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Les révoltes du papier timbré, 1675

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Gauthier Aubert

Troisième partie. L’été des fureurs

Chapitre VIII. Rennes et Bordeaux contre le papier timbré

Texte intégral

  • 1 BNF, Clairambault 796, fol. 311.

« Mr de Lavardin dit qu’il n’y a pas de différence entre nous et les voleurs de grands chemins et que nous sommes indignes de sa protection. »
Lettre de Vallier, sous fermier du papier timbré à Colbert, 24 VII 16751.

1Depuis le printemps, Rennes et Bordeaux ont pris des chemins bien différents. Certes, le calme n’est jamais totalement revenu dans la capitale de la Guyenne, mais on n’y voit pas, après les terribles journées de mars, d’événements d’une aussi forte intensité dramatique que ceux qui ont agité la ville avec le succès que l’on sait. Les satisfactions acquises de haute lutte n’y sont évidemment pas pour rien. Rennes a eu une évolution toute différente, chaotique, avec réouverture de bureaux, reprise d’armes et nouveau recul des autorités. Pourtant, en l’espace d’un mois, ces deux villes connaissent de nouveau des révoltes, dont la parenté est à première vue évidente en raison de la polarisation des émeutiers sur le seul papier timbré. Il nous faut donc en premier lieu nous interroger sur les circonstances particulières qui ont conduit à cette convergence. Il nous faut aussi réfléchir aux suites de ces embrasements, qui divergent dans leur suite judiciaire, mais se rejoignent sur un point essentiel : l’absence de prolongement en matière de révolte. Car, et c’est là l’essentiel, ces deux révoltes, les seules peut-être qui méritent pleinement le nom de « révolte du papier timbré », sont les dernières de l’année, avec celles qui agitent la Basse-Bretagne. Bref, il faut nous demander comment meurent les révoltes en tenant compte du déséquilibre documentaire en faveur de Rennes.

La rechute de Rennes (17-20 juillet)

  • 2 William Beik, Urban protest in seventeenth century France, Cambridge, Cambridge UP, 1997, p. 166.
  • 3 Les principales sources sont ici :

2L’ultime feu de la rébellion à Rennes a souvent paru secondaire. Relativement mal documenté par rapport aux épisodes précédents, il ne semble, de plus, rien apporter de nouveau. Sa dimension nettement antifiscale ne peut au mieux conduire à voir en lui qu’un avatar des embrasements précédents. Seul William Beik s’est interrogé sur ce qu’il appelle un « épisode mystérieux2 ». Deux éléments peuvent amener à en réévaluer l’importance. Le premier est que cette orientation résolument antifiscale est en fait en relative rupture par rapport au mois de juin qui vit se mêler plusieurs préoccupations. Le second est que plusieurs lettres inédites ont été récemment mises à jour, qui permettent d’envisager cet épisode dont nul ne sait qu’il est le dernier, avec plus de finesse, mais aussi de complexité, qu’auparavant3.

Révolte ou commando ?

  • 4 Seul La Monneraye situe l’action vers 10 heures.

3Trois jours après les grandes manifestations du 14 juillet, Rennes connaît une « récidive », comme dit Morel ou son continuateur et copiste. Entre onze heures et midi, d’après cette source, « le bureau du papier timbré fut rompu et pillé ». Tous les autres documents confirment le fait, en particulier que le papier timbré est l’unique cible effective du jour4. La configuration est donc différente de celle du 18 avril : l’opération ne frappe que le parlement, alors qu’une garde stationne à l’hôtel de ville en vertu du dispositif établi depuis mai.

4Si les scripteurs locaux s’en tiennent à une évocation très courte des événements, tel n’est pas le cas de Coëtlogon-père, l’homme à qui incombe la responsabilité du bon ordre dans cette ville et qui, on ne s’en étonnera pas, prenant le relais de Chaulnes, écrit trois lettres entre le 17 et le 21 juillet à Colbert pour rapporter ce qu’il sait. Il faut dire que, comme il l’indique à la fin de sa troisième missive, il ne fait alors que satisfaire aux ordres du roi lui enjoignant de rapporter avec le plus de détails possibles les faits dont il pourrait constater l’existence. En haut lieu, on pense sans doute déjà à l’étape suivante, quand il faudra distribuer récompenses et punitions.

5Dans sa première lettre, Coëtlogon-père indique que dès dix heures et demi du matin, il reçoit l’avis qu’un coup se prépare : des gens en armes s’attroupent, lui dit-on, sur le rempart près du parlement, ce qui laisse penser qu’est envisagée une attaque contre ce bâtiment qui abrite le bureau du papier timbré. Le fait que le chemin de ronde soit utilisé semble indiquer que l’heure est potentiellement grave, car les insurgés ont pu, pour s’y hisser, prendre le contrôle d’une porte, peut-être la porte aux Foulons, située près de la rue Haute. Il s’agit d’une position en hauteur, d’autant plus avantageuse qu’elle permet de se mouvoir rapidement en évitant les méandres des rues où tirs ou jets depuis des fenêtres de maisons hostiles sont toujours à craindre. Passer par la muraille permet d’ailleurs d’éviter le quartier de la rue aux Foulons et du Champ-Jacquet, qui s’est illustré, en avril, contre les révoltés.

6En même temps, Coëtlogon apprend que des individus font battre le tambour dans un faubourg « pour soulever et assembler le peuple ». Il note aussi qu’il « y avoit de la rumeur en beaucoup d’autres lieux de la ville ». Aussitôt, le gouverneur se précipite au manoir épiscopal auprès de la duchesse de Chaulnes. De ce poste de commandement, il décide l’envoi de trente hommes issus de la compagnie milicienne de garde. Leur mission est de « dissiper » les individus assemblés sur la muraille et de garder ensuite le palais, où se trouve le bureau du papier timbré. Il ordonne également à la compagnie devant prendre la relève à l’hôtel de ville de se tenir prête et aux autres, « dans tous les quartiers », de se mettre en état de défense. Il y a fort à parier que le marquis limite en fait son ordre de mobilisation aux compagnies les plus fiables. Quant à lui, il se tient prêt à intervenir avec la partie de la compagnie restée stationnée à l’hôtel de ville, soit au palais, soit dans les faubourgs. Les deux connétables et le procureur syndic sont apparemment sollicités pour lui servir de relais vers les compagnies, apparemment au risque de leur vie, la ville semblant déjà peu sûre.

7Selon Coëtlogon-père, dont la lettre du 21 juillet fourmille de détails, les hommes qu’il envoie sur la muraille ne trouvent personne. Le danger paraît donc dissipé. Le gouverneur ajoute que « le parlement mesme en fut si bien persuadé qu’il desempara ». C’est, selon lui, une fois les magistrats sortis du palais que le bureau est pillé, « en un demi quart d’heure ». Dès le 17, Coëtlogon-père explique que la rapidité de l’action résulte du fait que ce sont « d’autres gens qui estoient du pallais dans le pallais » lui-même qui se sont précipités sur le bureau pour le piller. La thèse d’une attaque foudroyante venue de l’intérieur sert sa démonstration, puisque son objectif est de montrer qu’il n’a rien pu faire, et qu’en même temps, les bourgeois de « sa » ville sont, sous sa ferme autorité, irréprochables. Aussi peut-on se demander si cette opération ne dura effectivement pas un peu plus longtemps. En effet, la remontrance de Huchet, le lendemain, explique que non seulement les insurgés pillèrent le papier timbré, mais encore qu’ils brisèrent les timbres, les portes, les cloisons et emportèrent les « merrains ». La Monneraye, qui connaît bien le palais, confirme, parlant d’un incendie dans le bureau, mais aussi de portes et de fenêtres enlevées, sort qu’auraient aussi connu les machines.

8Selon Lavardin, les bourgeois se rendent « fort lentement » sur les lieux. Voilà qui contraste avec le récit que la municipalité rédige le lendemain, dans lequel elle insiste sur la rapidité et l’efficacité de la mobilisation milicienne. Le témoignage du marquis de Lavardin est il est vrai celui d’un homme, qui depuis Nantes, cherche à l’évidence à montrer son esprit de décision à l’heure où il supplie par ailleurs le pouvoir de l’employer en Basse-Bretagne. Si ses propos peuvent conduire à penser que tout ne fut pas aussi rapide que Coëtlogon le prétend, il n’en demeure pas moins que la thèse d’une mollesse bourgeoise que Lavardin suggère doit être tempérée. Rappelons en effet que les hommes qui avancent le font certainement avec la prudence de ceux qui ne savent pas ce qu’ils vont trouver au coin de la rue ou recevoir sur la tête. Or ceci, dans des proportions aussi variables qu’insondables en fonction des individus, peut se faire en oscillant entre la peur et le sang-froid. Surtout, ce que Lavardin, qui se vante pourtant d’être bien renseigné, ne dit pas, c’est que, d’après Coëtlogon, les bourgeois envoyés par lui, en débouchant sur la place du palais, se trouvent face aux « pillarts » et font feu.

9De fait, il semble qu’un d’attroupement est alors en train de se former devant le parlement, mais l’ampleur de celui-ci est difficile à apprécier. D’après La Monneraye, l’opération de pillage en elle-même est menée par sept hommes armés de fusils et d’épées, « et a leur aide toute la populace est venue ». L’idée qu’il existe un noyau dur est aussi évoquée par Cormier, qui parle de dix ou douze pillards. Mais il ne signale personne d’autre, de même que Lavardin. Ainsi il semble possible qu’un petit groupe ait effectivement été au cœur de l’action, ce qui expliquerait pourquoi Lavardin rapporte qu’on lui a dit « que six personnes bien resolues eussent peu empescher ce desordre ». Mais quid des autres personnes impliquées ? Les indications de Morel, Duchemin et Toudoux sont trop vagues pour être utilisées. Pour Coëtlogon, les insurgés que rencontrent les miliciens qu’il a envoyés semblent en train de repartir, mais il signale aussi que des hommes se déplaçant avec des armes évoluent dans la haute ville en direction du palais, pour prêter main forte aux pilleurs. Mais tout porte à croire qu’il y avait encore assez peu de monde sur la place elle-même, ne serait-ce que parce que l’escouade envoyée par Coëtlogon ne comptait à le lire que trente hommes, et qu’elle n’a pas hésité à ouvrir le feu, mettant en déroute les insurgés, qu’on devine dès lors peu nombreux. L’essentiel pour Coëtlogon est d’insister sur le fait que l’engagement, doublé d’une prise d’armes légale « en beaucoup de quartiers », stoppe net une entreprise dont le but, dit-il, était de piller ensuite les autres bureaux et les banquiers. Le 20, il précise que l’objectif des émeutiers qu’il a contribué à mettre en déroute était d’attaquer le bureau du contrôle, celui du greffe et « peut estre brusler le pallais, comme on dict qu’ils en avoient le desseing ». Il n’est plus alors question des banquiers. En fait, il semble que le parlement était bien la cible principale puisque, dans les jours qui suivent, on apprend par le registre secret que le bureau du contrôle des exploits est désormais situé dans le « haut du palais », et non plus en ville. D’après l’enquête qui suivra, il apparaîtra qu’il n’a pas été endommagé.

  • 5 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 10, 13 X 1646; GG 18, 1 V 1677; GG 20, 13 X 1685; GG 21, 25 II 16 (...)

10Le bilan humain de l’accrochage est relativement facile à établir. Le 17, le gouverneur parle d’un mort et d’un blessé, puis de deux morts le 21 ; de son côté, la missive parlementaire du 20 signale qu’un des « volleurs » est resté « sur la place ». Duchemin confirme qu’un des insurgés est tué, et donne l’identité du tireur, un certain Léauté, bourgeois assez emblématique. En effet, d’après son acte de décès (1692), cet homme d’une trentaine d’année au moment du drame, était marchand de vin et habitait une ruelle voisine du palais5. Nous savons aussi que ce fils d’aubergiste, qui se donnera du « sieur de la Harpe » deux ans plus tard au moment de convoler, était le filleul d’un conseiller au parlement et de la femme d’un échevin. Ce profil de « bon bourgeois » non seulement armé, mais capable de faire feu, n’est pas sans rappeler celui de Bossart.

  • 6 BNF, Clairambault 796, fol. 333, lettre de Lavardin à Colbert, 27 VII 1675.

11À l’évidence, Coëtlogon et les « bons bourgeois » qui l’assistent ont face à eux deux foyers d’insurrection : le palais et les faubourgs. Les propos du gouverneur, à la date du 21, sont très précis quant aux acteurs du pillage, puisqu’il indique que le coup est venu de gens dont on ne se méfiait pas, car ils étaient pour la plupart des « pledeurs » présents au palais. Voilà qui s’accorde en partie avec le récit de Lavardin selon qui le pillage fut l’œuvre d’une « troupe de clairs qui avoient eu querelle avec le commis ». Quelques jours plus tard, il ira jusqu’à affirmer que les coupables ne sont que six clercs, chiffre qui montre d’ailleurs à ses yeux l’incapacité des forces de l’ordre rennaises6. Duchemin est d’accord sur ce point : la cause de l’affaire serait que les timbreurs avaient battu un clerc. Coëtlogon rapporte aussi que, dans les jours précédents, eut lieu une « querelle » entre les commis du timbre et les clercs du parlement et du présidial. L’affaire serait donc la conséquence d’un conflit au sein du petit personnel du palais, comme la transposition aux étages inférieurs de la société politique de la lutte entre l’Etat de finances et l’Etat de justice.

  • 7 Les termes de commis et de sous-fermiers semblent être interchangeables : Vallier est par exemple q (...)
  • 8 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec. 20 VII 1675.
  • 9 Lettres, Gerard Gailly ed., Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 895, lettre du 30 X 1675,
  • 10 Jean Lemoine, CLXIV.
  • 11 Christian Jouhaud, Robert Descimon, « De Paris à Bordeaux : pour qui court le peuple pendant la Fro (...)

12Mais quelques observateurs soulignent que derrière cette interprétation un peu simple, pourrait se cacher une manipulation. Pour Duchemin, si les commis ont frappé un clerc, c’est « à dessein de s’attirer l’orage ». Cormier va à peu près dans le même sens. Selon lui, l’absence de résistance de la part des commis, jointe au fait que ceux-ci avaient retiré du bureau « leur argent et leur meilleur harde » conduit à soupçonner « les maltôtiers » de s’être « fait piller », pour une raison simple : obtenir des états et des fermiers « du rabais7 ». Voilà qui évoque les obscures manœuvres que nous avons déjà croisées à Lamballe et à Nantes. L’idée pourrait être que face à un débit devenu faible voire insignifiant, les commis auraient cherché à susciter une attaque pour obtenir des dédommagements. À moins, comme le suggère Cormier, qu’ils n’aient souhaité une renégociation de leur contrat, peut-être en lien avec l’approche des états. Coëtlogon ne va pas pour sa part dans cette direction. Certes, il remarque que l’attaque du bureau a été faite sans rencontrer la moindre résistance, qu’il n’y avait personne pour le défendre et, pire, que les solides portes récemment installées étaient ouvertes. « Il se dict », ajoute-t-il, que les commis avaient été prévenus de l’imminence de cette opération, et cette idée irait dans le sens de ce qu’indique Cormier quant au fait qu’ils auraient retiré vêtements et argent. Pourtant, tout bien pesé, Coëtlogon ne pense pas que les timbreurs ont été prévenus, car dans ce cas, note-t-il, ils l’auraient averti, lui, le parlement, ou le corps de garde. Coëtlogon ne va pas plus loin dans son analyse, mais celle-ci peut au fond accréditer l’idée d’une manipulation de la part des commis, qui avaient tout intérêt à ce que les dégâts soient importants pour des raisons financières. Dans ce cas, on comprend qu’ils n’aient pas fermé leur bureau. Enfin, il est étonnant de constater qu’un commis du contrôle, interrogé quelques jours plus tard, indiquera qu’il avait reçu des menaces au sein du palais quelques jours avant les événements, émanant de gens inconnus de lui8 : à supposer qu’il dise vrai, et en n’oubliant pas que des menaces ne font pas une attaque, qui pourraient être ces personnages inquiétants et inconnus ? Une piste est suggérée par la marquise de Sévigné. Quelques mois plus tard, en effet, au moment des supplices, les rumeurs d’une obscure manœuvre reparaîtront. La marquise, que l’on aurait tendance à croire sur une telle question en raison de sa proximité avec les instances judiciaires et de la précision des indications qu’elle communique, note que la seule chose que l’on pût tirer de Daligault, l’un des rebelles du 17 juillet, était qu’il avait reçu vingt-cinq écus des fermiers du papier timbré « pour commencer la sedition9 ». Vérité d’airain obtenue sous la torture ou ultime coup lancé contre les commis honnis au seuil de la mort ? Le trouble est d’autant plus réel que Morel, de son côté, relatant l’exécution, indique que « le bruit courut que Daligault avoit chargé quelques clercs du palais ». La Gazette d’Amsterdam, qui est à manier avec de grandes précautions, croit savoir de son côté que Daligault a vu son exécution différée de quelques jours « parce que depuis sa condamnation, il a dit quantité de choses considérables et découvert beaucoup d’autheurs de la sedition10 ». Ce personnage, qui semble ne pas avoir été un basochien, a-t-il agi en lien avec la basoche ou en lien avec la maltôte ? A-t-il été payé ? Il est à craindre qu’il ait emporté avec lui son secret. On notera cependant que, après l’affaire Floc, c’est la seconde fois que des histoires de circulations occultes d’argent à des fins de commettre des violences émergent en un mois. Or, il s’agit d’une pratique avérée, qui serait pour certains auteurs caractéristique des soulèvements de l’époque ouverte par la Fronde, marquée par la dissolution de l’idéal civique et l’essor du mercenariat11.

13À l’évidence, le marquis de Coëtlogon, au moment où il écrit, préfère l’interprétation selon laquelle l’affaire en question est une révolte antifiscale menée par des gens de robe, en lien plus ou moins direct avec les faubourgs. En somme, on est pour lui dans la continuité directe des événements de juin, et cette fois, le papier timbré a été réduit à néant. Ce que Chaulnes était parvenu à éviter, Coëtlogon n’a pu l’empêcher, et l’intensité de son activité épistolaire doit être lue à cette aune. Il faut garder à l’esprit que le gouverneur de Rennes, qui fonde une grande partie de sa dignité et celle de sa famille sur ce titre, ne peut qu’être enclin à une présentation des faits décrivant la ville sous le meilleur jour possible. Aussi le fait de présenter la milice comme fiable et efficace, de signaler le zèle courageux des connétables et du syndic et de décrire minutieusement des faubourgs oscillant, on va le voir, entre inquiétude et apathie doit être lu en se souvenant que la déchéance de Rennes – dont il sait qu’elle sera d’autant plus terrible que la ville a rechuté –, serait aussi, indirectement, un abaissement pour lui et les siens, car ce serait le signe tangible de son incapacité à contrôler cette ville que le roi a confié à ses soins.

14Malgré tout, les lettres de Coëtlogon contiennent des indications précieuses pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, en particulier dans les faubourgs. Il s’en dégage quelques unes des modalités concrètes d’une prise d’arme en gestation. Ainsi, dans le faubourg l’Evêque, une maison réputée abriter des armes est selon lui menacée par l’émotion naissante. Méfiant, Coëtlogon envoie sur place des officiers de milice pour faire une visite domiciliaire, d’où il ressort que rien de suspect n’est caché dans la maison. La foule, satisfaite, se rend alors dans le faubourg de la rue Haute où, toujours selon le gouverneur, le tambour appelle à la mobilisation. Mais celle-ci fait long feu : dix à douze hommes armés tentent bien de soulever « le peuple », mais ils « ny reussirent pas », avant d’être dispersés par les miliciens envoyés sur place par le marquis. Un troisième point de tension, apparemment plus anecdotique, apparaît à l’autre extrémité de la ville, à la porte de Toussaints, qui jouxte le faubourg de la Madeleine, où un incident oppose trois paysans à un « fermier des entrées » au sujet d’un prélèvement. Ce dernier aurait confisqué les chevaux des paysans, occasionnant un début de trouble, que le marquis dit avoir apaisé d’une singulière manière, en envoyant des gens payer le fermier et l’obliger à rendre les bêtes.

15Ainsi l’affaire du 17 juillet aurait-elle deux facettes : d’un côté, une attaque ciblée et réussie du bureau du papier timbré dont les principaux acteurs auraient été des petits robins, avec peut-être la complicité des commis ; de l’autre, une tentative de soulever les faubourgs, qui échoue. La réalité est néanmoins peut-être plus complexe, car les insurgés du dedans ont visiblement reçu des renforts du dehors, comme tend à le montrer le fait, rapporté par Coëtlogon, que des hommes affluent vers le palais avec des armes qu’ils prennent soin de cacher. Ceci pourrait constituer un indice qu’on n’est pas encore dans un embrasement général marqué du sceau de la toute puissance collective, et qu’il existe une opération armée organisée. Il est en tout cas probable que les petits robins du palais avaient des soutiens en dehors de leur cercle professionnel. Coëtlogon, s’il désigne des plaideurs comme coupables, laisse bien entendre qu’ils n’étaient pas seuls au moment du pillage lui-même. Quant à Cormier, il ne retient pas l’idée que tout cela puisse avoir été mené par des gens de robe. Il évoque une action entreprise par « dix ou douze portefaix » entrés au palais, suggérant bien une extériorité par rapport à celui-ci. Cette idée d’une attaque venue uniquement de l’extérieur est également privilégiée par le procureur général, qui parle de « particuliers inconneuz [entrés] tumultuairement soulz les voutes du pallais ». Cherchait-il à couvrir la basoche ? Dans sa lettre à Colbert, d’Argouges s’en tient à une analyse assez proche, évoquant « un grand nombre de canaille ». La Monneraye, de son côté, reste vague, et ne parle pas d’un coup venu de l’intérieur : pour lui, l’action a été menée par sept hommes armés (il ne dit pas d’où ils venaient) soutenus par « la populace ». Ainsi les auteurs les plus hauts placés dans la nébuleuse robine semblent se refuser à mettre en scène la petite robe comme fauteuse de troubles. Il en va différemment de Coëtlogon, qui suit sans doute d’autant plus la grille de lecture léguée par Chaulnes qu’il importe pour lui de faire comprendre que la ville est sous contrôle. Mais les choix interprétatifs sont parfois complexes à démêler, quand on voit que la version du notaire Duchemin est proche celle du lieutenant général de Lavardin, et s’éloigne de celle du procureur Morel – qui ne voit qu’une action populacière – et même de celle du notaire Toudoux. Pour ce dernier, en effet, l’affaire est l’oeuvre « les écoliers et autres », comme aux beaux jours d’avril en somme.

  • 12 Arch. mun. Rennes, St-Aubin GG 11. Aucun autre renseignement n’a pu être trouvé sur cet individu.
  • 13 Pouvait-il être le fils de Pierre Daligault, maître boulanger de la rue Haute, qui eut deux fils po (...)

16Reste que si la présence effective des robins n’est pas formellement prouvée, la présence d’éléments extérieurs au monde judiciaire est certaine. Duchemin indique en effet que la personne tuée est un encaveur, dont il ne donne pour une fois pas le nom. Ceci est confirmé par le registre paroissial de Saint-Aubin, qui signale l’inhumation dans l’église, le lendemain, d’un certain Pierre Hidou, effectivement encaveur, « tué devant le palais12 ». La mention de cette église nous ramène vers les quartiers nord, et en particulier vers cette rue Haute dont une large partie est sur le territoire de cette paroisse. Quant à Pierre Daligault, futur condamné, il est qualifié de joueur de violon par Morel, Cormier et madame de Sévigné (et de joueur d’instrument par Duchemin), mais on ne sait rien de plus sur lui, son nom étant trop banal pour le repérer avec certitude13. Une chose est sûre : il n’était pas robin. Son rôle exact dans l’affaire reste énigmatique, pour les raisons qu’on a dites, mais aussi parce que, note Cormier, son crime fut d’avoir enfoncé à l’aide d’une hache le bureau du timbre, geste qui s’accorde mal avec l’idée que les dites portes étaient grandes ouvertes.

17Que conclure ? Pour la municipalité, qui ne se prononce pas sur les coupables, l’affaire a été « tramée, couverte et préparée de longtemps ». La thèse du complot resurgit donc. Elle a pour elle quelques arguments. Certes, l’idée que tout serait parti d’une querelle de palais nous dirige plutôt vers l’idée d’une action spontanée qui aurait eu du mal à sortir du palais de justice, mais, au gré des documents, quatre options peuvent être dégagées. Première hypothèse : le premier heurt a eu lieu le jour même, ce qui expliquerait pourquoi les portes du bureau sont restées ouvertes, les commis n’ayant pas eu le temps de les fermer. Cette émotion palatiale aurait suscité un élan de solidarité plus ou moins spontané dans quelques faubourgs, élan cassé dans sa phase ascensionnelle par l’intervention des autorités à un moment où le noyau d’insurgés était encore réduit, et ce en deux temps : dispersion sur le rempart, puis accrochage sur la place. Dans le même temps, les faubourgs rechignaient à prendre les armes malgré l’ardeur mobilisatrice de quelques activistes qui, portés par l’idéal communautaire et solidaire du 14 juillet, rêvaient d’un prolongement armé de cette dynamique centrifuge pour mettre le papier timbré à terre. Deuxième hypothèse : les commis ont payé quelques mercenaires pour attaquer leur bureau, espérant se sortir de cette manière d’une situation de plus en plus difficile financièrement et humainement très tendue du fait de la cohabitation avec les clercs au sein du palais lui-même, cela faisant suite à un accrochage physique quelques jours plus tôt, qui leur aurait montré l’impasse dans laquelle ils se trouvaient. Les basochiens auraient suivi le mouvement, et celui-ci aurait suscité un début d’élan de solidarité dans les faubourgs. Cette mobilisation faubourgeoise aurait cependant fait long feu selon les mêmes modalités que celles exposées dans l’hypothèse précédente. Troisième hypothèse : la querelle de palais a eu lieu quelques jours auparavant, donnant le temps aux gens hostiles au papier timbré d’organiser une expédition punitive destinée à tordre définitivement le cou à cet impôt honni. Ils auraient échafaudé toute une organisation qui prévoyait d’associer action coup de poing à l’intérieur du palais et soutien des peuples soulevés à l’extérieur. À l’intérieur, des basochiens auraient prévenu les commis de quelques menaces, qui prirent en conséquence leurs précautions et s’enfuirent au premier bruit ; en outre, quelques personnes payées ou non seraient intervenues pour montrer la voie de la violence, pendant que d’autres cherchaient à mobiliser les faubourgs, en particulier celui de la rue Haute, qui s’était fait remarquer depuis avril et où on pouvait en conséquence espérer trouver des gens prêts à l’action. L’intervention des miliciens sur la muraille, l’accrochage victorieux de ceux-ci peu après devant le parlement, ajoutés aux réticences faubourgeoises auraient scellé l’échec de l’opération. L’élan réconciliateur du 14 juillet aurait joué finalement, en arrière-plan, contre la mobilisation, en faveur d’un désir de garder la cité apaisée. Notons enfin qu’une ultime variante peut conduire à séparer l’action au palais et celle des faubourgs : le coup aurait été préparé par les clercs, qui auraient bénéficié d’un réel mais insuffisant élan solidaire venu des faubourgs.

Figure 7. – Les différentes hypothèses relatives à l’insurrection du 17 juillet.

Figure 7. – Les différentes hypothèses relatives à l’insurrection du 17 juillet.
  • 14 Supra, chapitre VI.
  • 15 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

18Sans aucune certitude, il nous paraît que c’est la troisième hypothèse qui doit être la plus juste. En effet, il semble que tout a commencé le 17, par une manœuvre d’approche sur les murs de ville près du palais. Or cette action semble préexister à l’incident – le pillage – qui du coup paraît moins déclencheur que déclenché, et semble être comme le deuxième volet d’une opération qui aurait été conçue comme combinée. Il faut en effet insister sur le fait que les sources dont nous disposons ne permettent pas de déceler d’étincelle préalable, d’émotion suscitant quelque engrenage dans lequel s’engouffrent orgueil, ambitions, frustrations, mécontentements et désir, voire plaisir d’agir. Par ailleurs, on a l’impression d’une opération rondement menée, organisée, par des gens qui semblent avoir voulu poursuivre l’œuvre inachevée dans les semaines précédentes. En effet, il semble que l’on puisse rapprocher ce que nous pensons savoir du 17 juillet avec les bruits rapportés par Chaulnes en juin. Le but aurait été de conduire la foule à se masser devant le parlement traumatisé par l’attaque du palais pour réclamer la disparition de droit du papier timbré déjà mort de fait suite au pillage du bureau, joint au vol des machines. Cet impôt est en effet non seulement détesté des petits robins, mais il reste aussi une des dernières taxes encore plus ou moins prélevées suite aux promesses faites par le duc de Chaulnes fin juin14. Il est d’ailleurs révélateur que les autres cibles signalées par Coëtlogon soient le bureau du contrôle et celui du greffe. Ceci tend à montrer que ni l’étain, ni les devoirs, ni le tabac ne sont visés, soit qu’ils intéressaient moins les robins qui seraient derrière tout cela, soit que leur prélèvement soit suspendu ou fort réduit. Il est aussi possible, de manière connexe, que cette attaque ait quelque chose à voir avec les doutes qui, dès la fin de juin, commençaient à se répandre à propos des engagements pris par Chaulnes en prévision des états15.

  • 16 Les émeutes de subsistance sont 3 à 4 fois moins nombreuses en juillet qu’elles ne le sont en avril (...)
  • 17 On se permettra simplement ici de renvoyer au témoignage irremplaçable du jeune Chateaubriand sur l (...)

19En tout cas, l’essentiel réside dans le fait que, complot ou pas, le peuple ne suit pas – comme en juin serait-on tenté de dire. Dans le faubourg l’Evêque, les gens semblent surtout chercher des armes, mais il est difficile de savoir si c’est pour s’en saisir et fronder, ou si c’est en lien avec quelque inquiétude sourde face à des désordres, qui prolongerait celle du mois précédent quant à la venue des soldats. On veut bien considérer que cette dernière assertion soit contestable, mais elle a pour elle que, selon Coëtlogon, les émeutiers voulaient piller et brûler la maison réputée contenir des armes. La méthode rappelle ce qui pouvait se faire, en d’autres temps et lieux, pour des maltôtiers ou des spéculateurs de grains, comme si le fait d’y avoir caché des armes pouvait être une faute qu’il fallait punir, geste qui semble plutôt empreint d’une certaine adhésion à la paix civile. De plus, comment ne pas remarquer que, dans la suite, la foule ne paraît apparemment pas animée d’une farouche volonté d’en découdre. Car, une fois arrivée dans la rue Haute, elle ne suit pas ceux qui appellent à aller plus loin. Un scénario possible serait alors que l’opération initiale aurait consisté à conduire les gens à s’armer, en se saisissant d’armes qu’on espérait trouver dans une maison (celle d’un officier milicien ?), puis à aller rue Haute se joindre à d’autres pour marcher ensemble sur le palais. Là, les insurgés auraient réclamé un arrêt entérinant la mort officielle du papier timbré, déjà saccagé par quelques individus, dont des basochiens qui seraient derrière tout cela, et auraient agi avec l’aide de quelques personnages que eux ou d’obscurs commanditaires auraient payé pour créer du désordre sur la place. Le « peuple » n’aurait pas suivi, ou peu suivi car ce combat n’était pas totalement le sien. Il n’aurait pas suivi car les dispositions relatives au tabac étaient acceptables et que l’angoisse alimentaire s’éloignait avec la récolte16 ; ils auraient d’autant moins suivi que les risques étaient peut-être jugés trop élevés à court et moyen terme – on avait sans doute toujours peur que les soldats ne reviennent en cas de dérapage – et qu’on avait célébré récemment la paix et l’unité, sous l’influence plus ou moins directe du clergé local relayant le désir de calme des autorités civiles. Bref, sous l’égide de saint Amand, un équilibre acceptable, fruit d ‘ une alchimie mêlant peur, intérêt et convictions, aurait été trouvé. Pourquoi rompre cette concorde ? Il valait mieux rester prudent, chacun sachant – sur la foi de ce qu’avait raconté Chaulnes aux dizaines d’officiers de tous les quartiers rassemblés le 20 juin – que s’il restait une chance d’échapper à l’ire royale, c’était en restant dans la plus parfaite obéissance. Le complot le mieux organisé et préparé, porté peu ou prou par des semaines de combats et d’espoirs partagés ainsi que par de multiples relations tissées des parvis aux échoppes quand ce n’était pas, dans la rue depuis l’enfance17, venait buter sur une certaine autonomie politique du « peuple ». Aussi le pillage du bureau du papier timbré du 17 juillet n’a pas été une révolte : il a été surtout un commando.

Fidélités et insolences

  • 18 « Il vola, il expira et jamais il n’expiera » (Floriane Machard, op. cit., t. II, p. 55).

20Il est aussi possible que le projet ait souffert d’un manque de soutien et, partant, de relais, car, au fond, toute la robe n’a probablement pas partagé cette ambition jusqu’au-boutiste. C’est ce que tend à montrer le petit corpus des scripteurs locaux, tous issus de la robe locale, petite et moyenne. Le procureur Morel ne témoigne ainsi d’aucune empathie envers les émeutiers : « pernicieuse entreprise », dit-il, œuvre d’une « troupe de canailles », qui consterne les « bons habitants », menacés par une « cohorte seditieuse de populace vagabonde et libertine », qui, dit-il sans sourciller, a massacré plusieurs particuliers. Il est vrai que ce scripteur est le plus fidèle à la grille de lecture héritée du 18 avril, le plus éloigné de tout esprit de solidarité tant dans son évocation des troubles de juillet que dans ceux de juin ou d’avril. Plus haut dans la hiérarchie sociale, La Monneraye, qui se réveille au moment où « son » palais est de nouveau attaqué, parle lui aussi de « populace ». Plus bas que ce dernier sur l’échelle des dignités, le notaire Duchemin, que l’on a vu pester contre le papier timbré dans le passé, évoque lui la « canaille », là où, en juin, il voyait bien que l’affaire mêlait les « habitants » aux « gens ramassées ». Il en va de même de Cormier, qui voyait en juin qu’agissaient « bourgeois » et « peuple » – s’abstenant d’ailleurs cette fois-ci de qualifier celui-ci de manière infamante –, et qui ne voit en juillet que des portefaix, soit des gens aussi modestes que finalement isolés, individualisés au sein du grand tout populaire lui-même absent. Quant à Toudoux, il voit en juillet une opération des écoliers et « autres » : la rupture est patente par rapport à juin, quand selon lui « toute la ville » s’était émue. Ainsi semble-t-il faire une lecture de l’affaire qui rappelle les suites de la destruction du temple et les menaces d’incendie du palais. Mais au-delà, ce notaire ne condamne pas, n’accable pas, ne fustige pas. Or, on sait que non seulement il est familialement proche des milieux artisanaux de la basse-ville, mais encore qu’il a durement ressenti la crise de 1673. Ainsi surnomme-t-il Chamillart « Champ pillart » et, quelques années plus tard, il évoquera Colbert comme « premier ministre et grand voleur de l’Etat », et lui donnera l’épitaphe suivante : « Expilavit, expiravit et numquam expiavit »18. Toudoux montre ainsi que, chez certains, pouvait exister une légère empathie pour l’émeute sur fond de détestation des ministres jugés sans scrupules, même si lui-même regarde l’action de l’extérieur. Du procureur Morel au notaire Toudoux, la petite robe ne porte donc pas sur la « révolte » du papier timbré le même regard. C’est ce que constate de son côté Coëtlogon qui, étendant l’analyse à l’ensemble des bourgeois, estime qu’ils « sont forts partagés en sentiments », la plupart penchant selon lui du mauvais côté, à l’inverse de nos scripteurs.

21Pourtant, un point important à souligner est que la milice a joué, à lire Coëtlogon, un rôle efficace dans l’affaire. Certes, on voit bien que les rebelles prennent les atours de la milice, qui reste le cadre naturel de mobilisation, avec armes et tambours. Ceci atteste, s’il était besoin, de l’importance de cette structure pour les habitants. Mais plus encore, il est notable de constater que les hommes sollicités par Coëtlogon ne le lâchent pas, que ce soit ceux qui interviennent sur le rempart et devant le palais, ou ceux – des officiers – qu’il envoie inspecter la supposée cache d’armes au faubourg l’Evêque, ou encore ceux qu’il dépêche dans la rue Haute pour dissiper la mobilisation naissante. Ce volontarisme milicien au service du bon ordre monarchique ressort aussi du livre de raison de Duchemin, qui rapporte que les capitaines demandent à Coëtlogon s’il faut « écraser ces seditieux ». Rien moins. Cette attitude ne peut-elle être une conséquence de l’assemblée du 20 juin ? Ce jour-là, le duc de Chaulnes a obtenu des officiers de tous les quartiers une démobilisation moyennant des promesses que l’on a évoquées, mais il est clair que ces promesses, et en particulier celle faite de ne pas voir la troupe entrer dans Rennes, sont comme suspendues à une condition : que le calme demeure. D’une certaine façon, Chaulnes aurait fait des cadres de la milice les garants de l’ordre monarchique dans la ville.

22Du côté de la municipalité, agrégat de robins et de marchands sous la responsabilité du marquis de Coëtlogon, l’analyse des événements du 17 juillet témoigne également d’une absence totale de complaisance, dans la droite ligne des écrits du gouverneur. Tout tend vers une telle attitude, de la peur de la colère royale au désir de réaffirmer une existence politique renaissante après le naufrage du mois de juin. Dès le 18 juillet, en présence de Coëtlogon, la communauté charge son syndic de porter une requête au parlement afin de demander à celui-ci d’informer sur les événements. Il est aussi prévu d’écrire à Chaulnes et à Pomponne. La requête, qui se trouve dans les archives du parlement, reprend pour l’essentiel l’exposé de la situation que, dans les mêmes jours, Coëtlogon expose à Colbert : une opération préparée en amont, un pillage rapide contre lequel on ne pouvait rien faire, une prompte mobilisation qui met en déroute les « malfaiteurs ».

  • 19 44 magistrats présents le 18 juillet, 50 le 19, contre 26 et 22 les lendemains de la première révol (...)

23Au parlement, qui se réunit le 18, c’est l’affluence de grands jours, mais il est vrai que la proximité de l’ouverture du semestre d’août peut contribuer à l’expliquer autant que les inquiétudes pour la suite et que le choc causé par l’attaque du palais lui-même19. Le parlement, comme la municipalité, a-t-il lui aussi à cœur de paraître le plus zélé possible ? Il décide en effet sans attendre de lancer une enquête et demande au procureur général de rechercher les commis du bureau du timbre et ceux du contrôle des exploits qui ont visiblement disparu, ce qui, on s’en doute, a pu contribuer à entretenir soupçons et rumeurs. Interdiction est par ailleurs faite de leur causer du mal. Enfin, le parlement interdit tout rassemblement et prise d’armes sans ordre de Coëtlogon « à peine de vie ». Il est enjoint en même temps à tous les officiers de milices et aux bourgeois de se tenir prêts au moindre bruit afin de se saisir des fauteurs de troubles « morts ou viffs ». Il n’est pas précisé si les compagnies des quartiers jugés les moins surs sont concernées. L’arrêt est publié et affiché dans toute la ville.

24L’importance que le parlement accorde à ce moment que les uns et les autres perçoivent certainement comme clef – dans la mesure où chacun pressent que les promesses de Chaulnes valent sauf cas de récidive – se perçoit aussi au fait que la cour décide de s’assembler à nouveau le lendemain, sans y convier Coëtlogon toutefois, ramené au rang d’exécutant des arrêts du parlement. Ce 19 juillet, la grande question est de savoir où sont passés les commis du timbre et du contrôle, qui ont apparemment complètement disparu. Par ailleurs, la cour décide d’écrire au roi, au chancelier, à Colbert et (dernier cité) à Pomponne, pour les informer et connaître la volonté du souverain. On notera que les magistrats n’envisagent pas d’écrire à Chaulnes, à la différence de la municipalité. Visiblement désireuse de montrer par son empressement et son dévouement, la cour décide que les courriers seront portés le plus vite possible par le substitut Bernard. Voilà qui est habile : en envoyant illico un officier secondaire du palais, on montre son sens du service et sa bonne foi, sans s’exposer à des remontrances, que ne pourrait recevoir un simple substitut. De plus, l’envoi de députés issus de la magistrature elle-même aurait pu donner l’impression qu’on voulait quémander un pardon.

  • 20 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.

25La lettre portée par Bernard, dont nous ne connaissons que l’exemplaire adressé à Colbert, comporte trois points. Le premier est l’expression d’une indignation peut-être un peu forcée, qui n’est toutefois pas le cœur du propos, même si c’est un passage obligé, assorti d’une maladresse : en insistant cette fois – c’était différent en avril – sur l’image d’un parlement temple de la justice du roi et siège de sa suprême autorité à la fois souillé et vulnérable, les gens tenant la cour du parlement donnent des arguments en faveur d’un transfert de celle-ci. Or, on l’a dit, c’était une des menaces proférées par Chaulnes en juin. Le deuxième aspect de la lettre est que le parlement atteste de sa totale solidarité envers la communauté de ville, dont l’action salvatrice est saluée comme le signe tangible de la soumission des habitants aux volontés du roi. Le parlement comprend visiblement que son sort est désormais lié à celui de la ville, sans doute parce qu’il sait que l’idée d’un transfert est dans l’air, comme tend à le montrer une lettre de Lavardin en date du 23 juillet20. Le message est que si des désordres ont eu lieu, ni les magistrats, ni les bourgeois n’y ont été associés, ces méfaits n’étant l’œuvre que d’une « poignée de scelerats ». Il ne s’agit plus de fustiger les pauvres faubourgeois, mais de dénoncer de vulgaires criminels.

  • 21 Arch. nat., E* 1779, fol. 425, arrêt du 11 V 1675.

26Le troisième point de la lettre est le plus délicat, et c’est ce qui explique la tonalité très hautement loyaliste de la missive dans son ensemble. Le parlement avoue en effet son embarras : le bureau du timbre est hors d’état de fonctionner, les commis ont disparu, et il y a un problème technique, puisque tous les actes doivent être normalement faits sur du papier ou du parchemin timbré. Bref, le spectre de la cessation de l’exercice de la justice se profile, et c’est bien là le cœur de ce courrier que de demander que faire. On remarque d’ailleurs que le parlement ne réclame ni ne propose rien : ce serait bien trop audacieux, d’autant que le roi a, on s’en souvient, en mai, par l’intermédiaire d’un arrêt du conseil, marqué sa ferme volonté de ne pas céder sur la question fiscale, et a même confié aux parlements du royaume d’être les exécuteurs des poursuites éventuelles contre les ennemis du timbre21.

27Le sens de cette demande se dégage en croisant la lettre officielle du parlement et celle, en forme de décryptage, que d’Argouges envoie le 21 à Colbert. Dans celle-ci, il insiste bien sur la dimension technique du problème qui se pose, manière de bien dire au ministre qu’il n’y a rien de politique dans cette demande. Ainsi souligne-t-il que les juges de la province, et en particulier ceux de Basse-Bretagne, consultent le parlement sur ce qu’il faut faire, car ils font face à une semblable disparition du papier timbré. Mais s’il ne saurait être question de demander frontalement le retrait de celui-ci, de crainte de passer pour quelque néo-frondeur, on entrevoit cependant qu’une solution allant dans ce sens est celle qui est attendue. D’Argouges, dans la suite logique de sa lettre réclamant l’arrêt des paiements, cherche donc à faire comprendre sans oser l’exprimer trop nettement cette fois, qu’il faut temporiser sur le front fiscal, pour des raisons tenant à la sécurité des personnes et des biens.

28En effet, d’Argouges note qu’il est urgent de prendre une décision sur le sujet car la situation est des plus critiques. « Il est bon que vous scachiez que nous sommes issi a present sans force ni credit », écrit-il à Colbert, précisant que ni le gouverneur, ni le parlement ne sont en mesure d’assurer la sécurité de la ville. Ainsi note-il que, le 20 juillet, le bruit a couru que les troupes revenaient, suscitant un regain de tension dans la ville. Quoi de plus logique au fond que cette rumeur, suite aux événements du 17 ? La duchesse de Chaulnes confirme le caractère critique de la situation. Dans une lettre apeurée, elle exhorte même Colbert à faire le choix des remèdes doux et de l’indulgence salvatrice :

  • 22 BNF, MC 172, fol. 157, lettre de la duchesse de Chaulnes à Colbert, 20 VII 1675.

« Monsieur,
S’est toujours avec un extreme deplesir que je suis obligée de me donner l’honneur de vous escrire pour vous suplier tres humblement de vouloir optenir du Roy présantement des remedes doux pour faire revenir des espris égarés. Je ne puis vous dire le miserable estat ou l’on se trouve dans ceste ville ycy estant a la mersy d’un peuple quy ne demande que le feu et le pillage et quy ne faut qu’un mal intentioné pour dire dans la ville qu’y vient des troupe, tout le monde se met en arme sans que l’on le puisse empescher. Je croy, Monsieur, que la convocation des estats est l’unique remede et le pardon que le Roy oret la bonté de donner. Je vous suplie tres humblement, Monsieur, de faire reflection sur ce que je me donne l’honneur de vous mander et de me croire avec respect,
Vostre tres humble et tres obeissante servante
La duchesse de Chaulnes
Si l’on parloit presentement de châtimant, tout seret perdu22. »

  • 23 Lettres, op. cit., p. 770.
  • 24 BNF, MC 172, fol. 167, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 23 VI 1675.
  • 25 Lettres, op. cit., p. 777.
  • 26 BNF, MC 172 bis, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 28 VIII 1675.

29À l’évidence, on sait bien, jusqu’à Paris, la situation dans laquelle se trouve la duchesse. Madame de Sévigné, encore dans la capitale, écrit à sa propre fille le 24 juillet que, suite au pillage du bureau, « Mme de Chaulnes est à demi morte des menaces qu’on lui fait tous les jours23 ». La marquise ne dit donc pas autre chose que la duchesse, mais elle le dit mieux : « si les troupes [que le duc] a envoyé quérir… font un pas dans la province, ils mettront en piece Mme de Chaulnes ». Du Guémadeuc, du fond de son diocèse écrit la même chose à Colbert : « Madame la duchesse de Chaulnes est exposée à la fureur du peuple de Rennes, qui peut estre aura bien de la peine d’en sortir sans courre hazard de sa vie, sur le bruict qu’on y fait courre qu’il vient des trouppes en Bretagne pour les chastier24. » On sait donc, à la cour, quelle était la situation et comment elle est ressentie par ceux qui forment la tête de la ville. Parmi ces derniers, la femme du « gros cochon » qui a promis que nulle troupe ne viendra est malmenée sur la foi de rumeurs qui ne sont pas si infondées que cela, comme on le verra. Elle paie pour la supposée trahison de son mari. Le 26 juillet, la marquise de Sévigné revient au détour d’une phrase sur son amie pour dire qu’elle ne peut sortir de Rennes, confirmant ainsi qu’elle serait l’otage d’une ville qui aurait vu son départ comme l’annonce de suites funestes25. Et de fait, quand elle peut enfin quitter Rennes pour se rendre à Dinan, le 17 août, cela provoque, d’après du Guemadeuc, une certaine inquiétude26.

  • 27 D’après un continuateur de Morel, l’affaire eut lieu lorsque la duchesse rentra de Dinan, mais elle (...)

30C’est sans doute au cours de ce mois de juillet que la duchesse de Chaulnes subit une agression restée célèbre sous le nom d’affaire dite du « chat pourri », qui eut pour cadre la rue Haute27. Selon un continuateur de Morel, qui dit le tenir de la femme du bedeau de Saint-Germain – paroisse qui s’étend sur toute une partie de la dite rue – et qui elle-même le tenait de sa mère, la duchesse de Chaulnes, passant en carrosse dans la rue Haute, aurait été arrêtée par le « peuple » faisant masse autour d’elle :

« – Que desires vous, leur dit-elle
– C’est, repondirent-ils, une grace que nous vous demandons de nommer un enfant.
– Volontiers, repartit la duchesse. »
Sur quoy on luy jetta ce chat mort pourri.
Tiens… voila l’enfant que l’on te destine a nommer… vilaine bossue. »

  • 28 James B. Collins, La Bretagne dans l’Etat royal, Rennes, PUR, 2006, p. 308.
  • 29 Sur la variété des représentations et des usages du chat dans la culture du plus grand nombre : Rob (...)

31D’après d’autres notes qui entourent le texte, « suivant la tradition des anciens », un coup de feu est même tiré, qui blesse à l’épaule un des pages de la duchesse. Est-on face à un fait avéré, embelli ou carrément dans une mémoire reconstruite ? C’est impossible à savoir, mais il faut sans doute, à la suite de James Collins, y voir une manifestation particulièrement forte et insultante, qui emprunte un chemin d’inversion dans une veine toute carnavalesque28. La duchesse est humiliée à plus d’un titre. Au-delà de l’insulte qui l’associe à la laideur, son statut de grande dame susceptible d’être sollicitée par des humbles gens pour parrainer un enfant est moqué et bafoué publiquement, et, ce faisant, nié. Car le projectile n’est évidemment pas choisi au hasard. Le chat est associé à la duplicité, au mensonge, à la malhonnêteté et c’est ce qu’on peut reprocher à son mari, la mort et la pourriture pouvant signifier la rupture du contrat liant les Chaulnes au peuple de Rennes29.

32Pour la duchesse, mais aussi pour le couple d’Argouges, cet été passé à Rennes est donc terrible, comme le suggèrent ces mots adressés à Colbert par du Guémadeuc :

  • 30 BNF, MC 172 bis, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 28 VIII 1675.

« En mettant les estats a Dinan, vous aurés trouvés Monsieur le secret de faire aparoistre à Madame la duchesse de Chaulnes et à Monsieur et Madame la première présidente de Bretagne la ville de Dinan comme une des plus belles du royaume, car au sortir de Rennes apres tout ce qu’ils y ont essuyé, Vaugirard leur eust je croys paru aussi aggreable que Paris en les autres temps30. »

33La situation à Rennes dans les jours qui suivent le 17 juillet, est donc préoccupante. Coëtlogon, qui a sans doute plus de sang-froid que d’Argouges et qui est à l’évidence moins honni que la duchesse, le confirme le 20 juillet. Il relève que ceux qu’il nomme les « malintentionnés » n’ont pas renoncé à poursuivre leur combat, et continuent de chercher à faire prendre les armes aux habitants, diffusant pour cela « de faux bruits et de fausses nouvelles » dans « le peuple », suscitant de « fréquentes emotions » dissipées à grande peine, avoue-t-il. Ceux qui, le 17 juillet ont échoué à lever le peuple cherchent-ils à le faire de nouveau en jouant sur la corde sensible du retour des troupes ? Ou alors, la peur de la soldatesque est-elle suffisante pour provoquer une remobilisation plus ou moins spontanée et focalisée sur la duchesse, proie par défaut ? Difficile à dire, mais ce qui semble se dégager, c’est qu’on est presque revenu un mois en arrière, avant l’assemblée des milices. La différence, cette fois, a été dans la fidélité acquise des cadres miliciens, sur fond de peur des châtiments. Et tout cela ne débouche sur rien.

  • 31 Supra, chapitre IV.
  • 32 Il pourrait s’agir des troubles signalés à Landévant le 13 juillet par le registre paroissial (cité (...)
  • 33 BNF, Clairambault 796, fol. 243, 265, 275, 307 et 333 lettres de Lavardin à Colbert, 9, 16, 20, 23 (...)

34Les inquiétudes sont sans doute d’autant plus grandes du côté des principales personnalités que la duchesse n’est pas la seule à être inquiétée. Coëtlogon, le 21, explique au sujet des gentilshommes que « la populasse… ne cherche qu’a les maltraitter, comme elle a faict quelques uns dans les fauxbourgs ». Peut-être fait-il allusion à l’affaire des chevaux des sieurs de Quengo31. Mais il est aussi possible que, disant cela, le marquis transpose plus ou moins consciemment sur la situation rennaise les nouvelles venues de Basse-Bretagne. Nous ne savons guère ce que la bonne société rennaise en connaît précisément, mais les moyens d’être informé ne manquent pas : les juges royaux écrivent au parlement, de même que peuvent le faire les nobles partis vers l’ouest de la péninsule ou y demeurant, et qui ont de la famille à Rennes, à l’instar du sénéchal de Carhaix, gendre du capitaine milicien déchu Chevrier. Aussi peut-on supposer que les notables rennais en savent à peu près autant que Lavardin, qui, à Nantes, a connaissance de beaucoup de choses. Ainsi, dès le 9 juillet, le marquis a en main un « code paysan » où il voit que magistrats et nobles sont fustigés ; le 16, il annonce que le château du Tymeur a été brûlé ; le 20, il rapporte qu’un curé et un gentilhomme ont été assommés et qu’un parlementaire, le conseiller de Keravéon, a été malmené pour avoir voulu empêcher un attroupement près de Port-Louis32 ; le 23, il confirme que la noblesse est particulièrement visée et annonce la mort du président de Kerjean, qu’il ne dément que le 27, pour dire qu’il n’a été que légèrement blessé33. On imagine l’effet que pouvait causer l’arrivée de telles informations sur des parlementaires largement apparentés à la noblesse de Bretagne occidentale et qui apprenaient de plus la mort d’un des leurs, tombé dans des circonstances qui évoquent forcément la mort du conseiller de Tarneau. Pendant quelques jours, le parlement de Bretagne a donc eu lui aussi son martyr tombé au champ d’honneur au nom de la défense du bon ordre monarchique.

35Ainsi, si d’Argouges, et le parlement avec lui, cherche à faire comprendre à Colbert qu’un peu de souplesse ne nuirait pas sur la question du timbre, c’est bien pour éviter que la ville ne connaisse un nouveau naufrage. Ceci n’empêche pas de penser que certains espèrent toujours se débarrasser de cet impôt, que ce soit au nom des libertés bretonnes ou de la solidarité avec la petite robe. Mais si, comme en juin, des magistrats et des petits robins ont pu être dans un tel état d’esprit, et pousser dans ce sens, cette position ne recouvre pas, loin s’en faut, le sentiment de l’ensemble du monde des élites. Morel, non sans excès, le dit sans détour, quand à propos de l’affaire du 17 juillet, il écrit que « cette pernicieuse entreprise est déplorée par tous les membres de la cour et les bons habitants ».

  • 34 BNF, Ms fr. 22 357, Mémoire pour servir l’histoire de l’abbaye de Saint-Melaine.
  • 35 Duchemin dit y avoir participé le 21 juillet, ce qui voudrait dire que le premier présent, fait par (...)

36Les jours qui suivent le 17 juillet ne sont d’ailleurs pas réductibles à l’image d’une cité troublée et au bord de l’émeute, comme le rappelle le fait que les dévotions commencées vers le 10 juillet se poursuivent. Les Bénédictins prolongent la neuvaine jusqu’au 4 août afin de permettre à toutes les compagnies de faire leurs dévotions34. On ne serait pas étonné que cette décision ait quelque chose à voir avec les derniers troubles, les moines ressentant sans doute comme nécessaire d’aider les Rennais à retrouver le chemin du salut. Mais l’extraordinaire est que les compagnies non seulement continuent à répondre présentes – d’autant plus que la poursuite des dévotions pourrait bien avoir été une demande émanant de celles qui n’y ont pas encore participé –, mais également qu’une émulation se fait jour au sujet des offrandes. Alors qu’au début il ne s’agît que de couronnes de fleurs d’oranger, sur la fin – détail qui nous fait penser que le mouvement est à dater d’après le 17 juillet35 – les moines notent émerveillés que « les dernierres rencherirent sur les premieres en offrant des presents considerables ». La liste de ceux-ci, soigneusement consignés par les religieux et dont on trouve des échos chez Morel et Duchemin, est en effet édifiante.

Tableau 14. – Présents offerts en l’honneur de saint Amand.

Compagnie

Présent

Charbonnerie

Couronne d’argenta

Champ-Jacquet

Cœur d’argent couronnéb

Puy du Mesnil

Bouclier d’argent

Rue Neuve

Mitre d’argentc

Rue St-Michel

Bannière de satin blanc garnie d’une frange d‘or, repr. St Michel et St Amand

Rue Haute

Image d’argent en relief d’un évêque couché

Rue St-Melaine et place Ste-Anne

Ange d’argent soutenant une crosse avec deux étendarts, représentants Ste Anne et St Amand

a. D’après Morel : « belle couronne de fleurs ».
b. D’après Morel : « cœurs enflammés et couronnés ».
c. Valant 40 livres d’ après Duchemin.

37Cette courte liste est instructive. On remarque qu’elle comprend des unités qui ont connu des difficultés dans les jours précédents, soit le Puy du Mesnil et le Champ-Jacquet. De plus, on remarque que si quatre sont de la ville haute intra muros, trois autres sont des compagnies faubourgeoises, celles qui couvrent les quartiers nord voisins de l’abbaye dont celle réputée la plus rebelle de toutes, la rue Haute. Or, selon les Bénédictins, c’est cette rue là qui offre le plus beau présent. Certes, les compagnies de la basse ville ne sont pas donatrices, et il n’est pas certain qu’elles aient participé à ces dévotions. Les moines jouèrent-ils un rôle dans la pacification des quartiers nord dont une partie relève de leur juridiction et dont les habitants sont leurs voisins, avec tout ce que cela peut impliquer ? On peut le penser. En tout cas, Duchemin suggère que la démarche ne concerne pas que les miliciens, l’offrande portée par ce qu’il appelle d’ailleurs souvent « notre rue » l’étant pas quatre enfants habillés en anges. Toute la rue, tout le quartier, participe donc probablement aux dévotions, et la présence de sainte Anne et de saint Michel sur les offrandes renforce ce lien. Mais autant que des manifestations de fierté communautaires, ces manifestations s’inscrivent dans le cadre de subtiles procédures de réduction des conflits et d’apaisement.

De la stupeur à la torpeur

38Les quelques cent jours qui séparent l’attaque du parlement le 17 juillet du retour du duc de Chaulnes le 12 octobre sont marqués par un double sentiment d’insécurité. La crainte de possibles châtiments le dispute à celle d’un réveil de la bête, qui semble se calmer après le 20 juillet. En fait, un écart se dégage entre le sentiment d’être au bord du précipice et le fait que rien ne se produise, ou si peu que rien. On perçoit l’angoisse qui saisit les bons habitants aux propos haineux de Morel déjà rapportés à l’encontre des émeutiers, qu’il voit même comme des massacreurs d’honnêtes gens, ce qui est pur fantasme. Le procureur de la rue de la Mittrie ajoute même que « les bons habitants sont tellement dans la crainte des tumultuaires qu’ils n’osent sortir de leur maison », avant d’ajouter, dépité, et toujours en employant un présent de l’indicatif qui laisse penser que ces passages ont été écrits à ce moment là : « on craint fort que le roy chatie la province, et que pour punir les factieux et audacieux, les bons citoyens patissent ».

39Il faut reconnaître qu’il se passe peu de choses et que les témoignages n’abondent pas sur la situation rennaise. Le livre de raison de Duchemin nous dit quelque chose de ce singulier été au cours duquel il ne fait que noter les gardes routinières. L’inventaire soigneusement tenu de ces mobilisations réglées comme du papier à musique n’est interrompu un moment que pour déplorer la mort de Turenne, pleuré ici comme partout en France, note-t-il bien, un peu comme si s’opérait une amorce de fusion entre les deux extrémités de la défense du royaume : celle, à la modeste échelle qui est la sienne, contre les ennemis intérieur et l’autre, là bas, « en Allemagne », contre ceux de l’extérieur. Mais telles les sentinelles du fort Bastiani face au désert, il ne voyait rien venir. Pour l’instant.

  • 36 Ce qui fait penser à d’Epernon à Bordeaux en 1635, inactif faute de forces suffisantes à sa disposi (...)
  • 37 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.

40Sur place, le parlement estime clairement que l’heure doit être encore et toujours à l’attentisme prudent. Dans sa lettre du 21 juillet, d’Argouges exprime sa conviction en la matière : il faut, dit-il, user de « remedes doux », afin que, le temps aidant, les esprits se calment. Alors, dit-il, le roi pourra ordonner ce qu’il croira bon. Cette idée est sous-tendue par le constat que le mal est grand et que, comme il se plaît à le répéter, « personne n’a plus issi aucun credit ». Coëtlogon pense de même, disant le 21 se sentir seul « parmy les bourgeois », toute la noblesse, dont son fils, étant parti en Basse-Bretagne, qui à la suite de Chaulnes, qui défendre sa maison menacée par des paysans. Il doute d’ailleurs même de l’efficacité de la noblesse « contre une si nombreuse populasse36 ». Mais on doit aussi se demander si, disant cela, Coëtlogon ne transpose pas la situation de Basse-Bretagne sur Rennes. En tout cas, conclut le gouverneur de la ville, si l’on veut agir, il faut le faire avec des forces importantes. En attendant, le parlement, lui, ne bouge pas, ce qui énerve visiblement Lavardin, qui voit dans cette attitude la raison profonde des reprises d’armes et autres désordres dont la capitale provinciale a été le théâtre37. Il n’exprime pas l’idée de l’exemplarité coupable, qui conduit à penser que Rennes donnant la ton à la province, mais l’idée d’une contagion depuis les grandes villes semble tellement ancrée dans les esprits qu’on peut supposer qu’il y pensait sans avoir besoin de l’exprimer.

  • 38 BNF, Clairambault 796, fol. 317, lettre de d’Argouges à Colbert, 24 VII 1675.
  • 39 Arch. nat., E* 486c, fol. 203, arrêt du 27 VII 1675.
  • 40 BnF Clairambault 796, fol. 329, lettre de d’Argouges à Colbert, 28 VII 1675.
  • 41 Lettres, op. cit., p. 770.

41En fait, c’est plutôt la situation à l’ouest de la province qui, dans le cas présent, a pu avoir une incidence sur les choix faits par le parlement. Car les mauvaises nouvelles continuent d’affluer, comme le montre une lettre de d’Argouges du 24 juillet qui atteste qu’il sait qu’il y a des troubles à Lannion et à Pontivy38. Cette prudence est jugée d’autant plus nécessaire que la bataille du papier timbré a été relancée par la réponse tant attendue du roi à ce sujet. Un arrêt du conseil du 27 juillet, mais dont d’Argouges a eu la teneur quelques jours plus tôt, indique en effet que, face à l’impossibilité de produire du papier timbré en Bretagne, il faut aller se fournir en Normandie39. D’Argouges, qui affecte de se réjouir de cette décision, ne tarde cependant pas à indiquer qu’elle n’est pas sans poser des problèmes, car, note-t-il, « quatre ou cinq coquins » sont partis sur la route d’Antrain « pour y destruire les bureaux » dans la campagne et pourront, dès qu’ils sauront la décision royale, commettre des désordres40. Voilà qui s’accorde avec l’information communiquée par la marquise de Sévigné le 24 juillet, selon laquelle « ces demons sont venus piller et brûler jusqu’auprès de Fougères41 ». Par ailleurs, l’image d’un commando déterminé qui ferait le coup de poing antifiscal renvoie assurément au petit nombre d’individus, comme ce qui semble avoir été effectivement le cas le 17 juillet. Cela renvoie aussi à Floc, impliqué dans une tentative d’assassiner Chaulnes et d’Argouges, et qui, avec un comparse, sera accusé d’avoir mené des exactions antifiscales dans la paroisse de Saint-Gilles, située sur la route de Saint-Brieuc. D’Argouges, qui n’évoque pas dans ces courriers de telles menées, est cependant suffisamment inquiet pour estimer que le mieux serait que le pouvoir accorde, sur le sujet du papier timbré, une surséance jusqu’à la réunion des états. La requête, sous-jacente dans son courrier du 24, devient explicite quatre jours plus tard, sans doute parce que, comme le glisse non sans habileté le magistrat, le duc de Chaulnes lui-même a, depuis Port-Louis, donné la consigne aux présidiaux de se passer de papier timbré. À Rennes comme en Basse-Bretagne, c’était ce qui était jugé comme le plus prudent.

  • 42 BNF, MC 172, fol. 145, lettre de Chaulnes à Colbert, 20 VII 1675.
  • 43 BNF, MC 172, fol. 221, lettre de Chaulnes à Colbert, 3 VIII 1675.
  • 44 Arch. mun. Rennes, AA 13 et BB 561, délib. du 5 VIII 1675.
  • 45 BNF, MC 172, fol. 145, 165, lettres de Chaulnes à Colbert, 20 et 23 VII 1675.
  • 46 Arch. nat., B 2 31, fol. 267, lettre de Seignelay à Chaulnes, 30 VII 1675.
  • 47 BNF, MC 172, fol. 221, lettre de Chaulnes à Colbert, 3 VIII 1675.

42Le duc n’est certes pas indifférent au sort de la capitale qu’il pensait avoir quittée calme. À peine sait-il la nouvelle de l’embrasement du 17, il tient à faire part de sa surprise à Colbert42. C’est pourtant seulement le 3 août qu’il se manifeste auprès de la communauté de ville de Rennes. Ce long silence s’explique sans doute par un mélange d’étonnement, d’embarras, d’incertitude quant aux ordres du roi, et, enfin, de crainte pour sa femme. Aussi ne prend-il la plume pour écrire aux Rennais que lorsqu’il apprend la décision officielle du roi d’envoyer des troupes en Bretagne43 afin de les rassurer en leur indiquant qu’ils ne sont en rien concernés par ces mouvements44. Il est alors très clair que pour lui, qui a largement déminé le terrain fiscal, seule la peur du soldat peut provoquer des troubles. C’est d’ailleurs pourquoi il demande au gouvernement s’il ne serait pas possible de prévoir un acheminement par voie maritime, ce qui, comprend-on aisément, aurait l’avantage d’éviter de passer par les villes, jugées peu sures45. Il obtient d’ailleurs satisfaction46, et se félicite en outre d’apprendre que Louvois a donné consigne de ne pas faire stationner les troupes dans les villes47.

  • 48 Arch. mun. Rennes, BB 561, délib. du 15 VIII 1675.
  • 49 Arch. mun. Rennes, BB 561, délib. des 22 et 29 VIII 1675

43De manière révélatrice, et assez extraordinaire, la députation envoyée par les Rennais à Port-Louis pour remercier le duc de leur épargner la soldatesque comprend, outre le connétable Louvel, le syndic Gentil, cinq bourgeois et quatre officiers miliciens, dont Berthou et Bazin, comme si, en envoyant le héros de l’hôtel de ville et un capitaine porté au commandement lors des troubles, on voulait attester que le cœur de la ville était encore fidèle et que le contrat tacite du 20 juin était toujours d’actualité. Le retour de la délégation, le 15 août, confirme les bonnes dispositions dans lesquelles se trouve le duc48. Le 22, est également lue à Rennes la lettre qui annonce la convocation des états provinciaux, et elle ne contient aucune menace. De manière là encore révélatrice, le troisième député choisi pour aller, avec le sénéchal et le syndic, représenter Rennes dans l’assemblée provinciale est Pélicot, échevin et syndic des procureurs, signe que les états allaient être un lieu où il faudrait parler de taxes et impôts concernant en particulier cette profession49.

44À la municipalité, les délibérations reprennent alors leur cours, les événements passés n’émergeant qu’au travers de divers paiements qu’il faut effectuer. Au parlement, le nouveau semestre, installé début août, marche dans la ligne initiée dans les mois précédents. Ainsi, aucun indice ne semble indiquer une quelconque activité judiciaire, qui attesterait d’une chasse aux coupables. La tactique, visiblement, est celle de l’endormissement. Rien ne bouge, et Rennes prend les allures de ville de l’arrière sur un front repressionnaire dont le cœur s’est déplacé vers l’ouest de la Bretagne.

Le réveil de Bordeaux

La révolte des « Enfants perdus »

  • 50 SHD, A 1 441, fol. 415, lettre de de Sève à Louvois, 20 VI 1675.
  • 51 BNF, MC 171 bis, fol. 600.
  • 52 Arch. mun. Bordeaux, BB 167 ; BNF, Clairambault 796, fol. 231, lettre de d’Aulède à Colbert, 19 VI (...)
  • 53 Supra, chapitre II.

45On oublie parfois que la révolte du Papier timbré a non seulement commencé à Bordeaux, mais qu’elle s’y est aussi en quelque sorte terminée. Depuis la condamnation aux galères des deux fauteurs de désordres, la ville s’est calmée doucement, mais pas complètement. Ainsi, la nouvelle des troubles survenus à Rennes et en Basse-Bretagne en juin « font un meschant effet dans Bordeaux », obligeant le duc d’Albret à demander aux régiments de Tessé et de la Chau de s’approcher à quatre lieues de la ville50. Le duc fait peut-être allusion à deux documents qui ont dû susciter un certain émoi chez les dirigeants bordelais. Le premier, daté du 17 juin, est adressé à de Sève, et se présente comme un avis exprimé par le quartier Saint-Michel51. L’intendant y est sommé « de ne point fascher le pauvre peuple de la Réole » et de ne pas lui réserver le même sort qu’à celui de Bergerac. Le propos est un peu confus, condamnant une politique qui, dans cette dernière cité, aurait favorisé les huguenots au détriment des catholiques, et met en cause les partisans. Le texte, en tout cas, montre que les insurgés bordelais, ou en tout cas leurs problématiques porte-parole, ont une vision provinciale des choses, ce qui semble nouveau. Puis, le 19 juin, un placard est retrouvé au petit matin sur la porte de l’hôtel de ville52. Il s’inscrit plus dans la continuité de celui du 2 avril que des menaces du 17 juin53 :

« Nous savons que l’intendant a donné une ordonnance pour restablir le papier timbré, nous n’atandons que cella pour faire comme a Rennes et thué et bruslé les juratz qui prestent la main a ses tirannies et mesme le mareschal d’Albret et tous ses adherans
Les Enfans perdus. »

  • 54 SHD, A 1 441, fol. 187, lettre de Montaigu à Louvois, 10 VI 1675.

46La polarisation sur le papier timbré et le ton (« tyrannie ») laissent penser que, de nouveau, le coup est venu de quelques robins. L’enquête ordonnée aussitôt par le parlement n’aboutit pas. L’affaire fait à l’évidence écho aux décisions prises début juin de commencer à réintroduire le papier timbré dans les petites villes de Guyenne54. Ce texte montre aussi que les récents événements rennais, déformés volontairement ou non, servent désormais de référence. Surtout, selon une logique bien connue et déjà repérée, des traîtres sont dénoncés. Au-delà, le texte atteste d’une vision de la société politique coupée en deux entre ceux qui adhèrent à la « tyrannie » et les autres, emmenés par les « Enfants perdus », probable allusion à ceux qui, à la guerre, sont chargés d’ouvrir le front adverse et d’y créer le trouble par leurs tirs. Pour autant, rien ne se passe, sans doute parce que les autorités savent bien que l’heure n’est pas venue de lancer une offensive fiscale à Bordeaux.

  • 55 Le registre explique qu’il ne peut plus prendre de « commissions à exécuter dans la ville » (Arch. (...)
  • 56 Arch. mun. Bordeaux, BB 68.

47Le mois de juillet est plus calme. Le 17, alors que Rennes s’embrase, la jurade bordelaise décide d’accorder une rente de 120 livres par an au capitaine du guet, Cal, pour le remercier de son action lors des événements de mars, et le dédommager car le « menu peuple » n’a pour lui que « haine » et « aversion », situation qui visiblement le prive de certains revenus55. Rien n’est donc oublié. Faut-il y voir un rapport ? Le 20 juillet, Leblanc, conseiller au parlement, propose que Bordeaux se mette officiellement sous la protection de la sainte Famille56. Le rappel du fait que, en 1646, la ville s’est vouée lors d’une épidémie à saint Joachim, conduit à penser que la démarche se nourrit de la perception que Bordeaux connaît une période de calamité, et que la protection du Ciel est nécessaire. Par ailleurs, l’insistance sur la participation à cette fête religieuse et civique – au cours de laquelle on priera pour la famille royale – des faubourgs et de la banlieue (mentionnés après coup), tend à indiquer que la démarche, comme à Rennes à peu près au même moment, s’inscrit dans la perspective d’une réconciliation. Et comme à Rennes, la rechute va avoir lieu, malgré le secours demandé au Très-Haut.

  • 57 BNF, MC 172, fol. 179, lettre de de Sève à Colbert, 25 VII 1675.
  • 58 BNF, MC 171 bis, fol. 413, lettre de La Reynie à Colbert, 7 VI 1675.
  • 59 BNF, MC 171 bis, fol. 738, lettre de de Sève à Colbert, 29 VI 1675.
  • 60 BNF, MC 171 bis, MC 172, fol. 179, lettre de de Sève à Colbert, 25 VII 1675.

48En attendant cette solennité prévue pour l’hiver, la ville s’agite de nouveau un peu. Ayant été prévenu par une lettre anonyme qu’il fallait qu’il quitte la ville au plus vite, Maynon, le fermier des formules, est obligé de se retirer à Saintes sur ordre de d’Albret, afin de ne pas donner « prétexte » à révolte57. Le fait que les menaces aient été proférées par lettre, et qu’en sus un billet ait été adressé à l’hôte hébergeant le financier pour le prévenir des risques qu’il encourait à abriter pareil personnage, tend à renforcer l’idée que dans la ville existent toujours des individus qui cherchent à maintenir une pression constante par l’écrit. Comme le disait La Reynie à propos du placard saisi à Paris en juin, tout cela montre qu’il y a « quelque chose qui agit, mais qu’il n’est pas encore bien facile de connoitre58 ». L’arrestation, quelques jours plus tôt, à Bordeaux même, d’un lieutenant d’Audijos a peut-être conduit les autorités à estimer que des ramifications pouvaient aller loin, mais l’idée n’affleure pas vraiment dans la correspondance administrative59. L’éloignement de Maynon est jugé par d’Albret d’autant plus nécessaire que l’affaire ne s’arrête pas là. Attaché à son idée de continuer à approvisionner la généralité en papier timbré, de Sève installe la presse à timbrer dans une maison particulière de Bordeaux où le papier doit être apporté de nuit, par sécurité60. Or un crocheteur y portant du papier blanc est interpellé une nuit par des artisans « qui alloient donné une aubade aux confrères de Saint Jacques » : heureux de voir qu’il ne s’agît pas de papier timbré, mais trouvant cela néanmoins suspect, les joyeux compagnons conduisent l’homme à l’hôtel de ville, où les jurats procèdent à un interrogatoire pour la forme.

  • 61 SHD, A 1 443, fol. 38, lettre de d’Albret à Louvois, 3 VIII 1675.
  • 62 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois et Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. (...)
  • 63 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675.
  • 64 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois et Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. (...)
  • 65 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 66 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 67 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675.
  • 68 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675 et BNF, Clai (...)
  • 69 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois.
  • 70 Supra, chapitre V.

49Dans ce contexte, on peut comprendre que le 3 août, le gouverneur se dise à nouveau inquiet de ce que les nouvelles de Bretagne puissent susciter des réactions61, mais le contexte, dans les deux villes est différent puisqu’à Bordeaux, le papier timbré n’a plus court depuis plusieurs mois. Puis, le 14 août, un nouvel incident survient. D’après Montaigu, la cause en serait un arrêt du conseil signifié à un marchand de sucre, rétablissant un droit qui avait été aboli62. Or, plus que ce droit, ce qui semble avoir ému le « peuple » qui en a connaissance, est que l’arrêt est écrit sur du papier timbré. L’intervention apaisante de d’Albret et des bons bourgeois calme apparemment la « canaille63 ». Pourtant, la bête se réveille peu après, le 16 août. Ce jour-là des balles de papier timbré destinées au haut pays sont découvertes sur le port64. D’après le premier président d’Aulède, la « canaille » aurait été alertée par le fait que sur le dit papier figurait le mot « Bordeaux » : elle n’aurait pas compris que c’était du papier destiné au reste de la généralité portant le nom de sa capitale65. Indignés, croyant « qu’on ne leur [tient] pas parole66 », les émeutiers portent des feuilles chez un jurat, Villatte67. Celui-ci propose que le tout soit déposé à l’hôtel de ville, afin que la municipalité donne des ordres le lendemain, prétextant qu’on est jour de fête – c’était la Saint Roch – et qu’on ne peut en conséquence rien décider. La foule ( ?) ne s’en laissant pas compter, les jurats sont obligés de se réunir sur le champ et envoient une députation constater les faits sur le port. Là, tout semble calme mais, d’après la jurade, une nouvelle balle de papier timbré est bientôt découverte. C’est l’embrasement, décrit comme particulièrement furieux par les jurats, qui avoueront avoir été totalement débordés. Les balles sont ouvertes, le papier est déchiré, le bateau coupable brûlé et son propriétaire tué, peut-être par noyade68. D’après Montaigu, la foule, composée tant d’hommes que de femmes, aurait tué deux bateliers à coup de pierres69. Ainsi cette population des gens de la rivière, ailleurs décrite par les autorités comme séditieuse70 a-t-elle été, dans ce contexte furieux, perçue comme alliée du fisc abhorré, voire comme traîtresse.

  • 71 Livre de raison de la famille Fontainemarie, 1640-1774, Philippe Tamizey de Larroque (éd.), Agen, L (...)
  • 72 Saint-Michel et Sainte-Eulalie selon Fontainemarie.
  • 73 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 74 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois.
  • 75 BNF, MC 172, fol. 313, lettre de Lombard à Colbert, 17 VIII 1675. D’après Fontainemarie (Livre de r (...)
  • 76 Orest Ranum, La Fronde, Paris, Seuil, 1995, p. 177-178.
  • 77 « Surtout à l’hostel de ville, au marché, au Chapeau Rouge » note Fontainemarie : on retrouve là le (...)
  • 78 Sans doute faut-il voir là un système de participation commune, ou de mise à l’amende pour ceux qui (...)
  • 79 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675 et SHD, A 1  (...)
  • 80 SHD, A 1 443, fol. 282, lettre de Montaigu à Louvois, 19 VIII 1675.
  • 81 BNF, MC 172 bis, fol. 340, lettre de d’Albret à Colbert, 19 VIII 1675 et fol. 420, lettre de d’Aulè (...)

50À ce stade, la révolte n’a donc pas encore pris les allures d’un soulèvement armé, mais les choses évoluent très vite selon Fontainemarie, qui, rapidement, entend le tocsin sonner et voit reparaître des armes71. La nouvelle se répandant dans les quartiers Saint-Michel et Sainte-Croix72, une foule se constitue et se masse devant l’hôtel de ville, pour clamer son indignation, puisque preuve est faite que l’on veut rétablir le papier honni « contre la parolle qui leur avoit esté donné de le supprimer ». Un nouveau siège commence, note Fontainemarie L’intervention de d’Albret et celle de l’archevêque n’y font rien : à en croire les jurats, la foule paraît d’autant moins contrôlable qu’elle ne cesse de grossir et que les effets du vin se font sentir. Rien n’est dit dans les archives de la chaleur estivale, mais rien n’empêche de penser qu’elle a pesé lourd. Mais le camp de l’autorité tient bon. Le premier président va, raconte-t-il le lendemain à Colbert, par les rues quérir les bourgeois et les parlementaires pour les mobiliser et s’occuper de faire fermer les portes, tandis qu’il note que le maréchal-duc a quant à lui du mal à atteindre l’hôtel de ville73. Même dans les pires moments, il est toujours bon de faire état des déboires, mêmes petits, des autres puissances du pays. Au Château-Trompette, Montaigu installe l’artillerie en direction de la ville et envoie chercher du secours à l’extérieur74. Une tentative des émeutiers de pénétrer dans l’hôtel de ville est repoussée à coups de feu, occasionnant, disent les jurats, un mort et cinq blessés. Puis, l’arrivée depuis le Château-Trompette de 300 des 400 hommes du régiment de Navailles – celui-là même que Louvois a fait venir de La Rochelle en avril – permet à d’Albret de mener une offensive victorieuse que, prudent, il ne pousse cependant pas jusqu’à son terme : le soir venant, « il ne feut pas jugé à propos de les attaquer » dans leurs quartiers, où les émeutiers se sont retranchés75 selon une tactique éprouvée76. La nuit, alors qu’une soixantaine de soldats sont disposés à l’hôtel de ville et que des corps de gardes sont postés à certains endroits stratégiques77, des mutins se répandent dans la ville, demandant, dit Fontainemarie, de l’argent ou de les rejoindre78. Des combats ont lieu, en particulier devant l’hôtel de ville où « il en feut estendu une vingtaine sur place » d’après les jurats, chiffre à peu près confirmé par Montaigu qui parle de 15 à 16 morts et de plusieurs blessés79. D’après les jurats, cette victoire est due au jurat de Minvielle, aux bourgeois et aux soldats, tandis que pour Montaigu, seuls ses hommes eurent un rôle décisif. En marge de ces événements qui ont pour cadre la ville même, il faut aussi noter un attroupement de paysans venus à la nouvelle de la révolte bordelaise aux abords de la ville, et qui sont dispersés par l’envoi d’une centaine d’hommes de la garnison80. À cela il faut ajouter un incident dramatique qui se produit de l’autre côté du fleuve, à la Bastide. Là, un garde du comte de Montaigu qui traverse la Garonne afin d’aller prévenir le régiment de la Chau stationné à Marmande de se tenir prêt, est pris pour cible, abattu, et son corps « traîné à la rivière81 ».

  • 82 Robert Descimon, « Les barricades de la fronde parisienne. Une lecture sociologique », Annales ESC,(...)
  • 83 On retiendra ici le fameux manuel de Bugeaud, La guerre des rues et des maisons (1849).

51Même si toute une littérature insiste sur la médiocrité des miliciens et la qualité opérationnelle des troupes réglées, il n’est pas impossible que, dans le cas présent, les citoyens armés aient joué un rôle important. A-t-il été pour autant décisif ? Mieux que les soldats professionnels, ils connaissent la ville, espace poreux et labyrinthe tout à la fois. Au-delà des rues en effet, il y a les cours, les arrière-cours, les passages divers, sans oublier que la partie qui se joue peut l’être aussi en prenant un peu de hauteur, dans les maisons amies ou simplement connues, ou dans les clochers, ces redoutables postes d’observation, mais aussi de tir. Dans sa ville, le milicien a un toujours un avantage sur le soldat de la garnison, qui n’a en général pas ce contact intime, souvent depuis l’enfance, avec la topographie fine de la cité, et qui peut faire la différence au cœur de l’action, surtout quand, comme ici, une partie de l’engagement a lieu la nuit82. Pourtant, en l’état, il faut souligner que les habitants se trouvent dans les deux camps. Certes, ceux qui défendent l’autorité sont plus que les autres, peut-on penser, sur leur terrain, dans leur quartier, celui-là même qu’ils ont mission de défendre et dont ils peuvent connaître jusqu’aux recoins les plus utiles. Mais est-ce suffisant ? Même si l’armée n’a pas encore théorisé la contre-insurrrection urbaine83, il est fort probable que sa présence a été importante. Car la troupe est à l’évidence plus en capacité de passer à l’offensive que ne le sont les compagnies bourgeoises, spécialistes de la défense. Dès lors, et ce serait une des grandes différences entre l’échec du mois de mars et le succès du mois d’août, l’intervention de l’armée à la fois rapide, nombreuse et menée avec une partie des miliciens sans lesquels il est illusoire de tenir longtemps des positions dans la ville, a contribué à vaincre l’émeute. Comme nous le verrons, ce n’est certainement pas la seule explication de l’échec de l’insurrection, mais celle-ci demeure essentielle pour comprendre pourquoi la révolte n’a pas pris une allure gigantesque, et s’est finalement avouée vaincue. Le lendemain matin, en effet, Bordeaux se réveille en ayant compris que le rapport de force n’est plus le même.

Vigueur répressive

  • 84 BNF, MC 172, fol. 313, lettre de Lombard à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 85 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675.
  • 86 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 87 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettres des jurats à Châteauneuf, 17 et 19 VIII 1675.
  • 88 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., arrêt du parlement, 17 VIII 1675.
  • 89 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 90 Arch. mun. Bordeaux, EE 7.

52En effet, le 17 août au matin, d’Albret, accompagné du régiment de Navailles mais aussi, d’après Lombard, de 300 gentilshommes84, achève le travail de retour à l’ordre par la parole, semble-t-il, et fait ouvrir les barricades qui avaient été dressées. C’est alors que, note la jurade, un curé vient trouver le duc pour lui signifier que ses ouailles se soumettent et demandent pardon85. Le duc le leur accorde, à condition de faire effort pour retrouver les chefs des mutins. Selon d’Aulède, c’est même une députation de Saint-Michel qui vient voir le gouverneur, avec son curé, pour l’assurer que les gens de cette paroisse célèbre pour ses prises d’armes, n’ont eu aucune part aux événements86. Mieux, à en croire le magistrat, les gens de Saint-Michel demandent à d’Albret l’autorisation de courir sus aux émeutiers, coupables à leurs yeux de s’être servi de leur nom – on se souvient de l’avis donné en juin – et de leurs cloches pour ameuter la foule. Apparemment, toujours selon d’Aulède, d’Albret se rallie à cette idée, qu’il défend devant le parlement. De leur côté, les jurats, se disent convaincus que le peuple de Bordeaux a surtout été victime de sa faiblesse et de quelques esprits malins. Ils relaient en conséquence à deux reprises leur demande de pardon auprès du roi, en insistant sur le caractère soudain de cette révolte aussi vite disparue qu’arrivée87. Le même jour, pour tenter de consolider le retour au calme, un arrêt du parlement interdit les attroupements intempestifs, « à peine de vie88 ». Il est signifié par un huissier jusque dans le quartier Saint-Michel, où on n’en avait plus vu depuis longtemps note encore d’Aulède89. L’arrêt est complété le 31 août par une longue ordonnance dans laquelle les jurats précisent les devoirs des habitants en terme de maintien de l’ordre : interdiction de mener des actions armées sans ordre exprès de la hiérarchie sous peine d’une amende de 50 livres et de la perte du droit de bourgeoisie ; interdiction de lever des barricades, de sonner le tocsin et au clergé d’ouvrir ses églises ; obligation pour les officiers de milice de signaler leurs déménagements ; obligation pour les cadres miliciens, caporaux compris, de demander une autorisation pour s’absenter de Bordeaux au-delà de 24 heures ; obligation aux hôtes de tenir registre de leurs clients ; ordre aux gens sans aveu de quitter la ville dans les 24 heures90.

  • 91 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.
  • 92 BNF, MC 172 bis, fol. 317, lettre de d’Albret à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 93 BNF, MC 172 bis, fol. 336, lettre de de Sève à Colbert, 19 VIII 1675.
  • 94 BNF, MC 172 bis, fol. 341 et 343, lettres de d’Albret à Colbert, 19 VIII 1675.
  • 95 BNF, MC 172 bis, fol. 341, lettre de d’Albret à Colbert, 19 VIII 1675.

53En même temps, l’intendant de Sève avoue sa perplexité et cherche à savoir quelle faute ont pu commettre les commis du timbré, envisageant même qu’il puisse y avoir derrière tout cela un peu de « malice » de leur part91. D’Albret lui aussi suspecte les financiers de quelques obscures menées92, et soupçonne en particulier le sieur Maynon, fermier du timbre93. Les autorités bordelaises ont-elles été inspirées par l’affaire rennaise du 17 juillet ? En fait, il est probable que la désignation des fermiers et commis comme responsables, voire comme coupables, participe de la grande entreprise de déresponsabilisation de Bordeaux et de ses autorités. En effet, d’Albret s’est porté garant des habitants de la ville. Il peut encore espérer que celle-ci évitera le logement des gens de guerre grâce à la sévérité des supplices qu’il pense certaine au moment où il écrit94. Le gouverneur pense aussi visiblement que l’heure est d’autant moins venue de recréer du désordre – et on sait que la troupe est réputée pour en générer – que les vendanges approchent. En revanche, il y avait des bornes à ne pas dépasser : d’Albret, ainsi, promet que les habitants de la Bastide, coupables de la mort du garde de Montaigu, auront à subir le logement de quelques troupes95. Mais ce n’est pas vraiment la ville, et le fleuve forme une sorte de frontière avec celle-ci.

  • 96 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 19 VIII 1675.
  • 97 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 21 VIII 1675.
  • 98 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 21 VIII 1675.

54Dès le 19 août, les jurats parviennent à arrêter douze hommes et une femme, qu’ils estiment être les plus coupables, et pour lesquels ils promettent de trouver sans tarder des preuves de leur culpabilité96. Comme à Rennes en avril, certains sont capturés sans gloire, sur les lits de l’hôpital où ils ont été amenés suite à la fusillade de l’hôtel de ville97. Afin d’accélérer la procédure, et sans doute échaudés par le précèdent du mois de juin, les jurats renoncent à leur faire procès, et placent les prévenus directement à la conciergerie du parlement, sous la responsabilité de la juridiction d’appel, mise devant ses responsabilités. Dans les jours qui suivent, les jurats annoncent fièrement à Châteauneuf que trois autres individus ont été arrêtés98. Pour appuyer l’idée que le bon peuple n’est pour rien dans les tumultes passés, la jurade prend soin de préciser que les bourgeois et les artisans de Saint-Michel en ont arrêté un, par ailleurs considéré comme des plus coupables. On est impressionné par la rapidité avec laquelle la justice punitive opère. Dès le 20 août, le parlement condamne deux hommes à faire amende honorable et à être pendus sur la place Saint-Michel elle-même. Un autre est également pendu le 21 août devant l’hôtel de ville. On comprend ce qu’il y a derrière ce zèle et cette volonté de mettre en avant la rapidité et la sévérité de la justice, en se souvenant que l’amnistie accordée début avril est suspendue à la condition que la ville reste calme.

  • 99 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 21 VIII 1675. Peut-il s’a (...)
  • 100 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettres de Châteauneuf aux jurats, 3 et 11 IX 1675.
  • 101 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.

55Ceci dit, les jurats ne sont pas totalement rassurés et redoutent visiblement que les pendaisons, notamment celles prévues au cœur du quartier réputé tumultueux entre tous, ne tournent mal. La présence des troupes venues du Château-Trompette, mais aussi la mobilisation de « quelques compagnies » bourgeoises sans doute soigneusement choisies, permettent aux choses de se passer comme prévues. La sévérité judiciaire ne doit cependant pas impressionner outre mesure. En effet, les deux premiers exécutés sont des maçons limousins et on peut se demander si, comme à Nantes avec Goulven Salaün, on n’a pas volontairement fait tomber le bras vengeur de la justice sur des étrangers peu intégrés, et ce faisant plus facilement exécutables. Quant au troisième larron, un tailleur nommé France, qui n’est pas dit étranger à la ville, il a été arrêté par les habitants de Saint-Michel99. En somme, on frappait celui qui a été déjà condamné par la population. Ainsi la répression judiciaire avance-t-elle à pas prudents et donne l’impression d’avoir mis toutes les chances de son côté pour assurer avec éclat la totale fidélité de Bordeaux aux ordres de Sa Majesté. À en croire Châteauneuf, celle-ci est d’ailleurs satisfaite de la conduite de ses sujets, mais considère que l’on ne doit pas s’arrêter en si bon chemin, et que les autres coupables doivent eux aussi connaître un sort fatal100. De Sève, constatant ce zèle répressif, se dit convaincu qu’on ne s’arrêtera pas là101.

  • 102 BNF, MC 172 bis, fol. 385, lettre de d’Aulède à Colbert, 24 VIII 1675.
  • 103 BNF, Clairambault 796, fol. 385, lettre de d’Aulède à Colbert, 28 VIII 1675.
  • 104 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., 29 VIII 1675.
  • 105 BNF, MC 172 bis, fol. 420, lettre de d’Aulède à Colbert, 31 VIII 1675.

56Pourtant, la liste des suppliciés ne semble pas avoir été beaucoup plus longue. Le 24 août, d’Aulède croit bon de s’en expliquer auprès de Colbert en lui indiquant que la cause première est que l’exécuteur, un certain Duret, a pris la fuite102. Peut-être a-t-il reçu des menaces, la même lettre signalant qu’un jurat a reçu un courrier menaçant « le general et le particulier de la ville ». Mais on sent désormais le premier président moins sûr du chemin à prendre. En effet, après avoir évoqué cette histoire de bourreau, avoir précisé qu’on en cherche un autre dans les villes voisines et avoir expliqué qu’on continue à faire procès aux coupables, d’Aulède glisse au contrôleur général qu’il souhaiterait savoir si le roi « trouve a propos qu’on pousse l’exemple et la rigueur à bout ». Et de fait on sent bien, dans les derniers jours d’août, que la cour est moins incisive. Ainsi deux prisonniers sontils condamnés au bannissement perpétuel faute de preuves ; un autre est envoyé aux galères car un nombre insuffisant de magistrats a été d’avis de le condamner à une mort immédiate103. Une autre source indique par ailleurs, au même moment, qu’un portefaix « qui avoit commis des insolences » est simplement menacé de la corde s’il récidive104. Quant à la punition pour les faits survenus à la Bastide, et dont d’Aulède dresse le bilan le dernier jour d’août, elle apparaît aussi comme un mélange de sévérité et d’impuissance : un homme, qui a été pris sur place est certes condamné à la roue et exécuté sur le lieu du crime, mais les témoins n’ont pas assez chargé les trois autres accusés, ce qui conduit à reporter à plus tard leur procès105.

  • 106 BNF, MC 172 bis, fol. 373, lettre de d’Albret à Colbert, 21 VIII 1675.
  • 107 SHD, A 1 443, fol. 282, lettre de Montaigu à Louvois, 19 VIII 1675.
  • 108 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.

57Il faut dire aussi que derrière les mots assurant que le traitement sévère de cette affaire a eu des effets bénéfiques, on perçoit que les autorités ne sont pas totalement rassurées. Ainsi, d’Albret s’ouvre à Colbert de la nécessité d’accélérer les travaux au Château-Trompette – et en particulier de faciliter l’accès à la forteresse – afin d’améliorer les entrées et sorties des troupes106. Montaigu confie de son côté à Louvois, inspiré par les succès des jours précédents, que la ville pourrait être sous contrôle pour peu qu’on dispose de troupes fiables, qu’on aménage l’hôtel de ville pour le rendre plus sûr et qu’on édifie sur le boulevard vers Sainte-Croix un bastion avec six canons et cent hommes pour tenir en respect les quartiers tumultueux107. Quant à de Sève, il doute de la pureté des sentiments des habitants, bourgeois compris108. Il se félicite d’ailleurs, tout comme d’Albret, de ce que la nouvelle de la défaite française à Consarbrück – le 11 août près de Trèves – ne soit pas parvenue trop tôt, de crainte qu’elle n’ait donné du cœur aux insurgés. Cette inquiétude se comprend en rappelant l’évidence : nul ne peut prédire que c’est la dernière révolte du papier timbré.

  • 109 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 110 BNF, MC 172, fol. 313, lettre de Lombard à Colbert, 19 VIII 1675.

58La rapidité de la répression, même limitée, fait pendant au caractère éphémère de l’embrasement. Si l’on revient un peu en arrière, on se souvient que quelques semaines plus tôt, le scénario d’une reprise brutale de l’émeute centrée sur le papier timbré était envisagé par les « Enfants perdus ». Il est dès lors assez tentant de songer que, derrière tout cela, certains agitateurs ont au moins soufflé sur les braises, et peut-être plus, parvenant à provoquer un embrasement réel, dangereux, mais dont le caractère éphémère est assez remarquable. D’Aulède, qui avait été absent lors de la sédition de mars et qui est à présent de retour dans sa ville, considère que la cause du succès est à chercher dans la vigueur répressive qui surprit les insurgés109. Dans l’ensemble, les correspondants de Colbert se félicitent de cette sévérité, considérant sans doute que l’on a réussi en août là où on avait échoué en mars. Car si on ne put empêcher la révolte de naître, on réussit néanmoins à l’empêcher de se développer. Si les notables locaux n’ont pas complètement tort, il ne faut pas pour autant négliger la part d’autolégitimation dont tout cela relève. On sait en effet, et les événements rennais d’avril le montrent assez, que la tactique du coup de feu peut avoir des effets négatifs. Aussi la cause profonde de l’apaisement soudain est-elle à chercher en premier lieu dans le désir d’un nombre suffisant de gens, y compris à Saint-Michel, de sauvegarder ce qui a été acquis fin mars, et de ne pas compromettre une situation à bien des égards enviable. La présence de troupes décidées dans la citadelle de Trompette, la possibilité de voir fondre sur Bordeaux d’autres unités ont pu conduire nombre d’habitants à faire un rapide calcul sur le rapport de force et les risques encourus. Ici, des médiateurs, à l’image du curé de Saint-Michel peut-on penser, ont probablement mené un travail important, comparable à celui des missionnaires que nous verrons en Basse-Bretagne, mais il est vraisemblable que les gens savaient bien d’eux-mêmes où était leur intérêt. Aussi, si la foule a pu venir en nombre devant l’hôtel de ville au son du tocsin, la part de ceux qui ont participé activement aux opérations armées pourrait bien avoir été bien plus réduite. Lombard évoque en effet – sur quelle base ? peut-on il est vrai se demander – « seulement » 250 hommes montés à l’assaut de l’hôtel de ville110. Des « enfants perdus » en somme, suffisamment nombreux pour tenir une rue, une place ou assiéger un hôtel de ville, mais assurément pas pour maîtriser une ville, qui plus est de garnison.

Les arrière-gardes, des Pyrénées à Poitiers

  • 111 Georges Couton, La chair et l’âme. Louis XIV entre ses maîtresses et Bossuet, Grenoble, PUG, 1995, (...)

59Au début de l’été, Bossuet, précepteur du dauphin, crut bon d’alerter le roi sur la situation. L’histoire a surtout retenu que cette année là, l’ancien et éphémère évêque de Condom s’était lancé dans une offensive visant à séparer le roi de madame de Montespan111. Mais à l’évidence, le salut du roi passait aussi à ses yeux par une plus grande attention à ses peuples :

  • 112 Bossuet, Œuvres complètes, Paris, 1856, t. I, p. 207, lettre du 10 VII 1675.

« Le trône que vous remplissez est à Dieu ; vous y tenez sa place, vous devez y régner selon ses lois. Les lois qu’il vous a données sont que, parmi vos sujets, votre puissance ne soit formidable qu’aux méchants, et que vos sujets puissent vivre en paix et en repos en vous rendant obéissance… Je n’ignore pas, Sire, combien il vous est difficile de donner à votre peuple tout le soulagement dont il a besoin, au milieu d’une grande guerre où vous êtes obligé à des dépenses si extraordinaires et pour conserver vos alliés ; mais la guerre, qui oblige Votre Majesté à de si grandes dépenses, l’oblige en même temps à ne pas laisser accabler le peuple112… »

60Moins connue que celle adressée vingt ans plus tard par Fénelon à Louis XIV, cette lettre peut être vue comme un appel à la clémence au moment où les révoltes tendent à s’apaiser. Nous sommes en effet avant les rechutes de Rennes et de Bordeaux et avant que les nouvelles inquiétantes n’arrivent de Basse-Bretagne. En même temps, elle révèle combien à la cour on sent au début de l’été que la situation intérieure est fort fragile.

  • 113 BNF, MC 172, fol. 317, lettre de d’Albret à Colbert, 17 VIII 1675.
  • 114 BNF, MC 171 bis, fol. 714, lettre de d’Aulède à Colbert, 29 VI 1675.
  • 115 BNF, Clairambault 796, fol. 323, lettre de de Sève à Colbert, 29 VII 1675.
  • 116 SHD, A 1 443, fol. 38, lettre de d’Albret à Louvois, 3 VIII 1675.
  • 117 Arnaud Communay, Audijos : la gabelle en Gascogne, Paris, Champion, 1893, p. 425.
  • 118 Ibid.
  • 119 José Cubéro, Une révolte antifiscale au XVIIe siècle, Paris, Imago, 2001, p. 162-163.

61En réalité, à part le durcissement observé en Cornouaille et les ultimes et ponctuels embrasements de Rennes et de Bordeaux, le front intérieur paraît partout en voie d’apaisement. Concernant l’affaire bordelaise, un des faits marquants est qu’elle reste isolée dans son environnement alors que le vaste sud-ouest est parsemé de braises. D’Albret note, juste après la révolte bordelaise de l’été, que le risque d’extension à la Guyenne est réel, même si la tendance est à l’accalmie113. Ainsi la peur du soldat tient selon lui les populations en respect : si on utilise le papier timbré, ce n’est que pour éviter d’avoir à loger des troupes. Sur le « front » pyrénéen, les choses évoluent assez vite. Un lieutenant d’Audijos est capturé fin juin114. Un mois plus tard, d’Audijos lui-même est signalé avec 150 hommes dans le val d’Azun, où il aurait tué un curé, un enfant et un syndic, mais où il aurait aussi rencontré la résistance armée des paysans115. Considérant que l’envoi de troupes dans les montagnes sera contre-productive, d’Albret préconise de lever des unités locales encadrées par des gentilshommes116. Peu après, les états de Bigorre décident la levée d’une troupe chargée de chasser le rebelle impénitent117. Ainsi voit-on la communauté de Vic voter l’envoi de 45 hommes « constraints d’obeir a peine de cinquante livres118 ». Pourtant, en septembre, d’Audijos est encore repéré dans la Soule. Les choses sont ici très confuses, car dès juillet, le roi a décidé de signer des lettres d’abolition en faveur du célèbre rebelle, en raison de « quelque service considérable » (et à ce jour toujours mystérieux) rendu par ce dernier au monarque119. Apparemment retourné par les Français, et dans l’impossibilité désormais de passer tranquillement en Espagne, le plus célèbre révolté de cette partie du royaume se rend et, le 20 septembre, comparaît – chose inouïe – au parlement de Bordeaux « teste nue et à genoux, les fers aux pieds », pour entendre les lettres d’abolition. Mise en scène ? Toujours est-il que l’homme peut bientôt prendre rang comme colonel de dragons, se marier et s’embarquer pour Messine, comme un symbole de la voie qu’il fallait désormais suivre, et qui ne pouvait exister que dans le service jusqu’à mourir. Ce qui fut le cas, puisque cet étrange officier du roi périt en 1677 de la malaria en Sicile.

  • 120 BNF, MC 172, lettres de d’Albret et de Sève à Colbert, 10 VIII 1675.
  • 121 BNF, MC 171 bis, fol. 616, lettre de Fieubet à Colbert, 19 VI 1675.
  • 122 Sans doute des investigations dans les archives toulousaines seraient ici utiles pour comprendre ce (...)
  • 123 BNF, Clairambault 796, fol. 367, lettre de d’Aguesseau à Colbert, 6 VIII 1675.

62En attendant cet épilogue, à l’été 1675, d’autres foyers sont plus ou moins agités. Ainsi d’Albret et de Sève déplorent-ils l’insolence des Basques qui revendiquent la suppression du contrôle, non sans lien avec les arrangements décidés quelques mois plus tôt pour Bayonne120. L’intendant note même que l’on peut craindre une extension de la revendication en Basse-Navarre et en Béarn. Il note aussi qu’il est difficile de trouver des gens pour se charger du contrôle. Il fait également état de « méchants bruits » qui continuent à être semés « parmy le peuple ». Mais l’incendie ne démarre pas. Il en est de même à Toulouse, où la situation est tendue. En juin, les autorités décident de différer la mise en place des taxes sur l’étain, mais aussi sur le tabac, « à la fin de la campagne », jugeant que l’autorité du roi est un bien trop « précieux » pour « hasarder » quoi que ce soit qui l’affecterait121. Bref, on attend que des troupes soient disponibles pour lancer l’offensive fiscale. Mais les choses ne sont apparemment pas si simples et, sans qu’on sache très bien pourquoi122, en août, les pintiers ont fermé boutique et l’un d’eux, d’ailleurs bordelais d’origine, sèmerait le désordre et empêcherait tout accommodement d’avoir lieu123. Dès lors, les risques qu’une révolte éclate sur le modèle de la capitale de la Guyenne sont considérés comme réels, même si l’intendant d’Aguesseau estime que, en agissant de la sorte, les pintiers se pénalisent eux-mêmes, et qu’ils céderont comme les orfèvres ont cédé après l’établissement d’un droit sur l’or et l’argent. Néanmoins, la maréchaussée envoyée en Bretagne n’étant pas encore revenue, il estime prudent, que l’on fasse venir deux compagnies de dragons du Roussillon aux alentours de la capitale languedocienne, ce qui selon lui fera croire « que le reste de l’armée doit suivre » et calmera les esprits.

  • 124 Pierre Clément, La police sous Louis XIV, Paris, Didier, 1866, p. 426 : lettre de La Reynie à Colbe (...)
  • 125 Lettres, op. cit., p. 779.

63À Paris, les autorités sont aussi toujours attentives au moindre bruit. Ainsi les auteurs de quelques libelles sur lesquels on ne sait rien sont condamnés au cœur de l’été124. Au même moment, une affaire secoue la capitale, dont le prudent La Reynie voit aussitôt vers quels chemins séditieux elle peut conduire. Marie de Sévigné a elle aussi raconté l’histoire de cet artisan du faubourg Saint-Marcel, qui, pour un impôt de trop à payer, vendit tout et finit par tuer ses trois enfants125. Le lieutenant de police, qui signale également « quelques attroupements de vendeurs d’eau de vie », croit utile de confier à Colbert que, suivant les indications données d’ailleurs par ce dernier, dans ce climat tendu, « il n’a été signifié aucune taxe à aucun artisan de Paris ». Il ne semble pas qu’on soit allé plus loin.

  • 126 BNF, MC 172, fol. 94, lettres de Pellot à Colbert, 13, 28 VII et 4 VIII 1675.
  • 127 Arch. nat., E* 1781, fol. 445, arrêt du conseil, 9 VIII 1675.

64La Normandie est aussi toujours un peu agitée. À Rouen, les autorités constatent un afflux de pauvres des campagnes et craignent en conséquence des désordres frumentaires126. Quelques troubles de marché sont observés, mais rien de grave, et il n’est de toutes les façons pas question d’impôts. À Falaise, un ancien bailli de l’archevêque est cependant arrêté pour avoir proféré des propos « extravagans » et être l’auteur de quelques placards tendant à sédition127. Le roi exige dans l’affaire une punition exemplaire.

  • 128 BNF, Clairambault 796, fol. 219, lettre de Tubeuf à Colbert, 30 VI 1675.
  • 129 BNF, MC 172, fol. 299 et 331, lettres de Mgr de la Vergne à Colbert, 16 et 18 VIII 1675.
  • 130 Lettre à Colbert du 18 VIII 1675, cité par l’abbé Abbé Ledru, « Une émeute dans le Maine en 1675 »,(...)
  • 131 Supra, chapitre V.

65Au Mans, le court embrasement du printemps n’est plus qu’un souvenir. Dès la fin juin, s’ouvre l’instruction du procès des coupables en présence du bataillon de la Couronne128. La pendaison d’un homme, en plein mois d’août129, marque la fin d’une affaire mal reliée au reste du flux rebellionnaire de l’année, mais qui a dû peser dans l’appréciation de la gravité de la situation. À en croire le gouverneur du Maine, le marquis de Sourches, on n’aurait pas eu besoin de la troupe pour exécuter, les bons habitants lui apparaissant comme particulièrement sûrs130. En revanche, il se dit inquiet de ce que l’on signale à la frontière du Maine et de la Bretagne, « vers les confins de Laval » et non loin de Vitré, une troupe de 40 à 50 « voleurs » occasionnant quelques désordres, mais aucun encore « contre le roy ». Il semble donc qu’il s’agît plutôt de brigandages comme cette frontière fiscale pouvait en générer, sans lien, a priori, avec les mouvements observés sur les marches bretonnes131. En revanche, note le marquis, cette troupe pose indirectement un problème dans la mesure où la marche des cavaliers de la maréchaussée vers ces « brouillons » pourrait « alarmer les Bretons ». Il fallait, là encore, être prudent. En fait, alors que l’été décline, ce qui paraît le plus évident, c’est que seule la Bretagne reste encore source de réelle inquiétude pour les autorités.

  • 132 Jean Nicolas, op. cit, p. 34.
  • 133 Arch. mun. Poitiers, registre de délibérations, no 125, 4 III et 12 VI 1676.
  • 134 Arch. mun. Poitiers, registre de délibérations, no 125, 27, 29, 30 III 1676.
  • 135 Arch. mun. Poitiers, registre de délibérations, no 125, 30 III, 1er, 4 IV et 6 VII 1676.

66L’impression dominante est celle non pas tant d’un retour au calme que d’un retour à la normale, qu’exprime mieux que tout le graphique dressé par Jean Nicolas qui montre une nette décrue du flux rebellionnaire en 1676, qui ne signifie pas disparition du phénomène132. Dans les mois qui suivent, ainsi, Poitiers se signale par de nouveaux troubles. Alors que les différents corps se soumettent à la taxe sur les arts et métiers, la ville s’agite à nouveau à partir du printemps 1676 : les commis des aides se plaignent d’avoir eu maille à partir avec quelques particuliers en mars et d’avoir été attaqués par des porteurs de chaises en juin133. Toujours en mars, les bouchers refusent de garnir les étals de viande pour protester contre le paiement d’une taxe à l’entrée de la ville134. L’un d’eux, soutenu pas ses confrères, explique, que la situation est devenue intenable, les clients ne pouvant eux-mêmes plus payer « à cause des nouveaux impôts ». « Pretexte », lui rétorque le maire, qui obtient apparemment le retour au calme en usant de la menace du logement des gens de guerre. On n’eut pas semble-t-il à aller jusque là. Le meneur des bouchers est décrété de prise de corps – mais il a fui –, tandis que le maire n’est pas récompensé autrement que par un exil… en Bretagne, à Fougères précisément, signe que cette partie du royaume est désormais considérée comme calme135. Ces péripéties, que les bouchers poitevins rattachent peu ou prou à la crue fiscale destinée à financer la guerre, sont au mieux une queue de comète du grand embrasement de 1675. Mais à y regarder de près, l’affaire est sans doute emblématique d’un feu rebellionnaire désormais déclinant et, ce qui est lié, cloisonné. Sur la courbe de Jean Nicolas, nous approchons alors des plus bas niveaux du flux rebellionnaire constatés entre 1661 et 1789. Bientôt, Louis sera vraiment grand et le soleil royal brillera sur cette France qui sera celle de l’après Nimègue, de la galerie des glaces et des statues du monarque sur les places des grandes villes.

*

  • 136 Ch.-M. Chotzen, « Le gouvernement hollandais et la révolte du papier timbré », AB, 1942, 49, p. 118
  • 137 Ces derniers événements peuvent jusqu’à un certain point être lus au prisme des études sur la matiè (...)
  • 138 Parmi les nombreux travaux sur le sujet, voir Jean-Pierre Bois, « Les villageois et la guerre en Fr (...)
  • 139 Comme le note Charles D. Brockett à propos du Guatemala contemporain : « La répression parvient gén (...)
  • 140 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.
  • 141 Définie récemment comme « l’ensemble de caractéristiques d’un régime ou de ses institutions qui, à (...)
  • 142 John A. Lynn, Les guerres de Louis XIV, 1667-1714, Paris, Perrin, 2010, p. 152.

67Avant cela, il nous faut revenir sur le dernier éclat des révoltes jumelles de l’été. À bien des égards, la dernière révolte bordelaise fait penser à celle qui s’est déroulée à Rennes tout juste un mois auparavant. Comme dans la capitale bretonne, c’est d’abord le papier timbré qui est au cœur des revendications. Gars de Bordeaux arpentant le port et clercs rennais du palais en avaient après cette taxe là, devenue le symbole des mutations socio-politiques en cours. Parallèlement, la polarisation sur le papier s’explique aussi car il est quasiment le dernier survivant des impôts nouveaux. L’étain et le tabac ont disparu du paysage fiscal des deux villes. Pour autant, les circonstances qui conduisent à s’attaquer au papier honni sont différentes, même si on perçoit que, pour les Bordelais les plus engagés dans la lutte, l’attaque du palais du parlement de Bretagne a pu être un modèle à suivre. À Rennes, l’idée était de liquider les dernières nouveautés fiscales, et sans doute le bureau du contrôle était-il aussi au programme de l’émeute. À Bordeaux, c’est la peur de perdre les avantages acquis quatre mois et demi plus tôt qui provoque l’embrasement. Aussi, autant l’émeute bordelaise répond au modèle de l’émotion spontanée, autant la révolte rennaise semble correspondre à une opération préparée. Chaleur bordelaise, froideur rennaise ? L’existence de placards à Bordeaux montre à l’évidence que des gens étaient, dans l’ombre, à l’affût du moindre incident pour tenter de l’exploiter. Etait-ce des petits robins ? Etait-ce des agents hollandais ? Etait-ce les deux ? On ne sait, même si on peut noter que, à la date du 10 août, « des gens de Guyenne » sont signalés à La Haye par l’espion de Louvois, sans qu’on n’en sache plus136. En revanche, ce que l’on voit bien, c’est qu’à Bordeaux comme à Rennes, l’affaire tourne court. Sur les bords de la Garonne, elle est un peu plus longue à se régler en raison du caractère émotif de l’embrasement, et malgré la présence de l’armée, qui joue un rôle décisif dans l’immédiat. Mais il y a sans doute un peu plus pour comprendre pourquoi, dans les deux cas, ces événements ne parviennent pas à prendre réellement et durablement appui sur la masse. Plus que la perspective des vendanges, évoquée par d’Albret, ou que la présence des troupes – deux paramètres qui ne valent pas à Rennes –, le principal antidote à la mobilisation pourrait avoir été la peur de perdre les avantages acquis. Ainsi, l’amnistie, qui a été, au printemps, le moteur de la contagion rebellionnaire, a pu être, quelques mois plus tard, un efficace antidote à Bordeaux-même, contribuant à annihiler les pulsions rebellionnaires attisées par quelques personnages obscurs venant sans doute du monde de la petite robe et/ou qui avaient des liens avec les Hollandais137. À Rennes, l’attente des états pouvait jusqu’à un certain point jouer un rôle comparable. En outre, dans les deux villes, la crainte de tout compromettre se doublait de celle d’avoir à subir une punition collective impliquant le très redouté logement des gens de guerre. De Guingamp à Bergerac, on a déjà perçu combien la présence de la troupe était crainte. Joue ici tout le poids de représentations qui font du soldat un soudard sans vergogne, non sans raison au vu des pratiques observées au cours du siècle138. C’est donc à la lumière de la faiblesse relative du flux rebellionnaire estival qu’il faut lire les succès de la répression menée par les autorités locales, qui n’aurait pas pu rencontrer un tel succès si le terreau social n’avait pas été favorable. Les dirigeants locaux ont parfaitement compris que leur intérêt était dans la plus grande sévérité, face à un pouvoir royal sourcilleux sur ce point, mais ce n’est pas là la nouveauté. Ce qui change, c’est que la répression ne relance pas l’agitation139. C’est donc en fait avec les suites judiciaires qu’une différence de taille apparaît entre les deux villes. À Rennes, la réplique rébellionnaire reste impunie. Une fois les « brouillons » mis en déroute, le processus s’arrête. À Bordeaux, dans les heures qui suivent la révolte, non seulement la réaction dans la rue est vive, mais le processus judiciaire est lancé, et, rapidement, des individus sont arrêtés et condamnés. Comment expliquer la différence entre les deux villes ? Par les hommes sans doute en premier lieu. À Rennes, Chaulnes est à la fois absent et silencieux, et d’Argouges est pétrifié, tandis qu’à Bordeaux, d’Albret et d’Aulède sont tous deux présents, bientôt rejoints par de Sève, qui rentre rapidement de sa tournée punitive dans le haut pays. Toutes les autorités sont donc à pied d’œuvre et travaillent dans le même sens. De plus, et c’est là sans doute une clef importante de la différence entre les deux villes, la timidité rennaise se nourrit – à tort ou à raison – de la conscience que le rapport de force n’est pas dans l’immédiat en faveur du camp de l’autorité. À Rennes, pas de château ni de citadelle avec des troupes, et pas de régiment stationnant aux environs prêt à bondir sur la ville. De Sève souligne d’ailleurs que l’exécution bordelaise faite au centre du quartier Saint-Michel l’a été en présence de dix compagnies du régiment de Navailles venues du Château-Trompette, et dont il juge les officiers aussi sûrs que prudents au vu de leur action pendant les derniers troubles140. On distingue donc que le processus répressif ne constitue pas un seul bloc, et qu’il joue à plusieurs niveaux qui s’emboîtent. À Rennes, on s’est arrêté tôt, là où, à Bordeaux, on est allé plus loin, fort de la conviction que la punition était possible. S’il est vrai, comme l’ont montré nombre de chercheurs des mobilisations, que la révolte s’inscrit dans des « structures d’opportunité politique141 », il est également vrai que le mécanisme de retour au calme n’est possible que dans le cadre de « structures » dont les insurgés sont parties prenantes, ou, si l’on préfère, dans la conscience que peuvent avoir les acteurs du rapport de force et de l’opportunité d’agir. Enfin, il faut noter que, pour la première fois depuis le début du printemps, la sédition ne reprend nulle part. Paris, Rouen et Toulouse restent calmes. L’affaire d’Audijos est en voie de règlement. Quant aux Hollandais, ils ne sont finalement pas venus. Le fait que des exécutions puissent avoir lieu à Bordeaux, où tout avait commencé, était aussi un sérieux motif d’encouragement pour les autorités qui pouvaient avoir le sentiment que, enfin, la contre-offensive lancée en mai portait ses fruits. Certes, rien n’était acquis mais, après la terrible nouvelle de la mort de Turenne, bientôt ravivée par les déboires du maréchal de Créquy sur le front allemand, qui mit Louis « en état de choc142 », la nouvelle de la quasi-disparition du front intérieur était un soulagement. D’autant que, au même moment, les inquiétants Bonnets rouges rendaient aussi les armes.

Notes

1 BNF, Clairambault 796, fol. 311.

2 William Beik, Urban protest in seventeenth century France, Cambridge, Cambridge UP, 1997, p. 166.

3 Les principales sources sont ici :

– La relation de Morel (Gauthier Aubert, Marie-Laure Flahaut, « Rennes de la révolte du Papier timbré à la veille de la Révolution à travers deux chroniques inédites », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2009, t. CXIII, p. 93-185).

– Le journal de Cormier de la Courneuve (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 F 1637).

– Le livre de raison de Duchemin (Bruno Isbled, Moi, Claude Bordeaux… Journal d’un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle Rennes, Apogée, 1992.

– La chronique de Toudoux (Floriane Machard, Un certain regard sur Rennes au XVIIe siècle : vie de la cité et révolte urbaine, mémoire de Master 2, université Rennes 2, 2011, dir. G. Aubert, 2 vol.).

– Le livre de raison de La Monneraye (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 El 25).

– Les lettres Coëtlogon-père à Colbert des 17, 20 et 21 VII 1675 (BNF, Clairambault 796, fol. 269, 273 et 283*).

– Une lettre de Lavardin à Colbert du 20 VII 1675 (BNF, Clairambault 796, fol. 275*).

– Une lettre du parlement à Colbert du 20 VII 1675 (BNF, Clairambault 796, fol. 279*).

– Une lettre de d’Argouges à Colbert du 21 VII 1675 (BNF, Clairambault 796, fol. 289*).

– L’extrait du registre secret du parlement des 18 et 19 VII 1675, qui intègre la remontrance du procureur général (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1Bb 574 ; voir également 1 Bf 849*).

– Le registre de délibération de la communauté de ville du 18 VII 1675 (Arch. mun. Rennes, BB 561).

– La requête de la communauté de ville du 19 VII 1675 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1Bf 807*).
* inédits. Voir également l’illustration 9.

4 Seul La Monneraye situe l’action vers 10 heures.

5 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 10, 13 X 1646; GG 18, 1 V 1677; GG 20, 13 X 1685; GG 21, 25 II 1692. Pouvait-il être associé à la ferme des devoirs du fait de son état ?

6 BNF, Clairambault 796, fol. 333, lettre de Lavardin à Colbert, 27 VII 1675.

7 Les termes de commis et de sous-fermiers semblent être interchangeables : Vallier est par exemple qualifié de commis dans les papiers de Colbert, alors qu’il était bien sous-fermier, et futur fermier général d’ailleurs (Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand siècle, Paris, Fayard, 1984, p. 57-58 et 700).

8 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 575, reg. sec. 20 VII 1675.

9 Lettres, Gerard Gailly ed., Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 895, lettre du 30 X 1675,

10 Jean Lemoine, CLXIV.

11 Christian Jouhaud, Robert Descimon, « De Paris à Bordeaux : pour qui court le peuple pendant la Fronde (1652) ? », dans Jean Nicolas (dir.), Mouvements populaires et conscience sociale, XVIe-XIXe siècle, Paris, Maloine, 1985, p. 31-42.

12 Arch. mun. Rennes, St-Aubin GG 11. Aucun autre renseignement n’a pu être trouvé sur cet individu.

13 Pouvait-il être le fils de Pierre Daligault, maître boulanger de la rue Haute, qui eut deux fils portant le même prénom que lui, l’un né en 1655, l’autre en 1660 ? La chose paraît peu probable car si deux fils ont le même prénom, c’est que l’aîné est mort. Or, dans ce cas, le jeune Pierre Daligault n’aurait eu que 15 ans au moment des faits, ce qui semble un peu jeune pour subir un tel supplice, cela sans que personne ne remarque sa jeunesse (Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 12 et 13, 18 IV 1655 et 25 I 1660). Un autre Pierre Daligault se marie en 1663 dans une paroisse qui englobe une partie de la rue Haute, mais rien ne dit qu’il était musicien (Arch. mun. Rennes, St-Martin, GG 1, 23 I 1663). Notons aussi que seul Morel lui donne un prénom…

14 Supra, chapitre VI.

15 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

16 Les émeutes de subsistance sont 3 à 4 fois moins nombreuses en juillet qu’elles ne le sont en avril et mai (Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, Paris, Le Seuil, 2002, p. 224).

17 On se permettra simplement ici de renvoyer au témoignage irremplaçable du jeune Chateaubriand sur la vie dans la rue des enfants de la bonne société (Mémoires d’Outre Tombe, livre I, chap. 5).

18 « Il vola, il expira et jamais il n’expiera » (Floriane Machard, op. cit., t. II, p. 55).

19 44 magistrats présents le 18 juillet, 50 le 19, contre 26 et 22 les lendemains de la première révolte (19 et 20 avril).

20 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.

21 Arch. nat., E* 1779, fol. 425, arrêt du 11 V 1675.

22 BNF, MC 172, fol. 157, lettre de la duchesse de Chaulnes à Colbert, 20 VII 1675.

23 Lettres, op. cit., p. 770.

24 BNF, MC 172, fol. 167, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 23 VI 1675.

25 Lettres, op. cit., p. 777.

26 BNF, MC 172 bis, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 28 VIII 1675.

27 D’après un continuateur de Morel, l’affaire eut lieu lorsque la duchesse rentra de Dinan, mais elle n’en revint que le 15 octobre : faut-il penser que ce geste a eu lieu alors que, depuis trois jours, la ville était quadrillée par l’armée ? On ne peut évidemment l’exclure. Mais il est néanmoins tentant de placer cela plus tôt, en le reliant aux événements de juillet, voire en plaçant l’anecdote le 17 août, quand la duchesse quitta Rennes pour Dinan.

28 James B. Collins, La Bretagne dans l’Etat royal, Rennes, PUR, 2006, p. 308.

29 Sur la variété des représentations et des usages du chat dans la culture du plus grand nombre : Robert Darnton, Le grand massacre des chats. Attitudes et croyances dans l’ancienne France, Paris Robert Laffont, 1985, p. 75-99 ; voir également Grégory Hanlon, L’univers des gens de bien, Bordeaux, PUB, 1989, p. 73, qui évoque la pratique consistant à déposer la charogne puante d’un chat devant la porte d’un ennemi. Quelques années plus tard, d’après la marquise de Sévigné, Olympe Mancini en fuite à Bruxelles à la suite de l’affaire des Poisons, eut à subir une ronde de chats liés ensemble en signe de malvenue (lettre du 16 II 1680, dans Lettres de Madame de Sévigné, Paris, Blaise, 1818, t. VII, p. 220). Enfin, pour rester dans ces années, signalons que l’effrayant tableau de Jean de Baen (1633-1702) qui montre les corps mutilés des frères de Witt présente au premier plan un chat crevé sanguinolant (Rijksmuseum Amsterdam).

30 BNF, MC 172 bis, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 28 VIII 1675.

31 Supra, chapitre IV.

32 Il pourrait s’agir des troubles signalés à Landévant le 13 juillet par le registre paroissial (cité par Yvon Garlan, Claude Nières, Les révoltes bretonnes de 1675, Paris, Éditions sociales, 1975, p. 109).

33 BNF, Clairambault 796, fol. 243, 265, 275, 307 et 333 lettres de Lavardin à Colbert, 9, 16, 20, 23 et 27 VII 1675 ; SHD, A 1 442, fol. 188, lettre du même à Louvois, 16 VII 1675.

34 BNF, Ms fr. 22 357, Mémoire pour servir l’histoire de l’abbaye de Saint-Melaine.

35 Duchemin dit y avoir participé le 21 juillet, ce qui voudrait dire que le premier présent, fait par la Charbonnerie, l’aurait été le 18 juillet, lendemain des combats survenus au parlement.

36 Ce qui fait penser à d’Epernon à Bordeaux en 1635, inactif faute de forces suffisantes à sa disposition (Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1972, p. 177).

37 BNF, Clairambault 796, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 23 VII 1675.

38 BNF, Clairambault 796, fol. 317, lettre de d’Argouges à Colbert, 24 VII 1675.

39 Arch. nat., E* 486c, fol. 203, arrêt du 27 VII 1675.

40 BnF Clairambault 796, fol. 329, lettre de d’Argouges à Colbert, 28 VII 1675.

41 Lettres, op. cit., p. 770.

42 BNF, MC 172, fol. 145, lettre de Chaulnes à Colbert, 20 VII 1675.

43 BNF, MC 172, fol. 221, lettre de Chaulnes à Colbert, 3 VIII 1675.

44 Arch. mun. Rennes, AA 13 et BB 561, délib. du 5 VIII 1675.

45 BNF, MC 172, fol. 145, 165, lettres de Chaulnes à Colbert, 20 et 23 VII 1675.

46 Arch. nat., B 2 31, fol. 267, lettre de Seignelay à Chaulnes, 30 VII 1675.

47 BNF, MC 172, fol. 221, lettre de Chaulnes à Colbert, 3 VIII 1675.

48 Arch. mun. Rennes, BB 561, délib. du 15 VIII 1675.

49 Arch. mun. Rennes, BB 561, délib. des 22 et 29 VIII 1675

50 SHD, A 1 441, fol. 415, lettre de de Sève à Louvois, 20 VI 1675.

51 BNF, MC 171 bis, fol. 600.

52 Arch. mun. Bordeaux, BB 167 ; BNF, Clairambault 796, fol. 231, lettre de d’Aulède à Colbert, 19 VI 1675.

53 Supra, chapitre II.

54 SHD, A 1 441, fol. 187, lettre de Montaigu à Louvois, 10 VI 1675.

55 Le registre explique qu’il ne peut plus prendre de « commissions à exécuter dans la ville » (Arch. mun. Bordeaux, BB 68, reg. délib., 17 VII 1675).

56 Arch. mun. Bordeaux, BB 68.

57 BNF, MC 172, fol. 179, lettre de de Sève à Colbert, 25 VII 1675.

58 BNF, MC 171 bis, fol. 413, lettre de La Reynie à Colbert, 7 VI 1675.

59 BNF, MC 171 bis, fol. 738, lettre de de Sève à Colbert, 29 VI 1675.

60 BNF, MC 171 bis, MC 172, fol. 179, lettre de de Sève à Colbert, 25 VII 1675.

61 SHD, A 1 443, fol. 38, lettre de d’Albret à Louvois, 3 VIII 1675.

62 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois et Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib. 17 VIII 1675.

63 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675.

64 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois et Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675.

65 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.

66 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.

67 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675.

68 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675 et BNF, Clairambault 796, fol. 381, lettre de du Bourg à Colbert, 17 VIII 1675.

69 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois.

70 Supra, chapitre V.

71 Livre de raison de la famille Fontainemarie, 1640-1774, Philippe Tamizey de Larroque (éd.), Agen, Librairie Lamy, 1889, p. 27.

72 Saint-Michel et Sainte-Eulalie selon Fontainemarie.

73 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.

74 SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois.

75 BNF, MC 172, fol. 313, lettre de Lombard à Colbert, 17 VIII 1675. D’après Fontainemarie (Livre de raison, op. cit.), l’armée parvient à prendre le contrôle des fossés, et les insurgés se barricadent dans la seule rue des Faures, qui va des fossés à l’église Saint-Michel.

76 Orest Ranum, La Fronde, Paris, Seuil, 1995, p. 177-178.

77 « Surtout à l’hostel de ville, au marché, au Chapeau Rouge » note Fontainemarie : on retrouve là le lieu de pouvoir habituel, rendez-vous des émeutiers, un espace collectif propice aux rassemblements et le quartier le plus huppé.

78 Sans doute faut-il voir là un système de participation commune, ou de mise à l’amende pour ceux qui ne participent pas au mouvement les armes à la main.

79 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675 et SHD, A 1 443, fol. 282, relation envoyée par Montaigu à Louvois. Les registres paroissiaux ne permettent pas d’accréditer un tel carnage. Tout juste observe-t-on le cas incertain d’un arquebusier natif de Vierzon, Boutet, qui est tué le 16 dans la rue Bouquière, soit non loin de l’hôtel de ville (Arch. mun. Bordeaux, St-Michel, GG 472, 17 VIII 1675).

80 SHD, A 1 443, fol. 282, lettre de Montaigu à Louvois, 19 VIII 1675.

81 BNF, MC 172 bis, fol. 340, lettre de d’Albret à Colbert, 19 VIII 1675 et fol. 420, lettre de d’Aulède à Colbert, 31 VIII 1675. Ce régiment, initialement stationné à Libourne, a peut-être été déplacé à Marmande suite aux troubles que cette ville a connus en juin.

82 Robert Descimon, « Les barricades de la fronde parisienne. Une lecture sociologique », Annales ESC, 1990, 45, p. 397-422.

83 On retiendra ici le fameux manuel de Bugeaud, La guerre des rues et des maisons (1849).

84 BNF, MC 172, fol. 313, lettre de Lombard à Colbert, 17 VIII 1675.

85 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 17 VIII 1675.

86 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.

87 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettres des jurats à Châteauneuf, 17 et 19 VIII 1675.

88 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., arrêt du parlement, 17 VIII 1675.

89 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.

90 Arch. mun. Bordeaux, EE 7.

91 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.

92 BNF, MC 172 bis, fol. 317, lettre de d’Albret à Colbert, 17 VIII 1675.

93 BNF, MC 172 bis, fol. 336, lettre de de Sève à Colbert, 19 VIII 1675.

94 BNF, MC 172 bis, fol. 341 et 343, lettres de d’Albret à Colbert, 19 VIII 1675.

95 BNF, MC 172 bis, fol. 341, lettre de d’Albret à Colbert, 19 VIII 1675.

96 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 19 VIII 1675.

97 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 21 VIII 1675.

98 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 21 VIII 1675.

99 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettre des jurats à Châteauneuf, 21 VIII 1675. Peut-il s’agir du mystérieux « Jambe de bois », identifié en mars comme chef par Fontainemarie ? (Livre de raison, op. cit., p. 26).

100 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., lettres de Châteauneuf aux jurats, 3 et 11 IX 1675.

101 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.

102 BNF, MC 172 bis, fol. 385, lettre de d’Aulède à Colbert, 24 VIII 1675.

103 BNF, Clairambault 796, fol. 385, lettre de d’Aulède à Colbert, 28 VIII 1675.

104 Arch. mun. Bordeaux, BB 69, reg. délib., 29 VIII 1675.

105 BNF, MC 172 bis, fol. 420, lettre de d’Aulède à Colbert, 31 VIII 1675.

106 BNF, MC 172 bis, fol. 373, lettre de d’Albret à Colbert, 21 VIII 1675.

107 SHD, A 1 443, fol. 282, lettre de Montaigu à Louvois, 19 VIII 1675.

108 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.

109 BNF, MC 172, fol. 311, lettre de d’Aulède à Colbert, 17 VIII 1675.

110 BNF, MC 172, fol. 313, lettre de Lombard à Colbert, 19 VIII 1675.

111 Georges Couton, La chair et l’âme. Louis XIV entre ses maîtresses et Bossuet, Grenoble, PUG, 1995, p. 103 sq.

112 Bossuet, Œuvres complètes, Paris, 1856, t. I, p. 207, lettre du 10 VII 1675.

113 BNF, MC 172, fol. 317, lettre de d’Albret à Colbert, 17 VIII 1675.

114 BNF, MC 171 bis, fol. 714, lettre de d’Aulède à Colbert, 29 VI 1675.

115 BNF, Clairambault 796, fol. 323, lettre de de Sève à Colbert, 29 VII 1675.

116 SHD, A 1 443, fol. 38, lettre de d’Albret à Louvois, 3 VIII 1675.

117 Arnaud Communay, Audijos : la gabelle en Gascogne, Paris, Champion, 1893, p. 425.

118 Ibid.

119 José Cubéro, Une révolte antifiscale au XVIIe siècle, Paris, Imago, 2001, p. 162-163.

120 BNF, MC 172, lettres de d’Albret et de Sève à Colbert, 10 VIII 1675.

121 BNF, MC 171 bis, fol. 616, lettre de Fieubet à Colbert, 19 VI 1675.

122 Sans doute des investigations dans les archives toulousaines seraient ici utiles pour comprendre ce qui s’est alors passé.

123 BNF, Clairambault 796, fol. 367, lettre de d’Aguesseau à Colbert, 6 VIII 1675.

124 Pierre Clément, La police sous Louis XIV, Paris, Didier, 1866, p. 426 : lettre de La Reynie à Colbert, 2 VIII 1675.

125 Lettres, op. cit., p. 779.

126 BNF, MC 172, fol. 94, lettres de Pellot à Colbert, 13, 28 VII et 4 VIII 1675.

127 Arch. nat., E* 1781, fol. 445, arrêt du conseil, 9 VIII 1675.

128 BNF, Clairambault 796, fol. 219, lettre de Tubeuf à Colbert, 30 VI 1675.

129 BNF, MC 172, fol. 299 et 331, lettres de Mgr de la Vergne à Colbert, 16 et 18 VIII 1675.

130 Lettre à Colbert du 18 VIII 1675, cité par l’abbé Abbé Ledru, « Une émeute dans le Maine en 1675 », Revue historique et archéologique du Maine, t. XVI, 1884, p. 59.

131 Supra, chapitre V.

132 Jean Nicolas, op. cit, p. 34.

133 Arch. mun. Poitiers, registre de délibérations, no 125, 4 III et 12 VI 1676.

134 Arch. mun. Poitiers, registre de délibérations, no 125, 27, 29, 30 III 1676.

135 Arch. mun. Poitiers, registre de délibérations, no 125, 30 III, 1er, 4 IV et 6 VII 1676.

136 Ch.-M. Chotzen, « Le gouvernement hollandais et la révolte du papier timbré », AB, 1942, 49, p. 118.

137 Ces derniers événements peuvent jusqu’à un certain point être lus au prisme des études sur la matière contemporaine, comme des entreprises de radicalisation, phénomènes classiques des mouvements en déclin, et qui a pour effet d’accroître la démobilisation par la crainte que ressentent les plus modérées que la répression ne soit encore plus terrible. À ce jeu du transfert des concepts à travers les siècles, on peut d’ailleurs se demander si la rédaction des « codes paysans » avec envoi de requêtes et de députés aux états ou au roi ne correspond à l’autre réaction classique en phase de déclin de la mobilisation, qui est l’institutionnalisation (Charles Tilly, Sidney Tarrow, Politique[s] du conflit. De la grève à la révolution, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 168-173 et 316).

138 Parmi les nombreux travaux sur le sujet, voir Jean-Pierre Bois, « Les villageois et la guerre en France à l’époque moderne », dans Christian Desplats (dir.), Les Villageois face à la guerre, Toulouse, PU Mirail, 2002, p. 185-208.

139 Comme le note Charles D. Brockett à propos du Guatemala contemporain : « La répression parvient généralement à étouffer le conflit si le niveau de mobilisation n’est pas encore très élevé. En revanche, si la violence d’État augmente une fois qu’un cycle de protestation est déjà bien lancé, cette répression, loin de dissuader la contestation – violente ou non – va plutôt l’exciter » (cité par Charles Tilly et Sidney Tarrow, op. cit., p. 236).

140 BNF, MC 172 bis, fol. 375, lettre de de Sève à Colbert, 22 VIII 1675.

141 Définie récemment comme « l’ensemble de caractéristiques d’un régime ou de ses institutions qui, à un moment donné, facilitent ou au contraire entravent l’action collective de certains acteurs politiques » (Charles Tilly, Sidney Tarrow, op. cit., p. 335).

142 John A. Lynn, Les guerres de Louis XIV, 1667-1714, Paris, Perrin, 2010, p. 152.

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Titre Figure 7. – Les différentes hypothèses relatives à l’insurrection du 17 juillet.
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