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Un médecin, un soignant et un gestionnaire sont dans un bateau… La compétence collective au sein des pôles hospitaliers
p. 47-63
Texte intégral
Introduction
1La question de la coopération dans les hôpitaux n’est pas récente. Elle reste cependant très opaque, le fonctionnement interne de ces organisations ayant longtemps constitué leur « boîte noire » (Lenay et Moisdon, 2003). Les hôpitaux sont en effet constitués par des professionnels dont l’autonomie d’organisation représente une des bases de leur travail (Freidson, 1988 ; Mintzberg, 1982). Cette recherche d’autonomie se retrouve formellement dans le fonctionnement des hôpitaux publics français au travers de « l’amendement liberté » (article L. 6146-8 du Code de la santé publique), qui stipule que chaque établissement détermine lui-même sa propre organisation interne. Toutefois, cette autonomie de fonctionnement a souvent été contestée en raison des dérives individualistes qu’elle engendre : absence de communication entre et au sein d’une même unité, distanciation de l’intérêt porté au patient au privilège de ses propres contraintes, éclatement des logiques organisationnelles, ou tout simplement déficiences d’organisation du travail collectif. La question de la coopération au sein des hôpitaux est donc centrale.
2Partant en partie de ce constat, la réforme de la « nouvelle gouvernance hospitalière » de 2007 remet en question cette liberté d’organisation des hôpitaux, en obligeant ces derniers à adopter une structuration par pôles d’activités. Un pôle d’activité consiste en un regroupement d’unités cliniques (services, unités fonctionnelles) sous une logique commune (de soin, géographique, technique), qui vise à favoriser la transversalité disciplinaire et la mutualisation des ressources. Par exemple, un pôle mère-enfant, constitué dans une logique de processus de soin (du suivi de la femme enceinte au soin du nouveau-né), peut comprendre des services de gynécologie-obstétrique, de génétique, de néo-natalité, ou encore de pédiatrie. Ces pôles d’activité sont inspirés des clinical directorates anglais, développés dans les années 1980 et 1990 (McNulty et Ferlie, 2004). Ils renvoient à la problématique plus globale de réorganisation des organisations publiques au niveau international, dans la vague des réformes liées au nouveau management public (NPM).
3L’objectif des pôles est double : il vise d’abord à déléguer la réflexion médico-économique à des professionnels, ancrés sur le terrain, avec le présupposé que leurs décisions seront plus pertinentes ; ensuite à favoriser la transversalité disciplinaire, permettant à des professionnels de réfléchir conjointement en termes de projet de soin ou d’organisation des équipes. De fait, il est attendu de cette réforme qu’elle produise à terme une meilleure articulation entre la direction et les services fonctionnels d’une part, et les différents professionnels d’autre part (médecins et soignants). Afin de permettre cette articulation, la même réforme crée un trio de pôle composé d’un médecin chef de pôle (dont le rôle est de coordonner les acteurs du pôle autour d’objectifs médico-économiques négociés via un contrat interne avec la direction), d’un cadre supérieur de santé et d’un cadre administratif (censés assister le chef de pôle respectivement sur les aspects soignants et budgétaires du pôle). À ces trois acteurs, les hôpitaux ont parfois décidé d’y ajouter un directeur référent, membre de la direction générale dont le but est de superviser directement le trio de pôle. Ce sont ces quatre acteurs que nous avons choisi d’étudier ici comme symboles d’une tentative de décloisonnement des logiques hospitalières : gestionnaire (via le directeur référent et le cadre administratif), médicale (via le chef de pôle) et soignante (via le cadre supérieur de santé).
4La question que nous posons dans cette contribution est la suivante : médecins, soignants et gestionnaires peuvent-ils développer une relation interprofessionnelle coopérative, sous le prisme de la compétence collective ? Pour traiter cette problématique, nous utilisons le prisme de la compétence collective, que nous appliquons aux cas des « gouvernants » de quatre pôles (directeur référent, chef de pôle, cadre supérieur de santé, cadre administratif) rencontrés et observés au sein d’un CHU français. Notre analyse nous mène à constater le développement de prémices de compétence collective interprofessionnelles, limitée par le manque d’expérience de collaboration entre acteurs. Nous dis cutons finalement l’impact modéré de la réforme et le fort besoin de coopération demeurant entre les autres personnels hospitaliers.
Être compétent collectivement à l’hôpital : pourquoi ?
5La loi HPST dont les mesures s’articulent autour de l’organisation régionale de la santé, la gouvernance des hôpitaux, l’accès aux soins, la prévention et les ordres professionnels, modifie en profondeur les périmètres de responsabilité des acteurs quelle que soit leur position sur la ligne hiérarchique. « L’hôpital entreprise » est critiqué et notamment par l’affaiblissement du pouvoir médical au profit de celui des directeurs d’établissement eux-mêmes « désemparés » (Pierru, 1999) face à une crise morale profonde (Couanau, 2003).
L’hôpital : une bureaucratie professionnelle à l’épreuve du changement !
6S’appuyant sur la standardisation des comportements, l’intérêt de la bureaucratie professionnelle réside dans son fonctionnement démocratique « disséminant directement le pouvoir aux opérateurs (au moins à ceux qui sont professionnels) à qui elle donne une autonomie considérable, les libérant même du besoin de coordonner étroitement leur activité avec celle de leurs collègues, et de toutes les pressions et de l’activité politique qui en résulte » (Mintzberg, 1982, p. 329). Parallèlement, les limites associées à cette organisation sont les problèmes de coordination, de contrôle et de conflits suggérant un besoin de loyauté pour définir des stratégies et fonctionner en mode « projets ».
7Si « l’autonomie permet aux professionnels de perfectionner leurs qualifications, sans interférences » (ibid.), elle induit des problèmes de coordination entre les « donneurs d’ordre » et les « fonctionnels » ou plus sérieux encore, entre les professionnels eux-mêmes. Problèmes auxquels s’ajoutent les contraintes de classement liées à la tarification, source d’un grand nombre de conflits induit par le déploiement permanent d’énergie dans la redéfinition continuelle des cas. Dans cette perspective, le fonctionnement de l’hôpital tient à la compétence, à la conscience et à la vigilance des professionnels sur lesquels l’impuissance relative des mécanismes de contrôle est éprouvée (ibid., p. 330). Par ailleurs, l’autonomie couplée à l’impossibilité de contrôle total permettent aux professionnels de faire l’économie d’une connaissance fine des besoins de leurs patients et pour nombre d’entre eux, de l’organisation. Cette configuration conduirait à un manque de sentiment d’appartenance à l’équipe et à l’organisation. Pourtant, cette dernière a besoin de personnes – pour supporter ses stratégies – pour réguler ses conflits et pour innover.
8L’illusion du contrôle appelle à une réflexion managériale. Alors que Mintzberg (ibid., p. 309) précise que les facteurs de contingence de la bureaucratie professionnelle résident dans un environnement complexe et stable, il est à noter que le NPM et les restructurations successives qu’il induit, caractérisent une instabilité environnementale, tout du moins pour ceux qui vivent l’organisation. L’hôpital cherchant à combiner les exigences de retour à l’équilibre financier et la qualité et la sécurité des soins aux usagers, peut ainsi être associé à des conflits de valeurs pour les professionnels (Girard, 2009), source de souffrance au travail.
9Pragmatiquement, la loi HPST (2009) demande aux responsables de structures de santé et à leurs délégations de répondre aux « nouvelles missions managériales » – management de l’activité et des hommes et ce, dans un contexte de limitation des dépenses – et à la conduite de projets en étant capables dans le même temps, d’assurer l’articulation entre les logiques des administrateurs, des médecins, des paramédicaux, des cadres administratifs, des patients et de leurs familles. Ainsi, si la coordination et le maillage interpersonnels sont stratégiques, ils singularisent la problématique majeure de la bureaucratie (Mintzberg, 1982), aujourd’hui cristallisé par les contraintes de classement et de tarification de l’activité de soin, source d’un grand nombre de conflits. Dans ce contexte, porteur de la stratégie initiée par le « top management », les délégations de gestion ou « management de proximité » assurent un rôle de carrefour dans les domaines de la communication et de l’information faisant « circuler l’information entre les différentes catégories professionnelles, en la faisant remonter vers le haut de la hiérarchie (par exemple, les doléances des soignants) et en la faisant redescendre vers le bas (en organisant des temps d’échanges) » (Douguet et Munoz, 2005, p. 152). Ce rôle de courroie de transmission (De Chergé, 1992) est d’autant plus important que le NPM introduit une gestion par objectifs centrée sur l’efficience, la performance et plus récemment la qualité, couplée à une décentralisation administrative, à l’adoption des principes de marché et privilégiant la contractualisation comme principale forme de coordination entre les acteurs (Dawson et Dargie, 1999).
10En conséquence, le positionnement du trio de pôle est dit « gouvernant ». Gouverner (Faems et al., 2008), c’est assurer la tension entre coordination et contrôle. Quand la coordination réside dans la gestion des processus d’échange par l’établissement de normes de fonctionnement, le contrôle consiste, lui, à gérer le résultat de l’échange en définissant d’éventuelles sanctions afin d’induire la performance des relations interpersonnelles. Ainsi, si la nouvelle gouvernance modifie considérablement les périmètres de responsabilités de la ligne hiérarchique, déterminant une transversalité de rôles pour le trio, son pouvoir stratégique de coordination est limité par l’influence croissante des dispositifs de régulation régionaux couplée à la problématique de leur représentativité1 dans les instances et les espaces de discussion décisionnels, au niveau de leur établissement.
Développer le sentiment d’appartenance dans le trio de pôle : le but ? être compétent collectivement
11Pour Chédotel (2005, p. 1), la compétence collective réside dans la création « d’une subtile alchimie entre collaborateurs, de façon à obtenir une performance d’équipe ». Dans cette perspective, le manager n’a plus seulement le rôle de gestion et de développement des compétences individuelles mais il incarne l’assemblier par sa capacité à repérer, à réunir et à motiver des profils de collaborateurs dont le « savoir agir ensemble » sera constructif – considérant qu’ils sont interdépendants et qu’ils interagissent – pour faire face à des situations délicates, inédites, voire de crise. Toutefois, la dynamique d’une équipe ne se décrète pas, elle est le fruit d’une représentation partagée : l’intérêt du travail coopératif. En l’absence du partage de cette représentation, aucune identification et donc, aucune coopération ne sont possibles. Comment se créent alors les conditions propices à l’envie d’appartenir à une équipe, à un collectif de travail ?
12Pour Alter (2010), trois situations créent à la fois beaucoup d’ordre et beaucoup de désordre, au sein desquelles s’enracinerait la notion de « compétence collective » et dont le management ferait « un marché ». Ces trois situations font échos aux changements de paradigme de modèles d’organisation dits rationalisants et structurants vers des modèles dits en « mouvement », une dynamique dont l’essence serait d’être sans modèle d’organisation ou de division du travail. Ainsi les trois situations favorables à l’expression de la compétence collective seraient : la nécessité d’appropriation des changements (de plus en plus rapides [produits, règles, techno., rapport au marché]) ; la contradiction/tension entre des injonctions favorables à la prise d’initiative et les dispositifs de contrôle (temps, qualité, efficacité) associée à un manque de cohérence organisationnelle (citant, Weick, 1995) ; et les dyschronies (Alter, 2003) conduisant à « travailler à l’envers2 ». Ces trois situations obligeraient les salariés qualifiés à agir ensemble. Autrement explicité, même en étant compétent, au regard des injonctions contradictoires et de situations de plus en plus inédites et aléatoires, le salarié qualifié ne peut que « constamment se référer aux autres : pour savoir comment faire ou comment interpréter, pour connaître la règle et la tolérance à l’égard de la règle, pour savoir sur qui compter et de qui se méfier ». Comment créer du sens au travail dans ce contexte d’organisation en mouvement sans lisibilité ? Comment sortir d’une vision des injonctions contradictoires, source de tensions, de conflits intra-psychiques et interpersonnels ? Comment la compétence collective peut alors répondre à ce contexte ?
13Dans un article de 2011, Retour et Krohmer ironisaient en introduction, en qualifiant le titre de leur article – « La compétence collective, maillon clé de la gestion des compétences » – d’excessif ! Pourtant les ambitions affichées par les auteurs sont louables lorsqu’il s’agit d’une part, de réconcilier les actions menées par les entreprises visant le fonctionnement collectif et l’individualisation paradoxale des pratiques de GRH et d’autre part, faire montre que la compétence collective peut constituer un avantage concurrentiel central pour l’entreprise. La compétence collective a ainsi été conceptualisée par de nombreux chercheurs (tableau 1). Pour Retour et Krohmer (2011), les attributs de la compétence collective sont quadruples. Premièrement, le référentiel commun se traduit par un système voir un patrimoine de représentations uniformisées et partagées, résultant d’informations détenues et échangées par les membres du groupe, d’un travail d’élaboration collective. Deuxièmement, le langage partagé s’illustre par un système de vocables partagé, permettant d’interagir rapidement par une compréhension de codes verbaux et non verbaux consistant « à se comprendre à demi-mot ». Ce langage consiste un socle d’économie de coûts de transaction. Troisièmement, la mémoire collective est déclarative, procédurale et de jugement. Concrètement, cela consiste à acquérir des connaissances par l’interaction, acquérir des savoir-faire par la participation à un travail collectif et partager une interprétation commune de problèmes et phénomènes complexes ou inédits. Quatrièmement, l’engagement subjectif se réfère à une prise d’initiative et de responsabilité pour prendre des décisions requises par l’incertitude.
De Montmollin (1984) | Sans tomber dans le mythe du travailleur « collectif », on peut faire l’hypothèse d’une compétence collective, et de sa génèse, lorsqu’au sein d’une équipe les informations s’échangent, les représentations s’uniformisent, les savoirfaire s’articulent, les raisonnements et les stratégies s’élaborent en commun. Cette compétence collective ne supprime bien entendu pas, mais suppose au contraire des compétences individuelles complémentaires. |
Nordhaug (1996) | Les compétences collectives sont « composées des connaissances, de capacités et du code génétique d’une équipe ». |
Wittorski (1997) | Démarche collective et coopérative de résolution de problèmes par l’analyse critique du travail. |
Dejoux (1998) | Ensemble de compétences individuelles des participants d’un groupe plus une composante indéfinissable, propre au groupe, issue de la synergie et de la dynamique de celui-ci. |
Dubois et Retour (1999) | Capacité d’un collectif de travail à inventer en permanence son organisation au-delà de la seule déclinaison d’un schéma d’ensemble formalisé par les règles organisationnelles. |
Pemartin (1999) | Savoir combinatoire propre à un groupe qui résulte de la complémentarité et de la mise en synergie de compétences individuelles dont elle n’est pas la somme. |
Dupuich-Rabasse (2000) | Une combinatoire de savoirs différenciés mis en œuvre, afin d’atteindre un objectif commun dont les acteurs en entreprise ont des représentations mentales communes et de résoudre ensemble les problèmes. |
Guilhon et Trépo (2000) | Ensemble de connaissances (apprises ert formalisées) et de savoirs (tacites et explicites) engagés dans un processus de production, agissant dans une organisation. La compétence collective est composée des produits de l’interaction des individus de même métier ou de métiers différents. Elle est le résultat de la rencontre entre l’organisation et l’environnement au travers de l’interprétation qui crée et définit un langage et un mode de coordination entre les personnes. |
Amherdt et al. (2000) | Ensemble des savoir-agir qui émergent d’une équipe de travail, combinant des ressources endogènes de chacun des membres, des ressources exogènes de chacun des membres et créant des compétences nouvelles issues de combinaisons synergiques de ressources. |
Bataille-Chédotel (2001) | Capacité reconnue à un collectif de travail de faire face à une situation qui ne pourrait être assumée par chacun de ses membres seuls. |
Michaux (2003) | Savoirs et savoir-faire tacites (partagés et complémentaires) ou encore d’échanges informels supportés par les solidarités qui participent à la « capacité répétée et reconnue » d’un collectif à se coordonner pour produire un résultat commun ou co-construire des solutions. |
Tableau 1. – Histoire et définitions de la compétence collective (Retour et Krohmer, 2011)
14Chédotel et Pujol (2012) proposent quant à eux une conceptualisation de la compétence collective en trois axes. Pour ces chercheurs, si la compétence est « une combinaison de ressources, dans une situation donnée rendant capable de » (Defélix, 2003), l’attribut « collégial » consiste à caractériser la capacité d’un collectif ou de l’équipe de travail à faire face à une situation donnée (Chédotel et Pujol, 2012).
15La compétence collective se définit d’abord par le référentiel et le langage opératifs communs aux membres d’une même équipe (Chédotel, 2001). Le référentiel et le langage permettent la coordination et la synchronisation du collectif par le partage d’une même interprétation des situations, minimisant les risques d’erreurs pour agir ensemble face à une situation donnée. Ensuite, la compétence collective se fonde sur la confrontation des représentations des membres de l’équipe pour déterminer les moyens d’action à mettre en œuvre (Krohmer, 2006). Cette confrontation consiste en une interaction basée sur l’activité discursive (réunions formelles et conversations informelles) et l’outil de gestion (tableaux de bord). Elle vise la construction de sens du collectif de travail (Weick, 1995, cité par Chédotel et Krohmer, 2014) et se base sur sa mémoire transactive i. e. la mémoire des expériences antérieures de compétence collective (Michinov et Michinov, 2013). Enfin, la compétence collective se traduit par la capacité à prendre une décision collégiale (Krohmer, 2006) ce qui n’est pas d’emblée, évident. Cette décision est la résultante d’un débat contradictoire, d’une confrontation des solutions/actions à mettre en œuvre au sein de l’équipe (Chédotel et Pujol, 2012). Il se peut que cette décision soit prise indépendamment du collectif du travail.
16Nous retenons ainsi la conceptualisation de Chédotel et Pujol en trois axes. L’objectif de cette contribution est donc de comprendre où en est la compétence collective des trios de pôle dans la mise en place de la nouvelle gouvernance à l’hôpital. La méthodologie est ainsi détaillée ci-après.
Une investigation de six ans pour comprendre les représentations de la compétence collective grâce au discours des acteurs
17Notre étude porte sur l’étude d’un cas de CHU et plus précisément de la gouvernance de son pôle couple-enfant3. Le CHU étudié dispose de 2 000 lits, et compte environ 9 000 personnels en fonction, dont 1 500 médecins et apparentés. Les pôles d’activité y sont au nombre de 24. On trouve des pôles cliniques (12), médico-techniques (6), et administratifs et logistiques (6). Le pôle que nous avons choisi d’étudier est le pôle couple-enfant, qui est un pôle clinique, médico-technique, et chirurgical. C’est le plus gros du CHU puisqu’il comprend environ 575 personnels non médicaux, auxquels s’ajoutent plus de 180 médecins permanents. Il regroupe, symboliquement et géographiquement, cinq départements, dans une logique de « parcours patient » : gynécologie et obstétrique, médecine néonatale et réanimation pédiatrique, pédiatrie, chirurgie pédiatrique, et génétique et procréation.
18Nous avons étudié ce pôle pendant 6 ans, période nous ayant permis d’appréhender sa phase de création et de développement. Nous nous sommes intéressés de près au fonctionnement de sa gouvernance, c’est-à-dire aux relations de travail entre le directeur référent, le chef de pôle, le cadre supérieur et le cadre administratif. Nous avons procédé par trois méthodes. D’abord, nous avons recueilli divers documents liés à l’application de la réforme dans l’établissement (présentations de la direction, outils de pilotage…), et plus spécifiquement dans le pôle couple-enfant (contrats de pôle, présentations internes…). Ensuite, nous avons interrogé des acteurs du pôle (chef de pôle, cadres supérieurs, cadres administratifs, directeurs référents, chefs de service) et hors pôle (directeur général, directeur général adjoint, président de CME, DRH, DAF…), cela parfois à plusieurs reprises (à titre d’exemple, le chef de pôle a été interrogé quatre fois). Au total, nous avons mené 24 entretiens. Enfin, nous avons également observé 12 réunions de fonctionnement du pôle (restreintes ou élargies), réunissant les quatre acteurs étudiés.
19Nous avons finalement codé nos matériaux à travers la grille de lecture de la compétence collective de Chédotel et Pujol (2012) en questionnant dans notre terrain ses trois attributs :
- le référentiel et le langage opératifs communs : nous avons codé sous cette catégorie l’ensemble des discours et comportements indiquant la présence de normes, valeurs, vocabulaires partagés par les acteurs (ou au contraire sources de divergence) ;
- la confrontation des représentations : nous avons codé en tant que tel les verbatims traitant de moments de réflexion collective, de discussions de groupe, où les acteurs échangent sur leurs points de vue, particulièrement lorsqu’ils sont divergents ;
- la prise de décision : nous avons codé sous ce thème les actes de validation plus ou moins officielle des réflexions menées, notamment lorsque ces dernières portaient sur des cas problématiques (avec points de vue divergents).
Le développement d’une compétence collective en attente de reconnaissance par les directions
20Les quatre « gouvernants » étudiés dans ce pôle ne se connaissent pas depuis longtemps. L’équipe créée en 2007 lors de la constitution du pôle a implosé en 2009, faisant partir de leur poste la directrice référente et le cadre administratif suite à un conflit sur l’organisation médicale du pôle. La cadre supérieure du pôle s’en est allée peu de temps après.
21Présent depuis la création du pôle, le chef du pôle couple-enfant est un généticien, sans responsabilité d’unité ou de service. Il a été nommé à ce poste par pression de ses confrères, lui-même ne souhaitant pas spontanément postuler. Il est au départ fortement opposé à la logique médico-économique prônée par la direction. Au moment de notre étude, ce chef de pôle est accompagné d’une cadre supérieure sage-femme de gynéco-obstétrique qu’il connaît depuis longtemps, et qui officie alors en tant que cadre supérieure du pôle et d’une cadre administrative, ancienne adjointe des cadres au bureau des entrées. Leur trio est supervisé par un directeur référent, assigné par le directeur général suite au départ de la précédente directrice référente.
Une base de référentiel commun, en développement
22À la base, les quatre « gouvernants » du pôle ne partagent qu’un faible référentiel commun. Issus de professions différentes, ils se retrouvent en décalage, voire même en conflit sur les enjeux du pôle d’activité, et donc sur leurs objectifs personnels. À titre d’exemple, le chef du pôle clame haut et fort que, contrairement à ce que souhaiteraient la direction et son directeur référent, son rôle n’est pas de tenir une réflexion médico-économique pour l’hôpital : il est de soigner.
« Ma réflexion est scandée par une interrogation permanente : est-ce que les soins que nous dispensons auprès des couples et des enfants, sont “ state of the art” ? Sont au niveau requis par l’état d’avancée des sciences, des techniques et de l’éthique. ça, c’est ma préoccupation constante. Est-ce qu’on a le droit de continuer telle activité ? Est-ce qu’on n’a pas le droit ? Est-ce que ces conditions sont décentes ou pas décentes ? Si elles sont pas décentes, est-ce qu’il faut les arrêter parce qu’il y a une suppléance possible à l’échelon régional, ou national ; ou est-ce que, s’il y a pas de suppléance, il faut se battre parfois durement pour les mettre au niveau requis avant tout, et pas faire prendre de risques aux couples, aux enfants, en les prenant en charge. »
23Tous les quatre sont conscients d’appartenir à un pôle, mais le pôle en soi ne semble pas être vecteur d’une dynamique collective. En revanche, le principal projet du pôle, à savoir la création d’un nouveau bâtiment regroupant toutes les spécialités du pôle, constitue une base de discussion et de réflexion commune. Chaque réunion évoque ce projet et constitue le sujet central du pôle. D’ailleurs, la salle de réunion de pôle s’est progressivement enrichie des plans de construction du bâtiment, qui en ornent les murs. Ce projet semble donc servir lui aussi de référentiel commun entre les acteurs.
24Au-delà de ce projet, les quatre acteurs ont une référence commune : ils ont tous appartenu précédemment à l’hôpital, et, à l’exception du directeur référent, aux services que comprend le pôle couple-enfant. Le chef de pôle fait partir du service de génétique et procréation, la cadre supérieure sage-femme appartient au service gynéco-obstétrique, la cadre administrative était auparavant adjointe des cadres au bureau d’entrées des urgences pédiatriques. Bien que n’ayant pas appartenu au même service, ces trois partagent donc un passé commun. Le directeur référent, ayant été délégué à ce pôle récemment, s’est, pour combler ce manque de référentiel, beaucoup investi dans le fonctionnement du pôle. Cette appartenance au même univers leur permet une meilleure compréhension et surtout l’utilisation d’un même langage. Ce langage partagé se retrouve particulièrement entre le chef de pôle et le directeur référent, qui discutent librement de problématiques d’organisation médicale ou de recherche d’économies au cours des réunions – là aussi autour de tableaux de bord. Cette proximité de langage (qui dépasse la dimension technique) amène même la cadre supérieure sage-femme à comparer les deux acteurs.
« Chef de pôle. — Mais tu sais que le taux d’occupation en néonat est très faible. Il est pas si important que ça.
Cadre supérieure sage-femme. — Non ! Non, je ne peux pas te laisser dire ça ! On dirait le directeur référent ! »
25Ces différents éléments constituent un référentiel commun aux quatre « gouvernants » du pôle. Bien qu’ils ne soient qu’en développement (leur mémoire collective étant encore jeune), ils permettent néanmoins aux acteurs d’interagir pour réguler les problèmes.
Des savoirs partagés librement
26L’activité de gouvernance collective du pôle couple-enfant prend la forme de différentes réunions : réunions restreintes (directoires de pôle), réunions élargies (bureaux de pôle), et réunions plénières (conseils de pôle). Ces réunions sont théoriquement propices aux échanges entre « gouvernants ».
27Dans les faits, elles s’avèrent être des moments de partage d’informations et de savoirs. Elles permettent notamment aux acteurs de mobiliser leur langage commun, issu de leur histoire dans l’hôpital. Il n’est donc pas rare en réunion de pôle de voir le chef de pôle, la cadre supérieure sage-femme, la cadre administratif et le directeur référent discuter ensemble autour de tableaux de bord reprenant l’activité du pôle ou des données d’effectifs. Dans ce cadre, la présence d’outils de pilotage permet également de favoriser les discussions entre ces quatre acteurs. Qu’il s’agisse du contrat de pôle conclu avec la direction générale, de tableaux de bord de suivi des effectifs ou de suivi des budgets de remplacement, les outils sont porteurs de sens pour chacun d’eux (car ils adoptent un langage partagé, celui de l’organisation du travail). Il peut par exemple être question de l’organisation d’une unité de soin.
« Cadre supérieure sage-femme. — Si on passe de 33 lits à 41 lits, quel va être mon taux d’occupation ? Il sera de 84,18. Alors c’est vrai que ça fait moins chic que 114,16. Mais voilà. Je me dis est-ce qu’en stratégie il faut le faire ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Je trouve que ça veut rien dire puisque je les utilise les 41 lits. Qu’est-ce que tu dis, toi ?
Chef de pôle. — Moi je pense que si vous utilisez 41 lits, il faut que les 41 lits soient déclarés. D’autant que je vous rappelle une chose, c’est que vous avez une durée moyenne de séjour qui est de l’ordre de 4 jours. Je rappelle une chose, c’est que, étant donné de la règle des décomptes à minuit, quand tu as une durée moyenne de séjour de 4 jours, le taux maximal d’occupation théorique doit être entre 90 et 95 %. Donc là, tu es proche du taux d’occupation maxi. »
28Cette proximité de langage permet aux acteurs d’échanger librement, et cela même lorsque leurs arguments sont, sinon opposés, divergents. Un exemple typique est la confrontation entre le directeur référent, alors porteur d’un discours de réduction de coûts de fonctionnement, et le chef de pôle, lui, dans un rôle de défenseur de l’offre de soin et des capacités de traitement. Bien que leurs arguments diffèrent, ceux-ci sont confrontés à partir d’une compréhension commune de la situation.
« Directeur référent. — J’aimerais aussi qu’on arrête un peu de réclamer toujours un peu plus. La réponse, elle est que quand on a les moyens de faire fonctionner avec deux puer[icultrices], et encore, même avec ça, on arrive pas à avoir un équilibre recettes/dépenses…, on va avoir un encore plus mauvais niveau recettes/dépenses. Alors comment on fait pour s’en sortir ? […]
Chef de pôle. — Je vais apporter un autre point de vue, beaucoup plus limité mais qui me semble intéressant. Ne remontons pas aux canons grecs. Ce qui est clair, c’est que depuis la mise en place du fonctionnement polaire, il y a presque trois ans, l’activité ne cesse d’augmenter de 5 %, entre 3 et 10 % sur l’activité annuelle, et sans qu’il y ait d’augmentation des moyens dévolus. Alors, on peut dire qu’il y a des améliorations d’efficience, dans la dispensation des soins qui se perdent de facto […]. Mais il faut dire que c’est pas complètement clair, parce qu’il y a certaines des situations auxquelles nous ne répondons pas qui, il me semble, aboutissent à une dégradation des soins offerts aux enfants. »
29Cette proximité de langage et de réflexion permet également aux acteurs de développer une complicité dans les échanges. Les réunions sont alors l’occasion de plaisanter autour des problématiques du pôle et de leur travail quotidien.
30Alors en réunion de signature de leur contrat de pôle (instant relativement formel, en présence du directeur général et de son équipe), le chef de pôle et le directeur référent s’amusent de l’investissement qu’ils ont consacré à l’élaboration du contrat.
« Directeur général [s’adressant au chef de pôle]. — Vous y allez ?
Chef de pôle. — Non, ou Jacques [directeur référent], comme vous voulez …
On vient de travailler 2 heures dessus …
Directeur référent. — Oui, enfin, c’est comme Picasso, hein, une vie et 2 heures …
Chef de pôle. — Oui [rire]… On sort d’une séance de travail de 2 heures dessus …
Directeur référent. — Picasso à qui on disait : “Maître, vous avez peint ça en une minute”, et il répondait : “Une vie et une minute.”
Chef de pôle. — Exactement ! »
31Ce travail d’échange collaboratif permet aux « gouvernants » du pôle de communiquer de manière aisée et libre entre eux, mais pas forcément de prendre des décisions collectives.
Des décisions peu collectives
32Les prises de décision dans le pôle couple-enfant ne reflètent pas complètement la réflexion collective menée en amont. Bien que les acteurs soient libres de communiquer, défendre leur positionnement, les choix effectués ne sont qu’en apparence collectifs. Au final, ce sont le directeur référent et le chef de pôle qui tranchent. Concernant les problématiques d’organisation des soins n’entraînant pas de hausse budgétaire, c’est le chef de pôle qui valide ou impose une décision. Par exemple, sur le sujet des capacités d’accueil des patientes et de leurs bébés en unités kangourou, le chef de pôle tranche et fait le choix, malgré les réticences exprimées de la cadre supérieure sage-femme, de diminuer la durée moyenne de séjour.
« Chef de pôle. — Je connais bien les professionnels du secteur. C’est très bien, c’est un des ressorts de l’attachement des professionnels à leur activité, ils sont tous engagés, ils ont tous l’impression qu’ils font très bien. Ils sont très utiles aux enfants, à leurs parents, et à leurs mères en particulier. Et ils sont persuadés que la porte d’à côté ça sera un peu moins bien. Je pense qu’il faut quand même essayer de temporiser ça. De temps en temps, quand il y aura… quand on sera en manque de place, il faut quand même accepter de faire sortir les mères et de faire revenir les enfants dans des unités d’hospitalisation néonatale classiques, avec des mères qui viennent la journée entre 8 heures du matin et 8 heures du soir, puis qui se reposent chez elles en attendant…
Cadre supérieure sage-femme [l’interrompt]. — Mais comment on va faire en termes de locaux ? […]
Chef de pôle. — Non mais justement ! Il faut faire sortir les mères ! Il faut faire sortir les mères. [En haussant légèrement le ton, détachant bien les mots.] Il faut faire sortir les mères ! C’est pas parce qu’on a une unité kangourou qu’il faut que ces mères restent 20 jours à côté de leur gamin […] ! Nous devrons être obligés, je suis désolé, d’être plus rigoureux, et de dire : “Ben, passé 4-5 jours, quand la maman peut sortir, et ben elle sort, et viendra s’occuper de son enfant en néonat.” On n’a pas le droit de ne pas accueillir des patients qui se présentent à la porte… »
33Lorsque les problématiques de soins entraînent des conséquences financières pour l’hôpital, c’est le directeur référent qui tranche, avec appui du directeur général. Ce processus étant plus discret, nous n’avons pas pu l’observer.
34Les prises de décision de l’équipe de gouvernance du pôle étudié ne sont donc pas particulièrement collectives, malgré l’effort de coopération en termes de réflexion.
Tous compétents collectivement ! Une culture en devenir à l’hôpital…
35Nos résultats montrent que la compétence collective au sein du pôle étudié est en devenir. Premièrement, le référentiel commun se construit. À titre d’exemple, le projet de pôle donne sens au travail collégial autorisant les quatre gouvernants à exprimer un sentiment d’appartenance. Deuxièmement, il existe un partage des savoirs, des représentations de la gestion du pôle. Cela s’illustre significativement par l’organisation de réunions et la formalisation d’outils de pilotage qui favorisent la confiance dans l’interaction. En revanche et troisièmement, les prises de décisions sont peu collectives et trahissent la rigidité bureaucratique façonnant traditionnellement, les modalités d’échanges entre acteurs.
Les freins à l’expression de la compétence collective
36Il est à noter que la mise en place des pôles au CHU date de 2007 et deux gouvernances se sont succédées en sept ans et seul le chef de pôle est resté. Deux pistes de réflexion se distinguent ainsi. D’une part, il apparaît important de prendre en compte la temporalité de l’expérience collégiale comme socle de l’expression ou de l’inexpression des attributs de la compétence collective. Le temps d’apprentissage d’un référentiel commun ou encore d’un langage partagé peut-être long et une expérience de gouvernance – avortée par une mauvaise prise de décision ou encore un conflit interpersonnel – peut empêcher la constitution d’une mémoire collective. D’autre part, si l’alchimie interpersonnelle est une condition de la performance collégiale (Chédotel, 2005), une problématique de l’organisation polaire réside dans les critères de sélection des gouvernants de la tête du pôle. Ainsi, lorsque les gouvernants ne se choisissent ou encore, ne s’entendent pas, comment peuvent-ils prendre se coordonner pour co-produire un résultat conjoint ou réfléchir à l’élaboration de solutions communes ? Cela conduit par ailleurs à mettre en lumière le fait que les jeux de pouvoirs et les enjeux de légitimité professionnelle ou de respect de règles procédurales peuvent prendre le pas sur la logique de la compétence (Mintzberg, 1982). La philosophie de gestion de l’établissement est alors mise en question (Angelé-Halgand, 2013). Le management par la compétence collective ne s’impose pas par ordonnance et la responsabilité et le rôle des directions d’établissement peut s’avérer crucial. Notre cas montrerait-il les mêmes résultats si le chef d’établissement avait choisi de responsabiliser les acteurs en corollaire de l’opérationnalisation de la nouvelle gouvernance ?
Quel avenir pour la compétence collective dans la gouvernance des pôles ?
37Plusieurs pistes de réflexion se dégagent de notre travail. D’abord, la question de la formation des acteurs de gouvernance du pôle nous paraît importante. Jusqu’à présent, les hôpitaux ne semblent avoir consacré que peu d’effort à la formation de ces équipes. Or, une formation collective pourrait permettre de développer non seulement un sentiment d’appartenance parmi ces acteurs mais aussi de construire dès le début de leur collaboration un socle de pratiques et de mémoire communes. Ensuite, une plus forte délégation de gestion nous paraît déterminante pour impliquer les acteurs collectivement. Les contrats de pôle liant les équipes de gouvernance de pôle aux directions générales sont généralement « frileux » : bien que certains budgets leur soient délégués, ils demeurent très limités (budget de fournitures bureautiques, de formation). Déléguer des budgets plus importants (tels que des budgets d’investissement, par exemple) permettrait aux équipes de se sentir responsabilisés, et de plus facilement s’approprier les prises de décision (cruciales dans la construction de la compétence collective). La formation, l’accompagnement par les directions, nous semblent aussi jouer un rôle majeur dans l’extension de ces responsabilités. À un niveau plus stratégique, mener une réflexion sur la politique générale de l’établissement nous semble alors crucial. Les directions d’hôpitaux nous semblent parfois passives ou réticentes quant à la mise en place d’une culture et d’outils de gestion propres, déconnectés des injonctions des tutelles. Or, des initiatives à ce niveau pourraient faciliter l’engagement organisationnel des acteurs de pôle, encore trop restés dans une dynamique d’application de règles.
38En résumé, se saisir du cadre réglementaire de la nouvelle gouvernance pour engager une philosophie managériale de la compétence collective : comment faire ? Les règles du trio ou du quatuor gouvernants le pôle mériteraient d’être réfléchies. Si des règles d’organisation formelles existent, elles sont peu explicites quant à l’organisation de la compétence collective. À titre d’exemples, les fiches de poste définissent théoriquement les rôles, les contrats de pôles s’ils existent désignent les objectifs de moyens de résultats des pôles. Dans certains établissements, les trios/quatuors sont informés voir formés sur les fonctionnements attendus. Toutefois, il n’existe pas de charte de fonctionnement ou en encore de design d’organisation (réunions, prise de décision, etc.). Aussi, il nous apparaît important de souligner le poids informel de la régulation autonome (Reynaud, 1997). Ainsi dans certains pôles, le cadre supérieur est le bras droit du médecin chef de pôle quand sur d’autres pôles, il est son assistant administratif. De fait, les trios/quatuors construisent des règles propres à l’histoire du pôle, à la personnalité du chef de pôles, aux représentations des compétences liées aux statuts, qui mériteraient d’être étudiées.
Conclusion
39Cette contribution visait à approfondir la question de la coopération interprofessionnelle dans les hôpitaux. Cette question est centrale car les hôpitaux se composent de professionnels dont l’autonomie de fonctionnement est susceptible d’enrayer le développement d’une compétence collective. Nous avons profité du lancement d’une réforme en 2007, visant à rapprocher des professionnels hospitaliers (au travers des fonctions de chef de pôle, cadre supérieur de santé, cadre administratif, et directeur référent), pour analyser la coopération interprofessionnelle (entre médecins, soignants et gestionnaires) dans ces organisations. Nous avons cherché à répondre à la question suivante : médecins, soignants et gestionnaires peuvent-ils développer une relation interprofessionnelle coopérative, sous le prisme de la compétence collective ?
40Notre étude a porté sur l’exemple d’un pôle d’activité hospitalier d’un grand CHU français, et de ses quatre « gouvernants » (chef de pôle, cadre supérieur sage-femme, cadre administratif, directeur référent). Nous avons interrogé et observé ces acteurs pendant 6 ans afin de mieux comprendre leur fonctionnement collectif. Afin d’analyser nos matériaux, nous avons utilisé la grille de lecture de la compétence collective.
41Nous avons dégagé de notre analyse que la coopération interprofessionnelle est en devenir : d’abord, parce qu’un référentiel commun se construit entre les acteurs ; ensuite, parce qu’il existe un partage des savoirs, des représentations de la gestion du pôle ; enfin, parce que les prises de décisions sont encore perçues comme peu participatives4. Nous proposons finalement aux établissements concernés de favoriser l’implication de leurs équipes de gouvernance de pôle notamment par une plus forte délégation de gestion et un accompagnement collectif dans leurs fonctions.
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Notes de bas de page
1 À titre d’exemple, le cadre coordinateur de pôle n’est pas représenté au directoire de l’hôpital, contrairement au médecin chef de pôle.
2 P. 350 : « Des dysfonctions qui reposent sur les conflits de temporalités entre changements, chacun d’entre eux ne convergeant ni selon la même vitesse ni vers un même objectif ; cette situation amène souvent les opérateurs à devoir “travailler à l’envers”, par exemple, traiter la demande urgente d’un client ou d’un prestataire interne puis trouver seulement après les procédures permettant de justifier réglementairement la démarche. »
3 Nous remercions l’ensemble des personnels rencontrés pour leur implication dans cette recherche.
4 Cf. Rapport sur l’évaluation des pôles, 2014.
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