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Mare economicum

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Patrice Guillotreau

Troisième partie. La mise en valeur de l'espace littoral et de la mer côtière

Conclusion de la troisième partie

Texte intégral

Les mises en valeur de l’espace littoral et de la mer côtière

1La mer reste trop souvent ignorée des politiques de gestion du littoral en France. À de rares exceptions, elle ne fait pas l’objet d’une attention suffisante malgré les nombreuses activités qui s’y déroulent (plaisance, pêche, énergie, communication, transport). En dépit d’un espace maritime de tout premier plan (le deuxième au monde par son étendue en incluant l’outre-mer), la notion de planification spatiale marine y est particulièrement moins développée qu’ailleurs en Europe, dans les pays anglo-saxons notamment.

2Il faut dire que les activités terrestres sur la frange côtière engendrent des difficultés bien visibles, appelant des réponses immédiates de la part des élus locaux et nationaux. Le tourisme en particulier et la pression démographique croissante des résidents sur le littoral occasionnent à la fois des bénéfices importants mais aussi des tensions inédites pour cet espace longtemps déserté. Avec ses 237 000 emplois (équivalents temps plein) en 2003, le tourisme littoral fait figure de poids lourd dans l’économie maritime française, représentant 47 % de la valeur ajoutée brute totale. À lui seul, il pèse autant que la pêche, le transport, la construction navale, l’offshore pétrolier et le secteur public maritime réunis. Le triptyque Mer-Soleil-Plage reste le point d’orgue du séjour balnéaire même si les occupations des touristes tendent à se diversifier (sports nautiques, écotourisme, patrimoine culturel).

3La France se classe au premier rang mondial par le nombre de touristes nonrésidents accueillis annuellement, avec 76 millions d’individus en 2006, dont près du quart se rend sur le littoral. Sur les 108 milliards d’euros de consommation touristique intérieure en 2005, plus du tiers émanait de non-résidents, montrant une autre facette de la mondialisation. La dépense moyenne par nuitée des étrangers est d’ailleurs plus élevée (+ 37 %) que celle des Français, ces derniers consacrant un tiers de leurs dépenses touristiques à l’alimentation quand les nonrésidents n’en affectent que le dixième. La part des acquisitions de résidences secondaires par les étrangers est, elle aussi, en forte augmentation, la proportion pouvant atteindre plus de 10 % du parc dans certaines zones (comme les îles du Ponant).

4De manière générale, la tendance de l’occupation de l’espace littoral est à la résidentialisation avec une population plutôt urbaine, âgée et riche venant se rapprocher des côtes et de leurs attraits esthétiques et paysagers. En 2002, les résidences secondaires totalisaient 70 % de la capacité d’hébergement des communes littorales mais seulement le quart des nuitées effectives en raison d’un fort taux d’inoccupation. Ce mouvement exerce une pression foncière sans équivalent sur le reste du territoire. En Loire-Atlantique, le prix du terrain nu sur la côte y est supérieur de 10 % à celui de la métropole nantaise. Le rapport va du simple au double entre les prix du foncier de la zone rétro-littorale située à une vingtaine de kilomètres du bord de mer et ceux des communes bordières. L’âge moyen des acheteurs y est de 50 ans contre 36 ans en moyenne sur l’ensemble du territoire. Le phénomène est tel que le nombre de résidences secondaires dépasse désormais celui des résidences permanentes dans certains départements du littoral. Un pareil changement démographique provoque un effet d’éviction sociale et une amplification de la circulation routière liée à l’éloignement des jeunes résidents. Le phénomène est d’autant plus marqué que la proportion de logements sociaux locatifs est deux fois inférieure dans les communes littorales à celle du territoire dans son ensemble. Les autres indicateurs socio-économiques jouent également en défaveur du littoral : un taux de chômage assez élevé (18 % en 1999 selon l’Insee), des dépenses publiques relativement inférieures à la moyenne nationale, une saisonnalité plus forte que dans d’autres régions touristiques (la montagne connaît deux saisons, pas la mer).

5La densification et le changement de nature de la population du littoral modifient les rapports et les équilibres sociaux. Les urbains résidents secondaires se plaignent des nuisances occasionnées par les activités traditionnelles du littoral, les locaux sont gênés par le noctambulisme sonore des touristes. Parallèlement, de nouveaux usages du milieu marin sont créés (parcs éoliens, énergie de la houle, aquaculture offshore, nautisme et pêche récréative, récifs artificiels), nécessitant le partage de l’espace maritime et côtier. Les politiques d’encadrement sont à renouveler pour planifier de manière dynamique les usages d’un espace littoral fragilisé afin d’en réguler l’accès dans une perspective de développement durable. Ces espaces abritent de nombreux écosystèmes de grande valeur écologique et économique (vasières, zones humides, roselières, nourriceries, nichoirs) menacés par la multiplication des ouvrages (barrages, digues, ports). Le changement climatique accroît la vulnérabilité des habitats naturels en redistribuant spatialement les organismes marins, en favorisant la prolifération d’espèces invasives ou en provoquant des ouragans destructeurs comme dans le golfe du Mexique. Sans être aussi spectaculaires en France, certains changements sont déjà observés (comme le captage plus septentrional du naissain d’huître ou le déplacement latitudinal de certains organismes) et ses effets doivent être anticipés par les aménageurs.

6Les dispositifs réglementaires de gestion et autres documents de planification du littoral (schémas de mise en valeur de la mer en 1983, loi littoral de 1986, loi Voynet sur les pays en 1999, actuellement démarches de Gestion intégrée des zones côtières ou GIZC) se sont succédé sans obtenir à ce jour de grands résultats, il faut le reconnaître. La faute en incombe sûrement au manque de définition des projets et à la faible mobilisation des acteurs concernés. L’aménagement industriel, secteur par secteur, a été privilégié en l’absence d’alternatives et d’oppositions audibles pendant la période des Trente Glorieuses. Il semble que cette période soit désormais révolue pour que soient mieux pris en compte les effets externes provoqués par le développement économique sur cet espace. La politique de l’Union européenne en la matière a beaucoup contribué à faire entendre d’autres voix pour les élus locaux et nationaux en charge de la gestion du littoral que celle du développement économique (Directive-cadre sur l’eau, Directives Oiseaux et Habitat fondues aujourd’hui dans le réseau Natura 2000, recommandations de 2002 relatives à la GIZC). Rappelons que les zones côtières ont une valeur écologique à l’hectare estimée à seize fois celle des océans et que la productivité naturelle des herbiers et des estuaires serait elle-même de cinq à six fois supérieure encore à celle des zones côtières (Costanza, 1997). Dans le golfe de Gascogne, les espèces à écophase estuarienne représenteraient jusqu’à 28 % de la valeur des prises halieutiques (Goinard, 1994). L’argument de la préservation des espaces côtiers devient économique et ne se limite donc plus à la seule valeur d’existence d’un paysage marin.

7Le dernier enseignement de l’analyse des politiques d’aménagement du littoral plaide pour une meilleure prise en considération du fait maritime. Une nouvelle fois, l’Europe montre l’exemple avec son changement de cap (restructuration de la DG Pêche en DG des Affaires maritimes et de la pêche en 2008) et sa récente Directive sur la Stratégie marine européenne (SME datée du 11 décembre 2007). L’objectif est centré sur la gestion durable des mers européennes (atteindre un « bon état écologique » d’ici 2020) tout en respectant une logique de compétitivité. Un tel objectif requiert l’approfondissement préalable des connaissances sur la mer côtière et sur les activités qui s’y déploient afin d’anticiper les lieux (et l’intensité) potentiels de conflits entre les usagers de la mer. Il peut s’agir d’un premier défi à relever pour engager une véritable politique maritime intégrée en France.

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