Graslin et la genèse de l’urbanisme moderne à Nantes
Une mise en perspective
p. 241-270
Texte intégral
1Les transformations que la ville de Nantes connaît au cours des dernières années du xviiie siècle constituent un bouleversement considérable par leur ampleur et leurs conséquences1. En l’espace d’une vingtaine d’années, la ville se dédouble sur le coteau qui domine son port et la Loire, face à l’ancienne cité héritée du Moyen Âge sur la rive opposée de l’Erdre. À l’initiative du receveur général des Fermes du roi Jean-Joseph-Louis Graslin, un quartier nouveau va voir le jour, décidé par le corps de Ville en 1780 et édifié sur les plans de son architecte-voyer Mathurin Crucy2. En 1788, l’inauguration sur la place centrale d’une salle de théâtre à la façade monumentale inspirée de celle de l’Odéon à Paris, suivie de celle d’un hôtel pour voyageurs dont l’Anglais Young écrira alors : « Je doute qu’il existe en Europe une plus belle auberge3 », viendra marquer le caractère symbolique d’une nouvelle centralité urbaine complétée par la construction, à partir de 1792 et poursuivie jusque vers 1830, du cours de la République, devenu Henri iv et aujourd’hui cours Cambronne, premier ensemble résidentiel des nouveaux quartiers de la bourgeoisie nantaise4.
2Cette opération d’envergure, qui correspond à celles qu’ont connues la plupart des grandes cités de l’Europe urbaine du siècle des Lumières5, n’est donc pas seulement importante en tant qu’extension territoriale de la ville mais, surtout, parce qu’elle en remanie radicalement la structure urbaine. On peut la considérer comme étant à Nantes la première opération d’urbanisme au sens moderne du terme, c’est-à-dire de maîtrise du développement urbain par la collectivité sous la forme d’une planification de la construction de quartiers entiers nouveaux, imposée à des promoteurs et constructeurs privés dans le cadre d’un processus de négociation et de conventions passées avec ces derniers. Elle est ainsi l’expression des transformations des rapports sociaux et économiques entre les différents acteurs, publics et privés, de l’aménagement, ainsi que des transformations du pouvoir, au niveau local et dans les rapports avec l’État, marquées par l’émergence de principes et de mécanismes nouveaux d’intervention sur le cadre urbain mis en place de manière progressive depuis les années 1720. En même temps, l’ensemble des transformations de la ville qui ont précédé et rendu possible cette opération d’urbanisme et celles auxquelles elle ouvre la voie, apparaissent-elles comme un instrument de ces changements politiques et économiques qui vont produire la Révolution de 1789 et ses conséquences.
3Il s’agit, en effet, du passage d’un système de production du cadre bâti urbain fondé sur une conception du droit du sol hérité de la féodalité – et donc largement contrôlé par l’aristocratie nobiliaire et ecclésiastique, même si cela n’empêche pas une bourgeoisie de plus en plus riche et désireuse de s’intégrer à la noblesse, tels les Graslin, d’acquérir de la terre qui glisse de son statut de fondement de l’ordre social à celui d’une simple marchandise –, à la mise en place des moyens d’organiser rationnellement l’implantation des activités économiques et sociales sur le territoire urbain en fonction du profit que l’on peut en espérer. L’objectif est de maîtriser le développement de la ville, ou plus exactement d’en contrôler les processus par la valorisation de lieux investis, financièrement et socialement, par les activités les plus prestigieuses et par l’ouverture de l’espace de la ville sur son environnement dans un étalement sans limites, capable d’accueillir l’habitat des masses venues des campagnes participer à la production industrielle. Se met ainsi en place ce que l’on peut considérer comme une nouvelle matrice du développement urbain qui va conditionner son devenir jusqu’à nos jours, tout au moins jusqu’au milieu du xxe siècle.
Enjeu d’une connaissance des transformations urbaines : quelques réflexions épistémologiques
4Retracer les conditions dans lesquelles s’est élaborée et réalisée cette opération d’urbanisme constitue donc un enjeu de connaissance qui dépasse la simple évocation du passé si l’on opère une mise en perspective faisant apparaître, à travers l’une de leurs manifestations, l’évolution des rapports sociaux de la société qui l’a produite et les conséquences qui en découleront dans l’histoire urbaine nantaise et la structuration de la ville d’aujourd’hui. Il s’agit, en quelque sorte, de décrire l’espace en fonction de l’histoire et de raconter l’histoire en fonction de l’espace.
5Comprendre la ville d’aujourd’hui c’est, en effet, être à même de retracer les processus par lesquels elle s’est formée – et continue de se transformer – et donc s’interroger sur ce qu’elle fût avant qu’elle ne soit ce qu’elle est devenue. De cette confrontation entre la forme urbaine actuelle et les formes du passé, on peut faire ressortir à la fois les différences résultant de transformations successives et la permanence de certains traits, hérités eux-mêmes de transformations antérieures qui perdurent et constituent autant de contraintes pour les projets futurs. Car la ville se reconstruit continuellement sur elle-même, ce qui, avant d’être un slogan en faveur de la densification du tissu urbain ancien, est un fait consubstantiel à son existence. À Nantes, la ville actuelle continue de s’élever à quelque cinq ou six mètres au-dessus du sol occupé par ses premiers habitants, et l’on peut ainsi – lorsqu’on donne aux archéologues le droit et les moyens de fouiller ses entrailles – mettre au jour, comme pour un palimpseste, ce que fut le tissu urbain sur lequel elle s’est édifiée par strates successives, et remonter ainsi dans son passé afin d’en reconstituer l’histoire. Il devient alors possible de s’interroger sur les conditions dans lesquelles les transformations constatées ont pu se réaliser, c’est-à-dire à la fois les conditions dans lesquelles elles sont devenues pensables6 et ont été pensées à partir des situations existantes et des problèmes que celles-ci posaient, et les mécanismes par lesquels les projets imaginés furent mis en œuvre par les acteurs sociaux avec les moyens, matériels et techniques, économiques et financiers, juridiques et politiques dont ils disposaient. Dans une réflexion sur ce que l’on pourrait appeler, à la suite d’Halbwachs, « les cadres sociaux » des décisions d’aménagement – c’est-à-dire les conditions qui définissent l’espace de liberté des acteurs, tout en les contraignant dans leurs modes de pensée comme dans leurs capacités d’agir sur le réel –, il s’agit de chercher à comprendre l’écheveau complexe des raisons « subjectives » et « objectives » qui conduisent à des choix spécifiques opérés par des individus situés socialement, afin d’atteindre, comme le dit si bien Max Weber, « la connaissance d’un phénomène historique, c’est-à-dire significatif dans sa singularité7 ».
6Dans le droit fil de la belle définition que donne Émile Durkheim des faits sociaux – aussi bien, précise-t-il, les règles morales ou juridiques que l’architecture –, comme étant « de la vie plus ou moins cristallisée8 », et des travaux de Marcel Mauss sur les rapports de l’organisation sociale, juridique, économique et politique de chaque société et des représentations qu’elle en a et qui déterminent l’image qu’elle projette de son devenir, avec l’inscription de cette organisation et de ces représentations sur le sol et dans l’espace9, toute la tradition sociologique a montré combien l’aménagement des territoires par les hommes qui les occupent est le produit d’un travail d’appropriation de l’espace10 par lequel les civilisations donnent forme à leurs institutions. Ainsi, pour Henri Lefebvre, les institutions « se matérialisent, s’incarnent en œuvres, ces œuvres dont il est facile de voir que ce sont les monuments, les édifices publics et privés, dans lesquels et par lesquels la société globale se présente ou se représente ; ce sont très souvent des symboles. […] Ces œuvres ce sont aussi des actes sociaux perpétuels11 ». De même, Maurice Halbwachs explique-t-il que « les institutions ne sont pas de simples idées : elles doivent être prises au niveau du sol, toutes chargées de matière, matière humaine et matière inerte, organismes en chair et en os, bâtiments, maisons, lieux, aspects de l’espace » et « toutes les institutions, toutes les grandes fonctions de la société non seulement prennent corps, mais prennent un corps, et s’insèrent, s’installent solidement dans l’espace12 ». En ce sens, l’architecture et l’organisation urbaine sont, pour reprendre ses termes, les « formes matérielles de la société13 ». Il en résulte qu’elles ne sont compréhensibles – telles qu’elles se présentent à nous comme à l’historien –, qu’en tant qu’elles sont produites par chaque système social dans sa spécificité, historiquement situé, et considéré dans sa totalité et sa complexité.
7Il s’agit donc de raisonner en considérant ensemble les deux faces d’une même réalité, ainsi que le fait de manière si exemplaire Erwin Panofsky lorsqu’il met en rapport les formes de pensée et les formes architecturales à travers la description des processus par lesquels les transformations s’opèrent d’un même mouvement, tant dans l’ordre institutionnel, intellectuel et symbolique, que dans la matérialité de l’architecture des cathédrales14. C’est la même démarche15 que l’on trouve dans les travaux d’André Leroi-Gourhan rappelant « que l’habitation et plus largement l’habitat [est] le symbole concret du système social16 », comme ceux de Pierre Bourdieu décrivant la maison kaby le comme « le monde renversé17 », de Claude Lévi-Strauss analysant la structure des villages Bororos du Mato Grosso en fonction de la différenciation des sexes, des rapports de parenté et de la représentation symbolique de l’univers18, d’Antonio Margarido montrant la fonction politique du plan de la capitale d’un empire africain du xviie siècle reproduisant la forme d’une Tortue totémique19, ou de Jean-Pierre Vernant expliquant comment « l’organisation de l’espace urbain n’est qu’un aspect d’un effort plus général pour ordonner et rationaliser le monde humain » et pourquoi l’invention de la démocratie dans la cité grecque est inséparable de la création de l’agora20. Plus près de nous, Norbert Elias met en évidence les conséquences de l’organisation politique et de la cour de Louis XIV sur la création de Versailles et sur l’urbanisme et la structure de l’habitat domestique aux xviie et xviiie siècles21. Et l’on sait comment la floraison des « places royales » dans les grandes villes à cette époque manifeste l’affirmation du pouvoir d’un État centralisateur et des Intendants qui le représentent22 et dont le rôle est loin d’être négligeable dans les transformations urbaines de Nantes étudiées ici. Enfin, dans une perspective comparable, Jürgen Habermas montre, lui aussi23, combien l’espace public, à compter précisément du xviiie siècle, doit être entendu comme désignant aussi bien la sphère politique où la bourgeoisie conquiert le pouvoir et l’exerce à travers un droit qu’elle produit à cet effet, que les lieux où s’élaborent les conditions de cette prise du pouvoir à travers l’usage de leur raison par les citoyens débattant des affaires communes et conduisant à l’affirmation d’une « opinion publique ». Salons et chambres de lectures, cafés et théâtres sont les lieux où se définissent de nouvelles formes de sociabilité, parallèlement à la rue comme lieu de vie et d’expression du peuple, avant qu’elles ne soient concurrencés par les médias modernes. Au total et en résumé, « il n’est de lien social qu’en référence à des lieux » écrit Augustin Berque24.
8Ce détour par des exemples historiques et géographiques volontairement aussi éloignés que possible, tout en introduisant une mise à distance qui permet de « nous voir nous-mêmes en perspective25 », met en évidence que toute société s’approprie l’espace en le modelant selon un ordre symbolique correspondant au système de valeurs qu’elle se donne et sur lequel elle repose. « La ville trouve son explication dans l’état même de la civilisation dont elle n’est que l’une des manifestations » enseignait le fondateur de l’Institut d’urbanisme de Paris Marcel Poëte26, et Henri Lefebvre écrit dans le même sens : « La ville projette sur le terrain une société tout entière27 », à condition de ne pas entendre par là qu’il s’agirait, non pas de concepts, mais de deux entités ayant une existence distincte : l’organisation sociale d’un côté et l’espace aménagé d’un autre, ce dernier étant le « reflet » de la première. Hors d’une telle interprétation mécaniste, il s’agit de comprendre que le jeu des forces sociales s’inscrit dans l’espace d’une manière concrète, matérielle, par l’organisation de cet espace, donc du temps vécu des hommes qui l’habitent. La forme de la ville, la configuration de ses quartiers, la répartition des activités et celle des hommes qui l’habitent n’est ni le fruit du hasard28, ni un cadre extérieur aux relations sociales à l’intérieur duquel elles se noueraient et se redéploieraient, soit sous les apparences de la spontanéité, soit sous les effets des contraintes socio-économiques. Elle est partie intégrante, constitutive, forme même de ces relations instituées et s’instituant, c’est-à-dire des rapports sociaux29. Ce qu’on appelle la « ville » – qui n’est que l’une des modalités particulières que peut prendre l’organisation d’un territoire par une société donnée –, se définit alors comme un « moment » spatio-temporel des rapports sociaux, en comprenant ce terme à la fois dans le sens que lui donne la physique (un point d’équilibre entre des forces) et dans le sens d’une inscription dans le temps et dans l’histoire.
9Dans l’aménagement d’une ville, les individus et les forces sociales dont ils expriment les aspirations et les intérêts sont alors confrontés à l’écart entre ce qui leur paraît souhaitable (les choix désirés en fonction des buts qu’ils se donnent) et ce qui leur est possible (les choix imaginables et réalisables au moment donné), afin d’aménager un territoire dont l’occupation est un enjeu pour chacun d’entre eux, ces aménagements n’étant jamais que réaménagement de l’espace légué par leurs prédécesseurs, en fonction du rapport des forces qu’ils sont susceptibles de mobiliser. Cette reproduction continue de la ville apparaît ainsi comme une suite de compromis traduisant matériellement dans l’espace l’état du rapport des forces entre les acteurs en présence dont le passé, les aspirations, les capacités d’intervention et le devenir convergent ou divergent, partiellement ou totalement. L’espace ainsi socialement produit représente donc une solidification, une matérialisation de l’histoire, et la réarticulation des lieux qu’elle engendre définit le cadre avec lequel les générations suivantes devront jouer pour mener à bien leurs propres projets à travers la mise en œuvre de mécanismes économiques, politiques et juridiques, eux-mêmes produits par la société concernée.
10Lorsqu’une ville se transforme, cela signifie donc que les conditions de ces transformations – qu’elles tiennent à l’existant ou aux processus travaillant cet existant – étaient déjà à l’œuvre au sein du jeu des f orces sociales concernées, rendant possibles les aménagements ou réaménagements à venir. Aussi, la forme que prennent ceux-ci résulte-t-elle du rapport dialectique entre, d’une part, la forme urbaine existante, héritée du passé et constituant une sorte de matrice offrant un certain nombre de possibilités, ouvertes mais limitées, et d’autre part, la mise en œuvre d’un processus complexe de moyens matériels et techniques par des acteurs sociaux agissant en fonction de leur inscription dans des rapports institutionnels dont ils tirent des capacités d’action en termes de pouvoirs – politiques, juridiques, économiques, financiers –, et en termes de savoirs permettant à la fois d’imaginer une ville future différente et de traduire cette vision en projets réalisables. La mise en évidence de ces conditions de possibilité et donc des tendances plus ou moins lourdes d’évolution des formes d’occupation et d’organisation des territoires, renvoie ainsi à l’étude des rapports sociaux susceptibles d’en accoucher, et capables de le faire. À l’inverse, l’enjeu d’une telle connaissance est de comprendre les rapports sociaux eux-mêmes à partir de la forme spatiotemporelle qu’ils se donnent, qui les façonne et par laquelle ils se manifestent concrètement, autrement dit, par laquelle ils existent et évoluent.
11Les transformations urbaines de Nantes au xviiie siècle en sont un parfait exemple et ici réside l’intérêt profond de leur étude, ainsi que l’a bien noté Jean-Claude Perrot pour Caen, lorsqu’il évoque une « véritable découverte de la ville » durant cette période historique, ajoutant que « l’invention de la question urbaine surplombe d’un siècle celle de la question sociale, ensuite elles ne se dissocieront plus30 ». Il en tire cette conclusion qu’« il n’est pas vain d’imaginer que l’appréhension de la ville au xviiie siècle, avec les pratiques qui en découlent, n’ait pesé très lourd sur l’avenir de la société. Disons en sens inverse que les cités d’ancien régime suggèrent précocement le triomphe du capitalisme et de l’utilitarisme social31 ».
12La réalisation de ces projets de transformation de la ville apparaît alors comme étant aussi un moyen, un instrument par lequel ceux qui les réalisent s’imposent dans les luttes pour le pouvoir au sein de la société et inscrivent leur position dominante, matériellement et de manière visible, dans l’espace urbain, et un instrument essentiel compte tenu des ressources considérables qu’ils mobilisent dans les domaines politiques, économiques, techniques et financiers. Et l’on conçoit bien, dès lors, que cette fin du xviiie siècle, ait pu être le théâtre de transformations urbaines accompagnant les profondes transformations sociales qui vont accoucher de 1789, et que les agents de ces transformations urbaines ne peuvent qu’avoir partie liée avec les changements des rapports sociaux au sein desquels s’étaient mis en place les conditions idéologiques, économiques, juridiques et politiques les ayant progressivement rendu possibles.
13Il convient donc de voir en premier lieu comment les conditions politiques, juridiques, sociales, économiques et techniques ont rendu possible de telles transformations, dont les mécanismes vont se mettre en place progressivement à travers les premiers lotissements et plans d’alignement, pour aboutir à la création d’un quartier de ville entièrement nouveau résultant de la collaboration d’un promoteur privé, Jean-Joseph-Louis Graslin et de la puissance publique, représentée par le corps de Ville, ses maires et son architecte-voyer Mathurin Crucy, mais aussi l’État, présent à travers ses intendants et subdélégués successifs.
Conditions de possibilité de la naissance de l’ » urbanisme » moderne à Nantes
14Jusqu’au milieu du xviiie siècle, Nantes garde sa forme de ville héritée du Moyen Âge, enserrée par son enceinte de murailles appuyées sur le château, bordée par la Loire où s’étirent les îles sur lesquelles prennent appui la chaussée et les ponts qui la relient à la rive sud du fleuve, et dominée par la masse de sa cathédrale, la tour du Bouffay siège du Présidial, et les flèches des multiples églises, chapelles et couvents qui occupent une large part d’un espace intérieur où la population s’agglomère principalement le long de deux axes d’habitat dense, approximativement perpendiculaires et se croisant au carrefour du Change (fig. 29 et 32)32. Venant du nord, l’Erdre qui la délimite à l’ouest au pied de la butte Saint-Similien et de l’antique faubourg du Marchix, la traverse ensuite pour se jeter dans la Loire à travers les fortifications depuis que celles-ci ont englobé, au xiiie siècle, le Bourg-Main ou faubourg Saint-Nicolas (fig. 38). Sur la Loire, aux pieds de ces fortifications, les activités portuaires occupent le Port-au-vin avec la Bourse de commerce et les hôtels en pierre que les armateurs et négociants élèvent dans la première moitié de ce xviiie siècle dans le faubourg de la Fosse. Au-delà, les quais s’alignent jusqu’au Sanitat, prolongés vers l’embouchure de la Chézine à partir de 1726, puis jusqu’à l’Hermitage par décision du duc d’Aiguillon, commandant en chef en Bretagne et gouverneur de la Ville, en 1761, permettant le déplacement vers l’aval des entrepôts dont ceux des Salorges et de la Compagnie des Indes ainsi que des chantiers de construction et réparation navales.
15Ce qui se trouve ainsi marqué dans l’espace, c’est la ville telle que l’a produite le système social, économique et politique féodal dans une société dont le ciment est constitué par la religion, et qui est soumise au double pouvoir du seigneur – comte, duc ou roi – dont le château est à la fois le lieu d’exercice et le symbole, et de l’évêque dont la cathédrale traduit la puissance en même temps qu’elle exprime l’unité symbolique de la population ici rassemblée. L’enceinte fortifiée, nécessaire à l’affirmation et la défense du siège d’un pouvoir comtal puis ducal avant son intégration au royaume de France en 1532, délimite et définit la ville, non seulement en terme spatial, mais comme institution, car le statut du sol et des personnes y échappe au droit féodal tel qu’il régit les campagnes environnantes. Les « bourgeois » se voient reconnaître un certain nombre de privilèges dont celui de s’organiser avec un conseil d’échevins élus en 1345, transformé au xvie siècle en corps de Ville autonome avec un maire élu33, et s’affirmant comme un nouveau pouvoir à travers la gestion de l’espace urbain et le droit de porter les armes pour défendre la ville, pouvoir qui ne cessera de s’affirmer au fur et à mesure que leur importance économique grandira.
16On sait comment l’émergence de ce pouvoir de la bourgeoisie va provoquer les conflits qui conduiront à sa victoire politique lors de la Révolution de 1789, mais celle-ci est en quelque sorte le point d’orgue de conquêtes progressives où l’action sur l’espace urbain, ses aménagements et ses transformations, sont non seulement un enjeu mais aussi un moyen pour la bourgeoisie d’assurer son pouvoir. C’est que la ville, telle qu’elle est organisée en fonction des impératifs de la société féodale puis d’Ancien Régime, ne va plus correspondre aux exigences du développement économique. On peut déjà remarquer que les foires, élément essentiel à l’existence même de la ville comme lieu d’échanges et première activité ayant donné naissance à une bourgeoisie artisanale et commerçante, prennent place à l’extérieur ou du moins à sa périphérie, à ses portes, points de jonction avec les voies qui la mettent en relation avec le reste du monde, le plus important étant le Marchix au débouché des routes vers la Bretagne. Il en va de même du commerce maritime et de toutes les activités qui le rendent possible ou qui en découlent, telles que la construction des navires ou la production et la transformation des marchandises par les manufactures. Le port se développe hors les murs et les catégories sociales qui lui sont liées, négociants, armateurs, manufacturiers, ouvriers, le suivent, ayant donné naissance aux faubourgs de Richebourg à l’est, des îles de la Madeleine et de Biesse jusqu’à Pirmil vers le sud, et de la Fosse qui connaît le plus grand développement à l’ouest. Progressivement, l’enceinte qui marquait les limites de la cité et lui donnait son identité apparaît comme un carcan empêchant la libre circulation de flux de marchandises de plus en plus importants, ses portes constituant autant de goulets d’étranglement rendant difficiles et compliquées les liaisons entre la ville et son environnement, et tout particulièrement son port. Ainsi, l’organisation spatiale de la ville qui a permis le développement des activités qui sont au fondement de son existence et de sa richesse, devient une entrave à ce développement.
17C’est au milieu du xviiie siècle que se manifestent les conséquences de cette contradiction entre les capacités de développement économique et social de la ville et la forme urbaine héritée du passé. C’est en effet le moment où Nantes connaît un essor considérable, dû essentiellement à la Traite des esclaves noirs et au commerce triangulaire avec l’Afrique et Saint-Domingue où les familles nantaises d’armateurs possèdent des plantations. Premier port négrier français, premier port de négoce durant les 30 premières années du siècle avant d’être devancé par Bordeaux, premier centre de construction navale, Nantes devient en même temps une ville de productions industrielles liées à ce commerce maritime, avec en premier lieu les manufactures de toiles de lin, de cotonnades et d’ » indiennes » peintes, les raffineries de sucre, distilleries, fabriques de clous, corderies, tanneries, faïenceries, toutes implantées également hors les murs et principalement sur les bords de la Loire et de l’Erdre pour la majorité d’entre elles qui ont besoin de la présence de l’eau. De 40 000 habitants autour de 1700, la ville passe à environ 75 000 dans les années 1790, cet afflux de population provoquant tout à la fois des difficultés et embarras de circulation et une forte pression foncière dans un espace urbain qui ne comprend que 24 hectares intra-muros, largement occupés, comme on l’a vu, par des propriétés seigneuriales ou religieuses. De la pénurie de terrains engendrée par une telle situation juridique et sociale, découle la nécessité de trouver des espaces nouveaux susceptibles d’accueillir l’ensemble des catégories sociales participant à ces activités nouvelles. On ne pourra les trouver qu’à l’extérieur de la ville proprement dite, sur des terres dont la rente est souvent insuffisante pour permettre aux nobles qui en sont propriétaires de faire face aux dépenses découlant de leur statut social. Face à cette offre potentielle de terres prêtes à être mises sur le marché, la richesse accumulée entre les mains des armateurs et des négociants leur donne les moyens d’adapter l’espace urbain aux exigences du développement de leurs activités, en même temps que ces fortunes engendrent le désir de construire pour eux-mêmes des demeures et des lieux mettant en scène leur puissance et leur prestige. De plus, non seulement la bourgeoisie dispose des moyens financiers de répondre ainsi à ses propres besoins, mais cet investissement peut déboucher sur des profits inespérés en raison de la forte demande existante et des prix atteints par les terrains pouvant devenir constructibles. La transformation généralisée de la terre en marchandise, liée au déclin d’une aristocratie dont le statut reposait sur sa possession et conjuguée avec l’accumulation des richesses par la bourgeoisie, crée les conditions de ce mécanisme que nous connaissons bien aujourd’hui : la spéculation foncière, et l’apparition d’une fonction sociale assise sur ce mécanisme : le promoteur immobilier.
18Ainsi, l’essor économique que connaît Nantes en ce xviiie siècle à travers une double concentration du capital et du travail, va rendre tout à la fois nécessaires et possibles les transformations de la ville à travers de grands projets. Encore faut-il que ces projets soient imaginables et réalisables, autrement dit que l’on pense la ville et son développement autrement que comme la simple adjonction d’immeubles et de lieux construits les uns à côté des autres pour répondre à des besoins particuliers. Il faut qu’une nouvelle conception de l’architecture et l’aménagement urbain s’exprime à travers des principes différents, formulée par des hommes nouveaux, et que ceux-ci s’inscrivent dans des relations de pouvoir leur donnant les moyens de mettre en œuvre ce qu’ils auront projeté à une échelle qui ne soit plus seulement individuelle mais qui soit celle de la ville dans son ensemble. Cela suppose des instruments nouveaux de représentation que sont les plans de ville permettant d’y dessiner les « alignements, embellissements et extensions » futurs34, des techniques de construction nouvelles permettant d’élever des bâtiments sur des terrains jusque là impropres à la construction, telles des alluvions mouvantes35 ou des buttes rocheuses devant être aplanies comme celle sur laquelle sera précisément construit le quartier Graslin. Et cela suppose enfin un pouvoir de la collectivité pouvant s’imposer aux intérêts des propriétaires privés et des entrepreneurs individuels.
19Mais, d’un point de vue plus général, cela suppose aussi que tous ces agents sociaux partagent une conception de la société selon laquelle son organisation et son devenir résultent de la volonté de ses membres et non plus du respect de la tradition ou de préceptes issus de la religion et imposés par l’Église. Tout comme cela va bientôt se traduire dans le domaine politique avec l’élaboration des constitutions, la maîtrise du devenir de la ville correspond à la victoire d’un nouveau système conceptuel appliqué à la ville sous la forme de plans élaborés en référence à des principes rationnels par des spécialistes, ingénieurs et architectes, formés et encadrés par des institutions nationales (corps des Ponts-et-Chaussées, Académie d’architecture), utilisant à cette fin un savoir fondé sur les mathématiques. La mise en place d’une planification urbaine – ce que nous appelons l’ » urbanisme » – à travers les processus de transformation de l’espace urbain nantais au xviiie siècle, apparaît ainsi étroitement liée à l’idéologie des Lumières, comme expression de l’inscription dans l’espace de la croyance dans le Progrès et résultant de l’usage de la Raison.
20Tel qu’on vient de le définir, on peut donc dater l’apparition de l’urbanisme à Nantes de l’opération de création de ce quartier entièrement nouveau construit au-dessus de la Fosse à l’initiative de Graslin et sur les plans de Crucy à partir de 1780. Mais cela ne signifie pas qu’il s’agisse là d’une rupture brutale avec les modes antérieurs de production de la ville. Bien au contraire, ce qui vient d’être mis en évidence quant aux conditions nécessaires à l’éclosion d’un urbanisme moderne indique que ses mécanismes sont apparus progressivement à travers des expériences, réussites ou échecs, qui se sont succédées depuis le début du siècle. Il est d’ailleurs habituel d’attribuer la paternité des premières interventions d’urbanisme à Nantes à Gérard Mellier, maire de 1720 à 1729, en particulier parce qu’il est l’initiateur du premier projet de construction d’une extension de la ville sous forme d’un quartier nouveau à l’extérieur de son enceinte, sur les atterrements de l’île de la Saulzaie au milieu du bras nord de la Loire, actuelle île Feydeau36. Mellier, avocat devenu trésorier de France, général des Finances et grand voyer en Bretagne, puis subdélégué de l’intendant à Nantes, avait publié en 1709 un Traité du droit de voirie où il écrivait que « l’embellissement des Villes […] consiste dans la construction des Bâtiments en ligne droite […] afin d’établir une Symmétrie, d’une manière qu’une ruë entière ne paroisse qu’une maison37 ». C’est ce principe qu’il voudra appliquer sur l’île de la Saulzaie dont il a obtenu de l’État l’arrentement au bénéfice de la Ville, avec l’appui de l’intendant Feydeau de Brou. Un plan d’aménagement sous forme d’un lotissement de 24 parcelles identiques est établi en 1723 par l’ingénieur de la Ville Goubert, imposant un modèle uniforme de façade aux actionnaires qui s’engagent de surcroît à prendre en charge la réalisation des rues de desserte et des quais sur lesquels donneront leurs maisons, et auxquels viendra s’ajouter en 1725 un pont reliant ce quartier au Port-au-vin sur la rive nord. On est bien en présence d’un projet global, répondant aux besoins des armateurs et négociants qui pourront y établir leurs demeures, entrepôts et bureaux, tout en utilisant le reste comme immeubles de rapport. Un nouveau type de relations est ainsi établi entre la collectivité publique, propriétaire du terrain, et les actionnaires privés qui doivent financer une partie des infrastructures dont la ville devra ensuite assumer l’entretien comme ouvrages d’intérêt public. Mais les charges apparaîtront si lourdes qu’il faudra attendre 1741 pour voir terminées les deux premières maisons, Mellier étant déjà disparu depuis vingt ans. Les autres constructions ne suivront qu’après que le Conseil d’État ait, en 1743, libéré les actionnaires de l’obligation de respecter les élévations imposées, l’achèvement du lotissement n’ayant lieu qu’en 1788. Si bien que, si l’île Feydeau nous offre aujourd’hui une ensemble urbain remarquable, c’est en raison de son architecture baroque et de l’exubérance de ses ornementations, balcons et mascarons, typiques de l’architecture purement nantaise de la première moitié et du milieu du siècle38, et non par le respect de l’intention première de Mellier et Goubert qui visaient un ordonnancement rectiligne et symétrique. Il était trop tôt sans doute pour que ces principes rationnels puissent s’imposer à une telle échelle.
21Ce n’est qu’en 1760, avec l’arrivée comme architecte-voyer de Jean-Baptiste Ceineray, Parisien formé par l’Académie royale d’Architecture contrairement à ses prédécesseurs, que la rigueur du néo-classicisme va commencer à marquer l’architecture et l’urbanisme nantais. Ceineray va bénéficier du travail antérieur de représentation de la ville sous forme de plans, apparus avec Jouanaulx en 172239, puis Touros en 1742 et Vigné de Vigny en 1755 (fig. 33)40, mais difficilement applicables dans leur ensemble car fondés sur des relevés encore trop imprécis. Il est intéressant de noter que ces deux derniers ont été réalisés à la demande non pas de la Ville mais du Maréchal de Brancas pour le premier, du duc d’Aiguillon pour le second, tous deux commandants en chef en Bretagne et gouverneurs de la Ville, c’est-à-dire représentants sur place, avec l’intendant, de l’autorité royale. Le pouvoir en matière d’architecture et d’aménagement urbain relève en effet directement du pouvoir central et est étroitement contrôlé par lui, l’application des plans d’embellissements étant conditionnée par les arrêts en Conseil d’État du Roi qui en ordonnent l’exécution41. Il en est de même pour le règlement de police de 1743 qui rassemble pour la première fois l’ensemble des dispositions antérieures disparates régissant les constructions dans la ville42. L’État est de surcroît propriétaire des fortifications qui occupent une position stratégique quant aux possibilités d’extension de la ville et dont les terrains seront libérés lorsque leur destruction sera décidée en 1755 en application du plan de Vigny. La Ville avec son maire Gellée de Prémion fait alors établir en 1756-1757 un relevé exact par François Cacault (fig. 36)43qui permet à Ceineray de dessiner en 1761 le premier véritable Plan général pour la commodité et l’embellissement de la ville de Nantes, approuvé en Conseil d’État en 1766 (fig. 37)44. À partir de l’alignement du cours des États45 et des quais, il met en œuvre le principe énoncé par Mellier d’un ordonnancement symétrique de façades imposées aux propriétaires des immeubles composant un îlot urbain. Le pas est franchi de constructions juxtaposées les unes aux autres et respectant les limites des parcelles cadastrales, à la conception de morceaux de ville agencés dans un plan d’ensemble. Mais on est encore dans le cadre d’un réaménagement de parties de la ville ancienne, bien qu’il s’agisse de l’ouvrir vers l’extérieur par l’effacement de l’enceinte qui la séparait de ses faubourgs. Tout comme on reste dans le cadre d’une ville d’Ancien Régime lorsque Ceineray imagine l’aménagement d’un quartier ayant pour fonction de rassembler les institutions emblématiques du pouvoir dans cette société, à l’est de la vieille cité dans le périmètre de la cathédrale, du château et de l’hôtel de Ville, en y reconstruisant la Chambre des comptes de Bretagne en alignement d’une nouvelle « rue Royale46 », ainsi que l’évêché, la Monnaie et le collège de l’Oratoire autour d’une place d’Armes au tracé géométrique, créée au milieu du cours des États aménagés déjà par Mellier pour offrir à l’élite un lieu où celle-ci peut s’adonner à une activité de sociabilité publique et de loisir sous la forme de la promenade, où elle se donne à elle-même en représentation, avant que cette fonction ne glisse bientôt vers la salle de spectacle, le théâtre conçu dans cette perspective. Idée neuve correspondant à ce que nous dénommons un « centre ville », et dont l’architecte nantais Pierre Rousseau donne en 1760 une image particulièrement « parlante » en proposant un projet d’embellissement où c’est toute la ville ancienne réorganisée qui joue ce rôle en prenant la forme d’un cœur (fig. 34), dessin qui relèverait simplement de la fantaisie de son auteur si on ne le mettait en rapport avec les « architectures parlantes » de Lequeu et de Boullée, le maître de Crucy 47et s’il ne préfigurait l’organicisme qui va découler du fonctionnalisme qui nait précisément à ce moment là48.
22Mais, entreprise dès 1762 avec la reconstruction de la Chambre des comptes49, l’opération de Ceineray se terminera en 1782 avec l’hôtel Montaudoin construit sur la place d’Armes par Crucy qui a lui succèdé comme architecte-voyer en 1780. La « rue Royale », elle, devra attendre le siècle suivant pour exister véritablement, seulement deux hôtels particuliers y étant réalisés avant 1800. L’ensemble de ce quartier restera ainsi marqué jusqu’à nos jours par une image « d’Ancien Régime », les Nantais continuant de l’appeler le quartier de la cathédrale et de la place Louis-XVI50, au milieu de laquelle s’élève l’une des trois statues que la France compte de ce roi. il concentre encore aujourd’hui la plus grande partie de l’habitat de l’aristocratie nantaise et des propriétaires fonciers importants51, et ouvre vers le faubourg Saint-Clément et Saint-Donatien, où la présence de communautés religieuses qui occupaient la majeure partie de l’espace urbain jusqu’encore la première partie du xxe siècle, n’a pas totalement disparu et explique le nom de « terre sainte » que les vieux nantais continuent de lui attribuer.
23C’est qu’entre temps s’est construit, mais à l’opposé de la ville et sur des terrains quasiment vierges, ce qui va devenir le « centre » que nous connaissons aujourd’hui, sur la butte qui surplombe le port à l’ouest. ici, à partir de 1780, la bourgeoisie nantaise va investir dans la construction d’un quartier entièrement nouveau qui va entraîner le développement de l’ensemble de la cité dans cette direction.
La création du quartier Graslin comme centre d’une ville nouvelle
24Le promoteur qui en a l’idée et va en assurer la réalisation est donc JeanJoseph-Louis Graslin, receveur général des fermes du roi depuis 1759 à Nantes, homme des Lumières féru d’économie qui ne se contente pas d’écrire en 1767 un Essai sur la richesse et sur l’impôt où il critique les physiocrates52, mais qui met en pratique ses conceptions en participant à l’assèchement des marais de Lavau en 1772 puis de ceux de Dol53, et à la création d’une manufacture d’indiennes peintes à Nantes en 177554. C’est alors qu’il va s’intéresser au développement de la ville où il vit et exerce ses fonctions depuis 1759 et transposer au domaine urbain cette activité qu’il a déjà pratiqué consistant à investir dans des terres improductives pour tirer profit de leur transformation en terres agricoles rentables. Mais si l’on comprend bien que, pour ce financier, une opération spéculative immobilière puisse prendre place dans les différents projets de transformations de la ville dont nous venons de parler, l’ampleur de ce qu’il imagine dès le départ est assez surprenante au vu de l’achat des terres qu’il engage en 1776 et qui le conduit trois ans plus tard à demander à la communauté de ville de s’engager dans la construction d’un ensemble immobilier qui dépasse de loin les réalisations menées jusque là, y compris l’important lotissement de l’île Feydeau encore en chantier après avoir été lancé en 1723. Or, il justifie son projet par un discours qui montre une réflexion qui, tout en manifestant une claire conscience du caractère spéculatif de l’opération qu’il entreprend et des bénéfices personnels qu’il compte en tirer, rejoint des préoccupations d’intérêt général en faveur, non pas sans doute des classes populaires de l’époque, mais néanmoins des classes moyennes en difficulté, en des termes particulièrement modernes. il écrit, effet en 1789 : « Quand j’ai conçu mon projet, en 1775, il y avait déjà longtemps qu’on souffroit à Nantes de la rareté & la cherté des logements […]. J’ai donc dû regarder, dans ce temps-là, ma spéculation comme une opération aussi patriotique que peut l’être celle d’un Armateur qui fait venir des grains en temps de disette. Les Propriétaires de maisons ont pu voir avec quelque déplaisir, cette augmentation de logements ; mais la classe des Locataires, qui y gagne nécessairement, est beaucoup plus nombreuse, &, en général, moins aisée que celle des Propriétaires55. »
25En quoi J.-J. Graslin put-il être amené à imaginer un tel projet ? Dans son travail sur Caen au xviiie siècle, J.-C. Perrot note : « Depuis 1730 les agrariens, depuis 1750 les physiocrates soutiennent une interprétation copernicienne des rapports villes-campagnes […]. Aux premières est imputée désormais la stérilité, aux secondes la production des richesses56 », tout en faisant remarquer que cette conception a été aussitôt contestée, notamment par des financiers, laissant place à une nouvelle « synthèse » mise en œuvre par
« les milieux qui se partagent le pouvoir urbain. Vers 1750, les négociants, les ingénieurs, les médecins et les agents du Roi se mettent en effet à parler un même langage [où] la notion de fonction joua un rôle capital. […] C’est d’abord la reconnaissance des fonctions de circulation qui font entrevoir la ville comme un lieu d’échanges à ouvrir sur l’extérieur, de là des saignées et l’abattis des fortifications […], le remodelage des quartiers, le déplacement des marchés, l’aménagement du port, l’expulsion des inutiles […] dans l’idée que chaque unité s’articule autour d’un rôle principal. Finalement la maison privée reçoit l’onde de choc à son tour [avec] la spécialisation des pièces, l’autonomie renforcée par l’aménagement de passages, le doublement des escaliers57 ».
26On retrouve ici la description, déjà évoquée plus haut, que J. Habermas donne des différentes transformations de l’espace public et de l’espace privé à cette époque, marquée par l’apparition d’une sphère publique distincte de l’État sous l’action d’une bourgeoisie libérale attachée à faire circuler les idées par le presse, développant le goût du théâtre et des voyages et se retrouvant dans les salons de lecture, les sociétés savantes ou les loges maçonniques, pour constituer un « public éclairé faisant usage de sa raison critique » et exprimant une toute nouvelle conception de l’espace urbain comme de l’habitat domestique58.
27Le financier et économiste anti-physiocrate et utilitariste Graslin appartient à ces milieux sociaux et intellectuels, jusque y compris sa passion de jeunesse pour le théâtre qui le conduira à ce projet placé au centre du quartier nouveau qu’il va imaginer en transformant des terrains semi-ruraux des faubourgs en une « ville nouvelle » ouverte, de manière à développer au maximum les échanges et les circulations. L’intérêt même qu’il porte un temps au déssèchement de marais à Lavau et Dol relève plus de la recherche d’une utilité résultant du travail de l’homme pour transformer la nature que d’un amour particulier pour cette dernière et d’un désir de la « mettre en valeur », sinon dans le sens de la faire entrer dans le cycle productif de la marchandise. Les difficultés qu’il va rencontrer ne pourront que le renvoyer vers un espace urbain où les transformations entreprises depuis une vingtaine d’années sont autrement prometteuses, avec la destruction des fortifications et les remodelages de l’ensemble de la ville, grands travaux inaugurés avec Ceineray et poursuivis par Crucy, sous l’impulsion des représentants du pouvoir royal, tel le duc d’Aiguillon, alliés dans cette perspective à certains des édiles nantais, tels Gellée de Prémion, également subdélégué de l’intendant comme le fut aussi Mellier, ou Ballays qui lui succède dans cette fonction. Un réseau de relations se constitue ainsi, avec notamment l’architecte Robert Seheult, porté à penser que le progrès résultera de la conjonction des initiatives privées à condition d’y intéresser la collectivité publique.
28Mais au sein de celle-ci également, le fonctionnalisme et l’utilitarisme partagés par ceux qui défendent l’intérêt commun vont faciliter des collaborations, d’autant que, ainsi que le note encore J.-C. Perrot, « Saisie par les couches dominantes comme ensemble de fonctions, la ville s’est faite objet physique, mieux pur être organique », avec comme conséquence que « la méthode fonctionnelle s’est soumise à une politique, celle du négoce59 ». Ces collaborations n’iront donc pas toujours sans conflits, surtout lorsque certains, comme Mathurin Crucy en tant qu’architecte voyer de la ville, auront le sentiment de devoir défendre leur propre domaine de compétences face à la concurrence de leurs collègues défendant les intérêts de la propriété privée60, ou face à la remise en question de ses choix architecturaux au nom d’impératifs économiques61. Il n’en reste pas moins que Crucy fut l’élève de Boullée en compagnie de Durand qui remplaçait la recherche du beau par celle de l’utile comme objectif assigné à l’architecture nouvelle62. De même, les théories dominantes du néo-hippocratisme en médecine vont-elles de pair avec l’accent mis sur l’importance des circulations pour expliquer les phénomènes physiques et sociaux, et conduisent les architectes à privilégier les lieux aérés et la lutte contre les eaux fétides pour combattre les maladies, ce qui est avancé comme justification aux travaux d’assèchement des marais qui sont fort à la mode et auxquels prend part Graslin, tout comme il utilise cet argument en faveur de l’implantation d’un habitat sain sur la butte où il préconise la construction de son nouveau quartier. Tout un milieu existe donc à Nantes dont participe Graslin, traversé de contradictions mais répondant à la description qu’en donnent, pour ce qui nous intéresse, J.-C. Perrot et J. Habermas entre autres auteurs63, sur la sociabilité des Lumières préfigurant la Révolution, où se côtoient et se rencontrent les protagonistes des transformations urbaines que nous voyons se réaliser. Mais on manque d’informations permettant de préciser la place qu’il y occupa. Sa bibliothèque personnelle de près de 300 ouvrages montre un homme particulièrement cultivé possédant bien évidemment de nombreux travaux d’économie, s’intéressant bien sûr au théâtre mais aussi aux auteurs anciens et classiques, à la philosophie et aux réflexions sur la société de son temps y compris les écrits de réformateurs64. Il serait donc vraisemblable que Graslin fût membre de l’une des sociétés ou chambres de lecture qui existaient à Nantes, dont la plus ancienne, la Société de lecture de La Fosse, était située près de chez lui et fréquentée par le milieu des négociants avec lesquels il était en relation, mais nous n’en connaissons pas la liste des membres et les auteurs qui en parlent ne le citent pas65. Par contre, on sait qu’il n’était pas membre la Chambre de la ville qui rassemblait essentiellement les membres de l’aristocratie et donnera naissance au Cercle Louis XVI66. Le même problème se pose quant à son appartenance à l’une des loges maçonniques existant à Nantes dans la seconde moitié du xviiie siècle. Pierre Lelièvre l’affirme mais sans indiquer ses sources67, et la tradition orale, tant dans la famille Graslin68 que dans la franc-maçonnerie nantaise, semble le confirmer mais, là encore, sans qu’aucune preuve en soit apportée69.
29Ce que l’on sait par contre de manière certaine, c’est que parmi ceux que fréquente Graslin, il y a de nombreux et influents franc-maçons, notamment Mathurin Crucy et ses frères, son beau-frère et son neveu Antoine et Mathurin Peccot70, ainsi que Blanchard de la Musse71, le peintre Bougon72 qui décora le théâtre et son propre immeuble, et sans doute les architectes Seheult. La plupart jouent un rôle actif dès 1789 dans les événements révolutionnaires, au sein de la Société des Amis de la Constitution d’opinion girondine73. À la présidence de celle-ci on trouve Français dit « de Nantes », qui sera élu à l’Assemblée Législative en 179174 en compagnie d’un autre proche de Graslin, Coustard de Massy75, lequel est réélu à la Convention en 1792 en compagnie cette fois-ci d’un autre leader des Amis de la Constitution, François Mellinet76. Ce dernier, associé de Graslin dans l’assèchement des marais de Lavau, est un grand négociant, lié avec Voltaire, d’Alembert, Camille Desmoulins et ami du peintre David qui fut pensionnaire de l’Académie de France à Rome avec Crucy et qu’il invite à Nantes en 1790 dans sa propriété des « Folies Mellinet77 ». Enfin, parmi les habitués du salon de Graslin, Baco de la Chapelle78 est député du tiers aux États de Bretagne en 1788 puis député de Nantes aux États Généraux en 1789, membre du Club breton, avant d’être le maire de la municipalité girondine de 1792-1793 qui repousse l’assaut des Vendéens et d’être destitué par Carrier pour « fédéralisme », échappant de peu à la guillotine. On ajoutera, quand même, que son cercle familial et ses relations d’affaires le lient de près au milieu des intendants et des fermiers généraux et, à Nantes, aux milieux de la traite négrière que l’on retrouve d’ailleurs présents tout aussi bien parmi les notables de la municipalité que dans les loges maçonniques.
30De cette « configuration » de ses fréquentations et de ce que l’on connaît par ailleurs de sa vie et de ses idées, on peut penser que Jean-Joseph-Louis Graslin fut ce que l’on pourrait appeler un jeune bourgeois « libertin », au sens donné à ce terme aux xviie et xviiie siècles, aspirant à la reconnaissance du statut social que lui autorisait l’anoblissement récent de sa famille79, et réalisant ensuite l’essentiel de ses grandes ambitions. D’idées libérales et, à l’approche de la Révolution, vraisemblablement attaché à la monarchie dont il tire sa situation privilégiée à condition qu’elle s’ouvre aux évolutions économiques qu’il prône80, on peut supposer qu’il se serait plutôt rangé, en 1791 s’il avait encore vécu, du côté des Feuillants défendanr une monarchie constitutionnelle, que du côté des futurs Girondins alors majoritaires dans la bourgeoisie nantaise, avant que celle-ci ne rejoigne massivement le soutien à l’Empereur, mais ce sont là pures supputations en l’attente de recherches plus approfondies.
31Pour l’heure, Graslin va donc acheter à côté de sa direction des Fermes au Bouvet (fig. 30 et 31), au-dessus de la Fosse et du port, les tenues de Bouvet et de la Cagassais ainsi que quelques terres maraîchères avoisinantes (fig. 41 et 42)81, dans l’objectif de les transformer en terrains constructibles en obtenant leur viabilisation par la Ville, afin de les revendre en retirant de cette opération spéculative un profit qu’il espérait considérable en raison de la demande résultant de la croissance de la ville et de ses activités portuaires, et de l’augmentation consécutive des prix sur le marché foncier. Il s’agissait là d’une opération comparable à celles qui s’étaient réalisées sous forme de lotissements, le long des quais à la Chézine, qui avait été un échec, et sur l’île Feydeau à l’échelle d’un quartier déjà, avec les difficultés que l’on a vu mais qui avait néanmoins fini par réussir, tout en se révélant insuffisante au regard des besoins constatés. Sauf à répéter ce type d’opération sur les autres îles ainsi que l’avaient préconisé Vigny et Perronnet (fig. 33 et 35), mais qui avait été refusé.
32Mais un tel projet supposait d’autres forces que celles d’un particulier ou de la compagnie d’actionnaires qu’il allait rassembler. Seule la collectivité publique pouvait assumer une telle charge en raison des travaux de viabilisation des terrains et de l’imposition aux futurs acquéreurs de règles communes édictées par elle. Et il fallait obtenir l’autorisation de l’autorité responsable de l’aménagement urbain, c’est-à-dire l’État ainsi qu’on l’a vu, alors que le plan de Ceineray en vigueur depuis 1766 n’envisageait aucunement cette opération (fig. 37). Or, Graslin va transformer ces obstacles en atout en présentant son projet aux édiles comme une réponse aux problèmes de développement de la ville, permettant de projeter son extension au-delà de l’aménagement des terrains gagnés par la destruction du bastion Saint-Nicolas et de ses fossés déjà décidée par la collectivité sur des plans de Ceineray en 1778 afin de régler les difficultés considérables de sortie de la ville et de sa liaison avec le port (fig. 37, 38 et 39)82. De plus, il présente au corps de Ville un projet dont il a pris la précaution de s’assurer préalablement, de 1776 à 1779, la propriété des terrains nécessaires. Autrement dit, l’opération conçue en fonction des intérêts particuliers du promoteur et de ses partenaires privés devenait une opération d’intérêt général, pour laquelle Graslin fait établir un premier plan par Ceineray et Crucy en 1779 autour d’une place ovale (fig. 40)83. Convaincue, la communauté de Ville décide de l’entériner en dérogation au plan en vigueur84 et obtient du Conseil d’État l’approbation du plan de Ceineray et Crucy comme zone de construction ajoutée en « supplément » au plan de 176685. On notera ici que le maire de Nantes est alors, de 1776 à 1782, Jean-Baptiste Gellée de Prémion, également subdélégué de l’intendant qui, déjà maire de 1754 à 1762, avait fait réaliser le plan Cacault en 1756 puis le plan Ceineray en 1761 lors de ce premier mandat. Il va soutenir le projet de Graslin, alors même qu’il semble avoir été très proche de ses architectes-voyers Ceineray et Crucy y compris dans les conflits qui opposèrent ce dernier à Graslin dans sa défense des intérêts de la collectivité. C’est, en tous cas, après son remplacement par le maire Berrouette que Graslin va rencontrer des opposition au sein du bureau de Ville, qu’il attribuera à la défense par le maire et certains de ses échevins de leurs propres intérêts de propriétaires privés. Il apparaît, en tous cas, que Gellée de Prémion a sans doute joué dans l’histoire urbaine de Nantes, durant les 14 années où il a présidé aux destinées de la cité, un rôle au moins aussi important que celui que l’on attribue habituellement à Gérard Mellier86.
33Au résultat, ce qui n’était au départ qu’une spéculation immobilière est devenu un projet d’aménagement urbain. Le financement de l’opération fait lui-même apparaître deux autres aspects de l’interpénétration du public et du privé. On peut d’abord noter que la fortune personnelle de Graslin qui lui permit de se lancer dans ces affaires immobilières, provenait en premier lieu de son activité de fermier général c’est-à-dire de l’activité d’un financier privé ayant reçu délégation de l’autorité de l’État pour prélever les impôts publics, même s’il sut faire fructifier cette fortune par ses autres investissements. Responsable des mauvaises rentrées sur ses propres deniers, il accaparait le surplus en cas inverse, cas le plus fréquent qui devait d’ailleurs conduire, pour cette raison, un certain nombre d’entre eux sur l’échafaud quelques années plus tard. Ensuite, la Ville ne disposant pas des moyens financiers pour mener à bien les travaux d’infrastructure, Graslin entreprend lui-même le nivellement de la butte et passe plusieurs accords successifs avec la collectivité en 1779 et 1780, sur la base du plan établi par Ceineray et Crucy87. Ces conventions prévoient qu’il fournira gratuitement les terrains permettant la création de la place centrale et des rues tracées sur ses propriétés, et qu’il prêtera à la Ville les fonds nécessaires aux travaux, qu’elle devra rembourser à compter de 1783 avec un taux d’intérêts de 5 %. Graslin s’engageait à établir les voies secondaires et faire construire les immeubles prévus dans les 30 ans, en respectant les alignements des rues et les élévations et décorations dessinées par Crucy pour la place, à laquelle est donné son nom en récompense de sa générosité. La collectivité assurait quant à elle la réalisation et l’entretien de la voirie principale et des espaces publics, ainsi que l’achat ou l’expropriation des terrains nécessaires n’appartenant pas à Graslin.
34Mais l’originalité et, peut-on dire, le « coup de génie » de Graslin, fut alors de penser que la réussite de son projet résiderait dans son ampleur et dans le fait qu’il ne proposerait pas seulement des terrains pour des immeubles d’habitation mais un ensemble urbain comprenant des édifices publics qui le constituerait en un pôle d’attraction des catégories sociales les plus aisées de la société nantaise. Il s’oppose alors à Crucy qui, d’une manière qui indique qu’il n’a pas encore saisi l’importance du projet quant à la transformation de la structure urbaine de Nantes, ou qu’il la refuse, pensait qu’il ne fallait pas « que tous les monuments d’une ville dussent être dans un quartier, qu’au contraire il était essentiel de les disperser pour vivifier et tenir la balance, comme on voit dans toutes les grandes villes88 ». Du coup, Graslin fait dessiner par l’architecte Robert Seheult en 1786 un nouveau plan (fig. 44)89et annonce vouloir disposer autour d’une place dessinée en hémicycle sur le modèle de la place du théâtre de l’Odéon à Paris, un grand théâtre, un hôtel garni pour voyageurs, un grand café au rez-de-chaussée de son propre « hôtel », ainsi que ses bureaux de la direction des Fermes, un passage de commerces sous arcades, la Bourse de Commerce, déplacée depuis la Fosse et ouvrant sur une promenade publique bordée d’immeubles résidentiels sur le modèle du Palais-Royal et, à proximité, l’église Saint-Nicolas, paroisse des armateurs et négociants, déplacée elle aussi. Peu après, il proposera également, dans le plus pur esprit des Encyclopédistes, la création d’un » musée » comprenant salon d’exposition, bibliothèque accompagnée de cours dans toutes les disciplines et même un bureau de charité90.
35Autrement dit, avait germé dans son esprit la même idée qui avait naguère animé inconsciemment Ceineray dans son aménagement du quartier des Cours et de la cathédrale : la création d’un centre urbain où devaient se reconnaître les classes sociales supérieures, la bourgeoisie se substituant ici à l’aristocratie et au clergé. « L’embellissement de la cité, la formation d’un très beau quartier au centre des affaires et du commerce, étaient faits pour être un de mes premiers désirs », écrit-il lui-même91. Ni la Bourse ni l’église ne seront déplacées, mais seront réalisés le théâtre, l’hôtel garni pour voyageurs92 et son propre immeuble où il établit en rez-de-chaussée le Café de la Comédie (fig. 46, 49 et 58). En 1787, Crucy reprend à son compte le tracé en hémicycle de la place93, conçue comme espace homothétique de la salle du théâtre dont le vestibule s’ouvre largement sur elle à travers son péristyle à la double colonnade corinthienne (fig. 46 et 52 à 55), devenant ainsi lieu de représentation urbaine de la société bourgeoise se donnant en spectacle à elle-même94. À ceux qui critiquent cette conception de la place comme pouvant apparaître comme la cour de la salle de spectacle plutôt que comme une place publique, Graslin lui-même répond : « Je m’imagine, au contraire, que si tout le monde voit, au premier coup d’œil que l’un a été fait pour l’autre, et que c’est sa destination essentielle, il ne reste absolument rien à désirer, et qu’on a atteint la perfection de l’ensemble95. » Malgré leurs divergences de vue sur l’esthétique des immeubles qui vont entourer la place, pour lesquels Graslin a tendance à faire prévaloir la rentabilité financière conduisant à des hauteurs et des volumes inacceptables pour Crucy, le promoteur et l’architecte ont réussi à s’accorder sur la signification de l’espace urbain qu’il s’agit de réaliser, dont Daniel Rabreau met en évidence le sens historique : « La conscience sociale, urbanisée, s’offre une représentation à laquelle seuls l’Église et les princes avaient droit précédemment96. » Ainsi que l’écrira Julien Gracq, ce théâtre « bâti à l’ère des lumières pour les besoins culturels des négriers » est clairement édifié comme une « cathédrale laïque de l’art, rivale directe de l’autre97 ».
36Le projet de « quartier neuf » débouche ainsi sur la réalisation d’une sorte de « ville nouvelle » répondant aux critères de l’architecture savante entre les mains de Crucy qui, en tant qu’architecte-voyer de la Ville, pourra les imposer à l’ensemble des intervenants. L’exubérance baroque des architectes nantais du milieu du siècle va faire place à la rigueur géométrique des ordonnancements de l’architecture de l’élève de Boullée98. Crucy accentue jusqu’au dépouillement l’architecture néo-classique qui caractérisait déjà les œuvres de Ceineray avec ses programmes imposés à des ensembles d’immeubles, leur symétrie, leurs avant-corps surmontés d’un fronton triangulaire et l’emploi des ordres antiques. Cette fois-ci, c’est un quartier entier qui se voit traité selon un plan d’ensemble où les façades façonnent les places et les rues entières en reprenant, avec plus ou moins de libertés, les principes que Crucy impose pour la place Graslin, avec une élévation comprenant un soubassement à refends englobant rez-de-chaussée et entresol commerciaux dans des arcades surmontées d’une corniche qui supporte le balcon filant de l’étage noble, surmonté lui-même de deux niveaux séparés du toit mansardé par une seconde corniche à modillons (fig. 52 et 56)99. Toutes les constructions de cette période à Nantes vont, avec des variantes propres à chaque architecte, suivre ce modèle, y compris le dessin géométrique identique des balcons de fer, seul ornement des portes-fenêtres rectangulaires et sans moulures100. Le programme du futur cours Cambronne en sera l’aboutissement ultime (fig. 50).
37Mais la réalisation finale du projet allait se heurter à la présence de Capucins venus s’établir là en 1628 en provenance du Marchix101, car non seulement le plan approuvé trace la future rue Voltaire sur une partie de leur enclos, mais c’est à l’emplacement précis occupé par le couvent que Graslin envisage, dès son plan de 1786, de placer le futur ensemble résidentiel construit autour d’une promenade publique à l’arrière de la nouvelle Bourse. Opposant aux Capucins les principes sur lesquels est fondé leur ordre mendiant, il va proposer la mise en vente de leur couvent, à un prix qu’il a lui-même fixé, en publiant un « Prospectus » annonçant la création d’une « Société patriotique et désintéressée, Pour assurer aux Pères Capucins, par forme d’aumône, une Rente de 15 000 livres, en considération de l’abandon qu’ils feront de leur Maison de la Fosse et de ses dépendances, pour être employées en objets d’utilité publique ». Cette société par actions dont le quart serait détenu par la Communauté de Ville, deviendrait ainsi propriétaire des terrains et se chargerait de la réalisation de l’opération, préfigurant ainsi nos actuelles SEM, sociétés d’économie mixte assurant la maîtrise d’ouvrage d’une opération d’aménagement (fig. 43)102. S’en suivent des tractations mouvementées avec les moines qui refusent une telle éviction et tentent de tirer profit de l’opération spéculative projetée. Réclamations jugées exorbitantes par Graslin qui négocie avec eux au nom de la Ville, ce qui alimente sur la place publique une polémique à coup de brochures et de libelles où Graslin traite le Père Gérôme de « véritable énergumène » tandis que les Capucins dénoncent « l’usurpateur Graslin qui nous poursuit plus que jamais en lion furieux » et le traitent de « F… gueux103 ».
38Après un premier accord partiel conclu en 1786 sur intervention de l’intendant Caze de La Bove qui impose le projet de Graslin au maire Berrouette (fig. 42)104et la place pourra être construite mais le couvent restant là (fig. 47), cette affaire ne sera définitivement réglée qu’en 1791, un an après la mort de Graslin. De manière hautement symbolique, ce sont les mesures politiques prises par la Révolution qui permettront la réalisation du plan de Crucy inspiré par Graslin, avec l’expulsion des Capucins et la vente de leur couvent comme bien national. Ce qui permettra à la Commune de l’acheter à bas prix et de le revendre par lots de terrains à bâtir, autour du cours de la République, promenade publique fermée par des grilles et dont elle conserve la propriété105. Ici encore, on peut constater que les bénéficiaires de cette opération appartiennent aux mêmes catégories sociales que celles qui ont investi dans la construction du quartier et de la place durant la période qui précède juste les événements révolutionnaires, dont un nombre significatif de membres de la municipalité, qu’elle soit antérieure à 1790 ou qu’elle résulte des transformations qui interviennent à ce moment et met fin, de manière radicale à l’opposition des Capucins qui empèchait l’opération de se réaliser. Les recherches récentes de Pauline Brost confirment ce qu’écrivait déjà Claude Cosneau en 1978 : « Plus de la moitié des parcelles donnant sur le Cours Cambronne furent acquises par des personnalités qui jouaient un rôle dans la gestion municipale » et « la presque totalité des propriétaires successifs sur le Cours figurent à des titre divers dans le Livre Doré de l’Hôtel de Ville pour la période s’étendant de 1790 à 1850 », comprenant toujours, bien que non exclusivement, bien des négociants, capitaines de navires et armateurs ayant construit leur fortune sur le commerce négrier106.
39Le futur cours Cambronne deviendra ainsi la première réalisation d’un ensemble résidentiel fermé, inaugurant les « passages » privés du quartier bourgeois de Monselet au siècle suivant, dont on peut considérer que les « gated communauties » ou les « cités sécurisées » sont la résurgence aujourd’hui107. Ce conflit aura, en tout cas, fini de construire l’image d’un Graslin, non seulement philanthrope animé du souci du bien public, mais luttant au nom des Lumières, du Progrès et de la Raison contre l’obscurantisme d’un clergé attaché à ses privilèges d’Ancien Régime. En même temps qu’il met en évidence les mécanismes par lesquels la satisfaction d’un « intérêt général » consiste toujours dans un processus qui assure la victoire de certains intérêts particuliers au détriment de certains autres, disqualifiés par le renversement du rapport des forces sociales et politiques et par la transformation des conceptions idéologiques qui prédominent à un moment donné de l’histoire.
40La réalisation du quartier Graslin, qui constitue jusqu’à aujourd’hui le centre d’une ville devenue une métropole régionale, a ainsi été le résultat de la rencontre de deux hommes représentatifs des Lumières. L’un, Graslin, a apporté ses compétences économiques et ses capacités financières au service d’un projet auquel son imagination a donné une dimension dépassant le cadre habituel des constructions d’immeubles s’implantant à la suite les uns des autres, selon un début de cohérence urbaine certes, mais sans atteindre la conception d’une véritable ensemble urbain concentrant les activités et monuments symbolisant une ville en rupture avec la vieille cité. L’autre, Crucy, architecte déjà formé par Boullée à un retour aux formes épurées de Rome et de la Grèce antiques comme références à ce que l’on a dénommé l’ » architecture révolutionnaire » empreinte d’utopie108, a utilisé ses talents architecturaux pour donner forme, à l’échelle d’une ville entière et au prix de quelques conflits109, à ce qui va devenir le centre d’une cité radicalement transformée.
41En un sens, on pourrait dire que Graslin, poussé par la satisfaction de ses intérêts financiers, dans le cadre d’un système permettant la spéculation immobilière à grande échelle, et par le désir de laisser une trace dans l’histoire comme bienfaiteur de ses concitoyens et mécène de sa cité, a amené Crucy à passer de l’architecture de grands programmes aux ordonnancements déjà monumentaux et rigoureux qu’il avait appris avec Ceineray, à la conception d’un véritable urbanisme, au sens moderne du terme.
Une nouvelle « matrice » du développement urbain
42J.-J.-L. Graslin aura ainsi réalisé son rêve de promoteur et d’urbaniste, en inaugurant de nouvelles procédures de production de l’espace urbain à travers les relations privilégiées qu’il établît avec les agents de l’État attachés à mettre en place une bureaucratie centralisée et avec une bourgeoisie de négociants engagés dans un processus de modernisation de la ville et de conquête du pouvoir contre une aristocratie terrienne, qu’elle soit laïque ou religieuse. Des procédures que nous connaissons encore aujourd’hui avec ce que nous dénommons l’ » aménagement concerté110 » entre les acteurs privés et la puissance publique, dont on voit que, loin d’être une innovation nouvelle, il n’est que la forme réactualisée d’une pratique qui remonte aux origines du libéralisme économique.
43La ville, désormais libérée de l’enceinte qui la définissait par rapport aux territoires environnants dont elle dépendait autrefois pour sa subsistance et la création de richesses en même temps qu’elle leur imposait sa domination politique et militaire, qui la limitait dans ses extensions mais en même temps lui assurait la cohésion des différents groupes sociaux qui s’y cotoyaient sur un espace somme toute restreint, cette ville ne connaît plus de limites pour accueillir les populations qu’elle va attirer des campagnes dans les usines de la production industrielle. Du coup, les effets des mécanismes que l’on a vu se mettre en place dans le cadre de ce libéralisme économique vont se démultiplier. Le quartier Graslin, comme concentration des activités de prestige et de luxe de la bourgeoisie qui l’habite va susciter l’attraction des catégories sociales désireuses de s’y identifier et entraîner, dans sa continuité directe, une suite de vastes opérations immobilières qui vont totalement transformer l’ouest de la ville ainsi que le montre en 1795 le plan établi par Coulon (fig. 51). Dès 1789, vont se construire les lotissements pris sur le couvent des Filles du Calvaire et les tenues avoisinantes pour constituer les premiers quartiers résidentiels sur les plans de Demolon et Ogée complétés ensuite par Crucy lui-même, la place Delorme puis le « Boulevard » (actuellement Guisthau), suivi de l’opération menée par Duparc et Mellinet avec Crucy sur les terrains marécageux du confluent de la Chézine qu’ils avaient asséchés pour construire leur Entrepôt des cafés derrière le Sanitat, jusque vers Gigant et le parc de Launay. Ainsi s’est mise en place une sorte de matrice qui va imprimer sa marque jusqu’à cette fin du xxe siècle sur l’extension continue de la ville vers le nord-ouest, à partir d’un axe central qui suit le site privilégié de la vallée de la Chézine, où les « beaux quartiers » de Monselet font suite à la concentration des affaires, de la culture et du luxe du centre-ville.
44La création du quartier Graslin a ainsi enclenché un processus fonctionnaliste de transformation d’une ville éclatée, par la différenciation d’un centre urbain concentrant les lieux où la bourgeoisie triomphante manifestera de manière ostentatoire sa domination dans son habitat et à travers les activités de consommation et de loisirs de prestige correspondant à son statut social, telles que les théâtres, hôtels de voyage, grands cafés, commerces de luxe qui bientôt offriront leurs produits dans ces nouveaux lieux de promenade que seront les « passages », tel le passage Pommeraye en 1843, illuminés au gaz, mais aussi services supérieurs, banques, assurances et sièges sociaux d’entreprises. Cette « matrice » nouvelle du développement de la ville qui s’est mise en place, alimentée par la spéculation foncière et le désir des catégories sociales supérieures d’accéder à des lieux correspondant à la représentation qu’elles ont d’elles-mêmes dans la hiérarchie sociale, vient en rupture avec la définition même de ce qui constituait « l’urbanité » de la ville ancienne, faite du mélange des populations et des catégories sociales, ce qui ne signifie pas sans heurts ni conflits.
45Ainsi qu’on l’a évoqué dans la première partie de ce texte, la sociologie urbaine a depuis longtemps montré que la répartition des hommes ne se fait point au hasard dans l’espace mais que, bien au contraire, il existe ici aussi, une homologie entre la structure urbaine et la structure sociale111.Monique et Michel Pinçon, qui décrivent la ville en des termes durkheimiens comme étant « de la société faite chose, […] une cristallisation des rapports sociaux112 », montrent dans leurs études des « beaux quartiers » combien ceux-ci sont, à l’encontre des idées admises, au fondement même de la ségrégation sociale dans la ville, en raison de la recherche par leurs habitants de l’entre-soi des privilégiés qui ont la possibilité de choisir leurs lieux de vie. Dorénavant, le centre de la ville rassemble les activités les plus emblématiques et les plus prestigieuses et en tire une valeur qui est tout à la fois marchande et symbolique113. Ce qui en fait le lieu de la plus grande densité de la communication sociale et des rencontres, et explique qu’il soit l’objet d’un investissement important, terme qui doit être entendu ici dans tous ses sens, le sens militaire d’une occupation territoriale, le sens psychologique d’une charge affective et le sens économique d’un placement financier. Car constitué en enjeu pour les groupes sociaux désireux de profiter de la valorisation qu’il procure, on connaît bien le mécanisme par lequel s’opère dans l’économie libérale ou capitaliste, la sélection des activités et des catégories sociales qui peuvent s’y implanter et s’y développer : celui du prix du sol et de la spéculation foncière qui en découle114. Ce qui conduit inéluctablement au rejet des classes populaires vers la périphérie.
46Dans un espace urbain qui va s’étendre désormais sans limites, c’est le centre qui va continuer d’identifier la ville au sein d’une agglomération dont les banlieues vont ressembler à toutes les autres banlieues, tout en étant constituées de zones et de quartiers distincts les uns des autres en fonction des caractéristiques de leurs populations et de leurs activités. Au résultat, avec la création du quartier Graslin, une « matrice » nouvelle du développement de la ville s’est mise en place marquée par la spécification de quartiers nouveaux selon les activités et les classes sociales, engendrant leur ségrégation spatiale et s’étalant sans limites sur un territoire où va disparaître progressivement la distinction de la ville et de la campagne. Dans le contexte de transformation du système politique, économique et social marqué par la Révolution de 1789, la construction du quartier Graslin apparaît ainsi, pour ce qui est de l’espace urbain, comme une étape essentielle dans la « prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme, [pouvant et devant] maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor115. »
Notes de bas de page
1 Cette contribution reprend dans une version largement remaniée et augmentée un article publié in Cadeau E. (éd.), Perspectives du droit public. Études offertes à Jean-Claude Hélin, Paris, Éd. Litec, 2004 : » Aux origines de l’urbanisme moderne : une ZAC à Nantes aux viiie siècle »,p. 421-434.Le présent texte est largement redevable des contributions des différents auteurs de cet ouvrage, que je remercie vivement mais auxquels je ne renvoie pas systématiquement car le lecteur pourra s’y référer directement pour compléter si nécessaire mon propre texte, notamment ceux de Guy Saupin, Alain Delaval et Yvon Le Gall, et surtout de Gilles Bienvenu et d’Arnaud Orain dont la biographie renouvelle profondément la connaissance que nous avions de J.-J.-L. Graslin, à partir notamment de la découverte de sa correspondance avec Hennin, de l’exploitation des inventaires après décès et des recherches récentes que nous avons menées en commun.
2 L’ouvrage de référence reste aujourd’hui la thèse devenue classique de Pierre Lelièvre, Nantes au xviiie siècle. Urbanisme et architecture, Nantes, Durance, 1942, rééd., Paris, Picard, 1988. Pour l’histoire urbaine nantaise, cf. de Berranger H., Évocation du vieux Nantes, Paris, éd. de Minuit, 1966 ; Cosneau Cl., Iconographie de Nantes, Nantes, musée Dobrée, 1978, et Bienvenu G., La ville construite. Nantes xvie-xx e siècle, ARDEPA et Ville de Nantes, 1991, « De la ville fortifiée à la ville moderne, architecture et urbanisme », Nantes, Paris, Éd. Bonneton, 1990, p. 68-115, ainsi que Nantes. Vingt plans commentés du xviiie au xxe siècle, Nantes, Éd. Memo, 1994. Nous avons déjà nous-même abordé cette histoire dans un travail collectif : ARSH, Nantes, le centre-ville, étude pour l’OREAM Nantes-Saint-Nazaire, 1971, t. 1, p. 19-135 (rééd. Ébauche d’une histoire urbaine de Nantes, Faculté de droit et des sciences politiques de Nantes, multigr.). Concernant l’histoire générale de l’urbanisme et de ses conceptions, nous renvoyons le lecteur aux bibliographies donnant les références d’ouvrages classiques pour notre période, tels que ceux de Pierre Lavedan, Lewis Mumford, Leonardo Benevolo, Georges Duby, Jean-Louis Harouël ou Françoise Choay, sans avoir à les redonner ici.
3 Young A., Voyages en France 1787-1789, Paris, tra. H. Sée, Paris, Lib. A. Colin, 1931, p. 244. Lors de son séjour du 22 au 24 septembre 1788 il ajoute : « C’est sans comparaison le premier des hôtels que j’ai vu en France, et très bon marché. »
4 Le quartier Graslin a été étudié par Renoul J.-C., « Graslin et le quartier de Nantes qui porte son nom », Annales de la Société académique de Nantes et L.-I, t. XXI, 1860, p. 467-578 ; Rabreau D., « Le Théâtre et la place Graslin de Mathurin Crucy (1784-1787) à Nantes », Congrès archéologique de France, 1968, p. 89-135, et « L’œuvre de Mathurin Crucy à Nantes. Un modèle d’esthétique urbaine néo-classique (1780-1820) », Storia della città, n° 4, 1977, p. 45-66 ; Cosneau C., « De l’île Feydeau au cours Cambronne : la métamorphose d’une ville », in Nantes Histoire, Croix A., (dir.), Du sentiment de l’histoire dans une ville d’eau, Nantes, Thonon-les-Bains, 1991, p. 103-118, et Mathurin Crucy 1749-1826. Architecte nantais néo-classique, Nantes, musée Dobrée, 1986, p. 57113 avec la préface de Rabreau D., p. 11-23 ; Delaval A., Le Théâtre Graslin à Nantes, Nantes, Éd. Joca Seria, 2004, p. 13-40.
5 Cf. notamment la récente et magnifique synthèse publiée à l’occasion de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Nancy : De l’Esprit des villes. Nancy et l’Europe urbaine au siècle des Lumières, 1720-1780, Versailles, Éd. Artlys, 2005.
6 Sur ce qu’il est possible, ou non, de penser dans une société, une situation et une position sociale données à un moment historique donné, cf. Goldmann L., « L’importance du concept de conscience possible pour la communication », La création culturelle dans la société moderne, Paris, Denoël-Gonthier, 1971, p. 7-24.
7 Weber M., « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », (1904), Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p. 162.
8 Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique (1895), Paris, PUF, 1967, cf. p. 14.
9 Mauss M., « Essai sur les variations saisonnières des sociétés Eskimos. Étude de morphologie sociale », Année Sociologique, (1904-1905), rééd. in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 389-475.
10 Lefebvre H., « Introduction à l’étude de l’habitat pavillonnaire » (1967), repris in Du rural à l’urbain, Paris Anthropos, 1970, cf. spéc. p. 173-175.
11 Lefebvre H., « La vie sociale dans la ville » (1962), repris in Du rural à l’urbain, op. cit., p. 147.
12 Halbwachs M., Morphologie sociale, (1938), Paris, A. Colin, 1970, p. 6 et p. 182.
13 Ibid., p. 182.
14 Panofsky E. Architecture gothique et pensée scolastique, (1948), Paris Éd. de Minuit, 1970, avec la postface de Pierre Bourdieu.
15 Cf. Le Pichon Ph., « L’université et la ville. Réflexions sur les conditions de la refondation de l’université de Nantes en 1962 », in Hélin J.-C., Supiot A., Tanguy, Y. (éd.), La norme, la ville, la mer, Paris, éd. de la Maison des sciences de l’Homme, 2000, p. 185-222, cf. p. 205-207
16 Leroy-Gourhan A., Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, t. 2, p. 138-153, où il écrit également : « La ville est le produit de gestes pétrifiés. »
17 Bourdieu P., Esquisse d’une théorie de la pratiquei, Genève, Paris, Libr. Droz, 1972, p. 45-69.
18 Lévi-Strauss C., Anthropologie structurale, Paris, Éd. Plon, 1958, p. 156-163.
19 Margarido A., « La capitale de l’empire Lunda, un urbanisme politque », Annales E.S.C., n° 4, 1970, p. 857-861.
20 Vernant J.-P., Les origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 1962, rééd. 1981, cf. spéc. p. 42-43, 97-99, 125-127.
21 Elias N., La société de cour, (1969), Paris, Calmann-Lévy, 1974, rééd. Flammarion, 1986, spéc. p. 17-45.
22 Rabreau D., « Royale ou commerciale, la place à l’époque des Lumières », Monuments historiques n° 120, 1982, p. 31-37 et, entre autres, Gady A. « Les places royales en France aux viiie siècle », in De l’Esprit des villes. Nancy et l’Europe urbaine au siècle des Lumières, 1720-1780, op. cit., p. 63-70.
23 Habermas J., L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (thèse de doctorat, 1962), Paris, Payot, 1978, cf. spéc. p. 38-66 et 149-166.
24 Berque A., Du geste à la cité. Formes urbaines et lien social au Japon, Paris, Gallimard, 1993, cf. p. 229.
25 E. Evans-Pritchard cité par Dumont L., Homo æqualis, Paris, Gallimard, 1977, p. 20. Le caractère « exotique » des différents exemples cités ne saurait masquer le fait que nos sociétés contemporaines organisent leur espace urbain comme la représentation symbolique de leur organisation politique d’une manière qui n’a rien à envier aux Lundas ou aux Bororos, ainsi que le montre le plan de Brasilia qui transcrit dans l’espace une organisation constitutionnelle fondée sur la séparation des pouvoirs inspirée de Montesquieu ; cf. Le Pichon Ph., art. cit.
26 Poëte M., Introduction à l’urbanisme, (1929), Paris, Anthropos, 1967, p. 13.
27 Lefebvre H., « La vie sociale dans la ville », Du rural à l’urbain, op. cit., p. 147. Add. Tonka H., préface à Poëte M., op. cit., spéc. p. xxxviii-xlii.
28 Tonka H., ibid., p. xvi.
29 Cette idée est déjà présente chez Karl Marx, notamment lorsqu’il parle de la ville comme mode d’appropriation de l’espace par un groupe social, voir Marx K. et Engels F., L’idéologie allemande, (1845-1846), rééd. Éd. Sociales, 1953,, t. I, p. 21 et p. 42-51, et Marx, K., Fondements de la Critique de l’Économie politique, (1857-1858), Paris, Anthropos, 1967, p. 97 : « Les rapports entre individus se sont figés dans les choses », et p. 444-446. Elle est développée comme principe des rapports de la pensée et de la réalité notamment par Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 1962 (« en matière d’analyse structurale, il est impossible de dissocier la forme du contenu. La forme n’est pas au dehors, mais au dedans », p. 130-131).
30 Dans la thèse qu’il a consacrée à cette ville et qui est reconnue comme le travail fondateur d’une histoire urbaine à la fois sociale, économique, politique et culturelle : Perrot J.-C., Genèse d’une ville moderne. Caen au xviiie siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1975, 2 tomes ; cf. t. 1, p. 9.
31 Ibid.
32 Vue perspective de Nantes par Boisseau en 1645, musée du Château des ducs de Bretagne, 934.5.193 et plan de Fer de 1716, musée départemental Dobrée, 56.3287. Pour une connaissance précise de la ville avant le xviiie siècle, on dispose aujourd’hui de la description de Dubuisson-Aubenay en 1635 avec sa remarquable réédition accompagnée de notes et commentaires sous la direction d’Alain Croix, La Bretagne d’après l’Itinéraire de monsieur Dubuisson-Aubenay, Rennes, PUR, et Soc. d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2006, cf. p. 511-772 pour Nantes.
33 Saupin G., « Les élections municipales à Nantes sous l’Ancien Régime », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 90, 1983, 3, p. 429-450, et Nantes au xviie siècle. Vie politique et société urbaine, Rennes, PUR, 1996.
34 Pinon P., » Alignements, percées et lotissements en France aux viiie siècle », De l’Esprit des villes, op. cit., p. 162-172.
35 Comme les atterrements de l’île de la Saulzaie sur lesquels seront construits les immeubles de l’île Feydeau et pour lesquels on fera appel à des techniques hollandaises, cf. Bienvenu G. et Lelièvre, F., L’île Feydeau, Nantes, Inventaire général, Images du patrimoine, 1992.
36 Bienvenu G. et Lelièvre, F., op. cit.
37 Cit. par Bienvenu G., Architecture de la ville et règlementation urbaine, vol. 2, Nantes, le cadre règlementaire, étude pour l’Inventaire général, minist. de la Culture, déc. 1989, p. 35.
38 Et notamment ceux de Pierre Rousseau, constructeur de plusieurs hôtels de l’île dont le sien, 16 allée Duguay-Trouin, surnommé le « Temple du goût » et qui reste le modèle de cette architecture ; cf. Bienvenu G. et Lelièvre, F., op. cit., p. 13-17 et 36-41. Il est le fils de l’auteur du projet de plan d’embellissement de 1760 évoqué ci-après (fig. 34). Add. Lelièvre, F., « La ferronnerie au xviiie siècle », Nantes, Éd. Bonneton, op. cit., p. 144-146.
39 On ne connaît auparavant que des représentations scénographiques au xviie siècle et trois plans très généraux : le plan Tassin de 1652, le plan anglais de Jefferys de la fin du xviie siècle et le plan dessiné par de Fer en 1716 (fig. 32). Pour l’ensemble de ces représentations de la ville jusqu’au xixe siècle, on se reportera au catalogue de l’exposition qui leur a été consacrée en 1978 par Cosneau Cl., Iconographie de Nantes, op. cit, et à Bienvenu G., La ville construite. xvie-xxe siècle, op. cit, et Nantes. Vingt plans commentés du xviiie au siècle xxe siècle, op. cit., pour les périodes postérieures. Sur l’histoire générale des plans et cartes en France, cf. Espace français, catalogue Archives nationales, 1987 et Boutier J., « La cartographie urbaine à l’époque des Lumières », De l’Esprit des villes, p. 130-141.
40 Archives départementales de Loire-Atlantique (ADLA), C 325 n° 1/1 et 2.
41 Harouel J.-L., L’embellissement des villes. L’urbanisme français au xviiie siècle, Paris, Picard, 1993, et Lelièvre P., op. cit., p. 61. Ce contrôle fut notamment exercé par Jacques Gabriel, Premier ingénieur des Ponts-et-Chaussées et Premier architecte du roi. On comprend aussi les raisons du pouvoir effectif exercé par Mellier qui cumulait avec sa fonction de maire (en partie imposé par le roi), celle de subdélégué de l’intendant ; cf. Bienvenu G., « Le système des architectes et des ingénieurs à Nantes dans la première moitié du xviiie siècle » et Guy Saupin, « La distribution du pouvoir politique à Nantes autour de 1720 », in H. Rousteau-Chambon (éd.), Jacques V Gabriel et les architectes de la façade atlantique, Paris, Picard, 2004, p. 75-90 et 57-74.
42 Bienvenu G., Architecture de la ville…, op. cit., p. 45 et suiv.
43 Archives municipales de Nantes (AMN), II 157* n° 6.
44 AMN, II 157* n° 15 et musée du Château des ducs de Bretagne, 972.3.10.
45 Actuels cours Saint-Pierre et Saint-André.
46 Actuelles place du Maréchal-Foch et rue du Roi-Albert.
47 Cf. Pérouse de Montclos J.-M., Étienne-Louis Boullée 1728-1799. De l’architecture classique à l’architecture révolutionnaire, Paris, Arts et métiers graphiques, 1969, Kaufmann E., Trois architectes révolutionnaires : Boullée, Ledoux, Lequeu, (1952), Paris, Éd. de la SADG, 1978.
48 Cf. Perrot J.-C., op. cit., p. 12-13, et Le Pichon Ph. et Supiot A. « De l’observation de la ville comme corps social », présentation de la rééd. de Guépin A. et Bonamy E., Nantes au xixe siècle, (1835), Paris, Phénix éd. et MSH Nantes, 2000, p. xi-lxi, cf. p. xxix-xliii. On rapprochera avec intérêt, ce plan de Nantes en forme de cœur des planches anatomique des organes humains et de la circulation sanguine que Le Corbusier joint en annexes à son ouvrage de théorie fonctionnaliste Urbanisme, (1924), Paris, Éd. Vincent Fréal, 1966, p. 291 et suiv.
49 Œuvre majeure de Ceineray terminée en 1781, actuelle préfecture.
50 Actuelle place Maréchal-Foch.
51 Renard J., « La propriété foncière des citadins dans la région de Nantes », Actes du 93e Congrès national des sociétés savantes, Tours, 1968, sect. géographie, Paris, Bibliothèque nationale, 1970, p. 211-237, cf. p. 223-227.
52 Sa place dans l’histoire de la pensée économique a été remarquée par Foucault M., Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 192-214, et par l’article de Orain A., « “Équilibre” et fiscalité au siècle des Lumières. L’économie politique de Jean-Joseph-Louis Graslin », Revue Économique, 2006, vol. 57, n° 5, p. 955-981.
53 340 hectares sont transformés en terres cultivables à Lavau et 900 hectares à Dol ; cf. Luminais R.-M., « Recherches sur la vie, les doctrines économiques et les travaux de J.-J. Louis Graslin », Annales de la Société académique de Nantes et de l.-I., t. XXII, 1861, p. 377-450.
54 Manufacture Dubern sur l’île de Petite-Biesse, 8e créée à Nantes et non pas la première comme indiqué par Luminais, op. cit., p. 414 ; cf. C. Cousquer, Nantes une capitale française des indiennes au xviiie siècle, Nantes, Coiffard lib.-éd., 2002, p. 174.
55 Mémoire de M. Graslin au sujet de trois Libelles anonymes qui ont été publiés successivement contre lui, s. d. [1789], 54 p., Biblioth. mun. de Nantes, 50110.
56 Perrot J.-C., op. cit., p. 11.
57 Ibid., p. 11-12.
58 Habermas J., L’espace public, op. cit, p. 42-53.
59 Perrot J.-C., op. cit., p. 13.
60 Tel Robert Seheult en tant qu’agissant comme architecte personnel de Graslin ou dans d’autres affaires telles que celles rapportées par G. Bienvenu dans le présent ouvrage, et bien que les liens de Crucy avec son entreprise familiale n’aille pas aussi sans quelques soupçons quant à l’approvisionnement en bois des chantiers publics.
61 Ainsi lorsque Graslin veut surélever la hauteur des immeubles de la place ou lors de la controverse sur les balustres en pierre de ces immeubles voulus par Crucy (comme sur son immeuble Montaudouin de l’actuelle place Foch) et les balcons en fer forgé voulus par Graslin pour des raisons plus économiques qu’esthétiques et qui finiront par s’imposer pour l’ensemble des constructions. Mais aussi sur la question plus fondamentale de la concentration des équipements publics dans le « quartier neuf », à laquelle Crucy s’oppose.
62 Pérouse de Montclos J.-M., Étienne-Louis Boullée, op. cit., p. 220-221, Rabreau D., Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806). L’architecture et les fastes du temps, Paris-Bordeaux, Annales du Centre Ledoux, t. III, 2000, et Le Pichon Ph. et Supiot A., « De l’observation de la ville comme corps social », op. cit., p. xxxviii-xxxix.
63 Notamment, Roche D., Le siècle des Lumières en province, académies et académiciens provinciaux, Paris-La Haye, 1978, Quéniart J., Culture et sociétés urbaines dans la France de l’Ouest au xviiie siècle, thèse Lille, 1977, Cochin A., Les sociétés de pensée et la Révolution en Bretagne, Paris, 1925, Halévi R., Les loges maçonniques dans la France d’Ancien régime, Paris, Armand Colin, 1984. Cette question reste à approfondir pour Nantes dans la suite des thèses de Quénet M., Le Général du commerce de Nantes, université de Nantes, 1973, Le Gall Y., Les consultations générales en Loire-inférieure 1789-An VII, université de Nantes, 1976, Grenoble, 3 t., Blanloeil C., De l’Institut départemental à la Société académique de Nantes et de la L-I (1798-1914), université de Nantes, 1992, 3t., Pétré-Grenouilleau O., Négoce maritime et monde moderne. Le milieu négrier nantais du milieu du xviiie siècle à 1914, université Rennes 2, 1994, 4 t. dont sont tirés Nantes au temps de la traite des Noirs, Paris, Hachette, 1998 et L’Argent de la traite, Paris, Aubier, 1996, ainsi que les notices biographiques du Bicentenaire de la Société académique, Les Annales de Nantes et du Pays nantais, n° spécial 268, 1998, et celles de notre réédition de Nantes au xixe siècle d’A. Guépin et E. Bonamy, op. cit.
64 Afin de donner une idée de l’éventail de ses lectures, en dehors des nombreux ouvrages d’économie, on peut citer Cicéron, Sully, Vauban, Locke, Pascal, Molière, Racine, Fénelon, Boileau, Fontenelle, La Bruyère, Buffon, Boulainvilliers, Malebranche, Helvétius, Vauvenargues, Voltaire, Rousseau, d’Alembert, Condillac, Necker, d’Holbach, Mirabeau, Mably, etc. Je dois à Arnaud Orain, ce dont je le remercie grandement, cet inventaire de la bibliothèque de Graslin (ADLA, B 9512/1) dont il donnera prochainement une étude approfondie, car particulièrement significative de la culture d’un homme des Lumières en province.
65 Cf. Lamarre A., Origines du Cercle des Beaux-Arts. Société de lecture de la Fosse 1759-1793. Société de lecture du Soleil 1771-1793, Nantes, Héron-Mesnier, 1911, et Gaston-Martin, « Les chambres de lecture à Nantes », Annales de Bretagne, t.37, 1925-1926, p. 347-365. La Société de lecture de La Fosse, l’une des plus anciennes de France, avait été créée en 1759 et comprenait 125 membres en 1771, ce qui conduisit à la création d’une seconde chambre de lecture, la Société du Soleil qui continua d’être liée à la première jusqu’à ce qu’elles fusionnent en 1795 dans la Chambre de la Réunion, laquelle se fondera en 1859 dans le Cercle des Beaux-Arts fondé en 1831.
66 Pitre de Lisle du Dreneuc en donne les listes exhaustives (Bibl. mun. de Nantes, Mic B 165) ; add. ADLA, 1 M 1111. Ce Cercle continuera jusqu’à aujourd’hui à défendre la monarchie et son rétablissement.
67 P. Lelièvre, Nantes au xviiie siècle, op. cit., p. 52.
68 Ainsi M. Hubert de Vallois, descendant de Graslin par son fils Antoine-Louis, écrit dans une lettre adressée le 30 juillet 1986 au musée des Beaux-Arts de Nantes : « […] celui-ci [J.-J.-L. Graslin] est mort franc-maçon […] » (Dossier du portrait de Graslin dont « M. Graslin de Séréac a bien voulu faire hommage à la Ville pour son musée » en 1853, aimablement communiqué par Mme Martine Robert à laquelle j’exprime ma reconnaissannce pour l’intérêt qu’elle prend à nos recherches). Et M. de Vallois, que je remercie également, dit se souvenir que l’un de ses oncles aurait été détenteur du tablier de franc-maçon de Jean-Joseph-Louis.
69 Entretien avec M. Ludovic Marcos, responsable du musée national du Grand-Orient de France, que je remercie pour son aide. Mais on n’a pas connaissance des listes exhaustives des membres des huit loges nantaises de l’époque recensées par Librec H., La franc-maçonnerie dans la Loire-Inférieure 1744-1948, Nantes, Impr. du Commerce, 1948, les listes qu’il publie étant incomplètes, mais il semble curieux que Graslin, compte tenu de sa notoriété à Nantes, n’apparaisse pas sur des listes qui comprennent les plus importants notables maçons de la ville. Librec indique, ce qui mériterait d’être approfondi, qu’un Club des Cœurs Unis, émanation de la loge du même nom était situé rue de Bouvet, au voisinage immédiat de Graslin (cf. p. 16).
70 Cf. Librec H., op. cit., p. 99-102, et Cossé Y., La famille Crucy, Nantes, chez l’auteur (descendant d’une nièce de Mathurin qui avait épousé un petit-fils de J.-B. Ceineray), p. 106-107.
71 François-Gabriel Blanchard de la Musse était magistrat au Parlement de Bretagne ; il sera emprisonné en 1793, sauvé par Thermidor, puis vénérable de la loge Paix et union et l’un des fondateurs de l’Institut départemental auquel succède la Société académique de Nantes, où il publie des poésies et 2 notices sur Graslin (Annales de la SAN, 1802, p. 37-39 et 1827, p. 99-102).
72 Jean-Baptiste Bougon, ami de Crucy qui l’a fait venir à Nantes, est délégué à Londres en 1790 auprès de la Société des Amis de la Révolution avec Français, et officier municipal en 1791-1792.
73 Ironie de l’histoire, celle-ci siégera dans le couvent des Capucins après leur expulsion. Ces positions politiques obligèrent Crucy à s’exiler quelque temps dans le Berry, s’occupant de l’approvisionnement en bois de l’entreprise familiale de constructions navales, avant de revenir dès le départ de Carrier réoccuper ses fonctions d’architecte-voyer jusqu’en 1800. Il sera alors remplacé par son neveu Antoine Peccot, puis deviendra architecte en chef du Département à partir de 1809 tout en participant à la direction et à la conception des navires de ses chantiers qui avaient obtenu le quasi monopole des commandes locales de la Marine nationale. Il sera également l’auteur de cathédrale de Rennes et de la « folie » en style italianisant de la Garenne-Lemot à Clisson, acquise par le baron Lemot et les frères Cacault, enfants de François, l’auteur du plan de 1757-1758, et dont l’un d’eux, François également, avait été pressenti pour succéder à Ceineray et avait refusé, laissant la place à Crucy ; cf. Cossé Y., op. cit., et Cosneau Cl., Mathurin Crucy, op. cit.
74 Antoine Français (1756-1836), appelé semble-t-il à Nantes par Graslin comme commis aux Douanes, il accompagne Bougon à Londres en 1790. Il sera plus tard élu de l’Isère au Conseil des Cinq-Cents, puis préfet, conseiller d’État et comte d’Empire et enfin Pair de France en 1831 ; cf. Guinel J., « Antoine Français de Nantes », Société Archéologique et Histoirique de Nantes et de L.-A., t. 140, 2005, p. 299-315.
75 Anne-Pierre Coustard de Massy, (1734-1793), né à Saint-Domingue, ancien mousquetaire du roi, lieutenant des maréchaux de France, se rend célèbre par son ascension en ballon sur les Cours à Nantes en 1784, devient l’un des principaux orateurs patriotes, élu commandant de la garde nationale en 1789, administrateur du département en 1790-1791, mais vote pour le bannissement de Louis XVI lors du procès, et arrêté par Carrier, guillotiné en 1793 ; cf. Le Gall Y., op. cit., p. 947.
76 François Mellinet (1741-1793), d’une famille d’apothicaires nantais, est membre du Conseil royal du Commerce en 1767, directeur des Approvisionnements de Paris et administrateurs des Moulins de Corbeil, fait contruire le grand Entrepôt des cafés en asséchant les marécages de la Chézine avant de les lotir. Il meurt de congestion cérébrale en juin 1793. Il est le père d’Anne-François, général d’Empire qui prendra part à l’indépendance de la Belgique en 1830 et sera lui-même le père de Camille, dirigeant de la librairie Malassis et fondateur du Lycée Armoricain puis du journal Le Breton, président de la Société industrielle de Nantes, auteur de L’Histoire de la commune de Nantes et de sa milice en 12 volumes, et d’Emile, général et futur grand-maître du Grand-Orient sous le Second Empire ; cf. Le Gall Y., op. cit., p. 948.
77 Vaste propriété aux bords de la Chézine, à l’emplacement de l’actuelle avenue Camus.
78 René-Gaston Baco de la Chapelle (1751-1800), d’une famille de capitaines négriers, procureur du roi au présidial avant 1789. Il sera ensuite député de la Loire-Inférieure aux Cinq-Cents, avant d’être nommé directeur de l’Opéra puis commissaire du Gouvernement à la Guadeloupe, où il meurt en 1800 ; cf. Le Gall Y., op. cit., p. 948.
79 Ses enfants et leurs descendants poursuivront d’ailleurs cette intégration par leurs alliances avec une noblesse, y compris d’ancienne extraction, ayant la plupart du temps émigré ou combattu avec l’Armée catholique et royale, et ayant souvent continué de partager, au cours des xixe et xxe siècles, les mêmes idéaux. On ne peut que penser ici à la célèbre phrase d’André Siegfried : « J’ai plusieurs fois, dans l’Ouest, rencontré cette saisissante progression : un grand-père voltairien, un père indifférent mais d’une neutralité déjà favorable à l’action politique de l’église, un fils élevé par les jésuites, clérical et catholique » (Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, Paris, A. Colin, 1913, p. 427).
80 Il figure sur la liste des souscripteurs de la Fête patriotique des Trois Ordres en septembre 1788, mais n’apparaît pas parmi les signataires de l’Adresse du Tiers-État réclamant notamment le vote par tête ; cf. Mellinet C., La commune et la milice de Nantes, t. V, p. 360-362.
81 Musée du Château des ducs, 934.5.216 ; ADLA, C 336/4 ; AMN, II 164* n° 17.
82 Projet d’une place Royale à l’emplacement du bastion Saint-Nicolas et de ses fossés, occupés par des baraquements appartenant à Madame du Barry, avec statue de Louis XVI, et conforme au plan approuvé de 1766.
83 ADLA, C 336/5 (égal. AMN, II 164* n° 19 et n° 20).
84 Délibération du 23 sept. 1780, ADLA, C 336/138.
85 Arrêt du Conseil d’État du 12 mai 1781, ADLA, C 336/139.
86 Il est intéressant de noter qu’il était le fils de Charles Gellée de Prémion, échevin de la municipalité Mellier en 1720-1722.
87 AMN, BB 106.
88 ADLA, C 336, lettre de Crucy à l’Intendant, 25 sept. 1785.
89 Inséré dans les Observations de M. Graslin sur les additions très importantes à faire au quartier neuf de Nantes, s. d. [1786 et non 1784 comme je l’avais moi-même indiqué par erreur et comme l’indiquent plusieurs auteurs y compris Claude Cosneau, puisque Graslin écrit p. 11 : « J’ai effectivement payé l’année échue à la Saint-Jean 1785 […] ; j’ai offert de payer également celle qui vient d’écheoir à la Saint-Jean dernière mais on a refusé de la recevoir. »], 44 p., p. 36-37 ; égal. AMN, II 164* n° 14 et musée départ. Dobrée, 56.3275.
90 Prospectus pour l’établissement d’un musée à Nantes, Nantes, Despilly, s. d. [1787], et Cosneau-Allemand Cl., « La collection Cacault et le musée-école de Clisson », Clisson ou le retour d’Italie, Cahiers de l’Inventaire, Paris, Impr. nationale, 1990, cf. p. 134. Ce projet ne verra pas le jour mais préfigure plusieurs des institutions qui verront ensuite le jour : Institut départemental dès 1798 (où l’on tretrouvera notamment Mathurin Crucy, Mathurin Peccot, Camille Mellinet ou Blanchard de La Musse) transformé en 1818 en Société académique, mais aussi les diverses expériences qui naîtront en 1830, telle la Société industrielle de Nantes sous l’impulsion des libéraux de l’époque, C. Mellinet, A. Billault ou A. Guépin, puis des premiers socialistes en 1848 (cf. Le bicentenaire de la Société académique, Les Annales de Nantes et du Pays nantais, n° spécial 268, 1998, et Le Pichon Ph. « Ange Guépin dans l’histoire de Nantes », in Croix A. [dir.], Du sentiment de l’histoire dans une ville d’eau, Nantes, Nantes-Histoire, Thonon-les-Bains, Éd. L’albaron, 1991).
91 Cit. par Déré A.-C., « Histoire du premier grand théâtre à Nantes », Bull. de la Société archéologique et historique de Nantes, t. 123, 1987, p. 119-137.
92 Il s’agira du fameux hôtel Henri IV, de 75 chambres, vanté par A. Young en 1788. Construit selon la formule juridique de la tontine, société par actions à laquelle Graslin vend le terrain et qu’il constitue, le 19 septembre 1786, avec 7 associés (le comte de Goyon, le fabricant d’indiennes et consul de Prusse Jean-Ulric Pelloutier, les importants négociants et armateurs négriers Deurbroucq, Delaville, Lincoln, échevin, et Bureau de La Batardière, gouverneur de Machecoul et lieutenant des chasses du comte d’Artois), dans laquelle il souscrit lui-même 40 des 300 actions mises sur le marché à 440 livres chacune (ses autres associés en souscrivant de 1 à 10). Les intérêts sont répartis entre les actionnaires vivants et leurs seuls héritiers directs, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un qui dispose alors de la propriété du bien. La tontine durera jusqu’en 1874, 3 des 4 survivants ayant mis leurs actions en commun en 1869, et l’hôtel vendu à la famille Crétaux qui l’exploitera jusqu’au milieu des années 1930. Devenu l’hôtel de France dès la Révolution, le général Léchelle, commandant de l’Armée républicaine de l’Ouest y mourra en 1793, puis il accueillera Stendhal et l’on y retrouvera mort Jacques Vaché, l’ami d’André Breton, en 1919. Cf. Par devant nous, conseillers du Roi, notaires à Nantes soussignés (Acte constitutif de la tontine), Biblioth. mun. de Nantes, 50121*C 32 ; de Berranger H., Evocation du vieux Nantes, op. cit., p. 184 ; Carassou M. Jacques Vaché et le graupe de Nantes, Paris, J.-M. Place, 1986 ; Le rêve d’une ville, Nantes et le surréalisme, Paris RMN et musée des B.-A. de Nantes, 1994 (part. les contributions de Ph. Le Pichon et M. Carassou) ; témoignages de Mmes Solange et Geneviève Rousteau que je remercie.
93 Composée d’un rectangle et d’un cercle au diamètre plus petit que la longueur du rectangle sur laquelle il s’appuie (dessin que Crucy utilise aussi en 1786 pour la place Royale), ce qui lui permet d’ailleurs d’éviter l’emprise sur le couvent des capucins qui entrainerait sa destruction, AMN, II 164* n° 16.
94 Rabreau D., « L’œuvre de Mathurin Crucy à Nantes. Un modèle d’esthétique urbaine néo-classique (1780-1820) », op. cit., et « Le théâtre de Nantes ou l’urbanisme mis en scène », Monuments historiques n° 108, 1980, rééd. en brochure L’Opéra de Nantes par la Ville de Nantes, s. d., préf. Alain Chénard, député-maire, 16 p., où ces aspects symboliques sont remarquablement mis en lumière.
95 Observations…, op. cit. p. 38, note (1).
96 Rabreau D., « Le théâtre et la place Graslin à Nantes », op. cit., p. 128.
97 Gracq J., La forme d’une ville, Paris, José Corti, 1985, p. 87.
98 Nantais d’origine, et par ailleurs constructeur de navires avec ses deux frères, Crucy fut d’abord formé par Ceineray avant d’être admis à l’Académie royale d’Architecture où il obtint en 1774 le Premier Grand Prix qui lui permit de passer trois années à Rome ; cf. Cosneau C., Mathurin Crucy, op. cit., p. 45-55, et préf. D. Rabreau, p. 11-22, ainsi que Pérouse de Monclos J.-M., Étienne-Louis Boullée 1728-1799, op. cit., cf. p. 184 et 206, et Supiot A. et Le Pichon Ph., « De l’observation de la ville comme corps social », op. cit., cf. p. xxv-xxvi et xxxvii-xxxix.
99 Sur la place Graslin, la corniche haute vient soutenir un second balcon filant devant un troisième étage en attique.
100 Place Royale, rues Crébillon, Jean-Jacques-Rousseau, et les rues adjacentes, mais aussi hors du quartier Graslin, par ex. entre autres, rue des Bons-Français percée, dans la vieille ville, au milieu de l’ancien couvent des Carmes vendu comme bien national en 1793. De plus, le plan intérieur de ces constructions comprend souvent un salon ovale, forme homothétique au premier projet de place urbaine dessiné par Ceineray et Crucy en 1779 et abandonné par la suite.
101 Comme bien des congrégations qui, depuis le siècle précédent, avaient été amenées à s’implanter hors les murs par manque de terrains disponibles dans la cité, notamment sur les paroisses de Saint-Clément et Saint-Donatien à l’est, d’où leur appellation de « terre sainte », mais aussi à l’ouest, telles les Filles du Bon Pasteur ou les Bénédictines du Calvaire dont les terrains seront lotis dès la fin du siècle en extension du quartier Graslin.
102 Observations de M. Graslin…, op. cit., p. 29-36. On pourra lire avec intérêt et une distance empreinte d’ironie le discours de Graslin aux Capucins pour leur rappeler les principes de leur ordre mendiant, en note (1) des p. 29 et 30 de la fig. 43 ; cf. égal. Cosneau C., « Le cours Cambronne. Spéculation et urbanisme », Bull. de la Société archéologique et historique de Nantes, t. 115, 1978, p. 51-78, et AMN, DD 226. Pour les SEM actuelles, cf. code de l’urbanisme, art. R. 321-1 et s.
103 ADLA, C 336, n° 70, Lettre de Graslin à l’intendant, 29 novembre 1785 ; id. C 336, n° 32, Lettre des Pères Capucins à l’intendant, 1er septembre 1786 ; Observations de M. Graslin…, op. cit., p. 14.
104 Renoul, op. cit. p. 516, le plan de Crucy étant contresigné le 23 sept. 1786 par la municipalité Guérin de Beaumont et les capucins, AMN, II 164* n° 17.
105 AMN, DD 230.
106 Cosneau Claude, « Le cours Cambronne, spéculation et urbanisme », Bull. de la Société d’Archéologie et d’histoire de Nantes et la L.-A., 1978, t. 115, cf. p. 58-59 ; Brost Pauline, Ces Messieurs du cours Cambronne, Essai d’étude sociologique sur les premiers acheteurs, Mém. Master recherche Relations internationales et histoire du Monde atlantique, université de Nantes, 2005, 2 t.
107 Cf. Pinçon M. et M., Les Ghettos du Gotha, Paris, Seuil, 2008, et Le Louarn P., « Les villes privées ou l’impuissance du droit », études foncières, n° 105, sept-oct. 2003, p. 17-23.
108 Pérouse de Montclos J.-M., Etienne-Louis Boullée 1728-1799. De l’architecture classique à l’architecture révolutionnaire, op. cit. ; Starobinski J., L’invention de la Liberté, 1700-1789, Genève, Skira, 1964, rééd. Paris, Gallimard, Bibl. des Histoires, 2006 ; Stoloff B, L’affaire Claude-Nicolas Ledoux, autopsie d’un mythe, Paris, Pierre Mardaga, 1977, Rabreau D., Claude-Nicolas Ledoux, 1736-1806. L’Architecture et les fastes du temps, op. cit., Kaufmann E., Trois architectes révolutionnaires : Boullée, Ledoux, Lequeu (1952), op. cit., et la discussion des thèses de cet auteur : Kaufmann E., De Ledoux à Le Corbusier (1933), Paris, Éd. de la Villette, 2002, avec la postface de Daniel Rabreau.
109 Notamment celui – qui reste d’actualité et renvoie à la question de la ségrégation sapatiale évoquée dans la dernière partie de notre texte – qui les oppose sur la concentration des monuments importants en un seul lieu au lieu d’être dispersés dans les différents quartiers.
110 Institué par la loi d’orientation foncière de décembre 1967, modifiée en 1976, qui a introduit dans notre droit la possibilité de confier à une personne privée, dans le cadre d’une procédure contractuelle, la réalisation d’une opération d’aménagement, avec la création des ZAC, zones d’aménagement concerté, décidées par la collectivité publique et à l’intérieur desquelles les règles du plan d’occupation des sols sont remplacées par celles d’un plan d’aménagement de zone, négociées avec le promoteur, public ou privé, qui prend à sa charge un certain nombre d’équipements (code de l’urbanisme, art. L. 311-1 et suiv.). La loi SRU de décembre 2000 a intégré les ZAC dans les nouveaux plans locaux d’urbanisme.
111 Depuis les travaux de l’école de Chicago qui ont fondé les études écologiques dans les années 1920. Cf. Grafmeyer Y. et Joseph I. (éd.), L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier, 1984, Mais dès le début du xixe siècle, les premières enquêtes de « physiologie sociale » qui marquent l’apparition de l’interrogation sur le fonctionnement de la société, et la mise au point de ses premières méthodes d’étude, avaient mis en évidence l’importance de la répartition spatiale des phénomènes sociaux ; cf. Supiot A. et Le Pichon Ph., op. cit., et concernant Nantes à cette époque cf. l’ouvrage lui-même de Guépin A. et Bonamy E., op. cit.
112 Pinçon-Charlot M. et Pinçon M., « De l’espace social à l’espace urbain. Utilité d’une métaphore », Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 64, sept. 1994, p. 52.
113 Le Pichon Ph., « L’université et la ville », op. cit., p. xxx.
114 Depuis Halbwachs M., Les expropriations et le prix des terrains à Paris, Paris, 1909. Il convient de se reporter aujourd’hui aux nombreuses études menées sur la ségrégation spatiale, qui montrent l’importance des représentations collectives dans l’accès aux biens matériels et symboliques offerts par la ville et son centre, pour comprendre l’efficacité du prix du sol comme critère de sélection sociale ; cf. Brun J. et Rhein C. (éd.), La ségrégation dans la ville, Paris, L’Harmattan, 1994.
115 Debord G., La société du spectacle, Paris, Buchet-Chastel, 1967, p. 139.
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