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    Plan détaillé Texte intégral La mise en scène versaillaise ou l’histoire domestiquée Louis XIV, le Grand Siècle et leurs discours à la cour des Tuileries et dans une iconographie de la monarchie de Juillet Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Louis XIV, l’image et le mythe

    Ce livre est recensé par

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    Louis XIV et le décor louis-quatorzien à la cour de Louis-Philippe : enjeux et perspectives d’une filiation historique et esthétique

    Sylvain Cordier

    p. 275-286

    Texte intégral La mise en scène versaillaise ou l’histoire domestiquée Les artifices d’un voyage dans le temps Une mise en regard des deux monarques Louis XIV, le Grand Siècle et leurs discours à la cour des Tuileries et dans une iconographie de la monarchie de Juillet Le décor des Tuileries Le grand ancêtre, le grand Français, le grand homme d’État : les nécessités stratégiques d’une figure tutélaire pour la maison d’Orléans Bibliographie BIBLIOGRAPHIE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1La relation entretenue par Louis-Philippe avec le souvenir de Louis XIV, son lointain prédécesseur à la tête de l’État, constitue un aspect intéressant de la personnalité du roi des Français. Elle fut, dans le même temps, l’un des facteurs de réévaluation de la figure du « Grand Roi » dans la France contemporaine, après la période révolutionnaire. De prime abord, tout ou presque devait opposer le Roi-Citoyen à la mémoire du Roi-Soleil, le prince de la Charte de 1830 au monarque absolu, le chef d’un régime libéral héritier des bouleversements de 1789 au souverain emblématique de l’Ancien Régime. Pourtant, un incontestable lien semble avoir uni Louis-Philippe, passionné d’histoire nationale, à son illustre parent. Louis XIV s’impose même, sous divers angles, comme une vraie référence pour la maison d’Orléans montée sur le trône. Ce lien trouva un écho particulier dans la nature des décors de vie des membres de la famille royale, et dans la politique culturelle et patrimoniale de la monarchie de Juillet.

    2Il convient donc de mettre en lumière les différentes manifestations de cette relation transgénérationnelle, avant de s’interroger sur ses motivations, familiales et esthétiques, mais aussi et surtout politiques et partisanes.

    La mise en scène versaillaise ou l’histoire domestiquée

    3L’événement le plus emblématique attestant la mise en valeur du règne de Louis XIV par Louis-Philippe est certainement le réaménagement, dans une perspective muséographique, du château de Versailles. Bien que dévolu à la célébration d’une histoire nationale au sens large, de Clovis à 1830, l’endroit n’était en aucun cas historiquement neutre, mais, par essence, dans l’esprit des contemporains, un lieu louis-quatorzien.

    Les artifices d’un voyage dans le temps

    4Le chantier prévoyait, outre la création des nouvelles galeries historiques, la restauration et le remeublement des Grands Appartements et de l’appartement du Roi1. L’idée avait été en effet de tenter, dans la mesure des connaissances de l’administration et des artistes et artisans de ces années 1830, de restituer pour le public un décor de la vie de cour autour de 1700. Dans son livre Fontainebleau, Versailles, Paris, qui décrit l’ouverture du musée en 1837 à l’occasion de la célébration du mariage du duc d’Orléans, Jules Janin développe abondamment l’impression de voyage dans le temps que donne la muséographie historiciste sur le visiteur, « le siècle de Louis XIV tout entier, brillant, paré, glorieux2 ». Le banquet d’inauguration, au premier étage du corps central, ressuscite aux yeux des invités les fastes et l’esprit d’une époque révolue :

    « Le banquet a duré une heure. Le roi est sorti de la galerie des Glaces par l’Œil-de-bœuf où les convives ont suivi S. M. ; on y étouffait en cet instant ; il y avait foule, comme au bon temps à la porte de la chambre du Lit, et on eût pu croire que Louis XIV était encore là, distribuant ses grâces et ses faveurs3. »

    5Ce rapport à l’histoire nationale n’est pas uniquement fondé sur le plaisir d’un illusoire voyage dans le temps. S’y superpose en effet un discours finalement beaucoup plus idéologique : Versailles ouvert au public, c’est la société contemporaine, post-révolutionnaire et libérale, rendue maîtresse des lieux de l’ancienne monarchie. À ce titre, dans le projet d’ouverture d’un musée « à toutes les gloires de la France », un programme de reconstitution des espaces de l’ancienne cour était donc absolument nécessaire, non pas seulement pour faire croire au spectateur français du XIXe siècle un retour, l’espace d’une journée, au temps de Louis XIV, mais pour exprimer au mieux l’idée que cette phase de l’histoire de France se trouvait plus ou moins respectueusement domptée par la France du XIXe siècle et la monarchie de Juillet :

    « Mais aujourd’hui enfin, grâce à cette intelligente volonté qui gouverne la France, nous croyons à tout ce qu’on dit dans les histoires de la grandeur de Louis XIV ; nous croyons au palais de Versailles. Quel miracle ! en 1836, après tant de révolutions tout en faveur de ce nouveau et légitime souverain de la France, qu’on appelle le peuple, tout d’un coup, et comme par un enchantement sans exemple, voici que ce palais de Versailles, couché par terre, sort de ses ruines4… »

    6L’idée était ainsi de reconstituer un XVIIe siècle palpable. À cette fin on exposa plusieurs séries de meubles et de sièges historicistes commandés à dessein par le Mobilier de la Couronne à ses principaux fournisseurs. Ces meubles étaient destinés à certaines des pièces principales du corps central pour reconstituer un ameublement évoquant le Grand Siècle. Pour la galerie des Glaces, on commanda en 1835 un ensemble de banquettes et de tabourets à destination du public à deux ébénistes fournisseurs du Garde-Meuble de la Couronne depuis Louis XVIII : Pierre-Gaston Brion et Louis-Alexandre Bellangé5. Brion réalisa également une paire de consoles et un socle de pendule de style rocaille6. Le menuisier Jean-François-Pierre-Valentin Hurel livra en août 1836 un fauteuil et un bénitier en bois sculpté et doré pour le « cabinet confessionnal de Louis XIV » reconstitué7.

    7La chambre du Roi revêtait une importance particulière et l’administration fit appel à Jacob-Desmalter en 1834 pour les bois d’un lit royal, destinés à recevoir les tentures brodées censées provenir du lit de Louis XIV8. L’ébéniste développe une sorte de mélange stylistique entre l’Empire tardif et un répertoire baroque fait de volutes et de feuilles d’acanthe, accueillant au centre le masque irradié. Il s’agit là de l’exemple même de la reconstitution d’un objet historique perdu.

    8Dans cette logique, on ne peut guère s’étonner de l’absence de mise en garde du public sur la contemporanéité de telles commandes et l’illusion d’ancienneté des décors présentés. Il ressort de la lecture de Janin l’émotion de l’assistance, lors de l’inauguration, devant la possibilité de pouvoir presque « toucher » le XVIIe siècle de ses mains. La comtesse de Boigne est dans le même état d’excitation, persuadée notamment de s’être trouvée face au lit dans lequel avait en son temps dormi Louis XIV. Elle en fait dans ses Mémoires l’un des éléments phares de la visite des lieux. Janin, pour décrire la pièce, parle d’ailleurs de la « chambre du Lit9 » et non de la « chambre du Roi ». Cette illusion d’historicité du lit flambant neuf de Jacob-Desmalter perdure d’ailleurs après la monarchie de Juillet, comme le montre une petite scène historiciste de Victor Navlet, peinte en 1861, qui représente la pièce au XVIIe siècle occupée par deux dames en costume de cour, ou bien le célèbre Louis XIV et Molière de Jean-Léon Gérôme, de 186210.

    Une mise en regard des deux monarques

    9Cette instrumentalisation de la figure de Louis XIV par Louis-Philippe trouve des moyens d’illustration plus inattendus et cocasses que la muséographie. En marge de l’ouverture du Musée historique, Mme de Boigne raconte l’anecdote suivante :

    « On donnait le Misanthrope, pitoyablement joué, même par mademoiselle Mars […]. Le Roi avait fait préparer pour cette représentation de magnifiques costumes, dont il fit cadeau à la Comédie-Française. On les avait apportés le matin à Trianon. La Reine me raconta que le Roi s’étant diverti à en revêtir un, avec l’accompagnement obligé de la grande perruque, il était entré dans la chambre où elle se trouvait avec ses filles. Sa ressemblance avec Louis XIV était si frappante qu’elles avaient pu croire que le portrait peint par Rigaud avait quitté son cadre pour venir leur rendre visite11. »

    10On perçoit que, derrière la plaisante farce familiale, l’anecdote racontée à une tierce personne, probablement pour être diffusée dans les cercles parisiens, joue évidemment un rôle dans la récupération de la figure du Roi-Soleil. Les deux souverains sont parents, ils se ressemblent, et cette ressemblance prend un sens particulier à l’heure de la monarchie constitutionnelle : c’est le descendant qui, fort de sa parenté, fait majestueusement évoluer le régime français vers un régime parlementaire. La citation de Louis XIV prend dès lors un vrai sens dans le discours constitutionnaliste, en jouant sur le principe de continuité familiale dans la lente évolution des institutions.

    11Toujours dans le contexte de l’ouverture de Versailles, Mme de Boigne raconte une autre anecdote, cette fois au moment du dîner offert aux invités dans la galerie des Glaces :

    « La Roi se trouva être assis sous le tableau de la galerie où est inscrit en grosses lettres dorées : “Le roi gouverne par lui-même.” Comme c’était précisément au commencement des longues polémiques sur le texte du roi règne et ne gouverne pas, nous nous persuadâmes que cet incident serait relevé et commenté. Le Roi lui-même s’y attendait, mais il passa inaperçu12. »

    12C’est donc l’idée d’un Louis XIV conciliable avec l’orléanisme qui semble s’imposer comme l’un des enseignements de l’ouverture de Versailles au public et à l’opinion nationale. La comtesse de Boigne se plaint notamment beaucoup, lors de l’inauguration, de se sentir moins « officielle » que les « petits messieurs13 » de la presse au premier rang, dont Janin, qu’elle méprise cordialement, mais on comprend que leur présence était fondamentalement légitime dans l’opération.

    Louis XIV, le Grand Siècle et leurs discours à la cour des Tuileries et dans une iconographie de la monarchie de Juillet

    Le décor des Tuileries

    13La référence louis-quatorzienne dépasse, sous Louis-Philippe, les cadres du château de Versailles converti en Musée historique. Ainsi, un point essentiel et peu commenté de cette récupération de la figure de Louis XIV fut la définition, dans les Grands Appartements aux Tuileries, à la place de ce qui était le grand cabinet du Roi, d’un salon « Louis XIV ». Le fait est loin d’être anodin : il s’agissait du salon attenant à la salle du trône, espace particulièrement solennel pour l’Empire et la Restauration. Il était alors très nouveau dans l’histoire des grands décors régaliens français de voir la nomenclature d’une pièce officielle d’un appartement honorer un personnage de l’histoire nationale moderne.

    14Le décor du salon Louis XIV rendait bien sûr hommage à la mémoire du personnage et à son lien de parenté avec le roi des Français. Les tableaux exposés en témoignent. On trouvait ainsi accroché le célèbre Portrait de Louis XIV en costume de sacre par Rigaud, une copie, par Marigny, du Philippe V de France, duc d’Anjou, reconnu roi d’Espagne, le 16 novembre 1700 de Gérard (pl. 15) et un portrait rétrospectif, par Paulin Guérin, d’Anne d’Autriche et de ses enfants. Cette dernière œuvre a disparu ; on peut le voir en partie sur un cliché datant du Second Empire (fig. 1 et 2)14.

    15Ce programme s’interprète de façon limpide. Le roi en majesté dans le costume du sacre côtoie le roi dans l’exercice de la puissance souveraine et de la gloire politique, avec l’épisode de la succession d’Espagne, tandis qu’un portrait de famille vient rappeler sa parenté avec Louis-Philippe. Le terrain y était donc parfaitement balisé du point de vue iconographique, pour faire de Louis XIV une tutelle de la maison d’Orléans. Il n’est pas anodin à ce titre de rappeler que son intégration dans le décor du palais était pensée simultanément avec la suppression de la plupart des symboles traditionnels de l’ancienne monarchie, au premier rang desquels les fleurs de lys et les armes associées de France et de Navarre. Ce fut donc avec une certaine agilité que le nouveau régime remodela à son profit le système de symboles et de références. En outre, une commande plus tardive, dans les années 1843-1844, fut passée à Louis-Charles-Auguste Couder et à Jean Alaux pour les cartons d’une tenture accompagnant ce programme, en lui adjoignant l’évocation allégorique de la création du musée de Versailles en 1837. Cette tenture ne fut cependant jamais réalisée15.

    16Un autre exemple éclairant de cette dimension tutélaire est le décor de la salle à manger des appartements de Ferdinand-Philippe duc d’Orléans dans le pavillon de Marsan aux Tuileries. Les années 1837 à 1840 furent pour la maison du duc d’Orléans une période d’intenses commandes, mais également de réflexions sur ce que devait être la tonalité esthétique des appartements de l’héritier du régime de Juillet16. Or il convient de remarquer que le décor se détourne profondément de l’esprit néoclassique « à la Fontaine » au profit d’une logique plus historiciste, associant deux courants, le néo-Renaissance et le néo-Louis XIV.

    17La tonalité louis-quatorzienne était conférée aux appartements tout d’abord par l’activité de collectionneur du duc, et principalement par son goût pour le mobilier Boulle17. Mais elle transparaissait aussi à travers les commandes de mobilier moderne. Pour la salle à manger, le prince passa commande de trois ensembles de mobilier, à Louis-Alexandre et Alexandre Bellangé, sur les dessins de l’architecte Charles-Auguste Questel. Le premier groupe était une suite de trois buffets en acajou et ébène, qui n’existent plus de nos jours18. Le deuxième ensemble, plus intéressant pour notre propos, était une suite de quarante chaises décrites dans le mémoire de fournitures de Louis-Alexandre Bellangé comme « 40 chaises sculptées style Louis XIV ». Elles ne sont pas localisées non plus19, mais l’une d’elles est très vraisemblablement représentée sur un portrait du petit comte de Paris, le fils du duc et de la duchesse, par Winterhalter, datant de 1842 (fig. 3). Enfin, le troisième ensemble était une suite de quatre meubles à hauteur d’appui en style néo-Boulle, livrés par Alexandre Bellangé au début de l’année 184120.

    Le grand ancêtre, le grand Français, le grand homme d’État : les nécessités stratégiques d’une figure tutélaire pour la maison d’Orléans

    18Si la place particulière de Louis XIV dans le décor des palais monarchiques sous Louis-Philippe s’impose au regard de l’historien, il importe de s’interroger sur les raisons de ce phénomène. La principale semble assez évidente. Nous sommes dans une logique de rappel de parenté, destiné à servir de contrefort pour affermir les bases d’un régime ambigu de ce point de vue. Ce discours de filiation se manifeste dans les arts et les arts décoratifs, notamment dans la représentation des princes, et précisément dans l’usage fait de certains éléments de mobilier dans les portraits royaux. Le style Louis XIV matérialise ainsi l’héritage matériel du règne du « Grand Roi » dans le patrimoine de la maison d’Orléans, nouvelle maison de France. Deux exemples manifestes se trouvent dans l’œuvre de Winterhalter.

    19Le portrait de Louis-Philippe dans la galerie des Batailles, tout d’abord (pl. 16). Le roi campe ici en bâtisseur d’un nouveau Versailles, mais il est représenté devant deux objets d’art significatifs : la Jeanne d’Arc de sa fille la princesse Marie, et un fauteuil pris dans les collections du musée. L’intérêt de ce siège réside dans son ambiguïté : disposé à la manière du trône sur les portraits régaliens dans la tradition allant de Rigaud à Gérard, mais associé à une sculpture de la propre fille du roi, il évoque davantage l’idée d’un objet personnel, un meuble familial reçu en héritage, qu’un trône véritable.

    20Second exemple, moins commenté mais lui aussi très significatif : le portrait du petit comte de Paris de 1842, évoqué précédemment (fig. 3). L’enfant est représenté devant l’une des quarante chaises en bois doré livrées par Louis-Alexandre Bellangé pour la salle à manger de son père. Le siège néo-Louis XIV y est pourvu d’une incontestable portée politique, c’est un objet transhistorique destiné à servir la légitimité de la maison d’Orléans, une assise historique au sens propre comme au figuré. La référence au Napoléon sur le trône impérial d’Ingres s’impose, mais dans ce cas le petit prince n’est pas assis. Il s’adosse à l’assise d’un siège encore trop grand pour lui, stylistiquement évocateur de la lignée à laquelle il appartient et dont il procède. Par ailleurs, la chaise provenant de la salle à manger des appartements de son père, elle devait être identifiée comme telle à la cour : le jeune comte de Paris est donc représenté ici en tant que fils du duc d’Orléans, prince royal. La composition et la portée symbolique du portrait font enfin de cette chaise d’arrière-plan un instrument régalien. L’enfant, trop jeune et trop petit encore, ne peut y prendre place et se voit situé dans une sorte de référence à son grand-père, le roi.

    21Dans cette réflexion sur la filiation, un parallèle doit être établi avec l’utilisation de la figure d’Henri IV sous la Restauration, dès les premiers jours du retour de Louis XVIII en 1814. Il montre bien le rôle que le XIXe siècle confère aux grandes figures de l’histoire nationale, et notamment la portée politique du souvenir des grands monarques aux yeux de leurs descendants en quête de légitimité face à l’opinion.

    22Henri IV sous Louis XVIII incarnait un discours sur la continuité dynastique : le premier roi Bourbon comme tutelle du retour des Bourbons offrait le moyen d’aller chercher suffisamment loin dans l’histoire pour gommer, dans un esprit de conciliation, tout risque de guerre civile entre les héritiers de la Révolution et les premiers ferments du parti ultra. Henri IV, c’était aussi et surtout le roi de concorde, le roi de la pacification de la France après les guerres civiles du second XVIe siècle, une figure offrant un parallèle judicieux avec la situation de 1814, la nécessité de reconstruire la France sur des bases pacifiques, après l’effondrement du régime impérial.

    23Louis XIV sous Louis-Philippe constituait une référence beaucoup plus subtile. En effet, l’idée d’une volonté de Louis-Philippe de ne se situer que dans le principe de la filiation dynastique ne tient pas : le roi des Français descend par les hommes d’Henri IV et de Louis XIII, mais pas de Louis XIV. En revanche, il en descend par les femmes, d’une part par son arrière-arrière-grand-mère paternelle, Mlle de Blois, épouse du Régent, d’autre part par son arrière-grand-père maternel, le comte de Toulouse. Mais Mlle de Blois et le comte de Toulouse sont tous deux des bâtards légitimés, enfants de Mme de Montespan. On peut donc se demander si, pour le régime de Juillet, l’idée de mettre en valeur le fait de descendre des bâtards du Roi-Soleil avait un réel intérêt idéologique face aux légitimistes.

    24L’intérêt d’une citation du souvenir de Louis XIV se posait donc vraisemblablement en d’autres termes que strictement dynastiques. Il faut évidemment comprendre la monarchie de Juillet comme une période où l’on achève de distinguer les notions de cause nationale et de cause dynastique. Ancêtre direct ou pas, c’est Louis XIV le grand Français et le grand chef d’État que l’on célèbre désormais. On perçoit bien que le discours s’adresse à la nation plus qu’à la cour, et notamment à la presse : ce n’est pas uniquement pour le goût personnel de Louis-Philippe monarque qu’une restauration de Versailles est mise en place, ou du moins médiatisée, c’est pour le Peuple français, appelé légitimement à se sentir chez lui dans le château comme partie prenante d’une histoire commune.

    25Et Louis XIV, de ce fait, apparaît comme une référence pertinente pour le XIXe siècle, en un temps où la pratique du pouvoir comme expérience individuelle régie par une constitution s’impose au fil des régimes. Ce souvenir d’un monarque autoritaire et édificateur parle à la cause orléaniste. Louis XIV est l’homme du « j’exige », le gouvernant attaché à marquer personnellement son époque, par opposition à la figure d’un souverain transmetteur de traditions ancestrales et conservatrices, vision monarchique qui caractérisait la conception de l’autorité royale d’un Charles X.

    26C’est donc probablement, dans le contexte pourtant constitutionnellement très encadré du régime de Juillet, l’image de Louis XIV bouleversant les règles par sa seule volonté politique qui explique le mieux son importance pour Louis-Philippe à l’heure de s’imposer comme un vrai et légitime souverain. L’image du grand homme d’État volontaire davantage que celle de l’ancêtre sacralisé.

    27De ce point de vue, la matérialisation de cette vision de Louis XIV se lit le mieux à travers le tableau déjà évoqué, dont Louis-Philippe conserve la copie dans le Grand Cabinet des Tuileries au moment de le renommer « salon Louis XIV », représentant le duc d’Anjou proclamé roi d’Espagne sous le nom de Philippe V (pl. 15). L’œuvre avait été peinte par Gérard et installée dans le Grand Cabinet du roi peu avant la mort de Louis XVIII : à l’époque, il s’agissait de commémorer par une scène historique l’intervention française en Espagne de 1823, pour soutenir le trône du cousin Bourbon Ferdinand VII.

    28Mais la scène prend une tout autre signification après 1830 et l’arrivée sur le trône de la maison d’Orléans. Le tableau représente en effet l’accession au trône d’Espagne d’un petit-fils de Louis XIV, en vertu du choix de Charles II d’Autriche. Or une grande partie de la question de cette succession Bourbon au trône d’Espagne avait reposé sur la renonciation du duc d’Anjou à ses droits successoraux sur la France. En négociant la succession d’Espagne au profit de l’un de ses petits-fils, le roi avait donc admis la possibilité de s’affranchir des règles traditionnelles, supposées intangibles, de succession au trône de France. Même si, en vérité, la question de cette renonciation n’était pas réglée lors du départ de Philippe V pour l’Espagne, et qu’il faut attendre le traité d’Utrecht pour qu’elle soit entérinée, il y a là indéniablement, dans un XIXe siècle en quête de représentations et de scènes emblématiques, la commémoration d’une action politique parfaitement contraire à la cause légitimiste : une couronne avait déjà pu, sous l’Ancien Régime et au profit d’un Bourbon, être attribuée moyennant le remplacement de dynasties et la renonciation aux droits légitimes des princes.

    29L’image et l’usage de la figure de Louis XIV sous la monarchie de Juillet illustrent la nécessité d’une relation entre un régime et son passé. Le rapport à l’histoire nationale, qui est l’une des données culturelles essentielles du XIXe siècle, et la quête que l’on peut voir comme subtile ou ambiguë d’une grande figure tutélaire, en sont les principaux moteurs. Cette réflexion doit être mise en perspective avec d’autres phénomènes comparables. Emmanuel de Waresquiel avait ainsi bien étudié la place d’Henri IV sous Louis XVIII et Charles X21. Le même Henri IV fit d’ailleurs aussi l’objet d’une récupération, quelque peu postérieure, par Louis-Philippe, notamment avec le réaménagement du château de Pau à la fin des années 183022. On peut aussi s’interroger sur l’intérêt conjoint de Napoléon III pour César et Vercingétorix et, en sortant de la période monarchique, sur l’iconographie de Jeanne d’Arc accompagnant la mobilisation générale du peuple français en 1914.

    30Louis XIV emblématique et instrumentalisé n’est donc qu’une figure historique parmi d’autres façonnées par le politique pour accompagner, au cours d’un siècle complexe, l’élaboration de la notion de souveraineté.

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    Figure 1. – Anatole Pougnet, Palais des Tuileries, salon de Louis XIV, 1874, vue stéréoscopique.

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    Figure 2. – Palais des Tuileries, plan des appartements des Princes et inventaires des œuvres d’art, vers 1845.

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    Figure 3. – Antoine-Joseph Gaitte (gravure), J. Sandoz (dessin), Frans Xaver Winterhalter (d’après), Louis, Philippe, Albert d’Orléans comte de Paris, vers 1842.

    Bibliographie

    BIBLIOGRAPHIE

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    Notes de bas de page

    1 Meyer 1993, p. 56-82 ; Baulez 2007, p. 93.

    2 Janin 1837, p. 149.

    3 Ibid., p. 158.

    4 Ibid., p. 162.

    5 Cordier 2005, p. 48, et 2012, p. 245-249.

    6 Cordier 2005, p. 48-49. Le socle est aujourd’hui conservé au musée de l’Armée, déposé par le musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Seule subsiste une console sur la paire livrée, conservée de nos jours au château de Versailles.

    7 Ledoux-Lebard 2000, p. 265-266. Ces deux meubles sont encore conservés à Versailles, et évoquent stylistiquement plutôt le style rocaille que l’époque de Louis XIV.

    8 Véron-Denise 2002, p. 68.

    9 Janin 1837, p. 149.

    10 Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 8559, et Malden (Mass.), Malden Public Library.

    11 Boigne 1999, vol. 2, p. 507-508.

    12 Ibid., p. 505.

    13 Ibid., p. 503.

    14 Palais des Tuileries, plan des appartements des Princes et inventaires des œuvres d’art, vers 1845. Paris, Archives des musées nationaux, * 36 DD 6, f° 32.

    15 Les cartons sont conservés au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon (MV 5868 et MV 6282, dépôt du Mobilier national depuis 1937). Je remercie vivement M. Frédéric Lacaille de m’avoir aimablement signalé leur existence.

    16 Cordier 2012, p. 229-244.

    17 Dion-Tenenbaum 1993, p. 78-87.

    18 Cordier 2012, p. 234-237.

    19 Elles furent dispersées lors de la vente des biens de la duchesse d’Orléans à Paris, par l’étude Bonnefonds de Lavialle, 18-20 janv. 1853, lots 207 à 212.

    20 Cordier 2012, p. 639-640. Sur ces quatre meubles, trois sont encore localisés : deux meubles en première partie au Mobilier national (en dépôt à la présidence de la République dans l’hôtel de Marigny) et un meuble en contrepartie au Louvre.

    21 Waresquiel 1996.

    22 Cordier 2012, p. 252-256.

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    • Sylvain Cordier
      Conservateur des arts décoratifs anciens au Musée des beaux-arts de Montréal
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    1 Meyer 1993, p. 56-82 ; Baulez 2007, p. 93.

    2 Janin 1837, p. 149.

    3 Ibid., p. 158.

    4 Ibid., p. 162.

    5 Cordier 2005, p. 48, et 2012, p. 245-249.

    6 Cordier 2005, p. 48-49. Le socle est aujourd’hui conservé au musée de l’Armée, déposé par le musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Seule subsiste une console sur la paire livrée, conservée de nos jours au château de Versailles.

    7 Ledoux-Lebard 2000, p. 265-266. Ces deux meubles sont encore conservés à Versailles, et évoquent stylistiquement plutôt le style rocaille que l’époque de Louis XIV.

    8 Véron-Denise 2002, p. 68.

    9 Janin 1837, p. 149.

    10 Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 8559, et Malden (Mass.), Malden Public Library.

    11 Boigne 1999, vol. 2, p. 507-508.

    12 Ibid., p. 505.

    13 Ibid., p. 503.

    14 Palais des Tuileries, plan des appartements des Princes et inventaires des œuvres d’art, vers 1845. Paris, Archives des musées nationaux, * 36 DD 6, f° 32.

    15 Les cartons sont conservés au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon (MV 5868 et MV 6282, dépôt du Mobilier national depuis 1937). Je remercie vivement M. Frédéric Lacaille de m’avoir aimablement signalé leur existence.

    16 Cordier 2012, p. 229-244.

    17 Dion-Tenenbaum 1993, p. 78-87.

    18 Cordier 2012, p. 234-237.

    19 Elles furent dispersées lors de la vente des biens de la duchesse d’Orléans à Paris, par l’étude Bonnefonds de Lavialle, 18-20 janv. 1853, lots 207 à 212.

    20 Cordier 2012, p. 639-640. Sur ces quatre meubles, trois sont encore localisés : deux meubles en première partie au Mobilier national (en dépôt à la présidence de la République dans l’hôtel de Marigny) et un meuble en contrepartie au Louvre.

    21 Waresquiel 1996.

    22 Cordier 2012, p. 252-256.

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    • (2019) Les derniers feux de la monarchie. DOI: 10.3917/perri.vial.2019.02.0557
    • (2016) Les derniers feux de la monarchie. DOI: 10.3917/perri.vialc.2016.01.0557

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    Cordier, S. (2014). Louis XIV et le décor louis-quatorzien à la cour de Louis-Philippe : enjeux et perspectives d’une filiation historique et esthétique. In M. Da Vinha, A. Maral, & N. Milovanovic (éds.), Louis XIV, l’image et le mythe (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.51001
    Cordier, Sylvain. « Louis XIV et le décor louis-quatorzien à la cour de Louis-Philippe : enjeux et perspectives d’une filiation historique et esthétique ». In Louis XIV, l’image et le mythe, édité par Mathieu Da Vinha, Alexandre Maral, et Nicolas Milovanovic. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2014. https://doi.org/10.4000/books.pur.51001.
    Cordier, Sylvain. « Louis XIV et le décor louis-quatorzien à la cour de Louis-Philippe : enjeux et perspectives d’une filiation historique et esthétique ». Louis XIV, l’image et le mythe, édité par Mathieu Da Vinha et al., Presses universitaires de Rennes, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pur.51001.

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    Da Vinha, M., Maral, A., & Milovanovic, N. (éds.). (2014). Louis XIV, l’image et le mythe (1‑). Presses universitaires de Rennes, Centre de recherche du Château de Versailles. https://doi.org/10.4000/books.pur.50956
    Da Vinha, Mathieu, Alexandre Maral, et Nicolas Milovanovic, éd. Louis XIV, l’image et le mythe. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Centre de recherche du Château de Versailles, 2014. https://doi.org/10.4000/books.pur.50956.
    Da Vinha, Mathieu, et al., éditeurs. Louis XIV, l’image et le mythe. Presses universitaires de Rennes, Centre de recherche du Château de Versailles, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pur.50956.
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