Des dispositifs d’échanges socio-équitables : pourquoi ?

1La mise en œuvre progressive de la libéralisation des échanges a conduit à une profusion de marchandises. Cette profusion a modifié la relation à l’acte de production et de consommation.

2Parmi les conséquences pour les producteurs, on notera :

• la pression à la production : produire le plus vite possible provoque une dégradation des conditions de production tant en terme social que professionnel ;
• la pression sur les prix et par là même sur la rémunération du travail qui conduit à considérer l’homme, quelle que soit sa position dans la chaîne de production (de l’ouvrier à l’ingénieur) ou sa catégorie socioprofessionnelle (artisan, paysan, ouvrier, etc.), comme une variable d’ajustement puisque la rémunération est considérée comme un coût et non comme un revenu.

3Parmi les conséquences pour les consommateurs, deux points saillants sont à retenir :

• la profusion conduit à ne plus se poser de questions sur les modes de production : prenons l’exemple des fraises vendues dès janvier alors qu’il y a encore 20 ans, ce fruit n’apparaissait sur nos marchés que deux mois durant l’année ?
• un détournement des rôles : le consommateur est conditionné pour rechercher le prix le plus bas. La lutte pour le pouvoir d’achat se fait au supermarché et non plus dans l’entreprise. En témoignent les dernières publicités des centres Leclerc qui illustrent la lutte pour le pouvoir d’achat par des visuels montrant des manifestations ou bien encore celles de Carrefour présentant une consommatrice tenant en main une étiqueteuse assimilée à un pistolet et déclarant qu’elle a le pouvoir de faire baisser les prix.

4Tout ceci conduit non plus à une opposition entre producteurs et consommateurs, chacun ayant des intérêts bien différents, mais à une rupture.

Des dispositifs d’échanges socio-équitables, comment ?

5L’expérience des organisations de commerce équitable permet d’illustrer comment des dispositifs d’échanges socio-équitables peuvent être mis en place.

6La caractéristique essentielle du commerce équitable concerne l’humanisation de l’échange. Sans aller jusqu’à dire que producteurs et consommateurs sont sur le même piédestal, le commerce équitable permet de redonner de la dignité aux deux parties.

7Pour le producteur, les points suivants sont déterminants :

• en participant à des échanges socio-équitables, le prix n’est pas calculé au plus juste mais est un prix juste qui permet de financer tous les coûts de production mais aussi les coûts sociaux et environnementaux ;
• par ricochet, ce prix juste leur donne davantage de capacité de négociation avec les acteurs commerciaux conventionnels ;
• autre point important : les modalités de paiement qui sont basées sur un paiement au plus tard à réception de la commande et comportent parfois des avances ;
• les engagements de partenariat à long terme entre organisations de producteurs et acheteurs.

8Le commerce équitable permet aux producteurs de produire à leur échelle :

• pour les paysans, il s’agit de privilégier de petites plantations de riz ou de café et de refuser la monoculture pour pouvoir vivre de ses propres cultures. C’est ainsi que notre modèle économique contribue à une agriculture durable ;
• pour les artisans, il s’agit de fuir la production de masse qui détruit toute créativité et qui est souvent aussi synonyme de dégradation de l’environnement puisque la production de certains produits conduit à piller des ressources naturelles.

9Pour le consommateur, le commerce équitable permet de retrouver le sens de l’achat et d’exercer son véritable pouvoir d’achat : non pas un pouvoir lié à la domination mais un pouvoir lié à un choix visant un mode de développement durable et à une recherche de plus d’équité dans l’acte de consommation. Pour appréhender ce point, prenons l’exemple des teeshirts. Un tee-shirt de l’entreprise Dezign venant du Zimbabwe est vendu 26 €. Certains diront que ce prix est élevé au regard des diverses publicités qui inondent nos boîtes aux lettres ou au regard de leurs moyens : un teeshirt à 15 €, deux pour 20 € et qui dit mieux ? Certainement pas le producteur car pour lui, vendre un tee-shirt à bas prix, c’est bien à plus ou moins long terme, ne plus pouvoir vivre dignement de son travail. Car qui dit acheter à bas prix, dit entrer dans une spirale de négociation vers le bas. Et finalement, en comparant les prix publics du commerce équitable avec ceux du commerce conventionnel ne sommes-nous pas en train de comparer un commerce qui se veut plus juste avec un commerce qui reste déloyal ? Que dire du prix d’un tee-shirt fabriqué dans une zone franche défiscalisée ? Qu’il contribue à une économie centrée sur le simple profit où le producteur n’est là que pour notre bien être de consommateur à la recherche du toujours « plus de consommation » tandis que lui ne peut faire face à des dépenses élémentaires : envoyer les enfants à l’école, se nourrir correctement. La démarche du commerce équitable est l’occasion de montrer qu’un autre mode de consommation est possible ; sans revenir à des temps anciens où nous n’avions que peu de choses à consommer, nous pouvons imaginer un mode de consommation où chacun, du producteur au consommateur, retrouve sa dignité ; le producteur pouvant vivre dignement de son travail, le consommateur n’obéissant plus au diktat de la publicité et du marché. C’est à cette démarche que le commerce équitable invite tous les jours et il ne s’adresse pas qu’à des classes aisées. Ainsi à Liévin dans le Nord, ville avec un taux de chômage élevé, une boutique Artisans du Monde s’est ouverte il y a deux ans. Les clients constatent que leurs difficultés ne sont pas éloignées de celles des producteurs du Sud et sont ainsi prêts à réfléchir sur leur mode de consommation en dépit de leurs difficultés économiques.

Les défis pour démocratiser des dispositifs d’échanges socio-équitables

10Démocratiser des dispositifs d’échanges socio-équitables est l’enjeu des organisations de commerce équitable, de producteurs biologiques. Se pose alors la question du comment. La réponse est souvent la recherche de volume. Profitant du fait que les sondages reconnaissent par exemple que 80 % des Français sont prêts à payer plus cher un article produit dans des conditions socialement acceptables, certains n’hésitent pas à chercher des débouchés là où les consommateurs sont, à savoir dans les grandes surfaces. Cette démarche a permis de faire connaître les produits biologiques, les produits du commerce équitable mais a-t-elle réellement changé la donne ? Oui pour quelques producteurs mais pas toujours. Combien de producteurs biologiques ont arrêté de travailler avec les grandes surfaces ne pouvant faire face à leurs exigences tant financières (paiement à 90 jours) que quantitatives (disponibilité des produits) ? Même problème pour le café. En 2001 en Allemagne, les ventes de café ont baissé de 1 000 t Les supermarchés ont remplacé du café Transfair (équivalent Max Havelaar) de bonne qualité par du café Transfair de moins bonne qualité : les consommateurs achètent une marque et en ont conclu que la marque n’était plus bonne. Autrement dit, quand le consommateur a été motivé par des campagnes de publicité et non par un travail de fond sur le pourquoi du commerce équitable, il n’est pas en mesure d’interpeller le distributeur sur les raisons de l’évolution du produit. Il réagit en simple consommateur sur la qualité gustative et pas en consom’acteur. Ceci montre que l’un des défis réside dans l’éducation du consommateur qui est un travail à long terme et ne relève pas d’actions coups de poing qui feraient croire qu’en allant faire nos courses nous pouvons changer le destin des producteurs. Pour changer le destin, il faut agir sur plusieurs champs. Déjà sur sa propre attitude en tant que consommateur comme nous l’avons vu précédemment. Mais ceci ne suffit pas. L’exemple du café illustre bien qu’il faut aller plus loin pour démocratiser des échanges socio-équitables. Le commerce équitable s’est développé durant ces 40 dernières années alors que dans le même temps les cours du café chutaient à leur niveau le plus bas. Les organisations de commerce équitable qui travaillent avec 800 000 producteurs de café ne peuvent se contenter de grappiller quelques parts de marché face à la demande de 21 millions de producteurs. En se limitant à améliorer le comportement des multinationales, on risque de se retrouver vite face à une impasse car les régulations proposées par les multinationales sont des décisions volontaires. À la moindre difficulté, au moindre changement d’orientation, elles peuvent être modifiées. Certes la pression des consommateurs sera peut-être une réponse, mais en sommes-nous sûres ? Il a suffi de changer la qualité du café pour détourner un certain nombre de consommateurs. De plus, ces décisions volontaires ne s’inscrivent pas dans un développement durable. En témoigne les engagements de Krafts, Nestlé pour soutenir les producteurs de café : aucune référence à un prix stable et rémunérateur, la seule référence est le cours de bourse autrement dit le jouet des spéculateurs. Ceci prouve que pour démocratiser les échanges socio-équitables, il faut exiger davantage de régulations publiques. C’est en ce sens que les dispositifs d’échanges socio-équitables ne peuvent se limiter à un simple échange marchand mais doivent également promouvoir des campagnes d’interpellation des décideurs politiques et économiques. Ce qui veut dire former les militants pour qu’ils informent les citoyens et interpeller les décideurs politiques. À quelques semaines de la conférence ministérielle de l’OMC, il est capital de souligner l’importance de ce travail réalisé par des organisations impliquées dans la campagne « OMC, 10 ans, ça suffit ».

En conclusion, la spécificité des échanges socio-équitables ou leur appartenance à l’économie solidaire

11Les échanges socio-équitables doivent s’intégrer dans une économie renouvelée que nous appelons économie solidaire ce qui signifie :

• une économie au service de l’Homme où les dispositifs d’échanges socio-équitables doivent se démarquer des modèles néo libéraux qui voudraient qu’ils servent uniquement à créer de nouvelles tendances de consommation ou d’épargne ;
• une économie qui associe tous les acteurs du producteur au consommateur. Pour y parvenir, il faut mener un travail de sensibilisation et de formation des consommateurs pour qu’ils prennent conscience que leur acte individuel de consommation peut avoir une conséquence positive ou négative sur la situation des producteurs de leurs pays ou d’autres pays ;
• une alliance entre le secteur marchand, non marchand et non monétaire. Cette alliance doit se renforcer au niveau politique pour exiger des régulations du commerce. Pour ce faire, il est indispensable de continuer à décloisonner les démarches socio-équitables : celles-ci doivent se constituer en réseaux alliant producteurs et consommateurs. C’est la démarche qu’a engagé Artisans du Monde en adhérant à la Plate-forme pour des agricultures durables et solidaires (PFADS), qui rassemble 4 familles d’acteurs : des syndicats professionnels agricoles et des organisations de consommateurs, de solidarité internationale, de protection de l’environnement. C’est dans une démarche qui est porteuse d’avenir car elle permet de construire une société où chacun peut contribuer à la mise en place de la souveraineté alimentaire. C’est en ce sens que l’économie solidaire est l’avenir pour permettre à chacun de vivre dignement.