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    Plan détaillé Texte intégral Les commandes royales de peinture sur le thème de Saint Louis Les sujets des peintures et l’influence de la littérature hagiographique Saint Louis figure politique Saint Louis figure pacificatrice Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Louis XIV, l’image et le mythe

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Louis XIV en Saint Louis : une autre image de la figure royale ?

    Christine Gouzi

    p. 57-70

    Texte intégral Bibliographie BIBLIOGRAPHIE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Dans son Introduction à l’histoire de l’art français1, André Chastel se proposait de déterminer la nature de l’art français sur la longue durée. Or reviennent sans cesse sous sa plume des allusions à Saint Louis et à son importance, du Moyen Âge au XVIIIe siècle. Ainsi, dans le chapitre « La France, fille aînée de l’Église », on lit « Le culte de Saint Louis », et plus loin « La sainteté. Saint Louis2 ». Dans le passage qui traite de « La grande monarchie d’Occident », et qui débute par des notations sur le Versailles de Louis XIV, on trouve la mention suivante : « le souvenir du saint roi a été entretenu de générations en générations par tous les princes3 ». Le livre d’André Chastel, inachevé à sa mort, n’est qu’une suite de notes et de pensées assez disparates, qu’il avait groupées dans des chapitres intitulés par ses soins. Aussi est-il difficile de savoir ce que l’auteur entendait par ces mentions éparses et lapidaires. Mais il en ressort l’idée claire que la figure de Saint Louis devient essentielle dans l’art français sous Louis XIV, au moment où « l’hommage, l’éloge, la flatterie entretiennent nécessairement autour de la personne royale une figure fictive, exaltée, accomplie, qui est la projection idéale et complète du personnage réel4 ». Que cette figure fictive ait été longtemps celle, mythologique, d’Hercule, d’Alexandre ou d’Apollon, ne doit pourtant pas oblitérer celle de Saint Louis, qui est certainement aussi importante dans la peinture religieuse commandée par le roi que les représentations des dieux et des héros dans les grands décors profanes du château de Versailles.

    Les commandes royales de peinture sur le thème de Saint Louis

    2La plupart des tableaux payés par la Couronne au cours du règne de Louis XIV sur le thème de Saint Louis ont disparu ; ils formèrent pourtant un ensemble religieux conséquent et cohérent, dont l’étude peut éclairer l’histoire des représentations allégoriques du roi. Les premières toiles commandées par Louis XIV furent peintes à partir du début des années 1680 : entre 1679 et 1681, Louis Licherie de Beurie fut chargé d’exécuter un Saint Louis soignant les malades de la peste pour le maître-autel de l’église des Invalides. Ce tableau est perdu, mais une réduction à l’huile sur toile de la main du peintre, acquise par le musée des Beaux-Arts de Rouen, permet d’en saisir la composition (fig. 1). Cette commande fut certainement exécutée peu avant un projet de Jean Jouvenet pour une bannière de la même église. Cette dernière est détruite, mais son motif, Saint Louis lavant les pieds des pauvres, est connu par une réplique datant probablement du début du XVIIIe siècle (fig. 2)5. Au même moment, vers 1681-1682, Bon Boullogne était requis pour orner une des chapelles provisoires de Versailles d’un portrait de Saint Louis offrant la couronne d’épines, qui fut offert par le roi en 1710 au père de La Rue, lorsque la chapelle définitive du château fut consacrée6. Ce tableau n’a pas été retrouvé depuis lors.

    3Les commandes semblent avoir été plus nombreuses à partir des années 1685-1687 pour ce que l’on pourrait appeler les « satellites religieux » du château de Versailles. Ainsi, pour la Maison royale à Saint-Cyr, Boullogne peignit vers 1686 un Saint Louis lavant les pieds des pauvres, encore répertorié dans les inventaires révolutionnaires, transféré par la suite à la chapelle des Missions étrangères de Paris, puis définitivement disparu en 1811. Vers 1686, Antoine Coypel reçut de la Couronne une commande de trois tableaux pour la chapelle Saint-Louis de l’église Notre-Dame de Versailles, qui venait d’être édifiée. Il réalisa un Saint Louis agonisant, placé au-dessus de l’autel d’une des chapelles de la nef, et deux petites toiles qui l’encadraient en pendants : une Bataille de Saint Louis et Saint Louis recevant les requêtes du peuple. Toutes ces œuvres ont disparu, mais le tableau d’autel est connu par des dessins préparatoires7 et par une gravure du début du XVIIIe siècle8. En 1685, les comptes des Bâtiments du roi font état d’un paiement à Michel Corneille pour un Saint Louis offrant à Dieu l’éponge et les clous de la Passion placé dans l’église du couvent des Récollets de Versailles9. Le couvent, qui se trouvait auparavant à l’emplacement de la nouvelle église Notre-Dame, venait d’être reconstruit grâce à une dotation royale. Le tableau de Michel Corneille a disparu pendant les troubles révolutionnaires.

    4À la fin du règne commencent deux chantiers religieux prévus de longue date, mais achevés tardivement. Celui de l’église des Invalides d’abord, dont la coupole fut ornée en 1709 par Charles de La Fosse d’un sujet sur Saint Louis : Saint Louis offrant ses armes à Dieu. Le décor de la dernière chapelle de Versailles ensuite, qui fut terminé peu de temps après, en 1710. Saint Louis s’y trouve également à l’honneur puisqu’il est représenté sur la voûte par Antoine Coypel aux côtés d’autres saints qui entourent Dieu le Père10. Il est également le sujet du tableau d’autel de la chapelle placée sous le vocable de Saint Louis. Peint par Jouvenet en 1709 et toujours en place, le tableau ne montre pas un portrait du saint roi, mais un sujet historique : Louis IX secourt un de ses soldats pendant une des campagnes militaires de la croisade d’Égypte, après la bataille de Mansourah (fig. 3)11.

    5Les années 1680 semblent donc des années décisives pour la représentation de Saint Louis, car c’est à cette époque que se multiplient les projets de décors et les commandes de tableaux de la part de la Couronne. Plusieurs auteurs ont noté que les titulatures d’églises à Saint Louis augmentèrent dans cette période précise, particulièrement dans les régions du « domaine royal12 ». Pour Paris et les environs de Versailles, outre l’hôtel des Invalides, on peut citer la Maison royale de Saint-Cyr, ou encore la cathédrale de Versailles, dont la construction est décidée peu avant la mort de Louis XIV, en 1714. Les écrits sur le saint se développent également sous le règne de Louis XIV. Si plusieurs ouvrages demeurés célèbres ont été rédigés dans la première moitié du XVIIe siècle, notamment Le lys sacré […] et les miracles du roy Saint Louis… écrit en 1631 par le père Rousselet, les publications à propos du saint roi prennent un tour plus systématique à partir de 1677 avec l’institution du panégyrique de Saint Louis, prononcé à la chapelle du Louvre tous les matins du 25 août, jour de la fête du saint. Le prédicateur, choisi par les membres de l’Académie française13, devait évoquer les qualités de Louis XIV à travers celles de son ancêtre et établir une identité entre les deux règnes. L’après-midi du même jour, un des académiciens prononçait à l’Académie un panégyrique de Louis XIV, qui rappelait souvent que le roi avait parfait le modèle de Saint Louis, tout en l’imitant. Ainsi, même si Saint Louis n’était pas dépeint sous les traits de Louis XIV dans les œuvres de cette époque, tous comprenaient qu’il en était la figure allégorique, ou du moins l’image symbolique. Et ce, d’autant plus que les prédicateurs jésuites et oratoriens les plus proches de la royauté s’emparèrent bientôt de la figure du saint dans leurs sermons, précisément pour établir une équivalence entre le règne des deux rois. Celui de Louis Bourdaloue, achevé sans doute vers 168014, est un des plus remarquables à cet égard, mais on peut aussi citer celui de Jean-Baptiste Massillon, rédigé dans le dernier tiers du règne de Louis XIV15.

    Les sujets des peintures et l’influence de la littérature hagiographique

    6Ces textes eurent aussi peut-être une influence déterminante sur les sujets représentés par les peintres à partir des années 1680, car ces derniers étaient désormais tirés de la vie édifiante de Louis IX, précisément décrite par la littérature hagiographique du temps. Il ne s’agissait plus de portraits, ou encore d’ex-voto, comme La résurrection du Christ peinte par Le Brun en 167616, où Saint Louis était un saint intercesseur entre Louis XIV et le Christ, une figure médiatrice entre la Terre et le Ciel, à travers laquelle le roi pouvait rendre grâces à Dieu de sa victoire en Franche-Comté (pl. 10). Dorénavant centrés sur les actions terrestres de Louis IX, la plupart des sujets choisis à partir des années 1680 montrent la figure de Saint Louis, non plus isolée dans une scène intemporelle, mais entourée de ses sujets dans une composition historiquement reconnaissable et géographiquement localisée. Les actes de charité de Louis IX sont le sujet d’une grande partie des toiles commandées par Louis XIV : le lavement des pieds des pauvres d’une part, représenté par Boullogne puis par Jouvenet qui prit soin de reconstituer l’arrière-plan néogothique de la Sainte-Chapelle de Paris ; les soins aux malades ou aux blessés lors de la croisade d’autre part, mis en scène par Licherie puis par Jouvenet dans un décor de campement militaire oriental. La mort édifiante, dépeinte comme le moment d’espérance de la vie éternelle, n’apparaît qu’une seule fois, dans le tableau d’Antoine Coypel. Les actes de piété du saint, comme l’offrande à Dieu des instruments de la Passion d’Antoine Coypel, sont relatés comme des événements historiques du règne (Louis IX avait ramené ces reliques de ses croisades), au même titre que les batailles ou la justice rendue au peuple.

    7Les vertus du saint, vertus qui ont Dieu pour objet, et dont la perfection dans le cas de Louis IX explique et entraîne la sainteté, sont donc mises en avant. Mais ces vertus sont avant tout celles d’un héros chrétien et permettent au roi d’être l’instrument de Dieu sur Terre pour gouverner de façon exemplaire. Dans son étude sur les panégyriques de Louis XIV, Pierre Zoberman a montré que les vertus du roi étaient expliquées sous tous leurs aspects par les différents auteurs17 ; lorsqu’il s’agit d’établir un rapport d’identification avec Louis IX, les vertus théologales des deux souverains sont clairement évoquées, mais la parfaite religion des deux rois est aussi le garant du caractère vertueux de leur gouvernement18. De même, dans le sermon de Bourdaloue, Louis XIV est assimilé à Louis IX car il en ressuscite à la fois les vertus religieuses et les qualités politiques : « C’est votre fils, c’est le chef de votre maison, c’est l’imitateur de vos vertus19 », écrit-il. Et plus loin : « C’est la vive image de vos héroïques et royales qualités20. » Or les toiles commandées par le roi peuvent apparaître comme des illustrations de ces textes puisque le saint et le roi y apparaissent inextricablement mêlés, au nom de la vérité historique.

    8En ce sens, on ne peut que constater une continuité entre le règne de Louis XIII et de Louis XIV. L’office de la fête de Saint Louis avait été restauré par les Jésuites le 25 août 1618, non seulement pour rappeler les assises médiévales de la monarchie, mais surtout pour lui assurer une légitimité dynastique. Alain Boureau a ainsi montré que la sainteté de Louis IX, articulée d’une façon nouvelle à la souveraineté, avait permis à Louis XIII de souligner le caractère absolu de la monarchie des Bourbons21. Mais cette idée, mise en forme de façon théorique dans la littérature emblématique sous Louis XIII, puis dans les panégyriques et sermons sous Louis XIV, n’est traduite en image que dans les années 1680. Dans les toiles religieuses commandées pour des édifices royaux, Saint Louis devient une figure privilégiée du roi. Il incarne autant la souveraineté des Bourbons que le caractère absolu de la royauté, non seulement au sens moral du terme, c’est-à-dire qui transcende les pesanteurs de la nature humaine pour se rapprocher de la nature divine, mais encore au sens politique du terme.

    Saint Louis figure politique

    9L’érudition ecclésiastique s’est emparée au XVIIe siècle du personnage de Saint Louis et en a fait une figure de l’histoire nationale. Sous le règne de Louis XIV, les recherches historiographiques concernant Saint Louis connaissent un regain d’intérêt de la part des érudits. Outre les sermons pour la fête de Saint Louis, on peut mentionner plusieurs passages de l’Abrégé de l’histoire de France de Jacques-Bénigne Bossuet, sans doute écrit pour le Dauphin à partir de 167922, et la Vie de Saint Louis de Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont, rédigée entre 1679 et 168423. Bruno Neveu a souligné que dans ce dernier ouvrage, composé à partir de sources historiques avec une rigueur toute nouvelle, Louis IX apparaît pour la première fois comme un administrateur24. Le Nain de Tillemont démontre que, grâce à une politique rationnelle et une réorganisation des institutions, le roi réussit à réduire la puissance de la féodalité. Or cet intérêt pour cet aspect du règne de Louis IX n’est pas anodin : chez Bourdaloue par exemple, il est directement relié à la politique de son héritier, Louis XIV, qui n’aura de cesse de continuer l’œuvre de Richelieu et de Mazarin, de réformer l’administration royale pour mieux affermir son autorité sur la noblesse25. De plus, Louis IX est célébré par tous ces auteurs comme le juge implacable des impies et des blasphémateurs. Les panégyriques de Saint Louis développent ainsi en de nombreuses occasions la « croisade contre les infidèles26 » à l’intérieur de la France comme à l’extérieur. On trouve des passages plus virulents encore dans le sermon de Bourdaloue, qui insiste sur l’action « bienfaisante » de Saint Louis contre les hérétiques27. Les dernières phrases de son sermon peuvent même se lire comme une justification de la politique religieuse de Louis XIV à travers celle de Saint Louis. Ce dernier, selon le prédicateur, « a comme vous [Louis XIV] le zèle de Dieu, il est comme vous le protecteur de la vraie religion, le restaurateur des autels, l’exterminateur de l’hérésie28 ». Ce terme de « restauration des autels », la dénomination très guerrière d’« exterminateur » de l’hérésie (au lieu d’« extirpateur ») renvoient évidemment à la politique religieuse de Louis XIV contre les réformés, qui s’intensifie dans les années 1680 jusqu’à aboutir à la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Saint Louis est donc le parangon des rois par sa sainteté, mais surtout par son combat contre les hérésies de toute nature. Les réformés sont bien sûr visés, mais on peut penser que la conclusion de ce sermon, qui fut prononcé à plusieurs reprises par Bourdaloue dans les années 1680, intéresse aussi les Jansénistes.

    10Saint Louis incarne donc dans la littérature le champion d’un gouvernement rigoureux et surtout d’une politique religieuse combative. Or on pourrait croire qu’il en était de même dans certaines des peintures exécutées pour Louis XIV, qui montraient de manière inédite des épisodes historiques du règne de son ancêtre. L’iconographie de la coupole des Invalides dans laquelle Saint Louis présente ses armes à Dieu peut ainsi être interprétée en ce sens : le saint ne dépose pas les armes, mais les brandit comme un guerrier au service de la religion. De même, dans le tableau de Jouvenet pour la chapelle de Versailles, Saint Louis est représenté pendant la croisade, cuirassé et casqué. Il est intéressant de noter que cet accoutrement militaire est celui du XVIIe siècle et non celui du Moyen Âge. Jouvenet a abandonné ici la recherche de vérité historique dont il avait fait preuve dans le Saint Louis lavant les pieds des pauvres des Invalides, et à laquelle avaient été attentifs tous les autres peintres dans les tableaux dont nous connaissons aujourd’hui le motif. Cet abandon du costume et du décorum historiques au profit de l’actualisation de l’action marque l’identité de Louis IX et de Louis XIV et permet de mettre en regard leur action politique et religieuse pour mieux en révéler l’équivalence.

    11Cependant, il n’est pas certain que cette insistance sur l’aspect guerrier du saint, notamment grâce à l’armure contemporaine qu’il revêt pendant la croisade, ait uniquement pour but de justifier la lutte contre l’hérésie de son descendant. D’une part, les premiers projets de 1677 pour la coupole des Invalides mettent beaucoup plus l’accent sur les campagnes et victoires militaires de Louis XIV que la version définitive. Saint Louis aurait dû originellement être montré en défenseur de la vraie foi, foi qui aurait été l’origine et la justification de ses victoires militaires. Or, à la fin du règne, en 1709, alors même que la foi catholique était imposée par l’édit royal de Fontainebleau, Saint Louis n’est plus montré comme un saint véritablement conquérant. Ses armes sont bien présentées au Christ, mais pour que ce dernier en réitère l’origine divine et, par-delà, l’origine divine de la dynastie des Bourbons. Dans le tableau de Jouvenet exécuté à la même date pour la chapelle de Versailles, on se doit de noter que Saint Louis n’est pas dans une position victorieuse. La bataille de Mansourah, après laquelle il fut appelé par un de ses hommes pour soulager ses derniers instants, est en effet une cuisante défaite de Louis IX. Bientôt capturé par l’ennemi, il accompagne ici les mourants, ses propres soldats, et recommande leur âme à Dieu. Au sein de ces édifices royaux les plus prestigieux du règne, l’image de Saint Louis n’est donc pas triomphaliste, comme elle n’est pas véritablement agressive.

    12Certaines peintures ont pu montrer des iconographies de ce type cependant : le sujet d’un des tableaux de Jouvenet est par exemple très proche de la teneur du sermon de Bourdaloue. Peint pour le couvent Saint-Louis des bénédictines de Rouen vers 168529, il représente Saint Louis tenant la croix et couronnant de laurier un roi guerrier, dont l’armure et l’allure générale sont celles d’Alexandre (fig. 4). Ici, Louis XIV doit certainement être assimilé à l’empereur grec et non à Saint Louis, qui récompense son digne descendant comme un vengeur de la foi. La présence de la croix et de la couronne de laurier atteste ce caractère triomphaliste : on doit comprendre le tableau comme une image très didactique, qui légitime la politique religieuse de Louis XIV et semble louer les qualités guerrières et punitives du souverain en matière de religion. En une autre occasion, Jouvenet peint Blanche de Castille montrant à Saint Louis enfant la Religion, la Foi et la Piété30. Ce tableau n’est pas daté et son commanditaire est inconnu (il ne s’agit pas de Louis XIV, car aucune trace du tableau ne se trouve dans les comptes des Bâtiments du roi), mais il est probable qu’il ait été commandé dans la période précédant ou suivant la révocation de l’édit de Nantes par un membre de l’entourage royal. Le futur saint, qui a les traits de Louis XIV, est là encore représenté comme le guide spirituel de la France et le défenseur de la catholicité. Sa mère, Blanche de Castille, est représentée à dessein comme Anne d’Autriche ; vêtue d’un manteau orné de fleurs de lys, elle symbolise à la fois l’Espagne et la France catholiques, que Louis XIV considérait comme les remparts d’un royaume un et unifié contre les hérésies. Il s’agit donc d’une iconographie claire, qui utilise la figure de Saint Louis pour expliciter et légitimer la politique religieuse du roi de France.

    Saint Louis figure pacificatrice

    13Bien différents cependant sont les tableaux effectivement commandés par le roi, dont l’iconographie est plus mesurée et plus subtile. Saint Louis, montré de préférence par les peintres comme un roi saint à la charité édifiante, représenté dans ses actions les plus humbles et les moins triomphales, n’apparaît pas comme une figure vengeresse et combative, défendant la foi par les armes. Au contraire, il lave les pieds des pauvres comme l’a fait avant lui le Christ, il soigne les malades au péril de sa vie, il endure dans sa chair la souffrance de l’agonie, il se défait de ses armes devant Dieu auquel il se soumet ; enfin, il abandonne la superbe du vainqueur pour se présenter en vaincu, en acceptant avec fermeté son destin. Ainsi Saint Louis est-il moins une figure triomphale qu’une figure humble, proche de son peuple, uniquement soucieuse des infirmités physiques et spirituelles de ce dernier31. Dans une certaine mesure, Saint Louis est remarquable par sa faiblesse et semble contredire l’encomiastique royale traditionnelle : il est devenu un Alexandre sans gloire, un Hercule dépourvu de sa force. Mais, en contrepartie, il est un médiateur entre la royauté et le peuple, et non plus seulement un intercesseur entre le Ciel et la Terre. En ne le montrant pas comme une figure dominatrice ou vindicative, les peintres traduisent une autre forme de sa puissance, celle de la réconciliation avec son peuple. Paradoxalement, c’est donc une image d’unité que nous proposent toutes ces iconographies. Mais le paradoxe n’est qu’apparent car, pour imposer la souveraineté royale, Louis XIV avait besoin d’une figure de l’histoire nationale qui légitime la continuité dynastique et surtout s’impose comme la garante de l’unité religieuse du royaume. On pourrait ici reprendre l’analyse que fait Denis Crouzet du rôle d’Henri IV à la fin des guerres de Religion32 et l’étendre à celui de la figure de Saint Louis pendant la fin du règne de Louis XIV. Car Henri IV, comme le Saint Louis de Louis XIV et, on l’aura compris, comme Louis XIV lui-même dont Louis IX est l’image allégorique, est présenté comme le roi « unité d’unitez33 », qui légitime un pouvoir monarchique mis à mal par les divisions religieuses. Il devient le symbole de l’État royal, seule entité dans laquelle la religion du royaume peut se réaliser et mettre en œuvre sa capacité d’apaisement.

    14Louis XIV avait ainsi besoin de la figure de Saint Louis, qui s’impose dans la peinture religieuse des édifices royaux à partir de 1680, car c’était la seule qui pouvait justifier la crispation annoncée avec Port-Royal et surtout les répressions religieuses de plus en plus violentes contre les réformés. Parce qu’il symbolisait le pouvoir de réconciliation du souverain, parce qu’il représentait l’unité du royaume par l’affirmation de l’universalité de la religion catholique, Saint Louis pouvait devenir la figure privilégiée de l’art religieux royal. Incarnant dans un même mouvement la paix et l’autorité religieuses, il permit au roi d’affirmer la « migration du Sacré dans l’État34 » déjà réalisée sous Henri IV après les guerres de Religion et au-delà, de redéfinir la notion de droit divin dans le nouvel État royal. En ce sens, représenter Saint Louis servait à renforcer l’édifice absolutiste, mais d’une manière bien particulière : en créant un personnage qui matérialisait par sa puissance d’apaisement religieux la puissance d’une « royauté d’État35 ».

    15Dans le tableau de François Lemoyne peint en 1727 pour l’église du Parc-aux-Cerfs de Versailles36 ou dans celui de Charles-Antoine Coypel exécuté en 1751 pour la chapelle de Trianon37, Saint Louis, montré agenouillé devant un autel, a le visage de Louis XV (pl. 11). L’équivalence entre le roi et le saint est désormais explicite, mais elle a perdu la subtilité de la démonstration politique qui marquait l’iconographie des peintures religieuses à sujet ludovicien des années 1680. Le décor de la chapelle de l’École royale militaire, imaginé à la fin du règne de Louis XV, en 1772, est également centré sur Louis IX. Mais, dans ce cycle peint, il s’agit surtout d’illustrer la filiation dynastique des Bourbons en évoquant la portée morale des événements les plus marquants du règne de Saint Louis. Louis IX devient alors le héros de batailles victorieuses ou de péripéties historiques, identifiables à des exempla virtutis. Si Saint Louis et, au-delà, le roi lui-même y gagnent une autorité certaine, cette dernière n’est plus d’obédience religieuse. De même, la puissance d’apaisement véhiculée par le personnage de Saint Louis à la fin du règne de Louis XIV a disparu du décor de la chapelle. Le lien avec le règne de Louis le Grand et avec la symbolique politique et religieuse associée à la représentation de la royauté n’était pourtant pas oublié : en 1772, on avait décidé que le maître-autel de la chapelle devait être orné d’une copie de la Descente de croix de Le Brun ou du tableau de même sujet de Jouvenet, qui étaient alors considérés comme les œuvres les plus célèbres des années 1680-1690 et, surtout, comme les symboles de la reprise en main religieuse de la fin du règne de Louis XIV38. Mais, dès 1773, ce projet fut abandonné et l’autel orné d’une représentation de la dernière communion de Saint Louis par Doyen. La mort du Christ, montrée comme l’affirmation d’une Résurrection à venir, était remplacée par la mort effective d’un souverain, décrite comme un épisode d’histoire nationale, pour promouvoir un sentiment d’appartenance patriotique. De Louis XIV à Louis XV, c’est ainsi la définition de la « royauté d’État » qui changeait insensiblement de nature, comme la place de la religion au sein de l’État royal.

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    Figure 1. – Louis Licherie de Beurie, Saint Louis soignant les malades de la peste, vers 1680.

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    Figure 2. – Anonyme, d’après Jean Jouvenet, Saint Louis lavant les pieds des pauvres, réplique du projet de bannière pour Saint-Louis des Invalides, début du XVIIIe siècle ?

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    Figure 3. – Jean Jouvenet, Saint Louis intercédant pour les blessés après la bataille de la Mansourah en Égypte en 1250, 1709.

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    Figure 4. – Jean Jouvenet (attribué à), Couronnement d’un roi par Saint Louis, vers 1685.

    Bibliographie

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    Maral, A. (2011). L’étonnante destinée d’un édifice provisoire : la chapelle royale de Versailles entre 1682 et 1710. Bulletin Du Centre De Recherche Du château De Versailles. https://doi.org/10.4000/crcv.11452
    Maral, Alexandre. “L’étonnante destinée d’un édifice provisoire : La Chapelle Royale De Versailles Entre 1682 Et 1710”. Bulletin Du Centre De Recherche Du château De Versailles, July 11, 2011. https://doi.org/10.4000/crcv.11452.
    Maral, Alexandre. “L’étonnante destinée d’un édifice provisoire : La Chapelle Royale De Versailles Entre 1682 Et 1710”. Bulletin Du Centre De Recherche Du château De Versailles, July 2011. Crossref, https://doi.org/10.4000/crcv.11452.

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    Maral Alexandre, 2011 [2001], « L’étonnante destinée d’un édifice provisoire : la chapelle royale de Versailles entre 1682 et 1710 », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, articles et études, mis en ligne le 11 juillet 2011, <http://crcv.revues.org/11452>.

    Massillon Jean-Baptiste, 1745, Sermons de M. Massillon…, Paris, J.-Th. Herissant & Vve Estienne.

    Neveu Bruno, 1976, « Le Nain de Tillemont et la Vie de Saint Louis », dans Septième centenaire de la mort de Saint Louis, actes du colloque (Paris, 21-27 mai 1970), Paris, Les Belles Lettres, p. 315-329.

    Schnapper Antoine, 2010 [1974], Jean Jouvenet (1644-1717) et la peinture d’histoire à Paris, édition préfacée et complétée par C. Gouzi, Paris, Arthena.

    Notes de bas de page

    1 Chastel 1993.

    2 Ibid., p. 97.

    3 Ibid., p. 94.

    4 Ibid., p. 97.

    5 Schnapper 2010, p. 198-199. Le projet de Jouvenet était peut-être une huile sur toile.

    6 Maral 2001.

    7 Garnier-Pelle 1989, p. 191.

    8 Cette gravure, éditée chez Poilly, n’est sans doute pas fidèle, car elle est composée en largeur. Il manquerait toute la partie haute du motif si l’on considère les dessins préparatoires, ibid., p. 102-103 et 191.

    9 Comptes des Bâtiments du roi… 1881-1901, t. II : col. 653.

    10 Garnier-Pelle 1989, p. 163-164.

    11 Schnapper 2010, p. 286-287 ; Le Nain de Tillemont 1847-1851, p. 215 ; Bourdaloue 1833, p. 141.

    12 Neveu 1976, p. 315-316 ; Le Gall 2007, p. 424 démontre que Saint Louis a tendance à supplanter saint Denis dans cette période.

    13 Les panégyriques du roi 1991, p. 12.

    14 Il fut sans doute prononcé à plusieurs reprises par Bourdaloue, comme ses autres sermons, et au moins une fois devant Louis XIV. Voir Landry 1980.

    15 Landry 1982, p. 381-404.

    16 Peinte grâce à l’argent que la guilde des merciers de Paris avait prêté à Louis XIV pour la campagne de Franche-Comté et que le roi remboursa en 1676. Originellement placée dans l’église du Saint-Sépulcre de Paris ; aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Lyon.

    17 Les panégyriques du roi 1991, p. 26-33.

    18 Ibid., p. 49-56.

    19 Bourdaloue 1833, p. 164.

    20 Ibid., p. 164.

    21 Boureau 1987, p. 96-97.

    22 Bossuet 1747, p. 246-247.

    23 Aidé de Sacy, Le Nain de Tillemont rassembla les éléments qui constituèrent sa Vie de Saint Louis, publiée par Filleau de La Chaise en 1688. L’édition complète d’après les manuscrits de Tillemont ne fut établie qu’en 1847-1851 par J. de Gaulle. Voir Neveu 1976, p. 322-323.

    24 Neveu 1976, p. 325.

    25 Bourdaloue 1833, p. 158-161.

    26 Les panégyriques du roi 1991, p. 52.

    27 Bourdaloue 1833, p. 135-136.

    28 Bourdaloue 1833, p. 164.

    29 Sans doute commandé par une bénédictine appartenant à une branche de la famille Colbert. Non localisé. Schnapper 2010, p. 17 et 209-210.

    30 Tableau perdu ; connu par une gravure et une réplique d’atelier, conservée au musée de Dole. Schnapper 2010, p. 210, le date des environs de 1685.

    31 Massillon 1745, p. 253-254.

    32 Crouzet 1990.

    33 Ibid., p. 548.

    34 Ibid., p. 548.

    35 Gauchet 1994, p. 208, se réfère lui-même à l’analyse de D. Crouzet pour expliquer la naissance de la « raison d’État » à partir du règne d’Henri IV.

    36 Le vœu de Saint Louis, aujourd’hui dans la cathédrale Saint-Louis de Versailles qui remplace l’église du Parc-aux-Cerfs. Une copie avait été exécutée par François-Albert Stiémart pour la chapelle du château de Marly (disparue).

    37 Saint Louis sous les traits de Louis XV devant la couronne d’épines, disparu.

    38 C’est la Descente de croix de Jouvenet, peinte en 1697, qui fut choisie : en 1773, Lépicié en donna une copie qui fut finalement placée au Prytanée de La Flèche. Schnapper 2010, p. 9-14.

    Auteur

    • Christine Gouzi
      Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Paris-Sorbonne
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    1 Chastel 1993.

    2 Ibid., p. 97.

    3 Ibid., p. 94.

    4 Ibid., p. 97.

    5 Schnapper 2010, p. 198-199. Le projet de Jouvenet était peut-être une huile sur toile.

    6 Maral 2001.

    7 Garnier-Pelle 1989, p. 191.

    8 Cette gravure, éditée chez Poilly, n’est sans doute pas fidèle, car elle est composée en largeur. Il manquerait toute la partie haute du motif si l’on considère les dessins préparatoires, ibid., p. 102-103 et 191.

    9 Comptes des Bâtiments du roi… 1881-1901, t. II : col. 653.

    10 Garnier-Pelle 1989, p. 163-164.

    11 Schnapper 2010, p. 286-287 ; Le Nain de Tillemont 1847-1851, p. 215 ; Bourdaloue 1833, p. 141.

    12 Neveu 1976, p. 315-316 ; Le Gall 2007, p. 424 démontre que Saint Louis a tendance à supplanter saint Denis dans cette période.

    13 Les panégyriques du roi 1991, p. 12.

    14 Il fut sans doute prononcé à plusieurs reprises par Bourdaloue, comme ses autres sermons, et au moins une fois devant Louis XIV. Voir Landry 1980.

    15 Landry 1982, p. 381-404.

    16 Peinte grâce à l’argent que la guilde des merciers de Paris avait prêté à Louis XIV pour la campagne de Franche-Comté et que le roi remboursa en 1676. Originellement placée dans l’église du Saint-Sépulcre de Paris ; aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Lyon.

    17 Les panégyriques du roi 1991, p. 26-33.

    18 Ibid., p. 49-56.

    19 Bourdaloue 1833, p. 164.

    20 Ibid., p. 164.

    21 Boureau 1987, p. 96-97.

    22 Bossuet 1747, p. 246-247.

    23 Aidé de Sacy, Le Nain de Tillemont rassembla les éléments qui constituèrent sa Vie de Saint Louis, publiée par Filleau de La Chaise en 1688. L’édition complète d’après les manuscrits de Tillemont ne fut établie qu’en 1847-1851 par J. de Gaulle. Voir Neveu 1976, p. 322-323.

    24 Neveu 1976, p. 325.

    25 Bourdaloue 1833, p. 158-161.

    26 Les panégyriques du roi 1991, p. 52.

    27 Bourdaloue 1833, p. 135-136.

    28 Bourdaloue 1833, p. 164.

    29 Sans doute commandé par une bénédictine appartenant à une branche de la famille Colbert. Non localisé. Schnapper 2010, p. 17 et 209-210.

    30 Tableau perdu ; connu par une gravure et une réplique d’atelier, conservée au musée de Dole. Schnapper 2010, p. 210, le date des environs de 1685.

    31 Massillon 1745, p. 253-254.

    32 Crouzet 1990.

    33 Ibid., p. 548.

    34 Ibid., p. 548.

    35 Gauchet 1994, p. 208, se réfère lui-même à l’analyse de D. Crouzet pour expliquer la naissance de la « raison d’État » à partir du règne d’Henri IV.

    36 Le vœu de Saint Louis, aujourd’hui dans la cathédrale Saint-Louis de Versailles qui remplace l’église du Parc-aux-Cerfs. Une copie avait été exécutée par François-Albert Stiémart pour la chapelle du château de Marly (disparue).

    37 Saint Louis sous les traits de Louis XV devant la couronne d’épines, disparu.

    38 C’est la Descente de croix de Jouvenet, peinte en 1697, qui fut choisie : en 1773, Lépicié en donna une copie qui fut finalement placée au Prytanée de La Flèche. Schnapper 2010, p. 9-14.

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    Gouzi, C. (2014). Louis XIV en Saint Louis : une autre image de la figure royale ?. In M. Da Vinha, A. Maral, & N. Milovanovic (éds.), Louis XIV, l’image et le mythe (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.50970
    Gouzi, Christine. « Louis XIV en Saint Louis : une autre image de la figure royale ? ». In Louis XIV, l’image et le mythe, édité par Mathieu Da Vinha, Alexandre Maral, et Nicolas Milovanovic. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2014. https://doi.org/10.4000/books.pur.50970.
    Gouzi, Christine. « Louis XIV en Saint Louis : une autre image de la figure royale ? ». Louis XIV, l’image et le mythe, édité par Mathieu Da Vinha et al., Presses universitaires de Rennes, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pur.50970.

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    Da Vinha, M., Maral, A., & Milovanovic, N. (éds.). (2014). Louis XIV, l’image et le mythe (1‑). Presses universitaires de Rennes, Centre de recherche du Château de Versailles. https://doi.org/10.4000/books.pur.50956
    Da Vinha, Mathieu, Alexandre Maral, et Nicolas Milovanovic, éd. Louis XIV, l’image et le mythe. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Centre de recherche du Château de Versailles, 2014. https://doi.org/10.4000/books.pur.50956.
    Da Vinha, Mathieu, et al., éditeurs. Louis XIV, l’image et le mythe. Presses universitaires de Rennes, Centre de recherche du Château de Versailles, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pur.50956.
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