Entre gloire et beauté : la cour de France sous le regard des visiteurs étrangers au temps de la Régence (1715-1723)1

1 Cette étude développe et précise une première présentation, faite au colloque de Potsdam en 2008 : Lemarchand 2011.

2 La Gazette de France publia un numéro spécial le 29 mars (n^o 15, 1721) pour relater en une douzaine de pages l’entrée de Mehmed Efendi à Paris et sa première audience avec Louis XV.

3 Ainsi ce sujet disparut assez vite de la célèbre correspondance de la marquise de Balleroy.

4 Seydoux 1968, p. 235-244 ; Barykina 2013.

5 Yerasimos 1999, p. 65-82 ; Poumarède 2009, p. 63-95.

6 Schnakenbourg 2012, p. 31.

7 Le 19 mai 1717, une lettre d’un courtisan français rapporte ainsi, à propos du tsar : « Plus on le voit et plus on en est content » (Balleroy 1883, t. I, p. 163). Sur la mise en place des grands rituels de la diplomatie dans l’Europe moderne, voir Bély 2007.

8 Confirmant le moindre intérêt porté par les contemporains au séjour des ducs de Lorraine en 1718, nous n’avons pu trouver aucune source iconographique sur ce sujet.

9 Duclos 1791, t. II, p. 280.

10 Mehmed Efendi 1757.

11 Mandrou 1977 et, dans cet ouvrage, la contribution de Hanife Güven.

12 Ce que traduit la première déclaration du tsar à Louis XV rapportée par une source française très conformiste, le Journal de la Régence de Jean Buvat, pour le 10 mai 1717 : « Le Czar dit au Roi qu’ayant ouï parler si avantageusement de la France, et que ce royaume avait toujours été gouverné par de si grands princes et en dernier lieu par le feu Roi, qui avait fait durant toute sa vie l’admiration de tout le monde, il n’avait pu s’empêcher de quitter pour un temps ses États, quoique fort éloignés de la France, pour contenter l’empressement qu’il avait depuis longtemps de voir par lui-même un royaume si florissant » (Buvat 1865, t. I, p. 266).

13 Mais jusqu’en 1718 seulement. À un moindre degré, le même renversement des alliances peut concerner les Ottomans au sud, qui ont battu, eux, les Russes sur le Pruth en 1711. Sur ces questions, voir Schnakenbourg 2008.

14 Bély 1999, p. 543.

15 « Aussitôt qu’il eut reçu la visite du roi, il ne cessa de se promener dans Paris » (Duclos 1791, t. II, p. 273).

16 Castel de Saint-Pierre 1912, p. 283.

17 Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, NAF 4135, « Recuille de ce qui s’e[s]t passé de plus notable en ce couvent [des Capucins] du Marais [à Paris], depuis son establissement en l’année 1622, colligé fidellement par un religieux qui y a demeuré plusieurs années », f^os 320-322.

18 Balleroy 1883, t. I, p. 259.

19 Le chroniqueur Edmond-Jean-François Barbier ramène ainsi de façon implicite la réception d’Efendi à celle, somptueuse, de l’envoyé persan Riza Beg en 1715 par Louis XIV : « Le roi était sur un trône, au bout de la petite galerie, avec un habit brodé de diamants. […] On a été le voir par curiosité. Toute la cour était magnifique », Barbier 1857-1866, t. I, p. 121.

20 Tel est bien le fond de la description de l’entrevue entre les deux monarques par un rapport analytique de 1782 (cherchant à préparer la venue du futur tsar Paul I^er) : « On agita si le roi prendrait la droite ou la céderait au Tsar. Celui-ci décida la difficulté en portant le jeune roi dans ses bras au travers de la galerie du château ; et de ce moment on ne parla plus de ce genre d’étiquette », Pierrefitte-sur-Seine, Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents, France 1855, f° 85.

21 Tout cela vaut également pour Léopold de Lorraine.

22 Pierre le Grand n’est pas logé dans les appartements du Roi.

23 Nombre de sources (Saint-Simon 1857, t. XIV, chap. xviii) établissent le fait : « pendant que le Czar était à Versailles, il ne manqua pas de se donner carrière avec des femmes ou filles accoutumées à faire largesse de leurs faveurs et à se prêter à qui veut en goûter ; de sorte que ce prince et les seigneurs de sa suite en ressentirent bientôt les influences qui ne manquent pas de suivre de près les plaisirs de Vénus. Ainsi on fut obligé de consulter les disciples d’Hippocrate et de Galien qui se transportèrent en diligence à Trianon, ce lieu délicieux et plein de charmes où Cupidon a tant de fois triomphé et où il venait encore de terrasser un des plus grands princes du monde en la personne du Czar et de ses compagnons de voyage », Buvat 1865, t. I, p. 275-276. La divine punition rétablit ici le bon ordre en annihilant la profanation.

24 « Il parut étonné de la machine de Marly pour l’élévation des eaux, de sorte qu’à son retour à Paris, étant à table, on le vit faire des mouvements de corps et figurer cette machine avec une cuiller et une fourchette », Buvat 1865, t. I, p. 271.

25 Ce que trahit encore cette incompréhension de Jean Buvat (et, en fait, aussi de Pierre, mutuelle donc) à propos de la fréquentation des jardins de Versailles : « Étant dans les jardins de Versailles, il fut étonné de n’y voir personne, et en ayant demandé la raison, on lui représenta que c’était à cause des rigoureuses défenses pour ne pas l’incommoder. Sur quoi il dit : “Il est vrai que je n’aime pas être suivi d’un tas de canailles, mais je suis bien aise de voir les honnêtes gens.” Ainsi le lendemain, il y trouva bonne compagnie de personnes des deux sexes, proprement vêtues » (Buvat 1865, t. I, p. 271).

26 Ainsi, quasiment tous les monuments et bâtiments parisiens représentés ont été construits ou reconstruits sous Louis XIV.

27 Par exemple dans le pourtant très méticuleux Journal de Dangeau, alors qu’il relate très souvent ce que les Lorraines font à Paris en février-avril.

28 C’est le cas de l’édition de février 1718 du Mercure (p. 219).

29 Ils sont ainsi et insensiblement dénommés L.A.R. par le Mercure (ainsi p. 218).

30 C’est le temps des cours princières (des Orléans, des Condé, des Vendôme, etc.) et d’une cour royale éclatée dans la ville. On ne peut s’empêcher de penser alors au film Que la fête commence de Bertrand Tavernier (1975), qui résume ainsi la Régence.

31 Selon l’édition de février du Mercure (p. 221), qui en disserte sur des pages et des pages et y revient encore dans son numéro de mars ! Saint-Simon (1857, t. XV, p. 272) renchérit : il considère qu’il s’agit de « la plus splendide et la plus complète fête qu’il fût possible en toute espèce de magnificence et de goût ».

32 Ce qui témoigne des mutations en cours. Selon la princesse Palatine, sa mère, elle « est dans une stupéfaction telle de tout ce qu’elle voit et entend qu’elle n’en revient pas. Elle [la] fait souvent rire avec son ébahissement. En particulier, elle ne peut s’habituer à voir des dames qui portent les plus grands noms se laisser aller, en plein Opéra, entre les bras des hommes qu’elles ne détestent pas, à ce qu’on dit » (Orléans 1972, 13 mars 1718) ; soit la liberté nouvelle de la Régence, pour l’aristocratie surtout. Celle qui bouscule le plus les règles de préséance et de bienséance à l’Opéra est encore une fois la sulfureuse duchesse de Berry, Marie-Louise-Élisabeth d’Orléans, qui y a acquis la place du roi et régente les spectacles !

33 L’Opéra et son bal masqué ; la promenade du cours la Reine où elle rencontre d’ailleurs le petit Louis XV ; les foires parisiennes et leurs spectacles dont Thomas Crow a montré l’intérêt pour l’aristocratie parisienne (Crow 2000, p. 64-70).

34 Le duc de Lorraine propose ainsi et à diverses reprises au Régent de nommer des membres du clan Orléans à des postes vacants dans l’Église ou dans l’administration françaises.

35 Dont Saint-Simon, mais aussi la vieille cour (les nostalgiques de Louis XIV, notamment le maréchal d’Huxelles à la tête du Conseil des affaires étrangères), et les parlements qui refusent à ce moment d’enregistrer ledit traité. Philippe d’Orléans couvre alors d’éloges politiques le duc Léopold, le plus sage, le plus expérimenté des souverains d’Europe…

36 En rappelant que la Régence constitue aussi un temps décisif dans la formation de la reine du siècle des Lumières, l’opinion publique.

37 Dans une dialectique par ailleurs très classique du monde occidental depuis le procès du Barbare par les Grecs civilisés.