La manufacture des toiles bretagnes du xviie au xixe siècle
p. 231-271
Texte intégral
1C’est une bien belle aventure économique et humaine que celle de la manufacture des toiles bretagnes1. Entre les milieux du xviie siècle et du xixe siècle, dans un vaste quadrilatère dont les pointes extrêmes atteignaient les faubourgs de Saint-Brieuc, de Corlay, de Pontivy, de Moncontour, le filage et le tissage des toiles de lin ont représenté la principale activité. La région a ainsi accédé aux chemins qui la conduisaient vers le commerce international. Ceci implique de s’interroger sur les raisons qui ont favorisé un tel développement toilier dans cette partie de l’Armorique. Il importe, tout autant, d’identifier les mécanismes de fonctionnement et de découvrir l’importance des productions locales. Quant à la disparition brutale et tragique du tissage breton, elle pose le douloureux problème d’un impossible passage d’une proto-industrie au stade industriel. En dépit de cet échec, les marchands de la manufacture nous ont légué un riche patrimoine architectural qui fait toujours le charme de Quintin, d’Uzel et de Moncontour, et qui embellit encore de nombreuses communes rurales du centre-Bretagne.
Le développement toilier du centre-Bretagne
Raisons extérieures
2L’histoire du développement toilier dans ce qui fut la manufacture des bretagnes est intimement lié à la croissance des besoins de l’Espagne et de ses colonies2. Les grandes découvertes des xve et xvie siècles, puis la mise en coupe réglée de l’Amérique latine, favorisèrent les échanges commerciaux européens, car la métropole hispanique ne pouvait, à elle seule, subvenir aux besoins de ses colons. Jusqu’à la fin du xviiie siècle, l’histoire commerciale de l’Amérique latine avec l’Espagne a été rythmée par les arrivées et les départs des flottes et des galions, liaison connue sous l’appellation de « Carrera de Indias3 ». L’ensemble formait, depuis Séville puis Cadix, un puissant système maritime et mercantile destiné à fournir aux colonies des produits de première nécessité ; en retour, les navires espagnols ramenaient surtout des barres d’argent, des lingots d’or, des produits tinctoriaux.
3La plus grande partie des importations américaines était constituée d’étoffes4 : toiles de Rouen, de Bretagne, de Laval, draps de France et d’Angleterre, étamines et brocarts de Lyon ou d’Italie. Les bénéfices réalisés en Espagne par les différents pays européens étaient en rapport avec le volume du commerce qu’ils pratiquaient. En 1691, avec près de 14 millions de livres pour ses différents produits exportés, la France était un pourvoyeur incontournable, et les deux tiers de ce trafic étaient destinés à l’Amérique latine5. Bien qu’il eût été interdit aux négociants étrangers de commercer directement avec les colonies hispaniques, ils se sont employés à contourner cette défense. On explique leur attitude par les plus-values réalisées dans le commerce transocéanique, bénéfices qui pouvaient dépasser 40 %, alors qu’une simple vente en Espagne procurait un peu plus de 10 %6.
4Dans un rapport rédigé en 17517, l’inspecteur des manufactures bretonnes, de Coisy, attribuait la pénétration du marché américain par les toiles de son arrondissement à une modification vestimentaire des colons espagnols, ceux-ci ayant remplacé leurs chemises de laine par des chemises de lin. Sans donner de date précise à cette intrusion de la production bretonne sur les marchés américains, de Coisy reconnaissait sa relative nouveauté et ne la situait qu’au cours de la première moitié du xviie siècle8.
5Avec la nouvelle phase qui s’ouvrait alors, les négociants étrangers installés à Cadix, ont uni leur destinée commerciale à celle de la ville qui les abritait. Ainsi s’expliquent, la permanence puis l’accroissement de la colonie française en Andalousie. Ce phénomène d’intrusion commerciale étrangère s’observe quand on consulte la liste des grandes « maisons françaises de commerce9 ». En effet, leur nombre est passé de douze en 1625 à vingt-quatre en 1680, de cinquante en 1746 à cent cinq en 177110. Une comparaison des patronymes de ces « immigrés » fait apparaître une permanence des « maisons bretonnes ». Les Magon, les de la Haye, les Eon, puissantes familles malouines associant armement et assurance maritime, commerce à grande distance, ont été régulièrement représentées à Cadix par un ou plusieurs membres. On a même vu, dans la seconde moitié du xviiie siècle, certains des marchands les plus représentatifs de la manufacture prendre pied en Espagne. C’est ainsi que les Le Deist de Botidoux et de Kérivalan, les Priat, les Glais, ou les Veillet-Dufrêche, se sont introduits dans la filière du commerce gaditan11.
6Tenter de comprendre les mécanismes qui ont facilité la pénétration commerciale étrangère à Cadix conduit tout naturellement à évoquer les phénomènes de corruption qui caractérisaient aussi bien les pratiques de ce port que celles qui se renouvelaient dans le monde hispano-américain. La fraude commençait à l’arrivée des marchandises, les importateurs souhaitant ainsi éviter les frais de douane. Dès qu’un navire étranger avait jeté l’ancre dans la baie de Cadix, les services espagnols étaient tenus d’exercer leur contrôle et d’interdire le débarquement de marchandises non munies d’un « acquit ». Différant de répondre rapidement à la demande qui était faite par les autorités portuaires, les capitaines des navires s’empressaient de débarquer frauduleusement des produits. Lorsque l’essentiel de la cargaison était à terre, et qu’enfin le douanier pouvait monter à bord, il était « acheté » à son tour. Toutes ces pratiques n’avaient qu’un but, minorer les frais d’importation sur les marchandises déchargées. Quoiqu’une partie des produits importés ait été consommée par le marché intérieur espagnol, comme nous l’avons dit précédemment, l’essentiel était destiné à l’Amérique12 ; or ce type de commerce, était interdit aux négociants étrangers résidant à Cadix. Ils devaient alors trouver une parade. Choisissant parmi leurs relations espagnoles, un homme digne de confiance, un « ami fidèle » comme le signalent les rapports de l’époque, ils lui faisaient endosser la propriété des marchandises destinées aux colons américains13. Les retours des flottes et des galions étaient prétextes à de nouvelles fraudes. Après avoir « corrompu » le gouverneur de Cadix, le major et l’alcade, les négociants utilisaient les services des « metedores ». Cadets désargentés ou membres de grandes familles madrilènes, ces jeunes gens se chargeaient de transborder sur les navires étrangers, les barres de métal précieux rapportées d’Amérique.
7Il serait illusoire d’imaginer que ces actes publiquement pratiqués demeuraient inconnus de l’administration madrilène, car ils se renouvelaient en Amérique. Aussi, pour réparer, en quelque sorte le manque à gagner du fisc, le Conseil d’Espagne avait-il imaginé une série de taxes sur ses propres navires : les « Indults14 ». À leur sortie de Cadix puis à leur arrivée aux Indes, les navires exportateurs en acquittaient deux, l’une de 800 000 écus pour les galions et l’autre de 400 000 écus pour les flottes. Le retour de ces escadres, une année plus tard, était prétexte à un nouvel indult fixé selon les nécessités pressantes de l’État. Les différents prélèvements ont régulièrement minoré les bénéfices réalisés dans le commerce hispano-américain, mais ils n’ont jamais été un frein pour celui-ci.
8Les besoins du marché espagnol et de ses colonies ne peuvent à, eux seuls, expliquer le développement de la production des toiles de lin dans le centre-Bretagne, l’Espagne aurait pu se fournir sur d’autres marchés, puisque les Flandres et la Silésie fabriquaient aussi des toiles de qualité15. C’est ici que le rôle joué par Saint-Malo, et plus encore par ses négociants, demeure primordial dans le développement textile du centre-Bretagne16.
9On observe tout d’abord que, du xviie siècle au xviiie siècle, la manufacture implantée sur l’axe Quintin, Uzel, Loudéac a connu une expansion qui se caractérise par une ruralisation. Elle a aussi changé ses circuits d’exportation qui se dirigeaient à l’origine vers Nantes17 ; or au cours du xviie siècle on assiste à la réduction progressive de ce flux et à son détournement vers les rives de la Rance. Il ne s’agissait pas d’une quelconque recherche de commodité par des marchands, quintinais ou autres, peu désireux de s’aventurer sur les fondrières conduisant à Nantes, mais bien de la réponse à un besoin clairement exprimé par les Malouins. Il faut donc attribuer à ces derniers, la paternité des mécanismes qui ont transformé la zone manufacturière du centre-Bretagne en hinterland industriel du port exportateur.
10Comprendre pourquoi la domination malouine a pu ainsi s’exercer, c’est d’abord reconnaître à Saint-Malo son statut de port franc régional. À cet avantage s’ajoutaient ceux reconnus dès 1575 et confirmés en 1617, qui interdisaient aux marchands étrangers de commercer entre eux ou avec ceux de l’arrière-pays, sans passer par l’intermédiaire des Malouins. La législation laissait donc le monopole du commerce des toiles bretagnes entre des mains provinciales18. De plus, la situation de Saint-Malo, véritable lieu géométrique du tissage de la France de l’Ouest, avait depuis longtemps attiré l’attention de ses armateurs19. En effet, la liste des productions chargées par leurs vaisseaux et relevée en 1665 par Colbert de Croissy lors de son inspection des côtes bretonnes20, confirme qu’une véritable toile d’araignée s’est alors tendue entre la zone exportatrice, celle de production, et Cadix. Il est malaisé de découvrir quelles influences ont pu alors exercer les Malouins sur les lieux de tissage, car les documents qui évoquent la naissance et le développement de la manufacture des bretagnes sont fort rares, et ils ne fournissent que peu d’informations. Tout porte à croire cependant que les Malouins ont été les principaux instigateurs des règlements applicables à cette zone de tissage entre 1676 et 173821. On doit à Georges Minois d’avoir relevé, dans sa thèse, l’augmentation du prix du lin et de ses fils, dans le Trégor des années 165022 ; or l’essentiel de la matière première utilisée dans la manufacture provenait de cette zone. À la même époque, suite à l’ordonnance de 1667, de nombreux recteurs et curés du centre-Bretagne ont mentionné la profession des présents aux actes religieux essentiels. Ces enregistrements nous apprennent que les activités liées à la toile ont alors connu un grand développement dans le centre-Bretagne23. En dépit de leur intérêt, ces quelques indices ne peuvent être considérés que comme complément d’information.
11Le véritable élément dynamique local, susceptible d’avoir mis en œuvre les directives malouines, c’est bien le groupe des marchands de toiles, et principalement celui de Quintin. Appartenant à la fois au monde de la ville et à celui du commerce, ces hommes déjà ouverts aux préoccupations extérieures ont pu facilement orienter, voire stimuler par leurs achats, la production des ouvriers locaux. En effet, dès les débuts de la manufacture, la prééminence de Quintin apparaît de façon indiscutable. Il aurait été fort instructif de retrouver la correspondance que tous ces marchands ont entretenue avec les homologues malouins afin de comprendre quelle stratégie les uns ou les autres ont pu adopter, pour accroître les rythmes de production et d’exportation. En dépit de ce souhait, les plus anciennes lettres commerciales conservées ne datent que de la seconde décennie du xviiie siècle24. De leur lecture ressortent toutefois certains éléments qui peuvent être retenus. Si la quantité et la qualité des toiles achetées étaient du ressort des Malouins, les Quintinais et leurs confrères se chargeaient des transactions locales, de la préparation des tissus et de leur envoi au port exportateur. Une telle dépendance, facilement assimilable à du courtage, n’empêchait pas toutefois un type de relations amicales, comme le fait découvrir cet envoi de café par un sieur Magon à une dame Digaultray de Quintin. Mais une telle connivence de bon aloi ne s’appliquait qu’à un petit nombre de marchands locaux. Dans la plupart des cas, et le mémoire rédigé par de Coisy le montre bien lorsqu’il évoque les débuts du xviiie siècle, « les marchands ou négociants de [toiles] bretagnes… allaient eux-mêmes… les offrir aux négociants qui en [faisaient] les envoys, là on convenait du prix et la toile était délivrée à l’acheteur ».
12Par la suite, alors que le système était déjà bien en place, des intermédiaires sont apparus. Au début, il s’agissait de femmes chargées de conduire les vendeurs de la manufacture jusqu’aux maisons des exportateurs, puis on a vu de véritables courtiers apparaître à Saint-Malo. Cette situation a régulièrement suscité l’adresse de nombreuses doléances aux États de Bretagne25. Elles semblent avoir été vaines, comme nous le fait découvrir un dernier exemple daté de 1784 : « … Deux marchands du pays de fabrique26 se sont en quelque sorte rendus maîtres de ce commerce par la confiance qu’ils ont acquise de quelques-unes des principales maisons de Saint-Malo… Cette manœuvre leur a si bien réussi que la plus grande partie des acheteurs est obligée de passer par leurs mains… » Ces dernières lignes confirment cependant que, de l’origine à son déclin, le dynamisme économique de la manufacture a toujours été tributaire de l’extérieur, de Saint-Malo, et plus particulièrement de Cadix.
Causes propres au centre-Bretagne
13On peut s’interroger sur les motifs qui ont conduit les Malouins à embarquer des toiles tissées dans le centre-Bretagne, plutôt que des productions vitréennes ou fougeraises ? Il faut en rechercher l’explication dans les effets de La Ligue, conflit politico-religieux qui a secoué la province, et plus particulièrement le bassin de Rennes, entre 1590 à 159827. Deux partis se sont alors opposés, l’un soutenant Mercoeur et ses ambitions ducales, l’autre demeurant fidèle à la royauté derrière Henri III, puis Henri IV. Au cours de cette période, Rennes et sa zone d’influence ayant plutôt refusé la sécession, elles ont été soumises à tous les effets désastreux qui résultent de la présence d’hommes en armes vivant sur le pays. Cela s’est traduit aussi bien par des coups de main, que par des exactions et par une interruption du commerce. Si les biens ont souffert, on observe aussi une fuite des hommes, comme ces principaux négociants vitréens, en particulier les Magon vers Saint-Malo28. Il est vrai qu’avant le conflit, ce port commerçait déjà avec l’Espagne29, mais à un moindre degré. Il semble donc que son apparente neutralité pendant la Ligue ait été récompensée au détriment de Nantes.
14En ce qui concerne le développement toilier dans la manufacture au début du xviie siècle, les contemporains et leurs successeurs se sont tous plus à reconnaître la qualité des produits tissés à Quintin, Uzel, Loudéac, Moncontour, Pontivy30. Le sérieux des fileuses, aussi bien que celui des tisserands, était un gage pour des négociants qui devaient subir, à Cadix, la concurrence de productions venues de Rouen, des Flandres, d’Allemagne. Déjà, dans la seconde moitié du xvie siècle, les grandes foires qui se tenaient à Noyal-Pontivy avaient fait connaître les toiles du centre-Bretagne aux importateurs espagnols installés à Nantes, mais le volume de ces transactions demeurait encore modeste31. Après 1660, l’explosion de la demande espagnole jointe à une reprise de la démographie bretonne32, a transformé de nombreux paysans en tisserands. Pour comprendre ce phénomène d’expansion toilière en milieu rural, nous ferons appel à une évocation du diocèse de Saint-Brieuc, rédigée par le docteur Bagot à la fin du xviiie siècle33. Il décrit sans égards l’opposition qui existait alors entre l’Armor et l’Argoat : « les paroisses situées le long de la côte sont les plus riches, les plus petites, les plus peuplées et les mieux cultivées… La partie méridionale, au contraire est couverte de landes et de bois : le seigle, l’avoine, le sarrasin sont presque la seule nourriture des habitants ». Or cette partie méridionale, si dénuée d’avantages pour Bagot, correspondait à l’aire de la manufacture. La plus ancienne statistique agricole régionale dont on dispose a été rédigée de 173334. À propos de l’activité paysanne dans la subdélégation de Quintin, l’intendant de Bretagne écrivait : « Les habitants sont laborieux mais [ils] négligent l’agriculture. » À l’appui de cette appréciation, il fournissait des informations qui permettent de mieux comprendre la situation agricole du centre-Bretagne à cette époque :

15Il ne s’agit pas de prendre ces chiffres comme un recensement précis, mais plutôt comme l’indication d’une réalité. De leur lecture, transparaît l’extrême sous-utilisation du sol principalement dans les subdélégations du centre-Bretagne qui abritaient un grand nombre de toilières. Cette pauvreté agricole se vérifiait toujours un demi-siècle plus tard35 :

16Il est bien sûr malaisé de comparer ce tableau avec le précédent, mais il fait toutefois apparaître le peu d’emblavures qui existaient dans le district de Loudéac, où moins de 30 % du sol étaient réellement cultivés ; or en l’an II, les trois quarts des communes composant cette nouvelle unité administrative s’adonnaient à la fabrication des toiles. Quant au district de Saint-Brieuc, son apparent dynamisme agricole ne se comprend que par l’association des riches sols côtiers du Goëlo à ceux de la région de Quintin. On pourra sans doute contester ces statistiques révolutionnaires, mais elles permettent cependant d’affirmer qu’aucune modification agricole d’envergure n’avait affecté la région au cours du xviiie siècle36.
17Outre la faible superficie de terres cultivées dans la manufacture, il faut aussi évoquer le faible rapport du sol qui caractérisait alors cette zone. La compréhension de cet aspect particulier du monde agricole a été facilitée par la conservation de quelques statistiques agricoles rédigées sous le premier Empire37. Il aurait été intéressant d’élargir notre connaissance du monde agricole à toutes les communes qui composaient la manufacture, mais seuls neuf rapports ont été conservés :
Rapport du sol par hectare

18De ces données, il ressort d’importantes variations dans les rendements du sol : non seulement entre les différentes céréales, mais aussi entre les différentes communes. La conséquence qui en a toujours résulté pour la région, c’était une grande difficulté d’approvisionnement, ainsi que l’exprime cet extrait d’une lettre écrite en l’an III : « Le district de Loudéac est sur le point de manquer de grains de toute espèce. Jamais il n’a pu pourvoir à sa subsistance. Le peuple y cultive peu. Il nourrit dans son sein une branche de commerce considérable celui des toiles dites cy-devant bretagnes… C’est ce commerce qui fait négliger l’agriculture au point que le district n’a jamais eu de subsistances pour plus de six mois de l’année38… » Cette appréciation inverse la réalité : produire des toiles a représenté pour le centre-Bretagne un moyen de survie, non un choix délibéré comme l’écrivait le scribe du district.
Le fonctionnement de la manufacture
La production du lin
19La première originalité de la manufacture des bretagnes, c’est que les paroisses s’adonnant au tissage ne produisaient pas le lin dont fileuses et tisserands pouvaient avoir besoin. La fibre textile poussant sur la côte nord de la province n’était plus issue d’une souche indigène depuis la fin du xvie siècle, et les graines utilisées venaient de Zélande et des pays baltes39. Deux raisons étaient invoquées pour expliquer ces achats extérieurs : d’abord les importations fournissaient une tige plus longue, susceptible de produire plus de filasse, ensuite, on observait une dégénérescence de la plante, lorsque les mêmes semences avaient été utilisées pendant plus de trois ans. Si la première remarque paraît justifiée, la seconde résultait des pratiques locales de récolte. Le port de Roscoff importait donc des graines de lin et les redistribuait ensuite par barques, vers Morlaix, Tréguier, Pontrieux, voire Saint-Quay-Portrieux et Le Légué. En 1750 selon de Coisy, Roscoff aurait reçu 12 000 barils pesant chacun 160 livres, 7 000 barils étaient destinés au Trégor, 3 000 au Léon et 2 000 au Goëlo.
20Durant toute cette période, l’essentiel du commerce des graines de lin a été aux mains des armateurs de Lübeck, et c’est bien ce monopole d’importation que dénonçaient en 1760, les rédacteurs du « Corps d’Observations40 », stigmatisant l’absence de maisons françaises à Riga. La même source d’information mettait aussi en cause les circuits bretons de distribution. Le monopole provincial détenu par quelques importateurs morlaisiens leur permettait de spéculer en fonction des arrivages. Lorsque des vents contraires retardaient les vaisseaux et les faisaient arriver les uns après les autres, chaque marchand détaillant ne recevait alors que de 6 à 10 barils de graine. Face à lui se trouvait une masse de paysans qui, après avoir fait quatre à cinq lieues pour s’approvisionner, n’avait qu’une crainte : rentrer à la maison sans la précieuse marchandise. Dans de telles circonstances, la tentation des importateurs était grande d’augmenter le prix du baril, celui-ci pouvait alors coûter jusqu’à 75 livres, soit le double de ce qu’il avait coûté lors de son acquisition. De telles entraves apportées au développement toilier breton ont conduit les membres de la Société d’Agriculture à formuler l’avis suivant : « Les abus qui rendent le commerce du lin si désavantageux aux cultivateurs, aux fabriques de toiles bretagnes, ne sont que les suites nécessaires d’une exploitation vicieuse qui assure des profits importants aux étrangers et, de l’autre, livre les agriculteurs aux vendeurs. » L’importance reconnue de la culture du lin au xviiie siècle ne s’est pas accompagnée d’une étude statistique des paroisses qui s’y adonnaient dans le Trégor et le Goëlo, aussi avons-nous dû faire appel à des informations recueillies en 183641 :

21Il serait faux de laisser croire que les deux arrondissements de Lannion et de Guingamp constituaient l’ancien Trégor ou que celui de Saint-Brieuc désignait le seul Goëlo, il faut cependant signaler que les communes s’adonnant à la liniculture en 1836 étaient bien celles issues des anciennes zones de production. On expliquait cette spécialisation par l’apport d’engrais marins (goëmon et maërl) qui enrichissaient les terres. Au même titre que les fileuses et les tisserands du centre-Bretagne, les paysans du Trégor et du Goëlo étaient réputés pour leur savoir-faire, aussi bien dans la culture d’une plante exigeante que dans son rouissage. Il est vrai que leur activité se limitait à faire croître le lin, à le rouir, enfin à faire sécher les tiges. C’est alors qu’ils recevaient la visite de petits commerçants locaux, les « linotiers » lesquels se chargeaient de commercialiser le produit.
22En 1836 à Lanvollon, près de deux cents chevaux étaient utilisés par ces « linotiers » pour transporter le « lin en bois » vers Morlaix, Lannion, Tréguier, Guingamp, Saint-Brieuc, Quintin, Moncontour, Uzel, Loudéac, Rennes, Nantes42. Certains l’exportaient même jusque dans le Maine et en Normandie. Chaque animal portait une charge d’environ 60 kilos lesquels produisaient, après filage, 10 à 15 kilos de fil utilisable par les tisserands. Lanvollon détenait la suprématie commerciale de la vente du lin en bois, puisqu’au recensement de 1836 cette petite cité abritait alors 50 linotiers. Est-ce à dire que la « filière-lin » était aux seules mains des marchands du Goëlo ? Tout porterait à le croire, bien que des documents concernant la manufacture, fassent état de linotiers extérieurs43. À propos de ces derniers, les contrats de location des halles d’Uzel nous apportent quelques éclaircissements. On y découvre ainsi la présence d’au moins 20 linotiers à chaque marché hebdomadaire, mais les commerçants de Lanfains qui le fréquentaient, ne semblent avoir été autre chose que des intermédiaires.
23Le commerce du lin en bois ne se limitait pas aux seules cités qui abritaient un marché aux toiles. Il n’était pas une foire, pas un marché de la manufacture des bretagnes qui n’abritât, dans un coin de sa place ou de sa halle, un revendeur. Ces fournisseurs fréquentaient aussi les multiples hameaux de la campagne, approvisionnant les nombreuses ouvrières de la manufacture. Un tel mouvement ne s’exerçait pas uniquement à destination du centre-Bretagne, il concernait aussi la plupart des familles de l’actuel département des Côtes-d’Armor. La conservation de nombreux inventaires rédigés après décès, aux xviiie et xixe siècles, permet de retrouver la mention de braies, de rouets, de fromes et de peseaux, tous instruments utilisés pour transformer le lin en filasse puis en fil. Les nobles, les avocats, les notaires, les chirurgiens, les différents types d’artisans et même les ecclésiastiques possédaient aussi ces engins. S’ils ne les maniaient pas directement, leur personnel domestique en était, de toute évidence, l’utilisateur principal. L’absence de recensement ancien concernant les fileuses rend malaisé leur dénombrement, mais si l’on admet que huit ouvrières exerçant cette activité pouvaient subvenir aux besoins d’un tisserand, c’est donc à près de 40 000 femmes et jeunes filles que l’activité textile donnait du travail44 ; en effet, comme la production des ouvrières de la manufacture ne pouvait alors suffire aux besoins des 5 000 tisserands de la manufacture45, ceux-ci devaient faire appel aux multiples « filotiers » ou marchands de fil qui, tout comme les « linotiers », fréquentaient assidûment les marchés de la région. Là aussi, à côté des marchands locaux, se trouvaient de nombreux intermédiaires venus de La Roche Derrien, de Lannion, d’Étables, de Pontrieux, de Plélo, de Pommerit-le-Vicomte, de Pordic…, et ils apparaissent avec cette fonction dans le recensement de 183646.
Sa transformation et son exportation
24Toutes les phases du travail du lin puis de son tissage dans la manufacture conduisaient à la vente des toiles sur les marchés de Quintin, d’Uzel, de Loudéac. Comme ces tissus étaient commercialisés « en écru », les marchands devaient alors les faire blanchir47. Ainsi s’explique la reconversion de nombreux agriculteurs du centre-Bretagne dans le blanchiment, particulièrement au Quillio. Le traitement durait quelques mois, puis les toiles étaient rendues aux marchands qui, aidés par des pileurs et des carreurs, constituaient alors des balles48, paquets pesant une centaine de kilos. Au terme de ces différentes manipulations, les productions locales pouvaient enfin être transportées vers l’un des ports exportateurs.
25Selon les édits royaux, ce rôle était dévolu à Saint-Malo, à Nantes, à Morlaix, à Lorient et à Landerneau. La conservation de statistiques pour les années 1748-1788 permet de relever importance de chaque cité49. Pendant cette période qui correspond à la phase maximale de production dans la manufacture, 78,7 % des toiles sont sorties par Saint-Malo, 9,8 % par Morlaix, 9,2 % par Nantes et enfin, 2,3 % par Landerneau et Lorient. Une telle situation de monopole affichée par Saint-Malo avait bien naturellement suscité l’envie d’autres armateurs et plus particulièrement celle des briochins. En effet, sur une moyenne annuelle de 4 000 balles de toiles transitant sur les bords de Rance, les taxes locales rapportaient 28 000 livres50.Pour détourner une partie de cette manne au profit du Légué, la municipalité briochine multiplia les adresses aux États et à l’administration royale, sollicitant même l’intervention de l’évêque local. La diminution des frais de transport était un argument qui pouvait favorablement impressionner les autorités. Alors qu’il fallait parfois trois jours pour se rendre de Quintin à Saint-Malo, une seule journée suffisait pour atteindre Saint-Brieuc. Les édiles briochins ont défendu cet avantage et reçu l’appui de l’inspecteur des manufactures de la province, Guillotou. Mais, pour mener à bien leur opération, il fallait équiper et transformer le port du Légué, chétif havre d’échouage à l’embouchure du Gouët51 et, de l’avis des futurs exportateurs, une subvention de 78 000 livres semblait nécessaire pour réaliser ces modifications. Sous l’égide du duc D’Aiguillon quelques travaux, comme la construction de quais en pierre, ont été réalisés, mais ceci s’est avéré insuffisant pour faire de Saint-Brieuc un véritable rival de Saint-Malo qui est donc demeuré le principal exportateur des productions de la manufacture.
26Les marchands de toiles et leurs rouliers ont donc continué à prendre l’ancienne voie romaine connue sous le nom de « chemin chaussée » qui conduisait de Lamballe à Dinard d’où les toiles étaient embarquées pour Saint-Malo. En raison de son importance stratégique vérifiée lors de la bataille de Saint-Cast en 1758, le chemin fut refait entre Lamballe et Matignon de 1760 à 176352. Mais, au-delà de cette dernière paroisse, les traversées du Guildo et du passage du Drouet n’ont cessé d’alimenter le courrier des édiles quintinais53. Déjà en 1751, ceux-ci avaient envoyé deux députés auprès de l’intendant pour demander une amélioration des conditions de circulation au Guildo et à Pleurtuit. Faute de réponse satisfaisante ils s’adressèrent, en 1756, aux États de Bretagne. Afin d’apporter plus de crédit à leur demande, les quintinais évoquèrent la mésaventure survenue à vingt de leurs charrettes au passage du Guildo, où ces véhicules lourdement chargés de leurs balles de toiles s’étaient enlisés à marée montante. En 1769, suite à cette dernière requête, les États décidèrent d’établir une dérivation par Plancoët, afin d’éviter les passages jugés trop dangereux. Le nouveau projet qui plaçait le flux d’exportation des toiles sur la route de Lamballe à Dinan évitait aussi le transbordement entre Dinard et Saint-Malo54. Mais la lenteur d’exécution du projet ne permit pas sa réalisation avant la Révolution.
27Avec l’arrivée de leurs toiles dans le grand port exportateur, les marchands de la manufacture intégraient un nouveau système de relations qui les associait plus ou moins directement au grand commerce international, puisque depuis le milieu du xvie siècle, après avoir pris pied à Séville, la thalassocratie malouine était devenue prépondérante à Cadix. Afin de mieux comprendre les difficultés d’exportation vers le Mexique, principal centre de consommation des toiles bretagnes, il faut savoir que les flottes destinées à cette contrée n’étaient pas toutes constituées du même nombre de vaisseaux55. Quinze navires étaient prévus en 1764, mais seulement sept sont partis en 1768. Au contraire, l’expédition de 1761 qui était prévue pour dix bâtiments, a finalement été complétée par deux autres navires. Dès le départ de ces expéditions, Cadix tombait dans un état d’« hibernation économique ». L’argent s’y faisait rare et ce n’est pas l’accostage inopiné d’un vaisseau de Valparaiso porteur d’un million et demi de piastres, comme en 1761, qui la sortait de sa torpeur. Les retours monétaires connus sous le nom de « trésors » convoyés par la flotte ou par les divers navires de registres, étaient seuls susceptibles de ranimer un commerce local le plus souvent anémique. Le gaditan Barrère, à propos d’une de ces arrivées, exprimait ainsi la situation locale : « Ce gros secours va faire sans doute meilleures les affaires sur notre place. » C’est pourquoi les diverses correspondances entre Cadix et les principaux des marchands de la manufacture ont régulièrement évoqué les sommes rapportées d’Amérique. Celles-ci étaient estimées à 10 millions de piastres en 1760, à 15 millions en 1764, à 13 millions en 1766, à 18 millions en 177056. Si l’on peut dire, sans exagérer, que le grand port andalou vivait au rythme des départs et des retours de ses vaisseaux, ses fluctuations étaient ressenties jusqu’au centre-Bretagne. À propos d’une spéculation projetée en 1751 entre l’avocat rennais Moy du Breil et Mathurin Boschat, l’un des plus riches marchands de la manufacture, le premier écrivait au second : « Je pense comme vous que les toiles vont diminuer à la sortie des navires. » Cette impression se confirmait l’année suivante, dans une autre lettre entre les mêmes : « On dit que personne n’achète encore des toiles [à Saint-Malo]. Elles sont en effet trop chères vu les nouvelles de Cadix. »
28C’est que le prix des toiles dans la zone de production a rarement été le reflet de la situation commerciale espagnole, ce que relevaient en 1761, Beauvoir et Barrère, deux correspondants de Boschat. Le premier exprimait la situation en ces termes : « Les nouvelles qu’on a de Cadix ne cadrent pas avec la fureur et l’augmentation des toiles chez vous », tandis que le second tentait d’en rechercher les causes : « L’augmentation qu’il y a chez vous sur les toiles de Bretagne en écrue provient des fonds trop considérables qui s’emploient dans ce commerce… Il n’y a nulle augmentation et très peu de demande dans les lieux où les toiles bretagnes s’envoient. » Cette instabilité des cours dans les productions de la manufacture est aussi évoquée dans la correspondance entre le quintinais Rodolphe Baron du Taya57 et le négociant gaditan Juan Juille. Par huit fois, du 28 août 1773 au 25 mars 1774, Baron a mentionné une augmentation des toiles au marché de Quintin. Afin d’en corriger les effets pervers, il a même rédigé, pour les États de Bretagne, un long rapport sur le commerce local. Tout comme Beauvoir, il s’est efforcé de relever les causes d’un dysfonctionnement commercial. Il écrivait à ce propos :
« Le commerce des toiles bretagnes a acquis depuis quelques années la fatale réputation de faire des fortunes rapides. Les étrangers, c’est-à-dire les capitalistes éloignés de la manufacture, y ont versé beaucoup de fonds pour faire des achats considérables58. L’argent a été ainsi plus abondant que la marchandise, les acheteurs plus pressés d’acheter. Ils ont établi de cette manière une concurrence d’achat qui a considérablement augmenté le prix de la toile. Il peut en résulter un très dangereux effet que l’on a déjà commencé à ressentir [lors de] la vente pour l’expédition de la flotte espagnole partie de Cadix au mois de mai 1776. Les Espagnols malgré la différence qu’ils connaissent et qu’ils apprécient entre toutes les autres toiles… ont préféré d’acheter pour la même somme deux aunes de toile de Silésie. Il est cependant impossible et il serait injuste de remédier à ce mal en excluant les bases étrangères de ce commerce. L’expérience seule peut en leur laissant des pertes leur faire envisager que le seul parti qu’elles ont à prendre est de se resserrer. »
29Au terme de son analyse, Baron arrivait à la conclusion suivante :
« L’uniformité dans les prix, les moindres variations possibles sont tout ce qu’il y a de plus désirable dans une manufacture où la marchandise a la réputation établie d’une plus grande beauté intrinsèque… Le gouvernement ne peut négliger aucun moyen d’arrêter les rivalités de celles [des toiles] de Silésie particulièrement qui affectent une ressemblance d’apprêt et de pacquage qui leur fait donner à Cadix le nom de bretagnes contrefaites. »
30Une telle perception des relations commerciales entre la Bretagne et l’Espagne demeurait exclusivement centrée sur les mécanismes propres à la manufacture et trop peu au fait des modifications économiques qui commençaient d’affecter l’administration madrilène. Déjà, par le décret du 16 octobre 1765, une nouvelle réglementation visant à protéger les produits espagnols face à la concurrence étrangère, avait vu le jour ; mais comme ce décret avait aussi pour objectif d’accroître les liens commerciaux avec les colonies, en simplifiant les préalables administratifs, l’accroissement des exportations a surtout profité aux exportateurs étrangers. C’est bien pour corriger ce défaut et d’autres, comme l’engorgement du marché, qu’on appliqua le « Règlement et tarifs royaux pour le libre commerce entre l’Espagne et les Indes », à partir du 12 octobre 1778. Il provoqua un doublement des droits de douane sur tous les produits importés, avec le remplacement du « palmeo » par une imposition « ad valorem ». La conséquence fut immédiatement ressentie en Bretagne, puisqu’elle provoqua un renchérissement des toiles exportées et une défaveur des produits bretons. C’est ce que traduisaient, avec brutalité, les chiffres d’exportation relevés par les inspecteurs des manufactures : 5 629 balles exportées en 1784, et seulement 4 310 en 178859.
Importance de la manufacture dans le commerce français
Intrusion du pouvoir central
31Sous l’Ancien Régime, les différents Contrôleurs généraux des finances se sont appliqués à favoriser l’exportation des meilleures productions françaises60. Comme ces responsables n’ignoraient pas que la valeur des produits croît avec leur transformation, ils ont tout naturellement décidé d’imposer aux fabricants un « label de qualité61 ». Une telle option économique qui explique l’intrusion versaillaise dans la manufacture des toiles bretagnes pendant le dernier quart du xviie siècle, prenait aussi appui sur les exportateurs malouins. C’est dans ce contexte qu’a été rédigé le règlement de 1676, qui situe les débuts officiels de la manufacture : « … Sa Majesté ayant eu advis par des marchands des villes de Morlaix et de Q[uin]tin que depuis quelques années le commerce des toiles qui se fabriquent dans ces deux villes et en celles d’Uzel de Pontivy et environ d’icelles qui est un des plus considérable de cette province à cause du grand débit quy sen faict dans les pays étrangers estoit presque anéanty par le peu de soin et de fidélité que les tisserands aportent dans leur manufacture soit par la qualité soit par la largeur desdictes toiles62… » On observe toutefois un écart de onze années entre la réunion de Versailles et la nomination de Collart à l’inspection des manufactures de l’Ouest63. Le registre de la communauté de ville de Quintin a retranscrit aussi bien cette nomination que les directives ministérielle et royale qui l’accompagnaient64. Ceci constituait vingt-deux articles que l’on peut regrouper sous trois rubriques : recherche d’appuis locaux par Collart, surveillance de la qualité des produits et inspection des lieux de production. Toutefois, Collart n’a guère eu le temps d’influencer la manufacture. En effet, dès le 10 février 1691, une lettre du ministre Le Tellier avisait les édiles quintinais de sa destitution et de son remplacement par Caillaud. Ce dernier est aussi venu à Quintin. Le 25 octobre 1693, il y réunissait les principaux marchands et artisans et leur renouvelait les directives du règlement de 1676. Il est bien difficile d’apprécier ce que fut l’application du règlement de 1676, les sources locales ou nationales l’évoquant sont rares. Quintin semble avoir été régulièrement visitée d’abord par Caillaud, puis par son successeur Le Marchand. Ils ont tenu des statistiques régulières sur le nombre de tisserands de cette cité et sur le nombre de métiers utilisés. Si les registres municipaux évoquent la nomination de gardes jurés, ils laissent aussi parfois transparaître un certain manque d’assiduité dans la marque des toiles65.
32À la différence de ses prédécesseurs, l’inspecteur Le Marchand n’avait qu’une confiance très limitée dans un bureau de marque des toiles où la surveillance était exercée par les seuls tisserands. C’est pourquoi il avait décidé qu’à Quintin le contrôle des toiles présentées serait effectué par les marchands. Cela n’empêcha pourtant pas « les émotions » comme celle survenue en 172766. Ayant refusé des toiles non conformes au règlement, les gardes jurés Tufferie et Prieur se virent assiéger dans le bureau par une foule en colère. Ils y restèrent de midi à sept heures du soir et n’en sortirent que sous la protection du général d’armes et des sergents de Quintin. Une telle situation ne pouvait être acceptée ni par l’administration royale ni par les négociants malouins soucieux de conserver leur clientèle espagnole. Le 11 mars 1734, suite à divers autres abus observés, une lettre de Moreau de Maupertuis, député du commerce de Saint-Malo, provoqua une réunion officielle des principaux marchands de toiles de Quintin. Ces notables soucieux d’établir un dialogue avec les ouvriers avaient invité six maîtres tisserands « parmi les plus avisés ». Les prémisses d’une nouvelle législation commençaient à se mettre en place : ce sera celle des « Lettres patentes du 19 février 173667 ».
33Que contenaient les lettres patentes de 1736 ? L’originalité de ce nouveau règlement tenait à la personnalisation du produit, puisque le tisserand devait désormais apposer sa marque de fabricant, sur la toile présentée aux contrôleurs du bureau de marque. La mainmise des marchands locaux sur le commerce des toiles dans la manufacture peut être observée au travers de certains articles des lettres patentes. Il était désormais interdit aux « courtiers, marhoteurs, régatiers, plieurs, carreurs, tisserands ainsi qu’à leurs femmes » d’acheter des toiles. Cette activité était réservée aux seuls « marchands, bourgeois et autres ». Un tel ostracisme commercial a pu choquer localement, bien qu’il correspondît, dans l’esprit du législateur, à une responsabilisation plus grande du rôle des marchands et à une limitation de leur nombre.
34Mais tout règlement ne présente d’intérêt que par ses modalités d’application. Pendant toutes ces années, et les divers registres des trois marchés68 de la manufacture le prouvent, Fleury69, sous-inspecteur de la manufacture en résidence à Quintin, n’a alors ménagé ni sa peine ni son temps. Il s’est appliqué à poursuivre les tisserands peu scrupuleux, à visiter les blanchisseurs utilisant de la chaux de coquillage au lieu de la cendre habituelle. Il est même intervenu au domicile des marchands indélicats pour saisir des balles de toiles non conformes au règlement. Semblable dynamisme conduisait à faire naître un ressentiment durable. La surveillance du matériel utilisé par les ouvriers s’avérait relativement facile dans des centres urbains où la venue épisodique de l’inspecteur, aux côtés du sous-inspecteur, pouvait fortement influencer les récalcitrants. Il en allait tout autrement en ce qui concernait la surveillance des paysans tisserands disséminés sur plus de vingt lieues carrées70. L’ingéniosité des ouvriers à tourner le règlement s’est manifestée, comme le fait découvrir cet épisode qui a eu pour cadre le marché de Loudéac. En 1741, deux habitants de Saint-Thélo, avaient imaginé de fabriquer de faux cachets imitant ceux du bureau de Loudéac71. Munis de leur invention, les faussaires avaient officié, moyennant 6 deniers par pièce de toile. La supercherie ayant été découverte, une enquête des autorités locales conduisit à l’arrestation des coupables, mais aussi à celle de quatre autres individus possesseurs de faux cachets de marque. Les condamnations furent à la mesure de l’exploit. Après avoir été exposés au pilori de Loudéac, cinq des insoumis partirent aux galères, le dernier étant condamné au bannissement.
35Dans les années suivantes, un émoi dont les suites furent néfastes pour Fleury secoua la manufacture. Jusqu’alors quand un marchand achetait une pièce de tissu, il prenait, en plus de chaque aune mesurée, « le pouce d’évent », puisque le blanchiment réduisait d’autant la toile traitée. Mais après la réduction des pièces à cinq aunes, selon le désir des maisons espagnoles, les marchands se retrouvèrent avec des coupons inutilisables. C’est ici qu’intervint l’action, parfois directe mais plus souvent souterraine, de Guillaume Le Deist de Botidoux72. Ce personnage qui avait acquis une charge de secrétaire du roi et accédé à la noblesse, était alors l’un des trois marchands les plus importants de la manufacture et pouvait sans conteste porter l’appellation de négociant. Grâce à sa nombreuse parentèle, à ses multiples relations, son opposition à la nouvelle ordonnance était susceptible d’influencer aussi bien tisserands que marchands. En novembre 1768 à Uzel, Fleury surprit le facteur (employé) de Botidoux à prendre le pouce d’évent sur des toiles qu’il mesurait. Au début de l’année suivante, Olivier Le Deist, cousin de Guillaume, subit la même condamnation pour le même motif. Ceci n’entamait pas l’esprit de rébellion du négociant puisque, le 13 septembre 1769 et toujours à Uzel, Botidoux fut personnellement découvert en flagrant délit de mesurage illégal. Mais par l’intermédiaire de ses cousins, Olivier Glais-Bizoin et Guillaume Glais-L’Abbaye, la vindicte du personnage allait s’exercer contre Fleury. Le 3 février 1770 au bureau de marque de Quintin, ces deux jeunes gens devaient officier comme marchands-jurés. Ce jour-là, Glais-Bizoin refusa de tamponner les toiles, prétextant qu’il n’était pas fait « pour pareille besogne et ne voulait pas se salir les doigts ». En dépit de l’intervention de Fleury, il maintint sa décision, forçant le commis de Fleury à le remplacer. Dans une lettre expédiée le jour même à l’intendant, Fleury relevait « l’esprit de cabale, d’opposition de chicanes de hauteur et de prétention qui subsistent dans cette famille il y a plus de trente ans et dont le sieur Botidoux est le corifé comme le guide ».
36Le mécanisme de la confrontation se mettait en place, car Glais-Bizoin en référait lui aussi à l’intendant. Dans un courrier aussi long que celui expédié par Fleury, il présentait sa version des faits : son attitude n’avait été dictée que par la stricte observation du règlement de 1736 et des ordonnances qui l’avaient suivi. En effet, aucune des toiles présentées n’était pliée à treize pouces ainsi qu’il était prévu. Comme seconde critique, Glais-Bizoin reprochait à Fleury de laisser son « homme de peine » marquer des toiles, aussi bien avant l’arrivée des marchands-jurés, qu’après leur départ. Parmi les autres griefs retenus par le marchand de toiles, Fleury était accusé de détenir, seul, la clé de l’armoire contenant les marques et, surtout, de ne pas posséder un registre des sommes perçues au bureau de Quintin. Cette dernière affirmation, la plus terrible, touchait à l’honnêteté de Fleury, puisque Glais-Bizoin se proposait même de le remplacer et de fournir à l’administration royale une recette de 1 200 livres par an. La suspicion lancée contre le sous-inspecteur commençait à porter ses fruits. L’intendant écrivit alors au subdélégué de Quintin et lui demanda de mener une enquête sur cette affaire, « avec toute la prudence nécessaire ».
37Le quintinais Grénieux-Losties, chargé d’éplucher la comptabilité mise en cause, rendit son verdict en 1773 : entre 1749 et 1754 pour 35 892 balles de toiles exportées, on aurait dû contrôler environ 717 850 pièces de toiles, or on observait un sous-enregistrement de 322 418 pièces. Entre 1755 et 1772, phase plus longue, le nombre de toiles n’ayant pas subi de contrôle pouvait être estimé à 919 673 pièces. En vingt-quatre ans, selon l’expert, c’était près de 50 000 livres qui avaient été soustraites au Trésor public, par manque de soin dans la tenue des registres déposés aux bureaux de vérification. Fleury tenta bien alors de se disculper en réfutant les résultats obtenus par Grénieux-Losties, écrivant : « Rien n’est plus facile aux marchands répandus dans diverses maisons de campagne d’Uzel et Quintin que d’obtenir impunément les toiles en écru, même sur le métier… Il est de notoriété publique que les sieurs Glais, leurs parents alliés et amis… ont acheté chez eux au moins la moitié de leurs toiles, surtout dans le temps où elles se sont trouvées à bas prix… Ils ont pu ainsi acheter 4 à 500 balles par an et soustraire 8 à 10 000 pièces de toile à l’examen de mes bureaux… » La défense de Fleury ne fut pas prise en considération par l’administration et il fut révoqué en 1773.
38Au milieu de toute cette agitation, le 5 mai 1779, de nouvelles lettres patentes concernant les toiles bretagnes furent rédigées après accord entre le Conseil du commerce et les inspecteurs des manufactures73. Dans le texte explicatif qui accompagnait le nouveau règlement, un élément prouve l’évolution de la perception économique sous l’influence des physiocrates. Il y est dit en effet : « Nous avons pensé d’ailleurs que les lois du commerce devaient se modifier avec la variété des temps… Il fallait [aussi] s’écarter un peu des règles et des institutions qu’on avait adoptés dans d’autres circonstances… »
39Ces nouvelles directives, encore plus favorables aux marchands de toiles que le règlement de 1736, plaçaient désormais les tisserands sous leur dépendance. Si ce n’était pas encore la surveillance impériale, cela y ressemblait fort. C’est que désormais on exigeait des ouvriers un accroissement des fils de chaîne, sans pour autant prévoir une augmentation du prix du produit.
Le poids de la manufacture
40Dans l’histoire de la manufacture on ne dispose, avant le milieu du xviiie siècle, que de très rares informations concernant la production et la valeur des toiles exportées. Le plus ancien document qui nous est parvenu, a été rédigé par Patoulet dans le dernier quart du xviie siècle, et il nous fournit des informations très intéressantes74. On apprend ainsi que la valeur les de toiles françaises exportées en Andalousie s’élevait à 13 millions de livres par an et que la part des bretagnes atteignait presque 5 millions. Une telle somme qui représentait un peu plus de 38 % des exportations toilières françaises était-elle habituelle ou la période retenue marquait-elle une embellie ? Selon les travaux d’André Lespagnol, tout porte à croire qu’il s’agissait bien d’un ordre de grandeur proche de ce que devait être la réalité. Il faut aussi évoquer l’étonnante entreprise du commerce interlope dans la mer du Sud75. Cette fabuleuse et lucrative activité pratiquée à la fin du règne de Louis XIV et aux débuts de celui de Philippe V en Espagne, fut une tentative malouine de commercer directement avec le « trésor américain ». Pendant une dizaine d’années, elle a effectivement enrichi Saint-Malo et, secondairement, la manufacture. À la fin de 1715, les négociants de la cité corsaire évaluaient annuellement à 30 millions de livres, la valeur de leurs cargaisons destinées à la mer du Sud. Mais l’intervention de Philippe V mit un terme à ces désordres qui conduisaient inéluctablement son nouveau pays à l’asphyxie financière. Les « coups de Cobija et d’Arica » marquent un arrêt dans la tentative malouine de commercer directement avec le Pérou. En effet, le long des côtes de ce pays, une escadre espagnole conduite par le Français Martinet se saisit en 1717 de six navires bretons en maraude. La perte estimée à 2,8 millions de piastres (11,4 millions de livres) eut un retentissement régional et impliqua la nécessité, pendant tout le xviiie siècle, d’un retour aux voies traditionnelles du commerce.
41Les informations qui concernent la seconde moitié de ce siècle sont plus explicites, puisqu’elles fournissent des volumes précis d’exportation entre 1748 et 178976. On observe, pour cette période, deux phases bien distinctes de part et d’autre de 1775. Au cours de la première phase, si la croissance n’a pas toujours été régulière, on relève cependant une évolution continue qui s’est traduite par une exportation maximum de 8 636 balles de toiles vers Cadix sur un total de 9 216 balles produites par la manufacture en 1775. La cause d’une telle croissance résultait d’une modification tarifaire déjà évoquée. La taxe dite « palmeo » perçue après 1720 sur toute exportation, concernait le volume des marchandises et non plus à leur valeur. On comprend pourquoi les armateurs gaditans ont été tentés de spéculer sur des articles de luxe et de faible poids comme les toiles bretagnes. Ils ont aussi orienté les courants traditionnels du commerce américain vers des régions plus riches où leurs produits étaient aussi d’une vente plus facile. On observe pareillement un accroissement des armements entre les deux rives de l’Atlantique. Alors que, de 1710 à 1747, 1 271 navires espagnols jaugeant 330 476 tonnes étaient sortis de Cadix, le même port en a vu partir 2 365 navires lestés de 738 758 tonnes, entre 1748 et 177877. Un tel accroissement du commerce américain, pendant cette période, a tout naturellement influé sur les achats de toiles du centre-Bretagne78.
42Toutefois les années qui précèdent la Révolution se signalent, dans la manufacture, par un recul très net des exportations. Il est indéniable que les raisons de cette chute doivent être recherchées aussi bien dans les guerres maritimes entre Anglais et Français, que dans le nouveau système des douanes espagnoles. Le Premier Secrétaire d’État, Floridablanca désirant libérer son pays de la tutelle économique française a fait enregistrer le 12 octobre 1778, un nouveau Règlement du commerce. Alors qu’auparavant les taxes frappant les toiles armoricaines se situaient entre 2 et 5 % de la valeur du produit, contre 12 % à leurs concurrentes silésiennes, elles ont été désormais assujetties à une imposition portée à 15 %. Analysant les modifications subies par les différentes zones de production toilière soumises à son contrôle, l’inspecteur des manufactures de Bretagne écrivait en 1779 : « La seule fabrique des toiles bretagnes a éprouvé près de la moitié de ces diminutions » et il ajoutait : « plus de la moitié des tisserands s’est mise au service du Roy par terre ou par mer, l’autre est dans la misère et presque sans travail ; les marchands et négociants ont tous leurs fonds en toile79 ».
43Alors qu’entre 1763 et 1775, la comparaison entre le volume des toiles exportées et celui des toiles tissées dans la manufacture fait apparaître un certain parallélisme, il en va différemment pour la période 1776-1783 où les toiles tissées ont été plus nombreuses que celles exportées. Parmi les raisons susceptibles de fournir des éclaircissements à ce fait, on retiendra deux causes principales : si les tisserands ont continué leur tissage, sans tenir compte d’une diminution des exportations et plus encore des prix, ceux-ci ayant chuté de 25 %, c’est que leur survie en dépendait ; quant à l’achat de toiles par quelques marchands locaux, on peut y voir une tentative de spéculation grâce à l’utilisation de navires neutres ou l’espoir d’un arrêt prochain des hostilités liées à la guerre d’indépendance des USA. Toutefois, les années qui ont suivi cette paix se caractérisent par un net recul des exportations de toiles bretagnes, puisque cette décroissance peut être estimée à plus de 22 %80, même si le consul de France à Cadix écrivait en 1784 que la contrebande pouvait pallier les difficultés rencontrées81.
44On peut s’interroger sur les bénéfices que pouvait procurer le commerce des toiles bretagnes. Les seules informations régionales directement utilisables proviennent d’un marchand de Trévé, Pierre-Anne Moizan, et elles ne concernent que la période 1780-179082. La vente d’une balle de toiles, au sein de la manufacture, procurait généralement un bénéfice proche de 5 %. La même transaction, pratiquée à Saint-Malo ou Nantes, pouvait aussi bien atteindre 10 %, en période de forte demande, que ne produire aucun bénéfice. Bien que l’expédition des toiles à Cadix ait été parfois susceptible de fournir des gains avoisinant 10 %, l’immobilisation d’un capital important, pendant plusieurs mois, freinait l’ardeur de nombreux marchands locaux. C’est qu’ils étaient alors confrontés au double effet de pratiques locales commerciales contraignantes et à l’absence de banques régionales83. Ils devaient disposer de monnaie métallique, car tout achat de toile au marché s’accompagnait d’un paiement immédiat au tisserand. Ce dernier le convertissait aussitôt en fil et en nourriture, ce qui prouve son dénuement. Si d’aventure quelque marchand plus téméraire s’engageait sur les voies du commerce espagnol, il savait bien que, outre les délais de vente, il devrait attendre plusieurs mois avant de négocier ses lettres de change. Cette dernière opération allongeait la durée d’immobilisation du capital, car elle s’effectuait le plus fréquemment dans l’un des ports exportateurs. Quant à se lancer dans l’aventure transatlantique susceptible de procurer des bénéfices pouvant atteindre 25 % et plus, il s’agissait d’une opération bien au-dessus des moyens de la plupart des commerçants du centre-Bretagne. En 1789, sur les 450 marchands de toiles recensés dans la manufacture, moins d’une quinzaine avait osé s’aventurer sur les chemins du grand commerce international84. En ce qui concerne les armateurs malouins, l’exemple de Luc Magon de La Blinais, dans les années qui précèdent la Révolution, nous permet aussi d’observer le recul breton dans le commerce gaditan85.
45Désormais le descendant Magon exécutait fidèlement les ordres qu’on lui passait, prélevait sa commission, acceptant parfois de prendre une participation dans les envois, mais n’était plus l’un des éléments dynamiques des exportations vers l’Amérique86.
Un échec proto-industriel
Un constat
46Il faut bien aborder ce sujet, puisqu’en une dizaine d’années, de 1825 à 1835, la manufacture des bretagnes a disparu du paysage économique national et international. Déjà en crise depuis 1779 à la suite des modifications tarifaires espagnoles, elle a aussi dû faire face à ses concurrents silésiens qui produisaient des toiles à moindre coût. Les contemporains ont même considéré que les douanes espagnoles étaient devenues plus meurtrières pour les producteurs bretons que les frégates anglaises. Dix ans plus tard, les cahiers de doléances reprendront les mêmes griefs87. Avec la période qui s’ouvre en 1793 et se clôt en 1815, la production toilière bretonne a été exclue du marché espagnol. Bien que des tentatives d’ouverture au marché intérieur français aient été tentées, celles-ci ne compensaient les pertes subies88. Mais le plus terrible restait encore à venir, et le processus de déclin constitue une interrogation qui ne peut s’interpréter de manière univoque. On ne peut s’arrêter à une explication purement conjoncturelle, comme le faible coût des cotonnades anglaises ou des tissus de lin d’Irlande produits industriellement et proposés aux nouveaux états américains, il faut aussi en rechercher des causes structurelles. Ce serait au sein même de la manufacture que se trouveraient les motifs de sa disparition. La dispersion des lieux de culture du lin, de sa transformation en toile et de son exportation, loin d’unir Trégor, centre-Bretagne et rivages de Rance en une unité de production, a favorisé les fonctions intermédiaires parasites. De sa culture à l’exportation des toiles, le lin passait entre trop de mains, occasionnant ainsi un surcoût du produit fini, comme l’indique le tableau ci-dessous :
Coût de la transformation du lin en toile89

47Le second élément qu’il faut aussi prendre en considération, est l’imperfection des méthodes et des appareils utilisés par les différents ouvriers et ouvrières de la manufacture. De la fileuse au carreur, en passant par le tisserand et le blanchisseur, les pratiques de fabrication ou de transformation sont restées les mêmes, du règne de Louis XIV à celui de Napoléon. À propos de la préparation du lin, le registre des sessions du Conseil général des Côtes-du-Nord, pour 1840, a enregistré la note suivante90 : « Le produit [est] préparé par des moyens si dispendieux et si imparfaits [qu’il] n’est plus demandé au dehors. » En un siècle caractérisé par la multiplication et le perfectionnement des méthodes de production, l’outillage du tisserand local demeurait obsolète, ce qui conduisait Jean-Baptiste Digaultray, maire de Quintin, à écrire en 181191 : « Dans la manufacture des bretagnes… où la fabrication est aux mains du peuple… le fabricant le plus aisé… n’est pas plus avancé que le plus pauvre… Comment attendre, dans cette position, non seulement le perfectionnement des instruments et des outils mais même un bon assortiment de la matière de la fabrication. » Pourtant, dès 1806 Rodolphe-Marcelin Baron du Taya avait ramené de Paris deux métiers à navettes volantes92. La popularisation de ces modèles dans la manufacture permet d’interpréter ce jugement formulé par les membres de la Chambre consultative d’Uzel en 182493 : « Aucune mécanique ne s’est introduite parmi nous, si on excepte des métiers à navette volante qui nous ont procuré un emploi plus étendu de nos fils, par la fabrication de draps de lits, linge de table. » Ce constat prouve que le tissage traditionnel s’était reconverti vers de nouvelles fabrications. À propos des métiers à tisser, une statistique réalisée en 185594 permet d’apprécier l’archaïsme du matériel utilisé et aussi la réduction du nombre d’ouvriers depuis 1789 :

Des raisons spécifiques95
48Toutefois les explications décisives concernant la disparition de la manufacture paraissent devoir être aussi recherchées dans sa dynamique sociale interne. S’il y a bien, selon Braudel, des conditions sociales favorables à la réussite du capitalisme, on peut tout autant considérer qu’il existe des conditions sociales favorisant son engourdissement et son déclin. C’est justement ce second aspect que mirent en avant certains contemporains, spectateurs attristés du déclin de la manufacture. Pour Garnier de Kérigant : « De 1816 à 1824, si l’activité que l’on déploya alors avait été secondée par une intelligence proportionnelle, cette petite contrée fût devenue une des plus riches et des plus prospères de France. » En écho, Geslin de Bourgogne et de Barthélémy ajoutaient : [cette industrie] « est tombée surtout parce que ceux qui la dirigeaient ayant fait leur fortune n’ont pas voulu subir les embarras de la transformation de la filature et du tissage à la main en procédés mécaniques96 ». Ces deux appréciations, encore reprises aujourd’hui, peuvent sembler excessives car elles rétrécissent les rapports économiques de la manufacture, à la seule zone de production toilière dont elles stigmatisent la structure de fonctionnement. Il est vrai qu’à la différence de ce qui se passait à Laval et à Cambrai, où finalement s’étaient imposés les marchands, grâce au « Verlagssystem97 », ici leurs confrères de Quintin, Uzel, Loudéac, pratiquaient le « Kaufsystem ». Ils n’étaient donc qu’un relais obligatoire entre les artisans locaux et les exportateurs des grands ports. En outre, si un très petit nombre de marchands de toiles a pris le risque d’exporter directement à Cadix ou de participer aux embarquements pour l’Amérique, cela tient sans doute à la localisation de la zone de tissage et, plus encore, à l’absence d’une véritable bourgeoisie d’affaires dans cette région. En effet, les quelques capitalistes qui ont pu apparaître à Quintin, à Uzel, ou même à Loudéac et Moncontour ne disposaient pas de fonds suffisants pour s’intégrer aux différentes compagnies susceptibles d’organiser ces fameuses « emplettes » destinées au commerce hispano-américain. Il faut aussi évoquer le mode de vie des principaux marchands de la manufacture. Celui-ci se caractérisait par l’érection de constructions somptuaires, manoirs ruraux ou hôtels urbains, par des alliances matrimoniales orientées vers des possesseurs d’offices ou vers des maîtres du sol, quand ce n’était pas avec des membres de la noblesse. Tout ceci les a plus rapprochés des préoccupations des membres de cet ordre que de celles éprouvées par les véritables capitaines d’industrie. Si l’on élargit notre analyse, il faudrait donc considérer que c’est bien la disparition financière, et plus encore physique, non seulement des plus grands armateurs malouins, mais aussi de ces donneurs d’ordres extérieurs à la province et associés aux exportateurs gaditans, qui expliquerait les difficultés insurmontables rencontrées par la manufacture après 179398.
49Est-ce à dire que tous les marchands de toiles de la manufacture ont subi sans réagir cette conjoncture défavorable ? Non, et, dès 1823 à la suite d’un rapport présenté au Conseil général des Côtes-du-Nord par François-Cyprien Baron du Taya, l’autorité départementale décida d’aider les tisserands et les marchands de toiles99. Au cours de la session de 1824, un compte rendu précis destiné au ministre de l’Intérieur fut rédigé100. Après avoir décrit la manufacture et ses débouchés américains, les conseillers exposèrent les différentes entraves à l’exportation. La principale résultait d’une double concurrence exercée depuis longtemps par les toiles silésiennes et depuis peu par les toiles irlandaises. Les premières qui copiaient les bretagnes, étaient d’un coût inférieur de 10 %. Quant aux secondes, bénéficiant d’accords douaniers favorables aux intérêts anglais, elles ne payaient en Amérique latine que 15 % de droits de douane, alors que les productions bretonnes étaient imposées à 28,5 %. Le problème des surtaxes frappant les importations dans la péninsule ibérique depuis 1778 était donc à nouveau évoqué. Afin de concurrencer efficacement leurs rivaux, les marchands de la manufacture proposèrent au gouvernement français l’envoi d’agents commerciaux dans les ports des colonies espagnoles et portugaises ainsi, que l’octroi de primes à l’exportation. Comme enfin, sur le sol national, la concurrence des toiles belges était forte, les marchands de la manufacture imaginèrent d’imposer une taxe de 30 % à ces nouvelles venues. La réponse à toutes ces demandes parvint au Préfet des Côtes-du-Nord101. Rédigée par M. de Saint-Criq, président du Bureau de commerce et des colonies à qui le ministre de l’Intérieur avait transmis le dossier, elle se présentait comme un démenti cinglant face aux prétentions bretonnes. Selon de Saint-Criq, l’inégale imposition des toiles anglaises ne s’appliquait qu’au Brésil et résultait d’un accord préférentiel signé en 1810 entre les deux gouvernements ; pourquoi se plaindre puisque les productions bretonnes devaient seulement acquitter 24 et non 28,5 % ! À propos des surtaxes perçues par les royaumes ibériques sur toutes leurs importations, l’explication tenait au seul intérêt de ces royaumes. À l’exemple de l’Angleterre qui avait supprimé les primes à l’exportation, de Saint-Criq n’en prévoyait pas pour les toiles bretagnes. Quant à l’envoi d’agents commerciaux en Amérique latine, cela ne présentait aucun avantage, « Le gouvernement du roi… [ayant] suppléé… par d’autres moyens plus conformes à sa politique. » Bien qu’en conclusion le Conseiller d’État ait feint de répondre aux souhaits bretons en proposant une taxation de 15 % sur les toiles belges, il liait cette dernière à un projet de loi qui serait présenté ultérieurement aux Chambres. Une telle fin de non-recevoir n’a pas entamé la volonté de survie de la manufacture. Le 10 août 1826 à Quintin, le Conseil général des Côtes-du-Nord et le Préfet du département provoquèrent une réunion de crise102. Présidée par le sous-préfet de Loudéac, cette assemblée s’ouvrit en présence des « négociants et manufacturiers » de Quintin, Uzel, Loudéac, Moncontour, Le Quillio. Il faut dire que la situation était critique : alors qu’en 1824, 4 500 balles de toiles avaient encore été exportées, ce chiffre était tombé à 3 000 l’année suivante et les estimations les plus optimistes, pour 1826, espéraient tout au plus 1 000 balles. On était loin des chiffres relevés en 1775 ! Dans le même temps, le coût du produit avait décru, la balle de toile passant de 1 300 francs à 1 000 francs. Comme le rapporte le procès-verbal de cette réunion, « les tisserands ne [pouvaient] plus gagner de quoi faire subsister leurs familles ». Quelles grandes idées sont ressorties de cette réunion ? Considérant que le prix élevé des toiles résultait d’une absence de production de lin dans la manufacture, il fut décidé d’y favoriser cette culture. Mais, pour opérer cette transformation radicale, il était nécessaire de faire appel à l’État afin qu’il réduisît les droits perçus sur les graines importées du Nord de l’Europe. Momentanément, une aide de 50 000 francs prélevée sur les deniers publics permettrait de donner du travail aux fileuses et d’abaisser le prix du lin en bois de 25 %. Sans tenir compte des objections présentées par M. de Saint-Criq, les marchands de toiles s’efforcèrent d’expliquer comment fonctionnaient réellement les douanes d’Amérique latine. Les productions bretonnes étaient forfaitairement imposées sur une évaluation faite d’après les prix de 1817, alors que leurs concurrentes l’étaient sur les factures du moment. Forts de cette démonstration, les marchands locaux en profitèrent pour redemander à l’État une aide à l’exportation de 50 francs par balle. Ils y ajoutèrent le souhait d’une taxation plus élevée à l’égard des toiles belges et allemandes. Il est vrai que ces dernières commençaient à inonder le marché parisien et s’y vendaient au prix de 26 sols l’aune, alors que dans la manufacture des bretagnes, cette longueur coûtait déjà 36 sols.
Vaines tentatives de modernisation
50Jusqu’alors le préfet avait soutenu ses administrés mais, sur la pression de sa hiérarchie, voici la déclaration qu’il fit au Conseil général des Côtes-du-Nord, à la session de 1827 : « La fabrique de toiles ne peut se soustraire au système général de perfectionnement introduit dans toutes les fabriques. Les moyens à employer doivent être l’objet des méditations des négociants qui s’occupent de cette branche d’industrie mais ne sont point du domaine de l’administration103. » Ce désintérêt pour la principale activité du département était clairement exprimé et chacun était renvoyé à ses responsabilités. Il est vrai que le monde des marchands de toiles n’était pas exempt de reproches. Déjà sous le Consulat, il avait formulé des demandes de type traditionnel à savoir : réduction des droits de douanes en Espagne et retour à la surveillance de la production par la réouverture des anciens bureaux de visite104. Bien que ces derniers aient repris leur activité à Loudéac en 1805 et à Uzel en 1806, on peut douter de leur efficacité. En effet, régulièrement de 1815 à 1830 lors des sessions du Conseil général, parmi les contraintes nuisibles au bon fonctionnement de la manufacture, on trouve des remarques négatives concernant la qualité des toiles exportées et leur laize. La création de Chambres consultatives en 1804 à Loudéac, Moncontour, Quintin, Uzel ne semble guère avoir été plus motivante pour la profession. Ces ancêtres de nos Chambres de commerce et d’industrie ne connurent pas la même réussite. Un courrier préfectoral de 1821 signalait même que celle de Moncontour avait cessé toute activité et que celle de Quintin ne s’était pas réunie depuis plusieurs années « faute d’intérêt105 ».
51De 1830 à 1847, il n’y a pas eu une session du Conseil général des Côtes-du-Nord où cette assemblée ne se soit préoccupée d’apporter son soutien à la manufacture et à sa zone d’approvisionnement en lin106. Bien que certaines actions départementales semblent s’être parfois chevauchées, les principales concernaient la culture de la plante textile, sa transformation en fil et la modernisation des métiers. Ces objectifs étaient déjà apparus essentiels sous le régime précédent, mais ils n’avaient pu être menés à terme, aussi le département a-t-il fourni son aide aux différents ouvriers de la filière toilière. Au début de la monarchie de Juillet, un nommé Tanot fut envoyé en Flandre pour s’y perfectionner dans les méthodes de préparation du lin107. En 1833, au retour de ce voyage, le Conseil général qui l’avait chargé de former des écoucheurs pouvait déclarer : « Des ouvriers se forment et bientôt ils s’établiront dans le pays de grande culture d’où l’on n’exportera plus que de la filasse. » Tanot ne limitait pas son aire d’activité aux seuls Trégor et Goëlo, puisqu’en 1834 il exerçait aussi à Quintin. L’optimisme des élus départementaux allait rapidement se dissiper et, dès 1837, force était de constater que tous les ouvriers formés à la méthode flamande avaient abandonné ce mode de préparation. Objectivement, les membres du Conseil général reconnaissaient que l’échec tenait « au mécanisme porté au plus haut degré de perfection » alors que dans « ce pays… l’ouvrier dénué de ressources… fait ce que faisaient ses pères dans un autre siècle108 ».
52En 1836, Afin d’éviter une nouvelle déconvenue, les députés locaux, Armez et Glais-Bizoin, proposèrent au Conseil général, le choix « d’un homme intelligent, lequel serait envoyé en Irlande, en Écosse, en Belgique, en Saxe, en Silésie, enfin sur les différents points où il se fabrique des tissus de fil et où se trouvent les perfectionnements signalés109 ». Une année s’écoula avant qu’à l’issue d’une réunion préfectorale à laquelle assistèrent seulement cinq marchands de toiles, le choix se portât sur Frédéric Rouxel. Celui-ci, en août 1838, rendait compte de son voyage qui lui avait permis de découvrir la Flandre française, la Belgique, la Hollande, la Westphalie, le Hanovre, la Prusse, la Silésie, la Russie et de terminer son périple par l’Écosse et l’Irlande110. Dans chaque pays, il s’était intéressé à la nature du sol qui portait du lin, à la préparation du sol avant culture, aux engrais utilisés. Son attention avait aussi été attirée par les différentes méthodes de rouissage et de broyage ainsi que par les techniques de filature. De cet examen complet, Rouxel concluait à la nécessité d’utiliser des « mécaniques » pour préparer le lin et de créer une association des producteurs. Le voyage de Rouxel et sa présentation des usines Marshall de Leeds en Grande-Bretagne avaient définitivement convaincu les pouvoirs publics locaux de la nécessité d’importer des machines et de créer des usines. C’est ainsi que, dans sa session de 1839, le Conseil général des Côtes-du-Nord proposa d’accorder une prime de 60 000 francs à tout industriel ou à toute société susceptible d’implanter une usine à filer le lin à la mécanique111. Après des tentatives infructueuses auprès de la société Decarte-Girard-Van Troyen et Cie, seule la maison Schlumberger et Cie de Guebwiller donna un accord de principe. Toutefois, n’ayant pu trouver des capitalistes locaux désireux de s’associer à son entreprise, elle se retira au profit de Clerc-Kaiser et Cie du Havre. À son tour, devant l’inertie régionale, cette entreprise s’effaça, et ce n’est pas l’augmentation de l’aide départementale portée à 90 000 francs qui pouvait modifier sa décision.
53Puisque l’extérieur ne semblait accorder aucun intérêt à la survie de la manufacture, certain de ses membres, parmi les plus dynamiques, n’ont compté que sur leurs forces. Dès son retour de voyage, F. Rouxel avait installé dans la vallée du Gouët à Saint-Brieuc, une petite usine de sérançage et de filage du lin qui utilisait une machine importée d’Irlande. Une autre alternative était désormais possible depuis que le mécanicien lannionais Le Bonniec offrait, pour 300 francs, un appareil capable de réaliser à la fois le broyage du lin et son spatulage. Toutefois comme le constataient amèrement les membres du Conseil général, en 1841 : « ce ne sont pas les bonnes méthodes qui manquent à la fabrication, ce sont les capitaux112 ». Les pouvoirs publics locaux se montraient ouverts à toute proposition susceptible de secourir l’industrie toilière, mais leur statut institutionnel, comptable des finances publiques, ne les incitait guère à prendre les risques qu’imposait une économie libérale. Il faut dire qu’en face la plupart des marchands n’ont pas voulu ou pas pu se décider à devenir des industriels. La création du Comité de l’association linière en 1838 le prouve113. Cette association était destinée à venir en aide à la manufacture en fournissant aux fileuses et aux tisserands, une matière première à moindre prix. Ce n’était, toutes proportions gardées, qu’une centrale d’achat. Et c’est bien ce que lui reprochait le sous-préfet de Lannion qui écrivait le 13 juillet 1839 :
« J’attendais quelque chose de mieux qu’une simple souscription de cette réunion d’hommes honorables appelés de tous les coins du département. Deux cents actionnaires à cinq actions de mille francs auraient fourni un capital suffisant d’un million de francs pour fonder une filature ou plusieurs de moindre importance qui eussent donné de l’occupation à tous nos tisserands et rendu vie à notre commerce des toiles dans toutes ses branches114. »
54Au cours du xixe siècle, un certain nombre de marchands de toiles n’ont pas seulement occupé la traditionnelle fonction d’intermédiaire, ils se sont aussi orientés vers la production. Parmi ceux-ci, il faut à nouveau évoquer François-Cyprien Baron du Taya115. Ce personnage né à Quintin en 1782, était fils et petit-fils des anciens sénéchaux de cette ville, lesquels y exerçaient aussi l’activité de marchands de toiles. Il était persuadé qu’entre les tisserands et les marchands devaient exister des individus chargés d’organiser le tissage. C’est pourquoi il installa deux ateliers de filage et de tissage à L’Hermitage-Lorge, se chargeant des achats de lin et de la commercialisation des toiles. Alors qu’en 1843 le salaire journalier des fileuses et des tisserands était tombé à 0,25 et 0,74 franc, Baron du Taya payait ses ouvrières et ses ouvriers de 0,40 à 1 franc. Mais, pour mener à bien son entreprise, il ne disposait pas des capitaux suffisants. La visite de ses ateliers par une délégation du Conseil général lui procura bien une aide de 3 500 francs, mais était loin des 30 000 francs susceptibles d’assurer l’avenir de son projet116. Baron ne se découragea pas pour autant et, en 1847, il participa à la création du Comité linier d’Uzel destiné à favoriser l’extension de la culture du lin au sein même de la manufacture. Alors qu’en cette année le kilo de lin en bois était vendu de 15 à 20 centimes au marché de Guingamp, il atteignait 40 centimes sur ceux d’Uzel et de Loudéac. Pour favoriser la nouvelle entreprise, le Comité linier reçut en 1848 et 1849 deux aides de 3 000 francs offertes par le ministère de l’Agriculture117. Les résultats ne semblent pas avoir été à la hauteur des espérances. En 1852, une statistique de l’arrondissement de Loudéac concernant les surfaces cultivées en lin fournit 144 hectares alors que ce chiffre était de 246 hectares en 1840118. L’échec de la modernisation de la manufacture peut être relevé dans le compte rendu des délibérations du Conseil général de 1847, puisqu’on lit pour cette année119 : « Déjà nous avons trop donné à des mesures qui n’ont pas produit d’appréciables résultats. » La même assemblée concluait en 1849 : « Depuis plus de vingt ans la fabrication des toiles est dans un état complet de dépérissement120. » Le phénomène est aisément observable dans la manufacture où le prix de la location des halles d’Uzel a subi une décroissance en tout point comparable à celle du nombre de marchands de toiles patentés à Quintin121 ; enfin, l’année 1840 marque la fin des dernières grandes exportations de toiles bretagnes vers l’Espagne et l’Amérique latine et la cessation d’activité des derniers marchands importants, Bouan fils ou Guillo-Lohan122.
Un bilan
55Il semble nécessaire aussi, dans cette recherche des causes d’une disparition industrielle, de prendre en compte la situation de dépendance que connurent dès 1736 les tisserands bretons. À cette situation initiale, les événements de la Révolution et de l’Empire ont ajouté la ruine de nombreux marchands de la manufacture123 et celle des ouvriers locaux, figeant ces derniers dans un statut de sous-prolétariat. À aucun moment, et cela jusqu’à la seconde moitié du xixe siècle, n’a été offerte aux tisserands une possibilité de reconversion dans l’agriculture. La pression démographique qu’exerçaient alors ces ouvriers sur les campagnes s’est donc traduite par le maintien de l’activité textile traditionnelle. Dans ces conditions, le cycle de la misère qui s’était ouvert en 1779, s’est prolongé pendant plus de quatre-vingts ans. C’est seulement en réduisant toujours plus leur nombre et leurs coûts de production que les ouvriers de la manufacture ont maintenu une activité, justifiant le terme de « pastoralisation » utilisé à propos de l’économie bretonne du xixe siècle. Cette phase s’est d’abord accompagnée d’une migration individuelle des individus privés de travail, puis on a vu des familles entières prendre le chemin de l’exil.
56Tous les facteurs négatifs qui se sont accumulés sur la manufacture des toiles bretagnes, de la fin du xviiie siècle au second Empire, ont alors profondément marqué la psychologie des populations du centre-Bretagne. C’est ainsi que l’échec proto-industriel de son activité dominante a suscité une véritable « dépression collective » chez de nombreux acteurs. Celle-ci s’est traduite par un repli social caractérisé par une idéalisation des valeurs conservatrices. Dans l’inconscient collectif d’une population désorientée, un tel choix est apparu comme la seule réponse possible à toutes les formes de la modernité : que cette dernière ait été assimilée à la Révolution ou à la mécanisation textile. Ce phénomène de captation intellectuelle a été rendu possible, parce que les éléments les plus dynamiques de la société ont disparu de la scène économique. Si l’on comprend que ce propos s’applique aux fils de marchands de toiles devenus médecins, notaires, fonctionnaires ou rentiers, il concerne aussi les ouvriers. Pour ces derniers, cela ressort des motivations qui poussent les individus à émigrer : ce sont toujours les plus pauvres, mais aussi les plus motivés qui partent les premiers. Sans trop d’exagération on peut donc écrire qu’en 1850 la plupart des habitants du centre-Bretagne se sont retrouvés à la phase préindustrielle d’où étaient sortis leurs ancêtres de 1650. Dans ces conditions, le centre-Bretagne a dû attendre le milieu du xxe siècle et la naissance d’une agriculture qui n’était plus de subsistance, pour sortir d’une misère où l’avait replongé l’échec de sa manufacture. Dans la longue phase de décroissance qui s’est prolongée jusqu’aux premières années du xxe siècle, la manufacture des bretagnes a connu un ultime avatar : après 1840, lieux de production du lin et zone de tissage ont évolué séparément. Privés de leur principal débouché extérieur, les tisserands du centre-Bretagne se sont alors exclusivement adressés à une clientèle rurale et provinciale dont ils ont subi les variations de pouvoir d’achat. Durant ces mêmes années, différentes entreprises de teillage utilisant la force hydraulique de moulins à farine reconvertis, ont aussi vu le jour dans le Trégor. L’établissement du Lannionais Le Bonniec semble avoir été l’un des plus performants, puisque l’utilisation de machines spécialisées lui permettait de traiter 2 000 kilos de lin par semaine en 1844 et 700 kilos par jour en 1855124. Cependant, c’est bien le faible coût d’investissement de telles micro-usines qui explique leur popularisation dans le Trégor. Quoiqu’une apparente modernisation des techniques ait permis une survie momentanée de l’activité, les teilleurs de lin, à l’exemple des tisserands de la manufacture, sont rapidement tombés sous la dépendance extérieure, ici celle des négociants Lillois. L’activité qu’ils ont prolongée jusqu’après la Seconde guerre mondiale s’est avérée, tout au plus, « un modèle résistant d’une proto-industrie dirigée de l’extérieur125 ».
Ce qu’il nous reste de la manufacture126
57L’épopée artisanale et commerciale du centre-Bretagne aux xviie et xviiie siècles, est à l’origine du développement architectural de la région. Le plus ancien document qui évoque ce sujet est une requête des juges de la cour et juridiction d’Uzel et de La Motte-Donon127 datée de 1649 déclarant : « qu’il est venu à nouvelle connaissance que beaucoup de particuliers, sujets et convenanciers des terres et seigneuries dudit Uzel et La Motte Donon et Saint-Martin [des Prés] en dépendant se sont permis… bâtir, construire et édifier sur les fonds et domaines [convenanciers128] dudit seigneur des bâtiments superbes y employant pour fenêtres, lucarnes et cheminées des tailles de pierre de grain. Non contents de ce, les font couvrir de pierres et ardoises vertes, font des cours à portes cochères129 ».
58Les juges locaux n’ont pas apporté grand soin à décrire tous ces édifices nouvellement bâtis. Parfois, ils ont fourni la date de construction, d’autres fois le lieu d’implantation (vieux fondements, emplacement neuf ) ou encore, les dimensions des façades. Sans fournir d’autre explication, ils ont même utilisé, à quatre reprises, l’expression « grande et belle maison », pour désigner des constructions de Saint-Thélo. Le texte donne cependant les informations suivantes :
Nature des édifices

Importance de ces constructions

59Si cette enquête de 1649 évoque indirectement les débuts de la manufacture et les propriétaires fautifs ayant bâti leurs nouvelles demeures depuis moins de dix ans, elle ne permet pas cependant de se faire une idée très précise de ce que pouvait représenter la maison d’un marchand de toiles au milieu du xviie siècle. Pour répondre à cette interrogation, les archives notariales nous ont apporté quelques informations, comme celles qui concernent la propriété que Jean Garnier avait élevée en 1654 au hameau du Bosmeur (Allineuc) ; or cette maison existe toujours. Il s’agit d’une imposante construction rectangulaire orientée au sud, longue de 20 mètres et large de 8. Bâtie en schiste, elle a toujours présenté une double fonction d’habitation et d’espace agricole. Déjà sous toiture d’ardoise lors de sa construction, cet édifice présente une façade sud qui n’offre guère de symétrie. Au rez-de-chaussée, le mur gouttereau est percé de trois portes rondes et de deux fenêtres avec encadrement de granite et, à l’étage, de trois fenêtres et d’une gerbière. Le rez-de-chaussée habitable se composait de deux espaces séparés par un mur de refend et reliés par une porte de communication. Chaque pièce possédait cheminée et escalier à vis. Les fonctions des deux escaliers étaient différentes : le premier conduisait aussi bien à la chambre haute qu’aux latrines situées à mi-étage dans un appentis et le second permettait d’accéder au fenil. Toute cette partie supérieure reposait sur un plancher et recevait l’éclairage par l’intermédiaire de « trois fenestre de taille o leurs greilles de fer, garnies de leur carrée et huye de bois ». Au-dessus de cet ensemble, se trouvait un grenier, avec lui aussi un plancher. Les dépendances proches se limitaient à un auvent et à un appentis. Le premier, accolé au pignon du levant, était destiné à protéger le four à pain et mesurait 23 pieds de long sur 10 de large. Le second, en appui sur le mur gouttereau nord, avait une triple fonction de cellier, de laverie et de latrines. Il occupait un espace de 22 pieds sur 5. La façade de la maison s’ouvrait sur une cour cernée de murs longs de cent treize pieds et hauts de six. Les terres qui dépendaient de la propriété représentaient un peu plus de 11 hectares et, dans l’un des prés, existait un doué à blanchir les toiles.
60La fréquentation régulière de Saint-Malo aussi bien que celle du Clos-Poulet ont fourni aux marchands de toiles de la manufacture une ouverture aux nouvelles tendances de l’architecture. De nombreux exemples de constructions ayant copié les modèles malouins peuvent toujours être retrouvés entre Quintin et Loudéac, comme cette propriété du bourg de Saint-Thélo improprement appelée « manoir Boscher-Delangle » et datée de 1721. Il s’agit d’un exemple typique de maison « à la française », longue de 16 mètres et large d’un peu plus de 7. Elle se caractérise par la régularité de ses lignes et offre, sur sa façade schisteuse orientée au sud, une belle ordonnance qui force le regard à s’élever. Au rez-de-chaussée, deux fenêtres aux moellons de granite encadrent une porte surmontée d’une imposte. L’étage supérieur reprend les axes verticaux par l’intermédiaire de trois fenêtres de granite. Leurs linteaux prolongeant la corniche sous sablière servent aussi d’appui aux lucarnes des combles. Cette construction possède trois pignons « aiguillonnés », ce qui atteste d’un mur de refend. Le plan du rez-de-chaussée met en évidence le rôle de l’escalier intégré à la construction et il est précédé d’un vestibule. De part et d’autre de cet axe de circulation s’ordonnent deux espaces destinés aux fonctions de salle et de cuisine. Dans ce type de maison, la salle se reconnaît par son lambris qui tapisse les murs et encadre la cheminée. La cuisine n’est séparée de l’escalier que par une simple cloison de bois prenant appui sur une poutre, et elle occupe un espace à peu près équivalent à celui de la salle. Même s’il a partiellement disparu, tout porte à croire que le pavage du rez-de-chaussée était constitué de dalles de schiste, puisqu’on retrouve cette caractéristique dans de nombreuses maisons de la manufacture. L’étage, outre deux chambres spacieuses, a conservé des restes de latrines en surplomb du mur gouttereau arrière. Sur l’ensemble de l’édifice, s’étend enfin un vaste grenier.
61Les divers éléments qui constituent cette propriété permettent d’y retrouver deux grandes phases de construction : l’une au xviie siècle, l’autre autour de 1720. Les plus anciens édifices orientés à l’est et réunis par un porche se composent d’une ancienne maison d’habitation et d’un bâtiment difficilement interprétable. Cet ensemble forme protection sur la venelle qui conduit au centre-bourg. En appui sur le second bâtiment, les constructions ultérieures dessinent une forme d’équerre aux branches orientées vers le sud et vers l’ouest. Cette partie constituait la nouvelle maison d’habitation et la pilerie. Le centre de gravité de la propriété s’étant déplacé vers le sud, il a fallu construire dans cette direction un second mur de clôture lui aussi percé d’un portail. Enfin pour terminer cet ensemble, une haie vive, plantée à l’ouest, sert toujours de limite avec la propriété voisine. Au cours du xviiie siècle on assiste à une popularisation de ce modèle et aussi à sa complexification avec l’apparition de véritables manoirs ruraux à cinq travées et plus. Toutefois, cette présentation qui résulte des types de constructions le plus fréquemment rencontrés, demeure réductrice. En effet, elle ne prend pas en compte les modifications ou les éléments de détail susceptibles de personnaliser les différentes maisons qui subsistent.
62À l’intérieur de la catégorie des constructions du xviiie siècle à trois travées, la propriété du Parc au Quillio présente une certaine originalité. Tout d’abord, sa principale porte d’accès n’est pas dans l’axe médian de l’édifice. Ensuite, celui-ci est encadré par deux pavillons et enfin, la partie centrale est coiffée d’un toit à quatre pans. Cette dernière particularité se retrouve dans la même paroisse à Lohan et à Trévé au Réteux-d’Abas. Toujours au Quillio, mais cette fois-ci au hameau du Cosquer, c’est une dalle de schiste constituant balcon et reposant sur des corbelets sculptés qui marque la spécificité d’une maison à trois travées et attire l’attention. Une grille de fer forgé ceinture ce balcon auquel on accède, depuis le premier étage, par une porte-fenêtre.
63Dans les dernières décennies qui précèdent la Révolution française, on assiste à une popularisation des constructions à cinq travées. Ce modèle avait déjà été utilisé à la fin du règne de Louis XIV au Grand-Bosméléac (Allineuc) et à Bosny (Saint-Gilles-du-Méné) qui se caractérisaient par leurs lucarnes en pierre. Comme pour les édifices postérieurs, il s’agissait d’obtenir, sans un très grand allongement des façades, plus de clarté. C’est du moins ce que l’on peut observer, pour les exemples de la seconde moitié du xviiie siècle au bourg d’Uzel, à Kergouet d’en Bas (Trévé), à La lande du Reste (Le Quillio), aux Saints-Anges (Saint-Thélo). Lorsque par la suite, les linteaux des portes et fenêtres n’ont plus été des granites incurvés, comme dans la plupart des exemples précédents, les bâtisseurs ont utilisé des arcs de décharge afin d’accroître non seulement la solidité de l’édifice mais aussi son esthétique. On peut encore le vérifier au bourg de Grâce-Uzel. Toutes ces dernières constructions qui semblent relever d’un modèle régional présentent une même originalité : l’absence de lucarnes en façade.
64Jusqu’ici ont été évoqués des édifices ruraux, il importe aussi de retrouver des caractères spécifiquement urbains, au travers de l’exemple quintinais. La ville, comme beaucoup d’autres cités médiévales, est née à l’ombre d’une forteresse élevée au début du xiiie siècle par un puîné de la famille de Penthièvre et de Goëlo. Ultérieurement, l’ensemble a reçu des fortifications qui se lisent encore sur le plan de la ville close. Celui-ci dessinait un espace vaguement régulier, avec deux grandes voies se coupant à angle droit et se terminant par quatre portes fortifiées. Le cardo était constitué par la rue Belle Étoile et le decumanus par la Grand-Rue. Les multiples sièges et prises de la ville, aussi bien que l’usure du temps, n’ont pas permis à Quintin de conserver plus de quatorze maisons anciennes. Celles-ci se caractérisent par une architecture à pans de bois où deux gros murs pignons servent toujours à accrocher les poutres maîtresses et, autrefois, faisaient office de pare-feu.
65L’architecture civile du xviie siècle à Quintin n’offre guère d’originalité. La plupart des constructions réalisées à cette période, bien qu’elles possèdent un étage, ont conservé un aspect rustique que ne corrige pas l’utilisation de moellons de granite. Leurs façades sur rue sont le plus souvent dissymétriques et leurs ouvertures répondent plus à une organisation interne des volumes qu’à un souci esthétique, à l’exemple de la maison Digaultray, rue des Croix-Jarrots. On notera enfin, comme pour leurs homologues rurales, qu’avec ce type de maison on accédait à l’étage par l’intermédiaire d’un escalier aménagé dans une tourelle. Avec le xviiie siècle et le développement commercial de Quintin, le patrimoine immobilier de la cité s’est transformé. Les édifices anciens ont subi des remaniements de façade puis, lorsque l’espace intra muros s’est avéré insuffisant, le Martray, les faubourgs de Saint-Thurian, de la Rochonen, de la Madelaine sont devenus des zones d’implantations prioritaires. C’est d’ailleurs aux abords de la rue Saint-Thurian que se voient toujours les principaux hôtels particuliers de Quintin. Ils ont été bâtis après 1720 par les familles Digaultray des Landes, Le Coniac, Garnier. Autour du Martray, on trouve les anciennes résidences des Lefèvre, des Bouan-du-Chef-du-Bos, des Digaultray du Vivier. Rue Rochonen, l’hôtel Brignon de Léhen conserve toujours le souvenir d’une société voltairienne et rousseauiste qui y accueillait les esprits « éclairés » de la fin du xviiie siècle. Jusque vers 1750, la plupart de ces constructions ont présenté des points communs : façades à cinq ou sept travées s’organisant de part et d’autre d’un axe central terminé par un fronton ou par une demi-lune. Le plus bel exemple peut être donné par l’hôtel Digaultray du Vivier qui sert aujourd’hui de mairie. La qualité de sa maçonnerie et l’ordonnance de ses lignes en font un digne pendant des constructions malouines. La réalisation la plus somptueuse de cette période demeure l’hôtel Digaultray des Landes, rue Saint-Thurian. Daté de 1720, cet édifice semble avoir prolongé, côté rue, un vieux logis familial. Dans la constitution d’un ensemble cohérent, l’ancienne implantation a permis de réaliser une emprise au sol qui dessine grossièrement un U orienté au sud. Contrairement aux autres hôtels quintinais dont la façade principale s’ouvre sur la rue, ce rôle est ici dévolu à un pignon. Si l’on ignorait l’existence de la partie interne de l’édifice, tout en ferait pourtant l’un des plus majestueux de la ville. Il faut entrer dans la cour intérieure pour découvrir la taille et la qualité de l’ensemble. La belle ordonnance classique basée sur une harmonie des lignes horizontales et verticales, évite toute impression de lourdeur et confère à cet ensemble architectural une qualité qui en fait l’un des plus beaux bâtiments civils du département. La propriété est toujours close de ses longs murs qui encadrent un jardin à la française. Ici, comme dans les autres grandes propriétés de Quintin, les pièces intérieures sont lambrissées et les parquets s’inspirent de ceux de Versailles. Un monumental escalier de pierre muni d’une rampe en fer forgé, en tout point comparable à ceux du Clos-Poulet, permet d’accéder aux étages supérieurs. La décoration ancienne a partiellement disparu, mais il existe encore, au-dessus des portes, des peintures champêtres du xviiie siècle.
66Majestueusement élevé à proximité de la chapelle Saint Yves se dresse l’hôtel Le Texier de Clévery. Cette construction réalisée une trentaine d’années après celle des Digaultray des Landes semble bien être l’aboutissement local de toutes les influences architecturales extérieures. Son aménagement intérieur n’a d’ailleurs rien à envier aux manoirs malouins, puisque ses pièces lambrissées, ses peintures et son escalier font penser à Montmarin.
67En dehors de ces imposantes maisons, il existe toujours à Quintin, une grande variété d’édifices élevés au xviiie siècle. En bordure de la route de Châtelaudren et à proximité de l’hôtel Lefèvre, on trouve ainsi d’autres demeures formant des programmes de deux ou trois maisons sous le même toit avec même façade. Rue au lin, il s’agit de deux immeubles dont la silhouette garde un souvenir des fameux hôtels particuliers de Rennes. Après 1760, le monumentalisme a fait place au souci esthétique. On retrouve cette caractéristique dans la Grande rue où les balcons en fer forgé atténuent l’austérité des façades en granite et leur confèrent un air de légèreté.
Propriété Le Texier de Bosny, St Gilles-du-Méné, 1717

Source : cliché © J. Martin.
Hôtel Digaultray du Vivier, Quintin, 1740

Source : cliché © J. Martin.
Notes de bas de page
1 Les Espagnols utilisaient les termes bretañas, quintines, pondivi, pour désigner les toiles importées du centre-Bretagne.
2 Annie Antoine (dir.), « Les activités textiles dans l’Ouest 16e-19e siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 107, 2000, n° 2 ; Lutgardo Garcia Fuentes, « Cambios en la demanda y monopolio de la oferta : un nuevo enfoque de la relaciones commerciales entre España y las Indias », in Carmen Yuste (coordinadora), Comercio marítimo colonial. Nuevas interpretaciones y ultimas fuentes, México, 1997, p. 149-163.
3 A.-M. Bernal, La financiación de la Carrera de Indias, Sevilla, 1992 ; Antonio Garcia-Baquero Gonzalvez, La Carrera de Indias, ouvrage traduit par Bartolomé Bennassar, Paris, 1997.
4 Lutgardo Garcia Fuentes, El comercio español con América 1650-1700, Sevilla, 1980, p. 476.
5 Henri Sée, « Documents sur le commerce de Cadix », Revue de l’histoire des colonies françaises, 1926, p. 465-520 ; 1927, p. 33-80.
6 Michel Morineau, Incroyables gazettes et fabuleux métaux, Londres-Paris, 1985, signale, p. 299 n. 173, que le monnayage des barres d’argent était une seconde source de profit.
7 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 3929 ; Michel Morineau, Incroyables gazettes et fabuleux métaux, op. cit., p. 293, nous éclaire aussi sur la pénétration du marché espagnol par les toiles bretagnes, puisqu’il écrit à leur propos : « Après 1660… article presque toujours gagnant, sauf en 1678 ».
8 Si des achats de toiles bretagnes sont bien mentionnés, dans les livres de comptes du puissant importateur castillan Simon Ruiz, au milieu du xvie siècle, ces acquisitions ne dépassaient pas 10 % des tissus importés depuis Nantes, Hilario Casado Alonso, « Le commerce des marchandises de Bretagne avec l’Espagne », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 107, 2000, n° 2, p. 36. Michel Zylberger, Une si douce domination. Les milieux d’affaires français et l’Espagne vers 1780-1808, Paris, 1993, p. 40, attribue l’accroissement des exportations toilières françaises au Convenio d’Eminente qui avait réduit de 15 % à 5 % les droits de douane auxquels ces produits étaient soumis. Pour son compte, Lutgardo Garcia Fuentes, El comercio español con América…, op. cit., p. 300, relève que les fardeaux de toiles, toutes origines confondues à destination de l’Amérique, sont passés de 4 570, dans la décennie 1650-1659 (paix avec la France en 1659), à 30 398, dans la phase 1690-1699.
9 Albert Girard, Le commerce français à Séville et Cadix au temps des Habsbourgs, Paris, 1932 ; Didier Ozanam, « La colonie française de Cadix… », Mélanges de la Casa de Velasquez, t. IV, 1968, p. 250-280.
10 Sur les 8 734 étrangers recensés à Cadix en 1791 par Lutgardo Garcia Fuentes, op. cit., p. 46, 2 701 étaient français (1 571 hommes, 137 femmes, 993 enfants).
11 Archives personnelles de l’auteur constituées à partir des fonds notariaux de la manufacture. Ces fonds sont aujourd’hui déposés aux archives départementales des Côtes-d’Armor, série 3 E.
12 Carlos Daniel Malamud Rikles, Cadiz y Saint-Malo en el comercio colonial péruano (1698-1725), Cadiz, 1986.
13 Les méthodes commerciales pratiquées au Mexique semblent avoir été les mêmes que celles qui ont été évoquées pour Cadix, Antonio Garcia de Léon, « Contrabando y comercio de rescate en el Veracruz del siglo xviie », in Carmen Yuste, Comercio marítimo colonial. Nuevas interpretaciones y ultimas fuentes, op. cit., p. 30. Cet historien évoque abondamment l’introduction frauduleuse de marchandises importées, comme en cette année 1645 où des contrevenants utilisèrent, pour leur commerce illicite, le couvent de Saint-Augustin et ses haciendas du bas-Papaloapan. Il fait aussi référence à rapport rédigé en 1702 par un observateur français. En conclusion de son analyse, ce témoin étranger arrivait à la conclusion que pour assainir les pratiques commerciales en Nouvelle-Espagne, les officiers royaux devaient sacrifier leurs intérêts à celui du roi.
14 Dans son étude sur les relations entre l’Espagne et l’Amérique latine, Lutgardo Garcia Fuentes, El comercio español con América, op. cit., p. 125-159, rappelle les différents types d’indults que la monarchie espagnole prélevait sur les fonctionnaires, la flotte, les étrangers, les contrebandiers…
15 Les courriers transmis aux marchands de la manufacture, par les maisons de commerce de Cadix, signalent qu’après 1770, le prix des toiles silésiennes était inférieur de 35 % à celui des tissus bretons, Archives privées, M. de Bagneux, Descendants Boschat ; pourcentage que relève aussi Michel Zylberger, Une si douce domination. Les milieux d’affaires français et l’Espagne vers 1780-1808, op. cit., p. 200.
16 André Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Saint-Malo, 1990, p. 54-55.
17 J. Mathorez, « Notes sur les rapports de Nantes avec l’Espagne », Bulletin Hispanique, 1912, p. 119-126, 383-407 ; Henry Lapeyre, Une famille de marchands, les Ruiz. Contribution à l’étude du commerce entre la France et l’Espagne au temps de Philippe II, Paris, 1955 ; Jean Tanguy, Le commerce du port de Nantes au milieu du xvie siècle, Paris, 1956 – Le commerce nantais à la fin du xvie siècle et au début du xviie, thèse de 3e cycle, Rennes, 1967 ; Hilario Casado Alonso, « La Bretagne dans le commerce castillan aux xve et xvie siècles », Société Archéologique du Finistère, 1992, p. 81-98 ; Jean-Philippe Priotti, « Nantes et le commerce atlantique : les relations avec Bilbao au xvie siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 1993, t. 100, n° 3, p. 265-283.
18 Jacques Bottin, « Les toiles de l’Ouest français au début de l’époque moderne », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 107, 2000, n° 2, p. 15-27.
19 Jean-Philippe Priotti, « Logiques commerciales d’une globalisation. Les toiles françaises dans l’Atlantique hispano-américain (155 0-1600) ». Actes du colloque, Des Marchands entre deux mondes…, janvier 2006, à paraître prochainement aux Presses Universitaires de Sorbonne.
20 Jean Kerherve, Fanch Roudaut, Jean Tanguy, La Bretagne en 1665 d’après le rapport de Colbert de Croissy, Brest, 1978.
21 C’est ainsi qu’Eon de La Ville-Bague et Noël du Fougerais, « marchands de la ville de Saint-Malo » ont été mandés par Colbert à Versailles en 1676, Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1531 et Archives Nationales, F 12 7 988. On retrouve aussi Moreau de Maupertuis, député du commerce, aux réunions préparatoires tenues à Quintin, en vue d’établir le règlement de 1736, Archives com. Quintin, BB 21.
22 Georges Minois, Un échec de la réforme catholique en basse Bretagne, Rennes II, 1984, t. 1, p. 101.
23 Archives départ. des Côtes-d’Armor, registres de catholicité des principales paroisses toilières de la manufacture étudiés par Jean Martin, Toiles de Bretagne, Rennes, PUR, 1998, p. 207-234.
24 Archives privées, Baronne Surcouf.
25 Archives départ. des Côtes-d’Armor, C 148, 153, 155, 157.
26 Il s’agissait de Mathurin Boschat, sieur de La Porte-d’Ohain (Allineuc) et de François Glais, sieur de Villaupré (Saint-Thélo).
27 Henri Waquet, Mémoires du chanoine Moreau sur les guerres de La Ligue en Bretagne, Quimper, 1960.
28 Henri Magon de la Villehuchet, Généalogie de la famille Magon, Lille, 1883 ; Frain de La Gaulayrie, Les Vitréens et le commerce international, Vannes, 1893.
29 En 1591, « La descente des Anglois à Paimpol causa d’abord une grande alarme aux Malouins, dans la crainte qu’ils eurent que la flotte angloise n’allât tomber sur leurs vaisseaux qui revenoient d’Espagne chargés de plus de 500 000 écus, cela les obligea d’envoïer au devant deux pataches qui les ayant heureusement rencontrés les firent relâcher à Blavet où il reçurent toutes sortes de bons traitements des Espagnols. Non obstant qu’ils sçussent que tout cet argent étoit tiré de leur païs contre les défenses expresses » Arch. com. de Saint-Brieuc, Ms 23, p. 153 r°. Tout porte à croire que l’auteur de cette étude était un gentilhomme de Rennes, Christophe de Rosnyvinen de Piré, Gauthier Aubert, « L’érudition historique dans les villes bretonnes sous l’Ancien Régime », Mémoires Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 2006, t. LXXXIV, p. 4 74.
30 Martine Duault, La manufacture et le commerce des toiles bretagnes avec l’Espagne et l’Amérique espagnole, xvie-xviiie siècles, Mémoire de Maîtrise, Rennes II, 1970.
31 Henry Lapeyre, Une famille de marchands, les Ruiz…, op. cit., p. 551 et Hilario Casado Alonso, « Le commerce des marchandises de Bretagne avec l’Espagne au xvie siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2000, t. 107, n° 2, p. 29-50.
32 Alain Croix, La Bretagne aux xvie et xviie siècles, Paris, 1981, 2 tomes.
33 Archives départ. des Côtes-d’Armor, Ms 12.
34 Bibliothèque Nationale, Ms 8153, Mémoire de l’intendant des Gallois de la Tour.
35 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 7 L 62, 10 L 92.
36 Bien que ce siècle ait connu quelques phases d’afféagement, elles n’ont pas été suffisantes pour modifier son agriculture, Jean Martin, « De Trémorel à Trévé, trois siècles d’histoire du centre-Bretagne (1501-1800) », Mémoire. Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. LXXXIII, 2005, p. 509-562.
37 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 6 M 865 ; J. Cambry, Voyages dans le Finistère, Paris, an VII, p. 119.
38 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 7 L 21.
39 Archives com. de Quintin, fonds Huerre.
40 Corps d’observations de la Société d’Agriculture, de commerce, et des arts appliqués par les États de Bretagne, t. 1, années 1757-1758, Rennes, 1760. T. II, années 1759-1760, Paris, 1772.
41 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 6 M 866.
42 Habasque, Notions historiques, géographiques, statistiques et agronomiques sur le littoral des Côtes-du-Nord, Saint-Brieuc, 1832-1836, t. III, Coup d’œil sur l’ensemble du département des Côtes-du-Nord.
43 Archives personnelles de l’auteur.
44 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 6M 936 (recensement des filandières par arrondissement : Saint-Brieuc 9 000 ouvrières, Dinan 6 000, Guingamp 5 550, Lannion 5 000, Loudéac 45 00).
45 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1534, 3929 et Archives départ. des Côtes-d’Armor, 6 M 861.
46 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 6 M 594, 233, 132, 564, 376, 559, 566.
47 Jean Martin, « Un aspect méconnu des toiles bretagnes, le blanchiment », Mémoires Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, t. LXX, 1993, p. 35-64.
48 La balle était un colis de 300 aunes (420 m) ou 500 aunes (700 m) suivant qu’il s’agissait de toiles larges (0,94 m) ou étroites (0,69 m). Il est plus difficile d’expliquer les termes fardeau, frangote, caisse, utilisés par les Espagnols. Selon Lutgardo Garcia Fuentes, El comercio español con América…, op. cit., p. 296, un fardeau représentait une frangote double, soit 20 arrobes ou 230 kg.
49 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1547, 1548, 1549.
50 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1534.
51 Georges Le Mouel, Un port, deux villes, trois fonctions, Saint-Brieuc, 1994.
52 Dutemple (chanoine), Histoire de Lamballe, Saint-Brieuc, 1925, t. II, p. 190.
53 Archives com. de Quintin, BB 26.
54 Archives départ. des Côtes-d’Armor, C 96.
55 Pour tout ce qui suit, et concerne le commerce de M. Boschat, Archives privées, descendants Boschat.
56 Sur une meilleure précision de ces retours monétaires, Michel Morineau, Incroyables gazettes et fabuleux métaux, op. cit., p. 357, 372, 416, 425.
57 Archives privées, M. de Bagneux.
58 Michel Zylberger, op. cit., p. 296, a relevé la participation des milieux d’affaires parisiens au commerce gaditan.
59 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1550, 1551, 1552.
60 Philippe Minard, La fortune du Colbertisme, Paris, 1998 et « Réputation, normes et qualités dans l’industrie textile française au xviiie siècle », in Alessandro Stanziani (dir.), La qualité des produits en France (xviiie-xxe siècles), Paris, 2003, p. 69-89.
61 André Lespagnol, « Des toiles bretonnes aux toiles bretagnes. Conditions et facteurs d’émergence d’un produit phare sur les marchés ibériques », in Jean Bottin et Noël Pellegrin, Échanges et cultures textiles dans l’Europe pré-industrielle, Revue du Nord, hors série, Villeneuve-d’Asq, 1996, p. 179-192.
62 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C1531.
63 On peut imaginer que cette nomination faisait suite au rapport que Patoulet avait rédigé en 1686 sur Cadix et son commerce, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms. 4 068. Au vu de l’importance de la toilerie bretonne expédiée en Amérique, Patoulet préconisait une étroite surveillance de la production régionale, afin de concurrencer plus efficacement les concurrentes silésienne et hambourgeoise. Michel Morineau, op. cit., p. 455 -45 9, évoquant l’accroissement des exportations toilières allemandes vers l’Espagne, dans la seconde moitié du xviiie siècle, précise aussi qu’en 1791 la valeur des tissus de lin et de chanvre français commercialisés dans la péninsule ibérique ne s’élevait plus qu’à 3,9 millions de piastres pour 6,3 millions aux productions germaniques.
64 Archives com. de Quintin, BB 5.
65 Ibid., BB 10, 11. Les bonnes toiles inspectées étaient revêtues d’un cachet d’authentification, les mauvaises refusées puis coupées à deux aunes, et leurs fabricants soumis à une amende.
66 Ibid., BB 19.
67 Bibliothèque Nationale, Fr 21 788.
68 Quintin, Uzel, Loudéac.
69 Archives com. de Quintin, BB 22 et Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 10 Bb 378.
70 Ibid., BB 23.
71 Archives départ. de Loire-Atlantique, C 661 et Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 3929.
72 Pour toute la contestation qui est née du nouveau mesurage des toiles suscitant l’opposition des principaux marchands à Fleury, Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1532, 1534, 1544.
73 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1531.
74 André Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo…, op. cit., p. 429.
75 Carlos Daniel Malamud Rikles, Cádiz y Saint-Malo en el comercio colonial peruano…, op. cit., p. 159-172. André Lespagnol, op. cit., p. 327, signale que les profits réalisés par le commerce interlope pouvaient procurer des bénéfices de 135 à 300 %. En complément, Michel Zylberger, op. cit., p. 45, a relevé que sur 181 navires français partis pour la Mer du Sud entre 1695 et 1725, 79 sortirent de Saint-Malo, 25 de Brest, 8 de Port-Louis.
76 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1547, 1548, 1549, 1550, 1551, pour tout ce qui suit.
77 Carlos Daniel Malamud Rikles, op. cit., p. 100-101.
78 Jean Tanguy, « La production et le commerce des toiles bretagnes du xvie au xviiie siècle », Actes du 91e congrès des Sociétés Savantes, Paris, 1969, p. 138-139.
79 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, C 1550.
80 Jean Tanguy, « La production et le commerce des toiles bretagnes du xvie au xviiie siècle », op. cit., p. 140-141.
81 Archives Nationales, Aff. Etrang., B 1 296, in Michel Zylberger, op. cit., p. 260.
82 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 129 J 52, 53. L’importance des différentes types de gains réalisés au cours de la commercialisation des bretagnes est proche de ce qui a été observé par Jean Maillard, « Un négociant lavallois d’Ancien Régime : Pierre Le Nicolais 1755 -1771 », Revue de la Société d’Archéologie et d’histoire de la Mayenne, n° 1, 1979, p. 63-211 ; n° 2, 1980, p. 51-85.
83 Les lettres de change étaient généralement négociées entre marchands ou endossées à Saint-Malo, Rennes, Pontivy, sur les différents collecteurs d’impôts, Archives départ. des Côtes-d’Armor, 129 J 4 9.
84 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 6242, Archives départ. des Côtes-d’Armor 129 J 49 et Archives privées, M. de Bagneux, Descendants Boschat. Michel Morineau, op. cit., p. 270, écrit : « En raison des sommes à investir, en raison de la durée d’immobilisation… Les Français… n’envoyaient finalement en Amérique, pour leur propre compte, que les deux tiers de leurs marchandises. » Cette appréciation prend toute son importance quand on saura qu’une balle de bretagnes étroites superfines coûtait plus de 1 000 livres, à Quintin avant la Révolution, et qu’une simple « emplette » dépassait plusieurs centaines de milliers de livres. Ainsi celle constituée en 1772 par Jean-Joseph de Laborde, ancien banquier de la cour, comprenait-elle 71 balles de bretagnes, 17 balles de crées, 25 balles de silésiennes auxquelles s’ajoutaient des balles de soie, des caisses de taffetas et de chapeaux de castor, des ballots de drap d’Elbeuf, de dentelle du Puy, de papier, Archives Nationales, T* 1097/8.
85 Jean-Pierre Busson, « La correspondance du négociant malouin Luc Magon de La Blinais », Actes du 88e congrès des Sociétés Savantes, 1963, p. 155-167.
86 Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 1 F 1897-47.
87 Archives départ. du Morbihan, B, 3340, 3667, 3668, 3669.
88 Après 1793, et la fermeture momentanée du marché espagnol, de nombreux tisserands de la manufacture se sont transformés en colporteurs. Ils ont alors vendu leurs productions à travers la France de l’Ouest, Archives départ. des Côtes-d’Armor, 129 J 63, 64 et Archives com. de Trévé (n. c.), passeports pour l’intérieur.
89 Archives départ. de Loire-Atlantique, C 660 et Archives com. de Quintin, F 22.
90 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 26.
91 Ibid., 9 M 7.
92 Archives privées, M. de Bagneux.
93 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 9 M 1.
94 Élie Gautier, Tisserands de Bretagne, Morlaix, 1988, p. 82.
95 Denis Woronoff, Histoire de l’industrie en France, Paris, 1994, p. 82. Jean-Pierre Hirsch et Philippe Minard, « Laissez-nous faire et protégez-nous : pour une histoire des pratiques institutionnelles dans l’industrie française », in Louis Bergeron et Patrice Bourdelais, La France n’est-elle pas douée pour l’industrie ?, Paris, 1998, p. 135-158.
96 Élie GAUTIER, Tisserands de Bretagne, op. cit., p. 73, pour les deux citations.
97 Dans le verlagsystem, le marchand confiait la matière première (fil) au tisserand et lui donnait un salaire pour son travail. Dans le kaufsystem, le tisserand était propriétaire de la toile qu’il vendait au marchand, mais il pouvait aussi la garder invendue en cas de crise ou de refus d’achat des marchands.
98 Louis Benaerts, « Saint-Malo pendant le Consulat et l’Empire », Annales de Bretagne, t. 14, 1899, p. 367-401.
99 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 9.
100 Ibid., 1 N 10.
101 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 12.
102 Ibid.
103 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 13.
104 Ibid., 1 N 11.
105 Ibid., 9 M 1.
106 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 16 à 33.
107 Ibid., 1 N 18.
108 Ibid., 1 N 23.
109 Ibid., 1 N 22.
110 Ibid., 1 N 24.
111 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 25.
112 Ibid., 1 N 27.
113 Ibid., 9 M 7, 8.
114 Ibid., 1 N 30.
115 Archives départ. des Côtes-d’Armor,, 1 N 26.
116 Ibid, 1 N 36.
117 Yvon Brouard, La manufacture des toiles bretagnes, mémoire de Maîtrise, Rennes II, 1993, p. 92.
118 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 34, 35.
119 Ibid., 1 N 33.
120 Ibid., 1 N 35.
121 Archives com. d’Uzel (n. c.) et de Quintin G 28.
122 Archives privées de M. Hervé pour Bouan et de M. Boca pour Guillo-Lohan.
123 Jean Martin, « Justice, parole, violence en Bretagne centrale de 1790 à 1802 », Mémoires de la Société d’Émulation des Côtes-d’Armor, t. 129, p. 65-100.
124 Archives départ. des Côtes-d’Armor, 1 N 27.
125 Jean-Yves Andrieux, Daniel Giraudon, Teilleurs de lin du Trégor, Morlaix, 1990, p. 79.
126 Cette partie reprend, sous une forme condensée, Jean Martin, Toiles de Bretagne, Rennes, PUR, 1998, p. 251-271.
127 Arch. privées, descendants Boschat.
128 Ce domaine congéable qui suivait l’Usement de Rohan était propre à la Bretagne centrale. Il établissait une double propriété du sol : au seigneur le fond, au colon les édifices et superficies. Ce dernier terme désignait aussi bien le bâti rural à conserver en l’état (nature des murs et des couvertures, longueur, largeur, hauteur des bâtiments) que les aires à battre aménagées et les végétaux croissant sur les talus édifiés (à l’exception du bois d’oeuvre). Le dernier enfant qui vivait avec le colon portait le titre de juveigneur et il était seul habilité à prétendre hériter de ses parents. Pour ce type d’exploitation, les prélèvements seigneuriaux étaient inférieurs à ceux du fermage.
129 Tout porte à croire que ces constructions nouvelles étaient liées aux bénéfices réalisés dans l’exportation des toiles, en dépit de la guerre franco-espagnole. Michel Zylberger, op. cit., p. 37, rappelle qu’en 1650, un édit royal espagnol interdit l’importation de marchandises françaises, et parmi celles-ci les toiles de Quintin, ce qui prouve bien les limites de la surveillance espagnole. Quant aux « bonnes affaires » réalisées à Cadix ou en Amérique, dans la vente des toiles bretagnes au cours du xviiie siècle, ainsi que nous les rapportent Carlos Daniel Malamud Rikles, op. cit, p. 146 et Michel Morineau, op. cit., p. 381, elles ont provoqué, chez nos marchands provinciaux, une fièvre de la construction. Pour preuve, les dates d’édification de leurs nouvelles constructions qui demeurent toujours inscrites sur les linteaux des portes d’entrée.
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