« La classe ouvrière et les intellectuels »
Poétisation de l’histoire et de la politique dans un tableau monumental du peintre est-allemand Werner Tübke (1929-2004)
p. 125-141
Résumé
Œuvre de commande, la fresque murale « La classe ouvrière et les intellectuels » (« Arbeiterklasse und Intelligenz », 1970-1973) du peintre Werner Tübke s’inscrivait à l’origine dans un projet ambitieux de rénovation du centre-ville et du campus universitaire de la ville de Leipzig conçu à la fin des années 1960 dans le but d’illustrer la marche victorieuse du marxisme-léninisme vers le progrès. Placée dans le foyer du rectorat de l’université Karl Marx, la fresque se trouvait à l’emplacement de l’ancienne façade d’une église historique dynamitée en mai 1968, et elle était adossée à un haut-relief en bronze à la gloire du régime, lequel donnait à l’extérieur sur la vaste place Karl Marx. Ces deux œuvres monumentales représentaient le cœur d’un dispositif artistique mis en place au début des années 1970 et devaient symboliser la victoire du socialisme marxiste-léniniste sur la culture religieuse et bourgeoise du passé. Elles furent démontées en 2006, avant la démolition du bâtiment et la reconstruction du campus.
La fresque, dans un enchaînement de six tableaux présentant des groupes où l’on distingue les portraits d’universitaires de renom et de dirigeants locaux du parti, évoque des pans de l’histoire de l’université en vue d’illustrer l’alliance de la classe ouvrière et des intellectuels représentée, dans l’emblème de la RDA, par la superposition d’un marteau et d’un compas.
Est-il possible, compte tenu de la genèse de cette œuvre et de son environnement d’origine, de parler d’une forme de poétisation de l’histoire et de la politique ? Nous nous proposons, d’une part, de déceler une telle poétisation dans le fondement idéologique du projet lui-même et, d’autre part, d’en localiser les traces dans les espaces de liberté que le peintre, connu pour son scepticisme à l’égard de la modernité dans l’art comme pour ses résistances face au dogme du réalisme socialiste, a réussi à se ménager sous le regard de ses censeurs.
Texte intégral

Werner Tübke : « Arbeiterklasse und Intelligenz », propriété de l’université de Leipzig, no d’inventaire 0707/90. Droits : Kustodie de l’université de Leipzig. Photographie : Marion Wenzel1.
1Le tableau « Arbeiterklasse und Intelligenz », réalisé par Werner Tübke de 1970 à 1973, est l’un des grands témoins du monumentalisme caractéristique de l’art officiel de la République Démocratique Allemande et compte, à n’en pas douter, parmi les tableaux artistiquement les plus originaux du genre. Commandé à Leipzig par les autorités locales du Parti socialiste unifié d’Allemagne, le SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands), l’œuvre devait, selon la mission confiée à l’artiste, représenter l’un des dogmes politiques centraux du marxisme-léninisme, l’alliance, dans la phase de la construction du socialisme, de la classe ouvrière au pouvoir et des intellectuels2.
2Ce tableau de près de 14 mètres de long et 2,70 mètres de haut occupait un mur entier du hall d’entrée du « rectorat »3 de l’université Karl Marx, au premier étage du bâtiment administratif principal de l’établissement. Peint sur douze panneaux de bois maintenus par une armature en acier, il sera démonté en 2006, avant la démolition du bâtiment.
3La première partie de cette étude sera consacrée à la genèse de l’œuvre replacée dans son contexte historique, idéologique et politique. Seront proposées ensuite quelques pistes pour une analyse critique du tableau en partant de l’hypothèse que la poétisation de l’histoire et de la politique y est présente à deux niveaux de lecture : dans la deuxième partie, nous présenterons quelques clés pour une lecture politiquement correcte du point de vue de l’idéologie marxiste-léniniste alors en vigueur avant d’essayer, dans une troisième et dernière partie, de déceler derrière ce discours pictural conforme à l’attente du commanditaire les éléments d’un second discours où Tübke, dans son langage très personnel, semble vouloir inscrire une certaine résistance aux contraintes idéologiques qui lui sont imposées4.
4Quand Werner Tübke met en chantier son œuvre en 1970, l’art, en RDA, n’est plus soumis au carcan du réalisme socialiste dans sa définition stalinienne étroite, avec son rejet catégorique du subjectivisme et du formalisme dans l’art et l’obligation faite aux artistes d’imiter le modèle soviétique. Un premier vent de liberté avait soufflé après le soulèvement du 17 juin 1953, obligeant le Parti à assouplir quelque peu sa position5. Une autre césure importante se situe entre l’édification du Mur de Berlin et 1965, césure préparée, en amont, par des controverses sur la compatibilité du réalisme socialiste avec la modernité dans l’art et, notamment, avec les courants modernistes des années 1920-1930, que la doctrine officielle rejetait comme expressions de la décadence bourgeoise6. En mars 1964, le Ve Congrès de l’Union des Artistes plasticiens d’Allemagne, le VBKD (Verband Bildender Künstler Deutschlands), exprime avec insistance un désir d’ouverture7. Même si le régime, décidé à serrer la vis face aux contestations dont sa politique culturelle fait l’objet à cette époque, siffle la fin de la récréation en décembre 1965, lors du tristement célèbre XIe Plenum du Comité central du SED8, une brèche est ouverte. Les artistes ne seront plus, désormais, soumis à des prescriptions esthétiques précises, ils pourront affirmer une certaine individualité, à condition toutefois d’inscrire leurs œuvres dans la tradition du réalisme et de la représentation figurative de l’homme, en référence à une vision socialiste de l’être humain et aux évolutions des réalités sociales. Le dogme du réalisme et de la partialité idéologique de l’artiste est donc maintenu, et même réaffirmé avec force9.
5Les années 1960 et 1970 seront ainsi marquées par une lente et difficile ouverture à la modernité dans l’art, dans le cadre du réalisme socialiste. Après l’accession d’Erich Honecker à la fonction de Premier secrétaire du Comité central du SED en 1971 et sur fond de politique d’ouverture à l’Ouest, le VIIIe Congrès du SED, en juin 1971, marque une certaine volonté d’ouverture10, et la VIe Session plénière du Comité central du SED, en juin 1972, place la nouvelle politique culturelle sous la devise « Variété et diversité des possibilités esthétiques du réalisme socialiste » (Weite und Vielfalt der schöpferischen Möglichkeiten des sozialistischen Realismus11) tandis que Werner Tübke, à Leipzig, multiplie les esquisses pour son œuvre « Arbeiterklasse und Intelligenz ».
6Tübke fait partie, avec ses collègues Bernhard Heisig (1925-2011) et Wolfgang Mattheuer (1927-2004), de ce que l’on appelle l’École de Leipzig. Celle-ci n’est pas une école au sens strict du terme, mais plutôt un courant où coexiste une multitude de styles portés par des artistes de haut niveau qui ne s’interdisent pas de s’approprier des héritages honnis par un régime12 qui s’était autoproclamé héritier de l’humanisme classique, érigeant en dogme l’unité de temps, de lieu et d’action cher à l’idéalisme allemand et assignant, dans la bonne tradition schillérienne, à l’œuvre d’art la mission de contribuer à l’éducation du genre humain en représentant la beauté et l’harmonie13.
7On peut dater la naissance de l’École de Leipzig de mars 1964, du Ve Congrès de l’Union des Artistes plasticiens où Bernhard Heisig était, avec d’autres artistes et historiens de l’art, monté au créneau contre la politique culturelle du SED14. En octobre 1965, Heisig, Mattheuer et Tübke présentent leurs travaux lors d’une grande exposition à Leipzig15. Celle-ci marque une rupture avec le dogme en vigueur car les artistes exposants avaient puisé dans l’arsenal stylistique de l’expressionnisme, de la Nouvelle Objectivité, du vérisme ou encore du surréalisme les éléments d’un langage pictural délibérément poétique. Ce langage est crypté, énigmatique ; les peintres jouent du symbole, de l’allégorie et de la métaphore, s’inspirent des mythologies antiques et bibliques, cultivent la subjectivité et l’expressivité, l’étrangeté, le décalage et le paradoxe, le goût de l’ironie, du grotesque et de la parodie, et ils peignent la laideur, la souffrance, la brutalité, l’abomination. Ils rompent avec l’idée de progrès linéaire dans l’art, et ils brisent l’unité du temps et de l’espace en ouvrant le champ de la représentation à l’image simultanée (Simultanbild)16. Dans deux tableaux intitulés « Les Mémoires du juge Schulze » (Lebenserinnerungen des Dr. jur. Schulze17), Tübke, pour évoquer les souvenirs d’un juge national-socialiste et l’Holocauste18, multiplie les perspectives, les styles et les références – du moyen-âge à Otto Dix et De Chirico, en passant par Jérôme Bosch. Il se voit alors reprocher d’avoir quitté le droit chemin du réalisme, de vouloir choquer et de sacrifier à un esthéticisme maniériste19. En mars 1968, il sera de justesse sauvé de la relégation par une protestation de ses étudiants à l’École supérieure des Arts graphiques et des Arts du livre (Hochschule für Grafik und Buchkunst), où il enseigne aux côtés de Bernhard Heisig et de Wolfgang Mattheuer20. Le printemps 1968 est aussi celui de Prague, écrasé par les troupes du Pacte de Varsovie en août de cette même année.
8C’est dans ce contexte historique tendu que Werner Tübke est appelé à créer l’œuvre « Arbeiterklasse und Intelligenz » – dans le cadre d’un plan de rénovation du centre de Leipzig qui devait mettre en scène les progrès du socialisme, selon les orientations que le VIIe Congrès du SED en avril 1967 avait fixées pour une politique de reconstruction des centres-villes est-allemands21. Il est décidé d’y sacrifier une église vieille de 700 ans, l’église Saint Paul (Sankt Pauli), propriété de l’université22. Sans tenir compte de l’avis de la population, l’église est dynamitée le 30 mai 1968 – un coup symbolique porté à la culture chrétienne et bourgeoise. Sur le terrain ainsi dégagé, on édifie le bâtiment administratif central de l’université dont l’entrée principale est placée à l’endroit précis où s’était auparavant trouvé l’autel.
9À partir de 1973-1974, deux œuvres monumentales, chacune longue de quatorze mètres, viennent, l’une de l’intérieur, l’autre de l’extérieur, compléter ce dispositif. Au-dessus de l’entrée, donnant sur la vaste place Karl-Marx, un haut-relief en bronze créé par un collectif de trois artistes leipzigois, Klaus Schwabe, Frank Ruddigkeit et Rolf Kuhrt, et intitulé « Karl Marx et sa doctrine révolutionnaire qui transforme le monde » (Karl Marx und das revolutionäre weltverändernde Wesen seiner Lehre23). À l’intérieur, au premier étage, le tableau de Werner Tübke, achevé en août 1973, tournait le dos à ce haut-relief, les deux œuvres prenant symboliquement en étau l’ancienne façade de l’église.
10Selon les directives de la direction locale du SED (Kreisleitung), ces œuvres devaient
refléter […] l’évolution de la communauté humaine socialiste en plaçant au centre de la représentation figurative la classe ouvrière au pouvoir et son parti marxiste-léniniste comme porteurs de l’Histoire et comme héritiers du Manifeste communiste et de toutes les traditions progressistes de l’Histoire de l’Humanité24.
11Le titre programmatique de l’œuvre dont se chargera Tübke était, dans sa version complète, formulé ainsi : « La classe ouvrière et les intellectuels sont, sous le régime du socialisme, liés par une alliance indissoluble sous la direction de la classe ouvrière avec à sa tête le Parti25. » Il s’agissait donc pour Tübke de figurer cette alliance en plaçant au centre la classe ouvrière et son parti comme moteurs de l’histoire tout en montrant que, dans la RDA du début des années 1970, comme l’avait déclaré Walter Ulbricht, la lutte des classes avait cessé pour laisser la place à une société socialiste apaisée s’acheminant vers la société sans classes, aboutissement ultime de la marche de l’histoire, selon l’utopie communiste. Il s’agissait aussi et surtout, à l’occasion de la reconstruction du campus de l’université Karl Marx, de représenter l’adhésion de l’université au dogme d’alliance avec la classe ouvrière et, plus généralement, au projet marxiste-léniniste du SED.
12Que la réalisation de cette œuvre ait été confiée à Werner Tübke a de quoi surprendre. Comment le Parti pouvait-il en effet prendre le risque de choisir un peintre qui avait, peu avant, échappé à la relégation de son poste d’enseignant ? Et comment un peintre aussi jaloux de sa liberté artistique pouvait-il accepter des prescriptions idéologiques à ce point contraignantes ? L’œuvre elle-même, de par son caractère polysémique, semble receler quelques éléments de réponse à ces questions.
13En 1970, le jury chargé de choisir parmi plusieurs projets qui lui sont proposés est séduit par les esquisses de Werner Tübke. Celles-ci représentent des personnes réellement vivantes dans leur individualité, qualité que ses juges considèrent comme décisive en vue d’un « approfondissement psychologique de l’image de l’homme », tandis que le symbolisme décoratif des projets concurrents n’arrive plus à convaincre26. De plus, les fonctionnaires du Parti ont pu être séduits par la perspective de se voir eux-mêmes immortalisés par le peintre27 – un vœu qui sera effectivement exaucé. La décision du jury semble en tout cas marquer une certaine évolution du réalisme socialiste. Quant à Tübke, il trouve, dans ce vaste projet qui l’occupera près de trois années durant, l’occasion de s’adonner à un exercice où il excelle, celui de la composition de vastes panoramas historiques en multipliant les personnages, les détails et les perspectives tout en mêlant des temporalités diverses et souvent contradictoires, puisant dans l’arsenal pictural de différentes époques.
14Eduard Beaucamp, critique d’art ouest-allemand et spécialiste de Tübke, qualifie ce tableau d’œuvre « la plus proche de la réalité de son temps, la plus euphorique, mais aussi la plus extravertie » du peintre28. Selon Beaucamp, ce dernier y déploie « une beauté festive, une sérénité et une grâce jamais encore rencontrées dans l’art de la RDA29 ». Tübke se trouvait, à quarante et un ans, dans une phase de sa vie où une certaine euphorie due à la reconnaissance de son art et aux impressions d’un premier voyage en Italie30 pouvait sans doute entrer en résonance avec la vision optimiste que le régime lui demandait de représenter. S’il s’engage à mettre son art au service du projet du SED, il le fait en tout cas en plein accord avec le commanditaire.
15C’est en effet, à première vue, une société colorée, euphorisée, pleine d’énergie vitale qui est représentée par cette manière de guirlande baroque composée de cent vingt figures – une société aux antipodes de la grisaille monotone dont bien des citoyens de la RDA se plaignaient en découvrant, à la télévision, la vitrine clinquante des sociétés occidentales. Le tableau s’organise en six groupes de personnages, qui correspondent à six paradigmes de la vie socialiste : l’échange d’idées, la recherche, l’enseignement, la vie de famille, la représentation politique et le travail manuel31.

Werner Tübke : « Arbeiterklasse und Intelligenz » (extrait), propriété de l’université de Leipzig. Photographie : Marion Wenzel.

Werner Tübke : « Arbeiterklasse und Intelligenz » (extrait), propriété de l’université de Leipzig. Photographie : Marion Wenzel.
16Le premier groupe, consacré à l’échange d’idées entre différentes générations, met en scène des étudiants entourant le vénérable professeur Georg Mayer, juriste et économiste, ancien recteur de l’université de Leipzig (1950-1964)32.
17Le deuxième groupe, représentant la recherche, se trouve dans le centre de calcul de l’université33 ; au premier plan, en position assise et immobile au milieu de l’effervescence qui l’entoure, le mathématicien Klaus Apitzsch, directeur de ce laboratoire à l’époque.
18Le troisième groupe, représentant l’enseignement, place au centre le professeur Armin Uhlmann en train de dispenser un cours de physique dans une ambiance de studieuse convivialité. Ce groupe est complété, à droite, par un petit groupe où l’on reconnaît cinq doyens de l’université groupés autour du doyen en exercice, l’économiste Gerhard Winkler (1969-1975). Au-dessus de leurs têtes flottent les drapeaux de la RDA et de l’Union soviétique, symboles de l’alliance des deux pays.

Werner Tübke : « Arbeiterklasse und Intelligenz » (extrait), propriété de l’université de Leipzig. Photographie : Marion Wenzel.
19Le quatrième groupe, représentant la vie de famille, est le plus petit de tous et le seul à ne pas être directement lié à la thématique du tableau. Il s’agit de la famille Tübke – du peintre lui-même, vu de dos, de sa deuxième femme Angelika et de leurs enfants.
20Le cinquième groupe est celui de la représentation politique. Un personnage qui, par sa pose de tribun, rappelle Lénine, semble vouloir le présenter au spectateur. Placés sur une tribune de chantier, mêlés aux charpentiers, des personnalités politiques, notamment Paul Fröhlich, Premier secrétaire du SED à Leipzig décédé en 1970, et Walter Kresse, maire de Leipzig jusqu’en 1970 ; tous deux avaient joué un rôle clé dans le dynamitage de l’église Saint Paul en 1968. En mêlant les représentants du SED aux charpentiers et en plaçant le cinquième et le sixième groupe, celui des ouvriers, dans le même espace scénique, Tübke illustre la thèse officielle de l’identité de la classe ouvrière et de son parti marxiste-léniniste. Ce chantier est celui de la tour universitaire alors en construction, ce qui permet à Tübke de placer les représentants du SED en hauteur, renvoyant ainsi – c’est du moins notre interprétation – au rôle dominant du Parti34. En plaçant le groupe des politiques à la charnière entre le monde universitaire et celui des ouvriers, à droite du tableau, il souligne le rôle du Parti comme artisan et garant de l’alliance des deux classes.

Werner Tübke : « Arbeiterklasse und Intelligenz » (extrait), propriété de l’université de Leipzig. Photographie : Marion Wenzel.
21Le sixième groupe montre des ouvriers s’affairant sur le chantier. Le tableau se lisant de gauche à droite et ce dernier groupe étant présenté dans le mouvement ascendant de la tour qui s’élève, Tübke renvoie ici au rôle directeur et pionnier de la classe ouvrière dans la marche de l’histoire.
22La société ainsi représentée est la société socialiste apaisée proclamée par Ulbricht : Tübke met en scène une société où les classes sociales, les générations, les maîtres et les élèves vivent en harmonie, une société aussi où le vent de l’esprit souffle puissamment et se propage par la communication libre de ces acteurs du progrès que sont les intellectuels et les ouvriers35.
23Le tableau est structuré par une forme de trame narrative qui commence, à gauche, par la transmission de connaissances anciennes, passant ensuite à la construction de connaissances nouvelles pour finir par leur mise en œuvre pratique, guidée par le Parti36. La théâtralité des scènes et la dynamique de leurs enchaînements autorisent aussi à parler d’une dramaturgie savamment orchestrée par un peintre-metteur en scène37, dramaturgie qui suit une courbe ascendante pour finir en apothéose.
24À rebours de la progression naturelle du temps, la scène initiale est plongée dans l’obscurité du jour finissant tandis que la scène finale s’éclaire des premiers rayons du soleil levant, allégorie des lendemains qui chantent.
25Ce bref commentaire des différentes parties du tableau a permis d’esquisser les éléments d’un premier niveau de lecture, lecture officielle fondée sur un langage pictural assez facile à décrypter pour qui était familier des dogmes marxistes-léninistes en vigueur – ce qui fut, par ailleurs, l’effet escompté, s’agissant d’une œuvre destinée à porter un message clair annoncé par un titre programmatique.
26Cependant, le tableau de Tübke se distingue de la plupart des autres œuvres monumentales publiques est-allemandes – et pour commencer du haut-relief qui lui tournait le dos – par la présence d’une forme de sous-texte en contradiction avec la vision dogmatique imposée par le Parti.
27Un des moyens dont use le peintre, et qui caractérise l’ensemble de son œuvre, est le décalage anachronique. Pour peindre la marche de la société socialiste vers le progrès, Tübke se sert, étrangement, d’un style renaissanciste et, plus précisément, maniériste, caractérisé par l’artificialité des attitudes, l’irréalité de l’espace et le traitement expressif des couleurs et de la lumière.
28Ce sont notamment les figures charnières et les figures au premier plan qui affichent des attitudes fortement maniérées imprimant une dynamique à l’ensemble – le jeune homme en jaune à droite du premier groupe, l’étudiante en rouge vue de dos au centre du panorama ou encore la jeune danseuse placée entre la classe de physique et les groupes des doyens et de la famille du peintre. Mais la maniera a aussi, à l’évidence, inspiré la représentation des chercheurs à l’œuvre dans le centre de calcul. Tous ces personnages s’affairent dans un espace imaginaire ouvert structuré davantage par l’éclairage que par les éléments du décor. Le fort éclairage des scènes centrales consacrées au monde universitaire évoque des scènes d’intérieur, tandis que dans les scènes d’extérieur, à gauche et à droite, les groupes sont plongés dans une atmosphère plutôt sombre – à l’exception de celui des représentants politiques et de quelques ouvriers à l’avant-plan du dernier groupe, plus éclairés. L’impression d’irréalité est renforcée, dans les scènes d’extérieur, par les paysages qui en constituent l’arrière-plan. À gauche, on reconnaît le parc Clara Zetkin de Leipzig, peint dans le style de la Renaissance vénitienne38. À droite, derrière le groupe des politiques et celui des ouvriers, un paysage imaginaire39 verdoyant plus largement ouvert, éclairé par des rayons de soleil filtrant à travers d’épais nuages. Ce paysage s’inspire également davantage de la peinture des grands maîtres que de la géographie réelle du présent saxon.
29Si la Renaissance humaniste était jugée positivement par le régime, le maniérisme, en revanche, était assimilé à la décadence. Dans un dictionnaire culturel de 197840, le maniérisme italien du XVIe siècle est présenté comme réponse réactionnaire à une profonde crise politique et sociale, comme une fuite résignée dans un irréalisme subjectiviste et formaliste face à une réalité en laquelle on a cessé de croire – se situant ainsi en tous points à l’opposé des prescriptions du réalisme socialiste. Or, comme le rappelle Eduard Beaucamp dans un article nécrologique en 2004, c’est précisément la peinture des périodes de crise et toutes les formes de maniérisme qui ont toujours attiré Tübke, du gothique tardif jusqu’au rococo en passant par la Renaissance maniériste italienne et le baroque – par goût de l’ambiguïté et de la métamorphose, du travestissement et du décalage41.
30En s’appropriant, par identification, la peinture de ces époques, Werner Tübke poétisait les sujets traités tout en exprimant une vision de l’histoire profondément incompatible avec la philosophie du progrès officielle, une vision sans certitudes immuables, instable, une vision sceptique voire pessimiste, fondée sur la croyance en l’éternel retour du même qui pourtant, comme il le disait, n’est jamais vraiment le même42. Tübke aimait à dire qu’aucune distance ne le séparait des périodes anciennes, allant jusqu’à affirmer avoir vécu, dans une vie antérieure, comme moine peintre en Toscane, du temps de Savonarole, et y avoir été brûlé sur un bûcher. De la continuité anthropologique qu’il postulait, Tübke déduisait, comme l’explicite Eduard Beaucamp, une continuité dans l’ordre de l’esthétique, et il jugeait le langage pictural des grands maîtres plus approprié que celui de la modernité pour représenter la complexité du monde présent43.
31Le tableau « Arbeiterklasse und Intelligenz » est, incontestablement, l’un de ceux où le scepticisme tübkéen s’exprime le moins ouvertement. Cependant, le maniérisme de son style n’avait pas manqué de susciter des critiques mais on préférait, malgré une certaine gêne44, mettre l’accent sur la conformité thématique et idéologique du tableau en considérant, sans doute, que la fin justifiait ici les moyens. Et pourtant, ce choix stylistique fait partie, nous semble-t-il, d’un sous-texte subversif qui aurait eu de quoi éveiller la méfiance des censeurs.
32Ainsi les effets d’éclairage pourraient-ils suggérer une vision beaucoup moins optimiste, voire une vision cyclique de l’histoire. L’arrière-plan à droite est, certes, inondé de soleil, mais ses rayons n’arrivent à éclairer que le groupe des politiques et quelques ouvriers tandis que la plus grande partie du chantier, à droite, reste dans l’ombre. La tonalité de cette dernière scène rejoint ainsi celle de la première, allégorie du passé et de la tradition, ce qui pourrait laisser penser qu’un cycle s’achève. À y regarder de plus près, le chantier de la tour semble évoquer la difficulté du chemin à parcourir bien davantage que la victoire finale, libératoire. La perspective y est tout sauf aérienne, il s’en dégage, au contraire, une impression d’enfermement, de densité chaotique traversée par des courants contraires. En réalité, seuls les ouvriers du fond semblent aller de l’avant, péniblement. Avec leurs casques – si nous nous plaçons dans cette perspective d’une lecture politiquement incorrecte – ils évoquent, bien davantage que l’avant-garde socialiste bâtisseuse d’un avenir radieux, des soldats anonymes engagés dans une bataille désespérée mis en scène par un Otto Dix. Les autres ouvriers paraissent, pour la plupart, étrangement figés dans leurs attitudes. Le caractère statique de cette dernière scène a été interprété positivement par la critique. Ainsi Eduard Beaucamp y voit-il l’expression d’une tranquille assurance des ouvriers45 tandis que pour Ulrike Garvert, cette scène paraît « étrangement calme et tranquille46 ». Garvert fait en outre remarquer que l’échafaudage et les matériaux du chantier semblent vétustes, délabrés, contrairement à la plateforme, solide et bien éclairée, sur laquelle se trouvent les représentants politiques47 – sans, toutefois, proposer d’explication à ces singularités a priori étonnantes. Les observations évoquées, dans notre hypothèse, prennent tout leur sens si nous les comprenons comme éléments d’un sous-texte où Tübke inscrit, en contradiction avec la vision du monde officiellement prescrite, son scepticisme quant à l’utopie marxiste-léniniste et au discours héroïsant sur le rôle de la classe ouvrière comme moteur du progrès. Mais cette lecture n’invalide pas nécessairement celle, politiquement plus conforme, que nous avons évoquée précédemment. C’est en jouant sur l’ambiguïté de son langage pictural que Tübke réussit, en déjouant la vigilance de ses juges, à préserver sa liberté d’expression.
33Force est en tout cas de constater que le dynamisme, l’impression de vie foisonnante émane surtout du monde de l’esprit, délibérément placé au centre. L’éclairage attire l’attention non pas sur la scène finale, mais sur le centre de calcul, baigné dans une lumière crue. Hymne à la modernité et au dynamisme du système socialiste, comme le veut la critique, peut-être, mais dans cette perspective, Tübke semble pour le moins vouloir redistribuer les rôles dans l’alliance de la classe ouvrière et des intellectuels en faisant des travailleurs de l’esprit le véritable moteur de l’évolution de la société48.
34Quant au groupe familial, il est placé à la charnière du monde universitaire et de celui de la classe ouvrière et de son parti. Référence à la fonction médiatrice des arts plastiques, sans doute, qui allient travail intellectuel et manuel49 et qui servent, dans la conception officielle, de courroies de transmission entre le monde des idées et les masses populaires. Cependant, l’implication du peintre dans le projet du Parti est en même temps démentie par un nouveau décalage chronologique que Tübke choisit d’introduire à cet endroit précis : si la plupart des autres personnages sont vêtus à la mode de leur époque, la famille du peintre se présente en costumes du XIXe siècle. Petit îlot stable au milieu du courant, elle forme un cocon fermé sur lui-même, délibérément tourné vers le bonheur privé. Le peintre lui-même, penché vers sa femme, prend explicitement ses distances en tournant le dos au spectateur comme aux figures qui l’entourent. Au pied de l’estrade, seul un de ses fils – retenu par sa mère – paraît s’intéresser au monde extérieur en levant les yeux vers le groupe des politiques et des charpentiers.
35Mais apparemment, les éléments de subversion poétique du discours dominant – dont cette étude n’a pu relever que quelques-uns parmi ceux qui paraissent les plus significatifs – n’ont pas été suffisamment prégnants, aux yeux du commanditaire, pour que l’œuvre fût censurée.
36Quelques années plus tard, Tübke ira beaucoup plus loin : dans sa gigantesque fresque panoramique « La première révolution bourgeoise en Allemagne » (Frühbürgerliche Revolution in Deutschland) consacrée à la Guerre des paysans de 1525 (1976-1987)50 et exposée à Bad Frankenhausen en Thuringe, il représentera plus explicitement, selon l’interprétation d’Eckhart Gillen, une vision en rupture avec la conception marxiste du progrès linéaire et dialectique de l’histoire de l’humanité, vision cyclique et pessimiste où aucune main invisible, ni Dieu ni Raison universelle, ne vient apporter la rédemption51. Tübke, comme le pense aussi son biographe Günter Meißner52, anticipe ainsi la fin de l’utopie et la chute du régime53, imminente au moment de l’inauguration du musée le 14 septembre 1989.
37La présente contribution a tenté de montrer que Werner Tübke, dans « Arbeiterklasse und Intelligenz », œuvre dont la critique tend à souligner la conformité aux prescriptions idéologiques du SED, avance masqué – s’il est permis de s’exprimer ainsi – pour démentir le discours imposé en affirmant sa part de liberté face à un pouvoir dont il ne partageait guère la vision de l’histoire et de la politique. En usant de l’anachronisme stylistique, dont la censure semble avoir sous-estimé la dimension critique, il parvient, par un jeu poétique subtil avec les procédés iconographiques de la Renaissance maniériste – dont, notamment, le traitement expressif de la lumière et des corps –, avec des temporalités contradictoires et la polysémie des métaphores, à faire, de ce qui devait être une mise en scène du dogme marxiste-léniniste, cette œuvre sémantiquement complexe que notre étude a tenté de décrypter.
38L’anachronisme a, depuis les années 1910 et 1920, suscité beaucoup de réflexions en histoire de l’art. Depuis que Freud, dans ses travaux sur le fonctionnement de la mémoire, a déconstruit la conception linéaire du temps en introduisant la notion de l’après-coup (Nachträglichkeit), notre rapport au temps a connu des bouleversements majeurs. Dans les années 1920, l’historien de l’art allemand Aby Warburg développa, autour de la notion de survivance (Nachleben), une iconologie qui rendait compte de « la complexe temporalité des images »54. Dans une esquisse sur la peinture et le graphisme, le philosophe Walter Benjamin cherchait, dès 1917, des « modèles temporels nouveaux destinés à périmer le récit causal aussi bien que la téléologie et la “théorie du progrès”55 ». Leurs travaux ont préparé le terrain à une réhabilitation de l’anachronisme dans le domaine de l’art, mais aussi dans celui de l’historiographie. L’anachronisme pourra désormais être considéré comme source de connaissance, de créativité, de poésie, dans une relation au temps en rupture avec la conception idéaliste de progrès linéaire. Par la liberté critique avec laquelle il use de l’anachronisme et par son rapport au temps, Werner Tübke, en dépit des distances qu’il aimait à prendre avec la notion de modernité dans l’art, est, assurément, bien un enfant du XXe siècle56 en rupture avec les philosophies du progrès du XVIIIe et du XIXe siècles ainsi qu’avec celle de leurs héritiers marxistes-léninistes.
Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier la Kustodie de l’université de Leipzig, qui a mis les photographies de l’œuvre à ma disposition, ainsi que Madame Tübke-Schellenberger, de leur aimable autorisation à les utiliser dans le cadre de cette publication.
2 Dans l’emblème de la RDA, cette alliance est symbolisée par le marteau et le compas.
3 Le Rektorat est, dans les universités allemandes, l’équivalence de la présidence des universités françaises.
4 Cf. Monika Gibas, Peer Pasternak, « Sozialistisch behaust und bekunstet ? Zur Botschaft und Sozialgeschichte des Hochschulbaus der DDR », in Sozialistisch behaust und bekunstet: Hochschulen und ihre Bauten in der DDR, Leipziger Universitätsverlag, 1999, p. 24. Ces auteurs écrivent, à propos de « Arbeiterklasse und Intelligenz » de Werner Tübke et de « Antiimperialistische Solidarität » (1977) de Hartwig Ebersbach, autre œuvre de commande ornant les locaux de l’université de Leipzig : « Qu’il y eût, comme ce fut à l’évidence le cas chez Tübke et chez Ebersbach, différentes manières semi-subversives de contourner la mission politique formulée dans le titre de l’œuvre – ne pouvait le comprendre que celui qui savait distinguer, puis décoder les différentes couches sémantiques des œuvres. » Dans leur article, les auteurs, cependant, ne procèdent pas à ce décodage. (La traduction des citations allemandes a été effectuée par nos soins.)
5 Cf. Ulrike Goeschen, Vom sozialistischen Realismus zur Kunst im Sozialismus. Die Rezeption der Moderne in Kunst und Kunstwissenschaft der DDR, Berlin, Duncker & Humblot, 2001, p. 59 sq.
6 Ibid., p. 117 sq. et 156-160.
7 Ibid., p. 138 sq.
8 Ce plenum est resté dans les mémoires comme le « plenum des coupes claires » (Kahlschlagplenum). Lire, à ce sujet, Günter Agde (éd.), Kahlschlag. Das 11. Plenum des ZK der SED 1965. Studien und Dokumente (1991), Berlin, Aufbau Taschenbuch Verlag, 2. erw. Aufl. 2000.
9 Conformément à cette logique, l’art abstrait restait explicitement exclu. Cf. Ulrike Goeschen, op. cit., p. 147.
10 Cf. le discours d’Erich Honecker, in Protokoll der Verhandlungen des VIII. Parteitages der Sozialistischen Einheitspartei Deutschlands, Berlin, Dietz-Verlag, 1971, p. 94-96. Honecker y encourage l’imagination créatrice, la recherche de nouvelles formes et modes d’expression et le débat sur les questions de la création artistique tout en plaçant cette recherche et ce débat dans le cadre du rôle assigné à l’art par le projet marxiste-léniniste du Parti.
11 Cf. Manuela Bonnke, Kunst in Produktion. Bildende Kunst und volkseigene Wirtschaft in der SBZ/DDR, Köln, Böhlau-Verlag, 2007, p. 299-301.
12 Cf. Eckhart Gillen, Feindliche Brüder ? Der Kalte Krieg und die deutsche Kunst 1945-1990, Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, 2009, p. 327-350.
13 Ibid., p. 144 et 164 sq.
14 Ibid., p. 327 sq., et Goeschen, « Anhang A-IV, 1.4 » (discours de B. Heisig), op. cit., p. 424-429. L’intervention de Heisig vaudra à celui-ci d’être révoqué de son poste de recteur de l’École supérieure des Arts graphiques et des Arts du livre à Leipzig. Cf. Kathleen Krenzlin, in Günter Agde (éd.), Kahlschlag, op. cit., p. 77, note 1.
15 Il s’agit de la 7e Exposition d’art de l’Union des Artistes plasticiens du district de Leipzig (7. Kunstausstellung des VBKD, Bezirk Leipzig). Cf. Eckhart Gillen, Feindliche Brüder ?, op. cit., p. 328.
16 Ibid., p. 328 sq., 340 sq. et 347.
17 Ibid., p. 345-349.
18 Avec l’Holocauste, Tübke aborde un sujet étrangement occulté dans l’art de la RDA. Ibid., p. 344.
19 Ibid., p. 350.
20 Ibid.
21 Cf. Christian Winter, Gewalt gegen Geschichte. Der Weg zur Sprengung der Universitätskirche Leipzig, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 1998, p. 145 sq.
22 Cf. Christian Winter, op. cit.; Thomas Topfstedt, « Konzept und Realität. Der Universitätshauptgebäudekomplex der Karl-Marx-Universität und die Entwicklungsstufen seines bildkünstlerischen Gesamtkonzeptes bis 1970/71 », in Rudolf Hiller von Gaertringen (éd.), Werner Tübkes “Arbeiterklasse und Intelligenz”. Studien zu Kontext, Genese und Rezeption, Petersberg : Michael Imhof Verlag, 2006, p. 53 ; Mechthild Coustillac, « Universitätskirche Leipzig (1240-1968) : memoriale Rekonstruktion eines 1968 gesprengten Gotteshauses und Wiederaufbaudebatte 1992-2008 », in André Combes et Françoise Knopper (éd.), Le thème de l’après-coup (Nachträglichkeit) dans l’interprétation de phénomènes philosophiques, historiques, littéraires et artistiques, Cahiers d’Études germaniques, 2009/2, no 57, p. 89 sq.
23 Cf. Thomas Topfstedt, « Konzept und Realität », in Rudolf Hiller von Gaertringen (éd.), op. cit., p. 60 sq., et Mechthild Coustillac, « Erinnerungsort “Marx-Relief” in Leipzig : Zum Umgang mit Denkmälern der jüngsten Vergangenheit im Osten Deutschlands », in Alain Cozic, Hilda Inderwildi, Catherine Mazellier (éd.), Du texte à l’image. Appropriations du passé et engagements au présent, Nancy, CEGIL-Nancy, Collection « Le texte et l’idée », p. 191-204.
24 Cité par Thomas Topfstedt, in « Konzept und Realität », Rudolf Hiller von Gaertringen (éd.), op. cit., p. 61.
25 Cité par Thomas Topfstedt, Ibid., p. 62.
26 Cf. Ulrike Garvert, « “Arbeiterklasse und Intelligenz” – Über Auftrag, Genese und Rezeption », in Rudolf Hiller von Gaertringen (éd.), Werner Tübkes “Arbeiterklasse und Intelligenz”, op. cit., p. 69. Arno Rink, principal concurrent de Tübke, s’inspirait du peintre mexicain Diego Rivera. Ibid.
27 Ibid., p. 71 sq.
28 Eduard Beaucamp, Werner Tübke. Arbeiterklasse und Intelligenz. Eine zeitgenössische Erprobung der Geschichte, Frankfurt/Main, Fischer Taschenbuch Verlag, p. 35.
29 Ibid., p. 13.
30 Cf. Günter Meissner, « Das Wandbild im Gesamtschaffen Werner Tübkes », in Rudolf Hiller von Gaertringen (éd.), Werner Tübkes “Arbeiterklasse und Intelligenz”, op. cit., p. 97.
31 Cf. Ulrike Garvert, « Arbeiterklasse und Intelligenz », in Rudolf Hiller von Gaertringen (éd.), Werner Tübkes “Arbeiterklasse und Intelligenz”, op. cit. p. 73.
32 Pour la présentation des six groupes, cf. Ulrike Garvert, Ibid., p. 78-81, et Eduard Beaucamp., Werner Tübke. Arbeiterklasse und Intelligenz, op. cit., p. 23-27.
33 Ce centre de calcul, ouvert en 1963, incarnait alors la modernité dans le domaine des sciences et techniques. Cf. [http://www.urz.uni-leipzig.de/historie.html?&tx_ttnews%5Bpointer%5D=6&-cHash=0c5a5964e14f39687e44f80a85563cd1].
34 E. Beaucamp, considérant que la domination du Parti n’est pas thématisée par Tübke (cf. op. cit. p. 30 : « Aucun parti, aucune autorité [Obrigkeit] n’y règnent »), interprète ce tableau comme la représentation du « rêve d’une société sans exercice de pouvoir, d’une société égalitaire et communicative, animée par l’esprit et pétrie de beauté ». Ibid., p. 35. Il nous semble, au contraire, que la position du groupe des politiques, placé en hauteur et à la charnière du monde des intellectuels et de celui des ouvriers, ainsi que l’effet d’éclairage qui concourt à le mettre en exergue, renvoient au rôle prépondérant du SED – sans évoquer, il est vrai, le rôle coercitif de celui-ci. Nous rejoignons sur ce point Peter Guth, qui interprète les personnalités politiques représentées comme des « éminences grises » qui, discrètement, tiennent en main les ficelles du pouvoir. Cf. Peter Guth, Wände der Verheissung. Zur Geschichte der architekturbezogenen Kunst in der DDR, Leipzig, Thome Verlag, 1995, p. 291 sq. R. Hiller von Gaertringen conteste l’interprétation de Beaucamp pour une autre raison, affirmant que Tübke ne peint pas ici une vision ou un rêve, mais au contraire la réalité vécue. Cf. Rudolf Hiller von Gaertringen, « Zu Bildgattung, Ikonographie und Deutung von Tübkes Wandbild “Arbeiterklasse und Intelligenz” », in Werner Tübkes “Arbeiterklasse und Intelligenz”, op. cit., p. 114. Mais pour cet auteur aussi, la vision de la société socialiste représentée par Tübke est très largement positive.
35 Cf. l’interprétation de R. Hiller von Gaertringen, qui considère que le véritable thème du tableau est l’échange de connaissances (Wissensaustausch), dont Tübke ferait le « pilier central de l’édification de la société socialiste » : « Zu Bildgattung, Ikonographie und Deutung… », op. cit., p. 106 et 107.
36 Ibid., p. 106.
37 Cf. Eduard Beaucamp, Werner Tübke. Arbeiterklasse und Intelligenz, op. cit., p. 30.
38 Ibid., p. 20. Cette influence est attestée par le peintre lui-même, qui avait déclaré, en 1973 : « Les inspirations recueillies lors de mon voyage d’études au contact de la peinture vénitienne (Tintoretto, Véronèse) ont été importantes pour l’exécution [du tableau]. » : Karla Poerschke, « Gespräch mit Prof. Werner Tübke », in Universitätszeitung 36, 4. 10. 1973, p. 6, cité par Ulrike Garvert, « Arbeiterklasse und Intelligenz », in Rudolf Hiller von Gaertringen (éd.), Werner Tübkes “Arbeiterklasse und Intelligenz”, op. cit., p. 77.
39 Cf. Eduard Beaucamp, Werner Tübke. Arbeiterklasse und Intelligenz, op. cit., p. 12.
40 Manfred Bergeret alii, Kulturpolitisches Wörterbuch, Berlin, Dietz-Verlag, 1978, p. 471 sq.
41 Cf. Eduard Beaucamp, « Werner Tübke ist tot », in Frankfurter Allgemeine Zeitung, 28. 5. 2004.
42 Cf. Eduard Beaucamp, « Die Macht der Erinnerung – Geschichtsphantasie und Geschichtsreflexion im Werk Werner Tübkes », in Moshe Zuckermann (éd.), Geschichte und bildende Kunst. Tel Aviver Jahrbuch für deutsche Geschichte, Minerva Institut für deutsche Geschichte, Universität Tel Aviv, Bd. XXXIV, 2006, p. 296.
43 Ibid., p. 295.
44 Cf. Eduard Beaucamp, Werner Tübke. Arbeiterklasse und Intelligenz, op. cit., p. 39 sq.
45 Cf. Eduard Beaucamp, Werner Tübke. Arbeiterklasse und Intelligenz, op. cit., p. 27 : « L’agitation intellectuelle s’apaise dans la tranquille assurance des ouvriers. »
46 Ulrike Garvert, « Arbeiterklasse und Intelligenz », in Rudlof Hiller von Gaertringen (éd.), Werner Tübkes “Arbeiterklasse und Intelligenz”, op. cit., p. 81.
47 Ibid.
48 Martin Schönfeld va jusqu’à mettre en doute la crédibilité de l’alliance des intellectuels et des ouvriers en considérant que celle-ci n’est présentée par le peintre que comme un postulat purement théorique, les deux mondes apparaissant comme étant bien à part, sans aucun contact physique, toute scène de fraternisation ou de coopération directe étant ici absente. Cf. M. Schönfeld, « Erziehungsbilder. Wandmalereien an Hochschulen der DDR diesseits und jenseits der Staatsbürgerkunde », in Monika Gibas, Peer Pasternak (éd.), Sozialistisch behaust und bekunstet, op. cit., p. 238 : « Dans la fresque murale de Werner Tübke, l’absence évidente de liens [entre les classes sociales] produit l’effet d’une irruption inopinée de la réalité dans l’œuvre, mettant ainsi à jour le décalage existant entre l’exigence et la réalité. »
49 Cf. Rudolf Hiller von Gaertringen, « Zu Bildgattung… », in op. cit., p. 112.
50 Ce tableau panoramique de 14 m de haut et de 123 m de long orne, sur une surface de 1722 m2, les murs d’un bâtiment cylindrique qui lui est entièrement consacré. Des milliers de personnages, historiques ou imaginaires, s’y déploient en plusieurs centaines de complexes scéniques. Cf. Karl Max Kober, Werner Tübke. Monumentalbild Frankenhausen, Dresden : VEB Verlag der Kunst, 1989, et Eduard Beaucamp, Annika Michalski, Frank Zöllner (éd.), Tübke Stiftung Leipzig. Bestandskatalog der Zeichnungen und Aquarelle, Leipzig, Plöttner-Verlag, 2009, p. 101 sq.
51 Cf. Eckhart Gillen, Feindliche Brüder?, op. cit., p. 427 sq.
52 Cf. Günter Meissner, Werner Tübke. Leben und Werk, Leipzig: Seemann, 1989.
53 Cf. Günter Meissner, « Das Wandbild im Gesamtschaffen Werner Tübkes », in Rudolf Hiller von Gaertringen, op. cit., p. 101.
54 Cf. Georges Didi-Hubermann, Devant le temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 2000, p. 50.
55 Commentaire de Benjamin dans une lettre à Ernst Schoen, cité par Didi-Hubermann, op. cit., p. 89.
56 Cf., à ce sujet, Gerhard Ahrens in Nachbilder. Vom Nutzen und Nachteil des Zitierens für die Kunst. Ausstellung, Kunstverein Hannover, 10. Juni – 29. Juli 1979, Katalog, p. 116 : « La prédilection de Tübke va manifestement aux maniéristes, dont il utilise l’expressivité pour les motifs traités. Sa manière de peindre n’est pas l’expression d’un manque de modernité, mais elle témoigne de la force intacte de l’artiste moderne qui sait traiter la citation de telle sorte à ce qu’elle livre le passé au présent. Ou bien, pour citer Friedrich Schlegel : “Il y a une manière de citer qui transcende la citation (c.-à-d. idéaliser et réaliser à la fois).” »
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