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Passions alpines

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Sandro Guzzi-Heeb

Première partie. Pouvoirs, rebelles et libertins : le XVIIIe siècle

Chapitre IV. Sexe et politique au XVIIIe siècle

Texte intégral

Historiographie : une sexualité animale ?

  • 1 Récemment par exemple Scarlett Bauvalet, Histoire de la sexualité à l’époque moderne, Paris, A. Co (...)

1Les historien-ne-s sont prisonniers de leurs sources, des informations dont ils ou elles disposent. C’est une affirmation en soi banale, mais qui continue d’avoir des conséquences fondamentales sur notre perception du passé : et cela tout particulièrement dans l’histoire de la sexualité – domaine dans lequel les informations ne sont pas seulement rares, mais le plus souvent peu fiables1.

  • 2 Cité dans M. Bernoset al., Le fruit défendu. Les chrétiens et la sexualité de l’antiquité à nos jo (...)
  • 3 Voir par exemple Edward Shorter, Written in the Flesh. A History of Desire, Toronto, Buffalo, Lond (...)

2Cela a induit plusieurs éminents chercheurs à proposer une vision simplifiée, parfois presque caricaturale de la sexualité de l’époque moderne : une vision, selon l’expression de Jacques Solé, dans laquelle les rapports sexuels auraient été « relativement rares, brefs et privés de chaleur2 ». Plusieurs années ont passé depuis lors, mais les images de la sexualité classique restent souvent simplistes et schématiques3.

3Des réflexions critiques à ce sujet n’ont d’ailleurs pas manqué. Dans son ouvrage monumental sur l’Europe baroque, l’historien suisse Peter Hersche a dressé, il y a quelques années, un bilan plutôt sceptique des approches de démographie historique sur l’histoire de la sexualité :

  • 4 Peter Hersche, Musse und Verschwendung. Europäische Gesellschaft und Kultur im Barockzeitalter, Fr (...)

« La démographie historique nous a livré quelques données relativement fiables et intéressantes, mais elle a désormais atteint ses limites : il n’est plus possible de presser des registres paroissiaux plus que ce qui en a déjà coulé sous forme de chiffres4… »

  • 5 Voir parmi les ouvrages récents : Kathrine Crawford, European Sexualities, 1400-1800, op. cit. ; F (...)
  • 6 Markus Lischer, « Illégitimité », in Dictionnaire historique de la Suisse, version en ligne : [www (...)
  • 7 Edward Shorter, Illegitimacy, Sexual Revolution and Social Change…, op. cit. ; cf. Anne Fillon, Le (...)

4Peut-être les limites évoquées par Hersche seraient-elles liées à une vision quelque peu caricaturale de l’histoire de la sexualité : une vision dans laquelle la vie sexuelle des individus apparaît le plus souvent comme une variable dépendante, déterminée plus ou moins rigidement par des facteurs exogènes, tels que l’environnement, les conditions économiques, les structures sociales, les discours et les politiques dirigés par les élites5… Par exemple, plusieurs études ont souligné l’influence des changements économiques, et des mutations sociales qu’ils induisent : elles ont vu dans l’autonomie économique plus précoce des jeunes et la mobilité accrue de la population la cause de l’augmentation générale de l’illégitimité depuis le XVIIIe siècle ; par conséquent les comportements sexuels déviants ont été interprétés comme des conséquences de l’industrialisation et de l’urbanisation. Pour leur part, les spécialistes de l’histoire des institutions ont insisté sur les innovations juridiques, comme le renforcement des empêchements au mariage et le découragement, voire l’interdiction, de la recherche en paternité6. Dans une autre perspective, les changements des comportements sexuels depuis la fin du XVIIIe siècle ont été interprétés comme l’indice d’une première révolution sexuelle, d’une émancipation des jeunes ou des femmes, ou encore comme le symptôme d’un effondrement des valeurs et des repères traditionnels dans la société. Cette thèse, soutenue surtout par Edward Shorter dans les années 1970, souligne le rôle des grands changements culturels ; elle est pourtant difficile à démontrer au niveau local et concret, et demeure donc controversée7.

  • 8 Plusieurs études sur l’illégitimité ont reconstruit les histoires personnelles des femmes concerné (...)
  • 9 Plusieurs interprétations ont repris plus ou moins explicitement le concept freudien de sublimatio (...)

5Curieusement, les historien-ne-s ont peu pensé aux idées, aux orientations propres des personnes qui entretenaient des relations illicites ; la vie sexuelle a été le plus souvent étudiée comme un objet abstrait, sans considération attentive pour les sujets, ces hommes et ces femmes bien réels dont l’existence est animée de passions concrètes8. Malgré l’évidence – relayée par la littérature et, au moins depuis Freud, par la psychologie – que dans la réalité quotidienne, l’attrait sexuel et les passions érotiques jouent un rôle majeur dans la vie des individus, l’histoire de la sexualité a eu beaucoup de peine à intégrer concrètement ces forces puissantes dans des analyses sociales9.

  • 10 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, 3 vol., Paris, Gallimard, 1976-1978 ; Thomas Laqueur, M (...)

6Il y a – à la base – un problème évident de sources, puisque les documents fiables sur la sexualité des individus, sur leurs aspirations et conceptions sont très rares – même à une époque très récente. Cette difficulté initiale a poussé une multitude de chercheurs, dans le sillage de Michel Foucault, vers l’histoire culturelle ou l’analyse des discours savants – domaine dans lequel les sources abondent10. Malgré l’intérêt de plusieurs de ces études, la vie sexuelle des individus a encore été le plus souvent décrite comme un objet de discours et d’idées savantes, plutôt que comme une série de pratiques individuelles.

7De nouvelles pistes s’ouvrent toutefois dès qu’on peut exploiter des sources et des informations différentes : c’est le cas des grandes bases de données généalogiques, qui permettent d’identifier les protagonistes des comportements illicites et de les replacer dans leur contexte familial et social. Concrètement il est donc nécessaire d’étudier – à côté des données classiques sur les conceptions prénuptiales, les enfants illégitimes, les affaires de mœurs… – des sources qui nous informent sur la biographie et les relations sociales des individus avec des comportements sexuels particuliers.

8Cette approche prosopographique permet de s’interroger sur le rapport entre sexualité et politique ou sexualité et transformation sociale. Il s’agit de donner aux hommes et aux femmes observées un visage, une identité, en essayant de comprendre leur culture, leurs convictions et leur action sociale.

  • 11 Le point de départ pour comprendre la sexualité illicite est les données des registres de la paroi (...)
  • 12 Pour la Suisse : Markus Lischer, « Illégitimité », op. cit. ; Susanna Burghartz, Zeiten der Einhei (...)

9La thèse qui se dégage après une analyse des matériaux bagnards est simple : au XVIIIe et XIXe siècles, la sexualité illicite11 apparaît comme une puissante force subversive, étroitement liée à l’innovation politique et culturelle, et probablement aussi à des évolutions importantes dans le domaine social12.

Sexe et parenté au XVIIIe siècle

  • 13 Cf. Sandro Guzzi-Heeb, Sexe, parenté et politique dans une vallée alpine au XIXe siècle, in Annale (...)

10L’idée d’une relation étroite entre idéologie, ou affiliation politique, et comportements sexuels est née de l’analyse de l’histoire politique bagnarde du XIXe siècle : il paraissait en effet assez évident que les « familles » qui avaient produit le plus grand nombre d’enfants illégitimes étaient des familles radicales (cf. partie II, chapitre iv)13. La tentation était donc forte de vérifier si une telle relation représentait une nouveauté, ou si elle était déjà observable au XVIIIe siècle.

11Cette analyse était rendue possible par notre base de données qui permettait une identification précise de la grande majorité des femmes et des hommes ayant eu des enfants illégitimes ou conçus avant le mariage. Nous avons en outre pu effectuer des recoupements intéressants entre ce groupe d’individus et le noyau de la faction opposée à l’abbé de Saint-Maurice, faction qui se prolongeait dans la nouvelle élite politique émergeant sous la République helvétique (1798-1802) : les groupes parentaux manifestant une opposition politique avaient-ils donc des comportements sexuels particuliers ?

12Une réponse univoque n’est pas simple : les chiffres relatifs aux conceptions prénuptiales et aux enfants illégitimes étant, à cette époque, encore faibles, chaque corrélation statistique est donc discutable.

Dates

Conceptions hors mariage

Enfants illégitimes

1680-1689

7

5

1690-1699

12

3

1700-1709

11

3

1710-1719

7

1

1720-1729

13

2

1730-1739

20

4

1740-1749

20

6

1750-1759

8

6

1760-1769

26

7

1770-1779

18

7

1780-1789

18

4

1790-1799

18

8

1800-1809

24

12

1810-1819

38

13

1820-1829

35

11

1830-1839

54

24

1840-1849

37

13

1850-1859

45

13

1860-1869

81

33

1870-1879

90

35

1880-1889

75

32

1890-1899

79

34

Tableau 12. – Conceptions hors mariage et illégitimes à Bagnes 1680-1899.
Sources : registres paroissiaux. Élaboration statistique : Arnaud Bringé, INED.

13Ces chiffres doivent être considérés avec prudence, puisqu’ils sont des symptômes de phénomènes différents les uns des autres. La conception prénuptiale peut n’être qu’un accident, et être bientôt légitimée par le mariage, sans conséquences fâcheuses pour la famille. Parfois, la légitimation est plus tardive, probablement parce qu’elle conclut des négociations délicates entre les familles des parents. Dans d’autres cas, elle n’a jamais lieu. Mais là aussi, les situations peuvent différer : si dans la plupart des cas au XVIIIe siècle les pères reconnaissent les enfants illégitimes et contribuent à leur entretien, il en est d’autres où le père reste inconnu ; la responsabilité incombe dès lors à la mère seule. Parfois encore, les mères illégitimes se marient – souvent avec des « étrangers » –, bien qu’elles aient un ou plusieurs enfants à leur charge, mais le plus souvent elles restent célibataires et dans une position sociale difficile.

Tableau 13. – Conceptions prénuptiales et naissances illégitimes selon le statut des enfants (attribution au père ou à la mère). Sources : registres paroissiaux. Élaboration statistique : Arnaud Bringé, INED et S. Guzzi-Heeb.

  • 14 Myriam Evéquoz-Dayen, « Inconduite et contrôle social dans Le Valais romand (1780-1850) », in Equi (...)

14Comme dans d’autres régions européennes, la législation de l’Ancien Régime est relativement favorable à la femme dans les cas de naissances illégitimes, permettant la recherche en paternité si elle donne le nom du père devant témoins et dans les douleurs de l’accouchement14. Apparemment au XVIIIe siècle, une pression remarquable est exercée par les curés et par la communauté afin que les pères reconnaissent leurs enfants présumés : en effet, dans la grande majorité des cas, les enfants illégitimes sont attribués au père et portent son nom de famille.

  • 15 À Sembrancher, près de Bagnes, l’adultère est puni au XVIIe siècle par une amende de 60 sous, mais (...)
  • 16 A. A. S. M., TIR 10/6/14, 15, 1762-1763.

15Ce phénomène révèle à notre sens un contrôle social collectif, et efficace, sur les comportements sexuels, qui vise à attribuer la responsabilité de l’entretien des enfants à la famille, mettant en question celle du père également, afin d’éviter que les jeunes mères et leur progéniture ne deviennent une charge pour la communauté. Ce contrôle social est toutefois sélectif et ciblé pour éviter des « scandales », ou des conséquences concrètes et économiquement sensibles pour les familles et la communauté : bien qu’en théorie des peines sévères sont censées punir l’adultère, des exemples ponctuels montrent que dans la pratique les punitions – même en cas de récidive – ne sont pas draconiennes15 : des situations pénibles pour le conjoint « trahi » sont souvent résolues de façon pragmatique. En 1762 par exemple, l’abbé de Saint-Maurice, seigneur de Bagnes, inflige une amende à André-Clément Cretton et à Anne-Françoise Dumoulin, accusés d’avoir mis au monde un troisième enfant illégitime. Le procès est intéressant parce qu’il révèle le contexte de l’affaire : les deux parents illégitimes sont mariés chacun de leur côté et entretiennent une relation adultérine pendant au moins seize ans, dont sont issus trois enfants. Cette relation semble tolérée par la communauté et dans une certaine mesure par l’Église et les autorités. Difficile d’y voir une relation privée de tout sentiment amoureux ! Dans de tels cas, les autorités essayent de trouver des solutions consensuelles et d’éviter des interventions trop répressives : sous la pression des parents d’André-Clément Cretton, l’amende est en effet réduite à deux reprises16.

16Ce cadre législatif se maintient jusqu’à la moitié du XIXe siècle, malgré quelques innovations partielles en 1804. Mais curieusement, la pratique locale change pendant plusieurs années dans la période de la Révolution française et sous Napoléon : entre 1787 et 1810, aucun père ne reconnaît plus d’enfant illégitime. C’est une évolution difficile à expliquer, mais probablement l’attitude de l’élite politique locale a eu une influence décisive, anticipant des évolutions législatives – comme on l’observe au milieu du XIXe siècle.

17Les différents cas de conception hors mariage devraient donc être analysés plus en détail : dans la perspective d’une interprétation des rapports avec la réalité sociale et politique, nous nous bornerons toutefois à une distinction sommaire entre conceptions prénuptiales – légitimées plus tard – et enfants illégitimes.

18Dans notre analyse, d’ailleurs, nous considérerons tous les enfants conçus hors mariage plutôt comme les manifestations visibles d’une attitude généralement plus favorable à des relations illicites qui se manifeste dans leur famille ou leur groupe parental respectif. En ce sens, nous parlerons d’« Individus issus d’une relation illicite » (IIRI) comme symptômes visibles d’une telle attitude.

  • 17 Déjà pendant les années 1980, plusieurs auteurs ont indiqué la cumulation de comportements sexuels (...)

19Cette approche se base sur une considération simple : les comportements sexuels proscrits par la morale catholique ne sont pas répartis également parmi les groupes sociaux, mais se concentrent clairement dans des secteurs bien définis. En effet, les attitudes sexuelles étaient transmises de façon très claire à l’intérieur de la descendance : l’analyse généalogique ne laisse pas de doute à ce propos17.

  • 18 Peter Laslett, « The bastardy prone sub-society », in P. Laslettet al. (ed.), Bastardy and its com (...)
  • 19 Karla Osterveen, Richard M. Smith et Susan Stewart, Family reconstruction and the study of bastard (...)

20Des études des années 1980 déjà avaient remarqué que les relations illégitimes se concentraient dans des secteurs précis de la collectivité. Dans un volume publié en 1980, Peter Laslett avait repris et précisé le concept de « bastardy-prone sub-society18 », et suggéré que des individus avec des comportements sexuels particuliers tendaient à s’allier entre eux, en formant des réseaux sociaux et parentaux denses. D’autres auteurs suggéraient la nécessité de recourir à la reconstitution familiale afin de comprendre les logiques de reproduction de secteurs sociaux enclins à l’illégitimité. Malheureusement, cette approche n’a pas été beaucoup développée depuis19.

21Dans le cas de Bagnes, nous pouvons observer des « familles » plus fidèles à la morale catholique, d’autres avec des comportements plus libres et enfin des groupes apparemment en opposition ouverte avec les normes traditionnelles. Les comportements sexuels que nous pouvons définir comme intéressants de notre point de vue – les conceptions hors mariage – se concentrent en effet dans des groupes parentaux précis.

22Au XIXe siècle, cette concentration est très évidente : plusieurs groupes parentaux avec des attitudes sexuelles nettement différentes de la majorité accumulent de nombreuses naissances illégitimes. Il s’agit notamment du groupe Bessard 7, avec quatorze enfants illégitimes nés au XIXe siècle et globalement vingt-huit conceptions hors mariage ; suit le groupe Dumoulin 6, avec onze enfants illégitimes et vingt-cinq conceptions hors mariage. Puis nous trouvons les Besson 14 (onze enfants illégitimes, dix-neuf conceptions hors mariage), suivis de près par le groupe Luisier 4 (neuf enfants illégitimes, vingt-trois conceptions hors mariage). Au XVIIIe siècle, la concentration observable est plus faible – en raison aussi des cas moins fréquents – mais elle existe bel et bien.

23Quelques chiffres illustrent ce phénomène : les 214 IIRI relevés entre 1650 et 1800 se concentrent dans 75 branches, qui représentent 17 % de toutes les branches observées. 106 IIRI (ca. 50 %) sont concentrés dans 22 branches, ce qui correspond à moins de 5 % des 443 branches attestées à Bagnes au XVIIIe siècle et à moins de 10 % de toutes les 284 branches existant pendant toute la période 1700-1800.

  • 20 De ce point de vue, les cas de conception hors mariage cumulés dans certaines familles ou branches (...)

24Apparemment, les comportements sexuels sont partagés et transmis à l’intérieur de familles et de groupes parentaux bien délimités et représentent une sorte d’héritage commun. Le rôle de la famille dans la morale sexuelle s’explique aisément : ce sont les parents qui exercent un contrôle sensible sur la vie sexuelle de leurs enfants et sur leurs choix au moment du mariage – d’autant plus s’ils ont un patrimoine et un prestige social à défendre20.

25Il faut naturellement considérer un biais probable dans les sources : en effet, les familles aisées ou celle qui disposent de contacts à l’extérieur peuvent aisément cacher des naissances illicites, par exemple en envoyant les filles-mères dans d’autres régions pendant la grossesse et l’accouchement. Le problème de l’avortement et de l’infanticide nous échappe également, du moins en partie, sans parler des rapports illicites qui ne se traduisent pas nécessairement par un enfantement.

  • 21 A. A. S. M., TIR 10/6/14, 15, 1762-1763.

26De l’autre côté, nous ne sommes pas tout à fait sûrs que les registres paroissiaux nous révèlent une image fidèle de la réalité sociale. Si nous compulsons les sources judiciaires de l’abbaye de Saint-Maurice, par exemple, nous découvrons des différences significatives. Par exemple, le couple Cretton-Dumoulin, évoqué plus haut, est amendé pour avoir mis au monde un troisième enfant illégitime, alors que les registres des baptêmes ne mentionnent que deux enfants issus de ce couple adultérin21. Les données généalogiques brutes tendent donc à simplifier la complexité sociale et le « désordre des familles », donnant l’impression d’une société rigide et répressive régulée par des simples nécessités économiques.

27Ce que notre base de données généalogique nous révèle n’est donc qu’une partie limitée d’une réalité plus complexe : mais elle n’en est pas moins une partie significative. Malgré les biais possibles, il est certain que les familles qui ne cachent pas leurs naissances illégitimes ont un comportement social différent des autres. De plus, si certaines familles ont de bonnes raisons d’occulter des naissances illégitimes, elles en ont moins de cacher des conceptions prénuptiales, dans les cas – fréquents – où elles sont bientôt légitimées par un mariage.

  • 22 Solé, L’amour en Occident…, op. cit. ; Hubler, La population de Vallorbe, op. cit. ; Sutter, Ein Ac (...)

28Dans la littérature spécialisée, l’illégitimité a le plus souvent été considérée comme un phénomène des classes populaires, marginales, comme un symptôme de dégradation sociale et de désordre22. Or, à Bagnes, cela ne se vérifie pas toujours : en partie, les branches et familles qui produisent plusieurs IIRI sont aisées et influentes, comme par exemple les Besse 3 de Sarreyer et Villette. Comme on l’a vu, Angelin Besse a été conseiller communal et il apparaît à l’époque des troubles de 1745 comme l’un des notables les plus influents de la commune. Son père et son oncle, les plus riches particuliers de Sarreyer, avaient fondé la chapelle du village. D’autres branches avec un nombre remarquable de IIRI appartiennent également aux couches supérieures – comme les Gard 1 de Versegères – ou moyennes – comme les Michellod 5.

Sexualité et politique

  • 23 Par simplicité, nous n’avons considéré jusqu’ici que des groupes parentaux patrilinéaires – bien r (...)

29La corrélation automatique entre comportements sexuels et position sociale n’est donc pas la bonne explication : les comportements sexuels ne devraient-ils donc pas être considérés plutôt comme des choix conscients et délibérés ? Les exemples mentionnés ci-dessus nous mettent déjà en alerte : plusieurs branches liées à des comportements illicites sont très actives du point de vue politique, notamment dans la faction des opposants à l’abbé de Saint-Maurice23.

  • 24 Isabel V. Hull, Sexuality, State, and Civil Society in Germany, 1700-1815, Ithaca, London, Cornell (...)

30Malheureusement, peu d’historien-ne-s ont étudié de façon détaillée la relation entre sexe et politique : celles et ceux qui l’on fait se sont situés plutôt dans une perspective macrohistorique et culturelle, plutôt que dans la perspective des acteurs et actrices, soulignant les conséquences de discours savants, des politiques étatiques, des pratiques de pouvoir sur les perceptions collectives de la sexualité, des rôles de genre, etc. Des études féministes influentes ont par exemple étudié le rapport entre politiques étatiques avec les rôles de genre et la sexualité – vue en général comme le produit de pressions exercées par les pouvoirs24.

  • 25 George L. Mosse, Nationalism and Sexuality. Respectability and Abnormal Sexuality in Modern Europe(...)
  • 26 Voir par exemple les remarques de Peter Hersche, Musse und Verschwendung…, op. cit., p. 726.

31Dans cette tradition politico-culturelle s’insère le livre de George L. Mosse sur le rapport entre sexualité et nationalisme, qui a influencé tout un courant d’études25. Le problème de ces recherches, d’ailleurs fort intéressantes, est évidemment le fait de se baser exclusivement sur les sources des élites et d’ignorer largement les pratiques des individus, notamment celles des classes populaires26.

32Dans le cas de Bagnes, nous nous heurtons à un manque de sources qualitatives encore plus grave et douloureux que dans d’autres régions : nous n’avons repéré aucun récit, aucune correspondance familiale ou privée du XVIIIe siècle qui nous renseigne sur la façon dont hommes et femmes de Bagnes vivent la famille, l’amour ou même la sexualité. Nous sommes donc obligés de parler des passions et du désir sexuel en nous basant essentiellement sur le langage sec des chiffres ou sur des informations biographiques fragmentaires. Une lacune grave, mais que nous essayerons de contourner en exploitant notre base de données généalogique.

  • 27 Dans ces sources, nous avons sélectionné 499 mentions de caractère politique, mais plusieurs menti (...)

33L’analyse statistique nous révèle 243 conceptions hors mariage entre 1700 et 1810 : grâce à notre base de données, nous disposons de 442 données généalogiques sur les parents de ces enfants. Nous pouvons donc croiser ces informations avec des données relatives aux affiliations politiques des individus et de leurs familles pendant le XVIIIe siècle27.

34Avant d’analyser les résultats en détail, il est nécessaire de réfléchir brièvement au rôle des femmes. Dans leur cas, il est évidemment problématique de parler d’affiliation politique, puisqu’elles n’apparaissent pratiquement jamais sur des listes politiques. Nous avons néanmoins supposé que les épouses, les sœurs ou les filles des activistes politiques partagent fondamentalement leurs idées et leurs valeurs. C’est évidemment une simplification. L’analyse de la mobilisation politique montre toutefois que les femmes et les filles jouent un rôle significatif dans l’organisation des factions, en participant à la reproduction des dynasties politiques, en véhiculant des rapports stratégiques et aussi en qualité de marraines.

35D’ailleurs dans les familles et groupes parentaux qui cumulent des comportements illicites, ces attitudes sont partagées par les hommes et par les femmes. En d’autres termes : les femmes de ces groupes ont autant de probabilité de participer à une relation illicite que les hommes de la même famille. Il semblerait donc que femmes et hommes aient la même influence sur le type de relation pratiquée par le couple respectif.

36Mais venons-en aux comportements politiques : si nous acceptons ces prémisses, nous pouvons décrire plus précisément la relation entre comportements sexuels et attitudes politiques.

37Si nous observons les vingt-deux branches qui, entre 1650 et 1800, ont produit le plus grand nombre de IIRI – au moins trois ou quatre illégitimes – nous observons qu’elles sont en grande partie (dix-huit sur vingt-deux) très actives en politique, notamment dans l’opposition contre l’abbé de Saint-Maurice.

38Le tableau 14 (voir le cahier en couleurs) représente à gauche le nombre de IIRI dans la branche et à droite la participation de membres de la même branche aux mouvements de 1745, 1766 et au gouvernement local sous la République helvétique. La corrélation entre tendances sexuelles et mobilisation politique est assez évidente.

39Nous pouvons renverser la perspective, en partant des groupes qui font partie du noyau de l’opposition : nous observons ainsi une série de branches avec des comportements sexuels très particuliers. Dans vingt-neuf groupes parentaux parmi les quarante-six formant le noyau de la faction, nous pouvons déceler un rapport assez évident entre indiscipline sexuelle et opposition politique. De plus, nous observons que ces groupes sont souvent liés entre eux par un réseau de relations illicites ou d’alliances.

  • 28 Nous avons considéré tous les enfants nés entre la fin du 7e mois après le mariage et avant l’écou (...)

40Nous avons déjà mentionné le cas des Besse 3, avec quatre conceptions prénuptiales et une conception prénuptiale probable28 entre 1718 et 1762 – un chiffre exceptionnel pour cette période. Angelin Besse, on l’a vu, était un opposant à l’abbé en 1745 ; ses descendants apparaissent parmi les fondateurs de la Grande École en 1766 et parmi les charge-ayants de la République helvétique (1798-1802). Les partenaires dans les relations illicites observées proviennent de familles avec des comportements sexuels comparables. Les femmes de cette branche ont plusieurs conceptions prénuptiales dans la période cruciale 1717-1762 (au moins quatre), toutes avec des partenaires issus de familles dans l’opposition, comme les Tissières 1, les Maret 50, les Maret 39 ou les Perron 1. Ce sont en même temps des familles aux comportements sexuels particuliers : chez les Perron 1, nous observons un enfant illégitime et une conception prénuptiale au XVIIIe siècle dans la parentèle proche des activistes politiques. Chez les Maret 50, les Maret 39 et les Tissières 1, nous retrouvons à chaque fois deux conceptions prénuptiales par groupe, ce qui est particulier pour l’époque.

  • 29 Si nous considérons également trois conceptions prénuptiales probables (voir note 27), nous observ (...)

41Les Gard 2 représentent un autre exemple intéressant : les membres de cette branche sont au centre de la révolte de 1745 contre l’abbé de Saint-Maurice. Dans ce groupe, nous pouvons observer au moins sept relations illicites entre 1729 and 179729 : les partenaires proviennent tous de familles similaires du point de vue des comportements sexuels et politiques, comme les Besse 43, les Besson 14, les Filliez 7, les Fellay 27, les Gailland 1 ou encore les Vaudan 10-7.

42La relation entre sexe et politique est encore plus évidente chez les Terrettaz 7 de Lourtier et du Châble, qui mettent au monde trois enfants illégitimes entre 1691 et 1803 – un phénomène exceptionnel à cette époque. Tous ces enfants sont des parents proches des activistes politiques de 1745 et de 1798.

  • 30 Surtout des groupes du noyau de la faction oppositionnelle, comme les Michellod 5 et les Troillet (...)

43On pourrait citer de nombreux exemples ultérieurs, qui montrent que des groupes dissidents forment des réseaux denses, basés sur des opinions politiques et des attitudes sexuelles communes30. Mais tous les groupes parentaux ne présentent pas une situation aussi claire. Les Besson 14 par exemple : dans cette branche, on peut certes observer plusieurs conceptions hors mariage entre 1689 et 1809, y compris deux enfants illégitimes. Avec des degrés 2 et 3 de cousinage, ceux-ci ne sont toutefois pas des parents très proches du seul membre de l’opposition dans leur branche, Jean-Pierre Besson, conseiller communal sous la République helvétique. Comment interpréter ce rapport ? La relation entre sexe et politique semble être présente, mais dans plusieurs cas similaires des questions importantes restent évidemment encore ouvertes. Il faut néanmoins ajouter le fait que Jean-Pierre Besson est le mari de Lucie Rege, une femme qui est issue également d’un milieu dissident du point de vue politique et sexuel.

44Cet exemple montre que nous n’avons pas affaire à une situation typique et représentative, mais plutôt à une série de configurations différentes, qui dépendent de situations sociales et d’histoires familiales divergentes. En schématisant, nous pouvons affirmer que dans la faction oppositionnelle, nous rencontrons trois situations différentes :

  1. Des familles de riches notables, comme les Magnin 7 ou les Bourgoz 4…, figurent à la tête de la résistance contre le seigneur, mais ne permettent pas à leurs membres de faux-pas sexuels – ou bien les occultent soigneusement. Les raisons de ce contrôle peuvent sembler faciles à expliquer : les historien-ne-s ont démontré que la dévolution du patrimoine et du prestige exige un contrôle attentif sur les jeunes générations, spécialement les jeunes femmes, afin d’éviter des héritiers non désirés ou des « mésalliances »31. Mais, comme nous l’avons vu, d’autres familles de l’élite ont des attitudes différentes.
  2. En effet, nous observons un second groupe de branches, également fortement impliquées dans l’opposition contre l’abbé de Saint-Maurice, mais qui révèlent des comportements sexuels beaucoup moins contrôlés – malgré une situation sociale souvent privilégiée. Il est important de souligner que les hommes et les femmes ayant eu des relations illicites sont très proches des activistes politiques du point de vu de la parenté (1er ou 2e degré).
    Comme nous l’avons vu, les groupes avec des conceptions hors mariage fréquentes sont souvent étroitement interconnectés par des relations illicites, des alliances ou des rapports de parrainage, formant parfois des milieux denses.
  3. Nous observons enfin des branches qui ne peuvent pas être rattachées automatiquement aux deux catégories indiquées ci-dessus : des branches qui produisent de nombreux IIRI, mais qui n’ont pas une collocation politique bien définie – à notre connaissance, du moins – ou qui ne se signalent pas par des caractères spécifiques.

45En conclusion : pour une majorité des familles du noyau de la faction opposée à l’abbé de Saint-Maurice – une trentaine sur quarante-six – le lien avec une sexualité plus libre est évident au XVIIIe siècle. L’indiscipline sexuelle est un facteur d’innovation politique.

46Dans quelle mesure pouvons-nous généraliser les conclusions tirées sur la base du cas valaisan ? Nous ne le savons pas encore, les recherches devant être élargies. Quelques indices nous suggèrent toutefois que Bagnes n’était pas un cas exceptionnel. À Vouvry par exemple, commune de plaine, nous observons au XIXe siècle un rapport similaire entre libéralisme-radicalisme et une relative liberté sexuelle : nous y reviendrons (cf. partie II, chap. iv).

  • 32 Au XVIIIe siècle la mortalité des enfants illégitimes était nettement plus élevée que celle des en (...)

47Pour le XVIIIe siècle, toutefois, les données généalogiques de Vouvry sont moins fiables et plusieurs questions demeurent ouvertes. Si certaines familles de la classe politique républicaine – comme les Cornut – semblent avoir eu des comportements sexuels plus libres que l’élite traditionnelle, des recherches plus approfondies seraient nécessaires pour confirmer ces impressions. Nous observons néanmoins que les enfants illégitimes de Vouvry tendent à être mieux intégrés dans la société dans la mesure où leur nombre augmente : dès la moitié du XVIIIe siècle, la très haute mortalité des enfants illégitimes tend à décliner, une tendance qui se prolongera dans le XIXe siècle32.

Sexualité et milieux sociaux, au XVIIIe siècle

48Le concept de « bastardy-prone-sub-society », proposé par Peter Laslett et Karla Osterveen, est à préciser : au XVIIIe siècle, les familles des IIRI – ou les groupes aux comportements sexuels hétérodoxes – ne constituent pas une « sub-society » isolée du reste de la communauté et marginalisée. Au contraire, nous avons l’impression que ces groupes sont parfaitement intégrés. Si une tendance à la formation de sous-réseaux homogènes peut être observée, elle se base plutôt sur des idées politiques partagées que sur des comportements sexuels.

49Observons par exemple le groupe Michellod 5, qui au XVIIIe siècle est le plus grand « producteur » d’IIRI de la commune et appartient au noyau de la faction opposée à l’abbé : les alliances du groupe au XVIIIe siècle concernent seulement en partie d’autres groupes d’IIRI – tels que les Cretton 2, les Colombin 2 ou les Troillet 7. Souvent, elles sont nouées avec des groupes sans caractéristiques sexuelles évidentes.

50Si nous nous concentrons sur le groupe d’activistes politiques de Montagnier (Mo), toutefois, qui a un nombre élevé d’IIRI, nous observons que les alliances sont nouées de préférence avec de groups qui ont également une tendance visible vers des relations illicites, comme les Cretton 2, les Collombin 2 ou les Troillet 7.

51La même observation vaut pour d’autres groupes similaires, tels que les Besson 14 : c’est dans la famille restreinte des individus ayant eu des relations illicites que les alliances avec des familles similaires se cumulent – les Gard 2, les Filliez 3, les Maret 49 – mais d’autres familles de la même branche ont des alliances différentes.

52La tendance à former des réseaux privilégiés avec des familles avec des caractéristiques politiques et sexuelles semblables est donc sélective et ne suffit pas à créer des sous-groupes fermés. Même du point de vue de la parenté spirituelle, cette observation se confirme : les parrains du groupe Michellod 5 sont pour la plupart des membres de la faction d’opposition, mais ils ne sont pas tous issus de familles avec beaucoup d’IIRI. La « bastardy-prone-sub-society » évoquée par Laslett doit donc, dans notre cas, être vue de façon nuancée : elle ne représente pas une sous-société isolée et marginalisée par rapport au reste de la collectivité ; il s’agit plutôt d’une série de familles ayant souvent des rapports privilégiés entre elles, et qui, par la parenté, la parenté spirituelle et les échanges sociaux, restent bien intégrées dans la commune.

53L’exemple des Besse 3 montre de façon claire comment un milieu spécifique se construit surtout pendant les années 1730 et 1740, dans lequel une série de relations illicites confirment ou soutiennent des solidarités politiques. C’est, comme nous l’avons dit, la période de polarisation politique qui précède la révolte de 1745.

54Dans le groupe même, nous n’observons aucune naissance illégitime, mais plusieurs conceptions prénuptiales, concernant des femmes de la famille. La première que nous pouvons détecter remonte à 1718 ; elle introduit le mariage entre Marie-Pétronille Besse et André Maret. Un cas intéressant car Marie-Pétronille est la nièce du leader de l’opposition, Angelin Besse ; son époux participera à l’émeute de 1745, comme son frère, Jean-Hubert Maret.

55Par les Maret (39), les Besse nouent une alliance avec une famille qui occupe une position centrale dans le réseau oppositionnel du Châble : elle fait partie d’un réseau parental qui comprend la plupart des participants à l’émeute résidant dans ce village, et qui est uni par des rapports sociaux très intenses. Les frères et sœurs de Jean-Hubert et André Maret sont alliés à d’autres opposants à l’abbé de Saint-Maurice, comme les frères Terrettaz, les Bruchez 3 de Villette, et plus tard les Farquet 1.

56En même temps, le groupe Maret est aussi lié à des groupes parentaux aux comportements sexuels suspects, tels que les Mabillard 1 (double alliance) et surtout les Terrettaz 7, dont sont issus trois enfants illégitimes au XVIIIe siècle.

Figure 7. – Milieu oppositionnel autour du groupe Besse 3, 1680-1745.

57La deuxième relation illicite visible est celle de Marie-Marguerite Besse avec Martin Rey en 1726. Par ce biais, les Besse entrent en contact avec un autre groupe qui certes ne manifeste pas de particularités dans les comportements sexuels, mais qui est étroitement lié à l’opposition : Les frères et sœurs de Martin Rey ne se marient pas, mais ses parentes les plus proches soit les cousines germaines, s’unissent avec deux émeutiers ; de plus, la fille d’une autre cousine épousera plus tard le frère d’un autre émeutier.

58La troisième relation illicite dans le groupe Besse unit en 1737 Ludivine Besse à Maurice Perron, le frère d’un émeutier de 1745. Dans la famille Perron, la sœur aînée de Maurice est une fille illégitime reconnue par son père. Il est presque inutile de préciser que les Perron sont également liés à plusieurs autres familles de l’opposition de Bagnes (voir figure 7).

59Entre-temps Anne-Marie Besse a épousé en 1733 Jean-François Lang ; la relation n’est pas visiblement illicite, mais Lang provient d’un autre groupe intéressant du point de vue des comportements sexuels : Jean-François est lui-même le fruit d’une conception prénuptiale, tandis que sa tante est une fille illégitime. Deux ans plus tôt, une cousine d’Anne-Marie s’est en outre unie avec un autre émeutier, Maurice Pellissier.

60Enfin en 1740, Marguerite Besse célèbre son mariage avec François-Joseph Tissières, un autre émeutier de 1745 : inutile de préciser qu’elle porte déjà dans son ventre le fruit d’une relation illicite.

61En résumé, malgré la difficulté de rendre compte de la complexité des réseaux parentaux, de leurs implications politiques et sexuelles, la stratégie relationnelle et matrimoniale des Besse pendant les années 1715-1765 est clairement orientée vers un milieu qui partage les mêmes valeurs, les mêmes attitudes politiques et sexuelles.

62Les relations illicites ont un rôle important dans la construction de ce réseau ; mais de l’autre côté, les relations du groupe en tant que tel restent ouvertes, et des unions avec des familles différentes ont évidemment place dans cette stratégie.

La nouvelle élite et les femmes

63Une question fondamentale reste ouverte : quelle est la raison de ce rapport particulier entre opposition politique et comportements sexuels plus libres ? Nous devons avouer que nous ne disposons d’aucune source provenant de Bagnes qui nous éclaire sur ce point ; tout ce que nous pouvons faire est donc de formuler quelques hypothèses, en interprétant l’évolution générale de la région au XVIIIe et au début du XIXe siècle.

64Comme nous l’avons vu, la faction des opposants à l’abbé ne nous a pas légué un programme politique précis. Ce n’est d’ailleurs nullement un groupe figé avec une idéologie précise. Nous pouvons toutefois lire derrière ses actions des intérêts et des exigences qui s’articulent sous la pression de la politique conservatrice et en partie rigoriste des abbés.

  • 33 En 1741, l’abbé de Saint-Maurice, Joseph Claret publie un mandat contre le port d’un nouveau modèl (...)
  • 34 Cela du moins dans la perspective des autorités de la période française : voir Personnages du Vala (...)

65Depuis les années 1720, les foires insèrent la vallée dans les circuits du commerce interrégional : les marchands, les éleveurs et les bouchers veulent ouvrir la vallée, développer les échanges et les affaires, en profitant pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle d’une conjoncture plus favorable. Une partie de la population manifeste le désir d’améliorer ses conditions de vie en consommant de nouveaux produits – soieries, cotonnades, mousselines, mais aussi eaux-de-vie et vêtements à la mode. Les femmes suivent de nouvelles modes, adoptent de nouvelles robes et de nouveaux accessoires, que le seigneur tente d’interdire en partie : dans le Valais occidental, le rôle et la visibilité des femmes deviennent des enjeux importants dans les débats de l’époque33. Tandis que les personnages les plus aisés, ou les plus ambitieux, se font peindre par l’artiste local Félix Corthay, portraitiste renommé en Valais, les femmes apparaissent elles aussi sur de nombreuses toiles. Le portrait est l’un des canaux par lesquels elles s’affirment dans la société de l’époque. Mais ce n’est pas le seul : on remarque en général que, jouissant d’une meilleure formation (elles écrivent mieux que leurs mères), elles apparaissent désormais en société, dans les salons, au théâtre… un point qui indispose les conservateurs34. Comme dans le reste de l’Europe, la formation des femmes est donc l’objet de débats politiques ; mais le souci de donner une meilleure formation aux enfants est aussi au cœur des préoccupations de cette élite. À Bagnes, plusieurs écoles de village sont fondées aux XVIIe et XVIIIe siècle, ce qui laisse penser que la population locale est mieux formée.

66Il est intéressant de remarquer que les premiers personnages qui se font portraiturer avec leur femme par l’atelier de Félix Corthay sont des hommes proches de l’élite proto-libérale de la fin du XVIIIe siècle, comme Pierre-Augustin Bruchez (1797), conseiller sous la République helvétique et descendant d’une famille du noyau oppositionnel, son gendre Bernard Filliez, Pierre-Maurice Besse, lui aussi conseiller sous la république, ou encore Frédéric Gard, fils du commissaire républicain de la vallée, qui joue aussi un rôle très actif sous la république et sera l’un des protagonistes du libéralisme bagnard jusque dans les années 1830. On peut citer encore Jean-Pierre Carron, qui n’a pas de charges politiques mais qui appartient au groupe de bouchers et marchands de bétail ayant fortement soutenu l’opposition à l’abbé de Saint-Maurice.

67Les formes de relâchement sexuel que nous avons observées – qui restent en tout cas limitées du point de vue quantitatif – semblent être liées à ces nouvelles aspirations économiques, politiques et culturelles. Elles représentent aussi un moyen de marquer une identité spécifique, c’est-à-dire une attitude sociale plus libérale et tolérante, plus ouverte face à l’austérité des abbés.

68Nous n’avons que peu de témoignages directs de personnalités bagnardes. Mais les études sur les élites valaisannes de l’Ancien Régime semblent confirmer cette hypothèse : dans les districts du Valais francophone, qui restent sujets de la république des Sept Dizains, on observe l’émergence d’une classe cultivée, sensible aux influences françaises et à de nouveaux modèles sociaux et familiaux. La rigidité et l’intransigeance de la classe politique haut-valaisanne poussent une partie de ces élites vers l’opposition : en 1790-1791, le mécontentement éclate dans des troubles locaux, dont les protagonistes – comme Charles-Emmanuel de Rivaz et sa famille – joueront un rôle important à l’époque de la République helvétique.

69La religion, ou les interprétations des préceptes religieux, jouent un rôle central dans cette évolution. Un certain bien-être, les évolutions des coutumes sont probablement liés au désir d’être moins soumis au contrôle du clergé, ainsi qu’aux règles strictes de la morale catholique.

  • 35 Anne Fillon, Les trois bagues aux doigts, op. cit.

70Mais un autre facteur est à considérer attentivement : l’évolution des conceptions de la femme. Là aussi, les sources bagnardes sont peu éloquentes ; nous pouvons néanmoins suivre certaines évolutions dans d’autres familles valaisannes, qui nous ont laissé une documentation plus abondante. Nous pouvons donc observer la mise en valeur progressive de l’amour conjugal à l’intérieur du couple – ce que les historiens ont défini comme un « compagnonnage » entre mari et femme – ou d’un sentiment d’« amitié » entre les membres de la même famille. En même temps, nous observons une nouvelle attitude par rapport aux enfants, une attention accentuée portée à leurs exigences et à leurs inclinations. De ce point de vue, nous pouvons supposer que l’augmentation des relations illicites visibles est liée à des transformations culturelles, à une certaine tolérance envers le choix des enfants, à un contrôle patriarcal assoupli35 : Au lieu de l’autorité du père, de la discipline sociale, les nouveaux parents mettent en avant plutôt la formation et la culture, le rapport affectif comme valeurs centrales dans l’éducation des enfants.

  • 36 Personnages du Valais fichés par l’administration française…, publiés par André Donnet, op. cit. V (...)

71De nouvelles attitudes s’imposent pour les femmes également : désormais, le bon ton exige que les femmes soient plus éduquées, plus cultivées que leur mère et grand-mère, qu’elles participent activement à la vie sociale, culturelle et mondaine des centres de la région : du moins, dans les familles qui ne veulent pas être considérées comme rétrogrades36.

72L’image de la femme, de la famille, de l’amour et de la sexualité est donc étroitement liée au processus de transformation politique et sociale qui caractérise la fin du XVIIIe siècle : nous devons maintenant examiner de plus près comment ces aspects sont liés entre eux.

Tableau 15. – Alliances dans la branche Michellod 5 au XVIIIe siècles : relations avec le milieu oppositionnel et caractéristiques sexuelles des branches alliées.
Légende : ILL : relation illicite ; m.ILL : l’épouse a été mère illégitime ; Ix : n. de IIRI dans la branche ; E : émeutier en 1745 ; RH : membre du Conseil sous la République helvétique ; ALL : alliance impliquant un activiste politique ; AR : plusieurs alliances avec le même groupe.

Notes

1 Récemment par exemple Scarlett Bauvalet, Histoire de la sexualité à l’époque moderne, Paris, A. Colin, 2010 ; Anna Clark, Desire. An History of European Sexuality, New York, London, Routledge, 2008 ; Kathrin Crawford, European Sexualities, 1400-1800. New Approaches to European History, Cambridge, Cambridge University Press, 2006 ; Kathrin Crawford, « Privilege, Possibility, and Perversion : Rethinking the Study of Early Modern Sexuality », in The Journal of Modern History, 2006 ; H. G. Cocks, Matt Houlbrook, (ed.), Palgrave Advances in the Modern History of Sexuality, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005 ; Robert A. Nye (ed.), Sexuality, Oxford (etc.), Oxford University Press, 1999 ; Stephen Garton, Histories of Sexuality : Antiquity to Sexual Revolution, London, Equinoxe, 2004 ; Franz X. Frühstück, Sabine (ed.), Neue Geschichten der Sexualität. Beispiele aus Ostasien und Zentraleuropa 1700-2000, Wien, 2000.

2 Cité dans M. Bernoset al., Le fruit défendu. Les chrétiens et la sexualité de l’antiquité à nos jours, Paris, Le Centurion, 1985, p. 160. Il est presqu’impossible de mentionner la vaste littérature sur l’histoire de la sexualité : quelques ouvrages classiques : Jean-Louis Flandrin, Les amours paysannes (XVIe-XIXe siècle), Paris, Gallimard/Julliard, 1975 ; Idem, Le sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Paris, Le Seuil, 1981 (surtout p. 303-321 et p. 109-135) ; Peter Laslett, Family Life and Illicit Love in earlier Generations, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1977 ; P. Laslett, K. Oosterveen et R. M. Smith (ed.), Bastardy and its comparative History, London, 1980 ; Philippe Ariès, André Béjin (éd.), Sexualités occidentales, Paris, Le Seuil, 1982.

3 Voir par exemple Edward Shorter, Written in the Flesh. A History of Desire, Toronto, Buffalo, London, University of Toronto Press, 2005.

4 Peter Hersche, Musse und Verschwendung. Europäische Gesellschaft und Kultur im Barockzeitalter, Freiburg, Basel, Wien, Herder, 2007, p. 726 (trad. S. Guzzi-Heeb).

5 Voir parmi les ouvrages récents : Kathrine Crawford, European Sexualities, 1400-1800, op. cit. ; Franz X. Frühstück, Sabine (ed.), Neue Geschichten der Sexualität. Beispiele aus Ostasien und Zentraleuropa 1700-2000, Wien, 2000. Plus discutable : Edward Shorter, Written in the Flesh, op. cit.

6 Markus Lischer, « Illégitimité », in Dictionnaire historique de la Suisse, version en ligne : [www.dhs.ch], consultée le 5 novembre 2009. Sur l’illégitimité voir par exemple les ouvrages classiques : Edward Shorter, Illegitimacy, Sexual Revolution and Social Change in Modern Europe, Journal of Interdisciplinary History 2, 1971, p. 237-272 ; Peter Laslett, Family Life and Illicit Love in earlier Generations, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1977 ; P. Laslett, K. Oosterveen et R. M. Smith (ed.), Bastardy and its comparative History, London, 1980 ; Jean-Louis Flandrin, Le sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Paris, Le Seuil 1981 (en particulier p. 303-321 et p. 109-135) ; Michael Mitterauer, Ledige Mütter. Zur Geschichte illegitimer Geburten in Europa, München, 1983, 173 p. ; Christian Pfister, Bevölkerungsgeschichte und historische Demographie 1500-1800, München, R. Oldenbourg-Verlag, 1994, p. 86-88. Récemment : Lisa Zunshine, Bastards and Foundlings. Illegitimacy in Eighteenth-Century England, Columbus, 2005 ; Jeremy Hayhoe, Illegitimate, inter-generational conflict and legal practice in eighteenth-century Northern Burgundy, Journal of social history, vol. 38, no 3, 2005, p. 673-684.

7 Edward Shorter, Illegitimacy, Sexual Revolution and Social Change…, op. cit. ; cf. Anne Fillon, Les trois bagues au doigt : amours villageoises au XVIIIesiècle, Paris, R. Laffont, 1989.

8 Plusieurs études sur l’illégitimité ont reconstruit les histoires personnelles des femmes concernées et leur position sociale sur la base des actes judiciaires, soulignant l’inégalité dans leurs rapports avec les hommes : voir par exemple pour la Suisse, Lucienne Hubler, La population de Vallorbe du XVIe au début du XIXe siècle, Lausanne, Bibl. historique vaudoise, 1984, p. 203-224 ; cf. Jean-Marie Zingraff, « L’illégitimité à Nancy au XVIIIe siècle », in D. Dermenjian, J. Guilhaumou, M. Lapied (dir.), Femmes entre ombre et lumière. Recherches sur la visibilité sociale (XVIe-XXe siècles), Paris, Éd. Publisud, 2000, p. 177-187 ; Jacques Solé, L’amour en Occident à l’Époque moderne, Paris, Albin Michel, 1976, p. 185-217.

9 Plusieurs interprétations ont repris plus ou moins explicitement le concept freudien de sublimation pour proposer des interprétations très générales de la modernisation, de la naissance de la famille moderne ou de la civilisation, mais à un niveau très abstrait : voir par exemple Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, 2 vol. , Bern, München, Francke, 1969 ; Edward Shorter, The making of the modern family, New York, Basic Books, cop., 1975 ; Robert Muchembled, L’orgasme et l’Occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, 2005. Nous reviendrons sur les problèmes liés à cette vision de l’évolution sociale dans le chapitre suivant.

10 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, 3 vol., Paris, Gallimard, 1976-1978 ; Thomas Laqueur, Making Sex : Body and Gender from the Greeks to Freud, Cambridge (MA), London, Harvard University Press, 1990 ; Philipp Sarasin, Reizbare Machinen. Eine Geschchte des Körpers, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 2001.

11 Le point de départ pour comprendre la sexualité illicite est les données des registres de la paroisse de Bagnes sur les enfants illégitimes et les conceptions prénuptiales. Nous avons considéré tous les enfants nés avant la fin du 7e mois après le mariage des parents comme des conceptions prénuptiales et les enfants nés avant l’écoulement du 8e mois comme des conceptions prénuptiales probables. Élaboration statistique : Arnaud Bringé (INED, Paris).

12 Pour la Suisse : Markus Lischer, « Illégitimité », op. cit. ; Susanna Burghartz, Zeiten der Einheit. Orte des Unzucht. Ehe und Sexualität in Basel während der Frühen Neuzeit, Paderborn, 1999, 330 p. ; Lilane Mottu-Weber, « “Paillardises”, “anticipation” et mariage de réparation à Genève au XVIIIe siècle », in Revue suisse d’histoire 52, 2002, p. 430-447 ; Brigitte Schnegg, « Illegitimität im ländlichen Bern des 18. Jahrhunderts », in Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde, 44, 1982, p. 53-86 ; Lucienne Hubler, La population de Vallorbe, op. cit., p. 203-224 ; M. Alt, E. Sutter, « Bethört, verführt, gefallen… », in Itinera, 1985, 2/3, p. 120-148 ; Eva Sutter, Ein Act des Leichtsinns und der Sünde, : Illegitimität im Kanton Zürich : Recht, Moral und Lebensrealität (1800-1860), Zurich, Chronos, 1995 ; Sandro Guzzi-Heeb, Donne, uomini, parentela. Casati alpini nell’Europa pre-industriale (1650-1850), Torino, Rosenberg & Sellier, 2008. Cf. Edward Shorter, Illegitimacy, Sexual Revolution and Social Change in Modern Europe, Journal of Interdisciplinary History 2, 1971, p. 237-272 ; Michael Mitterauer, Ledige Mütter. Zur Geschichte illegitimer Geburten in Europa, München, 1983 ; Christian Pfister, Bevölkerungsgeschichte und historische Demographie, op. cit., p. 86-88. Plus récemment : Lisa Zunshine, Bastards and Foundlings, op. cit. ; Jeremy Hayhoe, Illegitimate, inter-generational conflict and legal practice, op. cit.

13 Cf. Sandro Guzzi-Heeb, Sexe, parenté et politique dans une vallée alpine au XIXe siècle, in Annales de démographie historique, 2010-1, novembre 2010, p. 115-137.

14 Myriam Evéquoz-Dayen, « Inconduite et contrôle social dans Le Valais romand (1780-1850) », in Equinoxe 20, 1998, p. 79-87. Un régime semblable est en vigueur dans les cantons suisses voisins, par exemple dans le canton protestant de Berne et dans ces baillages du Pays de Vaud : Schnegg, Illegitimität im ländlichen Bern des 18. Jahrhunderts…, op. cit. ; Hubler, La population de Vallorbe, op. cit.

15 À Sembrancher, près de Bagnes, l’adultère est puni au XVIIe siècle par une amende de 60 sous, mais les coupables peuvent être condamnés à être fouettés nus en public. Au début du XIXe siècle, à Bagnes, les auteurs de crimes sexuels tel que l’inceste – un acte sexuel avec un-e parent-e – était puni par l’exposition au carcan : Registres des jugements criminels et correctionnels du tribunal d’Entremont, dans archives du trib. d’Entremont 5075 A1 (par exemple procédure contre Dominique Turinoz, 29 janvier 1817…).

16 A. A. S. M., TIR 10/6/14, 15, 1762-1763.

17 Déjà pendant les années 1980, plusieurs auteurs ont indiqué la cumulation de comportements sexuels illicites dans des secteurs précis de la société : voir Karla Osterveen, Richard M. Smith et Susan Stewart, « Family reconstruction and the study of bastardy : evidence from certain English parishes », in P. Laslettet al. (ed.), Bastardy and its comparative History, op. cit., p. 86-140. Cf. Pier Paolo Viazzo, « Illegitimacy and the European Mariage Pattern : Comparative Evidence from the Alpine Area », in L. Bonfield, R. M. Smith et K. Wrightson (ed.), The World we have Gained. Histories of Population and social structure, London, Basil Blackwell, 1986, p. 100-121.

18 Peter Laslett, « The bastardy prone sub-society », in P. Laslettet al. (ed.), Bastardy and its comparative History, op. cit., p. 217-246.

19 Karla Osterveen, Richard M. Smith et Susan Stewart, Family reconstruction and the study of bastardy, op. cit., p. 86-140. Pour l’espace alpin cf. Pier Paolo Viazzo, « Illegitimacy and the European Mariage Pattern », op. cit. Pour la Suisse, la tendance à considérer la sexualité illégitime comme une variable dépendante prévaut nettement : voir Markus Lischer, « Illégitimité », op. cit. ; Susanna Burghartz, Zeiten der Einheit. Orte des Unzucht, op. cit. ; Lilane Mottu-Weber, « “Paillardises”, “anticipation” et mariage de réparation à Genève au XVIIIe siècle », in Revue suisse d’histoire 52, 2002, p. 430-447 ; Brigitte Schnegg, « Illegitimität im ländlichen Bern des 18. Jahrhunderts », in Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde, 44, 1982, p. 53-86 ; Lucienne Hubler, La population de Vallorbe, op. cit., p. 203-224 ; M. Alt, E. Sutter, « Bethört, verführt, gefallen… », in Itinera, 1985, 2/3, p. 120-148 ; Eva Sutter, Ein Act des Leichtsinns und der Sünde, : Illegitimität im Kanton Zürich : Recht, Moral und Lebensrealität (1800-1860), Zurich, Chronos, 1995.

20 De ce point de vue, les cas de conception hors mariage cumulés dans certaines familles ou branches ne peuvent plus être considérés comme des simples accidents. Nous avons considéré qu’une conception prénuptiale isolée dans un certain groupe parental peur être un accident et n’a pas une signification particulière. Au contraire, nous avons supposé que deux conceptions prénuptiales (éventuellement probables) ne sont pas dues au hasard si elles concernent le même groupe familial (parenté jusqu’au 2e degré). Dans ces cas, nous proposons de voir cette proximité comme l’indicateur d’une morale sexuelle moins rigide dans un certain groupe – comme on peut le voir plus clairement pour le XIXe siècle.

21 A. A. S. M., TIR 10/6/14, 15, 1762-1763.

22 Solé, L’amour en Occident…, op. cit. ; Hubler, La population de Vallorbe, op. cit. ; Sutter, Ein Act des Leichtsinns…, op. cit.

23 Par simplicité, nous n’avons considéré jusqu’ici que des groupes parentaux patrilinéaires – bien reconnaissables dans les généalogies de Bagnes : mais on voit sans difficulté que, le plus souvent, des groupes avec des comportements moins traditionnels s’allient entre eux. Nous y reviendrons.

24 Isabel V. Hull, Sexuality, State, and Civil Society in Germany, 1700-1815, Ithaca, London, Cornell Univ. Press, 1996 ; Ulrike Strasser, State of Virginity : Gender, Religion and Politics in an early modern Catholic State, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2004 ; S. Burghardz, Orte der Reinheit, op. cit.

25 George L. Mosse, Nationalism and Sexuality. Respectability and Abnormal Sexuality in Modern Europe, New York, Howard Fertig Inc., 1985 ; idem, The Image of man : the Creation of Modern Masculinity, New York, Oxford Univ. Press, 1998. Cf. récemment Alexandra Przyrembel, « “Rassenschande” : Sexualität, “Rasse” und das “Jüdische” vor NS-Gerichten in den Jahren 1935 bis 1945 », in Historische Anthropologie 12, 2004, p. 338-354 ; Kathrin Crawford, « Discursive Deviance : Sexual Slander and Politics during the Regency of Philippe d’Orléans », in Proceedings of the Western Society for French History, Barry Rothaus, vol. 29, 2003, p. 255-262.

26 Voir par exemple les remarques de Peter Hersche, Musse und Verschwendung…, op. cit., p. 726.

27 Dans ces sources, nous avons sélectionné 499 mentions de caractère politique, mais plusieurs mentions peuvent concerner le même individu.

28 Nous avons considéré tous les enfants nés entre la fin du 7e mois après le mariage et avant l’écoulement du 8e mois comme des conceptions prénuptiales probables (cf. note 11).

29 Si nous considérons également trois conceptions prénuptiales probables (voir note 27), nous observons dix événements intéressants dans cette branche.

30 Surtout des groupes du noyau de la faction oppositionnelle, comme les Michellod 5 et les Troillet 7… qui avaient conçu de nombreux enfants en dehors du mariage. Les Filliez 4 de Bruson étaient un autre groupe oppositionnel influent : on compte dans cette branche quatre conceptions prénuptiales entre 1724 et 1805, toutes avec des partenaires provenant de groupes oppositionnels – d’émeutiers de 1745 ou de sponsors de la Grande École en 1766.

31 Il faut considérer un biais éventuel, parce que les familles aisées pouvaient cacher des relations illicites plus facilement que les autres, par exemple en envoyant des mères non mariées accoucher en dehors de la vallée.

32 Au XVIIIe siècle la mortalité des enfants illégitimes était nettement plus élevée que celle des enfants légitimes. Sandro Guzzi-Heeb, Donne, uomini, parentela…, op. cit., p. 238-241.

33 En 1741, l’abbé de Saint-Maurice, Joseph Claret publie un mandat contre le port d’un nouveau modèle de jupon par les femmes de Vérossaz, petit village près de Saint-Maurice (A. A. S. M., CART-XVIII-038) ; Thomas Antonietti, Mode, Macht und Tracht : Kleidungsverhalten in Visperterminen und im Wallis, 1700-2000, Baden, Hier + Jetzt Verlag für Kultur und Geschichte, 2003. Cf. S. Guzzi-Heeb, Donne, uomini, parentela…, op. cit.

34 Cela du moins dans la perspective des autorités de la période française : voir Personnages du Valais fichés par l’administration française du Département du Simplon (1811). Trois exemples de la « statistique morale et personnelle » de l’Empire, publiés par André Donnet, in Vallesia 41, 1986.

35 Anne Fillon, Les trois bagues aux doigts, op. cit.

36 Personnages du Valais fichés par l’administration française…, publiés par André Donnet, op. cit. Voir aussi les observations, souvent critiques, d’Anne-Joseph de Rivaz sur l’influence des femmes dans la société et la politique valaisanne de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle : Anne-Joseph de Rivaz, Mémoires historiques sur le Valais, 1798-1834, 3 vol., Lausanne, Payot 1961, par exemple vol. 3, p. 120.

Table des illustrations

Légende Tableau 13. – Conceptions prénuptiales et naissances illégitimes selon le statut des enfants (attribution au père ou à la mère). Sources : registres paroissiaux. Élaboration statistique : Arnaud Bringé, INED et S. Guzzi-Heeb.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/51065/img-1.jpg
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Légende Figure 7. – Milieu oppositionnel autour du groupe Besse 3, 1680-1745.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/51065/img-2.jpg
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Légende Tableau 15. – Alliances dans la branche Michellod 5 au XVIIIe siècles : relations avec le milieu oppositionnel et caractéristiques sexuelles des branches alliées.Légende : ILL : relation illicite ; m.ILL : l’épouse a été mère illégitime ; Ix : n. de IIRI dans la branche ; E : émeutier en 1745 ; RH : membre du Conseil sous la République helvétique ; ALL : alliance impliquant un activiste politique ; AR : plusieurs alliances avec le même groupe.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/51065/img-3.jpg
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