« Il y a deux leviers pour faire bouger un homme, la peur et l’intérêt personnel. » Napoléon Bonaparte (1769-1821), général français et empereur.

Introduction

1Depuis quelques années, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) apparaît, plus ou moins directement, comme un nouvel outil de gestion des PME. Même si elle reste difficile à définir avec précision (utilisation réduite des ressources naturelles, diminution des émissions polluantes, investissement dans le bien-être des salariés, respect des parties prenantes), elle tend à se normaliser pour les grandes entreprises. Elles ont a priori plus de capacités à dégager les ressources nécessaires pour évaluer la RSE et la mettre en place dans leur structure. Ce n’est pas le cas des PME, qui, même si elles ne sont pas soumises aux mêmes contraintes réglementaires, subissent les mêmes problèmes de rareté des matières premières et plus généralement, la pression sociale, s’installant petit à petit dans leur environnement. Rares sont les jours où la RSE n’est pas évoquée dans la presse ou les médias, mais il reste difficile d’en comprendre les contours et les moyens pour la mettre en œuvre. Ainsi, nous définirons la RSE comme la RSE implicite selon les termes de Matten et Moon (2008). Celle-ci ne s’articule pas sous forme d’une politique RSE mais simplement dans l’adoption d’une forme implicite de valeurs, de normes et de règles socialement responsables mises en place par les entreprises.

2Contraintes par la taille de leur structure et les enjeux économiques auxquelles elles font face, les PME n’ont pas toujours le temps ou les moyens de s’impliquer dans une démarche de RSE. La prise de conscience des enjeux stratégiques de la RSE par les dirigeants a eu lieu, il reste à développer les moyens de l’adoption et de sa mise en œuvre.

3Certains dirigeants néophytes verront dans la RSE une nouvelle conception de l’entreprise et se distingueront par la précocité de son adoption et l’innovation mise en place, d’autres préféreront solliciter une organisation externe pour faciliter la mise en œuvre. Les réseaux d’entreprises, en tant que démarche collective innovante, semblent être un moyen d’accéder aux informations ciblées pour les PME en minimisant les ressources nécessaires pour y parvenir. Le réseau aura pour but d’apporter aux entreprises l’ensemble des informations concernant la démarche RSE, de les accompagner sur les enjeux et de partager l’expérience des autres entreprises. Cette démarche se fera à la fois au niveau des salariés mais également au niveau des clients et des fournisseurs. Nous évoquerons dans une première section les bénéfices et les difficultés pour l’entreprise d’adopter une démarche RSE. Nous présenterons l’apport théorique d’un réseau pour la mise en place d’une démarche RSE et la présentation d’un réseau étudié dans la deuxième section, Produit en Bretagne (PEB). L’apport de ce réseau pour les PME bretonnes sera mis en avant par Marie-Laure Collet, membre du directoire et dirigeante d’Abaka Conseil, cabinet de conseil en ressources humaines. L’objectif de cette contribution est de faire émerger les processus informels et formels (Lawson et al., 2009) par lesquels les dirigeants de PME entrent en relation avec d’autres et acquièrent les principes favorables à la RSE et de l’aide sur la démarche RSE.

RSE et réseaux d’entreprises

4Dans cette partie, les bénéfices RSE pour l’entreprise sont d’abord traités. Ensuite, les difficultés de mise en œuvre sont évoquées pour enfin évaluer si l’appartenance à un réseau constitue un facteur clé de succès.

La RSE, quels bénéfices pour l’entreprise ?

5Comment définir la RSE ? Gond et Igalens (2008), puis Gond (2011) envi sagent la responsabilité sociale comme un concept qui caractérise l’interface entre l’entreprise et la société. Ils proposent quatre perspectives de l’interface entreprise/société qu’ils utilisent pour organiser les définitions de la RSE (tableau 1).

6La première apparition réglementaire de la RSE en France date de la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 qui oblige les sociétés françaises cotées à publier leurs impacts sociaux, sociétaux et environnementaux. Depuis c’est le code des marchés publics qui s’est incrémenté de normes RSE. Il n’existe donc pas directement de lois pour les PME mais des obligations indirectes, lorsqu’elles travaillent en tant que client ou fournisseur des entreprises cotées ou simplement par l’aspect social omniprésent de répondre à une démarche RSE. Il ne s’agira donc pas ici d’énumérer un contexte légal mais un ensemble de normes pour les PME.

7Plus récemment, la démarche de responsabilité sociétale (RSE) a été caractérisée dans la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 et est décrite via des normes, en particulier la norme européenne ISO 26000 (novembre 2010). Celle-ci étant plutôt volumineuse, elle s’adapte peu aux besoins des PME. Les dirigeants de PME préféreront se tourner vers des guides d’application (souvent développés par des réseaux d’entreprises) ou encore des normes plus spécifiques1. La norme « Management environnemental » a été spécialement conçue pour les TPE et les PME. Elle a été pensée pour offrir des outils pratiques, adaptés à leurs besoins et immédiatement opérationnels pour ce type d’entreprises (listes de contrôles, outils organisationnels, de communication…). La démarche se déroule en cinq phases : planification de la démarche, conduite du projet (avec intégration des critères environnementaux), industrialisation et homologation, commercialisation du produit et bilan de la démarche.

8En introduisant ces normes, l’objectif pour le dirigeant est au premier plan, de maîtriser les impacts des activités de l’entreprise sur la société et l’environnement mais également de se différencier et de devenir compétitif. Au second plan, la RSE permet à l’entreprise de soigner son image, d’adopter de nouvelles technologies et/ou encore de répondre aux attentes des parties prenantes.

9En résumé, la RSE c’est la gestion de l’entreprise de demain, dans une perspective de développement durable de l’entreprise dans son environnement. Les actions sociales, sociétales et environnementales seront déterminantes dans les choix faits au quotidien par les PME. La mise en pratique de la RSE se fera de façon progressive mais durable. Chaque partie prenante aura sa place et le respect de chacune assurera la pérennité de l’entreprise.

Entrer dans une démarche de RSE, quelles difficultés pour l’entreprise ?

10La mise en œuvre de la RSE promet de nombreuses nouvelles ressources pour l’entreprise mais elle représente également un coût pour le manager. Elle vient charger un agenda déjà lourd et augmente ses responsabilités : d’une responsabilité purement économique envers les propriétaires de l’entreprise, le dirigeant se voit confier une responsabilité économique, sociale et écologique envers les parties prenantes internes et externes de l’entreprise. Capron et Quairel-Lenoizelée (2007) pointent les difficultés de la mise en œuvre de la RSE en utilisant la théorie des conventions et le modèle des économies de la grandeur de Boltanski et Thévenot. Selon ces auteurs, « l’intégration d’objectifs et de valeurs du développement durable dans le management stratégique des entreprises fait entrer en conflit au moins deux logiques d’évaluation, deux mondes : le monde industriel qui recherche l’efficience et le monde civique où l’intérêt collectif prime sur l’intérêt particulier ». Patriotta et al. (2011) montrent aussi que les « mondes » constituent autant de ressources discursives que les acteurs peuvent utiliser pour justifier leurs actions.

11Ainsi d’après David et al. (2005), cette mise en œuvre complexifie la prise de décision stratégique ainsi que le contrôle des résultats de sa mise en œuvre en élargissant le nombre de paramètres (performance économique, performance sociale, égalité de traitement, respect des droits de l’homme, bonnes conditions de travail, performance environnementale, diminution de la pollution, épuisement des ressources, sécurité des installations, sécurité des produits…) et de partenaires (propriétaires de l’entreprise, employés, investisseurs, fournisseurs, clients, ONG, société) à intégrer (Castelnau, 2005 ; David et al., 2005). Il s’agit d’articuler différents objectifs de l’entreprise qui peuvent sembler à première vue parfois inconciliables et de gérer les relations avec et entre des parties prenantes externes ou internes qui ont des valeurs et des représentations de l’entreprise différentes (ibid.).

12La difficulté de cette prise de décision est renforcée par une vigilance accrue des acteurs collectifs (syndicat, association) et individuels (clients) vis-à-vis des actions des entreprises (ibid.) et une judiciarisation importante (Perez, 2005). Elle est aussi renforcée par la possibilité d’une mobilisation par le biais d’internet et en particulier des médias sociaux (le web activisme, voir par exemple les travaux de Bouillé, 2010), constituant un outil dont les entreprises peuvent s’emparer pour diffuser les informations sur leurs pratiques (Fieseler et al., 2010 ; Fieseler et Fleck, 2013).

13Les travaux récents sur le greenwashing mettent en évidence les dangers liés à une préoccupation environnementale et sociale qui ne serait que de façade (Parguel et al., 2011). Se joue ainsi la légitimité de l’entreprise au sens de « l’impression partagée que les actions de l’organisation sont désirables, convenables ou appropriées par rapport au système socialement construit de normes, de valeurs ou de croyances sociales » (Schuman, 1995 cité par David et al., 2005).

14À un niveau plus opérationnel, les dirigeants manquent de connaissances sur la RSE, de visibilité sur les bénéfices et les coûts, de ressources (financières, temps, compétences) et de contraintes réglementaires.

Appartenir à un réseau, la clé du succès ?

15Afin de remédier à ces problématiques (difficulté accrue de la prise de décision, problèmes opérationnels), le dirigeant peut profiter d’une démarche collective dédiée aux enjeux sociétaux des PME (Berger-Douce, 2008), de l’aide de leur expert-comptable (Berger-Douce, 2012) ou encore d’un réseau professionnel. Quairel et Auberger (2005) notent que les relais de la RSE peuvent se trouver, dans le cas des PME, « au niveau des territoires » car « l’ancrage territorial dans le bassin d’emploi est fondamental ». Cela fait dire à ses auteurs que « des réseaux du type “réseaux régionaux” pourraient rendre crédible la démarche de RSE dans les PME ». Nous présentons ci-après le réseau Produit en Bretagne sur lequel porte cette recherche.

16Un réseau d’entreprise est défini par l’INSEE comme un « ensemble d’entreprises entretenant entre elles des relations formelles qui prennent la forme de contrats (de franchise, de concession) entre les unités et non de liens financiers, ce qui les différencie des groupes. Les contrats précisent l’étendue des actions communes sans aller jusqu’au contrôle ». Le réseau que nous étudions, PEB, est un réseau territorial d’entreprises qui partagent des valeurs. Les conditions d’appartenance sont donc multiples, elles nécessitent l’appartenance à un territoire au sens de Courlet « ensemble de facteurs aussi bien matériels qu’immatériels […] associé aux avantages que présentent la diminution des coûts de transaction et l’existence d’économies externes, un système de relations économiques et sociales […] et un système de gouvernance local » mais également un partage de valeurs (éthique, solidarité, ouverture, audace et convivialité, souci de la qualité, respect des salariés et de l’environnement). Cependant, la RSE en tant que telle n’est pas évaluée par le réseau PEB. Si certaines entreprises adoptent une politique RSE, leur évaluation reste située au niveau de l’entreprise.

17Ces rencontres viendront s’ajouter aux rencontres mensuelles des commissions qui animent la vie de PEB. Ces échanges sont la base des échanges formels entre les membres. L’appartenance au réseau implique nécessairement des échanges et un partage de valeurs.

18Le fait d’appartenir à un réseau d’entreprises, ce qui est le cas de beaucoup de dirigeants, permet d’accéder et de partager des informations sur la RSE. Quairel et Auberger (2005) proposent un modèle permettant de comprendre le processus d’intégration de la RSE dans la stratégie des PME.

19Comme le souligne Bonneveux (2010, encadré 2, p. 302), « l’intérêt de la démarche collective est double : elle permet d’une part de mobiliser plusieurs acteurs vers un objectif commun, ici la prise en compte de la RSE au niveau stratégique et d’autre part de dynamiser le tissu économique local, celui-ci se traduisant le plus souvent, pour les collectivités territoriales, par des retombées économiques positives provenant d’investissements financiers ou d’implantations d’entreprises ».

20L’objectif de la recherche est d’étudier le rôle des réseaux professionnels dans l’adoption d’une démarche responsable par leurs adhérents. Plus spécifiquement, notre intérêt se centre sur le rôle de la démarche collective innovante proposée par le réseau Produit en Bretagne (présenté en encadré 1) dans l’intégration des principes de RSE et aux mécanismes sous-tendant cette intégration. Les travaux d’Élise Bonneveux (2010), résumés dans l’encadré 2, mettent en valeur l’importance du lien social dans l’adhésion à un réseau. La solidarité et la recherche de lien social apparaissent ainsi particulièrement saillantes dans le discours et dans les procédures du réseau Produit en Bretagne :

« Une poignée d’amis chefs d’entreprises nord-finistériens, inquiets face à cette conjoncture difficile, se demandent comment donner à l’économie Bretonne une autre impulsion ? »

« L’association a pour objet de contribuer, dans un esprit d’éthique et de solidarité, au développement de l’emploi régional, à travers la dynamique économique et culturelle de la Bretagne. »

21Le fonctionnement de l’association et son adhésion nécessitent un engagement dans une des commissions de l’association. Celles-ci ont pour but de faire vivre l’association et d’en assurer sa pérennité. Elles constituent également le principal échange formel entre les membres puisque chaque commission se réunit au moins une fois par mois.

22Cette importance de la valeur sociale apparaît clairement dans la charte. « Chaque membre de Produit en Bretagne s’engage ainsi à rencontrer tout autre membre qui le sollicite, et à consulter les autres membres lors des appels d’offres qui pourraient les concerner. » Ces incitations à être solidaire, à partager et développer un lien sous-tendent les relations entre les membres. L’adhésion permet-elle la création de relations informelles entre les membres rencontrés en dehors du réseau au-delà des relations formelles lors d’événements organisés par le réseau, de la participation à une commission ou à un groupe de travail ? Quel est le rôle respectif des relations formelles et informelles dans l’adoption des normes et des valeurs propres à Produit en Bretagne ? Dans l’adoption de la mise en place de la RSE ? Ces thèmes n’ont pas été abordés par Élise Bonneveux (2010) qui se concentre surtout sur les relations formelles dans le cadre des manifestations organisées par le réseau et constituent l’objet de recherche de notre entretien dans la partie suivante.

Le réseau « Produit en Bretagne », la RSE, vus par Marie-Laure Collet (MLC), membre du directoire et dirigeante d’Abaka Conseil

23Afin de mieux comprendre les mécanismes formels et informels par lesquels les réseaux d’entreprise permettent de favoriser l’adoption, la mise en place et le succès d’une démarche de RSE, un entretien exploratoire a été mené auprès de la dirigeante d’Abaka Conseil, ancienne responsable de la commission RH du réseau2 PEB et nouvellement membre de son directoire, le 6 mai 2014. Nous avons fait le choix d’un entretien unique relativement long (3 heures) afin d’illustrer les résultats de la littérature sur les réseaux et les PME et d’explorer en profondeur le vécu et le ressenti du manager ce qui nous a permis de faire émerger des idées nouvelles. Plus précisément, cet entretien souhaite faire émerger les processus informels et formels par lesquelles les PME acquièrent les principes favorables à la RSE.

La RSE ? Le « bon sens du paysan breton »

La définition de MLC

24« La RSE n’a rien inventé, elle s’inspire du bon sens du paysan breton. Il s’agit là de convoquer des valeurs essentielles pour lesquelles des dirigeants se retrouvent. » Son éthique de la RSE se traduit par des actions en faveur de la qualité de vie. Un double objectif est ainsi poursuivi. Il s’agit de se distinguer par un comportement d’entreprise citoyenne au plan sociétal à l’extérieur, et par souci de cohérence interne, de démontrer l’engagement du dirigeant envers ses salariés. à titre d’exemple de « cohérence externe et interne ». Abaka est implantée sur le campus de Kerlan et Abaka est à la tête de Kerlan mobilité. En résumé : « L’essentiel, c’est d’aller vers un nouveau style d’exemplarité en cherchant à faire au mieux, s’améliorer et bonifier. »

La RSE en actes par rapport au développement durable chez Abaka

25D’après MLC, le choix du cadre de vie de l’entreprise est révélateur de cette conscience du dirigeant. L’entreprise, située sur le campus de Kerlan, est « dans un écrin de verdure ». D’un point de vue écologique, cela consiste en une forme d’hygiène de vie visant la réduction des coûts et des déchets. Les actions significatives chez Abaka concernent la mise en place d’une imprimante centrale pour l’ensemble des salariés (n = 25), l’informatisation de tous les fichiers clients et l’installation d’une fontaine à eau. Au-delà de cet objectif, ces aménagements visent la création de lien social par un espace de vie propice à la convivialité pour fédérer autour d’un projet commun.

La RSE en actes par rapport au style de management et aux pratiques de GRH, d’organisation interne

26« Faire travailler les gens de manière confortable » est un leitmotiv pour la dirigeante. Dans cette quête, elle espère que son style de management soit perçu comme bienveillant par ses collaborateurs. à titre d’exemple, elle se réjouit d’accueillir les « heureux événements » de ses collaboratrices en offrant « de la flexibilité, permettre à des femmes de faire le choix de travailler à temps partiel […] de dire, en termes d’organisation ça va être dur. Bien sûr, on va devoir s’arranger. La RSE c’est ça, c’est la responsabilité du chef d’entreprise ». Elle préfère rechercher l’optimisation de la profitabilité de son entreprise sur le long terme en respectant les biorythmes de ses salariés et donc de son organisation ou encore, être très à l’écoute des propositions d’amélioration pour « mieux vivre ensemble ». En termes de pratiques de GRH, MLC vise la formation et le développement de ses collaborateurs de manière permanente par une anticipation forte des besoins (entretiens professionnels) et une planification très structurée du plan. Aussi, le développement d’actions en faveur de la qualité de vie au travail est prioritaire :

« L’univers du travail aussi difficile soit-il, doit être agrémenté par la modernisation, l’optimisation et le souci du bien-être […]. Une fois tous les 15 jours, nous avons ce qu’on appelle une réunion plénière. Je rassemble tous mes collaborateurs ici au siège et, en parallèle, j’ai deux femmes qui viennent, qui font du shiatsu et j’offre une séance de shiatsu à chacun de mes collaborateurs […]. Je leur ai permis aussi d’avoir des sophrologues qui viennent tous les mois. »

Les pratiques d’ABAKA par rapport à son environnement

27À titre d’exemple par rapport au recrutement, il s’agit d’objectiver une prise de décision au regard de l’identification d’un besoin chez le client.

« Nous devons respecter une méthodologie, des process pour garantir au mieux, le fait de présenter des candidats qui conviennent au poste, qui conviennent à l’organisation, qui conviennent à la vie et à l’histoire de l’entreprise […]. Une candidature n’est pas traitée une fois pour toutes, ce qui permet au candidat de continuer son évolution telle que la vie le façonnera (formation, réorientation de carrière) et par ailleurs, l’entreprise n’est pas statique. Cela veut donc dire qu’il peut trouver une autre place à un autre moment dans l’entreprise. Quand j’ai dit cela, je parle de déontologie du SYNTEC3, je parle de “à compétences égales”, je parle de “FACE”4. »

28Ainsi, d’un point de vue déontologique et socialement responsable, cela consiste à savoir présenter des candidats au regard d’un poste à pourvoir en valeur absolue, cela revient à dire que le candidat est adapté ou inadapté au poste et en aucun cas de porter un « jugement subjectif, en évitant les abus de langage ». à titre d’exemple, pour le choix des fournisseurs, la dirigeante est soucieuse de l’adéquation entre le discours RSE et les pratiques incarnées et vécues en interne. En résumé, elle choisit ses clients et ses fournisseurs en recherchant une cohérence maximale entre ses valeurs et celles qu’ils partagent avec elle.

Apports du réseau : un soutien social fort, des échanges de bonnes pratiques et de bons procédés

Le choix d’intégrer le réseau ? Tisser des relations authentiques et formelles avec des dirigeants locaux

29L’engagement sociétal est un fil conducteur de l’histoire de vie de MLC. Ils peuvent être synthétisés en deux axes : l’emploi et la territorialité. Premièrement, concernant l’emploi, elle estime que certains problèmes sont mal abordés comme celui de la transférabilité des compétences. « Il y a 3 millions de chômeurs en France et 800 000 postes non pourvus ! » Deuxièmement, sur le territoire, selon elle, nombreuses sont les entreprises à ne pas connaître le tissu économique local. Les TPE/PME éprouvent, par exemple, de grandes difficultés à attirer et recruter des talents : une procédure de recrutement pouvant se solder par un coût élevé (direct et indirect par l’énergie à mobiliser sur ces dossiers). Ces deux axes « solidarité » et « territoire » sont en congruence avec les valeurs véhiculées par PEB dont les piliers sont l’emploi, le territoire et la solidarité.

30L’intégration se traduit par la possibilité d’écouter des chefs d’entreprise sur des sujets liés au développement économique de la région et au travail sur le bien-fondé d’une société.

« Le tout premier à m’avoir proposé d’adhérer au réseau c’est le patron de S. et puis après on m’a de plus en plus sollicitée. La mise en réseau d’accord mais ce qui importe c’est le don de soi et ce qu’on y investit… S’engager pour faire évoluer l’image de marque de PEB. »

31L’idée principale est ici de ne pas seulement faire acte de présence et de coprésence avec d’autres dirigeants dans un réseau visible mais bien, de tisser des relations de soutien social authentiques.

32Il s’agit en fait d’un réseau d’influence, un lobbying. « Notre chance depuis des décennies, c’est que les grands patrons bretons ont fait leurs preuves : Pinault, Leclerc, Armor Lux, Yves Rocher, Beaumanoir, Le Duff, Samsic, rien ne fait peur à un patron breton. Le chef d’entreprise breton par vents et marées même s’il est hyper-excentré géographiquement, s’agite de tous les côtés. » Tous les membres du directoire sont influents.

33Le temps formel alloué à l’engagement dans le réseau est d’une demi-journée par mois et en temps informel, « cela ne me quitte jamais de mon réveil à mon coucher. L’emploi, la solidarité et le territoire font partie de mon hygiène de vie ».

D’une logique de rassemblement professionnel au développement de relations de soutien informel : les conséquences de la convivialité

34Au-delà de l’intégration formelle dans le réseau, il y a l’idée pour le dirigeant, de trouver une équipe, de sortir de l’isolement afférent à sa fonction : « Quand le navire est dans la tempête, les navigateurs se serrent les coudes. Être ensemble sans aucun jugement de valeur. » Pour elle, le monde financier a pénétré les organisations et déréglé la valeur patrimoniale de l’entreprise. Les objectifs performatifs sont si centraux qu’ils relèguent le lien social au second rang. Les sujets sociétaux de fond comme la RSE ne sont pas prioritaires dans l’activité des dirigeants au regard de la lourdeur des règles (financières, administratives, RH, etc.) et l’agenda du dirigeant déjà si chargé : « Comment voulez-vous lorsque les journées font 24 heures que la RSE soit privilégiée par rapport au respect du droit social ? » D’où l’intérêt du réseau, il y a bien là l’idée d’une association de personnes dont le but est d’échanger sur des problématiques qu’elles n’ont pas le temps de considérer au quotidien en prenant de la distance.

35Le réseau PEB est connecté et « entraidant ». Les mécanismes de partage de l’information ne sont pas uniquement formels (réunions, comités de pilotage des commissions5), ils peuvent aussi être informels (appels, déjeuners entre membres du réseau). Les mécanismes informels facilitent la transmission d’information. Notamment sur les pratiques. « Je sais que je peux appeler n’importe qui et n’importe quand si j’ai besoin d’échanger sur les pratiques. » On peut parler de processus en double boucle : la confiance entre les membres du réseau est alimentée par les échanges et elle les favorise et les renforce. Les membres de PEB seraient « bienveillants » et « vertueux » en s’inscrivant dans une dynamique économique positive. à titre d’exemple, lorsqu’une entreprise est en difficulté, l’entraide est « réelle » mais pas « clinquante ». Autre exemple, deux concurrents peuvent sur une même période, chercher à développer un nouveau produit et parallèlement s’entraider pour y arriver.

Une vision partagée de la RSE parmi les dirigeants du réseau avec un écart entre l’intention et l’action

36Les valeurs partagées et centrales sont l’emploi et la solidarité mais en pratique, mettre en œuvre une politique d’entreprise visant conjointement le développement durable, l’investissement dans des fonds éthiques, l’investissement dans le bien-être des salariés et le respect des parties prenantes n’est pas une mince affaire ! « Ces sujets sont attractifs mais nos journées nous laissentelles tout le temps de le faire ? » MLC plaide en la faveur d’une démarche itérative qui place les priorités d’action en fonction de l’histoire, de la culture, de la personnalité du dirigeant et de ses valeurs. La prise de conscience est donc effective. Pour autant, qui met en œuvre la RSE dans l’entreprise ? Si la Direction du développement durable ou encore la Direction de la responsabilité sociale sont des services en devenir et créant de l’emploi dans les grandes entreprises, les TPE/PME n’ont pas le même capital compétence ou encore les moyens d’investir ce domaine. « Pour le gestionnaire RH, la RSE est normalement naturelle. Pour autant, heureusement que le cadre légal régularise pour que tout le monde garde un peu le cap. » Autrement dit, si le réseau autorise le partage d’expérience, il n’est pas garant d’une harmonisation des pratiques même s’il permet par l’existence d’une commission RH, de jouer le rôle d’incubateur de bonnes pratiques, de formations des dirigeants et des gestionnaires de ressources humaines.

37Consciente de son rôle d’alerteur de consciences par rapport à la RSE, la dirigeante estime que « chacun s’approprie ce qu’il a envie de mettre en œuvre ». à titre d’exemple, si le dirigeant de l’entreprise C, « dont l’agilité intellectuelle et le leadership sont remarquables » parce qu’il considère ses collaborateurs comme des partenaires « précieux », place leur bien-être comme socle de la bonne santé de l’entreprise, d’autres dirigeants sont à l’étape d’une pensée embryonnaire… D’où l’importance du cadre réglementaire qui sert de guide, de « garde-fou » pour ceux qui verrait la RSE uniquement comme une contrainte supplémentaire à leur cahier des charges.

38En résumé, le réseau PEB interroge

« la problématique de traduction du capital humain. Cela fait crier parfois ! Deux termes si antinomiques, le business et l’aventure humaine […]. Le capital humain devrait avoir plus d’importance que le bénéfice réalisé et tout cela, au profit de l’innovation, quelle que soit sa nature. L’objectif est de redistribuer et de fidéliser… Pour créer un cercle vertueux. Mon souhait utopiste serait d’apporter une ligne au bilan comptable sur le capital humain ».

39Si l’intelligence relationnelle et collective, la pluridisciplinarité et l’entraide sont au cœur des valeurs unissant les dirigeants du réseau PEB, la voie qui mène vers l’objectif de pratiques RSE incarnées par ces mêmes dirigeants et bénéficiant à leurs salariés et leurs parties prenantes, est longue. Les perspectives sont néanmoins très encourageantes et positives.

Conclusion

40L’objectif de cette contribution était de mettre à jour les mécanismes informels et formels par lesquels les réseaux d’entreprise permettent de favoriser l’adoption, la mise en place et le succès d’une démarche de RSE. À travers les propos d’une dirigeante d’entreprise, on prend conscience de l’existence d’une véritable solidarité entre les membres du réseau Produit en Bretagne et d’une confiance qui s’est construite à travers des échanges formels ou informels.

41Ces propos soulignent aussi la difficulté à mettre en place une démarche RSE au sein des TPE-PME. Elles sont liées à un agenda chargé et à la nature du travail du dirigeant de TPE-PME. En effet, le dirigeant est souvent seul et parfois déboussolé. Cette difficulté peut être tempérée par des mécanismes informels et notamment par la possibilité d’entrer en contact avec les autres membres du réseau n’importe où et n’importe quand.

42Le réseau favorise les échanges formels et les partages d’information dans le cadre des commissions et des assemblées. De la même manière qu’un outil de gestion (Lorino, 2002), ce réseau, aux modes de fonctionnement formalisés, modélise les représentations des individus, génère et structure un réseau plus informel. Ce réseau informel constitue une ressource au moment de la mise en place de la RSE dans l’entreprise et lors des événements qui vont venir ponctuer la vie de l’entreprise. Le réseau Produit en Bretagne pourrait très bien renforcer ce réseau informel en améliorant le partage d’information entre les membres du réseau par l’intermédiaire des outils informatiques. La création d’une véritable communauté virtuelle de partages de meilleures pratiques et de soutien social pourrait renforcer la solidarité entre les membres du réseau et bien sûr faciliter le partage d’information.

43Si cet entretien apporte un premier éclairage à nos questions de recherche, l’adhésion permet-elle la création de relations informelles entre les membres, de rencontres en dehors du réseau au-delà des relations formelles lors d’événements organisés par le réseau, la participation à une commission ou à un groupe de travail ? Quel est le rôle respectif des relations formelles et informelles dans l’adoption des normes et de la mise en place de la RSE ? Il serait intéressant de réfléchir aux moyens formels d’introduction des normes et sur les méthodologies de diagnostic de la RSE élaborées par les réseaux d’entreprises afin d’étudier leur adaptabilité à la taille et au marché des PME.