Reconnaissance, plaisance et doléance : le prince de Monaco à la cour de France au milieu du XVIIe siècle
p. 41-61
Texte intégral
1Un protectorat devenu envahissant et le déclin des Habsbourg conduisent les Grimaldi de Monaco à quitter la domination espagnole pour se placer sous la protection du roi de France. L’application de l’accord signé à Péronne par Louis XIII le 14 septembre 16411 appelle, en dix ans, quatre séjours d’Honoré II de Monaco à la cour. Pour le premier, qui retient hors de Monaco son prince du 25 avril au 23 juin 1642, le roi est devant Perpignan. Le deuxième, à Paris, s’effectue de novembre 1642 à avril 1643. Le troisième a lieu d’octobre 1646 à mai 1647 et le quatrième de février à octobre 1651. Si les deux premiers répondent à une invitation formelle et à un désir réciproque de connaissance et de reconnaissance, les deux suivants sont motivés par des plaintes et doléances. Si tous les voyages accusent un motif clairement politique, leur enjeu est aussi culturel : se faire français, tout en restant souverain étranger. Mais le protégé attend surtout de son protecteur que les grâces obtenues, symboliques et matérielles, valent le voyage.
Un souverain périphérique en quête de reconnaissance
2L’expulsion de la garnison espagnole de Monaco, le 17 novembre 1641, ouvre la voie à une rencontre entre les deux souverains2. Le 22 février 1642, Louis XIII écrit à Honoré II, de Lyon, sur la route des armées, qu’il aura « grand contentement de vous voir icy et de vous confirmer de vive voix tout ce que ledit sieur de Courbons vous dira de ma part3 ». L’invitation est réitérée de Narbonne le 26 mars et une galère préparée4. Un peu moins d’un mois plus tard, le prince s’embarque.
3À Arles, il apprend que Louis XIII est souffrant. Après être resté plusieurs jours à Pézenas, il reçoit, le 15 mai, l’instruction de se rendre à Narbonne5 (fig. 1).
4À l’issue de ce premier voyage, qui s’accomplit dans des circonstances particulières, auprès d’un roi de guerre, Louis XIII écrit à Honoré II que « les témoignages que je vous […] ay donnez […] sont beaucoup au dessous de mon affection6 ». Une nouvelle invitation aurait d’ailleurs déjà été formulée par Louis XIII, qui aurait dit à Honoré II :
« Mon Cousin, venez-moy voir à Paris ce carnaval, où j’auray moyen de vous reconnoistre plus dignement, & où j’espère vous faire voir à loisir tout ce que mon cœur a d’affection pour vous, […] aussi bien l’embarras de la guerre & ces tumultueuses factions ne me le permettent pas maintenant7. »
5Pour son troisième voyage à la cour, en 1646, Honoré II signale à Mazarin, dès le 23 février, qu’il a fixé à début avril son départ de Monaco, car « il y a long temps que mon devoir m’obligeoit d’aller en personne avec mon fils, rendre au Roy, et à la Reyne des tesmoignages de l’obeissance, et de la fidelité que je leur ay jurées […] mais jusques icy j’en ay esté empeché par mes goutte et indispositions ordinaires8 ».
6Il sollicite une galère de Monaco à Marseille, « afin d’éviter le mauvais chemin par terre9 ». Les opérations militaires françaises qui visent, au printemps, les présides espagnols de Toscane, retardent le départ du prince, obligé de veiller sur la forteresse10. Une entrée solennelle étant sans doute envisagée, les préparatifs de l’arrivée du prince commencent dès juin à Paris11. Le siège d’Orbitello s’étant soldé, le 18 juillet, par un échec, l’invitation royale part de Fontainebleau le 3 août :
« Mon cousin, aïant seu le desir que vous aviez de venir a ma cour vers le mois de septembre apres que les grandes challeurs seront passées j’ay bien voullu vous escrire […] pour vous assurer que vous y serez le bien venu et que vous pourrez partir quand la saison vous le permettra croïant bien que vous mettrez sy bon ordre à Monaco qu’il n’y pourra arriver aucun inconvenient pendant votre absence12. »
7À la fin du mois, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères annonce au prince que deux galères seront à sa disposition13. Le départ pour Paris est finalement fixé à la mi-octobre14, après le passage à Monaco de la maréchale de Guébriant, qui revient de sa mission en Pologne pour le mariage de Marie-Louise de Gonzague, et se prétend cousine du prince15.
8Le motif du dernier voyage, en 1651, est clairement la doléance. Le maître d’hôtel ordinaire du roi, le sieur Dubuisson-Aubenay, note le 1er avril que « le prince de Monaco arrive ici en cour pour demander subsistance pour sa place contre les entreprises des Espagnols16 ». Les « perfidies » et les promesses non tenues, sans doute en partie en raison de la situation politique et financière du royaume, déterminent Honoré II, dès les premiers jours de l’année, à faire le voyage « mesme dans la rigueur de l’hyver et au péril de [s] a santé chancelante » : « je pourrois languir encore quelques mois, mais non soustenir un gran siege ; […] ma résolution estonnera les ennemis qui jugeront bien que je ne voyageray pas inutilement », écrit-il, préférant « aller perir plustot aux pieds de Leurs MMtés que de revenir sans satisfaction », d’autant qu’« attendre la Majorité [du roi] ce ne sera pas méliorer ma condition […] ; il faudrait dans ce temps là marcher avec esclat et en compagnie de mon fils17 ».
9La suite qui accompagne le souverain monégasque lors de ses voyages est à l’aune de ses États : une vingtaine de personnes au plus, quand la reine Christine de Suède en dispose d’une soixantaine au cours de son voyage en France en 165618. En 1651, pour « exciter la pieté plustost que l’envie », le prince de Monaco va même à Paris en litière et sans carrosse pour sa personne, « seul avec un train de pauvre gentilhomme pour faire mesme pompe de la misère » où on l’a jeté. Le train est alors de « 15 à 16 persones seulement19 », même si la relation du curé de Monaco mentionne « plus de vingt personnes20 ». Outre la récente noblesse monégasque créée par Honoré II pour récompenser ses compagnons d’armes lors de l’expulsion de la garnison espagnole21, quelques familiers accompagnent le prince lors de ses voyages à la cour : son propre fils Hercule, un fils de son cousin Grimaldi de Cagnes22, lui-même flanqué de parents et voisins provençaux23 ; un autre Grimaldi, le comte de Beuil ; le baron de Rians24, intendant des affaires du prince en France à partir de mars 164325 ; les secrétaires du prince26 ; un gentilhomme de San Remo, Carlo Fabiano. La belle-fille d’Honoré II fait figure de régente, en l’absence du souverain et de son fils27. Mais la tranquillité de la forteresse est surtout confiée au lieutenant du roi dans la place, Jean-Henri Grimaldi, avec qui Honoré II reste en liaison épistolaire régulière ; de même qu’avec le baron de Rians lorsque celui-ci ne l’accompagne pas28, et avec le curé de Monaco29.
10La durée du voyage vers la cour est fonction du mode de transport, de la fréquence et de la durée des étapes, des aléas climatiques et de l’usage ou non de l’incognito30. Au printemps 1642, des galères de France amènent le prince et sa suite jusqu’à Marseille, avant qu’ils ne poursuivent par la route vers le Roussillon. À l’automne de la même année, mais en direction de Paris, un brigantin et deux felouques font le trajet de Monaco à Antibes et sont précédés d’un « équipage somptueux31 ». Le retour se fait par galère depuis Marseille32. À l’automne 1646, deux galères de France sont prévues, mais du fait de son « impatience » de voir le roi et la régente, et en prévision de la mauvaise saison, Honoré II se met en marche sans les attendre. Après que d’autres vaisseaux, transportant « choses et gens de la cour », sont partis quatre jours auparavant, un brigantin et deux felouques partent de Monaco pour accoster, en raison du vent, dès Villefranche. La voiture du prince l’attend à Fréjus, « ne pouvant s’avancer davantage vers Monaco, le pays n’étant pas carrossable33 ».
11Le train monégasque prend, à l’automne 1642 comme à l’automne 1646, la route du Forez à partir de Lyon et gagne Roanne pour glisser sur la Loire jusqu’à Orléans (fig. 2). Le pasteur strasbourgeois Élie Brackenhoffer préfère cette même voie à la route de Bourgogne en 1644. À Roanne, le prince loge, comme un ancien ambassadeur du roi à Rome en 164434, à l’hôtellerie « très renommée “du Loup”35 ». Cinq gros bateaux portent bagages, chevaux, voitures et équipages ; le sixième a à son bord le marquis Hercule. Sur le septième se trouvent le prince, le comte de Beuil, le baron de Rians et les principaux officiers et gentilshommes36.
12Au retour, Honoré II prend la route du Bourbonnais puis du Forez, et navigue sur le Rhône de Lyon à Tarascon. La suite occupe quatre bateaux, dont un « tapissé, vitré et divisé en deux chambres37 » pour le prince, qui regagne Monaco par la mer, sur sa galère, à partir de Marseille.
13Le périple est parfois ralenti par les intempéries. En 1642, « assez travaillé de l’agitation du voyage, & de l’incommodité qu’il en a receu dans la plus cruelle saison de l’année », Honoré II arrive à Paris après vingt-quatre jours de voyage et un « long retardement38 ». Les ennuis de santé s’étaient additionnés aux contraintes naturelles : à L’Arbresle, il avait été pris d’une goutte « qui lui dura plus de huit jours39 ». À la même saison, en 1646, il lui faut trente-deux jours à l’aller, car le temps des réceptions dans les villes étapes s’ajoute aux contretemps dus à « mille incommodites », aux chemins « impraticables » et à la « pluie continuelle40 ». À Tarare, la voiture est renversée « sens dessus-dessous » et la litière où se trouvait le prince « alla de travers, mais sans accident, contre une paroi de rochers qui formait l’un des côtés de la route41 ». Au retour, au printemps suivant, le temps de parcours total est de vingt-quatre jours, mais il faut rester à Tarare « deux jours entiers », à cause d’une inondation qui cause « plusieurs milliers d’écus de dommages » aux habitants. L’hôtellerie est « cernée par les eaux des torrents » et le prince « eut le bonheur de se sauver par une porte de service ». Comme le chemin royal est impraticable, le prince doit se faire accompagner « de douze personnes connaissant bien le pays […] à travers les rochers et les précipices ; et par des sentiers escarpés42 ». Sur le Rhône, en mai 1647, « un vent contraire, accompagné de pluie, nous mit dans un danger plus grand que celui dont nous avions souffert sur la Loire43 en nous rendant à Paris plusieurs mois auparavant44 ».
14L’usage de l’incognito permet d’abréger la durée du voyage, de contourner les réceptions et d’éviter une étiquette hésitante en France pour un prince au statut ambigu, à la fois petit souverain étranger périphérique et nouveau grand du royaume. Honoré II aurait ainsi évité volontairement l’entrée solennelle dans Paris en 1646, alors que la maréchale de Guébriant « étoit venue hors Paris avec un grand cortège à la rencontre du Prince ; mais nous arrivâmes […] plus tôt qu’elle ne le pensoit, et par un autre chemin, ce que le Prince fit pour éviter le bruit et les manifestations à son arrivée45 ». Le narrateur monégasque rapporte qu’à son départ de la capitale, le 1er mai 1647, le prince monte en carrosse à l’aube « en hâte, pour sortir de la ville, afin d’échapper aux visites qui l’auraient retardé46 ». Cet évitement masque peut-être aussi, par une prétérition faite acte, l’absence de manifestations organisées et prévues. À Cosne, le 6 mai, ne voulant « point déranger […] dame d’un si haut rang », Honoré II veut d’abord s’effacer et éviter la rencontre avec la comtesse d’Harcourt, qui avait retenu tous les appartements et « qu’on y attendait […] avec une nombreuse suite, retournant de Barcelone, où elle était vice-reine47 ». Les logements sont finalement partagés et la comtesse fait montre de moult égards. La galanterie d’Honoré II semble signer une déférence naturelle à l’égard de la première noblesse du royaume et un sentiment d’infériorité de son propre rang. Le mariage, en 1688, de la petite-fille du comte et de la comtesse d’Harcourt avec l’arrière-petit-fils d’Honoré II marquera justement, avec l’octroi du rang de prince étranger à la cour de France, l’apogée de la reconnaissance des Grimaldi48. Grâce à l’incognito, le marquis Hercule ne met que sept jours pour regagner Monaco au printemps 1647, mais il voyage alors en poste, « sous le nom d’un courrier expédié de Paris », avec seulement un gentilhomme et un valet de chambre49. Lors de son retour, Honoré II descend à Lyon à l’hôtellerie, « bien que le cardinal [de Richelieu, frère du défunt ministre] eût l’intention de le loger dans sa résidence. Il demeura incognito, pour échapper aux cérémonies ». Plus loin, il choisit de s’arrêter à Villeneuve et d’éviter Avignon, afin de « presser le voyage50 ».
15La pérégrination de la petite suite princière dans les villes de province sert de propédeutique à la cour. Elle est aussi l’occasion d’un pèlerinage dans les fiefs – réels et mythiques – des Grimaldi. Le 29 octobre 1646, Honoré II est reçu au parlement de Provence à Aix. Il loge chez l’archevêque Mazarin, frère du cardinal. La rencontre avec le comte d’Alais, gouverneur de Provence, se fait au milieu d’« embrassades » et de « démonstrations d’affection », tellement est grande « l’allégresse de ces deux princes qui vivent en si parfaite intelligence et qui désiroient se revoir réciproquement51 ». À Lambesc, Honoré II et son fils reçoivent les consuls et officiers de leurs fiefs des Baux et de Saint-Rémy. À Mornas, le narrateur monégasque rappelle que, « du temps de Mgr Dominique Grimaldi52, vice-légat d’Avignon », la citadelle « fit bonne résistance contre les assauts des protestants53 ». À Montélimar, capitale de son duché de Valentinois, où Honoré II fait une entrée solennelle, l’inscription latine d’un arc de triomphe éphémère loue, de même, son « oncle paternel qui repoussa des autels d’Avignon/Des mains ayant juré de faire disparaître les temples et les dieux54 ». Le 18 novembre est évoqué le lieu de « Saint-Thibaud, situé au pied de la ville et comté de Sancerre […]. Il a été autrefois à la maison de Grimaldi55 ». À Saint-Rémy, au retour de Paris, Honoré II loge « dans la maison de messieurs les marquis de Boves et de [Peveragno] en Piémont, et du chevalier, leur frère ; descendants des comtes de Beuil, de la maison Grimaldi56 ».
Devenir français et rester étranger
16À la cour, Honoré II entre dans l’intimité de la famille royale. En tout cas, les récits monégasques, sans doute plus optatifs que fidèles, le laissent entendre. Devant Perpignan, en mai 1642, Louis XIII fait montre de beaucoup d’« amitié » : « il le baisa, il l’embrassa plus d’une fois » et témoigne « à ce nouveau Allié, que les fatigues de la guerre n’avoient rien d’incompatible avec la grandeur de sa Cour57 ». D’après une autre relation, le roi aurait même eu le chapeau toujours à la main lors de la rencontre, et lorsque le prince se serait jeté à ses pieds, Louis XIII l’aurait relevé aussitôt. L’après-midi, ils auraient écouté ensemble des canzonettes à la mode italienne et quelques autres en français composées par le roi58. De même, « toute la Cour aussi pompeuse qu’elle ait jamais esté, fut tesmoin des caresses59 » que le roi et la reine lui auraient fait à Saint-Germain à la fin de l’année 1642, au début du voyage. Mais il faut attendre la fin du séjour et la réception du 29 mars 1643 pour que la Gazette signale qu’Honoré II « rendit ici en personne au roy la foy & hommage deu à Sa Majesté pour la duché et pairie de Valentinois, dont il a pleu à Sa Majesté l’honorer60 ». La banalité de la réception d’un grand féal du roi semble presque toujours l’emporter sur les honneurs dus à un souverain étranger. La Gazette avait seulement signalé, auparavant, l’entrée du prince au parlement, le 19 février61.
17La relation monégasque du séjour de 1646-1647 rapporte complaisamment que, le troisième jour, la reine « le reçut dans son cabinet intime où se trouva le duc d’Anjou, et avec toutes sortes d’honneurs, d’estime et de faveurs », et que l’entretien fut long62. Cependant, la veille, le prince était simplement allé « incognito, par une porte de derrière », chez Mazarin, qui l’avait alors assuré « du désir que la Reine avait de le voir63 ». À défaut d’accueil plus protocolaire et spectaculaire, Honoré II peut quand même compter sur une familiarité qui, selon le récit princier, semble s’être naturellement installée dans les échanges entre le prince et la régente, si bien que politique et choses de la vie s’entremêlent facilement : « On parla […] des choses d’Italie et puis on commença à s’occuper des enfants64. » Le 13 avril 1647, Honoré II rencontre à l’improviste le roi qui « vint au Prince, avec lequel [il] s’entretint familièrement plus de deux heures, […] et prit plaisir à voir Son Excellence tuer au vol avec le fusil quelques gros oiseaux65 ». Le 29 avril, lors de la représentation d’Orfeo, tragicomédie de Francesco Buti et Luigi Ressi, « Son Excellence [Honoré II] qui se trouvait voisin des sièges du Roi et de la Reine, fut très souvent entretenue par Leurs Majestés66 ». Le 13 mai 1651, la Gazette rapporte que le prince « ayant été salué leurs majestés, fut très bien reçu d’elles67 ». Le comte de Souvigny, lieutenant du roi à Monaco de 1660 à 1668, se souvient aussi qu’Honoré II fut « fort bien reçu à la Cour68 ».
18Mais le prince de Monaco est loin de bénéficier du traitement à la cour que Le cérémonial françois décrit pour les princes et ambassadeurs étrangers69. Il doit se loger lui-même. Il loue à Mme de Créquy, en 1642-164370 et 1646-1647, l’hôtel de Saint-Luc, rue Vieille-du-Temple71, pour 450 livres par mois. S’ajoutent le louage des meubles – 800 livres par mois – mais aussi l’achat d’accessoires ou encore de vaisselle et d’ustensiles de cuisine ; sans compter les dépenses de bouche et de santé. En 1651, 55 livres sont versées, chaque mois, « à l’hôtesse où est logé le train de S. A. », ce qui laisse entendre que le prince est hébergé indépendamment72. Malgré l’assertion officielle d’« un continuel concours de visiteurs et de foule » chez le souverain monégasque, son espace relationnel reste assez limité. Certes, durant deux mois, en 1647, « une recheute de goute73 » a « sérieusement atteint » le prince et l’a privé « des délices de la ville et de la cour74 ». Mais Honoré II reste sans doute assez peu connu des courtisans, malgré sa réception au parlement en 1643, à laquelle assistaient, outre le duc d’Enghien, qui « estoit son parrin, au lieu de Monsieur le Prince », alors incommodé, les ducs de Ventadour, de Sully, de Lesdiguières et de Retz. Un « superbe festin » avait suivi75. Cousine plus in pectore que réelle, l’active maréchale de Guébriant joue heureusement, pour Honoré II, un rôle de mentor et de relais. Elle « parle sans cesse des délices et des somptueux appartements du palais de Monaco, de la beauté de la place, de la gentillesse et de la courtoisie » de la belle-fille du souverain monégasque. Au printemps 1647, elle organise un banquet « très délicat », où « furent invités, avec le Prince, plusieurs autres chevaliers de l’Ordre, des secrétaires d’État, des dames, des grands seigneurs76 ». À l’empressement constant de la maréchale, répond une complaisance entendue, désireuse de profiter de cette obligeante « cousine77 ».
19Si, dans un premier temps, Honoré II sort difficilement de l’entre-soi italien à Paris, c’est peut-être aussi qu’il souffre de l’anti-italianisme diffus qui règne dans les années 1640-164978. Il est reçu par le frère de Mazarin, archevêque d’Aix, chez qui il rencontre la princesse Barberini, dont l’époux vient lui-même, le lendemain, chez le prince, qui rendit « la visite à tous les deux dans leur maison, où Son Excellence fut reçue avec les meilleurs honneurs qui soient en usage à la cour de France79 ». Du coup, la princesse fait halte à Monaco, le 2 juin de l’année suivante80. « Beaucoup de grands seigneurs de France » auraient assisté au banquet d’adieu donné par Mazarin en l’honneur du prince, le 29 avril 1647, mais seul « Ugo Fieschi, arrivé depuis quelques jours de Gênes », est cité nommément dans la narration du secrétaire du prince81. Pour ce qui est des grands du royaume, Honoré II visite Gaston d’Orléans et son épouse au début de son séjour. Également à la fin de l’année 1646, donc peu de temps avant sa mort, Henri II de Condé vient voir le prince dans son hôtel82. Avant de quitter la cour au printemps 1647, Honoré II a un regain de sociabilité. Il est invité à Grosbois, maison de campagne du vieux duc Charles d’Angoulême83. Le 28 avril, il est reçu par le comte de Chavigny, ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères, « son particulier ami84 ». Le 30, c’est au tour du comte de Brienne, alors titulaire du portefeuille, « son ami particulier », de le recevoir. « Il fut traité de la façon la plus splendide et délicate, en compagnie de nombreuses dames et grands seigneurs de la cour85. »
20Pour compenser ce déficit de notoriété des Grimaldi, hommes nouveaux par le rang et la naturalité, les séjours à Paris sont l’occasion de publier la gloire de la maison de Monaco et son alliance nouvelle avec le roi. Entre les deux voyages de 1642, Antoine Godeau, évêque de Vence, loue les premières grâces reçues du roi, qui sont, certes, « choses communes à vôtre Excellence avec d’autres ; mais dans son esprit vous tenez un rang particulier ». Du coup, « vôtre second voïage vous fera mieux connoître », lui écrit-il86. La mort du cardinal-ministre, le 4 décembre 1642, donne au secrétaire d’expression française du prince l’occasion de faire paraître un premier ouvrage, Le temple de mémoire du grand Richelieu, dédié à Honoré II. Il rappelle « le favorable accueil que le Roy vous fit à Perpignan & les faveurs signalées que vous en avez receuës icy », qui prouvent la « grande estime qu’universellement toute la Cour fait de vous87 ». L’historiographe de Gaston d’Orléans, Grenaille de Chatounières, dédie, lui aussi, son éloge funèbre de Richelieu à Honoré II, non « pas pour troubler la joye de vôtre glorieuse entrée dans cet Estat », mais pour « rafraichir la memoire d’un Heros qui vous a si hautement estimé ». Le cordon bleu et la pairie ne sont pas tant, pour lui, « une recompense de vôtre affection pour ce Royaume, qu’un commencement des dignitez qu’on vous y doit conferer88 ». Quand le prince de Monaco est reçu au parlement comme pair, l’avocat Martinet fait remarquer que le souverain monégasque est « issu d’un Grimaldi, frère de Charles Martel89 », et donc « qu’il ne vivoit point en France comme un Prince estranger90 ». De son côté, l’avocat général Omer Talon essaie de raccrocher les princes de Monaco à une situation déjà connue en France :
« Ce n’est pas d’aujourd’hui que les princes étrangers ont cherché de la gloire dans nos armées. […] Les maisons illustres du royaume sont composées de branches souveraines de Lorraine, de Savoie et de Mantoue, qui n’ont d’autre rang en ce lieu que celui que la qualité de duc et pair leur donne. […] Nous ajoutons aujourd’hui à ces grandes familles un prince de la maison de Grimaldi, […] un prince qui a le cœur gaulois91. »
21À la même époque, Georges de Scudéry publie une tragicomédie, Ibrahim ou L’illustre Bassa, qu’il dédie à Honoré II pour scander que « les rares qualitez de vostre esprit, ont eu une approbation universelle, dans la plus pollie de toutes les Cours92 ». À l’issue du séjour, fin mars, le secrétaire du prince, Charles de Venasque-Ferriol, publie La liberté glorieuse de Monaco, une défense et illustration de l’alliance avec la France93. Louis XIII meurt le 14 mai. Les larmes versées à Monaco le 22 juin94 donnent lieu à une nouvelle publication parisienne95. Trois ans plus tard, la découverte « dans les chartes du Roy » de vestiges de la familiarité ancienne des Grimaldi avec la cour de France réjouit Honoré II, satisfait d’avoir « trouvé icy de fort belles choses pour nostre genealogie, qui s’en va souz la presse96 ». La Genealogica et historica Grimaldæ gentis arbor paraît au printemps 164797, toujours sous la signature de Venasque. Mythique et fabuleuse, elle assure à tous les Grimaldi une origine commune, française et royale, qui n’illusionne guère, mais que la nécessité politique justifie98.
22La francisation passe aussi par la consommation, matérielle et culturelle. Honoré II se fait peindre et passe des commandes d’embellissement pour le palais. En 1643, il assure qu’il permettra volontiers au « Pittore Champagna » [Champaigne] ou à tout autre de faire son portrait99. Le peintre reçoit, en 1651, 277 livres et 10 sols, pour les « portraits qu’il a faits à S. A. ». Le souverain monégasque commande, en 1647, à Raphaël de La Planche, directeur des manufactures royales de tapisseries de Flandres, une série de huit tentures représentant l’Histoire de la nymphe solitaire. Quatre ans plus tard sont achetées sept tentures de l’Histoire de Daphné et six verdures (pl. 1). Le prince fait également des emplettes de mode, pour lui-même, sa belle-fille et ses petites-filles. Il laisse alors plus de 8 000 livres au marchand de soie Gaultier. Autre signe d’acclimatation culturelle, Honoré II ramène des nouveautés de la librairie française, dont nombre d’ouvrages jésuites de controverse contre le jansénisme100. Au retour de son voyage de 1642-1643, il avait offert à son clergé un « lot de bréviaires, diurnaux, offices de la Madone, deux missels pour les grandes fêtes, un jeu de canons d’autels […] le tout conforme à l’usage de l’Église de Paris101 ».
Des grâces qui valent le voyage ?
23Des faveurs insignes semblent accordées au nouveau « cousin du roi » et à ses gens, même si elles sont principalement relatées dans les mises en texte monégasques. Avec l’impatience de voir les promesses tenues, le regard porté sur la cour évolue, mais le prince reste d’une fidélité absolue au roi pendant la Fronde.
24Lors de son voyage à Perpignan en 1642, Honoré II ne cesse de se féliciter des honneurs innombrables et extraordinaires qui lui sont rendus par le roi, le cardinal, les ministres et les villes qu’il traverse102. La narration de Venasque rapporte que « toutes les Villes et les Bourgs où il passoit luy rendirent en venant audevant de luy en corps avec des acclamation de joye », que les canons « furent tirez sans nombre », et ne tarit pas sur la « pompe en laquelle la Cour parut pour le recevoir103 ». L’écho de ce chemin de gloire gagne Paris à travers le Mercure françois :
« Il s’estoit promis un favorable accueil d’un Monarque si recognoissant, il le receut mesme au de-là de son esperance : le marquis de Mortemar premier Gentilhomme de la Chambre du Roy s’avança jusques à Cleyrac avec les carosses de sa Majesté qu’il luy presenta : […] les bras du Roy furent ouverts pour le caresser avec des grandes marques d’amour, sa table fut celle de sa Majesté lorsqu’il arriva, les Officiers du Roy le servirent pendant son sejour104. »
25Lors de la remise du collier du Saint-Esprit, le 22 mai, le roi aurait tiré « le petit Ordre de sa poche, qu’elle mesme [Sa Majesté] avoit poreté, en luy disant : “Mon Cousin, je ne vous traitte point à l’ordinaire, & ne recherche point toutes les ceremonies requises à faire un Chevalier, aussi vous n’estes pas consideré dans le commun105.” » Le curé de Monaco s’enorgueillit de la désignation d’une « place particulière pour S. E., et coussin à la messe, faveur insigne que jamais n’avait faite S. M. à aucun autre – on le vit bien quand S. M. dit au maître de cérémonie qu’il donnât un coussin au Prince de Monaco, et que celui-ci répondit : “ce n’est pas l’usage”, et S. M. de nouveau l’ordonna106 ». À l’opposé, la Gazette insiste sur le caractère commun de la cérémonie : « le prince de Monaco se mit à genoux devant S. M., fit le serment qu’ont accoutumé de faire les commandeurs. Ensuite S. M. lui mit l’ordre au col, avec la cérémonie accoutumée ; puis il baisa la main de S. M. » et, « suivant la coutume, prit son rang à la gauche du dernier chevalier107 ». La relation officielle dans les registres de l’ordre ne mentionne que la dérogation de la naturalité par rapport aux statuts108. Seules les relations monégasques ou périmonégasques mentionnent les cadeaux dont aurait bénéficié Honoré II, notamment une « boete de diamans, où estoit son portraict, & une autre pour son fils de valeur inestimable109 ». Le Mercure françois voit ce voyage auprès d’un roi de guerre comme une simple propédeutique à la vraie cour, à ses honneurs et à ses plaisirs :
« Le Prince de Mourgues avoit trouvé les premieres satisfactions de son affection pour la France dans les carresses qu’il receut du Roy devant Perpignan, les secondes furent plus avantageuses, & firent briller avec plus d’esclat le ressentiment de ce grand Monarque110. »
26Le « plus haut poinct de sa gloire, et de son bon-heur111 » est ainsi vécu lors de la réception du prince au parlement comme duc et pair, même si cette apothéose reste celle d’un grand de France.
27Cette tension entre les récits d’apparat, optatifs et épidictiques, et une réalité moins flatteuse, se retrouve pour les voyages suivants. Le parcours triomphal qu’est censé emprunter Honoré II jusqu’à la cour n’est qu’un modeste chemin s’il est comparé aux marques dont bénéficient les « vrais » souverains étrangers. En 1646, la réception à Montélimar, où le prince est chez lui, est en deçà de celle qui est offerte à la reine Christine de Suède dix ans plus tard. Outre les habituelles décharges d’artillerie et les harangues des édiles, Sa Majesté suédoise bénéficie d’« un dais de satin blanc enrichi de dentelles d’or112 ». La nouvelle de l’arrivée à Paris du frère de Mazarin éclipse, dans la Gazette, celle de la venue du prince de Monaco113. De même, le périodique ne signale pas la présence du prince à la représentation d’Orfeo, le 30 avril 1647, en l’honneur de l’ambassadeur du Danemark et de sa royale épouse, alors même que la relation monégasque insiste sur la place de choix qui aurait été réservée à Honoré II114.
28À force de négociations auprès des ministres, le bilan des voyages n’est cependant pas maigre. Dès décembre 1641, Honoré II avait pris soin de faire connaître ses demandes aux Affaires étrangères : notamment des terres en Provence ; l’ordre du Saint-Esprit ; des lettres de naturalité ; des récompenses pour ses compagnons d’armes Rey, Brigati et Monléon ; 3 000 ou 4 000 écus « pour distribuer à ses sujets, qui l’ont assisté en cette affaire115 ». Devant Perpignan en mai 1642, le roi signe des lettres patentes érigeant le duché de Valentinois en faveur d’Honoré II et le marquisat des Baux en faveur de son fils Hercule116, donnant la naturalité aux deux princes117, ainsi qu’à Jérôme Rey, qui se voit conférer la noblesse française, après avoir été anobli par le prince118. Une pension de 9 000 livres est établie en faveur du fils d’Honoré II, et 20 000 sont remises « pour distribuer à ceux qui l’ont servi dans la négociation et exécution119 ». Les autres promesses et demandes attendent le voyage à Paris à l’automne. Le prince assure, le 1er janvier 1643, que les négociations progressent alors rapidement120. D’ailleurs, le roi signe à Saint-Germain-en-Laye, au cours du premier mois de l’année, des lettres patentes pour l’enregistrement du traité de 1641 et qui portent règlement pour la jouissance des terres érigées en pairie121. En février, de nouvelles lettres accordent au prince la seigneurie de Saint-Rémy, en Provence122 ; le comté de Carladès, en Auvergne123 ; la naturalité et la noblesse à Jean-Jérôme de Monléon et au prince Jean Brigati, qu’Honoré II a lui-même anoblis les 16 septembre et 30 octobre précédents124. Venasque parle du « zele avec lequel tous les Ministres se sont employez pour l’obliger en la conclusion de ses intérests particuliers : Et bien que sa Majesté les ait elle mesme fait solliciter […], ils s’y sont neantmoins portez autant par le devoir que par leur propre inclination125 ». Des impatiences percent à la fin du mois de février 1643, si bien que le comte d’Alais s’emploie à rassurer Honoré II : « les intentions du Roy et de ses ministres sont telles que vous pouvez les souhaiter […]. La maladie du roi et le siège de Tortonne sont les seules et véritables causes du retardement de vos depesches126 ». Le voyage de l’hiver 1646-1647 a principalement pour objet les frais de la garnison française et la défense de la forteresse de Monaco. Optimiste au début de l’année 1647, Honoré II avise son cousin le 11 janvier que le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le contrôleur général des finances et les autres ministres qu’il a visités ont promis de faire rapidement assigner les fonds. Le 8 mars, il annonce fièrement que le roi lui a donné douze canons et quantité de munitions pour la défense de la place : « Il ne s’est pas perdu un moment de temps en cette affaires ou l’on n’a pû faire davantage, et ma presence n’y a pas peu servi. » Le 15, il précise que les fonds de la garnison vont être versés et qu’il les apportera lui-même quand il rentrera à Monaco127. Le 22 avril, un traité pour l’établissement d’une escadre de quatre galères dans le port de Monaco est passé128. En août, des lettres patentes accordent deux seigneuries supplémentaires dans le Valentinois, Chabeuil et Sainte-Euphémie, ainsi que des taxes, revenus et péages nouveaux129. Sur le plan honorifique, le roi fait chevaliers de Saint-Michel quatre familiers d’Honoré II, qui leur remet lui-même les colliers dans la chapelle de son hôtel en mars 1647130 : Jérôme Rey, Jean Le Laboureur, historiographe de la maréchale de Guébriant131, Charles de Venasque-Ferriol et Carlo Fabiano132. Ces nominations récompensent les services rendus au roi de France, mais aussi au prince de Monaco : le premier a été le fer de lance de l’expulsion des Espagnols de Monaco en 1641, et les trois suivants ont tous collaboré à la forgerie de la généalogie « française » qui est alors sur le point de paraître. Venasque comme auteur, Le Laboureur et Fabiano comme poètes préfaciers. Honoré II obtient aussi, pour son archiatre Bernardino Tiberti, une charge de médecin ordinaire du roi133. Le curé de Monaco, Domenico Pacchiero, conclut que ce voyage « a été de grand goût et réputation pour la grandeur de S. É. Notre Seigneur, à cause des grands honneurs reçus de S. M. et de toute la cour, et des cadeaux de quelque importance, conformes à ses intérêts et pour sa plus grande satisfaction134 ».
29Du fait notamment de la Fronde, les promesses ne seront pas toutes tenues. La désillusion exprimée au début de l’année 1651 à l’égard de la cour, des ministres, et de « l’em[inen]ce qui nous fait du mal », ne suscite pas, pour autant, un désamour. Au contraire, au moment de la retraite des princes à Saint-Maur, Honoré II fait profession de fidélité absolue135. Le 16 juillet, le « Cahier de demandes que le Prince de Monaco faict pour l’exécution de son traité » est approuvé par le roi136. Le 25, Honoré II s’avoue donc confiant : « Après avoir asseuré le courant, et l’advenir […], nous travaillons à cette heure puissamment à faire le mesme du passé […] et pour cela j’iray voir la Reyne pour luy en parler aussitost que les affaires pre[sen] tes luy auront redonné le repos. » La nouvelle de la mort accidentelle du fils du prince, le 3 août, incite sans doute chaque partie à hâter la conclusion des affaires princières durant la deuxième moitié du mois. Honoré II quitte Paris après la proclamation de la majorité du roi le 7 septembre137. Plus qu’aux négociations sur la garnison, l’historiographe de la maison de Savoie rattache d’ailleurs bien ce voyage à cette cérémonie, qui « avait appelé comme spectateurs les principaux seigneurs du royaume138 ». Quelques nouveaux colliers de Saint-Michel pour des familiers ont sans doute été alors promis. Ils sont remis à Monaco, quelques mois plus tard : au camérier du prince, Honorato Garibaldo, le 20 mai 1652 ; à Hyacinthe Bressan, son autre secrétaire, le 8 septembre 1652 ; au peintre génois Orazio Ferrari en mai 1653139.
30En dépit de sporadiques impatiences140, le regard porté sur la cour et Paris reste, surtout lors des premiers voyages, émerveillé. Déjà, lors de sa première rencontre avec le roi devant Perpignan, le prince jurait « qu’il n’a rien veu de plus auguste, qu’il fut ébloüi de tant d’éclat141 ». À Paris, les spectacles de la cour frappent particulièrement Honoré II. À la reine, qui lui demandait, le 30 avril 1647, « si en Italie il avait vu quelque chose de semblable », le prince confie « n’avoir jamais vu aucune représentation qui pût être comparée » à celle d’Orfeo, vue la veille au Palais-Royal. Les machines « furent superbes […]. Mais, ce qui fut surtout admiré, ce furent les ballets […] qui étaient réglés avec une telle perfection qu’il ne se pouvait voir rien d’exécuté avec plus de goût ». Les femmes de la cour apparaissent « d’un commerce charmant ; elles s’habillent à la royale, et, quoique le sexe soit par lui-même et partout éloquent, à la cour de France, plus qu’ailleurs, elles parlent avec une élégance et une très grande facilité ». Honoré II se plaît à « voir ce qui se peut s’admirer de beau, de curieux, de superbe dans Paris et dans les environs ». Le palais de Mazarin paraît ainsi « superbe par son architecture et par ses galeries, mais plus encore par les meubles, la bibliothèque, les tapisseries, les statues, les peintures, l’argenterie et autres raretés ». L’appartement des bains de l’hôtel Bouthillier de Chavigny ou le double escalier du château de Fontainebleau contribuent peut-être à donner des idées à Honoré II, puis à son successeur, pour l’aménagement du palais de Monaco142. Les spectacles vus à Paris le déterminent aussi certainement à essayer de faire de sa demeure le siège d’une petite cour, avec ses pratiques de divertissement143.
31Les voyages à la cour du prince de Monaco souffrent, en définitive, d’inaboutissement par rapport au rang ambitionné. Les réceptions restent assez officieuses. L’écho est limité. Les difficultés financières freinent les promesses matérielles du protecteur, d’autant que l’intérêt stratégique de Monaco décroît au fil des victoires françaises sur l’Espagne. Le voyage de reconnaissance et de plaisance devient alors voyage de doléances. Les séjours en « France italienne » travaillent à la francisation du Transalpin de naissance, à son affirmation et à sa notoriété. Mais Honoré II, homme nouveau dans la société européenne des princes, semble avoir parfois lui-même des difficultés à assumer et tenir son rang, singulier et ambigu, entre noblesse première française, de fraîche date malgré les efforts d’enracinement mythique, et petite souveraineté périphérique.
32Même si Saint-Simon voit encore le petit-fils du prince Honoré II comme un « Italien glorieux144 », le rang de prince étranger est reconnu en 1688, au moment où les Grimaldi sont devenus des princes de culture française. Leur situation reste cependant incompréhensible aux yeux d’Ézéchiel Spanheim : quoiqu’ils jouissent « du rang et des prérogatives […] attachés aux princes à la cour de France, c’est pourtant avec quelque différence d’avec les princes étrangers, qu’on appelle, ou issus de maisons souveraines, de Savoie et de Lorraine145 ». Les voyages n’ont donc pas réussi à aplanir la distinction avec ceux qui sont alors spontanément reconnus comme souverains.

Figure 1. – Portrait gravé du prince Honoré II, 1643.

Figure 2. – Les étapes du voyage du prince Honoré II à la cour de France en 1646-1647.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Passet Cl. et Passet I. 1997 ; Passet 1998.
2 Passet 1984 ; Biancheri 2004.
3 Archives du palais de Monaco (désormais APM) A 390, Louis XIII à Honoré II, Lyon, 22 février 1642. Jean-Henri Grimaldi de Cagnes (1604-1651), seigneur de Courbons et lointain cousin d’Honoré II, a servi d’intermédiaire pour les négociations : Mercure françois, t. XIV, 1647, p. 148. Lieutenant du roi dans la place de Monaco de 1641 à 1656, il est créé baron de Cagnes et marquis de Courbons en mars 1646.
4 APM A 390, Louis XIII à Honoré II, Narbonne, 26 mars 1642.
5 Archives du ministère des Affaires étrangères (désormais AMAE) C. P. Monaco, I, fos 82-89, Honoré II au comte de Chavigny, Monaco, 25 avril 1642 ; Arles, 6 mai 1642 ; Pézenas, 14 mai 1642 ; Béziers, 16 mai 1642.
6 APM A 390, Louis XIII à Honoré II, Perpignan, 8 juin 1642.
7 Venasque-Ferriol 1643b, p. 88-89.
8 AMAE C. P. Monaco, I, f° 149, Honoré II à Mazarin, Monaco, 20 novembre 1644. Le prince signalait que la rigueur de la saison et sa santé ne lui permettaient pas de se rendre à la cour, mais qu’il irait au printemps.
9 AMAE C. P. Monaco, I, f° 168, Honoré II à Mazarin, Monaco, 23 février 1646.
10 APM A 377, relation du voyage de 1646-1647 rédigée successivement par les secrétaires du prince, Charles de Venasque-Ferriol et Hyacinthe Bressan ; Saige 1906, p. 61. Une édition électronique de la relation de ce voyage est disponible sur le Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles : <http://crcv.revues.org.12393>.
11 Adrien Genée, scellier et carrossier ordinaire de la reine, est sollicité pour fournir, le 15 septembre, le même carrosse que celui de la duchesse d’Orléans. APM H 1 (3 500 livres). Saige 1906, p. 131-136.
12 APM A 392.
13 APM B* 1, Brienne à Honoré II, Fontainebleau, 26 août 1646.
14 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Monaco, 27 septembre 1646.
15 Renée du Bec-Crespin (1614-1659), épouse de Jean-Baptiste de Budes, comte de Guébriant. Crispine, fille du duc Rollon de Normandie, aurait épousé un Grimaldi, souche à la fois de la dynastie monégasque et de la famille du Bec-Crespin. APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Monaco, 4 et 5 octobre 1646. Le Laboureur 1647, t. III, p. 342-358 ; Bély 1999, p. 251-258 ; Nolde 2008, p. 61 ; Solnon 1987, p. 234.
16 Dubuisson-Aubenay 1883-1885, t. II, p. 43.
17 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Monaco, 3 janvier 1651.
18 Wrangel 1930, p. 34-35.
19 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Monaco, 3 janvier 1651. APM H 2.
20 Passet Cl. et Passet I. 1996, p. 116.
21 Jérôme Rey (1602-1684), Jean-Jérôme de Monléon (1593-1661) et Jean Brigati.
22 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Monaco, 25 septembre 1646 (Scipion). Le 2 octobre, il regrette de ne pouvoir prendre avec lui un autre compagnon de route, parce qu’il a déjà réglé « [s] on train, et pris logement à Paris pour les seules personnes qui le composent ».
23 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 29 janvier 1643 et 1er février 1647 (le chevalier du Bar, beau-frère de J.-H. Grimaldi). AMAE C. P. Monaco, I, f° 69, Honoré II à Mazarin, Monaco, 23 février 1646 (« Parmi ceux qui me firent la faveur de m’accompagner […], il s’y trouve Monsr de Tourenc, qui estoit lieutenant colonnel du Regiment d’Auvergne […] et Monsr le Chevalier de Villeneuve son neveu, ce premier mourut à Paris dans ma maison. ») Jacques de Grasse, seigneur de Thorenc, est inhumé à la paroisse Saint-Gervais, le 9 février 1643.
24 Claude de Fabri, baron de Rians (1607-1666), conseiller au parlement d’Aix de 1632 à 1651, créé marquis en 1657.
25 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 5 mars 1643.
26 Charles de Venasque-Ferriol et Hyacinthe Bressan (1624-1701). Venasque-Ferriol 1643b, p. 93-94.
27 Elle ordonne au curé les prières publiques : Passet Cl. et Passet I. 1994, p. 175. APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 15 mars 1647 : « la marquise a tres judicieusement donné les ordres qu’il faut ».
28 Carpentras, bibliothèque Inguimbertine, ms. 1880, fos 1, 7, 14, 16, 22, 28, 42-44, 46-186, 522-600, 605-626 et 633-644 ; mss 531 et 330-381.
29 APM C 45. Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 157.
30 Sur les conditions matérielles et le coût des voyages, voir Mączak 2009, p. 3-166.
31 Venasque-Ferriol 1643b, p. 93.
32 Passet Cl. et Passet I. 1994, p. 176.
33 Saige 1906, p. 65.
34 Brackenhoffer 1925, p. 140.
35 Saige 1906, p. 111.
36 Ibid., p. 81-82.
37 Ibid., p. 114.
38 Venasque-Ferriol 1643b, p. 94.
39 Saige 1906, p. 81.
40 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 30 novembre 1646.
41 Saige 1906, p. 81.
42 Ibid., p. 111-112.
43 Sur les conditions de navigation, Roche 2003, p. 223.
44 Saige 1906, p. 115.
45 Ibid., p. 92.
46 Ibid., p. 105.
47 Saige 1906, p. 108.
48 Antonetti 2000, p. 52-54.
49 Saige 1906, p. 95. 1 010 livres sont payées, le 8 avril, au marquis Hercule « pour son voyage », APM H 1.
50 Ibid., p. 113 et 116.
51 Ibid., p. 69-70. Louis de Valois, comte d’Alais, représente le jeune roi comme parrain au baptême du petit-fils d’Honoré II le 13 octobre 1643, Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 96-103.
52 Dominique Grimaldi, recteur du Venaissin à partir de 1577, évêque de Cavaillon en 1583, vice-légat, archevêque d’Avignon de 1585 à sa mort en 1592. Il est le frère d’Isabelle Grimaldi, qui épouse en 1545 Honoré Ier de Monaco, grand-père d’Honoré II.
53 Saige 1906, p. 72.
54 « Testis ab Avenicis patruus, qui repulit aris/Tollere juratas fana, Deosque manus », ibid., p. 75. Traduction du latin par Yves Giraudon, professeur agrégé de lettres classiques au lycée Albert Ier de Monaco, que je remercie amicalement.
55 Saige 1906, p. 83-84.
56 Ibid., p. 120.
57 Venasque-Ferriol 1643b, p. 82-83.
58 APM A 377 ; Saige 1906, p. 26.
59 Venasque-Ferriol 1643b, p. 95.
60 Gazette, 4 avril 1643, no 42, p. 280.
61 Gazette, 21 février 1643, no 23, p. 152 ; Labatut 1972.
62 Saige 1906, p. 89.
63 Ibid., p. 88.
64 Saige 1906, p. 89.
65 Saige 1906, p. 105.
66 Ibid., p. 102.
67 Gazette, 13 mai 1651, no 61, p. 504.
68 Souvigny 1909, p. 430.
69 Godefroy 1649, t. II, p. 771-817.
70 Saige 1906, p. 88.
71 Hillairet 1963, t. II, p. 642.
72 APM H 1 et 2.
73 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 1er, 8 et 29 mars : la goutte se joint « aux douleurs de pierre » qui le travaillent « de temps en temps ». En 1651, 400 livres sont laissées à l’apothicaire entre le 27 mars et le 4 septembre, APM H 2.
74 Saige 1906, p. 93.
75 Venasque-Ferriol 1643 b, p. 98-99 et 109-110.
76 Saige 1906, p. 92, 96.
77 APM C 39, la maréchale de Guébriant à Honoré II, Paris, 20 novembre 1648 ; Honoré II à Pierre d’Hozier, Monaco, 22 mars 1659.
78 Dubost 1997 ; Roche 2003, p. 419.
79 Saige 1906, p. 91.
80 Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 160.
81 Saige 1906, p. 97-98.
82 Ibid., p. 91, 92.
83 Ibid., p. 95.
84 Ibid., p. 96.
85 Ibid., p. 103.
86 Godeau 1713, p. 357; Pintard 1979.
87 Venasque-Ferriol 1643a.
88 Grenaille 1643 ; Avezou 2001, p. 184.
89 Gazette, 21 février 1643, no 23, p. 152.
90 Venasque-Ferriol 1643b, p. 101.
91 Talon 1821, t. I, p. 35-36.
92 Scudéry 1643. Le privilège date du 30 janvier et l’achevé d’imprimer du 1er mars.
93 Venasque-Ferriol 1643b. Le sonnet de Scudéry qui ouvre l’ouvrage est repris, en 1646, sous la forme d’un portrait d’Honoré II : Scudéry 1646, p. 145.
94 Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 85-86 ; Hennequin 1985, p. 333 ; Coraillon 2008, p. 57-61.
95 Venasque-Ferriol 1643c, p. 4, 6.
96 Le sceau de Rainier Grimaldi, amiral de France, est attaché au contrat de mariage de Jeanne de Valois avec Guillaume de Hainaut en 1305 ; APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 28 décembre 1646 et 25 janvier 1647.
97 Venasque-Ferriol 1647. APM H 1, Jean Le Laboureur reçoit 400 l. le 8 mars 1647 pour « le complément du payemt de la Genealogie ».
98 Fouilleron 2013.
99 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 26 février 1643.
100 APM H 1 et H 2. Labande 1918, p. clxxxii-clxxxiii.
101 Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 80. Le curé signale aussi, en 1645, dans un oratoire du palais de Monaco, des chandeliers et objets de culte « faits à Paris », Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 139.
102 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Arles, 6 mai 1642 ; Narbonne, 19 mai 1642 ; 27 mai 1642.
103 Venasque-Ferriol 1643b, p. 78-81.
104 Mercure françois, t. XXIV (1641-1643), 1647, p. 698-699.
105 Venasque-Ferriol 1643b, p. 85.
106 Passet Cl. et Passet I. 1994, p. 176.
107 Gazette, 7 juin 1642, no 75, p. 512.
108 AMAE C. P. Monaco, I, f° 91.
109 Venasque-Ferriol 1643b, p. 90. APM A 377 ; Passet Cl. et Passet I. 1994, p. 176 ; Gioffredo 2008, p. 686.
110 Mercure françois, t. XXIV, 1647, p. 1076-1077.
111 Venasque-Ferriol 1643b, p. 98.
112 Wrangel 1930, p. 118-120.
113 Gazette, 1er décembre 1646, no 150, p. 1136.
114 Gazette, 4 mai 1647, no 49, p. 360.
115 AMAE C. P. Monaco, I, f° 79; Saige 1891, p. 658-659.
116 APM E 1 et F 1.
117 APM A 374.
118 Paris, Archives nationales (désormais AN), P 2682, f° 218 v°. APM D* 18, f° 142 (16 décembre 1641).
119 APM A 379 et A 401.
120 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 1er janvier 1643.
121 Paris, AN, X1A 8654, f° 416-417. APM E 2.
122 APM F 46.
123 APM G 1.
124 Paris, AN, P 2682, f° 302 v° ; APM D* 18, fos 150 et 153 v°-154 v°.
125 Venasque-Ferriol 1643b, p. 97-98.
126 APM B* 16, Louis, comte d’Alais, à Honoré II, Saint-Germain-en-Laye, 27 février 1643.
127 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 11 et 25 janvier, 8 et 15 mars 1647.
128 APM A 386.
129 APM E 2.
130 APM H 1. Quatre insignes sont achetés au « sieur de la Barre, orphèvre » pour 332 livres.
131 Grell 2006, p. 145 et 153 ; Le Laboureur 1647, t. III, p. 357.
132 Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 159 ; Colleville et Saint-Christo 1925, p. 130.
133 Aprosio 1673, p. 546-547 ; Saige 1906, p. 94 ; Passet Cl. et Passet I. 1991, p. 116 ; Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 159.
134 Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 159.
135 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 3 janvier et 10 juillet 1651 : « ceux qui nous ressembleront n’auront […] jamais d’autre object que le veritable service de Sa Mté ».
136 APM A 384.
137 APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Paris, 25 juillet, 12 et 25 août 1651.
138 Gioffredo 2008, p. 716.
139 Passet Cl. et Passet I. 1996, p. 128 et 132-134.
140 Le curé de Monaco évoque, en 1645, « l’époque où [l] es Princes étaient considérés en France », Passet Cl. et Passet I. 1995, p. 140. APM B 1, Honoré II à J.-H. Grimaldi, Monaco, 28 janvier 1651.
141 Venasque-Ferriol 1643b, p. 83.
142 Saige 1906, p. 98-102, 95-96 et 106-107 ; Pintard 1980 ; Robert 2001 ; Fouilleron 2010, p. 165-167 et 172.
143 Druilhe-Favre 1992.
144 Saint-Simon 1983, p. 808.
145 Spanheim 1882, p. 131.
Auteur
-
Thomas Fouilleron
Directeur des archives et de la bibliothèque du Palais princier de Monaco, chercheur associé au Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (EA 1193 – université de Nice – Sophia Antipolis)
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