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    Plan détaillé Texte intégral Les sources cadastrales et leur organisation dans un SIG La richesse du cadastre ancien pour les recherches patrimoniales Le chanvre et le lin d’après le cadastre napoléonien Notes de bas de page Auteur

    Du lin à la toile

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Découverte d’un territoire et de son patrimoine à travers le cadastre napoléonien et son intégration dans un système d’information géographique

    L’exemple de Quemper-Guézennec (22)

    Régis Le Vaillant

    p. 117-136

    Texte intégral Les sources cadastrales et leur organisation dans un SIG Les sources d’information géographiqueLe cadastre napoléonienPrésentation du cadastre ancienLes documents cadastrauxLa centralisation des informations dans un SIGLes contraintes de la consultation du cadastreL’intérêt d’un SIGLe cadastre de Quemper-Guézennec et la révolution numérique La richesse du cadastre ancien pour les recherches patrimoniales Les informations d’ordre géographiqueLes informations directesLes informations indirectesLes informations d’ordre historiqueLes informations directesLes informations indirectes Le chanvre et le lin d’après le cadastre napoléonien La toponymie liée au lin ou au chanvreLes routoirs de Quemper-Guézennec en 1832Inventaire des routoirsLocalisation des aménagementsCaractéristiques et typologie des routoirsLes routoirs après 1832 Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Les démarches pour découvrir le patrimoine d’un territoire sont nombreuses et aujourd’hui connues pour être mises en application par des spécialistes, professionnels et amateurs. Qu’il s’agisse du dépouillement d’archives ou de prospection sur le terrain, ces recherches, longues et parfois fastidieuses, sont l’œuvre de passionnés. Les techniques modernes permettent aujourd’hui de faciliter le travail mais offrent surtout les moyens d’une restitution et d’un accès plus large au public de ces parts de culture commune.

    2L’objet de cette intervention n’est pas exclusivement lié au lin ou à la toile. Il s’agit plutôt de présenter une source d’information, un outil et une démarche permettant d’éclairer la connaissance patrimoniale d’un territoire. Cette recherche, centrée sur l’utilisation du cadastre napoléonien, a été engagée en 2002 par quelques doctorants issus de plusieurs disciplines de l’université de Haute-Bretagne – Rennes 2 en collaboration avec l’association Racines et Patrimoine de Quemper-Guézennec. Il s’agissait, pour les jeunes chercheurs, d’analyser les paysages ruraux actuels en mobilisant différentes sources et méthodes, et, pour l’association, à vocation culturelle, de mettre en valeur le patrimoine local. Ainsi, le cadastre ancien permettait de découvrir à une date donnée, un territoire, son organisation, ses paysages, ses activités ou encore ses occupants. En outre, les documents cadastraux présentaient l’avantage d’élargir la vision historique du territoire en offrant des informations postérieures à leur établissement, grâce aux matrices, mais également antérieures, grâce au plan et aux états de section – ce qui est peut-être plus étonnant. Cette intervention présente donc deux objectifs : d’une part, montrer en quoi le cadastre napoléonien est une source riche d’informations pour les recherches patrimoniales et, d’autre part, montrer que son exploitation est largement facilitée par l’utilisation d’outils informatiques dont l’accès est aujourd’hui simplifié.

    3Ce texte s’articule en trois temps. Après une partie méthodologique, avec un point sur les sources cadastrales et leur organisation dans un système d’information géographique (SIG), nous nous intéresserons à l’exploitation des données cadastrales dans le cadre des recherches patrimoniales, et enfin nous traiterons de l’exemple du lin. Notre propos s’appuiera sur l’exemple du cadastre de Quemper-Guézennec, réalisé en 1832.

    Les sources cadastrales et leur organisation dans un SIG

    4Cette partie méthodologique, nous invite à examiner les sources d’information géographique, et spécifiquement le cadastre napoléonien, et le moyen d’utiliser et d’analyser les informations contenues dans ces différentes sources.

    Les sources d’information géographique

    5Les sources d’information disponibles pour la connaissance spatiale d’un territoire sont nombreuses. Citons la cartographie de l’Institut Géographique National (IGN), la photographie aérienne, les plans cadastraux actuel et ancien ou leurs ancêtres tels que le plan par masses de culture ou le plan terrier, ou encore la carte de Cassini.

    6L’apport de ces sources à la recherche patrimoniale est divers. Le fond cartographique IGN couvre l’ensemble de la France à des échelles variées. Il offre des informations de nivellement (relief), de planimétrie (occupation du sol) et de toponymie (nom de lieux) particulièrement utiles à la perception des éléments du relief, de l’organisation de l’espace, de l’occupation humaine tant présente que passée. Les photographies aériennes, quant à elles, s’approchent d’une représentation réelle des objets spatiaux et offrent un support visuel de qualité et compréhensible par le plus grand nombre. Grâce aux multiples campagnes de photographie, elles offrent une information diachronique, qui permet de constater les évolutions entre plusieurs survols. Mais elles restent d’un apport limité dans l’optique historique puisqu’elles n’ont débuté de façon organisée qu’après la seconde Guerre mondiale (surtout à partir de 1950). Les survols à objet archéologique permettent davantage les découvertes ponctuelles mais elles sont moins accessibles et non systématiques. Les deux premières sources citées, plus facilement disponibles, peuvent permettre d’identifier et de localiser des éléments visibles du patrimoine ou d’orienter les recherches. Quant aux documents de type plan terrier ou carte de Cassini, ils offrent de bonnes informations historiques mais ils sont peu précis en terme de localisation géographique, parfois difficilement lisibles, d’accès limité et souvent lacunaires – pour le plan terrier tout au moins.

    7Au total, ces sources offrent ou des informations récentes mais somme toute superficielles, ou des informations à caractère historique mais peu précises géographiquement, ou encore des informations ponctuelles mais lacunaires et plus difficiles d’accès.

    Le cadastre napoléonien

    8Pour ces différentes raisons, le cadastre dit napoléonien semble présenter un certain nombre d’avantages supplémentaires. En effet, contrairement à la carte et à la photographie, qui offrent une vision extérieure – celle de l’observateur du paysage –, le cadastre, au-delà des formes et des surfaces, permet d’ajouter une couche de données en identifiant précisément le parcellaire. En outre, son caractère systématique et uniforme sur le territoire national est particulièrement intéressant quant à l’accessibilité ou aux comparaisons.

    Présentation du cadastre ancien

    9La possession de la terre constitue l’une des bases de la richesse individuelle. Pour assurer leurs dépenses, les collectivités ont opéré un prélèvement sur les produits de cette richesse facile à déceler et à atteindre qu’est la terre. Mais pour une répartition correcte du prélèvement, il importait de recenser la propriété foncière et d’en évaluer le revenu. Pour ce faire, on a disposé en France, depuis le Moyen Âge, de ce que l’on appelle des terriers ou livres terriers, c’est-à-dire des registres fonciers contenant l’indication des terres relevant d’une seigneurie et des droits et redevances attachés à chacune de ces terres. Ils étaient les outils de l’administration seigneuriale. En 1793, ces terriers, symboles des droits féodaux, sont supprimés.

    10Mais puisqu’il n’était pas question de supprimer l’impôt foncier mais de permettre qu’il soit équitable, il fallait établir un autre moyen de recenser la propriété. Ainsi, le 12 brumaire de l’an XI (3 novembre 1802), un arrêté ordonne la confection d’un cadastre par « masses de culture ». Le principe consistait, à partir d’un plan établi au 1/5000e, à diviser le territoire communal en sous-espaces aux limites naturelles et, à l’intérieur de ceux-ci, de réunir en une seule et même masse tous les terrains cultivés de la même manière et portant des usages identiques (terres labourables, prairies, bois, etc.). À l’intérieur de chaque masse, les propriétaires déclaraient la superficie des fonds qu’ils détenaient. L’arrêté de novembre 1802 ne prévoyait pas de couvrir l’ensemble du territoire mais d’utiliser un coefficient d’adaptation, visant à déterminer les forces contributives des autres communes non arpentées. Le procédé étant peu fiable, le gouvernement décide d’étendre ce cadastre à l’ensemble des communes par l’arrêté du 27 vendémiaire de l’an XII (20 octobre 1803). Malgré tout, ce cadastre par masses de culture reste un échec.

    11Napoléon, empereur des Français depuis 1804, décide alors la constitution d’un cadastre dans toutes les communes de l’Empire. C’est ainsi que la loi de finances du 15 septembre 1807 crée le cadastre parcellaire français, appelé aujourd’hui cadastre napoléonien ou encore ancien cadastre, et à l’origine du cadastre actuel. Dans ce cadastre parcellaire, on ne distingue plus les terrains seulement d’après leur nature de culture, mais on prend en considération la personne des propriétaires. Les travaux de confection du cadastre napoléonien, commencés en 1808, s’étalèrent sur plus de quarante années. Ce cadastre napoléonien présentait toutefois deux défauts majeurs : la fixité des évaluations et l’immuabilité du plan ; il n’était pas tenu à jour. C’est pourquoi les lois de 1930 et 1974 ont permis de rénover ce cadastre et de donner naissance au cadastre actuel.

    12De manière générale, on peut dire que le cadastre est « l’état-civil de la propriété foncière ». Ce cadastre, que l’on peut définir comme étant l’inventaire des immeubles bâtis et non bâtis d’un territoire communal, se traduit par l’établissement d’une documentation graphique et d’une documentation littérale que nous allons rapidement présenter.

    Les documents cadastraux

    13Chaque commune dispose d’un plan parcellaire avec un tableau d’assemblage et des feuilles représentant chacune une portion du territoire, des états de section constituant en quelque sorte la légende du plan et enfin des matrices cadastrales récapitulant pour chaque propriétaire la liste de ses biens avec leurs mutations. Décrivons chacun de ces documents de grande qualité, confectionnés et dessinés généralement avec soin.

    14Le tableau d’assemblage représente l’ensemble du territoire communal le plus souvent à l’échelle du 1/10000e. Il indique les principales routes, les cours d’eau, les hameaux ainsi que la division du territoire en sections. La section facilite la réalisation, la tenue et la consultation des documents cadastraux. Son périmètre est constitué le plus souvent par des limites naturelles ou des voies de communication. Sa surface varie selon l’échelle du plan. Les plans étaient généralement rapportés sur des feuilles de format grand aigle (105 centimètres par 0,75 cm), à des échelles allant du 1/500e au 1/5000e, selon le morcellement du territoire Les échelles les plus courantes sont le 1/1250e pour les parties bâties et le 1/2500e pour les parties rurales. Chaque section est désignée par une lettre majuscule et par la dénomination d’usage du territoire sur lequel elle s’étend. Une section peut être représentée sur une feuille cadastrale unique, ou bien sur plusieurs feuilles. Dans ce cas, un numéro de feuille complète la désignation de la section. Ainsi, la commune de Quemper-Guézennec est divisée en cinq sections numérotées de A à E (Fry an daou dour, Le bourg, Kerlouet, Pen Lan, Kergozou) pour treize feuilles. L’échelle est le 1/2500e (1 cm pour 25 mètres) et les surfaces représentées par section varient entre 330 et 550 hectares. Ce cadastre géométrique est orienté géographiquement selon des méridiennes (Nord/Sud) et des perpendiculaires (Est/Ouest). Le carroyage de Quemper-Guézennec montre des carreaux de 500 mètres de côté soit 25 hectares par carreau. Le point origine du carroyage est le clocher de l’église par lequel passent la « méridienne du clocher » et la « perpendiculaire du clocher ». Ce carroyage a permis le travail de levé des géomètres qui se sont aussi aidés de repères disséminés sur le territoire et représentés sur le plan. Il s’agissait généralement de points hauts qui peuvent être des collines ou des bâtiments tel que le clocher d’une chapelle.

    15Le plan parcellaire a pour objet de représenter chaque parcelle de la section. La parcelle constitue l’unité cadastrale de base. Elle se définit comme une portion de terrain d’un seul tenant, située dans un même lieudit, présentant une même nature de culture (terre, jardin, pré, etc.) ou une même affectation (bâtiment, chemin d’exploitation, etc.) et appartenant à un même propriétaire. Pour une propriété bâtie, on considère comme formant une seule parcelle tous les sols, contigus ou non, d’une même propriété bâtie, ainsi que les dépendances indispensables et immédiates des bâtiments (cours, passages, petits jardins de moins de 5 ares, etc.). Le bâti est d’ailleurs identifiable grâce aux couleurs utilisées. Chaque parcelle, figurée en traits pleins, porte un numéro d’ordre dont la série est ininterrompue dans une section, même si cette dernière comporte plusieurs feuilles.

    16Les états de section se présentent sous la forme d’un registre regroupant par section chacune des parcelles rangées dans l’ordre numérique. Ce numéro correspond à celui indiqué sur le plan cadastral. Les états donnent la situation des parcelles au moment de l’établissement du cadastre. Les informations par parcelle sont les suivantes : le propriétaire avec son lieu d’habitation, le numéro de plan, le lieu-dit de la parcelle, la nature de la propriété (maison, routoir, labour, lande, pré, etc.), la contenance, la classe et le revenu ; et, pour les maisons, le nombre d’ouvertures imposables. Les informations n’ont pas été mises à jour. Seules les parcelles créées plus tard par division ont été inscrites à la suite de chaque section sur le registre d’origine.

    17La matrice cadastrale est constituée par un ou plusieurs registres présentant cette fois par propriétaire foncier de la commune toutes les parcelles lui appartenant. Un compte individuel est appelé folio. Chaque parcelle apparaît sur une ligne comprenant toutes les indications la concernant : section, numéro de plan, lieu-dit, contenance, nature de culture, classe et revenu cadastral. Contrairement aux états de section et au plan, cette matrice n’est pas figée puisqu’elle a été annuellement mise à jour depuis l’origine du cadastre. Des colonnes sont ainsi aménagées pour recevoir les références aux mutations d’un compte à un autre avec l’année de mutation en distinguant vente et acquêt et le numéro de folio d’où est tirée et où est passée la parcelle acquise ou vendue. Ces informations permettent notamment de suivre le cycle de vie des habitations à partir de l’établissement du cadastre : création, démolition, propriétaires successifs. Les matrices ont été réalisées de manière différente suivant l’époque de l’établissement du cadastre en séparant (de 1807 à 1821 et à partir de 1882) ou en réunissant (de 1822 à 1881) les propriétés bâties et non bâties.

    La centralisation des informations dans un SIG

    18Maintenant que nous connaissons le contenu des documents cadastraux, où les consulter et comment les utiliser au mieux ?

    Les contraintes de la consultation du cadastre

    19Un exemplaire de ces documents cadastraux, notamment le plan, est parfois consultable en mairie, où l’on peut d’ailleurs regretter qu’il ne soit pas toujours conservé dans les meilleures conditions. Le second exemplaire est détenu par les Archives départementales où il est consultable en fonction de son état de conservation. Signalons que les deux exemplaires sont parfois localisés aux Archives. Grâce à la politique de numérisation des documents cadastraux des Archives départementales des Côtes-d’Armor, les images des planches cadastrales de l’ensemble des communes du département sont accessibles à partir d’un ordinateur et d’Internet. Mais leur lecture à l’écran est parfois mal aisée du fait de leur non-orientation géographique. Pour ce qui concerne la consultation des registres des états de section et des matrices, elle est également possible aux Archives départementales. En l’état, cette consultation du cadastre, peu commode, voire fastidieuse, ne peut rester que ponctuelle et individuelle. Elle demande des passages perpétuels entre différents documents volumineux, à l’écriture plus ou moins lisible. Une analyse globale de ce cadastre à l’échelle du territoire communal est donc quasi impossible.

    L’intérêt d’un SIG

    20C’est pourquoi, nous avons décidé de faire entrer l’ensemble du cadastre, c’est-à-dire avec ses planches et ses états de sections, dans l’ère du numérique. Il s’agissait de pouvoir visualiser l’ensemble du parcellaire de la commune et, pour chaque parcelle, d’accéder immédiatement à l’ensemble des informations contenues dans les états de section et de pouvoir les représenter sur une carte.

    21Comment faire ? L’utilisation d’un Système d’Information Géographique (SIG) s’avère le moyen technique adapté. Un SIG se définit comme un système d’informations qui intègre et met en relation des données structurées (attributaires et géoréférencées), des outils (système de gestion) et des méthodes permettant d’établir des analyses statiques ou dynamiques, et de représenter l’information à différentes dimensions et échelles spatiotemporelles1.

    22Les récents progrès observés en informatique et les nouvelles orientations des éditeurs de logiciels, avec des solutions plus souples, plus simples et des environnements de travail plus conviviaux, ont permis à tout un chacun de s’approprier et de mettre en œuvre des techniques de gestion et d’analyse de données qui étaient auparavant réservées aux seules structures ayant les moyens de s’équiper de systèmes lourds et surtout coûteux. Le logiciel permet ainsi d’obtenir des couches d’informations vectorielles thématiques (parcellaire, limite communale, réseau hydrographique, etc.). Mais pour faire fonctionner le SIG, outre le fait de détenir le logiciel, il faut les informations brutes et structurer les données.

    Le cadastre de Quemper-Guézennec et la révolution numérique

    23Sensibilisée à l’intérêt que représentait ce cadastre pour ses activités, l’association Racines et Patrimoine a permis que la commune de Quemper-Guézennec ait la particularité d’avoir un cadastre napoléonien informatisé, et ce depuis 2006, alors que le cadastre actuel ne l’était pas encore. Le processus d’informatisation de ce cadastre a comporté deux volets : la retranscription des états de section et la vectorisation du parcellaire. Ces opérations ont été grandement facilitées par les Archives départementales qui ont ouvert l’accès aux documents cadastraux.

    24Le contenu informationnel des états de section a été entièrement retranscrit à partir du volume communal par l’association dans un fichier numérique comportant 6 696 lignes. Il a été complété et vérifié grâce au second exemplaire en dépôt aux Archives départementales, qui présentait l’avantage d’être en meilleur état, complet et plus lisible. Commencé en février 2004, ce travail long et fastidieux s’est achevé en juin 2006. Les informations saisies ont été intégrées à une base de données de type Access qui regroupe l’ensemble des informations de la matrice territoriale.

    25L’intérêt était de pouvoir faire un lien dynamique entre les états de section et le plan cadastral, c’est-à-dire de lier une parcelle aux données qui lui correspondent. Or, les planches cadastrales téléchargées à partir du site Internet des Archives départementales n’étaient pas utilisables en l’état. En effet, scannées ou numérisées, ce ne sont que des images aux parcelles non individualisables. C’est pour cette raison, qu’une fois téléchargées, importées dans un logiciel de cartographie (ArcView 8.3), ces images ont été géoréférencées, c’est-à-dire positionnées géographiquement en longitude et latitude. Le géoréférencement permet en outre de superposer différentes sources géographiques comme des cartes IGN ou des photographies aériennes. Grâce au même logiciel, les 5 722 parcelles de la commune en 1832 ont été vectorisées, c’est-à-dire redessinées une à une et identifiées par leur numéro cadastral.

    26L’ensemble des informations a été intégré dans un Système d’Information Géographique qui a permis de mettre directement en relation le fond parcellaire et les données contenues dans les états de sections. Ainsi, à partir du logiciel, en sélectionnant une parcelle, il est possible d’accéder à toutes les informations la concernant. Une fois cet outil mis en place, quelles informations d’intérêt patrimonial peut-on en tirer ?

    La richesse du cadastre ancien pour les recherches patrimoniales

    27Les documents cadastraux ouvrent des voies multiples pour la recherche patrimoniale et historique sur un territoire. Cette deuxième partie vise à présenter les apports du cadastre et de l’outil présenté précédemment. Rappelons qu’au-delà de la recherche scientifique, l’intérêt de la démarche était d’aller au-delà de la simple localisation des éléments du patrimoine et d’en apprendre davantage sur le territoire, le patrimoine et l’histoire locale. Afin d’organiser et de synthétiser notre propos, nous avons choisi de classer les informations obtenues du cadastre selon une double typologie, comme le montre le tableau suivant.

    Tableau 1 : Typologie des informations issues du cadastre napoléonien

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    28La première approche concerne le type d’information et distingue l’information d’ordre géographique tels que les paysages, les éléments du patrimoine (grâce à la localisation) et l’information d’ordre historique avec l’histoire locale, la culture (grâce aux informations données sur le parcellaire notamment). La seconde permet de distinguer les informations selon leur niveau d’accessibilité : les informations d’accès direct sont données par la simple lecture du plan et/ou des états de section, tandis que les informations d’accès indirect sont permises par l’analyse de l’association du plan et des états de section. Grâce à la cartographie et à un certain nombre d’outils simples tels que la superposition de couches d’informations d’origines diverses (plan cadastral sur carte IGN ou photographie aérienne), le SIG se révèle être un atout considérable pour obtenir ces différentes informations.

    29Grâce à l’exemple de Quemper-Guézennec, nous allons évoquer les différents types d’informations issus du cadastre. Précisons que l’exploitation des données n’étant pas achevée et l’analyse soulevant parfois davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses, cette présentation est loin d’être exhaustive.

    Les informations d’ordre géographique

    Les informations directes

    30Par une simple lecture des planches, l’observateur obtient de nombreuses informations. Il peut ainsi facilement repérer et localiser les implantations humaines telles que les habitations et les autres bâtiments ruraux qui sont légèrement teintés au carmin (sombre pour les bâtiments et plus clair pour les cours), les bâtiments publics et les autres propriétés bâties non imposables qui sont nuancés en bleu gris. Plus précisément, le plan permet de mieux connaître les implantations et l’organisation de sites existants, disparus ou transformés depuis 1832. Citons par exemple, les manoirs avec leurs colombier, vivier, jardin (manoirs de Kerlouët ou de Kergaro aujourd’hui en partie disparus) ou les moulins installés le long des cours d’eau avec leurs bief, pont, retenue et déversoir. En dehors des bâtiments ou du réseau routier, et sans faire appel aux états de section, quelques infrastructures ou éléments particuliers, par leur couleur ou leur dessin, sont identifiables tels que les calvaires, les ponts, les viviers, les routoirs, les déversoirs de moulins, etc. Ces derniers éléments ouvrent sur la connaissance du milieu naturel et particulièrement sur l’hydrographie avec la localisation des sources, des étangs ou des mares, et des plus petits cours d’eau. Beaucoup de ces éléments figurés sur les planches peuvent ainsi servir à l’élaboration d’un large inventaire du patrimoine local.

    Les informations indirectes

    31Le fait de disposer du fichier complet des états de section permet d’obtenir toute une série de données statistiques : nombre de propriétaires, taille des propriétés, taille moyenne des parcelles, répartition des modes d’occupation du sol, etc. Cette exploitation peut se faire à l’aide d’un simple logiciel de calcul de type Excel ou par l’intermédiaire du SIG. Mais notre souhait était de lier les différentes sources cadastrales. Laissons donc de côté cette analyse statistique, que nous avons par ailleurs menée et qui se révèle très intéressante. Grâce au SIG, comme nous l’avons vu précédemment, toutes les données des états de section peuvent être représentées par des cartes, nous donnant ainsi une image assez précise du territoire à la date donnée. Focalisons-nous sur l’analyse spatiale des informations grâce à deux exemples qui montreront que l’occupation du sol est très liée à l’agriculture et à la topographie et que le parcellaire est très morcelé avec toutefois quelques grands domaines. Les quelques cartes présentées prennent en compte le territoire de Quemper-Guézennec dans son périmètre actuel, c’est-à-dire amputé de la partie cédée à la commune de Pontrieux en 1842.

    32La représentation du type d’occupation du sol, grâce à la colonne des états de section intitulée « nature des propriétés », révèle un territoire quemperrois totalement occupé et exploité en 1832 (cf. carte 1). Ainsi, la représentation des îlots bâtis (zones de 50 mètres autour des bâtiments) montre un habitat très dispersé, où le bourg n’occupe qu’une place équivalente aux plus gros hameaux ; et ce en dépit d’une population relativement dense avec environ 124 habitants au km², puisque la commune, avec 2 905 habitants au recensement de 1836, est proche de son maximum de population. Concernant l’utilisation du sol, avec 80 % de l’espace imposable, les terres labourables sont largement dominantes, révélant une très forte mise en valeur agricole. La superposition de données altimétriques et du cadastre renforce cette idée d’intense utilisation de l’espace et révèle un lien étroit entre l’occupation du sol et la topographie. En effet, les versants des vallées et vallons sont tous mis en valeur et occupés quasi exclusivement par des landes (servant à l’alimentation et à la litière des animaux) et leurs fonds, généralement humides, sont en prés. Pour cette raison, les espaces boisés sont quasi inexistants avec moins de 2 % de l’espace imposable, alors qu’ils représentent plus de 10 % aujourd’hui, localisés en grande partie sur ces mêmes versants et fonds de vallées autrefois exploités. Ce constat montre l’évolution de la valorisation des sols mais le cadastre indique également une connaissance fine de la valeur différenciée des sols. En effet, si l’on normalise l’assiette de l’imposition en divisant le revenu par la superficie de la parcelle, on voit apparaître clairement la qualité des terres de la commune ainsi que sa topographie, avec sur le plateau central des terres, semble-t-il plus riches, davantage imposées que sur les versants caillouteux de la périphérie.

    33L’observation du parcellaire montre un grand morcellement des surfaces (cf. carte 2). La taille moyenne d’une parcelle labourable est de 54 ares soit un peu plus d’un journal (48,62 ares), ou de 80 cordes, ou d’une journée de charrue encore appelée « devez arad ». Toutefois, il apparaît quelques ensembles cohérents composés de parcelles aux tailles conséquentes, c’està-dire supérieures à 2 hectares et pouvant atteindre plus de 6 hectares. Leur localisation permet de constater qu’ils sont organisés autour des manoirs de la commune : Kerlouët, Pen lan, Kergaro, Kergozou. Citons les héritiers de Samuel Burlay, propriétaires d’environ 80 hectares autour de Kerlouët, ancien domaine de la famille Fleuriot de Langle. Les propriétaires de ces grands ensembles fonciers, issus des anciens domaines nobles, résident en général en dehors de la commune, contrairement aux autres terres majoritairement détenues par des Quemperrois.

    Carte 1 : Occupation du sol et espace bâti à Quemper-Guézennec d’après le cadastre de 1832

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    Carte 2 : Morcellement du parcellaire et grands domaines d’après le cadastre de 1832

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    Les informations d’ordre historique

    Les informations directes

    34L’observation du plan ou la lecture des états de section informe directement ou par déduction sur la nature particulière de certains aménagements, sur les axes anciens de communication (gué et passage de bac), sur les bâtiments (chapelle, manoir, colombier), sur les grands propriétaires fonciers. Il s’agit d’autant de pistes qui doivent inévitablement conduire à des recherches documentaires.

    35À l’interface entre les données spatiales et historiques, le cadastre révèle par exemple une information sur la diversité des modes de propriété, et en l’occurrence sur le système des convenants ou des terres en domaine congéable. Ces modes de propriété et de faire-valoir hérités du passé apparaissent en premier lieu sur les états de section et les matrices. On peut ainsi remarquer pour certaines parcelles la présence de deux ou plusieurs propriétaires notée de la façon suivante : « Convenant chochard/FC de la Bégassière de Guingamp/C Le Gallou Jean du loguellou/etc. » Les lettres FC signifient foncier tandis que le C est utilisé pour colon. Le terme « colon » est synonyme de domanier, convenancier, tenancier. On l’utilise parfois au xviiie siècle et beaucoup plus systématiquement au xixe. Répandu dans le Trégor, le régime des convenants, qui mettait des domaniers (ou colons) dans la dépendance d’un foncier (ou propriétaire foncier), reposait sur une division peu ordinaire entre, d’une part, le fonds de l’exploitation, le roc nu, simple support improductif et, d’autre part, les édifices et superficies de cette même exploitation : bâtiments, arbres, fruitiers, haies, engrais, moissons, etc. Il fut adopté par des propriétaires fonciers qui voulaient avoir un revenu régulier sans avoir à se soucier de la mise en valeur de leurs terres. Mais le colon pouvait également confier la mise en valeur à quelqu’un d’autre. Le propriétaire du fonds se réservait le droit de congédier, mais il remboursait alors la valeur des édifices. Ce système du domaine congéable était mal accepté. Au moment de la Révolution, il est réformé mais pas du tout supprimé (à l’exception d’une très brève période). De fait, il reste très présent en Basse-Bretagne pendant toute la première moitié du xixe, même s’il est moins dominant qu’au siècle précédent. Ce n’est qu’avec le milieu du siècle qu’il se met à reculer très fortement.

    36D’après les états de section de Quemper-Guézennec, on dénombre 164 convenants, pour un peu moins de 70 fonciers (quelques incertitudes liées au nom des propriétaires) et de 280 colons (idem) sur les 654 propriétaires de la commune. En 1832, le système du convenant concerne près de 30 % de la superficie quemperroise. Il est à noter que la superficie moyenne des parcelles est légèrement plus faible dans les convenants avec 33 ares contre 40 en dehors. La représentation cartographique fait apparaître un plus grand nombre de ces domaines congéables dans une bande allant du Nord à l’Est de la commune. M. de la Bégassière de Guingamp était le plus grand de ces propriétaires fonciers avec plus de 205 hectares, le suivant étant M. Le Bolloche de Pontrieux avec un peu plus de 40 hectares.

    Les informations indirectes

    37Nous entrons ici dans un domaine encore plus intéressant car moins évident à première vue. Il s’agit d’identifier le patrimoine connu, disparu voire inconnu. La confrontation entre les informations issues des planches ou d’autres sources géographiques et les états de section prend toute sa place. Intéressons-nous à la nature des parcelles et à la toponymie.

    38La désignation de la nature des parcelles permet de découvrir la localisation de hameaux, de sites et d’aménagements autrefois d’importance mais aujourd’hui complètement disparus. Prenons l’exemple d’un quartier appelé Guynolez ou Guignolez. Les états de section révèlent la présence d’une ruine appelée chapel guynolez localisée d’après la feuille dans un vallon proche de ce quartier. Une recherche documentaire montre qu’il s’agit en fait de la chapelle Saint-Guénolé détruite dans les années suivant la Révolution française.

    39La toponymie, quasi exclusivement en langue bretonne, est particulièrement riche d’enseignement. Concernant l’information directe, le plan indique le nom des hameaux, des fermes et habitations isolées ainsi que les noms des chemins, rivières et ruisseaux. Mais au-delà, et grâce aux états de section, l’approche linguistique permet de découvrir une prononciation (l’orthographe reprend la prononciation de l’époque), la richesse du vocabulaire (notamment agricole), d’aider à la traduction des lieux-dits et de contribuer à la recherche du sens et des méthodes de dénomination du parcellaire. Le travail sur la microtoponymie (nom des parcelles) est particulièrement intéressant pour la recherche patrimoniale et permet plusieurs types de découvertes sur les paysages anciens (le bocage avec les park ou « champs clos » et un type d’openfield avec les maes ou « champs ouverts »), sur les aménagements disparus ou encore sur des sites d’occupation humaine ancienne.

    40Prenons le cas d’un moulin situé dans une vallée en contrebas du manoir de Kergoc. Le plan cadastral de 1832 ne montre aucun aménagement. Par contre, les états de section révèlent des parcelles aux noms évocateurs : goas ar stang ou « le ruisseau de l’étang », prat losten ar stang ou » le pré du bout de l’étang », prat ar vilin ou « le pré du moulin ». On peut donc supposer l’existence ancienne d’un étang et de son moulin à cet endroit. La carte de Cassini nous en donne la certitude, confirmée par une exploration du vallon qui permet de découvrir les restes de la digue de l’étang.

    41Un second exemple montre l’intérêt d’un examen visuel de la forme des parcelles associé à la microtoponymie. À proximité de Frynaudour, existe une parcelle à la forme particulière appelée ar gos voguérénou ou « les vieilles murailles ». Ce microtoponyme est la variante plurielle de moger pour « mur » qui s’applique à des constructions d’origine gallo-romaine abandonnées lors des invasions de la fin de l’Antiquité et trouvées en ruine par les Bretons à leur installation en Armorique2. Sur le terrain, on peut constater la présence de nombreuses pierres dans la parcelle, de talus murés en limites de cette parcelle et le long d’une venelle proche. Une prospection aérienne pourrait peut-être apporter des informations supplémentaires.

    42Les apports du cadastre présentés dans cette partie ne constituent certainement pas une liste exhaustive, mais ils permettent d’engager des recherches approfondies dans les archives comme sur le terrain. Soulignons que ces recherches sont le complément et le prolongement nécessaires et indispensables de l’étude du cadastre, qui ne doit être perçu que comme le révélateur d’un patrimoine endormi voire enseveli.

    Le chanvre et le lin d’après le cadastre napoléonien

    43Pour finir, intéressons-nous au thème fédérateur de cet ouvrage qu’est le lin. Le cadastre napoléonien est ici aussi particulièrement instructif pour ce qui concerne l’impact de cette culture et des activités qui y sont liées sur le territoire communal. En effet, en 1832, nous sommes à une époque où le rouissage anaérobie, c’est-à-dire en bassin, est toujours pratiqué. Le cadastre a permis de constater que, comme dans beaucoup de communes du Trégor, Quemper-Guézennec possédait un grand nombre de routoirs, pour la plupart aujourd’hui oubliés. L’inventaire de ces routoirs a été permis par la lecture des feuilles cadastrales puisque leur dessin est caractéristique, par les états de sections grâce à la nature « routoir » données à certaines parcelles mais également par la toponymie qui a permis d’identifier d’autres lieux liés au lin.

    La toponymie liée au lin ou au chanvre

    44En dehors des informations consacrées aux parcelles de nature « routoir », le cadastre ne donne pas d’autres informations directes sur le lin. Seul le recours à la toponymie bretonne permet de pousser plus avant sur ce sujet.

    45Après avoir mené l’étude toponymique, il s’avère que les noms de parcelles faisant référence au lin ou au chanvre sont rares. Toutefois, on trouve pour le chanvre ou ar c’hanab (pluriel collectif), quelques éléments comme, par exemple, dans le quartier de Kerjagu, des parcelles appelées loguel canap, loguel ar hanap, loguel ganap que l’on peut traduire par « la parcelle du chanvre ». Jusqu’au début du xxe siècle, de petites parcelles dans les courtils étaient réservées à la production de chanvre pour la fabrication notamment de cordes à usage domestique. Concernant le lin, nous savons qu’il exigeait une terre excellente, une très bonne fumure. Étant donné qu’il épuisait le sol, on ne ressemait pas de lin dans une même terre avant plusieurs années. Il semble donc logique que cette production ait peu donné son nom aux parcelles. On retrouve par exemple dans le quartier du Guillor des prés dénommés ar hoat lin ou « le bois du lin », loguel ar hoat lin ou « la pièce de terre du bois du lin » qui sont des parcelles proches d’une mare et des routoirs de Crec’h Thépot.

    46La toponymie permet également quelques découvertes. Dans le quartier du Cirque, en bordure de la rivière du Leff, se trouvent deux parcelles ainsi désignées : crech an oguéry, prat an oguéry. aoger désigne vraisemblablement le rouisseur3 ;ce qui donne pour traduction » le cote au du rouisseur » et « le pré du rouisseur ». Il s’agirait donc d’un lieu de rouissage mais pour lequel le cadastre ne mentionne pas l’existence de routoirs. À la mi xxe siècle, un teillage de lin était installé sur ce site. Le cadastre met en évidence une autre particularité au niveau du quartier de Kermenguy, situé à la limite de Quemper-Guézennec et de Saint-Clet. Sur la planche cadastrale est inscrit le lieu-dit placis goazou lin, que l’on pourrait traduire par « la place des ruisseaux à lin », et les états de section mentionnent à proximité une parcelle appelée lannec gouajou lin ou « la lande des ruisseaux à lin ». Pour autant, aucun routoir n’est signalé dans cette zone. En se rendant sur place, on découvre la présence d’au moins deux routoirs peu visibles malgré un bon état de conservation. Ces routoirs ont-ils été omis en 1832 ou, plus probablement, ont-ils été construits après cette date ? Comme pour le premier exemple, on peut supposer que ces lieux étaient connus pour cette activité mais avec un rouissage pratiqué directement dans le cours d’eau ou sans une construction spécifique.

    47Ces deux derniers exemples mettent une nouvelle fois en évidence l’intérêt de la toponymie pour la recherche patrimoniale tant pour la connaissance de pratiques anciennes que pour la remise en lumière de lieux autrefois très fréquentés, et ce parfois bien avant le xixe siècle.

    Les routoirs de Quemper-Guézennec en 1832

    48La région de Pontrieux cultivait beaucoup le lin. Comment cela se traduisait-il à Quemper-Guézennec ? Le cadastre napoléonien nous donne un bon aperçu grâce à un moment clé de la valorisation du lin qu’est le rouissage. Placées en bottes dans des mares d’eau ou des routoirs en pierres, les tiges de lin étaient soumises au rouissage, pendant 8 jours environ, de façon à pouvoir plus facilement en détacher les fibres. En 1832, ce rouissage se pratiquait encore dans des routoirs que nous allons maintenant examiner.

    Inventaire des routoirs

    49D’après les documents cadastraux de 1832, la commune compte 60 parcelles cadastrées de nature « routoir » réparties sur 37 sites de rouissage (cf. carte 3). Un même site de rouissage peut contenir de un à quatre bassins distincts. En outre, un bassin, ou routoir, peut être divisé en deux à quatre parcelles cadastrales avec donc autant de propriétaires différents. Au total, la commune possède 51 routoirs ou bassins de rouissage pour 55 personnes propriétaires d’un routoir ou d’une partie de routoir. Cinquante personnes disposent d’un routoir ou d’une partie de routoir ; 3 sont intégralement propriétaires de 2 routoirs ; et 2 autres possèdent un routoir plus une portion d’un second.

    50En dehors de ces routoirs bien identifiés, ont également pu être dénombrées 4 mares et 15 pièces d’eau dont on ne connaît pas l’usage. S’agissait-il d’abreuvoir, de lavoir, de routoir, le cadastre ne le dit pas. Citons le cas de la pièce d’eau de Kerlouët dont la forme rectangulaire et le mode de construction ressemblent fort à celles d’un grand routoir de 14 mètres sur 6. Par leur nom – stang’ou brain traduit par « les étangs pourris » – les deux parcelles situées en contrebas n’infirment pas cette supposition. Il faut noter qu’aucun lavoir n’est identifié en tant que tel par les états de section ; l’usage du lavoir était pourtant incontournable à cette époque. La distinction n’était pas toujours faite non plus au xviie et xviiie siècles, périodes au cours desquelles les documents que nous avons consultés appelaient ces pièces d’eau douëts et spécifiaient parfois douëts à rouir. Nous pouvons donc supposer que nombre de ces aménagements connaissaient de multiples usages.

    Localisation des aménagements

    51Les routoirs sont situés sur 26 cours d’eau d’importance très variable ou 12 ruisseaux si l’on intègre leurs affluents. Les sites de rouissage sont équitablement répartis sur les deux bassins versants qui divisent la commune : 18 pour le Leff et 19 pour le Trieux. Certains cours d’eau sont particulièrement aménagés tels que le ruisseau de Feunten Meur (Leff) avec 14 routoirs ou le ruisseau Poul Jaudour (Leff) avec 10 routoirs. Les bassins sont généralement construits sur la partie amont des cours d’eau, proches des sources et plutôt éloignés des habitations pour des raisons topographique, hydrographique, technique et olfactive (présence et qualité de l’eau, mauvaises odeurs lors du rouissage).

    52Pour autant, ces routoirs sont relativement accessibles. En effet, si les routoirs sont des parcelles privées, ils ne sont pas toujours installés sur des terrains privés. Ainsi, trois sites, comptant neuf routoirs, sont installés sur un terrain appartenant en propre à la commune de Quemper-Guézennec, et 17 autres sont sur ou en bordure de l’espace public, c’est-à-dire une route. Au total, 17 sites bénéficient d’un accès direct par un chemin rural et 12 en sont proches. Seuls huit ne disposent pas de chemin d’accès, rendant nécessaire le passage par plusieurs parcelles avant d’y parvenir.

    Carte 3 : Répartition des routoirs à Quemper-Guézennec d’après le cadastre de 1832

    Image

    Caractéristiques et typologie des routoirs

    53En dépit de leur nombre, l’ensemble des routoirs n’occupe qu’une très faible superficie : 48,6 ares. Ils mesurent en moyenne 0,8 are (soient 80 m² ou moins de 9 mètres sur 9). Le plus petit mesure 0,5 are et le plus grand 2,9 ares (290 m²).

    54Cette diversité peut se traduire dans leur niveau d’imposition comme le montre le tableau suivant.

    Tableau 2 : Récapitulation des contenances et des revenus imposables des routoirs en 1833

    Image

    Source : AD22-Matrice – 3P261/4.

    55À l’image des propriétés bâties, les parcelles de nature « routoir » sont doublement imposées : d’une part pour le sol et d’autre part pour la construction en elle-même, en fonction d’un classement. Les 51 routoirs représentent 7,5 % des propriétés bâties imposables et 5,1 % des revenus pour cette catégorie. L’évaluation des routoirs montre qu’elle peut varier de 1 à 3 et se traduit par une imposition allant de deux à six francs. Quels sont les critères de classement ? La taille du routoir, sa localisation, l’importance du site, la qualité de la construction ? Les documents dont nous disposons ne permettent pas d’en juger mais nous avons constaté que les plus grands routoirs ne sont pas les plus imposés.

    56L’examen des planches cadastrales permet d’établir une typologie des routoirs en fonction de trois critères : la forme, l’alimentation en eau et l’organisation du site (cf. figure 1). La qualité du dessin des géomètres montre des routoirs aux formes variant du circulaire pour l’un d’eux au carré ou rectangulaire pour la majorité. Signalons toutefois au moins un cas où la forme donnée sur le plan ne correspond pas à la forme actuelle. Il semblerait que ce routoir ait été agrandi après 1832. Concernant les bassins divisés en plusieurs parcelles cadastrales, nous n’avons pas pu déterminer la nature des séparations physiques. Le dessin de ces routoirs montre des parcelles de tailles différentes, individualisées mais collées. Un muret sépare-t-il les différentes propriétés, s’agit-il d’un seul routoir ou de plusieurs routoirs accolés avec un circuit d’eau particulier ? Dans la majorité des cas, le dessin montre nettement l’alimentation en eau des routoirs qui se trouve être de deux types : certains sont traversés de part en part par le cours d’eau, quand d’autres sont reliés au cours d’eau par une dérivation. Quant à leur implantation, que nous avons évoquée précédemment, nous pouvons distinguer les routoirs isolés, ceux regroupés en site de rouissage et ceux qui sont associés à d’autres pièces d’eau.

    Les routoirs après 1832

    57Si l’on se fie aux documents cadastraux, les routoirs ont peu à peu perdu leur usage. Le registre des augmentations et diminutions portées sur les matrices cadastrales fait apparaître quelques disparitions de routoirs. Ainsi, le routoir de Ar pouillard figure dans les diminutions en 1871 pour raison de démolition en 1850. D’après la matrice des propriétés bâties pour la période 1882-1911, quatre autres pièces cadastrées ont volontairement disparu du paysage : deux routoirs ont été détruits, l’un en 1892 et l’autre en 1894, et deux pièces ont été comblées en 1893. Pour le reste, 55 parcelles cadastrées de nature « routoir » ont été portées à la catégorie « ruines » en 1901, signant ainsi, semble-t-il, la fin de leur utilisation, même si cela n’empêche pas qu’ils aient été l’objet de transactions ultérieures en étant toujours mentionnés comme routoirs.

    58Aujourd’hui, beaucoup de ces routoirs ont disparu suite à des travaux routiers ou à des restructurations foncières. D’autres ont été réaménagés au xxe siècle pour en faire des lavoirs ou des abreuvoirs ; ils ont souvent été cimentés. Quelques sites de rouissage et routoirs restent pourtant visibles et reconnus, d’autres sont recouverts par la végétation mais leurs emplacements sont connus et leur état de conservation est relativement bon. En dépit de leur intérêt, aucun des routoirs n’a pour l’instant été restauré. Toutefois, sous l’impulsion et avec l’aide de l’association Racines et Patrimoine, les deux écoles de la commune ont entamé le nettoyage de deux routoirs.

    Figure 1 : Types de routoirs de Quemper-Guézennec d’après le cadastre de 1832

    Image

    Source : R. Le Vaillant, Archives départementales des Côtes-d’Armor.

    59Pour conclure cette contribution, nous avons pu constater, avec cet exemple de Quemper-Guézennec, les grandes possibilités qu’offre le cadastre napoléonien dans le cadre des recherches patrimoniales et l’avantage d’utiliser un système d’information géographique. Les informations apportées, qu’elles soient d’ordre géographique ou historique, ne sont pas toujours d’accès direct. Elles demandent de faire appel à des disciplines variées et notamment à la toponymie qui a montré toutes ses possibilités. Mais ces informations aussi précises soient-elles – et ici rendons hommage aux géomètres qui ont dessiné ce cadastre – ne constituent qu’un premier pas à la découverte du patrimoine et appellent des prospections approfondies tant dans les archives que sur le terrain, comme nous l’a montré l’exemple du lin. Nous ne sommes aujourd’hui qu’au début de l’exploitation de ce cadastre. Les possibilités sont nombreuses. Nous espérons bientôt confronter des photographies aériennes issues de survols à objectif archéologique aux données du cadastre permettant ainsi de repérer des sites particuliers ou de faire des liens avec certains toponymes évocateurs. Une prochaine étape sera également la communication des données cadastrales informatisées. Le moyen n’est pas encore déterminé mais pour ce qui est de l’outil, il existe aujourd’hui des logiciels libres de tous droits facilement utilisables qui pourraient permettre de visualiser et de mieux percevoir la richesse de nos territoires.

    Notes de bas de page

    1 T. Joliveau, « Les systèmes d’information géographique pour gérer les territoires et l’environnement », Revue de Géographie de Lyon, n° 71, 1996, p. 101-110.

    2 A. Deshayes, Dictionnaire des noms de lieux bretons, Le Chasse-Marée/ArMen, Douarnenez, 1999, p. 187-188.

    3 Ibid., p. 215.

    Auteur

    • Régis Le Vaillant
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    1 T. Joliveau, « Les systèmes d’information géographique pour gérer les territoires et l’environnement », Revue de Géographie de Lyon, n° 71, 1996, p. 101-110.

    2 A. Deshayes, Dictionnaire des noms de lieux bretons, Le Chasse-Marée/ArMen, Douarnenez, 1999, p. 187-188.

    3 Ibid., p. 215.

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    • Crowdsourcing for georeferencing Napoleonic cadastre over a wide area(2020) . DOI: 10.1145/3423337.3429436

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