Graslin
| ,Deuxième partie. Les marais de l’estuaire de la Loire
Un fermier en bords de Loire. Graslin et l’afféagement des marais de l’estuaire
Texte intégral
- 1 Cf. Plans (Fig. 8 et 9).
1À partir des années 1770, Jean-Joseph-Louis Graslin décide d’investir une partie de son capital dans la terre. Il ne s’agit toutefois pas d’acheter des biens-fonds, encore moins de prendre une terre à bail pour l’exploiter, mais de réaliser, avec l’aide de plusieurs associés, le dessèchement de marais jusqu’alors jugés incultes à Lavau-sur-Loire, dans l’estuaire du fleuve. Le déroulement des événements peut être brièvement rappelé. Le 27 janvier 1772, le Président de Runnefau signe avec Graslin et ses partenaires l’acte d’afféagement de marais situé sur ses fiefs de la Haie et de Ses maisons, à Lavau1. Un autre traité est conclu le 15 mai 1772 entre les afféagistes et les représentants des habitants. Ce dernier stipule que la majeure partie des communaux vont être asséchés, une partie allant à Graslin et ses associés, une autre revenant aux habitants, qui décident d’y instaurer la propriété privée. Les travaux se déroulent entre 1772 et 1773. Les problèmes commencent lorsqu’ils sont achevés : une partie des vassaux se sent finalement lésée par la disparition des communaux et le partage des terres qui a été décidé, la majeure partie et les meilleures d’entres elles revenants aux afféagistes. L’affaire s’envenime : les mémoires d’avocats pleuvent, les réunions publiques et les procédures judiciaires se succèdent pendant plus de dix ans, l’accord entre les parties n’intervenant qu’en 1785.
- 2 Cf. Bourde A., Agronomie et Agronomes en France au xviiie siècle, 3 tomes, Paris, SEVPEN, 1967, t. (...)
2Ce déchaînement de passions, cette hostilité des habitants et leur pugnacité n’a, en soi, rien d’exceptionnel. Au contraire, ce phénomène est plutôt la règle dans ce type d’opérations2 et s’explique par deux éléments imbriqués et en principe toujours à l’œuvre. Le premier à trait à la modification des pratiques agricoles induite par les dessèchements. Les habitants ne sont pas à l’initiative de la transformation de leur lieu de vie et ils vont être contraints à un renouvellement partiel de son mode d’exploitation. Schématiquement, on passe d’une pratique de prélèvement de ressources naturelles à celle d’une agriculture extensive, voire intensive, qui nécessite des intrants – et donc des coûts – nécessairement plus nombreux. Le second élément, qui découle du premier, renvoie à la privatisation des communaux qui accompagne toujours les dessèchements. Cette appropriation de terres jusque là exploitées en commun prive les habitants – et notamment les plus pauvres – de ressources à caractère gratuit ou quasi gratuit. Ces populations qui vivaient jusqu’alors dans les interstices de la société se voient contraintes, par une forme « d’enclosures » d’un type particulier, à l’exil, au salariat agricole ou à l’extrême pauvreté.
3La « ferme », ici, s’exporte, ou du moins c’est sa logique qui investit les bords de Loire : cette zone que les discours du temps disent « frontière », « hostile », réfractaire aux « Lumières », va entrer de plain-pied dans l’exploitation foncière capitaliste. Cette modification radicale de l’espace constitue un bouleversement sans précédent pour les territoires, les populations et les pratiques locales. Dans cet article, nous souhaitons insister sur deux aspects des choses. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la façon dont l’élite éclairée se représente les zones humides et leur transformation. Nous interrogerons les motivations et les enjeux qui sont à l’origine de leur dessèchement par des personnages comme Graslin qui n’y habitent pas. Dans un second temps, nous tenterons de donner quelques éléments de lecture du paysage – celui d’hier et d’aujourd’hui – que ce discours a contribué à façonner.
Les marais : une « frontière » au siècle des Lumières
- 3 Cf. Billaud, J.-P., op. cit., p. 116.
- 4 « L’édit d’Henri IV de 1599 inaugure en effet une longue suite de mesures incitatives aux dessèche (...)
- 5 Relativement à la nationalité des capitalistes et des ingénieurs de la compagnie Bradley, qui enta (...)
- 6 Suire Y., « Succès et échecs des dessèchements du Marais poitevin aux xviie et xviiie siècles », i (...)
4L’histoire de l’assèchement des marais est pluriséculaire. Au Moyen Âge, surtout à partir du xiie siècle, les abbayes et les paroisses cherchent à étendre les terres cultivables et les pâturages en utilisant la technique dite des « portes marines ». Il s’agit d’un système de petits canaux et d’écluses permettant l’évacuation de l’eau à marée basse et un arrêt – partiel – de son entrée à marée haute. Ce système assez fruste, qui demande un entretien constant, est cependant efficace à petite échelle et est plutôt bien accepté par les populations locales qui en sont les acteurs3. Au tout début du xviie siècle4 cependant, des techniques plus sophistiquées – dites « hollandaises5 » – s’introduisent en France. Cette fois ce sont de véritables entreprises capitalistiques qui mobilisent plusieurs centaines d’ouvriers pendant de long mois. Il s’agit alors d’élever des digues, de larges canaux et des fossés secondaires de drainage sous la direction d’ingénieurs et de maîtres d’œuvres. Ces opérations de dessèchements rencontrent nombres de difficultés et connaissent même – dans le marais poitevin notamment – des échecs avérés6. Les obstacles sont de deux ordres : les compagnies doivent faire face à d’importants problèmes techniques lors des premières phases de travaux et à des réparations constantes par la suite, mais sont surtout en buttes à la méfiance, voire à l’hostilité des populations autochtones. Ces dernières se sentent en effet dépossédées à la fois d’un savoir faire sur leur environnement et de pratiques communautaires liées à la forme antérieure de la propriété.
- 7 Les exemples en sont nombreux. Le Comte d’Essuiles, en 1770, parle de « ces cloaques immenses, don (...)
- 8 Malgré les exagérations, « malaria et fièvres sont quand même une réalité », in Bourde A., op. cit (...)
- 9 Weulersse G., Le mouvement physiocratique en France de 1756 à 1770, Paris, Félix Alcan, 2 vol., 19 (...)
- 10 Quesnay est d’ailleurs fortement influencé par la littérature agronomique qui l’a précédé, cf. Cha (...)
- 11 Dupont (de Nemours) P. S., De l’origine et des progrès d’une science nouvelle, Paris, Librairie Pa (...)
- 12 Cette fois, l’engouement est si fort dans l’élite éclairée de la nation que Grimm n’hésite pas à p (...)
- 13 Les physiocrates considèrent que la moitié des terres du royaume est en friche. Pour une discussio (...)
- 14 Cf. Bourde A., op. cit, t. 1, p. 532.
- 15 Essuiles, J.-F., op. cit., p. 58.
- 16 Goyon de la Plombanie H., La France agricole et marchande, Avignon, 2 vol., 1762, vol. 1, p. 199.
- 17 Cf. La Maillardière Ch.-F., op. cit., p. 214.
- 18 Goyon de la Plombanie H., op. cit., vol. 1, p. 199. L’auteur ne doute pas de la rentabilité des en (...)
- 19 Graslin J.-J.-L., Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt, Paris, Librairie P. Geuthner, 1 (...)
- 20 Le Vassor M., Méthode générale et particulière, puisée dans la véritable source, pour le dessèchem (...)
- 21 Boncerf P.-F., op. cit., t. 1, p. 50.
- 22 Bourde A., op. cit., p. 536.
- 23 La Maillardière Ch.-F., op. cit., p. 212.
- 24 Le Comte d’Essuiles note ainsi : « Quant à la concurrence libre dans une jouissance indivise, elle (...)
5Face à ces difficultés, les dessèchements de marais connaissent un important reflux sur la période 1650-1750, mais reviennent à la mode dans la seconde moitié du xviiie siècle, et ce pour au moins deux raisons. En premier lieu – et l’argument est nouveau par rapport aux siècles précédents – on pointe très souvent, dans les Dombes, en Camargue, en Bresse, le caractère « putride », « fétide » et « insalubre » des marais7. Les assèchements sont envisagés comme des œuvres de santé publique8. En second lieu, ce renouveau des pratiques d’assèchement est partie intégrante de l’intérêt croissant portée par les élites aux questions agricoles à partir de 1750. Il faut s’arrêter un peu plus longuement sur ce second point. Dès 1748 comme le souligne G. Weulersse – c’est-à-dire dix ans avant le véritable essor de l’école physiocrate – c’est un grand engouement pour l’économie « domestique » et rurale qui commence9. Des agronomes, comme Duhamel du Monceau, ou des périodiques, comme le Journal œconomique, attirent l’attention du public sur la nécessité d’encourager les pratiques agricoles innovantes. Ils insistent particulièrement sur les nouvelles formes d’organisation des domaines fonciers et sur la nécessité de pratiquer des défrichements. Graslin, qui possède et lit ces ouvrages, n’y est certainement pas insensible. Quelques années plus tard, Quesnay et ses disciples10 vont eux aussi mettre l’accent sur l’agriculture, mais en se plaçant cette fois sous la bannière d’une « science nouvelle » – selon la célèbre formule de Dupont11 – celle de l’économie politique12. À la suite des articles « Fermiers » (1756) et « Grains » (1757) de Quesnay dans l’Encyclopédie, les physiocrates pointent la nécessité d’une extension des surfaces agricoles et militent en faveur des défrichements13. Or les dessèchements de zones humides appartiennent à cette problématique plus large14. À partir des années 1760, beaucoup d’écrivains économiques s’emparent de la question : les marais « vains et vagues », inutiles et mêmes dangereux pourraient cependant devenir « des prés fertiles, des jardinages précieux15 » s’ils étaient asséchés. Ces espaces « regorgent du plus pur limon de rivière16 » et sont donc propres à la culture du chanvre, du lin mais aussi des légumes, des fourrages et même de l’avoine17. En 1762, Goyon de la Plombanie parle des marais asséchés comme d’« une nouvelle mine d’abondance18 » et son ouvrage – que Graslin possède – est d’ailleurs cité par le Nantais lorsqu’il évoque les zones humides dans son Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt (176719). Un peu plus tard dans le siècle, c’est le champ lexical de la colonisation qui est utilisé par Le Vassor et Boncerf. Parlant des marais, le premier déclare : « C’est une conquête à faire sur le néant ; c’est faire le bien particulier et le bien général que de rendre les nouvelles réquisitions productives dans le genre approprié qui leur convient ; […] c’est ouvrir des ressources à l’indigence ; c’est enfin préparer un fonds inépuisable de richesses20. » Boncerf considère quant à lui que les marais sont « l’équivalent d’une province dont il importe de faire la conquête21 ». Mais ce n’est pas seulement l’eau qu’il faut combattre ; dessécher c’est aussi triompher d’usages jugés archaïques, improductifs. Les marais sont en effet très souvent communaux et à « ceux-ci viennent s’ajouter d’autres groupes de marais, propriétés particulières sans doute, mais si difficile à exploiter par leur propriétaire, ou abandonnés depuis si longtemps qu’ils sont aussi utilisés par les communautés selon un mode identique à l’exploitation des marais communaux22 ». Tous les auteurs qui défendent les assèchements combattent cette forme de propriété qu’ils jugent largement inférieure à l’exploitation moderne en « possessions particulières23 ». Le personnel des ministères, les sociétés d’agriculture, l’important Traité politique et économique des communes (1770) du Comte d’Essuiles et tous les partisans de l’école physiocrate partagent ce point de vue : seule la propriété privée incite à une production importante et régulière de richesses tandis que la propriété commune n’est qu’une spoliation réciproque24.
- 25 De 1763 à 1780, l’agriculture est détachée du Contrôle général des finances et est inclus dans le (...)
- 26 Après quoi la dîme ne serait due qu’à la cinquantième gerbe seulement, cf. Bourde A., op. cit., t. (...)
- 27 Ibid., t. 3, p. 1447.
- 28 Cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 173.
- 29 L’esprit de ces textes est conforme à celui des agronomes et des économistes du temps : les terres (...)
6Cette ardente campagne en faveur des desséchements et du partage des communaux trouve très tôt un écho auprès des autorités. La condamnation médicale et économique des marais liée aux progrès de la technique hydraulique conduisent en 1764 l’ex-Contrôleur général Bertin, désormais en charge de l’agriculture et des manufactures25, à revoir la législation sur les desséchements. C’est ainsi que le 14 juin 1764 une déclaration du roi rédigée par le ministre accorde la liberté de desséchement des marais du royaume à tous les propriétaires indistinctement et offre une exemption totale d’impôts – laïques comme ecclésiastiques – pendant vingt ans aux terres devenues exploitables26. La déclaration du 6 juin 1768, qui complète la précédente, s’applique à la Bretagne et va donner une impulsion décisive aux desséchements dans cette province « réputée étrangère ». A. Bourde considère qu’elle est également le moteur des décisions relatives au partage des communaux27. Dans certaines régions, des partitions s’effectuent spontanément, mais le gouvernement délivre plusieurs autorisations locales d’enclore et d’interdiction de la vaine pâture, notamment pour la généralité de Rouen en 1767, pour la Franche-Comté, les duchés de Lorraine et de Bar ainsi que les Trois-Evêchés en 1768 et 176928. Plus généralement, les années 1766-1780 connaissent une intense activité législative autour des communaux : les élites et les ministères s’emploient à offrir de multiples exemptions aux futurs propriétaires de terres partagées et exploitées29. La propagande gouvernementale sur cette question s’exerce par l’intermédiaire d’une autre œuvre de Bertin : les Sociétés royales d’Agriculture.
- 30 Ses statuts lui défendent d’ailleurs de le faire. Ainsi l’article 1er de l’arrêt qui instituait la (...)
- 31 Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1111.
- 32 Cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 165-6.
- 33 Ibid., vol. 2, p. 163.
7Présentes dans la plupart des généralités du Royaume ces nouvelles sociétés savantes, qui rassemblent les hommes éclairés en matières d’agriculture et d’agronomie, vont progressivement mailler le territoire français et jouer un rôle crucial dans le relais de la politique du ministre. Bertin correspond avec beaucoup d’entre elles et notamment avec celles de Tours, dont Graslin est membre fondateur, et avec celle de Bretagne, qui comprend beaucoup d’amis du nantais. Graslin a ainsi pu se familiariser avec la législation, les pratiques et les méthodes de dessèchements au travers de ses lectures – le Journal d’agriculture, Goyon de la Plombanie – et la fréquentation de ces Sociétés. Celle de Tours, en particulier, n’a pas faite sienne les doctrines des physiocrates et – ce qui n’est un paradoxe qu’en apparence – elle est une de celle qui s’occupe le moins de « spéculations économiques » et le plus de véritable « économie rurale30 ». Si la création de ces Sociétés était en effet du vœu de Quesnay et de ses disciples, les lettres circulaires adressées aux Intendants entre 1760 et 1761 par Bertin sont très claires : le ministre les enjoints d’écarter le plus possible des futures sociétés les « spéculatifs » et les « théoriciens ». L’idée initiale est ainsi de créer des « écoles » d’agronomie et comme le précise Bourde c’est un véritable programme de « maison rustique » qui y est proposé31. Il n’est pas question de s’attaquer à l’économie politique et les sociétés qui s’y risquent sont immédiatement sanctionnées32. La déception des physiocrates, comme le souligne Weulersse, tourne vite à l’hostilité. Ils considèrent les sociétés d’agriculture – qui secondent en fait très peu leurs vues – comme des rassemblements de citadins occupés à proposer des expédients33.
- 34 Trivière F.-X., op. cit.
- 35 Luminais R.-M., « Recherches sur la vie, les doctrines économiques et les travaux de Jean-Joseph-L (...)
- 36 Graslin J.-J.-L., op. cit., p. 32.
- 37 Mais les physiocrates ne disent pas autre chose et sur cette question sa critique ne porte pas. Su (...)
- 38 Cf. Orain A., « Condillac face à la Physiocratie : Terre, Valeur et Répartition », Revue Economiqu (...)
8Ceci étant, on est souvent étonné de voir Graslin, auteur qui rejette farouchement les doctrines des physiocrates, s’intéresser de près à des questions agricoles. On peut relever à ce propos trois éléments. Le premier, invoqué par François-Xavier Trivière, c’est le caractère quasi-philanthropique – ou du moins présenté comme tel – de l’entreprise d’assèchement de marais effectué par Graslin. L’élite nantaise a en effet mis sur le même plan la construction d’un quartier et d’un théâtre qui embellissent la ville et la transformation de zones « infectes » et « malsaines » en « source féconde de richesse34 ». À la fin du xixe siècle, l’historien local R.-M. Luminais n’hésite pas à affirmer que non seulement Graslin n’y gagna rien, mais « qu’il y dépensa beaucoup d’argent35 ». Le deuxième élément a à voir avec la critique des idées des physiocrates sur l’agriculture. En prenant l’exemple de Cayenne, ou le sol est gratuit, Graslin explique que « le travail du concessionnaire a une plus grande valeur que le terrain qui lui est concédé36 ». L’analogie avec les marais est immédiate : Graslin veut prouver qu’il n’y a pas de « don gratuit » de la nature, seul le travail et le capital sont en mesure de rendre le sol productif37. Le troisième élément que l’on peut mettre en avant est consécutif à cette idée : on aurait tort de croire que les auteurs anti-physiocrate ne s’intéressent pas aux questions agricoles, bien au contraire. Graslin et l’abbé de Condillac, par exemple, tous deux très hostiles à la secte – et tous deux membres de sociétés d’agriculture dont on retrouve le projet initial – sont de farouches partisans d’une agriculture capitaliste puissante et sont loin de vouloir privilégier l’industrie ou le commerce à la culture des terres38.
- 39 C’est à la lettre ce que devait faire les membres des Sociétés royales d’Agriculture : montrer en (...)
- 40 Cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 247.
- 41 L’éclosion rapide de nombreuses « société d’affaires » est souligné par Bourde (in Bourde A., op. (...)
9Si l’on considère les deux derniers éléments, l’opération de Graslin à Lavau-sur-Loire peut tenir de la démonstration d’économie pratique39, mais il faut également compter avec l’appât du gain. Une opération d’assèchement de marais est en effet une rencontre entre les intérêts de la noblesse foncière – qui n’a pas les moyens de mener ce genre d’opérations, mais voudrait tirer des revenus de terres vagues – et ceux de la bourgeoisie commerçante – qui espère de gros profits de l’affermage des terres, dans une période de hausse des prix agricoles et des revenus fonciers40. C’est le cas avec Graslin : il sort tout juste de la roture et est enrichi par la Ferme générale, tandis que les marais dont il est question sont compris dans le fief d’un seigneur breton, Louis-Gilles de Lescu, Comte de Runnefau, conseiller puis président au Parlement de Bretagne. Comme cela se fait habituellement, Runnefau pratique l’« afféagement » : le propriétaire accorde une concession moyennant un paiement ou une rente annuelle à un particulier ou a une compagnie, qui vont mettre en valeur des terres, les exploiter ou les louer à un fermier qui se chargera de la culture proprement dite41.
- 42 Luminais R.-M., op. cit., p. 415.
10L’opération menée par Graslin est ainsi un modèle du genre. Reste à savoir comment le discours tenu sur ces zones humides et les résultats escomptés vont se traduire concrètement sur les territoires et les populations. Dans ses Recherches, Luminais déclare que Graslin « parvint à convertir en prairie ces terrains si longtemps inutiles et malsains » et que les « heureux résultats » de l’opération menée à Lavau-sur-Loire, auraient conduits le nantais à renouveler l’expérience à Dol-de-Bretagne42. À la vue de l’hostilité franche et durable d’une grande partie des habitants de ces marais – à Lavau comme ailleurs – il convient d’interroger « l’inutilité » de ces terres et les « heureux résultats » obtenus.
- 43 Derex J.-M., op. cit., p. 24.
- 44 Vidal J.-J., « Gens des marais de Petite Camargue », in Nicolas J., Mouvements populaires et consc (...)
- 45 C’est d’ailleurs ce que cherchent à faire valoir les défenseurs de Graslin et des afféagistes au c (...)
11On notera en premier lieu que ces zones sont habitées par une population qui peut être nombreuse43, car bien entendu, elles sont loin d’être sans ressources. J.-J. Vidal n’hésite pas à parler des marais comme de véritables « eldorados » pour leurs habitants44. Les marais ne sont pas des zones céréalières, mais fourragères45. Même si l’herbe n’y est pas toujours d’une qualité exceptionnelle, elle est souvent abondante et permet l’élevage d’un bétail nombreux. Outre ces productions classiques, ces zones sont également propices à bien d’autres résultats :
- 46 Derex J.-M., op. cit., p. 28.
« Le chanvre et l’industrie de la toile, les saussaies et l’artisanat de l’osier, les cultures maraîchères, si mal connues en dehors des grands centres urbains, la culture du roseau. […] En dehors de l’activité agricole, il convient d’ajouter l’exploitation des tourbières ou encore le marché des sangsues qui firent pendant longtemps l’objet d’un commerce rémunérateur puisque couramment utilisées en médecine46. »
- 47 Sur la cueillette et le braconnage comme complément d’alimentation dans l’Ancien Régime, cf. Quell (...)
- 48 Cf. Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1447.
- 49 Cf. Billaud, J.-P., op. cit., p. 114.
- 50 Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1454.
12Contrairement au reste du territoire, la pêche et la chasse sont ici tolérées pour les roturiers, moyennant un affermage au seigneur ou à l’abbaye voisine. D’ailleurs, le pouvoir royal est moins présent dans ces zones difficiles d’accès, ou toute une population vit dans les interstices de la légalité et de l’interdit. Or la faune est ici plus riche et plus diversifiée qu’ailleurs et a ainsi pu fournir un complément alimentaire important, voire servir de véritable substitution aux céréales en période de disette47. La nature particulière de ces zones, comme le souligne Bourde, a forgé une mentalité paysanne d’une grande originalité et d’une grande cohésion48. Ces zones humides sont en effet – et c’est bien le cas à Lavau – le plus souvent exploitées en commun. Cette forme de propriété engendre une solidarité « mécanique » au sens de Durkheim peut-être ici encore plus exacerbée qu’ailleurs. Or l’assèchement des marais, la transformation de ces territoires par des innovations techniques, va faire voler en éclats cette sociabilité locale si particulière49. Naturellement, la privatisation de la majeure partie des terres inondables empêche le pacage libre, mais elle gêne encore le ramassage de la tourbe et du roseau et remet en cause les droits de chasse et de pêche. Désormais, « ces populations amphibies, […] font figure d’indésirables50 » dans un paysage modifié, de moins en moins mystérieux et inaccessible, de plus en plus organisé et exploité. La « frontière » se délite et les Lumières s’y engouffrent.
Le dessèchement des marais de la Haye de Lavau : quelques éléments pour un bilan paysager
13Avant toute discussion sur les formes paysagères, une précaution s’impose. Une archéologie du paysage ne peut être présentée de visu que par une permanence des pratiques depuis l’établissement de ses structures. Sauf une présence forte d’éléments architecturaux, seul l’entretien laborieux du vivant par une répétition des gestes a pu nous transmettre ce qui ressemble, dans ses traits essentiels, au paysage construit par ces hommes deux siècles plus tôt. L’objectif poursuivi qui demeure et l’importance des travaux engagés alors nous font penser qu’il reste l’essentiel de l’ouvrage voulu par Jean-Joseph-Louis Graslin et ses associés. Mais avons-nous aujourd’hui sous nos yeux le paysage tel qu’au lendemain du dessèchement des marais ? Nous ne saurions l’affirmer sans réserves. Le bouleversement de l’horizon des hommes, l’exclusion d’une partie d’entre eux de cet espace laisse-t-il des traces de leurs us et coutumes ? Nous allons tenter de fournir quelques éléments d’appréciation. Nous allons voir que la matière même de ce paysage permet de le modeler, le strier dans sa couche souple et superficielle, c’est-à-dire de structurer le sol quasi-plan des marais pour en faire émerger une population végétale spécifique avec son aspect de paysage agricole au cordeau. De la rigole au canal, guider l’eau va être le moyen de drainer et d’assainir, comme d’irriguer et d’accroître ces terres peu fermes ; c’est à cette époque que les travaux les plus sûrs et pérennes seront accomplis. C’est cette époque que nous allons rechercher dans le paysage en essayant de distinguer ses permanences de ses contingences, en observant les stratégies végétales spontanées et l’orientation de la flore par la transformation des conditions du milieu écologique.
14Les stratégies de conquête d’un territoire, matériellement hostile à celui qui n’en connaît pas les ressorts (les marais proches du lit majeur de la Loire sont un territoire d’initiés, le rythme et l’ampleur des mouvements de l’eau sont l’objet d’une connaissance locale et sont pour une part aléatoires) et socialement rebelle (il y existe un sentiment de conquête autonome d’une communauté solidaire) s’appuient cependant sur les ressources qu’il recèle. Les mécanismes mis en œuvre sont essentiellement ceux d’une régulation hydraulique de plus en plus fine et de sélection floristique induite par cette régulation et par les techniques de récolte.
15Ainsi l’assainissement des marécages procure-t-il une nouvelle abondance et un certain confort pour les afféagistes et le seigneur, avantages que les « vassaux » ne sauraient nier. Pour autant, c’est la spoliation des communs et la perte des aménités afférentes qui ont permis l’émergence de ces nouvelles ressources. La perception de ces terres inconnues est alors passée dans l’esprit des urbains de l’hostilité à l’exemple de la mise en valeur d’un territoire.
Conditions physiques, appréhension et perception : essai de description du paysage de Lavau dans la Basse-Loire
16Nous sommes dans la plaine alluvionnaire de la Loire d’où émergent quelques îlots de granit sur lesquels s’installent maisons, cultures, gens et bêtes de trait sédentaires. Des îles bocagères se hissent au-dessus du niveau général des marais. Le sillon de Bretagne, ligne épaisse à l’horizon arrête le regard, sur elle butte ce qui semble une étendue sans relief. Une immense surface plane se déploie sous nos yeux incrustée de fils d’eau dont nous ne pouvons que deviner le maillage régulier (fig. 10 et 11). Il est d’un autre point de vue, là haut sur sa crête, l’équivalent de la hauteur de cinq ou six arbres, le balcon sur nos marais et l’estuaire de la Loire : c’est une vue rasante sur plusieurs kilomètres au-dessus de la frondaison des arbres au-delà desquels on aperçoit le fil argenté du fleuve.
- 51 Cf. Gracq J., La forme d’une ville, Paris, José Corti, 1985, p. 120-122.
- 52 Donnadieu P., Paysages de marais, Paris, Éditions J.-P. Monza, 1996, p. 23.
17La perception de ce paysage est construite : il est probable que la description qui vient d’être faite, ce que nous pouvons voir aujourd’hui, n’eut pas été partagée autant qu’aujourd’hui deux siècle plus tôt. La fabrication de ce paysage ne ressort de perceptions communes qu’après : un, l’ouverture physique, à hauteur d’homme, d’étendues suffisamment vastes et dégagées, deux, le parcours libre, sans entraves et appréhensions, de ces espaces, trois, la diffusion culturelle de ces dimensions par l’iconographie et les récits51. L’expérience de ces marécages avant les grands travaux du xviiie siècle pouvait s’apparenter à celle du labyrinthe pour le néophyte. L’espace fragmenté du marais devait – nous le supposons par ce que nous pouvons aujourd’hui connaître de ces zones lorsqu’elles ne sont pas aménagées et peu exploitées – ressembler à une quasi-forêt percée d’éclaircies sur les bosses de granit surexploitées (fig. 12) et de dépressions toujours en eaux (gagner des terres sur les marais devenait nécessaire et évident). L’habitant ou le passant ne pouvait qu’exceptionnellement embrasser l’étendue du regard sinon devant lui pour poser le pas : « La marche dans le marais fermé s’apparente à celle de l’aveugle52. » Nous n’avons qu’une mince idée des perceptions de cette époque, de ces terres vaines et vagues, seulement pouvons-nous imaginer que tous les sens étaient mobilisés pour subsister, s’y mouvoir et s’orienter (fig. 22 et 23).
18Ces nouvelles étendues créées au xviiie siècle vont offrir une découverte de l’horizon. L’expérience du marais aménagé flatte l’observateur pour lequel la menace n’est plus dans son dos ni sous son prochain pas, il peut voir et prévoir tous azimuts, repérer les horizons en plus de la direction des ombres, se repérer dans un univers plus large, à l’œil. C’est le marais que nous connaissons au détour d’une route ou mieux, si on s’est égaré dans un chemin de ces contrées (fig. 18).
L’ordre végétal. Prédisposition des lieux et diverses stratégies de conquêtes
19Une erreur manifeste du paysagiste déambulant sur l’ordre végétal ou comment la leçon de Versailles peut-elle faire l’objet d’un contresens : alors que nous recherchions l’alignement majestueux, insigne de la fortune du sieur de Runnefau, son origine rampait sous notre regard auquel était offert une distinction en ces contrées, l’étendue et l’horizon. L’attraction du paysage aérien nous faisait oublier ses fondations : la qualité du sol, son expression végétale et leurs façons ou entretiens.
20Les canaux, comme à Versailles, fondent et forment la puissance sur le paysage et le pays, la maîtrise technique du territoire assoit la légitimité. Le nivellement des terres et la capacité technique de réglage des niveaux d’eau constituent les fondations de ce paysage et en assurent la pérennité. Tout comme le parc de Versailles fut établi sur des terres marécageuses savamment transformées en grand canal, pièce d’eau ouvrant les allées entre les bosquets, le Potager, le Trianon, à Lavau l’établissement des structures ordonnées allait permettre de capter le potentiel de production végétale immense des zones humides. La prairie rase est le signe de la possibilité enfin offerte d’exploiter au maximum le gain de terre sur des sols incultes (l’ordre dans le paysage est la fortune du seigneur) : l’eau, le canal annoncent la multiplication des récoltes.
- 53 Graslin J.-J.-L., op. cit., p. 142.
- 54 Vidal J.-J., op. cit., p. 263.
21L’allée des têtards – elle mène à une chaussée, voie surélevée entre deux fossés, séparant des parcelles inondables –, ce chemin bordé de frênes et de chênes d’émonde (fig. 14 et 15) est une forme végétale paysanne et prolétaire aux antipodes de la futaie aristocratique, son produit est lié à une économie vivrière, on le tire au jour le jour à la bonne saison ; il requiert un savoir faire simple et sa révolution est courte, de une à neuf années, selon l’usage ; on en tire du fourrage d’appoint ou du bois de fagots. Ces arbres – les émondes – sont des éléments de subsistance pour les paysans, cela fait partie d’une économie des marges de la parcelle. À l’intérieur de ce qui est entre les terres arables, sous l’altitude d’environ 2,5 mètres NGF (limite des inondations), peu de la production végétale totale est exploitée à des fins agricoles. L’expertise empirique et transmise oralement donne foi et loi aux pratiques « ancestrales » de prélèvement des ressources du cadre de vie marécageuse. L’œuvre de salubrité signifiera la mise à plat du paysage et des pratiques afférentes. C’est ignorer le tout qui s’y passe, c’est aussi restreindre le champ d’action d’une population qui vit des interstices de la production liée à un patrimoine, c’est surtout l’exclusion d’une société vivant du partage et de l’organisation de l’espace commun marginal. Cet espace que l’on a décrit opaque, voire fermé est une source non négligeable de revenu, même sous sa forme brute, rustre mais pourvoyeuse et familière à ses riverains. Ce n’est pas l’avis de Graslin, quand il le décrit ainsi (fig. 16 et 17) : « C’est un pré marécageux, qui ne serait jamais couvert que de joncs et de roseaux, si on entretenait des fossés profonds, qui facilitent l’écoulement des eaux, et qu’il faut souvent réparer53. » Or nous savons que « la vente du roseau aux villageois de terre ferme, quoique frauduleuse, procure à chaque habitant un appréciable complément de ressources en argent : […] les cent gerbes se vendent cinq livres et une famille peut aisément dépasser la récolte de deux cents gerbes par jour. Ainsi la saison de sagne peut doubler ou tripler le revenu annuel du travailleur de terre ou du manouvrier54 ».
22La fortune vient pour Graslin des terres inondables où le régime de l’eau pourra être contrôlé alternativement par le drainage et pour gorger d’eau la flore, en particulier les graminées (leur population en sera naturellement orientée par la fauche régulière, vers des groupements plus intéressants pour le fourrage) : c’est une orientation du cours naturel des choses par un progrès technique. C’est de cet espace ingrat qu’on a pu tirer deux à trois récoltes de foin abondant, riche et gras chaque année, « carburant » de premier choix à cette époque de traction animale.
Un processus de conversion de la flore : modifier le milieu, contrarier le développement naturel de la végétation
23Cet exemple paradoxal (fig. 19 à 21) : des arbres sur un billon (butte de terre en ligne séparée d’une autre par un sillon). Elle est d’ordre symbolique : produire le bois d’œuvre est un non-sens, dans les marais, à la lisière d’une île, les pieds dans l’eau ; être le maître d’œuvre de cette construction témoigne d’une vision à long terme permise par l’absence d’exigence immédiate de rapport. C’est montrer sa capacité à vaincre les dispositions naturelles du lieu et à les soumettre à ses objectifs. La nature hostile est maîtrisée et la phytosociologie est mise à l’épreuve par des rapprochements d’espèces aux exigences divergentes, le chêne prospère et voisine le roseau. S’exhausser, quelques plantes le font naturellement, les billons vont le faire par construction, et par extension tout ce paysage est conduit selon ce principe : offrir à la végétation que l’on souhaite voir prospérer les conditions optimales de croissance et d’expression.
24Cet exemple nous montre que c’est par les techniques de drainage dites d’assèchement que les promoteurs de l’afféagement vont opérer une première sélection dans la flore spontanée. Le premier geste de l’afféagiste est de modifier la topographie, imperceptiblement et suffisamment pour conduire l’eau vers des rigoles puis des canaux (qui pourront en sens inverse irriguer les terres agricoles). Les techniques agricoles parachèvent l’ouvrage, la fauche et le pâturage permettant de réaliser une deuxième phase de tri floristique qui modifie le comportement de certaines plantes.
- 55 La stratégie de la laîche panniculée par exemple (fig. 23), une herbe : elle forme des touradons q (...)
25Les espèces qui cohabitent au profit des plus adaptées aux conditions offertes vont se répartir dans des proportions renversées, les plus amateurs d’eau (hygrophiles) vont régresser au profit des plus aptes au sec (xérophiles) de l’éventail de la flore présente (fig. 10 et 11) : sont repoussées dans les marges ou dans des situations moins confortables roseaux (Phragmites australis), joncs diffus (Juncus effusus), jonc des tonneliers (Scirpus lacustris), iris de marais (Iris pseudacorus), chanvre d’eau (Lycopus europaeus), laîche des rives (Carex riparia), pour en citer quelques unes qui vont laisser la place à, pour l’exemple, la laîche glauque (Carex flacca), la houlque laineuse (Holcus lanatus), la flouve odorante (Anthoxanthum odoratum), le paturin commun (Poa trivialis), ou la fétuque rouge (Festuca rubra). Elle va même accueillir des étrangères qui vont trouver des conditions favorables à leur développement. Pour ne pas voir se développer cette flore dont la stratégie consiste à se sortir des flots comme en potées distantes55 (fig. 23), amas de racines, d’humus et de feuilles, il faut assécher au plus tôt dans la saison de pleine végétation, faucher et renouveler l’opération le plus souvent possible. On va donc changer mécaniquement la flore qui habite ces marais en contrariant sa nature, en lui « coupant l’herbe sous le pied ». La stratégie de conquête du sol, du territoire, par le végétal, est contrariée, celle l’afféagiste est affirmée, simplement lisible dans un paysage ordonné.
La construction d’un paysage agricole près de la Loire, cas particulier des marais de Lavau et lecture générale dans l’estuaire
- 56 Aberlach-Mandy M.-O., « Espace rural et aménagement des marais à Donges, du Moyen Âge au xviiie si (...)
26Le paysage créé pourrait être lu aujourd’hui comme un espace classique, ample, ordonné (fig. 10 et 11 ou 24 et 25). Il nous est donné à voir l’étendue, l’horizon, la maîtrise du territoire. Cependant c’est avant tout un espace productif : productif de sens, dans l’expression du pouvoir, de la puissance bienfaitrice, productif de biens agricoles, de bienfaits sanitaires, d’aisance. Avant Graslin, près de Lavau, « on constate la place croissante des paysans dongeois dans cet élan, tant au niveau individuel que collectif : ils prennent alors réellement en main l’exploitation de leur marais56 ». Graslin apporte à ce moment là des moyens techniques, financiers et fonciers qui vont accélérer la transformation du paysage, lui donner une cohérence intrinsèque. Cet artefact s’est déjà produit et va se reproduire pour donner forme à un paysage de marais typique des rives de Loire. À l’échelle de ce qu’un promoteur peut mettre en œuvre, ce territoire va prendre place dans un schéma beaucoup plus grand, à plus long terme, de mise en valeur de la Basse-Loire. En un sens, Graslin, comme chacun des promoteurs en amont et en aval, si l’on fait abstraction de son seul intérêt, participe à la confection d’un paysage aux caractéristiques morphologiques cohérentes, unifiées.
- 57 Rousseau J.-J., Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754), P (...)
- 58 Chaillon E., Mémoires pour les habitants de la paroisse de Lavau, suite et diligence de n. H. Jean (...)
- 59 Ibid.
- 60 Aberlach-Mandy M.-O., op. cit., p. 35.
- 61 Ibid.
- 62 Ainsi en Camargue : « Très vite, d’autre part, la dépaissance que le marais offre au “bétail arato (...)
27« Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne57 » écrit Rousseau. Phrase de situation dans notre cas quand les afféagistes semblent ignorer les ressources, pour toute une partie pauvre de la population, que représentent les marais avant leur bouleversement. Un simple rappel de Chaillon, défenseur des habitants de Lavau : « Les communs peuvent consister en marais comme en landes et en pâtures. Le mot commun est un mot générique qui présente l’idée de toutes les terres vaines et vagues qui sont dans la disposition d’une communauté d’habitants58. » Or ce sont les prélèvements et les pratiques sur ces communs qui sont interrompus par le changement de statut des terrains et par la mise en forme de l’assainissement : une douve est une clôture infranchissable et la prairie est une sorte de monoculture, exit les roseaux et les chemins de traverse : « Ce grand marais était la partie qui produisait les rots (fig. 13) pour la couverture des maisons ; et depuis que M. de Runnefau eût pratiqué les douves dont on vient de parler à commencer au petit Couhoudrais à venir à l’isle Levin, il n’était plus possible d’y passer que par sur l’ancienne chaussée de cette isle (fig. 25). Le plan du sieur Graslin met encore en évidence cette vérité59. » Le conflit est patent dans « le fonctionnement normal de la vie paysanne » malgré l’obligation faite de « faire entretenir un pont de bois pour le passage des charrettes entre leurs terrains et les marais qui s’en trouvent séparés par les douves de dessèchement60 ». Si on évoque alors une « simple exploitation des ressources naturelles61 », il ne faut pas la minimiser : le marais produit des ressources essentielles et en grandes quantités puisque les zones humides ont une production de biomasse largement supérieure aux terres cultivables. Cette production, loin d’être ignorée, pourvoie à de multiples usages et autorise un développement ultérieur de l’élevage62.
Des communs parcellisés à l’étendue aérienne : l’habitant et l’urbaniste
- 63 Choay F. et d’Alfonso E., Espacements : l’évolution de l’espace urbain en France, Paris, Skira, 20 (...)
28Le conflit qui nous occupe en ces lieux tient autant au changement d’appréhension de l’espace qu’à un changement de substance de l’environnement des habitants de Lavau. Quel sens a l’espace qui les entoure lorsque les raisons de leur paysage changent de mains et leur échappent ? Ils vont voir leur paysage devenir un autre, brutalement fabriqué, et devoir modifier en conséquence leurs habitudes quotidiennes. Si les habitants familiers de ces lieux ne s’opposaient pas à la technique plus ou moins bien maîtrisée du marais régulé, qu’ils connaissaient, ils redoutaient les conséquences sociales du marais remodelé et assaini. Le génie rural aurait-il l’ambition de faire œuvre « d’embellissement » ? Alors qu’à Nantes, à l’époque moderne, les plans nouveaux de la ville se succèdent, l’aménagement de l’espace rural peut être vu sous un angle esthétique autant que de salubrité publique. « Néanmoins, du fait de son changement d’échelle et surtout parce qu’il est maintenant “composé” pour l’œil – non plus destiné au corps et à l’ensemble des sens, mais consacré à l’hégémonie du regard – et qu’il prend valeur d’image, il perd son ancienne intimité et ne peut plus être vécu dans l’immédiateté63. »
29La perte des sens, des connaissances liées aux usages, la modification profonde des repères spatiaux, conséquences de la redistribution foncière des espaces humides aux contours indécis des plus hautes eaux, perturbent une communauté qui voit un acteur extérieur, Graslin, s’insérer dans leur modus vivendi, le bousculer par un processus tout à coup accéléré (déjà engagé alentour, notamment, et depuis longtemps, par les ouvrages des abbayes de Blanche Couronne et surtout de Buzay). Il existait un intérêt bien compris des habitants à ce qu’un espace ayant ses secrets perdure, à l’écart des regards scrutateurs, tout en restant communs donc non attribués, évitant d’être l’objet potentiel d’un contrôle social trop étroit (le connaître parfaitement mais surtout ne pas trop savoir ce qui s’y passe !). L’œuvre bienfaitrice et l’ouverture du paysage mettent à découvert une société qui ne peut entendre Graslin justifier son intervention sans trop bien savoir ce qu’il en retourne.
Notes
1 Cf. Plans (Fig. 8 et 9).
2 Cf. Bourde A., Agronomie et Agronomes en France au xviiie siècle, 3 tomes, Paris, SEVPEN, 1967, t. 2, p. 1448 ; Derex J.-M., « Pour une histoire des zones humides en France (xviiie-xixe siècle). Des paysages oubliés, une histoire à écrire », Histoire et Sociétés Rurales, 15, 2001, p. 11-36, et Billaud, J.-P., « Gestion de l’eau et formation des sociétés locales : quelques réflexions sur le lien entre l’aménagement de marais et le “développement local” », Aestuaria, 1, 2000, p. 113-127.
3 Cf. Billaud, J.-P., op. cit., p. 116.
4 « L’édit d’Henri IV de 1599 inaugure en effet une longue suite de mesures incitatives aux dessèchements des marais, rééditées par Louis XIII, Louis XIV et jusqu’aux lois de la République et de l’Empire. Suivant cet édit de 1599 les propriétaires sont tenus de déclarer leur intention d’assécher leurs terres dans un délai de deux mois au-delà duquel une compagnie autorisée par le roi pourra engager les travaux, et retenir pour paiement le tiers des terrains valorisés », in Trivière F.-X., Livret d’exposition « Portes d’èbe et portes de flots », musée du Château des ducs de Bretagne, exposition « Estuaire de Nantes à Saint-Nazaire : histoire d’un port », 1997.
5 Relativement à la nationalité des capitalistes et des ingénieurs de la compagnie Bradley, qui entameront le dessèchement partiel du marais poitevin après l’édit de 1599. Outre la propriété de la moitié des terres asséchées, exemptées d’impôts pendant vingt ans, Bradley et ses associés bénéficieront de la naturalisation au bout de deux ans. Les douze plus gros actionnaires seront anoblis ; quant à ceux qui sont déjà nobles, ils pourront participer à l’entreprise sans déroger.
6 Suire Y., « Succès et échecs des dessèchements du Marais poitevin aux xviie et xviiie siècles », in Bata Ph. (dir.), Aux rives de l’incertain. Histoire et représentation des marais occidentaux du Moyen Âge à nos jours, Paris, Somogy édition d’art, 2002, p. 219-24, et Trivière F.-X., op. cit.
7 Les exemples en sont nombreux. Le Comte d’Essuiles, en 1770, parle de « ces cloaques immenses, dont l’infection répand des maladies sans nombre », in d’Essuiles J.-F., Traité politique et économique des communes ou observations sur l’agriculture, sur l’origine, la destination et l’état actuel des biens communs, Paris, Desaint, 1770, p. 54. La Maillardière évoque les « funestes effets des landages ou marais, vagues ou communs, pour la santé des hommes et des animaux dont ils font périr un grand nombre », in La Maillardière Ch.-F., Traité d’économie politique, Amiens, Académie des sciences d’Amiens, 1782, p. 47. À la Révolution Boncerf, lui-même intéressé dans une opération d’assèchement, lie faibles productivité et santé publique : « Les retenues d’eaux vont toujours en augmentant, les prairies deviennent des marais fangeux qui ne donnent que des roseaux, des herbes aigres et des exhalaisons mortelles », in Boncerf P.-F., La plus importante et la plus pressante affaire, où la nécessité et les moyens de restaurer l’agriculture et le commerce, s.l.n.d., 1790, p. 50.
8 Malgré les exagérations, « malaria et fièvres sont quand même une réalité », in Bourde A., op. cit., t. 1, p. 536. Les fièvres paludéennes notamment étaient « endémiques dans les régions humides et marécageuses », in Derex J.-M., op. cit., p. 18.
9 Weulersse G., Le mouvement physiocratique en France de 1756 à 1770, Paris, Félix Alcan, 2 vol., 1910, Slatkine Reprints, Genève, 2003, t. 1, p. 23 et suiv.
10 Quesnay est d’ailleurs fortement influencé par la littérature agronomique qui l’a précédé, cf. Charles L., La liberté du commerce des grains et l’économie politique française, thèse pour le doctorat en sciences économiques, Université de Paris 1, 1999, p. 232-242.
11 Dupont (de Nemours) P. S., De l’origine et des progrès d’une science nouvelle, Paris, Librairie Paul Geuthner, 1910, réimpression de l’édition de 1768, Paris, Desaint.
12 Cette fois, l’engouement est si fort dans l’élite éclairée de la nation que Grimm n’hésite pas à parler d’une nouvelle maladie, « l’agromanie », cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 152.
13 Les physiocrates considèrent que la moitié des terres du royaume est en friche. Pour une discussion sur ce jugement naturellement exagéré, cf. ibid., vol. 1, p. 316-332.
14 Cf. Bourde A., op. cit, t. 1, p. 532.
15 Essuiles, J.-F., op. cit., p. 58.
16 Goyon de la Plombanie H., La France agricole et marchande, Avignon, 2 vol., 1762, vol. 1, p. 199.
17 Cf. La Maillardière Ch.-F., op. cit., p. 214.
18 Goyon de la Plombanie H., op. cit., vol. 1, p. 199. L’auteur ne doute pas de la rentabilité des entreprises d’assèchements : « Les profits immenses qu’on retireraient infailliblement de ces grandes et bonnes cultures, ne suffiraient-ils pas à dédommager les entrepreneurs ? », ibid., vol. 1, p. 204.
19 Graslin J.-J.-L., Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt, Paris, Librairie P. Geuthner, 1911, Londres (Nantes), 1767 pour la première édition, p. 142.
20 Le Vassor M., Méthode générale et particulière, puisée dans la véritable source, pour le dessèchement des marais et des terres noyées, Paris, Visse, 1788, p. 31.
21 Boncerf P.-F., op. cit., t. 1, p. 50.
22 Bourde A., op. cit., p. 536.
23 La Maillardière Ch.-F., op. cit., p. 212.
24 Le Comte d’Essuiles note ainsi : « Quant à la concurrence libre dans une jouissance indivise, elle autorise chacun à jouir le plus et le plus tôt qu’il peut. Certain que ce qu’il laisserait croître ou mûrir s’il était seul propriétaire, sera cueilli nécessairement par le premier venu, il met tous ses soins à prévenir les concurrents. Chacun voulant ainsi prévenir les autres de vitesse, tout est détruit en naissant. Le baliveau n’a pas le temps de devenir un arbre ; le brin de taillis est coupé avant qu’on puisse en faire un cercle ou un échalas. L’herbe est pâturée en sortant de terre ; le fruit, cueilli avant d’avoir atteint la moitié de sa grosseur ; le poisson, pris dès la première année. Toute jouissance commune n’est qu’une continuité de dévastation et de brigandage », in Essuiles, J.-F., op. cit., p. 63-64.
25 De 1763 à 1780, l’agriculture est détachée du Contrôle général des finances et est inclus dans le département spécial de Bertin, cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 159.
26 Après quoi la dîme ne serait due qu’à la cinquantième gerbe seulement, cf. Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1141.
27 Ibid., t. 3, p. 1447.
28 Cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 173.
29 L’esprit de ces textes est conforme à celui des agronomes et des économistes du temps : les terres exploitées en communs sont presque toujours livrées à l’abandon et à la rapine. Ainsi en est-il par exemple du préambule de l’édit de juin 1769 relatif aux Trois-Évêchés : « Les pâtis communs accordés aux habitants par les rois nos prédécesseurs ou par les seigneurs particuliers, devenus aride par l’inculture et une dévastation perpétuelle, nous ont paru dignes de nos soins. Nous avons cru devoir les autoriser à un partage qui ne pourrait produire que les plus grands biens ; et pour les y encourager, nous avons étendu sur toutes les communes qui seraient partagées les exemptions d’impositions royales et de dîmes, ainsi qu’elles sont annoncées en notre déclaration du 13 août 1766 », cité d’après Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 172-173.
30 Ses statuts lui défendent d’ailleurs de le faire. Ainsi l’article 1er de l’arrêt qui instituait la société de Tours stipule-t-il « qu’elle ne devrait jamais “prendre connaissance d’aucune autre matière que l’agriculture” ; et l’article 13 du règlement qui lui avait été imposé stipulait que “toute matière étrangère n’y serait point traitée sous quelque prétexte que ce soit” », ibid., vol. 2, p. 165.
31 Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1111.
32 Cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 165-6.
33 Ibid., vol. 2, p. 163.
34 Trivière F.-X., op. cit.
35 Luminais R.-M., « Recherches sur la vie, les doctrines économiques et les travaux de Jean-Joseph-Louis Graslin », Annales de la société académique de Nantes et du département de Loire-Inférieure, Nantes, t. 32, 1861, p. 377-450, p. 415. Cet article a été réimprimé en 1862 à Nantes, chez Mellinet, Imprimeur de la Société Académique.
36 Graslin J.-J.-L., op. cit., p. 32.
37 Mais les physiocrates ne disent pas autre chose et sur cette question sa critique ne porte pas. Sur ce point voir Orain A., « “Équilibre” et fiscalité au siècle des Lumières. L’économie politique de Jean-Joseph Graslin », Revue Économique, vol. 57, n° 5, 2006, p. 955-981.
38 Cf. Orain A., « Condillac face à la Physiocratie : Terre, Valeur et Répartition », Revue Economique, Vol 53, n°5, 2002, p. 1075-1099, et Orain A., « “Équilibre” et fiscalité au siècle des Lumières… », op. cit.
39 C’est à la lettre ce que devait faire les membres des Sociétés royales d’Agriculture : montrer en exemple des expériences nouvelles réussies. « Écrivez peu, conseille Turbilly aux futurs “cultivateurs physiciens” ; occupez-vous de pratique plus que de théorie », in Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1111.
40 Cf. Weulersse G., op. cit., vol. 2, p. 247.
41 L’éclosion rapide de nombreuses « société d’affaires » est souligné par Bourde (in Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1609), qui précise que « l’organisation technique de compagnies idéales avait souvent été étudiée par les théoriciens. Le Journal œconomique, entre 1751 et 1760, contient un certain nombre d’articles qui s’essayent à définir les structures de diverses sociétés », ibid., t. 3, p. 1610.
42 Luminais R.-M., op. cit., p. 415.
43 Derex J.-M., op. cit., p. 24.
44 Vidal J.-J., « Gens des marais de Petite Camargue », in Nicolas J., Mouvements populaires et conscience sociale xvie-xixe siècles, Paris, Maloine SA Éditeur, p. 261-271, cf. p. 262.
45 C’est d’ailleurs ce que cherchent à faire valoir les défenseurs de Graslin et des afféagistes au cours du procès qui les opposent aux habitants : « Avant le dessèchement, les marais étaient couverts d’eau neuf à dix mois consécutifs, et souvent plusieurs années de suite. Depuis ils donnent des productions, ce sont des terres excellentes […]. Les habitants ont deux fois plus de pâturages qu’il ne faut », in Troisième mémoire pour les sieurs Graslin, Mellinet et Saulnier de La Pinelais, afféagistes des marais enclavés sous les fiefs de La Haye et de Ses Maison, défendeurs ; contre une partie des habitans de Lavau opposants à l’afféagement et demandeurs : du procès, le comte de Runnefau, seigneur de La Haye et de Ses-Maisons, Rennes, Vatar, 1778, p. 47-48.
46 Derex J.-M., op. cit., p. 28.
47 Sur la cueillette et le braconnage comme complément d’alimentation dans l’Ancien Régime, cf. Quellier F., La table des Français. Une histoire culturelle (xve-début xixe siècle), Rennes, PUR, 2007, p. 43-44.
48 Cf. Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1447.
49 Cf. Billaud, J.-P., op. cit., p. 114.
50 Bourde A., op. cit., t. 3, p. 1454.
51 Cf. Gracq J., La forme d’une ville, Paris, José Corti, 1985, p. 120-122.
52 Donnadieu P., Paysages de marais, Paris, Éditions J.-P. Monza, 1996, p. 23.
53 Graslin J.-J.-L., op. cit., p. 142.
54 Vidal J.-J., op. cit., p. 263.
55 La stratégie de la laîche panniculée par exemple (fig. 23), une herbe : elle forme des touradons qui se dressent au-dessus de l’eau, qui tentent de s’en extirper, ne va plus avoir d’objet ou celle du saule, qui de lui-même se penche et de proche en proche marcotte, s’enracine.
56 Aberlach-Mandy M.-O., « Espace rural et aménagement des marais à Donges, du Moyen Âge au xviiie siècle », Aestuaria, 2001, p. 13-39, p. 35.
57 Rousseau J.-J., Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754), Paris, GF-Flammarion, p. 222.
58 Chaillon E., Mémoires pour les habitants de la paroisse de Lavau, suite et diligence de n. H. Jean Glotin…, [ca 1774], 97 pages, p. 18.
59 Ibid.
60 Aberlach-Mandy M.-O., op. cit., p. 35.
61 Ibid.
62 Ainsi en Camargue : « Très vite, d’autre part, la dépaissance que le marais offre au “bétail aratoire” du village s’élargit à des troupeaux multiples : ce sont, d’abord, les manades de vaches et taureaux camarguais qui fournissent », in Vidal J.-J., op. cit., p. 263.
63 Choay F. et d’Alfonso E., Espacements : l’évolution de l’espace urbain en France, Paris, Skira, 2004, p. 72.
© Presses universitaires de Rennes, 2008