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Les bénéficiaires de la politique de la ville des exclus de la vita activa ?

p. 205-228


Texte intégral

1Note portant sur l’auteur1

2L’appel à communication du colloque « Espaces et sociétés aujourd’hui. La géographie sociale dans les sciences sociales et dans l’action » a proposé de nombreuses pistes de réflexion. J’ai choisi de m’intéresser à deux des mots-clés qui devraient conduire la recherche en géographie sociale dans des directions jusqu’alors assez peu explorées : les mots acteurs et actions. Selon Hannah Arendt, la vita activa est composée de trois activités humaines fondamentales, le travail, l’œuvre et l’action. Il est vrai que la géographie sociale au cours des vingt dernières années s’est sans doute plus intéressée au travail et aux œuvres qu’à l’action et aux acteurs – encore que les enjeux, les décisions, les interventions et les rapports de pouvoir aient été de plus en plus pris en compte dans le façonnement des rapports que les sociétés ont avec les espaces qu’elles produisent, gèrent et transforment.

3Les hommes ne jouent pas les mêmes rôles dans les activités fondamentales de la vita activa. Certains sont des acteurs de premier rang ; d’autres des exécutants, sinon des figurants. Nombreux sont ceux qui restent à l’écart, marginalisés, exclus, subissant les actions bien plutôt qu’ils en décident et participent à leur accomplissement. C’est à ces non-acteurs que nous allons nous intéresser.

4Pour que la réflexion soit fondée sur l’expérience de la réalité, nous nous appuierons sur l’exemple d’une politique publique, la politique de la ville, telle qu’elle est mise en œuvre dans l’agglomération caennaise.

LA POLITIQUE DE LA VILLE : UN SYSTÈME D’ACTEURS

5La politique de la ville a été mise en place par étapes successives à partir des années quatre-vingt. Les contrats de développement social des quartiers (DSQ) dans les années quatre-vingt et jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, puis les contrats de ville, de la première puis de la deuxième génération, en sont les dispositifs principaux.

6La politique de la ville a pour objectif d’engager des actions visant à lutter contre la dégradation des quartiers qui cumulent les difficultés sociales de tous ordres : obsolescence de l’habitat et de l’urbanisme, chômage, précarité des ressources financières, difficultés scolaires, carences sanitaires, détérioration des services publics et privés, incivilités et violences… La politique de la ville concerne ainsi des quartiers reconnus prioritaires, des zones urbaines dites sensibles (ZUS). Elle « peut être considérée comme une politique de lutte contre l’exclusion, conduite dans un cadre territorial en faveur de zones urbaines où la précarité sociale est forte, menée par l’État en partenariat contractuel avec les collectivités locales2 ».

7Exclusion, précarité sociale, partenariat contractuel entre l’État et les collectivités locales, cadre territorial des zones urbaines défavorisées : tels sont les termes essentiels de la politique de la ville.

8Caen et cinq autres communes3 sont associés dans le contrat de ville 20002006, qui fait suite au premier contrat (1994-1999), qu’un contrat de DSQ et diverses opérations de réhabilitation de quartiers en difficulté avaient précédé.

9Le contrat de ville en cours fixe trois grands objectifs :

  • Maintenir ou améliorer l’accès aux droits fondamentaux des citoyens en leur garantissant l’accès à la santé, au logement, à l’éducation et aux services publics, tout en contribuant à leur épanouissement personnel et collectif à travers des activités sportives, culturelles ou de loisirs quotidiens.
  • Contribuer à faciliter l’accès à l’emploi des publics en difficulté. À ce titre, dans le cadre de la recherche d’une plus grande mixité des fonctions urbaines, la politique de la ville vise également à rechercher le développement des activités économiques dans les quartiers et les zones d’activités de l’agglomération caennaise et à faciliter la mobilité des habitants.
  • Améliorer la qualité de la vie collective dans les quartiers en agissant sur l’habitat et le renouvellement urbain, en luttant contre l’insécurité et en favorisant le renforcement du lien social.

10Sur le plan des territoires d’intervention, la priorité est accordée à des quartiers identifiés et concentrant les plus grandes difficultés (ZUS, ZRU), mais également à des secteurs fragiles. Un certain nombre d’actions thématiques pourront également être programmées à l’échelle de plusieurs communes4.

11Les crédits programmés dans la convention cadre de 2000 donnent la mesure des moyens dont dispose le dispositif : environ 25 millions d’euros pour ce qui est de la politique de la ville proprement dite pour les quatre premières années du contrat de ville, non compris les fonds européens FEDER et FSE, ni des crédits régionaux non encore répartis entre les agglomérations bas-normandes. Il faudrait, en outre, y ajouter les financements prévus pour le Grand projet de ville (GPV), 83 millions d’euros sur quatre ans, ainsi que les sommes correspondant aux crédits de droit commun engagés par les services de l’État (direction régionale du Travail, de l’Emploi et de la Formation permanente – DDTEFP, direction régionale des Affaires culturelles – DRAC, direction départementale de la Jeunesse et des Sports – DDJS, etc.), sommes estimées à 32 millions d’euros (dont plus de 90 % affectés aux mesures pour l’emploi). Les budgets sont donc importants : en moyenne, les financements des actions retenues au titre du contrat de ville ont totalisé environ 40 millions d’euros pour le financement de 600 actions au cours des quatre années 2000-2003, dont le tiers environ pour l’objectif « Accès à l’emploi – revitalisation économique des quartiers prioritaires ».

12Nous nous référerons plus particulièrement à cet objectif qui concerne l’accès à l’emploi des publics en difficulté des quartiers prioritaires et la revitalisation économique de ces mêmes quartiers.

Tableau 1 : Origine des financements de l’objectif Accès à l’Emploi-Revitalisation économique des quartiers prioritaires (total des années 2000-2001-2002-2003, en milliers d’euros)

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Source : Service de la préfecture du Calvados. Politique de la ville.

13Une cinquantaine d’actions, retenues après examen par le comité technique et décision du comité de pilotage, ont été financées de 2000 à 2003. C’est pour les actions de l’objectif « Accès à l’emploi-revitalisation économique » que l’on a les plus gros budgets : le Plan local d’initiative pour l’emploi (PLIE – un budget prévisionnel de près de 1,8 million d’euros en 2003), le financement des équipes emploi/insertion (EEI), ou encore les adultes-relais5.

14La politique de la ville, à Caen comme ailleurs, mobilise pour le financement des actions des partenaires institutionnels nombreux : les collectivités territoriales locales, départementales et régionales, l’État, par la préfecture et les directions des services de droit commun, l’Europe, la Caisse d’allocations familiales du Calvados (CAF), différents bailleurs sociaux, l’ANPE, etc. La plupart de ces partenaires sont représentés, directement ou par leurs techniciens, dans le comité technique qui instruit les dossiers et par leurs élus ou responsables nommés dans le comité de pilotage qui prend les décisions. La politique de la ville a pour objectif de mobiliser ces acteurs, leurs ressources financières, leurs savoir-faire et leurs projets pour la cité, au bénéfice des populations et des quartiers en difficulté, afin de réduire les inégalités sociales qui, par les marginalisations et les exclusions qu’elles produisent, segmentent la ville et entretiennent, aggravent même, les fractures sociales. Entre ces acteurs, la mise en œuvre de partenariats effectifs et efficaces ne va pas de soi. Des désaccords surgissent entre les élus des collectivités locales et l’État (représenté par le préfet) et ses services communs dans le département. Les communes ne partagent pas entre elles les mêmes analyses, les mêmes intérêts, les mêmes stratégies. Des compétences propres à l’échelon communal sont remises en question – en particulier lorsque s’instituent, comme c’est le cas à Caen, une communauté d’agglomération qui étend ses compétences à la politique de la ville. Ces enjeux, qui sont multidimensionnels, souvent plus larvés qu’ouvertement exprimés, nuisent à la cohérence et à l’effet d’entraînement que pourrait avoir le contrat de ville, bien sûr cela avec plus ou moins d’évidence selon les villes et les agglomérations.

15Considérons maintenant la mise en œuvre sur le terrain du contrat de ville. Le système d’acteurs qu’il implique est complexe, quoi qu’en dise tel ou tel élu.

16L’organigramme « Étapes, acteurs et partenariats du parcours d’insertion des personnes éloignées de l’emploi » a été conçu en traçant les étapes (possibles, voire hypothétiques) du parcours dans les dispositifs de la politique de la ville de « bénéficiaires » en grande difficulté d’insertion professionnelle.

Organigramme 1 : Étapes, acteurs et partenariats du parcours

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17Cet organigramme est à considérer comme étant un outil de travail, simplifié et encore incomplet, destiné aux acteurs de la politique de la ville pour qu’ils le complètent, le corrigent et le rendent opérationnel. On pourrait le concevoir selon des dispositions répondant à des points de vue et à des usages différents : pour les bénéficiaires des actions visant leur insertion professionnelle ; pour les partenaires qui pilotent la politique de la ville ; pour les intervenants qui proposent et réalisent les actions qui jalonnent les parcours d’insertion des bénéficiaires, etc.

18Cette représentation du système des acteurs qui sont impliqués de façon interdépendante dans les actions visant l’accès à l’emploi de personnes qui en sont très éloignées, tente de faire ressortir qu’il existe différentes catégories d’acteurs, qui ont des rôles différents.

19Les acteurs décisifs (ceux qui décident, les premiers rôles) définissent, notamment dans le cadre du comité de pilotage, les orientations de la politique de la ville. Ils décident des actions à retenir et à financer. Ils en suivent le déroulement, en particulier par les échéances des financements auxquels ils contribuent. Ils commandent les évaluations intermédiaires et finales et sont, en principe, attentifs aux conclusions et recommandations que proposent ces évaluations. Ces acteurs décisifs sont pour la plupart des politiques : le préfet et son secrétaire général chargé de la politique de la ville, les maires et certains adjoints des cinq communes engagées dans le contrat de ville, le président de la communauté d’agglomération, les représentants du conseil régional et du conseil général. La mise en actions du contrat de ville est tributaire d’enjeux de compétences (de pouvoir) et de préséances entre les représentants de l’État et les élus des collectivités territoriales ; entre les porte-parole des différents niveaux territoriaux : les communes, la toute récente communauté d’agglomération et maintenant le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) de l’aire urbaine caennaise, sans parler du département et de la région, qui ont un rôle discret ; entre les communes elles-mêmes, selon leur poids démographique et le montant de leurs engagements financiers, selon leurs orientations politiques, selon aussi les rivalités personnelles (qui recoupent les clivages politiques) et les ambitions et affirmations d’autorité de tel(le) député(e)-maire soucieux de défendre les intérêts de sa ville et d’en affirmer la primauté. Ce sont des jeux compliqués, que de rares initiés parviennent à décrypter, des enjeux qui hypothèquent la cohérence de la politique de la ville et ses possibilités de mobilisation. D’autres acteurs, non politiques, tiennent une place importante dans certains domaines : les bailleurs sociaux des offices et sociétés HLM, pour ce qui a trait au cadre de vie dans les quartiers prioritaires, la Caisse d’allocations familiales, pour le soutien aux actions d’animation sociale et culturelle. Les milieux économiques sont absents, ou quasiment, bien que le contrat de ville, notamment dans son volet « Accès à l’Emploi – Revitalisation économique », fasse appel à leur implication. Ils restent des acteurs potentiels, que les politiques recommandent d’intéresser, en soutenant financièrement la création d’activités économiques et surtout par des démarches auprès des employeurs pour qu’ils embauchent des bénéficiaires au terme de leurs parcours d’insertion professionnelle.

20Les acteurs intermédiaires composent un deuxième cercle, où se retrouvent les techniciens de la politique de la ville. Ils sont en charge, avec des statuts divers, de la politique de la ville à la préfecture, dans les principales mairies, à la région ou au département. Se joignent à eux des responsables de services de la DRTEFP à la communauté d’agglomération et de la DDTEFP, de la DRASS, de la CAF, des bailleurs sociaux, du PLIE… Ils instruisent et suivent les dossiers des actions, faisant ainsi la liaison entre les porteurs de ces actions et les axes de la politique de la ville. Ils sont plus ou moins de la même génération, 30-40 ans, titulaires de diplôme universitaires spécialisés, bien au courant des textes officiels, des possibilités de financements, du montage des dossiers. Leurs contacts fréquents, l’expérience acquise et la culture qu’ils partagent, la connaissance qu’ils ont des rapports et des enjeux entre les politiques font qu’ils se connaissent bien entre eux. Ce sont eux qui composent le comité technique. Ils font ainsi la liaison entre les différents organismes et services impliqués dans la politique de la ville, ainsi qu’entre les politiques pour lesquels ils préparent dossiers et délibération et les intervenants auprès des bénéficiaires. Aux tables des discussions, des négociations et des décisions, ils jouent, en second plan, les éminences grises.

21Les acteurs intervenants sont ceux qui proposent les actions et qui, une fois qu’elles sont retenues et financées, les réalisent directement ou sollicitent telle ou telle structure pour leur mise en œuvre. Le Plan d’initiatives pour l’emploi du Pays de Caen (PLIE), qui est dans le contrat de ville caennais le dispositif central pour l’accès à l’emploi des publics qui en sont les plus éloignés, a aussi pour mission d’orienter les personnes prises en charge vers les dispositifs et structures de formation existants (voire d’en susciter la création). Les associations tiennent à ce niveau des interventions, qui est celui du terrain et des contacts avec les personnes en difficulté, un rôle essentiel. Les interventions peuvent être de natures différentes, du premier accueil jusqu’à l’accompagnement à l’embauche en passant par la prise en charge initiale, les bilans de compétence, les stages divers, etc. Interviennent également des structures publiques, ANPE, AFPA, GRETA, CCAS, CMS, CLI6 ou des organismes mixtes, comme la mission locale ou le PLIE qui sont des structures suscitées par les collectivités territoriales et les services de l’État. Pour certaines de ces structures, les interventions au titre de la politique de la ville ne représentent qu’une part minime de leurs activités (et de leur budget, sinon de leur chiffre d’affaires). D’autres en procèdent : le PLIE, les équipes emploi/insertion. D’autres encore y ont trouvé l’opportunité de financements indispensables à leur survie. Cette nébuleuse tire son unité, toute relative, des multiples relations d’interconnaissance entre les uns et les autres, ainsi qu’avec les pouvoirs publics, leurs représentants et plus encore leurs personnels administratifs. En faire l’inventaire, en identifier les rôles et en connaître les connexions n’est pas simple. Des initiés s’y repèrent, grâce à leur longue expérience de travailleurs sociaux ou/et de fonctionnaires de tel ou tel service public, ou/et aux itinéraires professionnels qui ont pu les conduire d’une structure à l’autre. Cette nébuleuse à ses personnages qui comptent, parce qu’ils président ou dirigent une structure importante par le volume de son activité ou l’aura qu’elle a acquise. Il y a des bénévoles et des salariés, selon un partage des rôles qui n’est pas toujours facile à gérer. Des personnels ont des situations stables, ainsi les titulaires des services publics de l’État et des collectivités territoriales. D’autres sont tributaires pour leur emploi du dynamisme et de l’activité de l’association qui les emploie, voire qu’ils dirigent. La précarité est la condition de bon nombre de ces personnels. Pour beaucoup d’entre eux, les missions sont temporaires et leur reconduction dépendante des aléas des financements et, pour certaines associations, des incertitudes des carnets de commande. Telle est la situation des adultes-relais, des vacataires recrutés pour encadrer un stage ou participer à une formation, des emplois-jeunes dont beaucoup n’ont pu être pérennisés, des Contrats emploi-solidarité (les CES) aujourd’hui remis en question, etc. Autant d’acteurs dont la politique de la ville a contribué à accroître le nombre, mais dont la situation n’est pas toujours si éloignée de celle des bénéficiaires à l’accompagnement desquels ils participent.

22N’allons pas plus avant dans la connaissance du dispositif contrat de ville, dispositif qui, dans ses grandes lignes, n’est pas particulier à l’agglomération caennaise. On retiendra qu’il est porté par un ensemble d’acteurs, dont les rôles, différents et d’inégale portée, composent et animent, du fait de leurs multiples connexions développées à partir d’une partition commune (le contrat de ville), un système d’acteurs qui a ses sources d’énergie, ses dynamiques, ses freins et blocages, ses enjeux, voire ses conflits. Ce système a pour objectif de tirer vers l’insertion professionnelle et sociale des personnes éloignées de l’emploi, dont on ne saurait prétendre qu’elles sont en situation d’acteurs.

LES EXCLUS DE L’ACTION

Les quartiers prioritaires

23La convention cadre du contrat de ville 2000-2006 de l’agglomération caennaise définit des quartiers prioritaires, de plusieurs milliers d’habitants, et des îlots sensibles, qui sont des fractions de quartiers dont la population ne dépasse généralement pas quelques centaines de personnes.

24Figure 1 : Quartiers et IRIS des communes de Caen et Hérouville-Saint-Clair

Figure 2 : Communauté d’agglomération de Caen la mer

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Figure 3 : Population au chômage en 1999 communes de Caen et d’Hérouville Saint-Clair par IRIS2000

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Figure 4 : Population au chômage en 1999. Communauté d’agglomération de Caen la mer

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Figure 5 : Population des résidences HLM en 1999 communes de Caen et d’Hérouville Saint-Clair par IRIS2000

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Figure 6 : Locataires HLM en 1999. Communauté d’agglomération de Caen la mer

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25Ces quartiers et ces îlots ont en commun : des taux de chômage très supérieurs aux moyennes de l’agglomération, en particulier parmi les jeunes et les plus de 50 ans, une forte prédominance des niveaux de formation les plus bas, la fréquence des ménages dissociés et des familles monoparentales, tout cela dans le contexte urbanistique et architectural d’ensembles d’immeubles (parfois de cités-jardins anciennes) en location HLM (Figures 7, 8, 9 et 10).

Figure 7 : Allocataires du RMI en 2001. Communes de Caen et d’Hérouville Saint-Clair par IRIS2000

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Figure 8 : Familles monoparentales en situation de précarité financière en 2001. Communes de Caen et d’Hérouville Saint-Clair par IRIS2000

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Figure 9 : Familles en situation de précarité financière en 200. Communes de Caen et d’Hérouville Saint-Clair par IRIS2000

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Figure 10 : Population en situation de précarité financière en 2001. Communes de Caen et d’Hérouville Saint-Clair par IRIS2000

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26Ces statistiques cernent à grands traits les caractéristiques des quartiers prioritaires et des îlots sensibles (certains, de taille réduite, échappent à l’approche statistique à l’échelle des IRIS) et d’une partie plus ou moins nombreuse de la population qui y vit. Faute de maîtriser les composantes de leur vie, des milliers de familles et de personnes sont dans l’incapacité d’avoir des projets construits et d’en entreprendre la réalisation.

27Écartés de l’emploi, du travail, qui est une des activités humaines fondamentales, bon nombre d’adultes et des proportions plus élevées encore de jeunes, sont en marge des relations sociales qui se créent sur les lieux de travail et sont réduits à la précarité et à la pauvreté.

28Par exemple, à la Pierre Heuzé, 27 % seulement des chefs de ménage locataires des HLM ont un emploi stable, plus de 80 % des ménages disposent de revenus qui n’atteignent pas 60 % du plafond de ressources retenu pour l’accès à un logement HLM (27 000 euros par an en province). Dans l’îlot Ribot (petit ensemble HLM de la Folie Couvrechef), les chiffres sont respectivement de 16 % de chefs de ménage ayant un emploi stable et de 98 % de ménages dont les ressources n’atteignent pas 60 % du plafond de ressources. La fréquence du chômage, la précarité des revenus, la part importante des prestations sociales dans ces revenus ne laissent guère de marges de manœuvre dans l’organisation de la vie. Difficile dans ces conditions d’être acteur de sa vie et de tenir un rôle dans la collectivité.

Tableau 2 : Quartiers prioritaires et îlots sensibles à Caen et à Hérouville-Saint-Clair – 1999

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29Au cours des trente dernières années, pour beaucoup de locataires HLM, la location a été une période de transition, de préparation d’un projet d’accession à la propriété d’une maison individuelle, plus rarement d’un appartement. Mais bien des familles n’ont pas eu la possibilité d’une telle ambition. Aussi, dans nombre d’ensembles HLM, la paupérisation commencée dans les années soixante-dix se poursuit-elle : de moins en moins de professions intermédiaires, d’employés, d’ouvriers même ; de plus en plus de chômeurs et d’inactifs.

30Depuis plus de vingt ans, on souligne, enquêtes, statistiques et cartes à l’appui, la dégradation de la situation scolaire : de nombreux retards, des sorties prématurées du système éducatif, des handicaps de formation lourds pour l’insertion professionnelle. À la Grâce-de-Dieu (1999), 50 % des 16-25 ans sont au chômage, 65 % d’entre eux n’ont aucun diplôme ; parmi les actifs de 16-25 ans, 44 % sont en emploi précaire.

31Ces déficits de capital de formation sont tels, dans une économie où le niveau des qualifications s’élève rapidement, que l’entrée sur le marché du travail est de plus en plus aléatoire. Et les dispositifs de formation post-scolaires, qui se multiplient, doivent à la fois surmonter l’absence de maîtrise des savoirs de base, l’inexistence de formation professionnelle et les attitudes fréquentes de rejet de tout travail de formation. Les études, bilans, rapports, entretiens confirment à l’envi ces lacunes de formation et les blocages qui en résultent.

32Par exemple, sur les 4 087 jeunes reçus par la mission locale de l’agglomération caennaise en 2003, 18 % n’ont pour tout bagage qu’un niveau VI et près de 80 % ne dépassent pas le niveau V7… Les atouts dont on dispose n’ouvrent que bien peu d’opportunités !

33Le même bilan d’activités de la mission locale fait état des problèmes qui freinent les parcours d’insertion des jeunes : en premier rang, le manque de ressources (41,5 % des problèmes énoncés), puis la subsistance (25,5 %), le logement (14 %), la santé (10 %), puis moins de 5 % pour la mobilité, les questions de comportement, la famille. Aux problèmes de ressources et de subsistance s’ajoutent les problèmes de logement et de santé – ce n’est pas propre aux jeunes adultes – pour réduire, voire annihiler les marges d’autonomie et les possibilités d’agir. Le décrochage, la perte de repères, l’impossibilité de se raccrocher à un projet sont la condition de milliers de personnes dans une agglomération moyenne telle que Caen. Pour beaucoup, les activités fondamentales de l’existence et les rapports sociaux qui s’y associent sont régis par la négative : non-emploi, non-appropriation du logement, non-formation, voire non-santé et non-famille. Aucun capital à disposition, ou si peu, ou de façon si marginale… La vita activa, le travail, l’œuvre et l’action, qui en sont les trois activités humaines fondamentales, ne les concernent guère.

Les parcours aléatoires de l’insertion et du travail

34Pour ceux auxquels font défaut les atouts économiques (les ressources), sociaux (les réseaux de relations), professionnels (les diplômes, les qualifications, l’expérience d’un métier), culturels (des rapports positifs au travail et à ses contraintes par exemple), les parcours de l’insertion professionnelle et sociale sont souvent longs et difficiles. C’est d’abord le premier contact, suggéré par des proches, une association, un travailleur social, etc. Puis la prise en charge, un entretien, un premier dossier, un prochain rendez-vous à l’ANPE, au Centre communal d’action sociale, à l’antenne de la mission locale… Il faut se (re)motiver, s’orienter, faire le bilan de ses capacités. Se succèdent des entretiens, des stages, qui peuvent être autant d’étapes vers la recherche réussie d’un emploi, mais le plus souvent précaire, avant que l’insertion devenue durable permette de faire des projets de logement, d’envisager de fonder une famille (plus de 80 % des bénéficiaires du RMI résidant, en 2003, dans l’agglomération caennaise sont des personnes seules), de satisfaire des besoins de consommation ou des aspirations culturelles et de loisirs.

35Les parcours vers l’emploi sont aléatoires. Pour certains, ils sont même inaccessibles. Se cumulent en effet les obstacles : le déficit de formation et l’absence d’expérience professionnelle, l’isolement, les problèmes familiaux, les handicaps de santé, la précarité du logement, le manque d’autonomie, les déficiences personnelles, les difficultés matérielles et mentales à se déplacer… Autant de blocages plus ou moins irréversibles.

36Bornons-nous à deux exemples pour illustrer combien chaque situation individuelle est à la fois particulière et, par les difficultés et comportements qu’elle révèle, exemplaire des conditions de vie de bien des personnes en grande difficulté d’insertion.

Une insertion problématique8

37Il est né en 1960 à Caen. Fin 2000 au moment où est envisagée sa prise en charge par le PLIE, il est au chômage et bénéficie du RMI. Son niveau de formation est faible : niveau VI. Il recherche un emploi dans le nettoyage, secteur dans lequel il a une certaine expérience et pour lequel il est motivé. Le dossier est présenté au Groupe de suivi technique (GST) du PLIE par l’assistante sociale du centre médico-social de la commune où il habite et par le service instructeur du RMI de la Commission locale d’insertion.

38R. a exercé six ou sept emplois successifs, de façon discontinue, cantonnier-jardinier en espaces verts dans la commune où il vit, puis employé dans une radio locale, à nouveau cantonnier-jardinier puis CES aide-magasinier dans une association caritative, puis CES manœuvre en bâtiment dans un chantier d’insertion de juin à octobre 2000, puis technicien de surface pour le nettoyage d’entreprises. Entre ces différents emplois se sont intercalées des périodes plus ou moins longues de chômage.

39La prise en charge par le PLIE tarde plusieurs mois. Ce n’est qu’en mai 2001, après six rendez-vous auxquels il n’a pas répondu que R. se rend à l’association qui est chargée par le PLIE de son dossier. R. est manifestement en difficulté, sa présentation physique est jugée très mauvaise, il ne sait pas où il en est, se révèlent des problèmes de santé, d’alcoolisme, il faut envisager des mesures d’accompagnement éducatif pour ses cinq enfants. R. ne veut pas se retrouver en formation ; il ne supporte pas le regard des autres ; il veut travailler tout de suite. En juin 2001, il est inscrit au PLIE, dans l’étape 1 : « Élaboration de projet professionnel et résolution de problématique », dans le dispositif « Intervention entre l’Offre et la Demande » (IOD) mais il « n’accroche pas » ; il faut revoir le dispositif de prise en charge, avec un accompagnement individualisé, R. refusant d’être dans un groupe et enfermé dans une salle…

Encadré 1 : Les bénéficiaires du Plan local d’initiative pour l’emploi du Pays de Caen (PLIE), au 31 décembre 2003
892 bénéficiaires du PLIE ont été intégrés dans le dispositif entre 1999 et 2003. La plupart résident dans l’une des six communes du Contrat de ville : 602 à Caen, 139 à Hérouville, la plupart dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville
489 vivent seuls (375 hommes, 114 femmes)
171 vivent seuls avec enfant(s) (152 femmes)
251 ont moins de 25 ans (beaucoup sont dans le dispositif TRACE)
397 sont bénéficiaires du RMI
315 ont un niveau VI de formation, 446 un niveau V bis ou V.
En 2003, 348 bénéficiaires sont en parcours dans le dispositif PLIE : 288 à l’étape 1 (repérage des besoins, élaboration du projet professionnel, résolution des problèmes particuliers) : 10 à l’étape 2 (formation : acquisition des savoirs-faire et des compétences professionnelles)
50 à l’étape 3 (dispositif d’accès à l’emploi)
aucun à l’étape 4 (suivi dans l’emploi)
Au total, au cours des quatre années, on enregistre :
45 sorties positives (dont 40 vers un emploi)
364 sorties sans suite
258 abandons
106 situations autres
On mesure par ces quelques chiffres, les difficultés de l’insertion dans l’activité économique pour les personnes en difficulté professionnelle et sociale ; ainsi que la portée limitée des dispositifs de prise en charge, en dépit des moyens financiers affectés et de l’engagement de ceux qui interviennent dans la construction et le déroulement des parcours.

40Source : Bilan du PLIE pour l’Assemblée générale du 27 mai 2004.

41Il signe un contrat à durée indéterminée en mars 2002, comme plongeur à 34 heures par semaine et 939 euros par mois dans un restaurant de la ZAC de Mondeville. La validation définitive du contrat est prévue en septembre. Il démissionne en juillet, pour partir en vacances (disent les rapports établis fin 2002).

42En juin 2003, il demande à nouveau à être intégré dans le PLIE : « Trop de problématiques hypothèquent l’accès à l’emploi. Il reprend une dynamique d’insertion professionnelle » (note de juin 2003). En juin 2004, il participe au chantier d’insertion EDF/ville de Caen. Il est suivi par la CLI et un accompagnateur de l’association qui a la responsabilité du chantier d’insertion, et depuis l’été 2004, par l’un des accompagnateurs récemment recrutés par le PLIE.

43Formation, santé, famille, instabilité, problèmes psychologiques, composent un arrière-plan qui hypothèque l’insertion professionnelle (et sans doute sociale), malgré le partenariat des dispositifs d’insertion (CMS, CLI, associations, PLIE, ANPE, Assedic…) et l’engagement des personnes qui se mobilisent et se coordonnent pour l’inscrire et le maintenir dans un parcours d’insertion.

Lorsqu’on a le projet de devenir acteur9

44S. a une vingtaine d’années. Elle est en ce moment CES à l’association Les Chemins de Traverses, rue Saint-Vincent-de-Paul, quartier de La Guérinière à Caen. Elle a arrêté, pour des raisons personnelles qui l’ont profondément marquée, la scolarité en terminale Comptabilité. Elle reprend des cours, par correspondance. Cette rupture a provoqué une remise en question radicale. Elle prend contact avec la mission locale qui l’oriente d’abord en plateforme d’insertion. Elle touche à toutes sortes de formations et d’activités, comptabilité, vente, animatrice radio même… sans aller jusqu’au bout. Finalement, la conseillère de la mission locale l’oriente vers l’association Les Chemins de Traverses, qui s’efforce d’accompagner ceux qui prennent contact avec elle dans leur reconstruction personnelle et de les aider à se prendre en charge pour sortir des situations d’exclusion dans lesquelles ils sont. S. s’y « épanouit comme une petite fleur », se « découvre des talents cachés ». L’association est en relation avec le Mali et la Colombie, par l’association Don Bosco. Des séjours sont organisés en Colombie. S. participe à l’un d’eux, trois semaines à Medellin. Elle rencontre des jeunes à la rue, des enfants travaillant dans les mines, des gens dont la vie est très dure, et qui pourtant ne se laissent pas aller. Un événement dans sa vie : « J’ai rencontré des gens accueillants, riches de leur cœur… Une vie très dure, …des gens qui donnent sans retour…, une émotion très forte… Je n’ai pas les mots… j’ai beaucoup appris sur moi-même et sur l’être humain… Je suis revenue pleine d’idées, avec un autre esprit, remplie d’ambition, de projets… »

45Intéressée par le dessin de mode, S. a le projet de créer une marque de vêtements et un atelier de confection. Elle a travaillé à l’atelier associatif Toutes les Couleurs, qui est associé aux Chemins de Traverses. Elle trouve dans l’association le dialogue, la convivialité, l’écoute et le soutien qui l’aident à mûrir son projet. Elle a l’aide de l’ANPE, le soutien de sa famille, l’appui de financeurs. Elle économise la moitié de son salaire de CES ; les enveloppes des anniversaires et des fêtes augmentent son pécule. L’atelier devrait démarrer dans deux à quatre mois. Des nuits blanches en perspective. Il faudra bien gérer pour rembourser les prêts. Elle prévoit d’embaucher deux vendeurs. Elle se fixe un salaire de départ équivalent au SMIC.

46Quelques mois plus tard, ce projet est « un peu de côté, pour l’instant ». Un atelier musical a pris le relais. S. s’y inscrit. Elle compose depuis très long temps : « J’ai même voulu arrêter mes études… mais c’est un monde très dur, bien que j’aime le risque. » S. était montée sur scène en juin 2004 lors du voyage à Medellin, avec un autre jeune rapeur du groupe qui s’était appelé Front Verbal : « Une expérience forte de rencontre entre deux cultures pour créer quelque chose de chaleureux. » Maintenant elle chante seule, « des chansons à texte, à messages… un projet profond, inspiré par l’idée de don, d’échange entre deux mondes… La culture urbaine portée par le jeune (elle), la culture dominante (le professeur) ». Elle prépare une maquette. « Ça va marcher. » À plus long terme, elle a en projet « une comédie musicale urbaine, qui n’aurait encore jamais été réalisé ».

47Après le choc de la classe terminale, les problèmes familiaux et personnels, des errances de stage en stage, de petits boulots en petits boulots, le soutien d’une association dont la philosophie du don contre don et la pratique visant l’acquisition de l’autonomie et la reconstruction de soi, naît l’envie de s’en sortir et, réalisant ses projets, de devenir acteur, en gardant en mémoire la rencontre des jeunes Colombiens et le passage par les Chemins de Traverses.

48Qu’en sera-t-il dans quelques mois ? Quoi qu’il advienne, S., comme d’autres, confirme que les situations ne sont pas toutes désespérées, que les quartiers en difficultés recèlent des ressources humaines qui sont des richesses pour l’ensemble de la collectivité, à condition d’en être convaincu et de savoir, comme les Chemins de Traverse, les mobiliser pour qu’elles aient la chance de s’épanouir.

UN TISSU D’ACTEURS : LES ASSOCIATIONS

49On aura noté, chemin faisant, la présence nombreuse des associations dans le déroulement de la politique de la ville. La mission locale de l’agglomération caennaise est en relation, en 2003, pour les actions de formation auxquelles elle fait appel, avec quarante partenaires, la plupart de statut associatif. Le PLIE pour la prise en charge des bénéficiaires recourt à une vingtaine d’associations : IRFA, INFREP, Toutes les Couleurs, Vis-à-Vis, Retravailler, Revivre, etc.

50Les associations qui mettent en œuvre les objectifs du contrat de ville sont de plusieurs types. Certaines sont principalement des structures de service. Elles s’inscrivent dans la politique de la ville par les actions qu’elles soumettent directement aux instances du contrat de ville, ou plus souvent en sous-traitance d’actions conçues par un autre organisme (le PLIE par exemple) financé par le contrat de ville. Ces associations-là sont plus ou moins spécialisées. Certaines ont des champs larges d’intervention, depuis la première prise en charge des personnes jusqu’à l’insertion et l’aide à l’embauche ; d’autres interviennent surtout à l’aval du parcours ; d’autres encore accompagnent des porteurs de projets créateurs d’emplois, ou apportent leur aide aux associations, pour l’informatique, la gestion, la comptabilité, etc. Certaines de ces associations ont été suscitées, il peut y avoir dix ou quinze ans, par une municipalité très engagée dans l’innovation urbaine et la volonté de maintenir de la cohésion sociale, ainsi à Hérouville-Saint-Clair. Telle autre est très liée à la mairie de Caen. Ces associations dont les actions et les financements provenant du contrat de ville ne recouvrent qu’une partie, souvent secondaire, de l’activité, interviennent sur le terrain de la ville et auprès des populations en difficulté en parallèle avec d’autres structures dépendant plus ou moins directement de services publics : le GRETA et les Points d’insertion par l’accueil et la formation (PIAF), qui dépendent de l’Éducation nationale ; les équipes emploi/insertion (EEI) que financent conjointement l’ANPE, la mission locale et les Centres communaux d’action sociale (CCAS) de Caen et d’Hérouville, etc.

51À côté de ces associations de services, les associations que l’on peut dire d’accueil se donnent pour objectif d’accompagner les personnes en difficulté, de les informer, les conseiller, les re-motiver, les suivre dans leurs démarches et leurs projets. Elles s’efforcent de tisser du lien social. L’emploi et l’insertion professionnelle ne sont pas leur seule préoccupation, loin s’en faut. Ainsi la Voix des femmes, créée en 1991, à Hérouville, qui dispose de quatre emplois d’adultes-relais financés dans le cadre de la politique de la ville.

52L’association La Voix des femmes est fondée sur le souhait de promotion de femmes et de lutte contre toutes sortes de discriminations. Pour cela elle a créé un cadre d’échange, de communication et d’écoute. Elle s’est donnée les objectifs suivants :

  • Promouvoir l’insertion professionnelle, sociale et culturelle des femmes.
  • Favoriser des actions à partir du savoir-faire et du savoir-être des femmes.
  • Réunir des femmes de cultures différentes et générer des actions d’échanges culturels et de solidarité.
  • Favoriser des conditions de mieux-être et de bien-être.
  • Amener à l’autonomie, aider les femmes à être actrices dans leur vie quotidienne.

53L’association met en place des actions pour permettre de s’ouvrir au monde extérieur. Car le premier souhait des adhérentes est de sortir de chez elles, de rompre l’isolement dans lequel elles se trouvent.

54Parmi les activités qui sont proposées aux habitantes du quartier, quelques-unes sont à l’initiative de l’association, mais beaucoup sont issues d’une demande des adhérentes. Les ateliers peuvent être animés par les médiatrices, par les habitantes, par des professionnels (pour l’écriture, par exemple) ou encore être en libre-échange, pour le partage des connaissances.

55La Voix des femmes est ainsi un lieu d’accueil convivial au sein du quartier du Grand Parc à Hérouville, de promotion sociale, culturelle et professionnelle, d’échange de pratiques sociales et culturelles. C’est aussi un lieu où l’on apprécie de s’installer pour prendre un café et discuter. L’association est très favorablement reconnue. On souligne son dynamisme, les qualités de l’accueil qu’elle propose, l’originalité et la portée de ses actions. Elle s’appuie sur un maillage serré et efficace de relations, tant avec les services publics, mairie, préfecture, qu’avec le tissu associatif.

56Également située à Hérouville, l’association STARTER a été créée en 1993 par un comité de chômeurs. Elle a pour objectif d’aider les chômeurs dans leurs démarches auprès de l’ANPE, des Assedic, de la direction du Travail et de l’Emploi, de défendre les demandeurs d’emploi devant les juridictions, de contribuer à l’insertion professionnelle de ses adhérents et des personnels qu’elle emploie.

« Lorsque l’on passe quelques heures à STARTER, on entre vite dans des débats politiques, sociaux ou économiques. On ressent très fortement le côté engagé et militant de ses acteurs, qui n’hésitent pas, lorsqu’ils le jugent nécessaire, à descendre dans la rue pour montrer leur mécontentement aux pouvoirs publics.
Parallèlement à cet aspect revendicatif, l’association tente d’entrer dans les normes pour obtenir certains financements. Cela n’est pas sans soulever des difficultés d’ordre technique et d’acceptation de certaines attentes des partenaires. En effet, le montage des dossiers est une tâche importante, qui demanderait le travail d’un professionnel. Par ailleurs, les attentes des financeurs sont parfois difficiles à concilier dans leur diversité avec les objectifs de STARTER… Le monde associatif est souvent un univers militant. Or lorsque les associations demandent des subventions aux institutions, elles doivent respecter le partenariat qui les relie à ces institutions. Ce qui signifie que l’obtention de subventions fait entrer les associations dans le monde institutionnel avec pour contrepartie la mise en sourdine de leurs actions de revendications. Mais ne serait-ce pas alors abandonner leur philosophie, ce qui donne sens à leurs actions10 ? »

57Quatre structures ont été créées :

  • La Maison de la solidarité et de l’emploi, qui propose une aide individuelle pour les démarches administratives, la réalisation de CV, la rédaction de lettres de motivation. Sont à disposition des ordinateurs, un fax, de la photocopie, une bibliothèque. Environ 200 personnes viennent ponctuellement à la Maison de la solidarité, une centaine d’autres la fréquentent régulièrement.
  • L’Internet pour tous : 4 ordinateurs pour permettre à la fois l’accès aux NTIC et la recherche d’emploi – une cinquantaine d’adhérents.
  • Le Jardin de la solidarité. Cultivés par des chômeurs recrutés sur des emplois de CEC ou CES, ces jardins ont pour objectifs la réinsertion sociale par le biais d’un travail maraîcher, de permettre de suivre une formation tout en acquérant une expérience professionnelle, enfin de susciter de nouveaux comportements alimentaires en encourageant la consommation de produits frais dans des ménages à bas revenus. Des légumes sont vendus aux adhérents.
  • La Friperie. Elle répond au besoin pour les adhérents de se vêtir correctement, de sensibiliser au recyclage des vêtements et d’entretenir un esprit solidaire et citoyen. La Friperie est aussi un lieu de rendez-vous, de convivialité, d’information et de débats, en partenariat avec la Consom’Boutique et Coup de Pouce Santé.

58En 2003, l’association employait une quinzaine de personnes (4 CES et 9 CEC), toutes en situation précaire, ce qui fait que STARTER, comme de nombreuses associations, n’a pas d’avenir assuré.

59Les montants des subventions, dont celles provenant de la politique de la ville, n’ayant pas été reconduits pour l’année 2005, l’association vient de cesser ses activités.

60Les associations tissent ainsi dans certains des quartiers dits défavorisés une trame dense de structures d’accueil et d’accompagnement de personnes plus ou moins en difficulté, certaines très éloignées de l’emploi et socialement exclues, d’autres en recherche par exemple d’une reconversion professionnelle dans un nouveau projet de carrière. Des associations sont dans l’ordre établi, gérées comme des entreprises privées dont l’activité consiste à répondre à l’offre de formation post-scolaire en termes marchands. D’autres ont avec l’ordre établi des rapports plus complexes, de concertation plus ou moins ouverte. Leurs principes et leurs méthodes d’action ne font pas l’unanimité. Certaines même, telle l’association STARTER, s’associent activement aux mouvements de revendication qui concernent leurs adhérents, ce qui, du fait de leur dépendance des financements publics, peut les mettre en situation délicate.

61Dans le jeu des actions et des pouvoirs engagés dans la politique de la ville, les associations composent ainsi un tissu intermédiaire entre les politiques (et leurs administrations) et les publics auxquels sont destinées les interventions de la politique de la ville. Ce monde associatif est reconnu, même s’il est quelquefois contesté ; mais il ne constitue pas un interlocuteur collectif, du fait des motivations différentes qui animent ses composantes et des objectifs qu’elles se fixent. À des degrés inégaux, l’ambition partagée est d’accompagner les personnes vers l’emploi, du moins vers une certaine autonomie et de les (ré)insérer socialement, avec la perspective plus ou moins consciente de les faire participer à la vita activa par l’accomplissement de ses trois fonctions fondamentales.

62Mais il y a aussi les personnes qui, momentanément ou durablement, restent en marge, exclues. Celles que l’on ignore, recluses dans leur appartement ou leur logement de fortune, oubliées, sans travail, désœuvrées, inactives. Celles aussi qui construisent une contre-société, bandes de jeunes et de moins jeunes, réseaux plus ou moins mafieux de trafics illicites. Celles-ci sont aussi dans l’activité, l’œuvre et l’action… Un autre sujet, du moins une autre déclinaison possible de la réflexion sur la vita activa.

CONCLUSION

63La politique de la ville est un dispositif d’action publique qui mobilise des moyens importants, tant en financements qu’en compétences et partenariats. On pourrait en résumer les objectifs en disant qu’elle a pour ambition fondamentale de faire accéder les habitants en situation difficile des quartiers urbains en voie de paupérisation aux trois activités fondamentales de la vita activa, le travail (notamment par l’emploi), l’œuvre (par la création, la culture, l’activité artistique), l’action (par l’accès à la citoyenneté et son exercice).

64Force est de constater que la distance est grande entre les objectifs et la réalité. Les projets manquent de lisibilité et d’ambition, ne découlant pas d’une politique globale. Les moyens, insuffisants, sont dilués en une constellation d’opérations souvent ponctuelles, dont les effets sont difficiles à évaluer. L’implication des habitants reste le plus souvent lettre morte, ou déléguée à des groupes restreints et à des structures parapubliques et associatives qui fonctionnent dans l’urgence et la précarité, souvent sans prise durable et en profondeur sur les difficultés sociales et les exclusions qui en résultent, tant dans l’emploi, la création que dans l’action.

Notes de bas de page

1 mailto:robert.herin@unicaen.fr

2 Cour des Comptes, La Politique de la Ville. Rapport au Président de la République suivi des réponses des administrateurs et des organismes intéressés, 2002.

3 Caen (114 000 habitants en 1999), Hérouville-Saint-Clair (24 000 habitants), Ifs (9 200 habitants), Colombelles (6 200 habitants), Fleury (4 200 habitants) et Saint-Germain-la-Blanche-Herbe (2 500 habitants) soit 160 000 habitants au total.

4 Contrat de ville de l’agglomération caennaise, Convention cadre 2000-2006, août 2000, p. 5-6.

5 L’évaluation à mi-parcours qui nous a été demandée de la politique de la ville dans l’agglomération caennaise a porté sur la mise en œuvre de cet objectif. Voir r. Hérin, Évaluer le Contrat de Ville de l’Agglomération caennaise 2000-2006. Évaluation intermédiaire, CRESO – université de Caen, 3 volumes, novembre 2004.

6 ANPE : Agence nationale pour l’emploi ; AFPA : Association pour la formation professionnelle des adultes ; GRETA : Groupement d’établissements (Éducation nationale) ; CCAS : Centre communal d’action sociale ; CMS : Centre médico-social ; CLI : Commission locale d’insertion (RMI).

7 Mission locale de l’agglomération caennaise, Bilan d’activités 2003, Hérouville-Saint-Clair, 2003. Le niveau VI correspond à la fin de scolarité obligatoire sans diplôme, le niveau V correspond au CAP et BEP.

8 Source : dossier PLIE.

9 Enquête R. Hérin, octobre 2004.

10 Grimault Cécile, Les associations d’insertion : EneFa, Starter, la Voix des Femmes, Rapport de stage de la licence professionnelle Connaissance de la Ville et Métiers de l’intervention sociale, préfecture du Calvados/université de Caen, 2003.

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