1 En d’autres termes, de notre point de vue, les deux propositions suivantes sont devenues obsolètes aujourd’hui : « Toutes les grandes institutions basées sur l’entreprise ont été construites autour de relations fixes et à long terme […]. C’est grâce à ces relations que la sécurité du management des entreprises et la sécurité de l’emploi ont de façon conjointe stimulé les hausses de productivité » (Yamada, 2000, p. 30) ; « L’argument central de l’hypothèse “compagnie-iste” est que les grandes entreprises se trouvent au cœur du mode de régulation et qu’elles ont fortement encouragé l’intégration sociale dans la société japonaise » (Isogai et al., 2000, p. 32). De plus, l’émergence d’un nouveau régime de croissance – (défini par Uemura dans cet ouvrage, p. 139-166), basé sur les changements institutionnels qui ont caractérisé l’économie japonaise au cours de la Décennie perdue – peut également être vue comme une conséquence de la fin de la prédominance du compromis compagnie-iste au niveau macro-économique.
2 L’ouvrage rédigé par Cargill et Sakamoto (2008) constitue une tentative intéressante d’analyser l’évolution de l’économie japonaise depuis le début des années 1980, avec un accent mis sur la déréglementation financière d’un point de vue économique, mais aussi de celui de l’économie politique. Cependant, selon nous, cette tentative est un échec, parce que les auteurs ont laissé de côté toutes les approches institutionnalistes, y compris celles qui prennent en compte les changements institutionnels au niveau micro-économique. Pour plus de détails, consulter notre critique de ce livre qui a été publiée dans la revue Journal of Economics, vol. 97, no 1, 2009, p. 94-96.
3 Il y a toutefois deux exceptions : Lee et al. (2009) pour ce qui concerne les dimensions organisationnelles, et Ito et Lechevalier (2010) pour les choix stratégiques.
4 Faute d’espace, nous nous concentrerons ici sur la dispersion de la productivité du travail. Des résultats similaires ont été obtenus pour la productivité totale des facteurs (PTF) et pour la profitabilité. Concernant ce dernier point voir par exemple Nakamura (2002) et Dosi et al. (2010).
5 Pour une discussion générale sur les hypothèses de complémentarité institutionnelle, voir Boyer (2005a).
6 Sur la distinction entre organisation et stratégie, voir Lechevalier (2007). Dans Ito et Lechevalier (2010), les dépenses en R & D et liées aux exportations sont interprétées comme deux types d’investissements potentiellement liés, mais indépendants. Bien entendu, les auteurs reconnaissent que l’innovation n’est pas limitée aux dépenses en R & D et que les exportations ne reflètent pas toutes les dimensions de l’engagement international des entreprises. Les deux variables sont néanmoins considérées comme des indicateurs satisfaisants en matière de stratégies d’innovation et d’internationalisation. La tentative de Motohashi (1999) d’analyser les complémentarités entre l’innovation (à savoir, l’adoption de nouvelles technologies) et le changement organisationnel est également notable.
7 Une autre différence importante par rapport à Aoki et al. (2007) concerne les données. L’article d’Ito et Lechevalier (2010) ne se concentre pas sur les entreprises cotées comme le fait Aoki et al. (2007), mais utilise une base de données administratives (Basic Survey on Business Structure and Activities en anglais, ou Kigyo Katsudo Kihon Chosa en japonais) pour les années 1994-2003 : il s’agit d’une enquête administrative à grande échelle menée annuellement par le METI (ministère japonais de l’Économie, du Commerce extérieur et de l’Industrie), incluant ainsi les PME.
8 Cela signifie que les entreprises qui investissent dans la R & D ont des incitations à exporter et vice versa. Il y a plusieurs explications à cette complémentarité. Par exemple, les modèles qui mettent l’accent sur les ressources ou la dotation initiale nous aident à comprendre pourquoi les entreprises qui investissent dans l’innovation ont des incitations à exporter des biens à valeur technologique élevée. Toutefois, selon Ito et Lechevalier (2010), l’explication la plus importante que l’on peut trouver dans les ouvrages traitant du sujet est la suivante : « Dans l’ensemble, les raisons qui président aux interactions positives entre l’exportation et l’innovation sont que les deux facteurs sont des moyens potentiels d’acquérir des connaissances. »
9 Ce n’est pas le cas à Taïwan. Par exemple : dans le secteur des machines et appareils électriques, Aw et al. (2005) ont montré qu’un peu plus de 50 % de la totalité des entreprises ont des dépenses de R & D alors que près de 75 % d’entre elles sont sur le marché de l’exportation. En comparaison, Ito et Lechevalier (2010) ont obtenu, dans l’ensemble, des résultats très similaires à ceux du secteur manufacturier pour le secteur du matériel électrique japonais, en contraste avec le cas taïwanais.
10 Dans une perspective évolutionniste, Malerba (2004, p. 25 et 29) souligne également le rôle de trois mécanismes dans les dynamiques de l’hétérogénéité des entreprises : la création de variétés, l’imitation et la sélection.
11 Lechevalier (2007) évoque deux conséquences de l’hétérogénéité croissante des entreprises : les performances macro-économiques et les inégalités croissantes. À notre connaissance, aucun progrès significatif n’a été constaté concernant l’analyse de cette première conséquence ; nous nous concentrons ici sur la relation entre la diversité croissante des entreprises et les inégalités. Nous tenons toutefois à rappeler les points suivants, avancés par Lechevalier (2007), au sujet de la relation entre l’hétérogénéité croissante des entreprises et les performances macro-économiques : (1) le présupposé implicite de la plupart des approches évolutionnistes, selon lequel la diversité des entreprises est bonne pour les performances macro-économiques d’une économie donnée, ne parvient pas à expliquer la Décennie perdue qui est caractérisée par des performances macro-économiques médiocres de l’économie japonaise et par l’hétérogénéité croissante des entreprises. (2) Malgré tout, celle-ci n’est pas forcément préjudiciable au développement macro-économique comme le dualisme des années 1950 au Japon l’a montré. (3) Ce qui compte réellement, c’est la coordination de l’hétérogénéité. (4) De ce point de vue, il est possible d’expliquer la Décennie perdue comme un manque de coordination d’une hétérogénéité micro-économique croissante.
12 En ce sens, la description du nouveau système de rémunération selon la performance faite par Yamada et Hirano, au début de cet ouvrage, est plus proche de la réalité. Toutefois, l’objectif de Kalantzis et al. (2012) est complémentaire puisqu’ils ont pour but de proposer un cadre théorique qui permettant de mieux comprendre ce changement.
13 Faute d’espace, nous ne présentons pas dans cette contribution un deuxième débat académique, parmi les sociologues, et plus précisément entre Sato Toshiki et Seiyama Kazuo. Voir Kazuo (2000), Chûryû hôkai wa monogatari ni suginai (L’effondrement de la classe moyenne n’est qu’un mythe), Chûô-kôron, novembre, ainsi que Toshiki (2000), Fubyôdô Shakai Nippon (Le Japon : une société inégalitaire), Chûô-kôron, novembre.
14 Cette non-linéarité peut être caractérisée de la façon suivante : les politiques néolibérales ont été particulièrement actives durant les mandats des Premiers ministres Nakasone (1982-1987), Hashimoto, Obuchi et Koizumi (1996-2006), mais ont été bien plus modérées pendant les périodes de transition, dirigées par d’autres Premiers ministres.
15 Cela signifie que cette interprétation se rapproche beaucoup de celle en termes de HMFN proposée par Isogai et al. (2000), dans le sens où elle propose une extension du concept de dualisme. Elle diffère toutefois en ce sens qu’elle ne se concentre pas sur les écarts selon la taille des entreprises (même si cet écart historique est loin d’avoir disparu).
16 Cependant, l’approche évolutionniste présente deux inconvénients qui sont présentés dans Lechevalier (2007) : une évaluation normative simpliste de l’hétérogénéité des entreprises et une interprétation unidimensionnelle de ses déterminants, qui elle-même trouve ses racines dans une vision restrictive de l’entreprise, se concentrant pratiquement exclusivement sur la technologie et l’innovation.
17 En ce qui concerne l’approche HMFN, elle repose sur les principes suivants : « Le “mode de régulation” spécifique à l’économie japonaise durant la période de l’après-guerre [a été] généré par les effets structurels coordonnés d’un ensemble d’institutions diverses, visant, dans l’ensemble, à établir “une compatibilité structurelle” dans le système socio-économique. » (Isogai et al., 2000, p. 32.) « La HMFN joue le rôle d’un mécanisme de coordination dynamique dans le processus d’accumulation du capital. » (Ibid., p. 37.)
18 Par exemple, Isogai et al. avancent que : « Les relations interentreprises [constituent] la base indispensable de la compatibilité structurelle de la HFMN […]. Ce qui retient l’attention dans les relations interentreprises au Japon c’est la prévalence du système de sous-traitance. » (Ibid., p. 35.)
19 Cette idée est bien exprimée par Yamada (2000, p. 26) : « Cette relation d’assurance ne reposait pas uniquement sur des relations fondées sur l’entreprise. Les relations interentreprises sous la forme de participations croisées (au sein du groupe d’entreprises) ont rempli les fonctions de gestion, de sécurité et d’assurance. »
20 Cette idée a bien été formulée par Fukao et Kwon (2006) : « Jusqu’au milieu des années 1990, les grandes entreprises et de nombreuses petites entreprises étaient étroitement liées par des relations de sous-traitance et de keiretsu et il semble qu’à travers ce réseau, les technologies de pointe des assembleurs et des producteurs de composants clés ont été transférées à des fournisseurs de niveau inférieur. Cependant, alors que les grandes entreprises délocalisaient leur production à l’étranger et rationalisaient leurs processus d’approvisionnement, ce mécanisme de transfert de technologie a probablement ralenti. »
21 Les analyses régulationnistes précédentes (comme celle de Boyer et Yamada, 2000) ont davantage mis l’accent sur le rôle de l’internationalisation. Il est vrai que l’internationalisation a conduit les entreprises à introduire d’autres formes de gestion des ressources humaines et/ou de financement de leurs investissements. De plus, l’internationalisation de l’économie japonaise a été un des arguments pour promouvoir la déréglementation, surtout en ce qui concerne les marchés financiers. Toutefois, Lechevalier (2011) montre que la déréglementation a été menée, en partie, pour des seules raisons politiques qui n’ont rien à voir avec les dynamiques « économiques », telles que l’internationalisation. De plus, nous avons à présent suffisamment de recul pour examiner la continuité et la cohérence de la période entre le début des années 1980 et le tournant politique majeur de 2009. C’est également ce qui apparaît dans l’analyse de Cargill et Sakamoto (2008), même si dans leur étude l’accent n’est pas mis sur les changements institutionnels.
22 D’un côté, un changement institutionnel donné, par exemple la déréglementation, va entraîner des changements organisationnels variés plutôt qu’uniformes au niveau de l’entreprise, comme le montre Jackson (2003). D’un autre côté, la prédominance de normes ou l’existence de seuils ne nous permettent pas de décrire les changements institutionnels qui caractérisent une économie sur la base de l’agrégation des changements organisationnels (tels que la fluidité croissante des relations d’emploi).
