voleur, dépouillé de son propre vêtement, vint tomber à genoux aux pieds de Firmat ». Il tenait de la main gauche la tunique volée et, de la droite, une verge qu’il présentait au saint en disant : « frappez, Père, frappez un misérable criminel qui a volé votre ami ».
54La forêt peut cacher d’autres dangers. Firmat, dans son second ermitage au cœur de la forêt de Concise, près de Laval, donne l’hospitalité à une prostituée que des jeunes gens malintentionnés lui ont dépêché pour le tenter, d’ailleurs en vain63.
55Ermites et moines portent en fait un regard opposé sur la forêt et ses profondeurs inquiétantes. Ce qu’Orderic appelle un horrible bois (horribi-lis saltus64) est qualifié par Robert d’Arbrissel, Bernard, Vital de Mortain et leurs nombreux condisciples de « seconde Égypte ». Les allusions aux périls de la forêt sont le fait des moines effrayés par ce monde sauvage : l’abbé Raynaud de Saint-Cyprien, Orderic Vital.
56Les individus louches sont loin d’ailleurs de constituer le gros de la population. Porchers et bouviers y mènent paître leurs troupeaux, malgré la présence des loups, car les prairies et le foin sont alors réservés aux seuls chevaux qui équipent la chevalerie. Un loup vient ainsi rapporter un veau égaré dans les bois au monastère de Tiron-Brunelles, le premier coenobium de Bernard dans le Perche65. Il ne faut pas plus s’étonner de la présence de la bête sauvage que de l’animal domestique. Le bouvier de Tiron perd un veau dans les fourrés. Un loup le ramène miraculeusement, selon un schéma hagiographique traditionnel. Aucun de ces deux faits ne doit surprendre.
57La forêt est aussi le domaine d’activité des bûcherons, des charbonniers, des pêcheurs, des chasseurs. Les défricheurs grignotent les lisières et élargissent les clairières. Les ermites ne sont pas les derniers à pratiquer des cultures dérobées. À Chênedet où Bernard de Tiron s’établit un moment, une multitude de compagnons se livre au défrichement et au travail de la terre avec acharnement, au point d’oublier les psaumes et d’inquiéter le propriétaire, Raoul de Fougères66.
58La forêt possède en effet de multiples ressources qui génèrent une rudimentaire économie d’échanges : L’ermite Pierre, dans la Vita de Bernard de Tiron, est tourneur mais aussi ferronnier. Il transmet son savoir à son disciple, mais en tire sans doute aussi parti auprès des paysans des alentours. On peut supposer qu’il troque sa vaisselle de bois aux villageois contre quelques denrées de nécessité dont la farine. Le pain, en effet, manque à sa table conviviale, parce qu’il n’a pas su cultiver le blé au fond de sa clairière. Firmat fait travailler un charpentier qui compte sur l’ermite pour lui assurer son repas67, livré d’ailleurs par intervention miraculeuse. Bernard, partant pour Chausey, refuse le viatique en argent (dix-huit pièces de monnaie) qu’un ermite à glissé dans la main d’un de ses compagnons, et il s’empresse de le donner à un pauvre paysan qui passe sur le chemin68. Détail qui traduit également le rejet du monde, une des motivations de cet érémitisme.
59Ce mode de vie ne susciterait pas de critiques si, comme l’écrit Yves de Chartres aux moines de Coulombs, les ermites se contentaient de la solitude et ne se mêlaient pas de vouloir changer la société :
« Ceci dit, je ne condamne pas la façon de vivre des anachorètes, je veux dire de ceux qui, formés à la discipline régulière des cloîtres, se retirent au désert en se conformant aux règles, ceux qui voient le paradis dans la solitude et dans la ville une prison. Qu’ils s’accommodent d’une vie active et vivent du travail de leurs mains, ou qu’ils préfèrent raffermir leur esprit à la douceur de la vie contemplative, ils étanchent la soif de leur âme à la fontaine du salut et ne cherchent plus à revenir au monde qu’ils ont voulu oublier. Mais je désapprouve au contraire ces personnages qui, vêtus de peaux de mouton vont çà et là, parcourant villages, châteaux et cités ; vêtus d’habits grossiers, se nourrissant d’aliments vils, ils étalent leurs mérites aux yeux des populations... Je pense qu’on ne doit pas les compter parmi les ermites ni parmi les cénobites, mais parmi les gyrovagues et les sarabaïtes69. Leur prédication critique avec âcreté les moines et les clercs et spécialement les dignitaires séculiers et réguliers. Ils ramènent le corps du Christ, qui est l’Église, pour ainsi dire à un seul membre. L’Église de Dieu, disent-ils, ne se compose que de la petite minorité des solitaires70. »
60La prédication vagabonde des ermites choque en effet profondément le clergé séculier, et jusqu’aux évêques. Premier reproche : la tenue négligée des prédicateurs populaires. Elle est plus étudiée en fait qu’il n’y paraît et doit frapper l’imagination des simples et capter leur bienveillance. Ainsi Marbode à Robert d’Arbrissel :
« Un habit abject sur une chair écorchée par le cilice, un capuchon troué, les jambes à demi nues, la barbe hirsute, les cheveux coupés court sur le front, tu t’avances pieds nus dans la foule et tu offres un incroyable spectacle à l’assistance ; on dit que seul te manque une marotte pour avoir l’air d’un fou71. »
61Et Marbode en appelle à la discretio que doit observer tout serviteur de Dieu. Quant aux disciples qui suivent le maître, ils sont encore plus hypocrites aux yeux de l’évêque, car s’ils s’avancent pieds nus dans les villes et les villages, ils se rechaussent pour aller à travers champs et bois.
62Bernard de Tiron aurait pu s’attirer les mêmes critiques. À trois reprises sa Vita le présente dans la melote72 grossière des pénitents ou des ermites, hirsute et barbu. Firmat lui aussi ne fait pas exception : dans son ermitage de la forêt de Concise, écrit Étienne de Fougères, « comme il négligeait complètement son corps, qu’il portait de longs cheveux et chantait ainsi la messe, il fut bientôt insulté par différentes personnes73 ». Mais n’est-ce pas plutôt un emprunt de l’hagiographe aux critiques de Marbode ?
63Nul n’a sans doute poussé la négligence aussi loin que saint Anastase. Ce vénitien, moine au Mont-Saint-Michel au temps de l’abbé Suppo, se retira à Tombelaine avec un compagnon (Robert de Tombelaine, futur fondateur de l’abbaye Saint-Vigor de Bayeux) pour protester contre l’élection de l’abbé Renouf en 1057. Il termina ses jours vers 1085 dans une retraite montagneuse, près de Pamiers. Comme l’écrit son hagiographe, Gautier d’Oydes,
« La fièvre augmentant, il tomba très malade au point qu’il comprit que sa fin était proche. Comme on l’engageait, pour adoucir son mal, de prendre du repos et de se rafraîchir dans un bain, il refusa l’un et l’autre de ces remèdes, ajoutant que depuis son entrée dans le monastère il n’avait jamais usé de bain, ni même d’eau pour laver ses pieds et sa tête74. »
64Ce comportement original suscite pourtant moins de réprobation que la prédication itinérante des ermites. Même lorsque ceux-ci ont reçu, comme Robert d’Arbrissel et Bernard de Tiron, une licence pontificale pour répandre la réforme grégorienne. L’âpreté des critiques que ces zélés réformateurs adressent au clergé, dénonçant sans pitié les prêtres mariés ou concubinaires et professant un culte intransigeant du célibat et de la pauvreté, passe mal auprès de la hiérarchie ecclésiastique comme auprès du clergé paroissial. Marbode conteste sur ce point Robert75, et aussi Ingilger76. Ce dernier, ancien prêtre devenu ermite, parcourt le diocèse de Rennes flanqué d’une troupe de frères tout aussi excessifs que lui. Il appelle les fidèles à déserter les églises des clercs fautifs. Aux yeux de l’évêque, Robert et Ingilger pèchent l’un et l’autre par excès de sévérité et instruisent sans retenue ni prudence le procès du clergé. Et Marbode compare le second et les siens aux Novatiens et aux Patarins (condamnés par Innocent III au troisième concile du Latran). Bernard de Tiron est pour sa part pris à partie par le clergé de Coutances qui n’admet pas que l’on dénonce ses pratiques matrimoniales77. Il est aussi, dans le diocèse de Bayeux, très certainement visé par la critique de Serlon de Bayeux dans sa Defensio pro filiis presbyterorum. À l’autre extrémité du territoire, dans le diocèse de Chartres, Payen Bolotin, chanoine de la cathédrale, s’en prend aux faux ermites qui se livrent à la prédication itinérante et fustigent sans retenue le clergé séculier et régulier78.
65Sans doute faut-il faire une distinction entre tous ces Wanderprediger, comme les a appelés l’historien allemand Johannes von Walter au début du xxe siècle79. Robert d’Arbrissel et Vital de Savigny voyagent entourés d’une troupe de disciples. Ingilger aussi, tout comme Tanchelin dans la région de Cambrai, que saint Norbert entreprend de confondre. Bernard est seul, ce qui est plus périlleux, comme le montre l’émeute qu’il provoque dans la cathédrale de Coutances. Les uns ont reçu du pape une licence de prédication (Robert et Bernard). Les autres se conforment à l’une des possibilités offertes aux ermites, et qu’applique Vital, celle de la peregrina-tio, chemin vers un plus grand détachement et une plus complète privation, et au besoin vers ce martyre rouge qui les assimilerait au Christ. Si Yves de Chartres et Payen Bolotin semblent considérer cette démarche comme une déviation d’un nouveau genre qui aurait pris naissance aux alentours de 1100, la lettre de Marbode à Robert ne caractérise nullement cette pratique comme nouvelle. Ce type de vie s’intégrait depuis Grégoire VII au mouvement de réforme de l’Église auquel certains reclus voulaient aussi prendre part.
66Mais cette prédication itinérante finit par nier l’érémitisme. « Dès qu’un ermite parle, c’en est fini pour lui du désert. Les vertus attestées par son corps souffrant et négligé lui attirent des foules de disciples. Erémitisme, prédication, fondation ; il y a là un processus incontournable80. »
67Ainsi les principes eremitarum doivent-ils retourner au cours du xiie siècle à la vie cénobitique, entraînant avec eux plusieurs de leurs disciples, mais pas tous. Certains ermitages se sont tout simplement fondus dans l’oubli. D’autres ont été récupérés par les monastères voisins qui en ont fait des églises paroissiales ou parfois des prieurés comme ceux de Saint-Mars-sur-la-Futaie (abbaye Saint-Jouin-de-Marnes), Lignières-la-Doucelle (Beaulieu), Mariette et la Trinité-des-Coëvrons (Étival), Notre-Dame-du-Fou à Liffré (Saint-Georges de Rennes81), Lincé (Marmoutier), Saint-Barthélémy-de-l’Habit (Saint-Jouin-de-Marnes), Saint-Sulpice-en-Pail (Tiron). L’ermitage du Tronchet est devenu une abbaye de l’ordre de Tiron, la seule d’ailleurs de cette congrégation dans le diocèse de Dol et dans cette vaste zone frontalière.
68Fontaine-Géhard avait encore une communauté érémitique au milieu du xiie siècle. Mais, écrit l’abbé Angot, qui reprend le jugement péjoratif des clercs séculiers, ses lointains prédécesseurs, ces ermites
« n’avaient plus de religieux que le nom. En fait c’étaient des brutes, more pecudum, livrés uniquement à des travaux manuels, vivant du produit de leurs troupeaux, vaguant d’un ermitage à l’autre, sans règle, ni souvenir des traditions de leurs fondateurs. Ils eurent enfin honte de leur état et d’un commun accord demandèrent à servir Dieu sous la règle de saint Benoît en se soumettant à Marmoutier. À leurs sollicitations, appuyées de l’intervention des cardinaux, de l’abbé Garnier et de tout le couvent de Marmoutier, Guillaume, évêque du Mans, qui se trouvait à Tours le 3 décembre 1147, avec Alain, évêque de Rennes, et la plupart des dignitaires du chapitre de Saint-Julien, autorisa la réunion en désignant les treize établissements (les centres érémitiques dépendants dont nous avons parlé plus haut) qui seraient ainsi annexés à Marmoutier. Eugène III par bulle datée de Reims, le 16 avril 1148, confirma cet acte d’union82 ».
69Ce jugement, fort péjoratif et peut-être injuste, traduit d’ailleurs moins une réalité sociologique que l’évolution du regard porté sur les ermites par la société et les cadres ecclésiastiques, dans cette seconde moitié du xiie siècle, où l’ordre monastique est en pleine expansion.
70Les abbayes et prieurés de Savigny, Fontevraud et Tiron sont finalement peu nombreux dans ces évêchés de Dol, de Rennes et du Mans. En fait, de cette quadrature de principes eremitarum seul Raoul de la Futaie a fondé dans cette région des communautés monastiques nombreuses. Son ordre double compte au temps d’Alexandre III vingt-huit établissements dépendant de l’abbesse de Saint-Sulpice-la-Forêt : un dans l’évêché de Dol, quatre dans celui de Rennes, deux dans celui du Mans83. En revanche l’ordre cistercien a fait du Bas-Maine une de ses terres de mission avec la fondation de trois abbayes : Bellebranche près de Sablé (1152), Clermont (1152) près de Laval et Fontaine-Daniel près de Mayenne (1205), succédant à l’établissement provisoire de la Herperie, (1197).
71Mais pourquoi tant d’ermites à la charnière des xie et xiie siècles ? L’érémitisme peut apparaître d’abord comme une réaction au renforcement des structures féodales dans lesquelles l’Église est désormais intégrée, en particulier dans ces puissantes principautés de Normandie et d’Anjou. Le rouleau mortuaire de Vital le souligne en affirmant qu’à Dompierre les quatre magistri « tenaient des réunions très fréquentées où ils discutaient de la situation de la sainte Église et des besoins des âmes84 ». Toute cette période, pendant laquelle Robert Courteheuse règne sur la Normandie, est aussi une époque troublée, au plan politique comme au plan économique : la Vita de Bernard de Tiron fait ainsi allusion à l’afflux de pauvres gens que l’abbaye naissante doit prendre en charge. Les transformations sociales, l’urbanisation, la croissance démographique, le développement des échanges monétaires qui marquent l’époque sont aussi de puissantes incitations au refus du monde.
72Cet élan vers le désert n’a pu qu’être amplifié par la fermentation des esprits qu’a provoqué l’appel à la croisade et à la pénitence. Enfin la réforme grégorienne et les résistances qu’elle suscite, tant de la part du clergé concu-binaire que des seigneurs féodaux, sont aussi de puissantes incitations.
73Cet érémitisme offre la possibilité de mener à l’écart du monde une vie apostolique, à l’image des pères de l’anachorèse Antoine, Athanase, Paul de Thèbes. De choisir la pauvreté volontaire, la pénitence, la contemplation, mais aussi le travail manuel que dédaignent ces « familiers des psaumes » comme l’écrit Geoffroy le Gros85, et cela en s’appuyant sur les solidarités d’une communauté érémitique et sur l’autorité d’un maître.
74La tentation de la prédication contredit naturellement la « conversion » érémitique. Fait-elle pour autant de ces missionnaires des paupe-res Christi défenseurs des pauvres et contestataires de l’ordre établi, thèse des historiens marxistes Ernst Werner et Tadeusz Manteuffel86 ? Jacques Dalarun y a répondu par la négative, et rien non plus dans la Vita de Bernard de Tiron n’autorise ce point de vue. Cela néanmoins n’empêche pas un Ingilger dans le diocèse de Rennes, de s’en prendre violemment aux cadres ecclésiastiques, un Henri de Lausanne dans celui du Mans, de verser dans l’hérésie. Et Éon de l’Étoile, qui parcourt la Bretagne, de se prendre pour le Messie (Eum — Éon — qui venturus est judicare vivos et mortuos87).
75En fait loin de conduire à la révolte, la prédication réoriente les grands ermites vers la réintégration dans les cadres de l’Église et de la société, par la fondation de communautés stables. Aussi, après avoir contesté l’insertion des grands ordres monastiques dans les structures de la société féodale, après avoir aspiré au renoncement total, n’ont-ils d’autre choix que d’établir des congrégations nouvelles. Ce n’est pas seulement Vital de Savigny ou Bernard de Tiron dans l’ordre bénédictin mais aussi, par exemple, Conon de Palestrina et Milon de Thérouanne dans l’ordre canonial. Le premier, chapelain de Guillaume le Conquérant en Angleterre, se retire en 1087 ou 1088 dans la forêt d’Arrouaise, au sud d’Arras. Et dix ans plus tard, en 1097, transforme son ermitage en monastère. L’abbaye d’Arrouaise devient chef-d’ordre d’une congrégation de chanoines réformés et Conon sera ultérieurement nommé cardinal et légat du pape Innocent II en France88. Le second, Milon de Thérouanne ou de Senincourt, né vers la fin du xie siècle, s’est fait ermite en Artois, entre la Canche et l’Authie, mais en 1123 ou 1124, sur les conseils de saint Norbert, il fonde un monastère double à Saint-Josse-aux-Bois. Il deviendra en 1130 évêque de Thérouanne89.
76Jean Heuclin, dans son étude sur les origines monastiques de la Gaule du nord, a résumé parfaitement le rôle des ermites et des reclus tant à l’époque mérovingienne qu’à la période féodale :
« l’ermite du ve au viiie siècle fut avant tout un propagateur de la foi dans la Gaule du nord et un fondateur de monastères. Celui des ixe, xe et xie siècles fut un réformateur de la société monastique et ecclésiastique mais aussi un guérisseur des maux et des inquiétudes de la société laïque. Il ne devint réformateur de la société qu’au xiie siècle. L’histoire du Christianisme ne peut plus se concevoir sans la découverte préalable du mouvement érémitique, c’est-à-dire sans connaître le rôle de la prière dans la transformation des hommes90 ».

- Forêts et abbayes du Bas-Maine au Moyen âge D’après René Musset
1. Abbayes (noms soulignés par un trait simple).
2. Châteaux féodaux qui sont devenus le centre d’une ville ou d’un bourg (noms soulignés deux fois).
3. Principaux prieurés (ceux des villes exceptés).
4. Limites du Maine.
5. Zones forestières.
Notes de bas de page
1 Vita Beati Bernardi Tironensis, Acta Sanctorum, aprilis II, p. 220-254, § 20.
2 Musset R., Le Bas-Maine, étude géographique, Paris, A. Colin, 1917, p. 19.
3 Angot A. abbé, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, Laval, A. Goupil, 1900, 3 vol., vol. 1, introduction, p. 32.
4 Lestang G. de, Dissertation sur les incursions normandes dans le Maine, Le Mans, Monnoyer, 1855, p. 5-9.
5 Cintré R., La frontière franco-bretonne au moyen-âge : économie, mentalités, guerre et société en pays de marches, vie- xvie siècles. Thèse de Doctorat, université de Rennes, s.l. s.n., 1989.
6 Ibidem, p. 230. Le nom « désert » est souvent associé à un nom de lieu dans la région de Domfront, le nord-ouest du Maine et la partie voisine de la Bretagne : par exemple Louvigné-du-Désert, La Bazouge-du-Désert, au nord de Fougères, ou bien encore Saint-Calais-du-Désert (cant. Couptrain, Mayenne), Saint-Maurice-du-Désert et Saint-Patrice-du-Désert (cant. la Ferté-Macé, Orne). L’abbé Angot, ouv. cit., t 1, p 20, note 3, y voit un suffixe moderne, souvent attribué aux xviie et xviiie siècles, voire xixe : ainsi Saint-Maurice qui n’est dit « en-Désert » que depuis 1831 (Saint-Maurice-du-Désert, près de la Ferté-Macé, Orne). Il y a cependant quelques exceptions car l’abbaye de Lonlay a été fondée en 1020 sous le nom de Notre-Dame-des-Déserts.
7 Par exemple la voie romaine de Corseul à Jublains par Ernée.
8 Saint Innocent, évêque du Mans de 513 à 559.
9 Sur saint Front, cf. Cormier J.-Ph., « Les évangélisateurs du Passais, Front », Le domfrontais médiéval, 6, Domfront, t. VII, 1988, p. 16-25.
10 Cassien, Institutions cénobitiques, Paris, éd. du Cerf, coll. Sources chrétiennes, 2001, et conférences (collationes), Paris, éd. du Cerf, coll. Sources chrétiennes, 1966. Les deux ouvrages sur la vie monastique et sur la vocation érémitique ont été écrits alors que Cassien était devenu en 414 abbé de Saint-Victor de Marseille. Eucher de Lyon, de Lande eremi (adressé en 427 à Saint Hilaire d’Arles), Patrologie Latine (édition J.-P. Migne), t. LX, col. 708-725, et de contemptu mundi (du Mépris du monde) (écrit en 432), trad. fr. de L. Cristiani, Paris, Nouvelles éditions latines, 1950. Salvien de Marseille, Œuvres 2, du Gouvernement de Dieu (de gubernatione Dei), (rédigé vers 475), Paris, éd. du Cerf, coll. Sources chrétiennes, 1975.
11 Cf. Heuclin J., Aux origines monastiques de la Gaule du nord, ermites et reclus du ve au xie siècle, Lille, Presses universitaires de Lille, 1988, et principalement le chapitre 2, « Les vagues érémitiques du ve et du vie siècle », p. 32-42. Également l’article « Ermites du haut moyen âge », Viller M., Cavallera F., Guibert J. de, Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, 1960, t. IV, col. 953-960.
12 Angot A. abbé, « Dictionnaire... », op. cit., 2, p 133-149. L’abbaye d’Évron, au nord de la forêt de Charnie, aurait été ruinée en 953 mais fut restaurée presque immédiatement en 988 par les moines de l’abbaye Saint-Père de Chartres et par Robert, fils du comte Eudes Ier de Blois.
13 Saint-Evroult-en-Ouche (ou Saint-Evroul). Outre naturellement l’Historia ecclesiastica (livre XIII) d’Orderic Vital qui fut moine de l’abbaye, cf. Thirion J., « L’ancienne abbaye de Saint-Evroul », congrès archéologique de France, xvie session Orne, 1953, Paris, 1954, p. 130-134. Du même, Abbaye de Saint-Evroult-en-Ouche. Livret de l’Année des Abbayes Normandes, n° 25, Rouen, Crdp, 1980. Saint-Evroult et l’abbaye d’Ouche, n° 41 de la Revue Art de Basse Normandie. Caen, 1966.
14 Angot A. abbé, « Dictionnaire. », op. cit., t.1, p. 496. L’abbaye de moniales Notre-Dame et Saint-Pierre de Chalons, près d’Argentré, arr. Laval, aurait été fondée en 710 et aurait été ruinée en 989. L’église qui lui succéda après la tourmente scandinave fut placée sous le patronage de l’abbaye d’Évron.
15 Ibidem, t. 3, p. 605-606. L’abbaye Saint-Jean-de-Mayenne serait une fondation de saint Trèche, au viiie siècle. Charles le Chauve la donne en 854 aux moines de Saint-Philibert de Grandlieu qui l’abandonnent rapidement devant les menaces scandinaves, pour se réfugier à Cunault puis à Tournus. Le monastère disparaît. N’en subsiste au début du xiie siècle qu’une chapelle Saint-Trèche donnée en 1125 à l’abbaye d’Évron par l’évêque du Mans, Hildebert de Lavardin.
16 Ibid., t. 2, p. 97. Le monastère féminin d’Entrammes aurait été fondé vers 832 par saint Aldric, évêque du Mans, et disparut rapidement.
17 Musset L., « Le Monachisme sur le territoire normand avant la fondation du duché. Aperçus et hypothèses », Abbayes Normandes, catalogue de l’exposition de l’Association de l’Année des Abbayes normandes, n° 77 de la revue Art de Basse-Normandie, printemps 1979, p. 6-7.
18 Pesche J.-R., Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe, Le Mans, Belon et Paris, Derache et Bertrand, 1841, t. 5, p. 342.
19 Cf. Berthelot S., « Voyageurs et ermites », Voyageurs et ermites, saints populaires évangélisateurs de la Normandie, op. cit., p. 55-56, et Gancel H., Les saints qui guérissent en Normandie, t. 1, Rennes, Éditions Ouest-France, 1998, en particulier p. 81-83 et t. 2, Rennes, Éditions Ouest-France, 2003.
20 Vie de saint Guillaume Firmat, Acta Sanctorum, Aprilis, t. 3, 1675, p. 334-342. Il en existe une traduction française cf. Pigeon E. -A. chanoine, Vies des Saints des diocèses de coutances et d’Avranches, Avranches, Perrin, 1898, t. 2, p. 378-398.
21 Ibidem, p. 385-386, et Acta Sanctorum, op. cit., chap. 2, § 12, p. 339.
22 Angot A. abbé, « Dictionnaire. », op. cit., t. 2, p. 183.
23 Moolenbroek J. Van, Vital l’ermite, prédicateur itinérant, fondateur de l’abbaye normande de Savigny, Van Gorcum, Assen, 1990 pour l’édition hollandaise, traduction française d’Anne-Marie Nambot, Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville, t. LXVIII, n° 346, Avranches, 1991, p. 213 ; Beck B., Saint Bernard de Tiron, l’ermite, le moine, le monde, Cormelles-le-Royal, La Mandragore, 1998, p 250.
24 Vita Bernardi, § 20. Cf. la transcription et la traduction de la Vita dans notre ouvrage. « Saint Bernard de Tiron », op. cit., § 20, p. 336-337.
25 Moolenbroek J. Van, op. cit., p. 162-163.
26 Sur la Colmont, à la frontière des départements de la Mayenne et de l’Orne, au nord de Gorron. L’abbaye de Savigny y possédait en 1119 une chapelle dédiée à saint Pierre. Cf. Moolenbroek. Van, op. cit., p. 163 et p. 269-270 (charte d’Henri 1er).
27 Vita prima Beati Roberti de Arbrissello, par Baudri de Bourgueil, évêque de Dol (écrite vers 1116), Patrologie Latine, Paris (édit. J.-P. Migne), 1889, t. 162, col. 1043-1058. Cf. Dalarun J., Robert dArbrissel, fondateur de Fontevraud. Paris, Albin Michel, 1986.
28 Baudri « Vita prima. », op. cit., col. 1050.
29 Ibidem, col. 1051.
30 Vita Bernardi, § 21 (Traduction Beck B., op. cit., p. 338-339).
31 Sur les divers ermitages de Bernard, les problèmes de localisation, la symbolique des lieux, la chronologie des installations successives, nous renvoyons à notre ouvrage, Saint Bernard de Tiron, l’ermite, le moine, le monde, op. cit., p. 242-258.
32 chronique de Robert d’Auxerre, année 1104, Holder-Hegger O. (éd.), MGH Scriptores, vol. 26, p. 229 ; chronique d’Albéric des Trois-Fontaines, année 1100, Scheffer-Boischorst P. (éd.), vol. 23, p. 817.
33 Beaunier dom, Abbayes et prieurés de l’ancienne France, Ligugé, abbaye Saint-Martin 1905, t. VIII province de Tours, reprint Zurich, Georg Olms 1999, p 212-213. Cf. l’édition du cartulaire de l’abbaye, xiie-xvie siècles, (Bibl. Mun. Rennes, ms. 273) par Dom P. Anger, Rennes, s.n., 1911, Mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, t. XXXIV, Rennes, Eugène Prost, 1905. Dom Anger donne p. 254-256 la liste des vingt-sept établissements religieux qui en Bretagne, Poitou, Touraine, Maine et Angleterre dépendaient au temps d’Alexandre III (1159-1181) de l’abbaye Saint-Sulpice-la-Forêt.
34 Angot A. abbé, « Dictionnaire... », op. cit., t. 2, p. 183-185.
35 Raison L. et Niderst R., « Le mouvement érémitique dans l’ouest de la France à la fin du XIe et au début du xiie siècles », Annales de Bretagne, t. LV, fascicule unique, 1948, p. 5-6.
36 Becquet J. dom, « L’érémitisme clérical et laïc dans l’Ouest de la France », L’Eretismo in Occidente nei secoli xi e xii, colloque de la Mendola, 1962, Miscellanea del centro di studi medioevali, t.4, Milan, 1965, p. 182-211.
37 Angot A. abbé, op. cit., t. 2, p. 376.
38 Ibidem, t. 2, p. 375-376.
39 C’est probablement lui que la Chronique de Saint-Maixent désigne dans un passage relatif à l’année 1103, Recueil des Historiens de la France, t. XII, p. 404.
40 Le chanoine Blin, Vies des saints du diocèse de Séez, t. 2, p. 497, et note 1, p. 499, a intégré abusivement cet Alleaume à l’entourage de Bernard de Tiron, cf. Beck B., op. cit., p. 245 et p. 246, note 37. Cf. également dom Guilloreau, « L’abbaye d’Etival-en-Charnie et ses abbesses, 1109-1790 », Revue du Maine, t. XLIX et LII, 1901.
41 Beaunier dom, Abbayes et prieurés de l’ancienne France, Ligugé, abbaye Saint-Martin 1905, t. VIII province de Tours, reprint Zurich, Georg Olms 1999, p 229-230. Guillotin De Courson A., Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, Rennes, Fougeray et Paris, Haton, 1880-1886, reprint Mayenne, Édit. de l’Ouest, 1997, t. II, p. 259. Bulletin et Mémoires de la Société archéologique de l’Ille-et-Vilaine, XLII, p. 25.
42 Lignières-Orgères, cant. Couptrain, Mayenne. Beaunier dom, Abbayes et prieurés, op. cit., t. VIII, p. 178 ; Angot abbé, op. cit., t. 3, p. 401-403 et 680-681 375 ; Piolin P dom, Histoire de l’Église du Mans, Paris, Julien et Lanier, 1858, t. IV, p. 475 et 603. La charte de fondation du prieuré a été reproduite par Hippolyte Sauvage, Bulletin de la commission historique et archéologique de la Mayenne, IV, 1992, p. 109 et suiv.
43 Comm. d’Ahuilé, cant. et arr. de Laval, Mayenne ; Cf. Piolin dom, op. cit, t. III, p. 160.
44 Moolenbroek J. Van, op. cit., p. 298 (cartulaire de Savigny, vers 1116-1122) et note 52, p. 354.
45 Ibidem, p. 300 (cartulaire de Savigny) et note 52, p. 354.
46 Archives Nationales, L 969, nos 333 et 334, et Moolenbroek J. Van, op. cit., note 52, p. 354.
47 Lakèdia figure déjà dans la Bible grecque des Septante (en particulier dans les Psaumes) et y désigne l’abattement. Évagre le Pontique en donne au ive siècle dans son Traité pratique ou le Moine, une définition : « le démon de l’acédie, qui est aussi appelé « démon de midi », est le plus pesant de tous... D’abord il fait que le soleil paraît lent à se mouvoir, ou immobile, et que le jour semble avoir cinquante heures. Ensuite il force [le solitaire] à avoir les yeux continuellement fixés sur les fenêtres, à bondir hors de sa cellule... En outre il lui inspire de l’aversion pour le lieu où il est, pour son état de vie même, pour le travail manuel. ». Eccles. Graec. Monumenta, t. III, p. 70 et suiv. Paris, s.n., 1686. Il existe une traduction du texte d’Évagre par Antoine et Claire Guillaumont, Évagre le Pontique, Traité pratique ou le Moine, Paris, Le Cerf, 1971, 2 vol. Cf. également, Cassien, collationes, 4, Patrologie Latine, op. cit., t. XLIX, col. 620. Pour une étude du mot et des manifestations de ce découragement, voir notamment les premières pages de Pierre Miquel, Lexique du désert, abbaye de Bellefontaine, Spiritualité orientale, 1986, n° 44. Cf. également Mélancolie, génie et folie en Occident (Jean Clair dir.), catalogue de l’exposition du Grand Palais, Paris (10 octobre 2005-16 janvier 2006), en particulier Yves Hersant, « l’acédie et ses enfants », p. 54-59, Paris, Gallimard et RMN, 2005.
48 Syneisactisme, Cassien, collationes, 15 (de charismatibus divinis), Patrologie Latine, op. cit., t. 49, col. 989-1012.
49 Yves de Chartres, Lettre à Rainaud l’ermite, Patrologie Latine, op. cit., t. 162, col. 260-262. L’évêque y met en garde Rainaud contre le risque de se couper de l’Église et de verser dans le schisme et fait l’éloge de la vie cénobitique.
50 Gyrovagues, moines vagabonds. Cf. l’article « Gyrovagues » Dictionnaire d’Histoire et de Géographie ecclésiastiques, Paris, Letouzé et Ané, 1988, t. XXII, col. 1365-1367.
51 Sarabaïtes. La Règle de saint Benoît, dans son premier chapitre, les définit comme des individus vivant en réalité dans le monde, selon leur propre loi, et n’ayant du moine que l’habit ou la tonsure. Cf. l’article « Sarabaïtes » Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, d’E. Cabrol et H. Leclerc, Paris, Letouzé et Ané, 1950, t. XV, 1, col. 756-760.
52 Yves De Chartres, Lettre à Geoffroy l’anachorète, Patrologie Latine, op. cit., t. 162, col. 247-248.
53 Yves De Chartres, Lettre aux moines de coulombs, Patrologie Latine, op. cit., t. 162, col. 198-202
54 Grimlaïc, Regula solitariorum, Patrologie Latine, op. cit., t. 103, col. 575- 664. (en particulier col. 595, caput XVII : Quod nunquam minus quam duo vel tres sint simulsolitarii).
55 Baudri De Dol, « Vita Roberti », op. cit., col. 1049.
56 Pigeon E.-A., « Vie de saint Firmat », Vies des saints..., op. cit., p. 380 (mère de Firmat), p. 387, 391 et 394 (Aubert), et p. 394 (ministri, fratres).
57 Beck B., « Vita Beati Bernardi Tironensis », § 38., op. cit., p. 357 (traduction).
58 « Lettre de Marbode à Robert d’Arbrissel », Patrologie Latine, Paris, op. cit., 1893, t. 171, col 1481.
59 Dalarun J., Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris, Albin Michel, 1986, p. 71. Cf. également du même auteur L’impossible sainteté. La vie retrouvée de Robert dArbrissel (v. 1045-1116), Paris, Cerf, 1985, p. 188-189.
60 Étienne de Fougères, Vie de saint Vital, par, livre I, chap. XIV, édit. et trad. française Sauvage, H. Saint vital et l’abbaye de Savigny dans l’ancien diocèse d’Avranches, 2e éd., Mortain, 1895, p. 39.
61 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, Chibnall M. (éd.), Oxford, Clarendon Press, 1969-1980, vol. 8, p. 330.
62 Pigeon E.-A., « Vie de Guillaume Firmat », Vies des saints., op. cit., p. 388.
63 Pigeon E.-A.,op. cit., p. 381.
64 Orderic Vital, op. cit., vol. 8, p. 330.
65 Beck B., op. cit., § 73., p. 391-393 (traduction). Cf. aussi p. 264, pour l’épisode du veau et du loup.
66 Ibidem, § 62, et p. 381 (traduction).
67 Pigeon E. -A., op. cit., p. 387.
68 Vita beati Bernardi Tironensis, § 26, et Beck B., op. cit., p. 345 (traduction).
69 Voir notes 50 et 51.
70 Lettre d’Yves de Chartres aux moines de Coulombs, Patrologie Latine, op. cit., t. 162, col. 201.
71 Marbode de Rennes, Lettre à Robert d’Arbrissel, op. cit., col. 1483.
72 Melote : mot d’origine grecque formé sur μελθν, mouton. Vêtement grossier fait d’une peau de mouton sans apprêt ni teinture. La Vulgate l’emploie dans l’Épître aux Hébreux (Epist. 15. 9). Il fait partie dès l’origine de l’habit des Pères du désert et l’iconographie a en revêtu saint Jean Baptiste.
73 Étienne de Fougères, livre I, chap. 1, Pigeon E.-A., Vies des saints..., op. cit., p. 381.
74 Gauthier D’oydes, « Vie de saint Anastase, moine du Mont-Saint-Michel et religieux de Cluny », Acta Sanctorum, t. VII, 16 oct. p. 1136-1139, Patrologie Latine, op. cit., t. 149, col. 425-432. Trad. fr. par le chanoine E.A. Pigeon, Vies des saints du diocèse de Coutances et d’Avranches, Avranches, 1898, t. 2, p. 339-365. La biographie de saint Anastase a été étudiée par Mathieu Arnoux, « Un Vénitien au Mont-Saint-Michel : Anastase, moine, ermite et confesseur (+ vers 1085) ». Médiévales, n° 28, printemps 1995, p. 55-78.
75 Lettre de Marbode de Rennes à Robert d’Arbrissel, op. cit., col 1405.
76 Lettres de Marbode à Ingilger, Patrologie Latine, op. cit., t. 171, col. 1472-1474.
77 Vita beati Bernardi Tironensis, §, 52-54 et Beck B., op. cit., p. 369-371 (trad.).
78 Payen Bolotin, De falsis heremitis qui vagando discurrunt, Leclercq dom J., (éd.), Revue bénédictine, t. LXVIII, 1-2, 1958, p. 52-86.
79 Walter J. Von, Die ersten Wanderprediger Frankreichs. Studien zur Geschichte des Monchtums, 2 vol. Leipzig, 1903-1906.
80 Dalarun J., L’impossible sainteté..., op. cit., p. 180.
81 Liffré, chef-lieu, cant. de l’arr. de Rennes. Un certain Haton y établit une communauté d’ermites qui à leur disparition devint un prieuré de l’abbaye de Saint-Georges de Rennes. Beaumier dom, op. cit., t. VIII, p 220.
82 Abbé Angot, op. cit., t. 2, p. 183-185. La charte de fondation de ce prieuré de Fontaine-Géhard est aux Archives départementales de la Mayenne, H 66 : « Charte de Guillaume, évêque du Mans par laquelle apert que certains hommes sous le nom d’hermites demeurant à Fontaine Géhard menant une vie licencieuse, laborieuse et d’artisans s’étant réunis vinrent se présenter à Marmoutier et si offrirent avec tous leurs biens pour y servir Dieu et le bienheureux S. Martin où ils furent reçus avec l’agrément dudit évêque sans lequel les propositions n’auroient eu aucun effet. Et mirent ledit monastère en possession des terres dudit prieuré de Géhard, de Montguyon, de Lincé, d’Hémenard, de Sapience, de Sainte Trinité de Paleâ, de S. Martin de Sezain, de Bois-robert, Mexgirard, La Haye d’Ingrande, un verger que Odon donna en aumosne, S. Georges de l’étang et Douët parfond, le tout confirmé par le dit evesque du Mans en présence de l’archevesque de Tours et de l’evesque de Rennes. Dattée de l’an 1147. » La charte originale en latin a été retranscrite dans le Catalogue des actes des évêques du Mans jusqu’à la fin du xiiie siècle, avec une introduction de Léonce Celier, Paris, 1910, p. 351-352, n° 84 1147, 3 décembre. Cf. également Gallia Christiana, t. 14, p. 441. Juhel de Mayenne avait déjà voulu fonder un prieuré vers 1106 en faveur de Marmoutier. En apparence il ne réussit, selon l’abbé Angot, qu’à donner à l’abbaye la chapelle Saint-Etienne et Saint-Laurent, à charge pour l’abbé d’y créer un couvent.
83 Cartulaire de l’abbaye Saint-Sulpice-la-Forêt, Bibliothèque municipale de Rennes, ms. 273, publié par l’abbé Anger Mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, t. XXXIV, Rennes, E. Prost, 1905, p. 165-262. Les établissements sont les suivants : Saint-Grégoire (comm. de Miniac-Morvan) évêché de Dol, Saint-Malo-de-Teillay (comm. d’Ercé), Saint-Aubin d’Aubigné, Saint-Melaine de Mouazé, Sainte-Catherine des Quatre Hostelleries (comm. de Princé) dans le diocèse de Rennes, Notre-Dame-de-la-Fontaine-Saint-Martin et Sainte-Magdelaine-de-Belle-Saule (comm. de Courceboeuf), dans le diocèse du Mans.
84 Le rouleau mortuaire de Vital est un des documents les plus précieux des Archives nationales, sous la cote L 966, n° 4 (fonds de Savigny). Le texte en a été édité pour la première fois en 1848 dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XVII, 1847, p. 229 et suiv. et par Léopold Delisle, Rouleaux des morts du xie au xve siècle, Société de l’Histoire de France, Paris, Vve Jules Renouard, 1866, p. 281-344. Cette allusion aux conférences de Dompierre figure dans la lettre encyclique qui précède les tituli et que L. Delisle a publiée en tête du rouleau.
85 Vita Beati Bernardin, op. cit., § 61.
86 Werner E., Pauperes Christi. Studien zu sozial-religiösen. Bewegungen im Zeit-alter des Reformpapstums, Leipzig, Koelher und Amelang, 1956. Et Manteuffel T., Naissance d’une hérésie : les adeptes de la pauvreté volontaire au Moyen-Âge. Trad. par Anna Posner, Paris-La Haye, Mouton, 1970. Cf. Dalarun J., L’impossible sainteté..., op. cit., p. 140-143 pour la réfutation de leurs thèses.
87 Duby G. et Carozzi Cl., La fin des temps, terreurs et prophéties au Moyen-Âge, Paris, Stock, 1982. Cf. également Bridier P., Éon de l’Étoile, Guer, P. Bridier, 1988, et Dubois P. et Rollin L., Éon de l’Étoile, Grenoble, Glénat, 1991.
88 Dereine Ch., « Conon de Palestrina » Dictionnaire d’Histoire et de Géographie ecclésiastiques, Paris, Letouzey et Ané, 1956, t. XIII, col. 461-471.
89 Petit F. « Milon de Senincourt, évêque de Thérouanne », Analecta Praemonstratensia, 1972, p. 7293.
90 Heuclin J., op. cit., p. 259.
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