Le quartier Graslin et ses acteurs.
Les « vues patriotiques » de Jean-Joseph-Louis Graslin confrontées aux architectes, aux techniciens et aux entrepreneurs nantais, publics et privés, sous le regard des autorités publiques
p. 209-232
Texte intégral
1Le plan de Nantes signé en 1789 par Nicolas Sauzeau1, exprime bien la dualité essentielle du quartier dont Jean-Joseph-Louis Graslin s’est fait le promoteur depuis une dizaine d’années : un lotissement privé articulé avec le plan de la ville (fig. 48).
2La pleine valeur de l’opération de Graslin ne pouvait éviter une concertation avec la communauté de ville qui prenne en considération son projet annoncé comme « vues patriotiques ». Si, dans plusieurs mémoires justificatifs et défensifs, l’économiste veut faire valoir que ses premières idées s’arrêtaient à une simple rue montant de la Fosse, à proximité de la bourse, le faubourg des négociants, et que la rue se prolongeant vers la ville relèverait du souhait de l’architecte voyer, c’est cependant cette dernière rue qui fait du quartier autre chose qu’une opération spéculative ordinaire. Et c’est par son ouverture que la communauté de ville et ses voyers vont se trouver partie prenante d’une opération d’urbanisme, si nous acceptons ici ce néologisme du xxe siècle. Un nom reste particulièrement attaché à la création du quartier Graslin, outre celui du promoteur lui-même, celui de Mathurin Crucy, architecte voyer de Nantes de 1780 à 1800, mais ses démêlés avec Graslin lui font une fortune diversifiée, soit que les auteurs le voient malencontreusement associé aux tracasseries faites par des administrateurs mesquins à un entrepreneur flamboyant, soit qu’il apparaisse comme le garant d’une esthétique et d’une éthique au service de l’intérêt général face à un spéculateur avide. Crucy n’est pas le seul architecte ou voyer concerné par l’opération. On voudrait, dans cette communication, interroger l’articulation entre les différents intervenants, apprécier leurs rôles et responsabilités respectifs, questionner leur mode de fonctionnement en rapport à leur statut, public ou privé, à une époque où la communauté qui s’est récemment pourvue d’un personnel permanent d’intervention sur la ville, se voit contrariée dans ces dispositions par le Contrôle général des finances, plus favorable à un développement des marchés qu’à une économie municipale.
3Cette réflexion s’inscrit dans une recherche menée sur les services d’architecture et d’urbanisme de Nantes du xviiie siècle au xxe siècle, De l’architecte voyer à l’ingénieur en chef des services techniques2 ; elle propose un éclairage sur un fonctionnement au moment particulier de cette histoire que constituent les années 1780 au cours desquelles Graslin joue un rôle important.
4Quelques remarques sur les projets de Graslin dans la Nantes de la fin du xviiie siècle montreront pourquoi les architectes et les voyers de la communauté de Ville se sont trouvés impliqués dans la spéculation de l’économiste, un certain nombre de travaux étant directement effectués pour le compte du public. Plus amont, on s’intéressera à la manière dont la communauté s’est au cours du siècle dotée de techniciens pour projeter et surveiller l’exécution de ses travaux. Le mode d’exécution des travaux est en débat pendant tout le xviiie siècle, par adjudication ou « par voie d’économie » (une procédure proche de la régie), les positions variant selon les situations respectives des intervenants qui font prévaloir moralité des marchés ou qualité des matériaux et des travaux. On relèvera comment dans ce contexte la communauté intervient dans le quartier de Graslin. On s’arrêtera sur la présence dans le projet Graslin de Mathurin Crucy, l’architecte dont le nom est indissociablement lié au nouveau quartier, pour nous intéresser enfin à l’architecte de confiance de Graslin, Robert Seheult, dont on essayera de comprendre les modes d’action.
Les projets de Jean-Joseph-Louis Graslin dans la Nantes de la fin du xviiie siècle
5L’enjeu est d’importance quand Graslin présente officiellement pour une première fois en 1779 au bureau de la communauté ses projets pour l’agrandissement de la ville, c’est-à-dire pour l’urbanisation de ses propriétés situées à l’ouest de l’ancienne ville close, au dessus du port, entre le coteau de la Fosse et le faubourg du Bignon-Lestard qui, de la porte Saint-Nicolas, conduit à Gigant et se poursuit au-delà vers Couéron (rue Rubens, rue Scribe, etc.), le chemin de l’estuaire de la Loire (fig. 39).
6Le receveur général des Fermes à Nantes a acquis en quelques années des terres agricoles, les tenues de Bouvet et de la Cagassais et trois terrains de moindre importance, terrains qu’il a réuni dans ses mains en une unique propriété (fig. 41). Il rappellera sans relâche cette circonstance tout au long de ses tractations avec la communauté de Ville comme au cours de ses démêlés avec ses contradicteurs, affirmant par là sa perception de ce que les historiens n’ont cessé de donner comme une contrainte au développement maîtrisé des villes à l’âge classique, la grande fragmentation de la propriété foncière urbaine. Un autre argument maintes fois réitéré, la qualité du sol, un bon sol rocheux3 en altitude au-dessus de la Loire, est aussi un argument de combat : il s’agit avant tout de faire reconnaître que les terrains escarpés de Bouvet où par endroit le roc affleure, sont le lieu le plus propice à l’extension de la ville, malgré les difficultés d’exécution qu’entraînera leur topographie et le coût exorbitant des travaux de nivellement à attendre. L’alternative réside entre un coût élevé de production du foncier sur lequel les acquéreurs de lots à bâtir, « d’emplacements », peuvent construire en minimisant le coût des fondations, et la dépense moindre pour un promoteur du lotissement d’un terrain plat mais dont le sol meuble et humide entraînerait un fort coût de fondations pour les particuliers acquéreurs. À la lecture de ses nombreux mémoires, la grande crainte de Graslin semble être en effet que soient prises en compte les récentes recommandations de Jean-Rodolphe Perronet.
7En mission à Nantes pour visiter l’établissement de la marine d’Indret en 1778, le premier ingénieur des Ponts et Chaussées du royaume est également interrogé sur le bassin d’épandage des eaux du fleuve en temps de crues que constitue la prairie de la Madeleine, une île de Loire traversée par une chaussée inscrite dans la longue ligne de ponts de près de deux kilomètres qui, du nord au sud, relie Nantes aux routes du Poitou. Est-il possible de combler les arches de la chaussée, s’interroge-t-on depuis quelques années ? L’enjeu résidait dans la construction de maisons au long de la chaussée de la Madeleine, engagée dans les années 1770 selon la modeste discipline de façade dessinée par l’architecte de la ville Jean-Baptiste Ceineray en 1773-17744, mais aussi dans une urbanisation en profondeur, ce qui nécessiterait un exhaussement des terres de la prairie. Les propriétaires des terrains y poussent, produisent des plans, mais la Ville est ici plus réticente. Le maire Gellée de Prémion qui a obtenu en 1776 un arrêt du Conseil interdisant de bâtir dans l’île de la Madeleine, est soupçonné de bloquer l’affaire pour rendre plus facile la vente des terrains de la communauté au long de l’Erdre canalisée, le « Marais » sur la rive gauche entre le port Communeau et les Petits-Murs, et dans les fossés Saint-Nicolas comblés (actuelle place Royale), tous terrains gagnés sur l’eau. Faute d’être homologué au parlement de Bretagne ou à la Chambre des comptes, l’arrêt n’est pas respecté, des maisons sont bâties entre la chaussée et la rue des Olivettes tracée sans autorisation par les propriétaires, poursuivant l’obstruction des arches de la chaussée et entravant l’écoulement des eaux. C’est dans ce contexte qu’est diligentée, à la demande de l’intendant de Bretagne Caze de la Bove, l’expertise de Perronet. À l’instar des ingénieurs Magin et de Voglie, celui-ci avait déjà rendu un avis défavorable. Mais en 1778, devant le coup parti, Perronet « dont le génie est fécond en belles et grandes entreprises5 », extrapole la question posée, condamne à terme la vieille ligne de ponts et « surprend » la communauté par l’ampleur de ses vues en proposant une nouvelle ligne de ponts qui traverserait en amont l’île de la Madeleine entièrement lotie, soit un doublement de la superficie de la ville (fig. 35).
8C’est là un coup dur pour Graslin qui parachève l’acquisition de terrains sur les hauteurs de Bouvet. Mais à Nantes, hormis les propriétaires de la prairie de la Madeleine, on ne croit plus guère à l’investissement des îles. On avait longtemps pensé que l’extension de la ville devait se faire là : dans les années 1720 le maire Gérard Mellier envisageait de lotir la prairie de la Madeleine, puis la prairie au duc avant de se rabattre sur le projet plus modeste de la grève de la Saulzaie devenue île Feydeau ; le Plan général d’embellissement de Vigné de Vigny arrêté en Conseil du roi en 1755 donnait l’île Gloriette à l’urbanisation et établissait une vaste promenade sur la Madeleine (fig. 33). Mais les contraintes de fondation dans l’île Feydeau avaient échaudé les investisseurs potentiels et la communauté. L’extension dans les îles est exclue du Plan général d’embellissement révisé par Ceineray en 1761 (fig. 37). Approuvé en Conseil du roi en 17666, c’est ce plan qui est en vigueur quand Graslin se lance dans ses opérations foncières, plan qui ne prévoit plus d’investir les îles et cherche des terrains à bâtir au pourtour de la ville, en place des fortifications condamnées. Au sortir de la guerre de Sept ans en 1763, ce sont les constructions sur des terrains cédés par la communauté, à l’emplacement des murs de ville – sur les quais Brancas et Flesselles ou sur les cours Saint-Pierre et Saint-André à l’est – qui ont pris le relais de l’île Feydeau, puis après 1770 on voit l’investissement privé revenir vers le secteur portuaire pour achever l’île Feydeau ou développer le quai de la Fosse. Il ne s’agit que de coup par coup, un projet plus vaste manque. Graslin pourra arguer du renchérissement des loyers attribué à la pénurie d’appartements disponibles à la location pour faire accepter à la communauté de livrer de vastes terrains à l’urbanisation, et de surcroît des terrains sains. Nantes doit se mettre à même d’accueillir les familles de colons qui rentreraient d’Amérique à l’issue de la guerre d’indépendance. Un autre critère sanitaire parfois évoqué par Graslin, la position élevée de ses terrains qui jouissent d’une bonne aération, verra ses avantages réduits par la relative étroitesse des rues en raison de l’élévation des maisons, rendement foncier oblige.
9Citons, pour donner une idée de la réception des projets de Graslin à Nantes, l’article « Nantes » du dictionnaire de Bretagne de l’ingénieur géographe des États de Bretagne, Jean Ogée, dans le troisième tome paru en 1780, qui reproduit certains arguments de l’économiste :
« Malgré l’étendue, je ne dis pas de la ville, qui est beaucoup trop petite, mais des faubourgs, il s’en faut bien que les édifices particuliers soient trop multipliés à Nantes. Les maisons nouvelles qu’on bâtit tous les jours sont à peine à moitié faites, que le rez-de-chaussée est déjà occupé. On a vu, dans ces dernières années, au moins cinquante familles étrangères, américaines ou commerçantes, qui voulaient se fixer à Nantes, obligées, faute de logement, de porter ailleurs leur richesse et leur industrie. Il serait donc nécessaire de former de nouveaux établissements, et l’avantage public comme le particulier exigent que les projets conçus par des citoyens zélés et universellement applaudis soient exécutés le plus promptement possible7. »
10Et, évoquant les terrains escarpés situés au-dessus de la Fosse :
« C’est pourtant le véritable lieu où devrait être placée la ville commerçante, pour l’intérêt et la commodité des négociants… Jusqu’ici ces terrains, si précieux par leur situation, paraissaient perdus sans ressource ; mais M. Graslin, déjà connu par des entreprises d’utilité générale et des vues très sages, vient de former le projet de lever toutes les difficultés qui s’opposent à l’accroissement de la ville, de ce côté-là. Il a réuni un grand nombre de propriétés différentes qui se commandaient les unes les autres et ne permettaient pas d’ouvrir les communications nécessaires. Il se trouve aujourd’hui propriétaire d’un terrain […] à travers lequel il consent que la ville ouvre des rues spacieuses dans tous les sens, et qu’elle y forme des places publiques8. »
11La communauté qui a accepté en 1779 les offres de Graslin, décide de ne pas donner suite au projet Perronet. Quoique consciente depuis longtemps de la nécessité d’un plan d’ensemble si l’on veut bâtir la Madeleine, faute de quoi « toutes les constructions ne formeraient qu’une masse informe, qu’un chaos qui n’aurait aucun des avantages qui constituent l’utilité publique9 », elle laissera la partie occidentale de l’île se bâtir sans plan, de même qu’elle ne donnera pas suite aux différents plans de quartiers dressés par Crucy sur l’île Gloriette autour de l’Hôtel-Dieu. Dans le mémoire accompagnant en l’an X son plan de Nantes donnant l’état des diverses extensions et des différents projets formulés10, l’ingénieur de la marine Saint-Maurice enterre le projet de Perronet, cependant reporté sur le plan, mais lavé dans un « violet pâle » qui le met loin derrière le quartier Graslin et ses vastes prolongements au rose éclatant :
« Le célèbre Perronet […] proposait en même temps d’agrandir la ville sur la prairie de la Madeleine. Sans doute cette direction offrait à la ville de Nantes des avantages que les circonstances actuelles rendent inutiles et même impraticables ! On ne peut se dissimuler que l’accroissement presque doublé de cette ville dans les quartiers de Graslin, du Boulevard et de Gigant ne doit plus permettre de penser à la construction d’une nouvelle ville sur la prairie de la Madeleine. Dans ces quartiers nouvellement créés, on a construit depuis 1783 une grande et superbe salle de spectacle, un cirque et une salle de variétés, deux belles places et deux promenades toutes ornées d’édifices et de maisons particulières dont la construction se prolonge encore, et procure à cette nouvelle ville des agréments, des commodités et des embellissements qui ne laissent plus aucun doute sur l’inexécution des projets d’agrandissement dans un autre quartier. [En note] Si des circonstances qu’on ne peut actuellement prévoir engageaient à s’occuper de pareils projets, on doit croire que la prairie au Duc située au-dessous de la ville de Nantes vis-à-vis le quai de la Fosse, serait l’emplacement que l’on adopterait de préférence à tout autre11. »
12Position prémonitoire, on le verra dans les années 1840, quoique les établissements manufacturiers ou industriels soient alors plus à l’ordre du jour que les implantations de négociants : Cibot, Pelloutier et alii12 implanteront leur lotissement sur la prairie au Duc, tandis que la compagnie des terrains de l’île de la Madeleine a plus de mal à faire aboutir ses projets.
13La clientèle que vise Graslin dans les années 1770-1780 est celle des négociants. Le site est proche du port, mais à une certaine distance des quais toutefois, à une époque où les gros navires ne remontent plus au cœur de la ville ; les entrepôts peuvent dès lors être dissociés des habitations et les rez-de-chaussée des maisons destinés à des boutiques, ce qui annonce l’image de centre du commerce de luxe qu’arborera le quartier. À Nantes, la maison à appartements superposés est d’usage courant depuis le début du xviiie siècle, prélude aux « maisons à loyer » ou immeubles de rapport du xixe siècle. Dans l’île Feydeau ou sur le quai de la Fosse, les négociants sont le plus souvent locataires d’un appartement dans une maison parfois propriété d’un négociant plus aisé, fréquemment aussi d’un investisseur appartenant au monde de la construction (architecte, maître-maçon, serrurier…), à un magistrat, à un marchand ou à un capitaine de navire13… C’est le même type de constructeurs que l’on trouvera dans les années 1780 dans le quartier de Graslin. Petit-fils et fils d’anobli, reconnu comme écuyer14, le receveur des fermes avait pu acquérir la terre noble de Bouvet sans avoir à acquitter de droits de franc-fief, mais dans le cas d’un lotissement destiné à des acquéreurs roturiers, il était nécessaire de libérer le terrain de cette contrainte. Graslin travaillera dans un premier temps à faire reconnaître par le tribunal des Régaires15 la qualité roturière de sa propriété, ce qui est acquis quand en 1779 il fait ses propositions d’urbanisation à la communauté de Ville.
14Propriétaire donc de terrains au-dessus de la Fosse, Graslin entend en faire un nouveau centre pour la ville, plus qu’un simple lotissement. Les premiers plans du quartier en 1779 montrent un système de trois rues de trente pieds de largeur (9,74 mètres) se croisant sur une place ovale. Une rue relie la place de la bourse au chemin de Couéron, presque entièrement comprise dans les terrains du financier (actuelles rues Jean-Jacques Rousseau et Racine) ; une autre part des fossés Saint-Nicolas, emplacement de la future place Royale, et court vers l’ouest jusqu’au futur quartier de l’Entrepôt (actuelles rue Crébillon, Voltaire et Dobrée), voie dont seule une courte section est située sur les terrains de Graslin ; la troisième descend du Bignon-Lestard (actuelle rue Scribe) et butte sur l’enclos du couvent des capucins. D’autres rues de 22 ou 24 pieds de large (7,14 ou 7,79 mètres) sont projetées à l’intérieur ou en bordure des terrains Graslin, dénommées « rues nouvelles » sur une copie de 178216, signée Crucy, du plan de 1779 adopté par le bureau17. Avec la figure régulière donnée au nouveau quartier/carrefour, les tracés anciens disparaissent et l’emprise des anciens chemins est incluse dans les îlots à lotir (fig. 40).
15À la lecture de ces plans, deux constatations s’imposent : la communauté, ou son voyer, prend appui sur l’opportunité du lotissement de Graslin pour penser à grande échelle l’extension de la ville à l’ouest ; Graslin ne peut poursuivre que ponctuellement ses acquisitions au-delà de ses terrains pour faire déboucher ses rues ; pour la cohérence du projet, il est nécessaire que la communauté rentre elle-même dans l’affaire, que de garant du bien public elle se fasse moteur des transformations, et qu’elle prenne à son compte les raccordements du lotissement avec le plan de la ville et avec les quartiers existants. C’est cette solution qui est retenue, et un contrat plusieurs fois amendé va lier la communauté aux spéculations de Graslin tandis que l’architecte voyer se trouve chargé de la définition du projet18. Graslin demande concession de l’emprise des anciennes voies en même temps qu’il cédera à la Ville le sol des voies nouvelles ; la communauté assurera à ses frais le nivellement de ces voies, rendant ainsi possible l’accès aux parcelles que Graslin pourra vendre. Le promoteur finira par prendre l’entreprise des travaux de viabilité, rétrocédant à la communauté les emprunts qu’il fait pour financer ces travaux.
16La donne change en 1783 quand Graslin obtient que la nouvelle salle de spectacle municipale soit bâtie dans son quartier. Mathurin Crucy semble alors prendre plus d’intérêt au projet du quartier dont il va concevoir l’édifice central, l’espace urbain devenant plus que l’espace public lui-même, l’espace de mise en scène du monument. Crucy modifie alors la configuration de la place qui ne doit faire qu’un tout avec la salle de spectacle (fig. 41). Pour saisir le rôle de Crucy dans les projets de Graslin, il convient ici d’apporter des précisions quant au statut et au rôle de ce personnage incontournable qu’est devenu l’architecte voyer à la fin du xviiie siècle, et aux collaborateurs dont il est entouré, ainsi que sur le mode d’exécution des travaux publics municipaux.
Les voyers et le régime des travaux de la communauté de ville
17À Nantes, les dernières décennies de l’Ancien Régime marquent un moment clef dans l’ébauche de constitution de services d’architecture, d’urbanisme et de travaux publics. Jusqu’alors, un architecte voyer assume la charge de la voirie, c’est-à-dire le traitement de l’espace public : Jacques-André Portail, architecte de la ville et expert voyer attaché aux opérations de pavage et aux alignements, de 1733 à 1738, Nicolas Portail de 1739 à 1760, Jean-Baptiste Ceineray de 1757-1760 à 1780. Leur rémunération est modeste. Nicolas Portail touche 600 livres d’appointements annuels comme « architecte et expert de la voirie de cette ville » chargé de l’inspection des pavés, ponts et chaussées dépendant de la communauté, augmentés en 1753 d’une gratification de 400 livres pour plans et devis dressés pour les travaux publics de la communauté, surveillance des travaux et compte rendu hebdomadaire, 1 000 livres au total, soit un intitulé de mission tout entier tourné vers l’espace public et ses infrastructures.
18Ceineray le supplée dès 1757 à « charge de veiller avec assiduité à la conduite de tous les ouvrages qui seront faits par la communauté lorsqu’elle ne pourra y employer le sieur Portail […], de donner tous les plans et devis qui lui seront à cet effet demandés et de se trouver régulièrement à tous les Bureaux de la Ville pour y recevoir les ordres qui lui seront donnés et les mémoires d’ouvriers dont l’examen et le règlement seront par lui fait avec l’attention la plus grande », aux appointements de 500 livres poussés à 1 000 livres en 1760 quand ceux de Portail lui sont supprimés sur ordre de l’intendant Le Bret. Ceineray conserve ces appointements jusqu’à ce que son état de santé le contraigne à se retirer en 1780. Ses travaux pour la communauté relèvent plus de l’urbanisme (la ville) que de l’architecture (le bâtiment), malgré quelques projets d’édifices comme un théâtre ou un hôtel de bourse, restés sans exécution, et une activité courante d’entretien… Son grand œuvre, le palais de la Chambre des comptes de Bretagne, est bâti conjointement pour le roi et la Province, en dehors de sa mission pour la communauté de Ville. Il est à noter que ces appointements constituent la rémunération globale de l’architecte et de ses éventuels collaborateurs qu’il prend lui-même à sa charge.
19Les choses changent en 1770 quand la communauté crée une place d’appareilleur de la ville et de conducteur des ouvrages de maçonnerie exécutés « par voie d’économie », place dévolue, avec 1 200 livres annuelles, à l’architecte entrepreneur Louis Laillaud qui travaille pour elle depuis les années 1720. Âgé de 79 ans en 1778, Laillaud se retire et est remplacé par son neveu Louis Berranger, aux appointements de 400 livres. Le même Berranger avait été nommé en 1777 architecte en second, au côté de Ceineray malade, pour le suppléer en cas de besoin « dans les opérations et conduite des œuvres entreprises par la communauté » pour une rémunération de 600 livres. Berranger poursuit sa double mission d’architecte voyer et de conducteur des travaux municipaux sous Mathurin Crucy, jusqu’à son décès en 1784. Ainsi, quand l’essentiel des travaux de construction de bâtiments municipaux s’exécute sans adjudication, du personnel technique appointé en assure l’inspection.
20Dans le domaine de la voirie également, du personnel technique est salarié par la communauté : l’ancien entrepreneur de pavage François Cacault qui s’est illustré en 1756-1757 par son beau plan de Nantes gravé en 1759 chez Lattré, est conducteur appointé des ouvrages publics dans les années 1770. Lors de sa retraite en 1780, il est remplacé par un géomètre, Jean-François Demolon dont Ceineray, qui l’avait employé dans des cas pressants à lever des plans, niveler des terrains et régler des pentes, loue la promptitude et la précision d’exécution. Après un paveur devenu arpenteur par nécessité, la communauté s’adresse à un arpenteur qu’elle emploie à l’inspection des travaux publics, c’est-à-dire essentiellement le pavage des voies. Demolon est littéralement nommé « en qualité de préposé de la Communauté de Ville, pour, sous les ordres du bureau et l’inspection de l’architecte voyer, conduire et surveiller les ouvrages économiques de la ville, notamment les travaux à faire sur les banlieues, la construction des pavés tant à la charge de la Communauté qu’à celle des particuliers dont il sera tenu de faire le toisé toutes les fois qu’il en sera requis, lever des plans, donner des alignements, faire des nivellements et exécuter généralement toutes les opérations relatives à son art et aux intérêts de la Communauté dont il sera chargé soit par le bureau, soit par l’architecte voyer », le tout pour 1 200 livres d’appointements annuels.
21Si Graslin dans ses opérations ne semble pas avoir eu de contact avec Laillaud ou Berranger qui œuvrent dans le domaine de l’architecture, il n’en est pas de même pour les préposés à la voirie, Cacault ou Demolon. C’est en effet Cacault qui est chargé du levé des terrains Graslin lors des premières offres du financier à la communauté19 et Demolon interviendra dans différents toisés et nivellements. À partir de l’année 1786, Crucy abandonne à ce dernier les émoluments attachés aux opérations sur le terrain relatives la délivrance des procès verbaux d’alignement (il les laissait auparavant à Ogée fils, son élève20). Lors d’un conflit en 1787 entre Crucy et Demolon qui craint de perdre sa place, Graslin appuiera le géomètre, homme pratique auquel il fait confiance pour les opérations de terrain, contre l’architecte en qui il ne voit plus qu’un intrigant seulement préoccupé de sa gloire.
22Avant d’en venir à la personnalité de Crucy, quelques remarques s’imposent sur les travaux exécutés « par voie d’économie » ou mis à l’adjudication. Traditionnellement les marchés d’ouvrages publics sont à Nantes donnés à l’adjudication, ce dont la communauté et ses voyers ont tout lieu de se plaindre tout au long du xviiie siècle, particulièrement en ce qui concerne les quais et les édifices fondés en milieu humide. Si l’adjudication des marchés passée au rabais permet à priori d’économiser les deniers publics, les entrepreneurs sont tentés de se rattraper sur la qualité des matériaux mis en œuvre ou sur les qualifications professionnelles des ouvriers qui perçoivent de bas salaires pour les mettre en œuvre. Une surveillance active est nécessaire, d’où l’institution des voyers et de leurs aides, mais elle n’est pas permanente et il est toujours loisible aux adjudicataires de tricher, notamment sur ce qui se voit le moins, les fondations. Lorsque Jean-Baptiste Gellée de Prémion, subdélégué de l’intendant (1751-1772), connu pour sa culture et son intelligence de la ville et de l’architecture, devient pour la première fois maire (1754-1762) – c’est lui le grand maire de Nantes au xviiie siècle, autant ou plus que Mellier principalement retenu par l’historiographie –, il s’efforce de résoudre le problème par la mise à l’économie des travaux municipaux : la communauté achète les matériaux, paie les rôles des ouvriers ; les architectes et voyers choisissent les uns et les autres, conduisent le chantier et certifient les comptes.
23Par cette voie, la meilleure pense-t-il pour avoir de bons ouvrages, Gellée de Prémion, perd l’unique produit de sa subdélégation. Marquant qu’une « pareille considération ne (l)’arrêtera jamais lorsque le bien public en pourra souffrir21 », il fait prendre la décision à la communauté dès 1754. Satisfait de l’expérience, il pouvait écrire à l’intendant Le Bret :
« Vous m’avez paru désirer avec empressement de savoir le succès de l’économie dans l’exécution des quais de la Fosse.
Nous sommes aujourd’hui en état de vous satisfaire. Le jeune architecte chargé de la conduite de cet ouvrage nous apporta hier le compte des 24 toises qu’il vient d’achever et qui doivent servir d’essai. La dépense est moindre de l’estimation d’environ 1/15 et il faut observer que rarement les adjudications de nos ouvrages ont été faites au dessous de pareilles estimations. Vous avez, Monsieur, vu par vous-même comment par cette voie nous avons été servis jusqu’ici. On aurait peine à trouver de plus mauvais ouvrages. Celui-ci, au contraire, malgré un grand nombre de contradictions, est reconnu pour le goût et la solidité, égal à tout ce qu’on peut de meilleur. Nous pouvons compter avoir été traités au moins aussi bien qu’un particulier le serait en pareil cas.
Nous sommes si satisfaits que nous ne balançons point à confier le reste de cette entreprise au même conducteur. Nous lui donnons pour l’animer le dixième du prix, suivant l’usage, et nous comptons qu’avec cette honnête gratification nous aurions encore la meilleure besogne et la moins chère qui se soit faite à Nantes22. »
24C’est une première étape, les préposés à la conduite des ouvrages sont encore employés ponctuellement chantier par chantier. Leur rémunération d’un dixième est remplacée par des appointements fixes à l’époque qui nous intéresse. Prémion n’est plus alors subdélégué, remplacé par Pierre Ballays, un avocat peu favorable aux architectes contrairement à son prédécesseur et très opposé par principe à l’exécution des travaux par voie d’économie qu’il juge dispendieuse et source d’abus23. Prémion est à nouveau maire de Nantes quand en 1779 Graslin fait ses offres (1776-1782). En les accueillant, il tiendra à garantir les intérêts publics, notion à différencier de la satisfaction du public dont parle souvent Graslin. La référence au public est permanente tant chez le subdélégué que chez le promoteur, mais pour ce dernier il s’agit plus de contenter un public d’acquéreurs potentiels que de satisfaire à l’intérêt général, si ce n’est que la tendance est chez les économistes à penser que l’intérêt général ne proviendrait que de la somme des intérêts particuliers…
25C’est peu après le retour de Prémion à Nantes, à l’issue de quelques mois passés à Paris, qu’est conclu le traité du 23 septembre 1780 qui officialise l’affaire entre la communauté et Graslin. Dans le même moment deux intendants se succèdent, Gaspard-Louis Caze, baron de la Bove (1774-1783) et Antoine-François de Bertrand de Molleville (1784-178824), le second prenant parti pour Graslin dans ses dissensions avec Crucy. Fervent défenseur de l’entreprise privée, Bertrand de Molleville travaillera à supprimer le régime de l’économie et à faire revenir la communauté de Nantes à l’adjudication, règle qui souffre cependant des entorses quand cela va dans le sens de l’initiative privée, en l’occurrence le marché passé de gré à gré le 4 juin 1785 entre la communauté et Graslin pour la construction de la salle de spectacle municipale conçue par Crucy25, entreprise que Graslin sous-traite à l’architecte-entrepreneur Antoine Peccot, beau-frère de l’architecte voyer. C’est là le résultat d’un compromis : après les travaux de déblaiement et nivellement de l’emprise du théâtre lancés par Graslin lui-même et à la suite d’une première phase de travaux par voie d’économie, le chantier était interrompu et l’intendant ordonnait l’adjudication, commettant son subdélégué à la procédure26, avant que sur les instances de Graslin, soutenu par le subdélégué Ballays, il accepte une solution tierce à l’encontre de tous les principes de marchés publics : « N’y aurait-il pas, Monsieur, un moyen de concilier tout, c’est-à-dire la plus grande économie que puisse faire raisonnablement l’administration, avec la perfection même de l’ouvrage27 ? » écrivait Graslin à l’intendant, usant du terme économie dans son acception d’aujourd’hui courante de réduction des dépenses. Graslin prend à sa charge l’entreprise de la salle de spectacle, sur les plans et devis de l’architecte voyer, s’engageant à ne pas répercuter de plus-value vers la ville si la construction devait coûter plus cher et à lui rétrocéder une éventuelle moins-value. Affirmant vouloir éviter toute « tracasserie avec ce petit intrigant » de Crucy – les relations entre l’architecte de la ville et le promoteur se sont détériorées à propos de l’ordonnance des façades de la place, nous y reviendrons –, Graslin propose lui-même de conserver sur le chantier les affidés du groupe Crucy, les charpentiers et marchands de bois Jean Crucy père et fils et l’architecte-entrepreneur Antoine Peccot qui a commencé les travaux28.
26Graslin cherchera sans succès quelques années plus tard à obtenir un budget complémentaire pour couvrir le renchérissement du coût des charrois dû à l’augmentation du prix des fourrages (on voit là l’amorce d’une articulation transports-énergie-consommables), demande réitérée par Peccot en 1790 après le décès de Graslin, et rejetée par la municipalité qui constate que la communauté n’avait pas contracté dans cette affaire avec lui et le renvoie vers les héritiers Graslin29. L’aménagement de la salle et la décoration intérieure et extérieure seront encore traités par voie d’économie, dérogation acceptée pour la nature particulière de ces travaux d’art qui demandent des capacités autres que celles d’un artisan et qui ne sauraient être laissés à un moins-disant, notamment en ce qui concerne la sculpture et les décors confiés à des artistes proches de Crucy. Toujours pour un meilleur contrôle de la qualité des travaux, l’architecte voyer obtiendra par dérogation en 1790 que soient bâtis par voie d’économie les fondations et le soubassement du nouvel hôtel de bourse qu’il édifie sur la Fosse30.
27L’adjudication doit cependant dans ces années 1780 redevenir la règle générale, à l’instar de ce qui se passe pour les grands chemins à la charge de la province sous le contrôle des États de Bretagne, désormais confectionnés « à prix d’argent31 ». C’est ainsi qu’à la demande du Contrôle général des finances qui souhaite la réduction des dépenses des villes, l’intendant s’oppose à l’inscription au budget des frais afférents à l’entretien et au pavage des voies publiques par voie d’économie. Un arrêt du Conseil vient le 13 juin 1785 mettre un terme aux tergiversations, ordonnant la mise en adjudication de tous les ouvrages des communautés de Bretagne. Deux affaires vont illustrer cette tendance : celle de la vente des chevaux et du matériel de travaux publics de la ville et celle des honoraires de Crucy. Pour anecdotique qu’elle puisse paraître, l’affaire des chevaux et des tombereaux municipaux rend compte des changements d’attitude en haut lieu sur les dépenses des villes et sur la mise en place de mécanismes imposés par le Contrôle des finances. La communauté avait tenté une solution avantageuse pour ses finances en 1774-1776, l’adjudication à un paveur de la réfection des banlieues, les voies de sortie de ville, selon un tarif superficiel fixé par contrat, mais l’entrepreneur avait obtenu la résiliation du traité qu’il avait rapidement jugé économiquement désastreux32. On était alors revenu au système de l’économie pour lequel la communauté avait ébauché la constitution de son service de voirie sous la conduite de Cacault. La vente des chevaux marquera la liquidation de ce service.
28Cacault entretenait neufs chevaux aux frais de la communauté, dans une écurie qu’il lui louait, ainsi que divers matériels comme des tombereaux, des brouettes et autres outils33. Rapidité d’intervention, contrôle de la qualité des travaux et réduction des coûts constituent les objectifs annoncés pour l’emploi de ce personnel et la possession de ce matériel public. Quand Demolon succède à Cacault, « préposé pour conduire et surveiller les ouvrages économiques de la ville », il prend en charge ce matériel et la communauté entend même donner une stabilité au service de voirie en décidant la construction d’un local comportant écurie, remise et logement du préposé dont Berranger dresse en septembre 1781 le projet34. Deux mois plus tôt, Demolon avait obtenu du bureau de la communauté le remplacement de deux vieux chevaux par trois plus jeunes, leur nombre total porté à dix « jugé nécessaire au service public35 ». Demolon se charge de la transaction à la foire aux chevaux de Dinan, et la délibération qui lui accorde le remboursement des chevaux et des frais de voyage est régulièrement approuvée par l’intendant. Caze de la Boveavait été convaincu de l’utilité des chevaux pour aider Graslin dans son entreprise36. Son successeur Bertrand de Molleville, suivant les ordres du contrôleur général, enjoint la ville de se séparer de ses chevaux, au profit d’un retour à l’adjudication des travaux. Après une tentative de résistance de la communauté qui fait un temps la sourde oreille, chevaux, matériel et réserves de fourrage sont mis aux enchères en mai 1785, l’ensemble produisant 6 363 livres, dont moins de 800 pour les chevaux (au nombre de huit à cette date) et 4 600 livres pour le fourrage. La pénurie de fourrages marque dans cette année 1785 une augmentation du prix des charrois et, par là, un renchérissement des coûts de construction.
29Demolon dont la place était justifiée par la conduite de travaux par voie d’économie se voit alors menacé quand en 1787 on met en balance sa continuation avec la nomination d’un nouvel adjoint à Crucy, le peintre, dessinateur et graveur Béguyer de Chancourtois. C’est alors que Graslin s’entremet pour sa défense, tentant de prouver qu’un géomètre est bien plus nécessaire à la ville qu’un second artiste37.
30Artiste, le mot s’impose dans les années 1780 pour désigner le nouvel architecte voyer, plus un architecte désormais qu’un voyer, Mathurin Crucy.
Mathurin Crucy architecte voyer et sa présence dans le projet Graslin
31Lauréat du prix de l’académie d’architecture en 1774, Crucy séjourne à Rome comme pensionnaire du roi et regagne Nantes au début de l’année 1779. Dès ce moment, il travaille auprès de Ceineray sur le plan du quartier de Graslin et pourra s’attribuer la paternité de la forme initiale de la place arrachée au promoteur qui se serait contenté d’un petit carrefour à pans coupés38.
32On sait à cette époque Ceineray malade et empêché dans son emploi ; la communauté accepte sa démission et délibère de le faire suppléer provisoirement par Crucy, alors âgé d’une trentaine d’années, en attendant le retour de Rome de Pierre Cacault, fils de son ancien inspecteur des ouvrages publics, auquel la place est réservée. Crucy accepte alors que ses 1 000 livres d’appointements soient continuées à Ceineray, attendant pour sa part le décès de son prédécesseur pour commencer à percevoir quelque rétribution39. Quand en 1782 il est acquis que Pierre Cacault souhaite rester à Rome où il se consacre à la peinture et renonce à la survivance de Ceineray, Crucy reconnu comme « le seul architecte à Nantes », comme l’étaitCeineray lorsqu’il travaillait, est nommé architecte voyer de la Ville40. L’architecte est chargé « particulièrement de veiller avec assiduité à la conduite de tous les ouvrages qui seront faits par la communauté, de donner tous les plans, devis, élévations qui seront par elle demandée relativement à ses ouvrages et aux embellissements et agrandissements de la ville41 », intitulé de fonctions qui rend compte des préoccupations de l’époque et de l’actualité du nouveau quartier. La communauté en ces temps de guerre ne disposant pas de fonds suffisants pour faire une pension à Ceineray, on fixe les appointements de Crucy à 3 000 livres dont distraction de 1 000 livres au profit de Ceineray, et réduction du tout à 2 400 livres au décès de l’ancien voyer. La combinaison n’aura pas l’heur de plaire au Contrôle général des finances qui entend les plaintes des États sur la mauvaise administration des finances des villes, une administration jugée dispendieuse sur laquelle ils souhaitent prendre le contrôle. Joly de Fleury propose d’attribuer une pension de 1 000 livres à Ceineray et d’allouer à Crucy un traitement équivalent qui sera porté à 1 500 livres au décès de Ceineray. S’ensuit un long débat où l’intendant Caze de la Bove et le maire Berroüette soutiennent la délibération prise, tant au point de vue de l’importance quantitative des travaux désormais attachés à l’emploi, du renchérissement de la vie, que des qualités propres de Crucy, un artiste de haut niveau que Nantes a tout intérêt à fixer mais qui ne restera que si l’on lui fait une condition honorable, débat où on fait valoir que Crucy aurait déclaré préférer travailler gratuitement que pour une rétribution trop modique, laquelle le ravalerait dans la classe des maçons. De Rome, François Cacault fils soutient Crucy. Le nouveau contrôleur général Lefèvre d’Ormesson acceptera les appointements de Crucy fixés à 2 400 livres, mais de nouveaux tracas se font jour42.
33Crucy attendra six ans et demi pour percevoir fin 1786 ses premiers appointements, soit 13 000 livres (2 000 livres annuelles). Crucy pensait ses appointements d’ores et déjà établis à 2 400 livres. Selon sa quittance, 15 600 livres avaient été portés au budget, somme réduite par l’intendant Bertrand de Molleville, beaucoup moins favorable à Crucy que ne l’était Caze de la Bove43. Pour les années 1787 et 1788, ses appointements sont à nouveau mis en souffrance faute de quittance. Ces précisions sont ici données pour caractériser un architecte fort d’une fortune familiale qui lui permet de vivre et d’entretenir des collaborateurs sans être rémunéré, mais aussi pour interroger l’intérêt aux tâches d’un voyer que peut développer cet architecte. Ici, ce sont le titre et la reconnaissance due à l’artiste qui semblent intéresser Crucy, c’est la possibilité de concevoir quelques monuments publics, plus que la quotidienneté d’un travail de contrôle urbain pour lequel doit suffire Demolon, déchargé en 1785 de la conduite des travaux par voie d’économie. Chez Crucy, la ville intervient plus comme environnement formel de l’édifice que dans sa spatialité propre et ses contraintes. Le projet du théâtre lui-même, la grande œuvre de Crucy, ne produit pas d’honoraires particuliers et, inscrit dans les appointements ordinaires de l’architecte voyer, n’est rémunéré que très tardivement.
34Si le géomètre Demolon est encore en place, ce n’est cependant pas de ce collaborateur que se satisfait Crucy. L’architecte en second Berranger décédé en 1784 n’a pas été remplacé. La communauté avait bien nommé un certain Graton, plus un contremaître qu’un architecte, mais l’intendant s’y était opposé arguant de la suppression des travaux par voie d’économie qu’il ordonne pour le 1er janvier 178544. Crucy interprétait même cette nomination comme la mise en place d’un contrôle comptable sur son travail d’architecte, soupçonné qu’il était, notamment par Ballays, de traiter trop facilement avec les entrepreneurs de sa famille. À sa demande, la communauté va alors lui donner pour adjoint René-Louis-Maurice Béguyer de Chancourtois45, nommé par délibération du 28 avril 1787, « pour conjointement avec lui faire les fonctions d’architecte voyer et tous les travaux et opérations qui dépendent de cet emploi » aux appointements de 1 000 livres par an. S’ensuit un différend avec Bertrand de Molleville qui demande en contrepartie la suppression du poste de Demolon46 que la communauté pour sa part souhaite conserver, séparant bien les deux profils. On rappelle alors que Demolon n’est pas un simple contremaître mais un géomètre ; Graslin le soutient assez lourdement auprès de l’intendant, détaillant point par point les tâches de l’inspecteur voyer qu’il a vu à l’œuvre dans les travaux de nivellement des voies publiques de son quartier, faisant état des erreurs d’implantation qu’aurait fait Crucy, position appuyée par Demolon lui-même qui tient à sa place et accuse Crucy d’erreurs monstrueuses quand il s’est occupé de sa partie, tant pour le théâtre que pour la halle au poisson. Pour Crucy, il s’agit surtout de pouvoir communiquer avec un autre artiste, d’avoir un interlocuteur, les talents d’un géomètre ne pouvant être mis en comparaison. On est à l’époque au plus fort du désaccord entre Graslin et Crucy, le conflit portant sur la dimension et la forme de la place et sur l’ordonnance de ses façades. Graslin que l’on voit souvent protester de son goût pour le grand et le beau, se montre ici plus intéressé par le géomètre qui mesure la terre, que par l’architecte qui prend la mesure des lieux pour en faire matière à projet. Théoricien dans ses réflexions sur l’économie politique, Graslin se place dans ses réalisations du côté de la simple pratique. L’affaire se résout par une nouvelle définition des fonctions de Demolon, désormais affecté aux quais et aux cales. Quant à Chancourtois, sa place et ses émoluments seront supprimées en 1790 par la nouvelle assemblée47, malgré ses protestations de n’avoir pas été vu à la mairie – ce qu’on lui reprochait – uniquement parce que son seul interlocuteur était Crucy.
35Plus architecte qu’urbaniste, Crucy ne semble vraiment s’impliquer qu’à partir du moment où le théâtre prend place dans le quartier, et d’abord par la formalisation de la place elle-même, outre le monument qui justifie le tout, les rues ayant pour objet de conduire à la place plus que de former l’armature de la ville. L’effet architectural est avant tout recherché, et ce par l’emploi de figures géométriques simples et précises. Ainsi des carrefours secondaires de la rue Crébillon ou de la rue Jean-Jacques Rousseau que les rues de traverse doivent croiser perpendiculairement, quitte à dévier l’aboutissement des voies préexistantes, carrefour de la rue du Merle-Blanc48 avec la rue Crébillon ou carrefour de la rue de l’Héronnière avec la rue Jean-Jacques Rousseau, où Crucy applique en 1785 un système à pans coupés.
36Il semble de plus qu’au début des années 1780, Crucy qui séjourne fréquemment à Rennes pour son projet de cathédrale, soit peu présent à Nantes. Si l’intendant Caze de la Bove appréciait l’architecte malgré une attitude parfois suffisante, il n’en est pas de même avec Bertrand de Molleville qui non seulement soutient Graslin dans leurs conflits, mais encore s’adresse à Brongniart49 quand en 1785-1786 il envisage d’implanter l’hôtel de l’intendance à Nantes, ce que Crucy prend pour un camouflet. À plusieurs reprises, Brongniart va être consulté par l’intendant ou par Graslin lui-même pour les façades des maisons de la place de la comédie (place Graslin). La définition de ces façades est l’occasion d’un conflit prolongé entre le promoteur et l’architecte de la ville. La première question posée concerne l’existence d’une discipline de façade, la seconde le dessin de cette ordonnance.
37Lors des premières négociations, la communauté de Ville entend soumettre l’ensemble des façades du quartier à une ordonnance architecturale, selon des élévations dressées par son architecte. L’habitude est en effet prise depuis les années 1760, avec le mandat de Ceineray, de considérer les façades des édifices privés sur l’espace public, plus comme les parois de cet espace public que comme élément de la maison particulière, comme le décor de cette pièce urbaine que forme la place, le quai, le cours ; si la matière de la façade appartient à son propriétaire, ou au propriétaire de la parcelle de terrain, la manière dont elle s’affiche sur l’espace public est au-delà de cette propriété. Construire en ville n’est pas neutre, l’appartenance à la communauté urbaine s’affirme dans cette soumission du particulier à un effet architectural général qui lui est demandée. Pour résumer brièvement l’historique des disciplines architecturales à Nantes, on pourra dire qu’aux débuts du xviiie siècle, quand l’emprise des ingénieurs est encore forte50, les projets alignent des maisons aux façades identiques juxtaposées, dans une quête de régularité. Puis, avec la pensée classique imposée à Nantes par Ceineray, il ne suffit plus à l’édifice d’être en lui-même harmonieux, il doit participer harmonieusement à l’expression de l’ordre du monde. Ainsi, la maison de chaque particulier doit s’effacer dans une plus vaste composition ordonnée, comme ces « sept maisons qui ne paraissent qu’un hôtel » du quai Brancas ou les ordonnances des cours Saint-Pierre et Saint-André.
38Dans les dernières décennies du siècle, quand Crucy est architecte voyer, les hiérarchies traditionnelles sont en plein bouleversement. Il ne s’agit plus dès lors de composer des façades autour d’avant-corps à fronton, mais de loger derrière des façades sans marques de préséance des citoyens que différencierait leur seul niveau de fortune dans la hiérarchie verticale de l’immeuble, un peu comme en 1775 s’étagent les balcons de la salle de spectacle « démocratique » de Ledoux à Besançon. Des travées identiques se juxtaposent autour des places ou au long des rues, faisant toujours disparaître l’identité de chaque maison. La hiérarchie architecturale est désormais écrite dans la lisibilité de l’édifice public, monumental, et de l’architecture privée qui l’accompagne sans rivalité. À Nantes, les façades des maisons de la place de la Chambre des comptes51, de la place Louis XVI52 ou de la place de la Comédie53 dessinées par Crucy rendent compte de cet impératif. La communauté peut imposer une discipline architecturale aux particuliers quand elle vend les terrains, comme c’est le cas dans les années 1760-1770 pour l’emprise des murs de ville démolis, et qu’elle fait de cette contrainte une clause de l’acte de vente. Elle le peut aussi lorsque le lotisseur, autorisé à faire par arrêt du Conseil d’État du roi comme c’est le cas pour Graslin, accepte la condition qu’il répercute vers ses acquéreurs. Il s’agit alors pour celui-ci d’une contrepartie négociée. La troisième possibilité rend moins d’effet, quand l’obligation de façade est simplement inscrite au procès verbal d’alignement délivré à un particulier. Tout dépendra du bon vouloir du particulier et de son architecte. Les archives de voirie de Nantes abondent en conflits engendrés par ces ordonnances ponctuelles que les tribunaux ne peuvent pas faire respecter. On constate que plus l’on s’avance dans le siècle, plus l’obligation de façade est considérée comme attentatoire à la liberté du propriétaire, bientôt du citoyen propriétaire.
39Insistant sur ses « vues patriotiques », Graslin a toujours en vue le succès financier de son opération ; il fait beaucoup de sacrifices, répète-t-il à loisir, mais ce ne saurait être aux dépens de la fortune des siens. Et pour assurer la rentabilité économique que tout père de famille entend tirer de ses investissements, il lui faut prendre des précautions. Faire beau et grand, oui, mais il ne faut pas risquer de rebuter ses acquéreurs par trop de contraintes. C’est ainsi qu’aux termes du traité du 23 septembre 1780 la discipline de façade ne concerne plus que la place publique, la communauté ne gardant qu’un vague contrôle sur les façades des rues, ne pouvant les rejeter « qu’autant qu’elles se trouveraient contraires aux règles de l’art et qu’elles offriraient un aspect désagréable ou ridicule au jugement des connaisseurs ». Il s’agit pour Graslin de garantir ses acquéreurs de l’éventualité d’un surcoût dû à la décoration extérieure des maisons, mais il semble n’avoir pas saisi le sens de l’évolution du goût architectural en ces temps de « retour à l’antique », vers une grande rigueur et une grande sobriété des édifices, un renforcement de l’effet par une économie de moyens qui caractérise l’architecture de Crucy. Seules les façades de la place restent obligatoires. Ceci pour l’emprise du lotissement. Au-delà, dans les percements municipaux en prolongation des rues de Graslin, les procès verbaux d’alignement délivrés à chaque propriétaire constructeur au cours des années 1780 portent fréquemment la mention du respect de l’élévation qui sera délivrée par l’architecte de la ville qui procède aux opérations d’alignement54.
40La question des élévations de la place pose d’autres problèmes. Le principe est admis d’emblée par Graslin. Les dispositions projetées par Crucy en font les façades de l’espace public, lui-même émanation du théâtre, avant d’être celles des maisons55. Cependant Crucy tarde à les donner, attendant pour les définir que soit irrévocablement arrêtée la configuration de la place, ce qui entraîne le mécontentement de Graslin. Puis quand Crucy donne des dessins, Graslin les conteste, récusant l’étage attique projeté ou les balustres aux baies du premier étage. Accompagnant l’édifice public, la corniche des maisons régnait avec celle du théâtre et était couronnée par un étage attique d’une hauteur identique à celle de l’attique du théâtre. Les quelques ordonnances dressées par Crucy à l’époque usaient de cet étage attique : place de la Chambre des comptes en 1781, où il répondait à la hauteur du fronton de Ceineray au dessus de la corniche56, rue de l’évêché en 178357. Graslin n’aura de cesse de batailler pour augmenter sa hauteur et lui donner des baies ouvrant sur un balcon qui file sur la corniche, plus dans le goût du public argue-t-il (fig. 52 et 56). Quant aux balustres de pierre, Crucy en avait usé à la façade des deux maisons connues sous le nom d’hôtel Montaudouin, sur la place d’Armes58 dessinée en 178259. Marque de la modernité de la fin du xviiie siècle empreinte de romanité, ces balustres restent rares à Nantes. On en trouve rue du Bouffay, rompant avec l’ordonnance de la place voisine dressée par Ceineray vingt ans auparavant. Les plus liées à notre affaire sont celles que Crucy place aux baies internes des circulations de la salle de spectacle ouvertes sur son vestibule. N’oublions pas que ce vestibule s’inscrit dans l’espace architectural comme prolongement de l’espace public, partie intégrante de la place, certes à l’intérieur de l’édifice mais directement ouverte au moyen des entrecolonnements, et que ces baies doivent régner avec celles des façades de la place elle-même. Si, sur les instances de Graslin finalement relayées par l’intendant, Crucy a dû renoncer aux balustres aux fenêtres des maisons, il les a conservées dans le vestibule (fig. 57).
41Un peu perdu dans ce débat, Bertrand de Molleville qui avait pris une première fois l’avis de Brongniart sur les façades – Brongniart, dont on sait la présence à Nantes en mai 1786, avait proposé de ne donner la même élévation qu’aux maisons se faisant face, de façon à créer de l’harmonie sans monotonie –, consulte à nouveau l’académicien sur l’opportunité des balustres : « [Graslin] m’assure que vous n’êtes point d’avis des balustres en pierre et que d’ailleurs si on ne l’affranchissait de cette obligation, il trouverait difficilement des acquéreurs et des locataires, […] je vous prie de bien vouloir me dire votre avis sur ces balustres qui sont aujourd’hui en usage ; si contre toute apparence il doivent nuire à la propriété, je n’insisterai pas60 » lui écrit-il à son retour à Paris, faisant part au promoteur de cette consultation : « Quant aux balustres en pierre, c’est le nouveau goût et ils sont aujourd’hui d’un usage presque général. Je viens cependant de demander l’avis de Monsieur Brongniart sur cet objet et je me déciderai d’après ses observations61. » Brongniart, qui fait alors figure d’architecte mondain consacrant la majeure partie de son activité à des hôtels particuliers, serait aux dires de Graslin plus favorable aux garde-corps de fer, plus gais et agréables sur des maisons qui ne demandent pas une architecture aussi sévère et sérieuse62. La réponse de Brongniart ne figure pas au dossier, mais Graslin pourra se réjouir d’être libéré de l’obligation des balustres pour le plus grand agrément de ses acquéreurs et de leurs locataires, une plus grande quantité de lumière pénètrera les appartements et les femmes auront la latitude de s’accouder aux fenêtres… L’amour-propre de Crucy qui se consacre, avec son théâtre, à une architecture plus valorisée et plus valorisante à laquelle il subordonne l’architecture privée, en restera blessé.
L’architecte de confiance de Graslin, Robert Seheult
42Si Brongniart est l’artiste au goût duquel Graslin fait confiance, son architecte de référence à Nantes, Robert Seheult (1728-1792), est d’un tout autre profil. Fils d’un autre Robert Seheult, architecte, il est père de nombreux enfants dont trois seront architectes, comme certains de leurs fils ou petits-fils. Sa sœur Perrine est la femme de l’ancien architecte voyer Nicolas Portail, évincé en 1757-1760 au profit de Ceineray.
43Seheult père et fils seront architectes-entrepreneurs de nombreuses maisons du quartier Graslin, dont celles bâties pour le compte de Graslin lui-même qui joint au rôle d’aménageur celui de promoteur immobilier. Robert Seheult est chargé par le financier, à ses frais63, de l’inspection de la construction du théâtre municipal dont l’entreprise est confiée à Antoine Peccot. Seheult et Peccot construisent également l’hôtel garni de la place Graslin, sans doute sur des plans de Gauthier fils, autre architecte-entrepreneur64. C’est encore à Robert Seheult que s’adresse Graslin quand il produit pour la place centrale du quartier un contreprojet qu’il a fait imprimer65. Rappelons le déroulé de l’affaire. La place du plan de 1779 était ovale. Quand Graslin a obtenu que la salle de spectacle y soit implantée, Crucy revoit sa configuration et en fait un rectangle présentant son long côté au portique du théâtre, répondant à l’avancée du portique et de son emmarchement dans l’espace public par un renfoncement de la face opposée (fig. 41). Du plan d’origine, subsistent les deux rues principales montant de la Fosse et de la place Royale qui se croisent au centre du rectangle et forment l’armature principale du quartier. Ce plan est approuvé par l’intendant et dès lors exécutoire, mais en 1784 Graslin qui souhaite annexer à son quartier le terrain du couvent des capucins voisin, estimant désormais mesquines les proportions données par Crucy à la place, fait établir par Seheult un plan concurrentiel qui l’ouvrirait sur une promenade établie sur les terrains du couvent (fig. 44). Ce n’est pas ici le lieu de parler de l’odyssée de ce projet de promenade qui trouvera un aboutissement sous la Révolution, l’actuel cours Cambronne. On évoquera seulement le nouvel enjeu pour Graslin, contenu dans le contreprojet, de regrouper autour de sa place différents lieux « d’échange », théâtre, bourse et hôtel des Fermes, projet dont il est l’auteur et que l’architecte Seheult consigne sur le papier. Crucy s’opposera à cette concentration d’équipements, pensant que chaque monument doit disposer de son espace public, bataillera pour l’échelle de sa place et optera pour un compromis qui adjoint à la place rectangulaire un hémicycle réduit (fig. 45). Dans tout ce débat, le nom de Seheult est ignoré, simple exécutant sur le papier des idées de Graslin. C’est comme constructeurs de maisons que les Seheult père et fils apparaissent publiquement.
44À l’opposé des architectes publics donnés comme parangon de la probité (Ceineray) ou comme artiste de haut niveau (Crucy), si ce n’est par Ballays qui tient un discours à l’opposé des autres autorités, les Seheult du xviiie siècle font plutôt figure d’entrepreneurs dont l’honnêteté ou les capacités peuvent parfois être suspectées. Ainsi, quand dans les années 1778-1779 le dessinateur Antoine Hénon cherche à supplanter Ceineray dans la construction du palais de la Chambre des comptes de Bretagne en semant le doute sur la stabilité d’un ouvrage, la platebande sur laquelle s’appuie le palier de l’escalier, une expertise fallacieuse conduite par l’ingénieur en chef des ponts et chaussées au département de Nantes, Julien Groleau, et par les architectes-entrepreneurs Perraudeau et Seheult sème le trouble avant que l’affaire soit réglée par une nouvelle expertise de Crucy à son retour de Rome. Les États de Bretagne qui partagent la maîtrise d’ouvrage avec le roi, excitent la polémique, soucieux de retirer l’exécution du palais à l’architecte désigné par l’intendant pour la confier à leur ingénieur des Ponts et Chaussées, quelque médiocre qu’il fût. Alors que le nouveau subdélégué Ballays soutient les attaques, les interventions de François Cacault fils, alors secrétaire du commandant en chef de la province, et de Gellée de Prémion auquel on devait le choix de l’architecte et l’option pour une construction par voie d’économie, jouent en faveur de Ceineray mis justement hors de cause66. L’affaire révèle un ressentiment d’architectes-entrepreneurs face à l’architecte public, ressentiment bien attesté en ce qui concerne Seheult.
45Cette animosité de Seheult envers Ceineray peut prendre source dans la récente affaire des Salorges, les magasins à sel de la Ferme générale édifiés sous l’autorité à Nantes du receveur général Graslin : un certain Dupoux, « l’architecte dont se sert ordinairement » la Ferme générale, avait dressé à Paris un projet. Seheult avait été chargé de reprendre le devis et de le rendre conforme aux usages de la localité, architecte choisi en 1775 par le subdélégué Ballays qui voyait en lui « le meilleur architecte de Nantes, et qui, à tous les égards, mérite le plus de confiance, [qui l’a] dans d’autre circonstances aidé de ses lumières67 ». La pérennité du bâtiment passait par une grande attention portée à la construction. Le contrôleur des finances Turgot ayant préféré l’adjudication à l’économie, il s’avérait nécessaire que soit nommé un inspecteur pour garantir la qualité des matériaux et de leur mise en œuvre. Ballays avait à nouveau nommé Seheult pour cette mission, ne pouvant « mieux choisir à Nantes pour la capacité et la probité68 ». Ainsi se trouve constitué le trio que l’on retrouvera quelques années plus tard pour la construction du théâtre ou de l’hôtel garni, Graslin, Seheult et l’adjudicataire des travaux Peccot. En cours de chantier, Groleau reprend la charpente afin d’assurer un meilleur écoulement des eaux pluviales dans les chenaux. C’est au dépit de Ceineray d’avoir été évincé que Ballays attribuera le conflit qui naît avec la communauté : sur avis du voyer, celle-ci conteste l’implantation en contravention avec l’alignement délivré, juge avec lui les Salorges nuisibles à la commodité publique, placées ni à l’alignement du nouveau quai ni au fond d’une place correctement dessinée, et fait arrêter le chantier69. La communauté n’aura pas gain de cause dans ce conflit, le ministre donnant raison à la Ferme.
46Quelques années plus tard, un autre conflit va opposer Seheult et l’architecte voyer, quand Crucy a commencé à le seconder, conflit révélateur de positions opposées sur la licité des ordonnances architecturales face aux droits des propriétaires. Une veuve de négociant construisait en 1779 une maison sur un quai de Nantes, s’affranchissant de l’ordonnance de façade dressée par Ceineray et donnée à son voisin et vendeur, les deux maisons devant faire un même ensemble composé. Échevins et procureur syndic unis derrière le maire Prémion, la communauté poursuit la propriétaire et son architecte Robert Seheult, dépeint ici sous un jour peu flatteur : « C’est un honnête homme, mais sans intelligence comme il paraît par trente maisons qu’il a bâties et il veut faire le docteur avec le sieur Ceineray qui a donné tant de preuve du meilleur goût et de son attention à la solidité. Malheureusement, selon toute apparence, il n’a pas voulu être soumis à l’examen du sieur Ceineray contre lequel il avait donné un avis ridicule au sujet de la tablette de la Chambre des comptes qui a tant occasionné d’écritures70. »
47Ballays de son côté soutient Seheult et sa commanditaire, remarquant que ni le règlement en vigueur pour l’édification des maisons de la ville et faubourgs de Nantes71, ni les arrêts homologuant les plans généraux d’embellissement ne parlaient de discipline de façade : « Vous voyez, Monsieur, qu’il ne s’agit point de plan d’élévation et qu’il ne pourrait pas même en être question sans blesser les droits les plus sacrés de la propriété, en effet le propriétaire qui bâtit distribue sa maison de la manière qui lui semble la plus convenable à ses intérêts et à ses facultés, il serait absurde de prétendre l’assujettir à suivre les rêveries d’un voyer qui n’ayant point de plan en grand, donne ceux que le caprice lui fait rédiger chaque jour72. » Le subdélégué s’inscrit dans une propension des autorités à la fin de l’Ancien Régime à rejeter les disciplines architecturales que les architectes publics persistent à défendre.
48Apprécié du subdélégué qui suspecte les architectes d’une administration en laquelle il n’a aucune confiance, quelle que soit la personnalité du maire en exercice, architecte de confiance de Graslin, Seheult poursuit avec ses fils sa carrière de constructeur. L’écroulement de plusieurs maisons qu’ils bâtissent dans le quartier Graslin (maison Lavigne en 1787, maison Cosnier en 1788), occasionnant des dégâts dans les constructions voisines, aurait pu ruiner le crédit des architectes, mais l’expertise de la première ne relève pas de faute tandis que celle de la seconde associe des causes extérieures à une médiocre qualité des matériaux employés, condamnant solidairement architectes et propriétaire aux réparations. Les Seheult avaient marqué leur refus de considérer une expertise diligentée par les pouvoirs publics, prenant l’affaire comme exclusivement privée.
49On retrouve cette même attitude au xixe siècle quand Saint-Félix Seheult s’oppose à l’instauration d’un contrôle sur la sécurité des larges baies de boutiques – quand on prend l’habitude de les couvrir par des poutres en bois de grande portée, portant tout le poids de la façade – ne se souvenant pas, dit-il, que son père ou son oncle aient pu être soumis à contrôle, nonobstant le règlement de police de 1743 toujours en vigueur73. Dans tous les cas, au xviiie comme au xixe siècle, les Seheult revendiquent la liberté des constructeurs devant une administration jugée outrepasser ses droits. Cette question de la réglementation urbaine renvoie à celle des ordonnances architecturales.
50Qu’en sera-t-il dans le quartier Graslin ? On a vu que Graslin qui avait accepté dans un premier temps que le quartier fût soumis à une discipline de façade, avait ensuite souhaité que l’ordonnance soit limitée à la place. Mais quand il s’est agi de la bâtir, les architectes constructeurs se sont éloignés du modèle, traitant l’avant-corps de l’hôtel garni à cinq travées au lieu de trois (fig. 46 et 49), ou ne respectant pas le profil des corniches dressé par le voyer. Crucy faisait des élévations des maisons de la place l’accompagnement du monument public, jouant notamment sur une continuité de balustrade sur tout le pourtour ; Graslin fait prévaloir son idée du confort des habitants, comme son souhait de rehausser d’un étage plein les élévations données pour une meilleure rentabilité. La communauté qui désirait en rester à l’ordonnance de façade approuvée en 1783 par l’intendant Caze de la Bove, s’en remet en 1787 à la décision de Bertrand de Molleville de la modifier contre l’avis de Crucy. Si la place apparaît comme un compromis, tant pour sa forme que pour ses élévations, la présence des Seheult sur de nombreux chantiers contribue cependant à conférer au quartier une unité architecturale. Certains alignements délivrés peuvent être cependant assortis du respect de l’élévation qui sera donnée par l’architecte voyer, là où la communauté en a le pouvoir. Comme à l’époque de Ceineray, l’ordonnance architecturale est la doctrine officielle, mais elle ne peut être juridiquement imposée que lorsque le vendeur du terrain, public ou privé, en fait une clause de son acte de vente. La mesure est plus souvent prescrite par le public soucieux d’harmonie urbaine que par le privé soucieux de rentabilité. Attentif à préserver le patrimoine de sa famille comme il le rappelle sans cesse, Graslin proteste cependant un amour du grand et du beau qui passe par l’acceptation d’une ordonnance architecturale pour la place du théâtre qui, comme la place Mellinet en 1827, reste à Nantes une exception pour une opération privée.
51Depuis le début du xviiie siècle, les architectes voyers sont appelés à mettre en place le contexte de développement de l’investissement privé ; la différence ici est l’ampleur du projet et surtout l’engagement dans le projet privé des pouvoirs publics qui y apportent compétences techniques (Crucy, Demolon), équipement (la salle de spectacle) et financement. Si les magistrats du début du siècle s’efforçaient de faire participer les investisseurs privés au « bien commun », à la fin du siècle on voit plutôt le promoteur faire participer la communauté de Ville à son projet, afin qu’elle lui donne toute sa valeur, tentant ensuite de lui contester toute autorité sur les terrains qu’il lui aura fait viabiliser. Dans la lignée de Graslin, on verra les lotisseurs du xixe siècle – Saint-Félix Seheult en première ligne – faire modifier le plan d’alignement à l’étude ou déjà adopté, au profit d’une division plus rentable de leur terrain.
52Graslin soutenait que les terrains qu’il avait acquis dans ce but, était la vraie place où devait être la ville commerçante. L’argument est devenu une figure obligée du discours des historiens et commentateurs. C’est cependant sur ce qui reste des îles de Loire aujourd’hui regroupées sous le vocable « île de Nantes » que se portent les efforts de la collectivité et des investisseurs qui ont remplacé les spéculateurs du xviiie siècle. Les prairies prennent leur revanche sur le rocher.
Notes de bas de page
1 Archives municipales de Nantes (AMN) II 157* n° 1, « Plan de la ville de Nantes et de ses faux-bourgs levé en 1757 et les augmentations faittes jusqu’en 1789 sont lavées en rouge ».
2 Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.
3 Notons que si Graslin emploie l’expression « roc montueux », il semble que le « roc monstrueux » répété à loisir par l’historiographie provienne d’une erreur de lecture de l’un des premiers commentateurs.
4 AMN DD 173, II 159* n° 21.
5 AMN BB 106, délibération du bureau du 7 octobre 1780 attribuant 2 400 livres à l’ingénieur pour l’indemniser de ses frais.
6 AMN II 158* n° 15, « Plan de la ville, fauxbourgs et banlieues de Nantes et des changemens nessaires (sic) pour la commodité publique », signé Ceineray le 20 février 1761. Plan approuvé par le Conseil d’État du roi le 19 mars 1766.
7 Ogée J., « Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne », Nantes, Vatar fils aîné, 4 volumes, 1776-1780. Le rédacteur de l’ouvrage est Pierre Grelier, garde des archives de la ville et communauté de Nantes de 1777 à 1784. Voir Bienvenu G., « Jean-Baptiste Ogée, ingénieur, géographe et historiographe de Bretagne au xviiie siècle », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. LXXXII, 2004.
8 Ibid.
9 AMN BB 104, délibération de la communauté du 20 juillet 1776.
10 Archives nationales, MAP G 210 n° 1.
11 AN, Grépinet de Saint-Maurice N., Mémoire du 1er ventôse an X (20 février 1802).
12 Sur le lotissement de la prairie au Duc, voir Lelièvre F., « De l’industrie sur le prairie », L’Archéologie industrielle en France, CILAC, n° 41, décembre 2002, p. 6-13, et « Entre deux rives, entre deux eaux, l’invention d’un territoire : l’île de Nantes », Æstuaria n° 3, 2002, p. 255-276.
13 Voir Bienvenu G. et Lelièvre F., Nantes, l’île Feydeau, « Image du patrimoine » n° 115, Nantes, Inventaire général/ADIG, 1992.
14 AMN BB 105. Graslin avait tenu à faire enregistrer en 1778 dans les registres de la communauté l’arrêt du Conseil du 17 janvier 1777 qui constatait sa noblesse.
15 La tenue de Bouvet relève du fief de l’évêque de Nantes.
16 AMN II 164* n° 20, « Plan des rues à ouvrir dans les terrains derrière la Fosse à Nantes. Pour approbation et pour copie conforme à l’original déposé aux archives, à Nantes le 27 avril 1782. »
17 AMN II 164* n° 19, plan signé par Ceineray le 6 août 1779.
18 AMN BB 106, DD 228. La délibération du 23 septembre 1780, « approbative du projet de Monsieur Graslin concernant l’embellissement et l’accroissement de la ville », annule et remplace celles des 13 novembre 1779 et 26 février 1780.
19 AMN BB 106. Ce travail extraordinaire lui vaut une gratification de 600 livres.
20 François-Jean Ogée entre alors à l’école des Ponts et Chaussées et sera en 1802 conservateur des Bâtiments civils du département de Loire-Inférieure, puis le successeur de Crucy comme architecte du département. Ces émoluments sont estimés en 1783 par le maire Berroüette à 130 livres par an.
21 Archives départementales de Loire-Atlantique (ADLA) C 354, lettre à l’intendant du 18 juin 1754. Les subdélégués Prémion et Ballays percevront en contrepartie une indemnité annuelle forfaitaire de 1 200 livres, voir AMN CC 491.
22 Ibid., lettre du 5 janvier 1755.
23 ADLA C 376.
24 Après le court passage de Lefèvre de Caumartin de Saint-Ange.
25 Le chantier était ouvert depuis le 27 avril 1784.
26 ADLA C 322, 21 janvier 1785.
27 Ibid., lettre de Graslin à l’intendant du 17 mars 1785.
28 ADLA C 322. Dans une lettre du 5 avril 1785, Graslin marquait à l’intendant qu’il emploierait certainement Peccot « qui a commencé l’ouvrage et qui à fait le devis, [qu’il croit] très honnête homme, [qui] est toujours à la besogne ».
29 AMN 1D4, délibération du conseil général de la commune de Nantes du 2 avril 1790.
30 Ibid., délibération du conseil général de la commune de Nantes du 12 mars 1790.
31 ADLA C 106. Ici, ce n’est pas l’exécution par voie d’économie qui est en jeu, mais l’abandon aux termes d’un édit royal de 1776 du régime de la corvée qui enrôlait les habitants des paroisses traversées sous la conduite des ingénieurs.
32 AMN BB 106.
33 Ibid. Succédant à un entretien occasionnel, un marché à forfait est passé en août 1774 avec un charron taillandier pour l’entretien et la réfection permanente des quatre tombereaux de la ville.
34 AMN BB 107, délibération du 7 septembre 1781.
35 Ibid. délibération du 9 juin 1781.
36 ADLA C 376, lettre de Mahot, sous-maire, à l’intendant du 8 mai 1780. AMN BB 107, délibération du 30 novembre 1782, approuvée le 4 décembre.
37 ADLA C 287, lettre de Graslin à l’intendant du 3 juillet 1787.
38 ADLA C 336, note de Crucy du 10 septembre 1785, « Je lui donnai une forme ovale ».
39 AMN BB 106, délibération du 22 juillet 1780.
40 AMN BB 107, délibération du 24 août 1782, représentation du procureur du roi syndic Guérin de Beaumont.
41 Ibid. : « …et de se trouver le plus régulièrement que faire se pourra à toutes les assemblées de la Communauté de Ville pour y recevoir les ordres et les mémoires d’ouvriers dont l’examen et le règlement seront par lui faits avec la plus grande attention ».
42 AN H1511.
43 Les appointements de Crucy passeront effectivement à 2 400 livres en 1789, sans attendre le décès de Ceineray, puis à 3 000 livres en 1790, pour être réduits à 2 400 francs quelques années après, pied sur lequel sont fixés ceux de son successeur Mathurin Peccot en 1800, appointements qui devant les circonstances seront rapidement réduits à leur tour à 1 800 francs.
44 ADLA C 287.
45 Nous avons rétabli pour l’Allgemeines Künstler-Lexikon, K. G. Saur Verlag, Munich-Leipzig, la date réelle de la naissance de René-Louis-Maurice Béguyer de Chancourtois : 1751 (et non 1757), soit deux ans après Crucy ; voir AMN GG 259 et 448.
46 AMN BB 142. « Je crois avec vous que le sieur Demolon a acquis quelques connaissances pratiques et qu’il est en état de lever un plan ; mais je sais aussi qu’il n’est entré au service de la Ville que comme piqueur, et qu’il est fort éloigné des talents et des connaissances du Sr de Chancourtois qui a fait des études par principes et qui a eu des succès distingués » écrit l’intendant au bureau de ville le 18 juin 1787.
47 AMN BB 184.
48 Rue Boileau actuelle.
49 Membre comme Crucy de la génération du « retour à l’antique » Alexandre-Théodore Brongniart (1739-1813) est particulièrement connu pour la Bourse de Paris.
50 Voir Bienvenu G., « Le système des architectes et des ingénieurs à Nantes dans la première moitié du xviiie siècle », in Rousteau-Chambon H., (dir.), Jacques V Gabriel et les architectes de la façade atlantique, Paris, Picard, 2004, p. 75-90.
51 Place Roger-Salengro actuelle.
52 Place Royale actuelle.
53 Place Graslin actuelle.
54 AMN DD 253-2, DD 271.
55 Pour une interprétation du dispositif urbanistique et architectural, voir Rabreau D., « Le théâtre et la place Graslin de Mathurin Crucy (1784-1787) à Nantes », Congrès archéologique de France, 1968.
56 AMN II 159* n° 1, « Élévation des maisons à construire sur la place de la Chambre des comptes et du pavillon commençant la rue Royale », Nantes, 1781.
57 AMN II 159* n° 2, « Décoration de la façade que la Ville se propose de construire sur la rue de l’Évêché », Nantes, 1783.
58 Place du Maréchal-Foch actuelle.
59 AMN II 159* n° 8, Élévation de la façade de la maison Martel, place d’Armes, Nantes, 1782.
60 ADLA C 323, minute d’une lettre de Bertrand de Molleville à Brongniart, du 31 mai 1786.
61 Ibid.
62 ADLA C 323, lettre de Graslin à l’intendant, du 28 mai 1786.
63 Graslin fait état d’une rémunération de 2 000 livres.
64 ADLA 121 J 7.
65 Le plan, gravé par Varin, est annexé aux « Observations de M. Graslin sur les additions très importantes à faire au quartier neuf de Nantes » publiées en 1786.
66 Voir Bienvenu G., « Expertise et pratique de chantier à Nantes au xviiie siècle. L’affaire de la platebande du grand escalier du palais de la chambre des comptes de Bretagne », mémoire pour le DEA d’histoire de l’architecture moderne et contemporaine, 1996, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.
67 ADLA C 52, lettre du subdélégué à l’intendant, du 12 mars 1775.
68 Ibid., lettre du subdélégué à l’intendant, du 14 septembre 1775.
69 AMN BB 104, délibération du bureau du 18 mai 1776.
70 ADLA C 344, lettre du maire Prémion, des officiers municipaux et du procureur du roi syndic à l’intendant, du 31 juillet 1779.
71 Le règlement du 6 juin 1743 obligeait propriétaires et constructeurs à présenter leurs plan et élévation à la mairie pour obtenir l’alignement valant autorisation de bâtir.
72 ADLA C 344, lettre de Ballays à Jaussion, secrétaire de l’intendance, du 3 août 1779.
73 L’obligation de présenter les élévations des maisons pour obtenir l’alignement sera reprise dans les règlements ultérieurs jusqu’à l’instauration du permis de construire au début du xxe siècle.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008