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    Plan détaillé Texte intégral LE RENOUVELLEMENT URBAIN DANS LES VILLES FRANÇAISES : SIGNIFICATIONS SOCIALES ET POLITIQUES LES DIMENSIONS SPATIALES DU RENOUVELLEMENT URBAIN : ÉCHELLES GÉOGRAPHIQUES ET DOMINATIONS CONCLUSION Notes de bas de page Auteur

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    Table des matières

    Le renouvellement urbain en France métropolitaine : un objet pour la géographie sociale ?

    Pierre Bergel

    p. 191-204

    Texte intégral LE RENOUVELLEMENT URBAIN DANS LES VILLES FRANÇAISES : SIGNIFICATIONS SOCIALES ET POLITIQUES Le renouvellement urbain, un mode progressiste de fabrication de la ville ? Renouvellement urbain : les géographes sociaux doivent-ils se fier aux apparences ? Renouvellement urbain et inquiétudes sur l’avenir citadin des sociétés Renouvellement défensif, renouvellement offensif Renouvellement versus rénovation ? LES DIMENSIONS SPATIALES DU RENOUVELLEMENT URBAIN : ÉCHELLES GÉOGRAPHIQUES ET DOMINATIONS Une base de données pour le renouvellement urbain en France métropolitaine Renouvellement urbain et grandes agglomérations Le renouvellement urbain en France métropolitaine, une géographie contrastée Les dynamiques socio-spatiales du renouvellement urbain : éléments pour une explication Renouvellement urbain et disparités socio-spatiales à grande échelle Renouvellement urbain, dominations sociales et symboliques CONCLUSION Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Note portant sur l’auteur1

    2Fréquente à la fin des années quatre-vingt-dix et au tournant des années 2000, l’expression « renouvellement urbain » est aujourd’hui moins utilisée. Incluse par le gouvernement Jospin dans le titre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite loi SRU, qui avait pour ambition de rendre l’usage de la ville plus démocratique2, sa signification s’est rapidement réduite à un seul type d’action : les programmes de démolition et reconstruction au sein des quartiers d’habitat social dans le cadre des Grands projets de ville (GPV) ou des Opérations de renouvellement urbain (ORU). Depuis le changement de majorité politique du printemps 2002, ce type d’intervention est désormais labellisé sous le terme « rénovation urbaine », suite aux changements législatifs et institutionnels opérés par l’équipe du ministre Jean-Louis Borloo3.

    3Incluant cet aspect, le renouvellement urbain ne peut cependant pas y être réduit et, dans le texte qui suit, il lui sera attribué une signification plus large. Nous y inclurons toute démarche ayant pour projet, à superficie constante, de recomposer la ville sur elle-même au moyen de démolitions ou par la mobilisation de potentiels fonciers inutilisés : friches industrielles, emprises publiques délaissées, etc.

    4Ainsi entendu, le renouvellement urbain est donc conforme à la loi SRU qui impose trois principes auxquels les opérateurs urbains sont censés se soumettre. Désormais, toutes les opérations d’aménagement doivent limiter l’étalement urbain et proposer une utilisation économe des espaces. Elles doivent en outre favoriser la mixité sociale et fonctionnelle dans les agglomérations françaises4. La loi SRU pose donc le renouvellement urbain comme un modèle progressiste et consensuel de fabrication de la ville, les notions de développement urbain durable et de mixité sociale étant partagées par le plus grand nombre. Plus compacte, la ville renouvelée est plus économe des déplacements motorisés et des énergies fossiles. Moins polluante, elle satisfait aux principes du développement durable. Rendant les villes plus attrayantes et moins ségrégées, les opérations de renouvellement urbain ont en outre pour objectif de refonder les sociabilités. La ville renouvelée permettrait d’élargir le champ des pratiques urbaines individuelles ou collectives, d’intégrer ou de réintégrer des groupes sociaux marginalisés, de proposer une urbanité plus « douce », plus festive et plus équitable.

    5L’objectif de ce texte est d’aller au-delà de ces évidences en construisant le renouvellement urbain comme un objet de la géographie sociale. La première partie de ce travail mettra en question les attendus politiques de la notion tandis que la seconde proposera une étude sur la dimension spatiale du renouvellement urbain en France métropolitaine, à partir d’une base de données rassemblant plusieurs centaines de cas.

    6Il s’agit de démontrer que le renouvellement urbain est un objet géographique complexe. Moyen innovant pour réaménager les espaces de la ville et faire face aux situations d’urgence provoquées par la désindustrialisation et le développement du chômage de masse, ce mode opératoire ne doit pas pour autant être réduit à une banale ingénierie socio-spatiale. Dans cette communication, nous tenterons de démontrer que, avec la fin des Trente Glorieuses, le renouvellement urbain exprime et consacre de nouvelles dominations et de nouvelles inégalités au sein des agglomérations françaises.

    LE RENOUVELLEMENT URBAIN DANS LES VILLES FRANÇAISES : SIGNIFICATIONS SOCIALES ET POLITIQUES

    Le renouvellement urbain, un mode progressiste de fabrication de la ville ?

    7Le renouvellement urbain inaugure une rupture car il s’oppose en tout point à un mode de fabrication de la ville qui dominait depuis les années soixante-dix. Depuis cette époque, les agglomérations françaises, autrefois circonscrites à leurs centres historiques et à leurs banlieues, se sont progressivement diluées dans des couronnes périurbaines de plus en plus lointaines qui constituent aujourd’hui la majeure partie de leurs superficies bâties.

    8À cette extension périphérique incontrôlée, les promoteurs du renouvellement urbain opposent des opérations de recomposition interne et de densification. Là où les aménageurs produisent du terrain constructible à bas prix par équipement de superficies non bâties, les opérateurs du renouvellement opèrent à superficie constante à l’intérieur de l’espace urbain déjà constitué. Les extensions périurbaines ont pour conséquence d’affaiblir les densités moyennes et de renforcer les spécialisations fonctionnelles alors que le renouvellement de la ville cherche à augmenter les densités ainsi que la diversité des fonctions. Les lotissements pavillonnaires distribuent les catégories sociales selon le prix des parcelles, c’est-à-dire, grossièrement, en fonction de la distance au centre. Ayant pour objectif de détendre l’offre foncière, le renouvellement urbain vise au contraire à désagréger les localisations résidentielles. Enfin, les extensions périphériques de faible densité impliquent une utilisation intensive de l’automobile et une multimotorisation des ménages alors que la ville renouvelée est censée promouvoir les parcours piétonniers ou cyclables ainsi que l’usage des transports collectifs (ADEF, 2001 ; APUMP, 2003).

    9À un mode libéral, individualiste et gaspilleur de fabrication de la ville, le renouvellement urbain oppose un modèle démocratique et écologique5. Ainsi entendu, le renouvellement urbain est souvent appréhendé selon deux grilles de lecture, qui se réfèrent toutes deux à des conceptions progressistes en matière sociale ou politique.

    10La grille de lecture environnementaliste insiste sur les bienfaits du renouvellement urbain. Limitant l’étalement périphérique, la ville renouvelée est censée préserver les espaces ruraux et les terres agricoles. En supprimant les déplacements inutiles, elle économise les énergies fossiles, limite les pollutions, diminue les investissements collectifs en matière d’infrastructures ainsi que ceux des ménages en matière d’équipement automobile. Elle correspond aux objectifs du développement durable visant à limiter les dégradations irréversibles des écosystèmes.

    11La grille de lecture socioculturelle insiste quant à elle sur les retombées démocratiques du renouvellement urbain. Une ville renouvelée permet l’intégration ou la réintégration dans l’espace commun de catégories sociales marginalisées, devenant le vecteur d’une urbanité plus « douce » et plus « équitable ». La ville renouvelée est censée promouvoir la « mixité sociale », c’est-à-dire la proximité voire l’interaction entre des catégories qui, jusque-là, se côtoyaient peu. Dans une ville plus compacte, on peut par ailleurs espérer que les circulations piétonnes, la proximité des lieux de résidence et de travail, la constitution de liens de voisinage plus solides auront pour effet de réconcilier les citadins avec leurs villes, d’introduire des ferments de convivialité dans un monde urbain réputé brutal et anonyme.

    Renouvellement urbain : les géographes sociaux doivent-ils se fier aux apparences ?

    12Se référant aux principes du développement durable et de la ville partagée, le renouvellement urbain présente donc des caractères susceptibles de séduire les « géographes sociaux ». Ayant simultanément pour objet de transformer les espaces urbains et de changer les rapports sociaux, cette catégorie de l’action urbaine semble devoir être appréciée positivement par des chercheurs qui considèrent l’espace comme un médiateur social. Se référant en outre aux valeurs d’égalité, de démocratie et d’attention aux générations futures, elle ne peut que rencontrer l’adhésion d’une communauté animée dans son ensemble par des idéaux progressistes.

    13Le modèle du renouvellement urbain est donc unificateur autour de deux thèmes, la mixité sociale et le développement durable, par ailleurs largement consensuels dans la société française. Cependant, derrière des discours politico-institutionnels qui ont, par nature, pour fonction d’unifier les points de vue, de mobiliser les financements et les énergies opérationnelles, la pratique du renouvellement urbain montre d’autres objectifs et d’autres résultats. Un examen systématique de ces opérations, ainsi que des discours qui les accompagnent, conduit en effet à mettre en question ces trop faciles évidences.

    14En plus d’une attention à l’injustice et au sort des plus faibles, le renouvellement urbain consacre la domination de nouvelles élites qui, désormais, ont le pouvoir de fabriquer la ville et d’en user de façon privilégiée. Contrairement aux principes affichés par la loi SRU, un tel pouvoir apparaît plus comme un outil de domination sociale que comme un vecteur de réconciliation démocratique. Plus qu’une attention à « ceux d’en bas », il traduit l’adaptation de « ceux d’en haut » aux remises en question qui accompagnent la fin du fordisme et marquent le développement d’une économie mondialisée dans des sociétés ouvertes.

    Renouvellement urbain et inquiétudes sur l’avenir citadin des sociétés

    15L’étude historique des villes montre que la recomposition interne des espaces urbains est un phénomène banal au fil des siècles. Depuis l’Antiquité, la plupart des villes ont été reconstruites et recomposées plusieurs fois, suite à des cataclysmes naturels, des épisodes guerriers, des décisions d’aménagement. En France, la croissance urbaine de l’après-guerre et les conceptions urbanistiques qui l’accompagnent ont pourtant ignoré cette réalité, mettant davantage l’accent sur l’extension spatiale, la conquête de terres constructibles, la fondation de nouveaux quartiers ou de villes nouvelles.

    16C’est en Amérique du Nord, dans le courant des années soixante-dix, que la tendance s’inverse. Adoptées au Royaume-Uni au début des années quatre-vingt, ces remises en question atteignent l’Europe continentale puis la France dans la seconde moitié de cette décennie. Jusqu’alors peu considérées, les transformations internes des espaces urbains apparaissent subitement comme une solution pour remédier aux difficultés de la ville.

    17On peut se demander pourquoi un phénomène si ancien n’a pas été pris en compte plus tôt. C’est que, en Amérique du Nord comme en Europe, l’émergence du thème de la ville renouvelée coïncide avec une transition de grande ampleur : la fin des Trente Glorieuses et l’ouverture mondiale des économies. Cette rupture s’accompagne de crises que les sociétés urbaines de ces pays subissent de plein fouet. Les déprises industrielles dans les vieux « pays noirs » laissent des milliers d’hectares de friches dans les villes industrielles du nord et de l’est de la France, de la Ruhr ou des Midlands. Le développement d’un chômage de masse exclut de la société mais aussi de l’urbanité des proportions de plus en plus fortes et de plus en plus ségrégées de la population urbaine. Se dissipe alors l’illusion, née dans l’après-guerre, selon laquelle le développement urbain est un processus linéaire qui se fait toujours au bénéfice du plus grand nombre. Après les certitudes du Welfare State, les villes redeviennent le lieu d’inquiétude qu’elles étaient au xixe siècle ou dans des périodes antérieures. Cette inquiétude nourrit un courant anti-urbain de retour aux « origines rurales » ; elle conduit aussi à la construction de nouvelles représentations et de nouveaux modes d’action sur la ville.

    Renouvellement défensif, renouvellement offensif

    18Le renouvellement urbain apparaît en effet comme une réponse face aux inquiétudes. Dans les années quatre-vingt et jusqu’aux années quatre-vingt-dix, il s’insère dans des stratégies de reconversion économique et de mutations de la structure de l’emploi. C’est le cas en Grande-Bretagne où, au cours des années quatre-vingt, l’État instaure onze Urban development Corporations (UDC) qui visent à régénérer les espaces en déprise industrielle. Jusqu’à leur disparition en 1998, les UDC sont chargées de consentir aux premiers investissements en vue d’attirer des opérateurs privés par effet de levier (Hardouin-Lemoine, 2000). Outre le traitement des friches, les opérations City challenge menées à partir des années quatre-vingt-dix accordent des subventions aux villes qui proposent des projets de redéveloppement (Chaline, 1999).

    19À la même époque, en France, le gouvernement met plus l’accent sur la réparation sociale que sur la régénération spatiale. En 1984, sont institués quinze Pôles de conversion, prioritairement localisés dans les régions industrielles du nord et de l’est en proie à la crise des industries lourdes et à la fermeture des sites miniers. À l’image de la Cassa Integrazione inaugurée dans le Nord de l’Italie quelques années plus tôt suite à la restructuration de l’entreprise FIAT, il s’agit de limiter les pertes d’emploi et de rémunérer les salariés licenciés en attente de reclassement (Buléon, 1986). Si l’arrivée de nouvelles entreprises implique parfois un réaménagement des anciennes emprises et de leur desserte, il ne s’agit en aucun cas, contrairement à l’urban regeneration pratiquée Outre-Manche, de pratiquer la table rase en faisant disparaître les traces du passé industriel.

    20Dans le cas français, ce n’est que dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix que le renouvellement urbain s’impose comme une stratégie à part entière. Moins lié aux urgences, ce second renouvellement est plus offensif et propose de nouveaux usages et de nouvelles représentations pour l’avenir des villes. Parfois ponctuelles, les opérations peuvent aussi être plus larges. Elles prennent un caractère systématique lorsqu’elles sont associées à un projet urbain concernant une ville-centre, une agglomération, voire une communauté urbaine débordant sur les espaces ruraux périphériques. Dans cette catégorie, on peut citer l’opération Lille, métropole renouvelée, initiée en 1997. Au Nord de Paris, la transformation de la Plaine Saint-Denis doit également être incluse dans cette catégorie. Dans ces deux cas, il s’agit de requalifier des espaces dévalorisés afin d’en faire des sites séduisants pour de nouveaux investisseurs qui prendront le relais des activités anciennes balayées par les crises et les mutations. C’est le cas à Lille avec l’opération Euralille qui associe tours de bureaux et infrastructures de transports rapides.

    21Les opérations de renouvellement urbain peuvent également avoir pour projet de développer l’attractivité touristique. À l’image des aménagements de la Barcelone olympique du début des années quatre-vingt-dix, les opérations programmées à Gênes ou à Bilbao visent à transformer des cités industrielles et ouvrières en hauts lieux du tourisme international par le développement de sites culturels (musées) ou marchands (galeries commerciales, cinémas multiplexes, etc.). En France, l’opération Euroméditerranée à Marseille se rapproche de ce type.

    22Dans le cas français, les pouvoirs publics jouent un rôle déterminant dans le renouvellement urbain (Bergel, 2002). Sur les espaces délaissés, la requalification est fréquemment amorcée par la mise en place d’équipements publics structurants. La gare TGV d’Euralille, le Stade de France à la Plaine Saint-Denis, les différents musées prévus sur le front portuaire marseillais constituent autant d’exemples de cette tendance. Sont également nécessaires des événements et des discours qui ont pour fonction d’inverser l’image dont ces espaces dépréciés sont porteurs. Le discours institutionnel ou politique, la parole de séduction des architectes et des urbanistes sont alors déterminants pour faire basculer les représentations (cas de l’île de Nantes, par exemple).

    Renouvellement versus rénovation ?

    23Dans la littérature professionnelle ou universitaire, le renouvellement urbain décrit ci-dessus est systématiquement différencié d’un autre type d’intervention : la requalification des quartiers d’habitat social. Comme on l’a vu en introduction, l’ambiguïté lexicale est désormais levée : les opérations de requalification conservent l’appellation « renouvellement urbain » tandis que, consacrées par la loi, les interventions sur les quartiers de grands ensembles sont désormais dénommées « rénovation urbaine ».

    24L’hypothèse développée dans ce texte est que ces deux modes d’intervention constituent deux faces d’un même processus. Portée par des objectifs de justice sociale, de réduction des inégalités, voire de discrimination positive, la rénovation urbaine poursuit une politique, la politique de la ville, initiée dans les années quatre-vingt. Récemment modifiée, on peut espérer qu’avec la loi de programmation pour la cohésion sociale adoptée en avril 2005, elle aura des effets positifs sur la situation des plus démunis. Apparemment indépendante, elle constitue cependant un complément indispensable à l’autre renouvellement urbain, celui qui opère dans les espaces immédiatement voisins : centres historiques, faubourgs du xixe siècle, délaissés industriels, militaires ou ferroviaires. En requalifiant le bâti et les espaces publics, en développant des interventions liées au droit commun ou aux politiques de la ville, la rénovation urbaine a pour effet de pacifier les relations sociales, au moins en apparence. Mais elle contribue aussi à cantonner les populations modestes dans un espace (« la cité ») et dans un espace social (celui des « bénéficiaires », des « allocataires », des « ayants droit ») qui isolent plus qu’ils ne réunissent. Portées par des idéaux progressistes, ces politiques ont aussi pour effet de cantonner certaines catégories de populations, de les rendre invisibles afin que, par leur seule présence en ville, elles ne ruinent pas les effets des pratiques de séduction énumérées plus haut (Esprit, 2004).

    25Entre discours et pratiques, le renouvellement urbain apparaît donc comme un objet contradictoire. Pour tenter de lever cette contradiction, il semble pertinent de développer une analyse de ses dimensions spatiales à partir d’une étude empirique de géographie sociale.

    LES DIMENSIONS SPATIALES DU RENOUVELLEMENT URBAIN : ÉCHELLES GÉOGRAPHIQUES ET DOMINATIONS

    Une base de données pour le renouvellement urbain en France métropolitaine

    26Au cours de notre travail de thèse, nous avons élaboré une base de données traitant 331 cas de renouvellement urbain en France métropolitaine entre 1995 et 2002. Associée à l’étude plus fine de deux agglomérations de province (Caen et Angers), ces sources nous permettent de préciser le contenu social et idéologique de la notion de renouvellement urbain.

    27La source utilisée est indirecte : il s’agit d’une collecte de renseignements effectuée dans une revue professionnelle, le Moniteur des travaux publics et du bâtiment6. Cette publication hebdomadaire donne des informations précises et récurrentes sur les opérations d’aménagement dans les villes françaises, ce qui a permis l’élaboration d’une base de données renseignant 27 colonnes. Le parti retenu est simple : les renseignements sélectionnés suivent un fil chronologique entre le début de l’opération de renouvellement (caractéristiques de l’emprise initiale : lieu, superficie, usage initial, etc.) et son achèvement (descriptif et coût des travaux, superficies bâties, usage nouveau, etc.).

    28Dans les développements qui suivent, nous étudierons la distribution spatiale des opérations de renouvellement urbain en privilégiant deux échelles : une échelle large concernant l’ensemble du territoire français métropolitain, une échelle intra-urbaine afin de déterminer les lieux du renouvellement urbain à l’intérieur des agglomérations françaises. À ces deux échelles, nous postulons que les localisations des espaces urbains renouvelés ne sont pas aléatoires. Comme pour tout fait social, l’étude de leur dimension spatiale révèle des enjeux politiques, idéologiques, culturels, économiques qui contiennent du sens et contribuent à leur compréhension.

    Renouvellement urbain et grandes agglomérations

    29À l’échelle du territoire national, la localisation des opérations révèle une surreprésentation des grandes villes ayant rang de capitale régionale. Au premier rang, la métropole francilienne affiche une surreprésentation encore plus forte. Sur les 331 opérations retenues dans la base de données, 64 y sont localisées.

    30Dans la suite du classement, la fréquence des opérations de renouvellement urbain est proportionnelle à la masse démographique des agglomérations. Seconde agglomération française par la taille, Aix-Marseille est également au second rang pour le nombre des opérations de renouvellement (21). Apparaissent ensuite les agglomérations lilloise (12 opérations) et lyonnaise (11 opérations). Si la base de données n’enregistre que 4 cas pour Nice, la règle de proportionnalité réapparaît pour les agglomérations suivantes. On relève 7 ou 8 cas de renouvellement à Toulouse, Bordeaux et Nantes.

    31Sur l’ensemble de la base de données, le comptage par déciles confirme cette constatation. À lui seul, le premier décile concentre 138 cas de renouvellement urbain tandis que le second n’en compte plus que 24. Dans les déciles suivants, les disparités s’amenuisent tellement qu’elles en deviennent insignifiantes7.

    32Une telle proportionnalité paraît aisément compréhensible. Les plus grandes agglomérations étant celles qui occupent les plus vastes superficies, il est mécaniquement plus probable d’y trouver des emprises foncières susceptibles de nourrir une opération de renouvellement. En outre, ces agglomérations disposent de ressources budgétaires importantes et de services techniques étoffés, qui rendent possibles la mise en œuvre de vastes projets d’aménagement. Enfin, dans ces grandes villes, existent des marchés fonciers et immobiliers dynamiques ainsi que des opérateurs privés suffisamment solides pour s’engager dans des investissements de grande ampleur.

    Le renouvellement urbain en France métropolitaine, une géographie contrastée

    Carte 1 : Les 124 sites de renouvellement urbain (1995-2002)

    Image img01.jpg

    33Les 124 agglomérations où se localisent les 331 opérations de renouvellement sont réparties conformément au semis urbain français. La carte (carte 1) enregistre une surreprésentation de la France de l’Est et du Sud, qui concentre les deux tiers des sites de renouvellement urbain enregistrés (83) et où se localisent également les deux tiers des unités urbaines françaises. Cependant, à une échelle plus fine, des disparités apparaissent (carte 2). Sur les franges Nord et Nord-Est du pays, dans le Bassin parisien, la vallée du Rhône ou le littoral méditerranéen, le renouvellement urbain est surreprésenté. À l’inverse, les littoraux occidentaux présentent un déficit.

    Carte 2 : Le renouvellement urbain en France, concentration et sous-représentation

    Image img02.jpg

    34Si on poursuit l’examen de la hiérarchie urbaine française, on s’aperçoit que la règle de proportionnalité n’est plus respectée après le 8e rang (Nantes). À partir du 9e rang, le nombre d’opérations chute brutalement. Avec plus de 500 000 habitants, les agglomérations de Toulon et de Douai-Lens n’en comptent qu’une ou deux alors que les délaissés industriels et militaires sont particulièrement abondants dans ces deux villes.

    35La répartition du renouvellement urbain n’est donc pas strictement corrélée à la taille de l’unité urbaine. Plus petites, mais dotées de fonctions métropolitaines en développement, certaines agglomérations enregistrent au contraire des anomalies positives. Aux 21e et 22e rang des pôles urbains français, Montpellier et Rennes comptent respectivement 5 et 4 cas de renouvellement. Aux 23e et 37e rang, des pôles urbains comme Amiens et Orléans en comptent un nombre identique.

    Les dynamiques socio-spatiales du renouvellement urbain : éléments pour une explication

    36La base de données ne se limite pas à des indications sur la localisation des opérations. Donnant des renseignements sur les types de projets urbains, leurs coûts, l’identité des maîtres d’œuvre et des maîtres d’ouvrage, elle livre aussi des renseignements plus précis.

    37À partir de ces renseignements, le renouvellement urbain doit être considéré comme un outil permettant d’attirer des investisseurs afin de renforcer l’attractivité et la séduction des villes concernées. Convertis à la gestion entrepreneuriale et à la bonne gouvernance, ses promoteurs considèrent l’espace urbain comme un facteur de production parmi d’autres, qu’il faut valoriser au maximum. Sauf exceptions, elles-mêmes signifiantes, le renouvellement urbain apparaît donc comme un mode métropolitain de fabrication de la ville qui se diffuse à partir des élites dominantes vers celles qui gouvernent les villes de rang inférieur. Moins concernées par les mutations accompagnant la fin des Trente Glorieuses, ces dernières y sont moins réceptives. De ce fait, elles subissent le modèle du renouvellement urbain plus qu’elles ne le contrôlent.

    38Plus que la disposition du semis des villes françaises, ce sont ces déterminants sociaux, politiques, idéologiques qui expliquent le caractère chaotique de la géographie du renouvellement urbain. Ce dernier est fortement présent là où la diffusion à partir des plus grandes villes est rapide, c’est-à-dire là où des acteurs locaux sont résolus à entrer dans les jeux de l’ouverture économique, de la haute technologie, de la concurrence entre les cités (Montpellier). Également là où des responsables ont une position dominante dans le champ économique ou politique, ce qui leur permet de prendre conscience des mutations et d’y adapter leurs décisions (Amiens ? Orléans ?). En revanche, le renouvellement urbain peine à se diffuser là où se maintiennent des pouvoirs traditionnels et notabiliaires moins concernés par ces mutations (Ouest atlantique ? Caen ? Angers ?).

    39À l’échelle de la France métropolitaine, la carte du renouvellement urbain matérialise donc une transition. Elle exprime le passage d’une société industrielle et d’État-providence à une société de concurrence et d’ouverture mondiale de l’économie. Elle exprime également une lutte pour la domination entre de nouvelles élites, qui bénéficient particulièrement de cette transition, et des notables traditionnels qui en sont écartés et qui voient leur hégémonie s’effriter.

    Renouvellement urbain et disparités socio-spatiales à grande échelle

    40Dans le développement qui suit, nous limiterons notre étude aux deux cas traités dans notre thèse de doctorat : celui des agglomérations de Caen et d’Angers. La plupart de nos conclusions sont cependant généralisables à d’autres terrains d’étude, travaillés antérieurement (Bourges, Orléans) ou plus récemment (Cherbourg).

    41À l’échelle intra-urbaine, la localisation des opérations de renouvellement révèle des oppositions très tranchées. Ses lieux privilégiés se situent dans un espace intermédiaire, entre les centres patrimonialisés et gentrifiés et des périphéries suburbaines où les trop faibles densités rendent difficile l’intervention urbanistique. Les exemples de Caen et d’Angers, nous montrent que le renouvellement urbain s’insère dans cet entre-deux de la ville. Faubourgs troués d’emprises publiques, industrielles ou religieuses, ces secteurs fournissent l’essentiel des supports fonciers utilisés dans ces opérations. Y sont également localisés les grands ensembles de logements sociaux, lieux des opérations de rénovation urbaine.

    42Comme aux échelles plus larges, la géographie intra-urbaine du renouvellement est donc étroitement déterminée. Elle correspond grosso modo aux espaces industrieux et populaires qui, du milieu du xixe au deuxième tiers du xxe siècle, ont progressivement enserré les noyaux historiques des villes françaises.

    Renouvellement urbain, dominations sociales et symboliques

    43Opportunités foncières ou raisons techniques ne suffisent cependant pas à expliquer pourquoi le renouvellement urbain est si actif dans les faubourgs et les banlieues. Substituant des immeubles et des maisons individuelles à des terrains et à des bâtiments anciens parfois réutilisés, de telles opérations ne se bornent pas à recomposer des espaces obsolètes. Dans ces lieux, le renouvellement urbain contribue aussi à faire disparaître les espaces de vie et de travail d’un monde populaire et laborieux qui, dans le monde postindustriel qui se construit, n’a plus guère de poids ni de capacité de riposte. Dans les grands ensembles, les opérations de renouvellement présentent d’autres formes. Liées aux politiques de la ville, elles ont pour objectif d’atténuer les effets de la pauvreté et du manque d’emploi. Cependant, elles ont également pour effet de dissimuler les situations d’exclusion et de fracture sociale générée par la libéralisation et l’ouverture des économies.

    44Dans ces deux cas, le résultat est identique. Le renouvellement urbain contribue à faire disparaître des espaces hérités. Simultanément, il contribue à faire disparaître la mémoire de rapports sociaux produits dans une période antérieure, quand pesaient davantage les rapports de classe et l’affrontement entre capital et travail (Boltanski et Chiapello).

    45Effaçant la présence des classes populaires dans les espaces de la ville dense, le renouvellement urbain permet en outre de rassurer les investisseurs et de tranquilliser les nouvelles élites qui, elles, bénéficient au mieux des nouvelles conditions sociales et économiques. Il permet également de fournir des opportunités d’investissements qui, sur les terrains délaissés, peuvent générer de substantielles plus-values immobilières.

    46Le renouvellement urbain inscrit donc dans l’espace de la ville l’hégémonie de nouvelles élites qui prospèrent avec le développement d’une économie tertiarisée et mondialisée. À l’autre bout de la hiérarchie, il consacre la disparition des classes laborieuses en tant qu’agents historiques de la transformation sociale. Il n’est donc guère surprenant de constater que les lieux du renouvellement urbain sont ceux des perdants de la mondialisation : populations vieillissantes des faubourgs populaires, « nouveaux pauvres » et chômeurs des grands ensembles. Au fur et à mesure des opérations de renouvellement, ces populations cèdent la place à d’autres, pourvues de positions sociales plus prestigieuses et de revenus plus élevés.

    47Les dynamiques spatiales du renouvellement urbain ne doivent donc pas être étudiées en elles-mêmes. Causes autant que conséquences, elles gagnent à être reliées aux dynamiques sociales qu’elles contribuent à produire et à amplifier.

    CONCLUSION

    48Au terme de cette étude, il apparaît que le contenu pratique du renouvellement urbain est bien différent de ce qu’en disent les discours professionnels ou institutionnels. Plus qu’un mode progressiste de fabrication de la ville, il apparaît comme un outil innovant de sélection sociale et de domination.

    49Les dimensions spatiales du renouvellement urbain concernent deux échelles spatiales qui matérialisent deux types de domination sociale. À petite échelle, le renouvellement urbain consacre un passage de relais entre les élites qui ont gouverné les villes françaises depuis l’après-guerre et de nouvelles élites nées avec la fin des Trente Glorieuses, qui construisent leur pouvoir à Paris et dans les quelques grandes métropoles françaises.

    50À grande échelle, le renouvellement urbain contribue à faire disparaître physiquement mais aussi symboliquement les espaces de faubourgs développés entre les années cinquante et soixante-dix, ainsi que les grands ensembles HLM des années soixante. Ces opérations consacrent l’émergence de nouveaux rapports sociaux où les catégories populaires et laborieuses n’ont plus guère de place ni d’autonomie.

    51Ces deux échelles matérialisent dans l’espace des villes françaises l’adaptation aux transformations économiques, sociales, culturelles qui marquent la fin des Trente Glorieuses et consacrent l’avènement d’une nouvelle société mondialisée et libéralisée.

    52L’analyse des deux échelles du renouvellement urbain montre en outre que mondialisation et libéralisation opèrent dans toute la hiérarchie des villes françaises, et pas seulement dans les quelques métropoles de rang européen. Selon des degrés divers, mondialisation et libéralisation concernent toutes les villes, tous les groupes sociaux et toutes les échelles de la géographie urbaine.

    Notes de bas de page

    1 mailto:pierre.bergel@unicaen.fr

    2 Loi n° 2000 – 1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) parue au Journal officiel du 14 décembre 2000.

    3 Loi n° 2003 – 710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. Projet de loi de programmation de la cohésion sociale déposé à l’Assemblée nationale le 15 septembre 2004.

    4 Cf. l’article 1er de la loi SRU.

    5 Pour une analyse d’ensemble des caractères de la ville étalée, cf. Mangin D., La ville franchisée. Formes et structures de la ville contemporaine, Paris, éd. de la Villette, 2004, 398 p.

    6 Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment. Publication fondée en 1903. Président directeur général, directeur de la publication : Jacques Guy. Directeur de la rédaction : Bertrand Fabre. Rédacteur en chef : Patrick Piernaz. Siège social : 17, rue d’Uzès, 75002, Paris.

    7 25 cas pour le troisième décile, 14 pour le quatrième, 11 pour le cinquième, 7 pour le sixième et le septième, 14 pour le huitième, 5 pour le neuvième, 3 pour le dixième, etc.

    Auteur

    • Pierre Bergel
      Maître de conférence de géographie CRESO, UMR 6590 ESO CNRS Université de Caen – Basse-Normandie
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    2 Loi n° 2000 – 1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) parue au Journal officiel du 14 décembre 2000.

    3 Loi n° 2003 – 710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. Projet de loi de programmation de la cohésion sociale déposé à l’Assemblée nationale le 15 septembre 2004.

    4 Cf. l’article 1er de la loi SRU.

    5 Pour une analyse d’ensemble des caractères de la ville étalée, cf. Mangin D., La ville franchisée. Formes et structures de la ville contemporaine, Paris, éd. de la Villette, 2004, 398 p.

    6 Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment. Publication fondée en 1903. Président directeur général, directeur de la publication : Jacques Guy. Directeur de la rédaction : Bertrand Fabre. Rédacteur en chef : Patrick Piernaz. Siège social : 17, rue d’Uzès, 75002, Paris.

    7 25 cas pour le troisième décile, 14 pour le quatrième, 11 pour le cinquième, 7 pour le sixième et le septième, 14 pour le huitième, 5 pour le neuvième, 3 pour le dixième, etc.

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    • (2008) Espaces en transactions. DOI: 10.4000/books.pur.473
    • Fournier, Jean-Marc. Bonny, Yves. (2017) L’espace en partage. DOI: 10.4000/books.pur.141863
    • (2013) Mobilités et modes de vie. DOI: 10.4000/books.pur.34489
    • Milian, Johan. Bacconnier-Baylet, Sandrine. (2014) Requalifier les territoires de l’action locale. Territoire en mouvement. DOI: 10.4000/tem.2399
    • Argoud, Dominique. (2017) Territoires et vieillissement : vers la fin de la politique vieillesse ?. Lien social et Politiques. DOI: 10.7202/1041730ar

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    • Becciu, Vanessa. (2017) Exclusion et renouvellement urbains : la question des déplacements d’habitants explorée à partir du projet Euroméditerranée à Marseille. Environnement urbain, 10. DOI: 10.7202/1040600ar

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    Bergel, P. (2008). Le renouvellement urbain en France métropolitaine : un objet pour la géographie sociale ?. In R. Dodier, A. Rouyer, & R. Séchet (éds.), Territoires en action et dans l’action (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.516
    Bergel, Pierre. « Le renouvellement urbain en France métropolitaine : un objet pour la géographie sociale ? ». In Territoires en action et dans l’action, édité par Rodolphe Dodier, Alice Rouyer, et Raymonde Séchet. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2008. https://doi.org/10.4000/books.pur.516.
    Bergel, Pierre. « Le renouvellement urbain en France métropolitaine : un objet pour la géographie sociale ? ». Territoires en action et dans l’action, édité par Rodolphe Dodier et al., Presses universitaires de Rennes, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pur.516.

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    Dodier, R., Rouyer, A., & Séchet, R. (éds.). (2008). Territoires en action et dans l’action (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.487
    Dodier, Rodolphe, Alice Rouyer, et Raymonde Séchet, éd. Territoires en action et dans l’action. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2008. https://doi.org/10.4000/books.pur.487.
    Dodier, Rodolphe, et al., éditeurs. Territoires en action et dans l’action. Presses universitaires de Rennes, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pur.487.
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